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sous la direction de Lucie Hotte et Guy Poirier Habiter la distance Études en marge de La distance habitée Prise deparole Agora

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Études en marge deLa distance habitée

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Depuis une vingtaine d’années, les travaux de François Paré sur les cultures et les littératures minoritaires cons-tituent une référence incontournable pour tout chercheur qui s’intéresse aux littératures en émergence. Dès la paru tion des Littératures de l’exiguïté (prix du Gouverneur général, 1992), tout le champ de la recherche sur les conditions d’existence des « petites » cultures et des « petites » littératures a été radicalement transformé. Sa réflexion s’est poursuivie et approfondie dans Théories de la fragilité (1994) et La distance habitée (2003). Ce dernier ouvrage marque un tournant : Paré s’interroge « sur les structures d’accommo-dement propres aux cultures de l’exiguïté, tout en re fusant d’en faire des signes de capitulation » (Catherine Leclerc).

Huit chercheurs réputés de l’Ontario, du Québec, de l’Acadie et de l’Ouest canadien ont accepté le défi que leur lançaient Lucie Hotte et Guy Poirier, d’appliquer des notions développées dans La distance habitée — la langue, la mémoire, la migration et les frontières tant culturelles, linguistiques que textuelles — à l’analyse de romans, d’essais et de chansons d’auteurs divers, dont France Daigle, Michel Ouellette, Daniel Poliquin, Gabrielle Roy, Michel Tremblay et Gisèle Villeneuve. Voici le résultat de leurs travaux.

La postface est signée par l’incontournable François Paré.

Lucie Hotte est titulaire de la Chaire de recherche sur les cultures et les littératures francophones du Canada et profes-seure de littérature à l’Université d’Ottawa.

GUY POIRIER est professeur de littérature à l’Université de Waterloo.

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Des mêmes auteurs

Lucie Hotte

Hotte, Lucie et Johanne Melançon (dir.), Thèmes et variations. Regards sur la litté ra ture franco-ontarienne, Sudbury, Prise de parole, 2005, 393 p.Hotte, Lucie (dir.), avec Louis Bélanger et Stefan Psenak, La littérature franco-ontarienne : voies nouvelles, nouvelles voix, Ottawa, Le Nordir, 2002, 280 p.Cardinal, Linda et Lucie Hotte (dir.), La parole mémorielle des femmes, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2002, 200 p.Hotte, Lucie, L’inscription de la lecture. Lecture du roman, romans de la lecture, Québec, Nota Bene, 2001.Hotte, Lucie et François Ouellet (dir.), La littérature franco-ontarienne. Enjeux esthétiques, Hearst, Le Nordir, 1996, 139 p.Hotte, Lucie (dir.), La problématique de l’identité dans la littérature francophone du Canada et d’ailleurs, Hearst, Le Nordir, 1994, 152 p.

Guy Poirier

Poirier, Guy (dir.), avec C. McWebb, F. Paré et D. Russell, Dix ans de recher-che sur les femmes écrivains de l’Ancien Régime : influences et confluences. Mélanges offerts à Hannah Fournier, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, 280 p. Poirier, Guy (dir.), Culture et littérature francophones de la Colombie-Britannique : du rêve à la réalité. Espaces culturels francophones II, Orléans, Éditions David, 2007.Conihout, Isabelle de, Jean-François Maillard et Guy Poirier (dir.), Henri III mécène des arts, des lettres et des sciences, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2006.Poirier, Guy, Jacqueline Viswanathan et Grazia Merler (dir.), Littérature et culture francophones de Colombie-Britannique. Espaces culturels I, Ottawa, Éditions David, 2004.Poirier, Guy (dir.), La Renaissance, hier et aujourd’hui, Québec / Paris, Presses de l’Université Laval / L’Harmattan, 2002.Poirier, Guy, et Pierre-Louis Vaillancourt (dir.), Le bref et l’instantané. À la ren contre de la littérature québécoise du XXIe siècle. Orléans, Éditions David, 2000, 237 p.Poirier, Guy, L’homosexualité dans l’imaginaire de la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1996, 246 p.

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Sous la direction de Lucie Hotte et Guy Poirier

collection agoraÉditions Prise de parole

Sudbury 2009

Habiter la distance

Études en marge de La distance habitée

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaHabiter la distance : études en marge de La distance habitée / Lucie Hotte et Guy Poirier (dir.).(Agora)ISBN 978-2-89423-227-9

1. Littérature canadienne-française — 20e siècle — Histoire et critique. 2. Littérature québé-coise — 20e siècle — Histoire et critique. 3. Paré, François, 1949- Distance habitée. I. Hotte, Lucie. II. Poirier, Guy, 1961-. III Collection : Agora (Prise de parole (Firme))

PS8073.5.H32 2009 C840.9’0054 C2009-904318-1

Distribution au Québec : Diffusion Prologue • 1650, boul. Lionel-Bertrand • Boisbriand (QC) J7H 1N7 • 450-434-0306

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de pa role appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contem poraine.

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (Programme d’appui aux langues officielles et Pro gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

La collection « Agora » publie des études en sciences humaines sur la francophonie, en privilégiant une perspective canadienne.

Conception graphique et mise en pages : Olivier Lasser

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Imprimé au Canada.

Copyright © Ottawa, 2009Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2http ://pdp.recf.ca

ISBN 978-2-89423-227-9ISBN 978-2-89423-319-1 (Numérique)

Prisedeparole

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remerciements

C et ouvrage n’aurait pu être publié sans l’appui financier du Bureau du Doyen de la Faculté des arts de l’Université de

Waterloo et de la Chaire de recherche sur les cultures et les litté-ratures francophones du Canada. Nos remerciements aussi à notre assistante de recherche, Caroline Boudreau, qui a œuvré à la préparation matérielle de cet ouvrage. Enfin, toute notre gratitude à Jacqueline Viswanathan.

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introduction

Lucie HottecHaire de recHercHe sur Les cuLtures

et Littératures francopHones du canada

université d’ottawa

Guy Poirierdépartement d’études françaises

université de waterLoo

L es travaux de François Paré sur les cultures et les littératures minoritaires constituent une référence incontournable pour

tout chercheur qui s’intéresse aux littératures en émergence et aux cultures de l’exiguïté. « Seminal work » disent les anglophones, expression intraduisible en français, mais qui qualifie précisément les écrits de Paré. Dès la parution des Littératures de l’exiguïté, en 1992, tout le champ de la recherche est radicalement transformé par ses réflexions sur les conditions d’existence des « petites » cultures et des « petites » littératures1. Dans sa préface à l’édition de 2001, Robert Major souligne que « [c]ertains livres arrivent à point2 ». Pour Major, « [l]’originalité foudroyante » de ces ouvrages « nous ré vèle, du coup, notre état d’ignorance antérieur — car on

1 François Paré, Les littératures de l’exiguïté, Ottawa, Le Nordir, « Bibliothèque canadienne-française », [1992] 2001, p. 18.

2 Robert Major, « L’intellectuel comme marginal et résistant », Les littératures de l’exiguïté, op. cit., p. 8.

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sait que l’originalité d’une œuvre est inversement proportionnelle à l’ignorance de son récepteur — et notre intelligence nouvelle, soudainement acquise, porteuse d’euphorie3 ». Pour le préfacier, « Les littératures de l’exiguïté est du nombre4 ». Il est vrai, comme le dit Major, que

Les littératures de l’exiguïté a provoqué un choc en profondeur dans notre perception de la Littérature. Ce que dans d’autres disciplines on appelle un changement radical de paradigme, une révolution épistémologique5.

La qualité de ce premier essai de Paré lui a d’ailleurs valu, en 1993, le prix du Gouverneur général et le Signet d’or, prix alors décerné par Radio-Québec, devenu depuis Télé-Québec.

Avec Les littératures de l’exiguïté, s’élève la voix d’un véritable essayiste qui « saisit son objet, s’engageant résolument dans l’aventure d’une écriture6 ». Pour François Ouellet,

Il y a chez Paré une saisissante mise en récit du discours de la marge, une incomparable mise en scène littéraire de l’essayiste par lui-même, une puis-sante rhétorique de la sollicitation performative, affective, séduisante, perverse (le terme n’est nullement péjoratif : c’est la plus belle qualité que puisse se donner une écriture qui inscrit au sein de la linéarité du discours sa propre singularité), qui joue habilement de l’énonciation et des condi-tions socioculturelles dont elle témoigne7.

En effet, si Paré inscrit résolument son discours dans une perspec-tive subjective, il n’en est pas moins partie prenante de son objet puisque son « je » se fond irrémédiablement dans le « nous » de la communauté minoritaire et marginale, dont l’existence lui appa-raît précaire et incertaine. C’est cette « fragilité » qui inspirera le titre du deuxième essai de François Paré.

En 1994, paraît Théories de la fragilité, ouvrage regroupant une série de textes, plus longs que les fragments des Littératures de

3 Ibid.4 Ibid., p. 9.5 Ibid.6 François Ouellet, « L’héroïsme de la marge. Les essais de François Paré »,

« Postures scripturaires dans la littérature franco-ontarienne », Lucie Hotte et François Ouellet (dir.), Tangence, no 56, décembre 1997, p. 40.

7 Ibid., p. 42.

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l’exiguïté, portant quasi exclusivement sur la littérature franco-ontarienne. Après avoir réfléchi, dans son premier essai, sur les conditions d’existence des petites cultures et littératures, Paré se penche alors sur des œuvres précises. C’est là l’occasion pour lui de réfléchir à nouveau sur les littératures minoritaires, qui sont, à ses yeux, « profondément chargées de sens » parce qu’

elles tendent à poser clairement et douloureusement la question de l’iden-tité collective, et donc celle de la participation de l’écriture à la violence manifestée et aux processus d’exclusion, d’une part, et à la fête, à l’in-clusion, à la procession d’autre part8.

La distance habitée se situe dans la continuité des deux ouvrages précédents9. Cependant, cet ouvrage marque un tournant dans la pensée de François Paré. Délaissant la « rhétorique victimaire10 », l’essayiste aborde la condition minoritaire sous un angle nouveau. Comme le signale Catherine Leclerc : « [i]l s’interroge désormais sur les stratégies d’accommodement propres aux cultures de l’exiguïté, et refuse d’en faire des signes de capitulation11 ».

Dans La distance habitée, François Paré a pris le parti de recon-naître nos visages et nos regards au détour d’une page et de nous donner l’imagination et la force de reprendre possession de notre langue et d’habiter nos distances. L’espace du dialogue qu’il crée pour nous, dans son essai publié en 2003, est peut-être celui qui opère le virage le plus spectaculaire et humain de son œuvre. Si l’essai Les littératures de l’exiguïté a confirmé l’existence du corpus des petites littératures et revendiqué pour elles le droit de devenir objet d’étude, il fallait aussi donner une genèse et une densité à ces récits. C’est ce défi qu’a relevé avec succès La distance habitée. Paré y propose de nouveaux concepts de diaspora, d’itinérance,

8 François Paré, Théories de la fragilité, Ottawa, Le Nordir, 1994, p. 13.9 François Paré a reçu le prix Victor-Barbeau 2004 de l’Académie des lettres du

Québec pour La distance habitée. Il a également été colauréat du prix Trillium 2003 pour le même ouvrage.

10 François Ouellet, loc. cit., p. 52.11 Catherine Leclerc, « François Paré, La distance habitée », University of Toronto

Quarterly, vol. 74, no 1, hiver 2004, p. 5.

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d’accommodement et de créolisation pour rendre compte des modes d’existence des communautés marginales12.

La distance habitée

La distance que nous habitons, c’est donc celle où notre parole volontairement ou accidentellement nomade s’enracine selon des procédés fort complexes que s’approprie François Paré à la manière d’un Montaigne y cherchant son « assiette ». Pourtant, l’archéo-logue des minorités ne pourra faire surgir des profondeurs de notre modernité une Atlantide déjà riche d’un imaginaire antique. Les traces de vie, sur l’archipel de la diaspora, restent peu perceptibles à l’œil du sociologue et de l’historien des nations. Pensons à ces réseaux mémoriels que les minorités ne sont le plus souvent pas parvenues à imprimer à l’espace public, aux accommodements avec la culture majoritaire qui ont fragmenté le passé des cultures diasporales, ou encore à cette langue, fer de lance de la résistance, qui pourtant est souvent la première à céder le pas à l’univers plurilingue qui l’entraîne vers la créolisation, le clignotement et l’assimilation.

Cette désolation et l’état vraisemblablement embryonnaire aux-quels sont condamnées les cultures de la distance n’ont pourtant pas désarmé François Paré, qui a consacré une section entière de son ouvrage aux sept paraboles du rassemblement. N’en sommes-nous pas alors à la source même d’un discours rassembleur des choses qui ne s’inscrit plus, justement, dans le cloisonnement des mondes majoritaires de l’ancienne loi ? Il s’agit avant tout de relancer le débat de la multiplicité et de la fragmentation du point de vue même des entités marginalisées et dépossédées de leur essence. Les paraboles ne serviront non plus de liens entre le passé et l’avenir, mais de figures de solidarité et, comme le précise François Paré, de mystique de l’unité.

12 Il revient d’ailleurs sur ces concepts, notamment sur la question de la migra-tion, dans son dernier ouvrage, Le fantasme d’Escanaba (Québec, Nota Bene/CEFAN, 2007).

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C’est pour répondre à un questionnement venant de ses lecteurs que François Paré consacre un chapitre aux commu-nautés virtuelles. S’il semble y voir le matériau d’un possible réseautage rassembleur, il est plutôt prudent dans son évalua tion des mo dalités de contact entre les individus que permet Internet. Ayant déjà étudié les modèles d’appropriation intellectuelle et culturelle qui avaient cours lors de l’invention de l’imprimerie, à la Renaissance, il sou ligne à juste titre que les minorités fonc-tionnent souvent dans un univers spatial fort différent de celui des groupes majoritaires, espace le plus souvent confiné à la famille, à l’école, à l’église, au club social.

C’est à partir du chapitre intitulé « Alguien que anda por ahi » que François Paré va résolument se pencher sur les conditions socioculturelles de deux communautés de la distance, au Canada, l’Ontario français et l’Acadie. Les rattachant à une mouvance panaméricaine précolombienne faisant du Nouveau Monde le théâtre « d’une disparition et d’une pratique de l’absence13 », il s’aidera alors d’études sociologiques, de faits liés à l’histoire cultu-relle et de productions littéraires issues des espaces minoritaires pour étudier la construction de l’espace public et rêvé de l’Ontario français et de l’Acadie. La richesse du travail esthétique sur la langue et la littérature des intervenants et des créateurs de la diaspora est alors confirmée. Pour François Paré, poètes, dra-maturges et romanciers sont en quelque sorte les forces vives des cultures en situation minoritaire. Ils recentrent l’identité, accé-lèrent les prises de conscience et surtout tissent la mémoire des minorités. C’est probablement pour cette raison qu’il leur donne la parole à la fin de son ouvrage en les associant à ces distances qui ne peuvent plus être oubliées :

Du Nouvel-Ontario de Patrice Desbiens et de Lola Lemire Tostevin à la Petite Havane d’Ana Menéndez et de la Côte-de-Sable de Daniel Poliquin, au Cuscatlán de Roque Daltón García et au Maroc d’Abdelkébir Khatibi, il n’y a qu’un chemin diasporal aux multiples croisements et aux magni-fiques errances. Les dieux antiques qui inspirent son parcours sont les

13 François Paré, La distance habitée, Ottawa, Le Nordir, 2003, p. 157.

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nôtres. Ils sont capables, si on les laisse parler, de toutes les lumières et de toutes les métamorphoses14.

Ce puissant exercice de reconnaissance qu’a entrepris François Paré n’est pas resté lettre morte. Le présent recueil d’articles de chercheurs vivant en contexte minoritaire et travaillant sur nos petites littératures, partout au Canada, le prouve. Si François Paré fut à l’écoute de nos naissances, nous aimerions ainsi partager avec lui et avec vous ces « co-naissances », et ainsi habiter pleinement, grâce à nos créateurs, la distance.

Les premiers textes qui constituent ce recueil s’inspirent des réflexions de François Paré sur la langue. Catherine Leclerc des sine le chemin parcouru par la pensée de Paré au sujet du contact entre le français et l’anglais, des Littératures de l’exiguïté à La distance habitée. Elle note que si, au départ, Paré faisait preuve d’une mé fiance profonde à l’égard du bilinguisme, qu’il percevait comme un jeu à somme nulle, il devient plus ouvert à la cohabitation linguistique dans son essai de 2003. C’est ce passage d’une vision cataclysmique fondée sur le bilinguisme soustractif à une vision plus positive soulignant les gains potentiels découlant de la maî-trise des deux langues qui sert de fondement, dans cet article, à l’analyse de la place qu’occupe le chiac dans des œuvres acadiennes récentes, soit Petites difficultés d’existence de France Daigle, Vortex de Jean Babineau et Acadieman de Dano LeBlanc.

Cette question des pratiques diglossiques est également au cœur des articles de Johanne Melançon et Pamela Sing. La première l’aborde en fonction de la place qu’occupe l’anglais dans la chan-son franco-ontarienne, depuis CANO jusqu’à Konflit Dramatik. Elle note, d’entrée de jeu, que deux postures sont possibles pour les artistes : celle du discours de la résistance imposant le français à tout prix, et celle du discours de l’accommodement qui ouvre la porte à des pratiques diglossiques. Or, cet accommodement prend lui-même des formes différentes durant les années 1970 et 2000. Que signifient ces divers positionnements par rapport à l’anglais ? C’est la question à laquelle Johanne Melançon répond.

14 Ibid., p. 254.

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Pamela Sing se penche sur l’écriture « bi-langue » dans des romans de l’Ouest canadien, notamment Talon de Paulette Dubé (publié en anglais) et Visiting Elizabeth de Gisèle Villeneuve (publié en français). Si la première écrivaine opte pour l’anglais comme langue d’écriture, le français n’est pas pour autant absent de son roman ; l’inverse est également vrai pour la seconde. Que conclure de cette présence marquée de l’autre langue dans les textes ? Par une analyse des procédés d’inscription de l’identité bi-langue, Pamela Sing en vient à dégager divers types de rapports interculturels représentés.

À l’extrême ouest du pays, en Colombie-Britannique, en dépit du fait que des francophones s’y sont rendus depuis la colonisation au XVIIIe siècle et la Ruée vers l’or au XIXe, l’identité francophone est une construction récente. La plupart des francophones et des francophiles de la province ne sont pas les descendants de vieilles souches françaises, mais de nouveaux arrivants. Comment peuvent s’élaborer un sentiment d’appartenance et une mémoire collec-tive dans un lieu qu’on n’habite que depuis peu ? C’est à travers une analyse de deux romans et d’un recueil de nouvelles que Guy Poirier traite cette question.

Les textes qui suivent abordent plutôt des problématiques liées à la seconde grande thématique chère à François Paré, l’espace. Sophie Beaulé analyse ainsi les paramètres de la migration et de la mémoire dans des textes de science-fiction. Elle démontre que l’on habite la distance et que l’on y négocie sa mémoire culturelle selon des critères qui ne sont pas si différents de ceux explorés par François Paré. Dissémination, refus du passé, résistances de la mémoire collective, autant de facettes du rapport à soi et à la dissé -mination que la science-fiction reproduit.

Lucie Hotte, dans son article, examine les différentes facettes de la distance telle qu’elle se présente dans l’œuvre de Michel Ouellette. Espace mortifère du nord de l’Ontario que l’on n’arrive toujours pas à apprivoiser après plus d’une génération, espace familial étouffant, tout pousse les personnages à l’exil. Partir peut paraître une solution intéressante, mais pour aller où ? Le Sud

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n’offre le plus souvent qu’une solution provisoire ; les personnages devront donc, pour exister, habiter leur distance.

Jean Morency, dans « Romanciers du Canada français : Gabrielle Roy, Jacques Poulin, Michel Tremblay, Roch Carrier », démontre la filiation d’une identité canadienne-française dans les ouvrages de ces auteurs. Il explique notamment comment l’impact de l’œuvre et de la figure de Gabrielle Roy a su à la fois nourrir les descriptions des traversées du continent que l’on trouve chez Poulin et Tremblay, et maintenir le souvenir du Canada français.

Finalement, Kathleen Kellett-Betsos, afin de clore la publica-tion, analyse l’imparfaite unité du recueil de Daniel Poliquin : Le Canon des Gobelins. Elle étudie la composition du recueil, la trame diégétique et les métamorphoses des personnages de façon à faire ressortir l’indétermination identitaire et la présence d’une véritable réflexion sur les identités flottantes.

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L’AcAdie (s’)écLAte-t-eLLe à moncton ?notes sur Le chiAc et LA distAnce hAbitée1

catHerine LecLercuniversité McGill

L’angoisse de la fin : de l’exiguïté à la distance

Au Canada français, Québec et Acadie compris, on a long-temps appréhendé l’hybridité linguistique résultant du

contact avec l’anglais de manière pessimiste, à la lumière d’un paradigme que François Paré, dans La distance habitée, appelle « l’angoisse de la fin2 ». On a vu, dans le bilinguisme des communautés mino ritaires, une étape vers leur inexorable assimilation. On a interprété ce bilinguisme selon un principe de vases communicants, comme le signe d’un appauvrissement puis d’une perte de la langue mi no ritaire au profit de la langue

1 Ce texte poursuit une réflexion amorcée dans Catherine Leclerc, « Ville hybride ou ville divisée : À propos du chiac et d’une ambivalence productive », Francophonies d’Amérique, no 22, Urbanité et durabilité des communautés francophones du Canada, automne 2006, p. 153-165. Le travail de recherche à son ori gine a été rendu possible grâce à une bourse postdoctorale du CRSH qui m’a permis de passer l’année 2004-2005 à Moncton, puis à une subvention de recherche octroyée par le même organisme en 2006 pour le projet d’équipe « Moncton métropolitain : urbani-sation, interculturalisation et reterritorialisation d’une communauté minoritaire », dirigé par Marie-Linda Lord.

2 François Paré, La distance habitée, Ottawa, Le Nordir, 2003, p. 11. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront données dans le texte, précédées du sigle DH.

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dominante, qui en viendrait graduellement à occuper à elle seule tout l’espace de la parole. L’interprétation négative du contact entre les langues, doublée d’un projet d’unilinguisme institution-nel, a marqué l’histoire de la langue au Québec3 au point où elle fait désormais figure de doxa identitaire4. Dans la vie publique québécoise, elle a autorisé la transformation du français en langue véhiculaire — ouvrant la voie, sur la scène littéraire, à un senti-ment de sécurité linguistique que Lise Gauvin a décrit comme le passage « du tourment de langage à l’imaginaire des langues5 ». Cette interprétation négative du contact s’est également imposée ailleurs au Canada français, mais de manière autrement plus dou-loureuse. D’une part, le poids démographique des communautés francophones minoritaires ne leur permet pas de renverser le rap-port de force avec l’anglais. Il ne saurait être question pour elles de viser à un statut véhiculaire pour le français. D’autre part, la présence de l’anglais ne peut être restreinte, en ce qui les concerne, à un phénomène intergroupe. Qu’on pense à l’homme invisible, ce personnage de Patrice Desbiens qui parle du français et de l’anglais comme de ses deux langues maternelles6. Appliquées à la situation qui prévaut en Ontario, les conceptions du bilinguisme qui ont marqué l’évolution du Québec ont des effets ravageurs. En témoigne cet extrait d’un article de Fernand Dorais qui, sous la plume de Michel Dallaire, a servi à l’analyse du texte de Desbiens : « Vivant en régime de double appartenance et de fidélités conflictuelles, la conscience, faite pour être une, se scinde. […] Appartenir à deux structures langagières embrouille le lexique et

3 Voir à ce sujet Karim Larose, La langue de papier : spéculations linguistiques au Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2004.

4 Encore en 1996, le gouvernement du Québec émettait un énoncé de poli-tique linguistique visant à faire du français le « pivot de la définition du Québec comme peuple ». www.spl.gouv.qc.ca/langue/tablematiere2.html, page consultée le 23 juin 2009.

5 Lise Gauvin, Langagement : l’écrivain et la langue au Québec, Montréal, Boréal, 2000, p. 212.

6 Patrice Desbiens, L’homme invisible / The Invisible Man, Sudbury, Prise de parole, 1997 [1981], p. 86.

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détruit toute syntaxe7. » Contrairement à ce qui se produit au Québec, Dallaire ne parle plus, ici, d’une situation hypothétique ; il décrit le fonctionne ment avéré d’une œuvre qui, à tort ou à rai-son, a été érigée en symbole du destin collectif franco-ontarien8. Des usages linguistiques adoptés par Desbiens, il fait advenir et arrête le sens, en mettant l’accent sur l’absence d’unité plutôt que sur les possibilités expérimentales qu’entraîne le jeu avec les langues.

Partout présentes dans les discours, les interprétations soustrac-tives du bilinguisme ont en effet donné lieu, pour les littératures franco-canadiennes, à une sorte d’injonction paradoxale : le recours à l’anglais, qui permet de faire apparaître le sujet minori-taire dans sa condition spécifique, est aussi le signe de sa dispari-tion en cours, de sorte que la disparition collective devient le principal mode d’apparition du sujet minoritaire. Les écrits de Paré se situent au cœur de ce paradoxe. Le visitant sous des angles multiples et sans cesse renouvelés, ils en offrent une analyse atten-tive, nuancée, d’une rare exhaustivité. Et pourtant, cette vue d’en-semble n’est le résultat d’aucune mise à distance. Au contraire, elle procède par remises en question successives de la part d’un sujet pleinement engagé — dans tous les sens du terme — dans les processus qu’il décrit. La voix de Paré est celle d’un participant à la société minorisée, d’un militant pour la cause des minorités lin-guistiques ; elle est aussi, du même coup, celle d’un sujet pris dans l’expérience de sa minorisation et qui tente de réfléchir sur elle de l’intérieur, sans jamais s’en arracher. Dans les pages qui suivent, je souhaite rendre compte de l’évolution de la pensée de Paré sur le

7 Fernand Dorais, Entre Montréal… et Sudbury, pré-textes pour une francophonie ontarienne, Sudbury, Prise de parole, 1984, p. 18-19. Intitulé « L’acculturation et les Franco-Ontariens : Mais qui a tué André ? », l’article de Dorais est d’abord paru dans Revue du Nouvel-Ontario, no 1, 1978, p. 34-46. Le passage cité ici a été repris par Michel Dallaire dans Liaison, août-septembre 1982, dans un texte dont des extraits ont été reproduits dans Patrice Desbiens, op. cit., p. 176.

8 À ce sujet, voir Louis Bélanger, « Patrice Desbiens : au cœur des fictions so ciales », dans Ali Reguigui et Hédi Bouraoui (dir.), La littérature franco-ontarienne : état des lieux, Sudbury, Université Laurentienne et Institut franco-ontarien, coll. « Série monographique en sciences humaines », 2000, p. 197-226.

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contact des langues — ou peut-être faudrait-il davantage parler de ses oscillations ? — et en particulier du point tournant que me semble représenter La distance habitée quant aux enjeux linguis-tiques de la condition minoritaire. Une lecture de certaines manifestations culturelles ayant cours à Moncton depuis quel-ques années permettra, je l’espère, de faire ressortir les nouveaux possibles interprétatifs que contient cet ouvrage, de même que la nécessité d’un tel renouvellement pour appréhender certaines formes actuelles d’hybridité.

Le Paré des Littératures de l’exiguïté faisait sienne l’angoisse de la fin des minorités linguistiques : « Commençons par la peur du cataclysme. Elle est bien là, cette peur folle de disparaître. Se taire pour toujours. Ourdir le silence9. » Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’il se soit servi du bilinguisme soustractif pour lire les manifes-tations du contact entre le français et l’anglais dans la littérature franco-ontarienne, à partir d’exemples qui se prêtaient le mieux à ce genre d’analyse. Qu’on pense à Desbiens, abondamment cité dans le premier ouvrage de Paré. Pour expliquer que, dans le récit bilingue qu’est L’homme invisible / The Invisible Man, la balance structurelle du récit penche faiblement en faveur du français, Paré se tournait tout naturellement vers le bilinguisme soustractif : « Dans L’homme invisible / The Invisible Man, la condition franco-ontarienne résulte d’une soustraction. C’est simple. Soustrayez la version anglaise de la version française : calculez le reste » (LE, p. 133). S’appropriant cette notion, il l’étendait de manière à lui faire couvrir non seulement la langue mais l’ensemble de la culture minoritaire10 (LE, p. 143). De manière encore plus englobante, il adhérait à l’angoisse de la fin en se présentant comme sujet lui-même marqué par la précarité de sa position :

Je vais dire un truisme, mais je crois qu’il faut le dire, pour que les choses soient claires entre nous : il n’est pas facile d’écrire et de vivre dans l’insu-

9 François Paré, Les littératures de l’exiguïté, 2e édition, Ottawa, Le Nordir, 1994 [1992], p. 18. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront données dans le texte, précédées du sigle LE.

10 L’idée de bilinguisme soustractif a beaucoup circulé dans les milieux franco-phones canadiens. Paré l’emprunte à Roger Bernard.

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larité et l’ambiguïté d’une culture minoritaire et largement infériorisée. Car les cultures infériorisées sont infériorisantes au plus profond de soi. La minorisation ne peut être vécue que dans la chair vive (LE, p. 7).

Cette main prise dans l’engrenage de la soustraction n’empê-chera pas Paré de réfléchir aux fondements à partir desquels le discours des minorités linguistiques sur leur disparition s’articule. « Voilà un beau discours cataclysmique qui semble associer notre avenir collectif à celui de la langue française et qui implique un certain nombre de postulats devant faire l’objet éventuelle-ment d’une analyse plus serrée », écrivait-il, toujours dans Les littératures de l’exiguïté, à propos d’une manifestation de l’angoisse de la fin glanée dans « une annonce comme tant d’autres » (LE, p. 18). Pareille analyse sera incluse dans l’ouvrage suivant de Paré. Théories de la fragilité revient en effet sur le discours cataclys-mique régulièrement utilisé pour décrire la condition minoritaire des Franco-Ontariens, mais s’attarde cette fois à en mettre au jour les mécanismes :

En Ontario français, l’ensemble du discours intellectuel, réfléchissant sur la condition du sujet minoritaire et s’inspirant d’un certain nombre d’œu-vres littéraires marquantes des années 80, s’est articulé sur une dialectique de l’apparaître et du disparaître […]. À la limite, être Franco-Ontarien, c’était précisément osciller dans le nom même entre deux extrêmes, triomphe et cataclysme à la fois, pourtant réconciliables en une sorte d’épopée d’un peuple toujours en voie de disparaître. Le verbe serait donc toujours conjugué à la voie progressive, comme en anglais (« they are dying », « we are vanishing »). Les gestes fusionnés du disparaître et de l’apparaître n’auraient jamais de cesse. C’est là la forme particulière de l’éternité pour les collectivités opprimées, aliénées11.

Décrivant cette dialectique, Paré ne s’en détache pas entièrement ; en même temps, parce qu’il insiste désormais sur son statut de construction discursive, il permet d’envisager d’autres approches de la condition minoritaire. Notamment, il fait remarquer que le discours cataclysmique, s’il colle à de nombreux textes littéraires

11 François Paré, Théories de la fragilité, Ottawa, Le Nordir, 1994, p. 20. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront données dans le texte, précédées du sigle TF.

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franco-ontariens (mais pas à tous), ne rend pas compte des dyna-miques culturelles ayant cours dans l’Acadie contemporaine. L’Acadie se serait libérée de la hantise du cataclysme :

Le cataclysme de la dispersion [y] a toujours déjà eu lieu, et ainsi l’his-toire n’a plus à stagner, elle peut reprendre son cours. Ni apparaître, ni même disparaître, l’histoire de l’Acadie est un réapparaître qui a brisé une fois pour toutes l’équilibre infernal des contraires et a permis la formation d’une communalité plus positive (TF, p. 22).

Le Paré de Théories de la fragilité insiste sur la capacité du dis-cours cataclysmique de faire voir l’invisibilité12, mais il relève aussi, au passage, les contradictions et les limites de ce discours. Et pour cause. L’inquiétude qui caractérise le discours cataclysmique — inquiétude à l’enseigne de laquelle loge la pensée de Paré — est une projection anxieuse. En quête d’un ordre (même dévastateur) qu’elle peine à trouver dans le chaos environnant, elle est axée sur le résultat hypothétique d’un processus en cours. Elle cherche à conjurer la fragilité de la culture minoritaire en assignant d’emblée une signification aux phénomènes qui en relèvent. Elle se prépare au pire et annonce dès lors son avènement. Jusque dans son titre, Théories de la fragilité reste un ouvrage marqué par l’inquiétude. Toutefois, en montrant l’apparaître et le disparaître comme une dialectique plutôt que comme un parcours linéaire, Paré y ouvre l’espace minoritaire à de nouvelles interprétations, moins catastro-phiques peut-être :

En effet, si nous avons pris l’habitude du silence et de la répression, si nous acceptons de nous y conformer le plus souvent, nous n’en sommes pas moins habitués à négocier notre présence toujours criante, toujours ostentatoire, toujours merveilleusement discordante. (TF, p. 23)

Cette « présence toujours criante, toujours ostentatoire, tou-jours merveilleusement discordante », comment est-elle négociée sur le terrain ? Outre l’angoisse de la fin, par quelles stratégies se manifeste-t-elle ? C’est à une telle question, implicite jusqu’à ce

12 « Nous faire voir comme invisibles, voilà ce à quoi nous aspirons au plus profond de notre être, dans la précarité la plus exacerbée (au-delà de toute prévision, contre l’histoire de mort qui nous condamne). » Ibid.

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moment dans l’œuvre de Paré, que La distance habitée tente de répondre. Revenant sur les tendances à l’accommodement propres aux cultures de l’exiguïté, l’ouvrage les sonde en refusant cette fois explicitement d’y voir d’entrée de jeu des signes de capitulation. Plutôt, Paré mettra désormais aussi l’accent sur la capacité d’accueil, d’ouverture et de réinvention dont elles sont la manifes-tation. En conséquence de ce déplacement, la cohabitation des langues acquiert des connotations positives : « Le plurilinguisme permet alors d’accéder à une moralité publique nouvelle et, aux yeux de plusieurs, à une identité complexe, dynamique et valori-sante » (DH, p. 12). Sondant les « courants positifs » (DH, p. 11) à l’œuvre dans le contact entre les langues, Paré poursuit l’hypothèse mise de l’avant dans son ouvrage précédent et se tourne vers l’Acadie, à laquelle deux chapitres de La distance habitée sont con-sacrés. Notamment, il aborde le chiac, ce code mixte qui sert de vernaculaire dans la région de Moncton13. Par bien des aspects, le portrait que Paré fait du chiac est optimiste, voire festif. Suivant les images d’un poème de Rose Després, il affirme :

Ainsi, l’Acadie rêvée, libératrice, serait celle [du] décentrement, une Acadie des bayous où l’enchevêtrement des réseaux et des racines résumerait les identités multiples et interagissantes de la culture et où s’affirmerait le florilège de ses formes créoles (DH, p. 185).

Les « courants de mixité linguistique » (DH, p. 189) qui peu-plent les imaginaires de plusieurs écrivains acadiens de Moncton et qui alimentent leurs esthétiques ne s’accompagnent, dans bien des cas, d’aucun sentiment de dépossession. C’est pourquoi Paré juge qu’il faut, pour comprendre la culture acadienne actuelle, dépasser le seul modèle de la défense de l’identité collective. Il faut tenir compte de ces « pratiques du détour et de la créolité » qui « cherchent à rompre avec l’univocité et la fermeture de la culture

13 Pour une description linguistique du chiac, voir Marie-Ève Perrot, « Les moda-lités du contact français / anglais dans un corpus chiac : métissage et alternance codique », Le français en Afrique, no 12, 1998, p. 219-220.

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minoritaire14 » en célébrant la mixité, et en l’abordant en tant que gain plutôt qu’en tant que perte.

En s’avançant sur ces nouveaux sentiers, Paré ne laisse cepen-dant jamais l’inquiétude loin derrière. Si l’étude de l’Acadie, pour lui, soulève la question « de l’interprétation des langues et de la créolisation des cultures », cette question est présentée comme un « difficile problème » (DH, p. 187). Signe d’une « plus grande tolé rance à l’égard des transferts interculturels », la « créolisation accrue » de la culture acadienne, telle qu’elle a lieu présentement sur la scène monctonienne, pourrait aussi, affirme-t-il, « suggérer que la question de l’intégrité de la culture se déplace, et même que cette culture est en voie de dissolution » (DH, p. 195). L’angoisse de la fin revient. Car La distance habitée refuse de trancher. L’ouvrage trouve son sens dans l’équilibre entre résistance et accommode-ment bien davantage que dans le passage de l’une à l’autre.

L’inquiétude et l’audace : France Daigle, Jean Babineau

La célébration et l’inquiétude mêlées de La distance habitée, ce jeu de prudence et d’audace, trouve des échos puissants dans les représentations littéraires du chiac, de plus en plus nombreuses à prendre place au sein de l’espace culturel acadien. L’œuvre récente de France Daigle, en particulier — que Paré donne en exem ple de ce qu’il appelle l’antillanité de l’Acadie moderne15 (DH, p. 185-198) —, me semble marquée autant par « le besoin de délimiter l’espace [que par] celui de tracer des voies de contact » (DH, p. 194). Depuis Pas pire, que commente Paré, chaque nouveau roman de Daigle intègre davantage de chiac que le précédent. Toutefois, cet usage est strictement balisé, de sorte que la crainte de l’assimilation, cette disparition des diffé-rences linguistiques que permettrait la créolisation16, apparaît

14 François Paré, « Poétiques de l’impatience », Robert Yergeau (dir.), Itinéraires de la poésie : enjeux actuels en Acadie, en Ontario et dans l’Ouest canadien, Ottawa, Le Nordir, 2004, p. 31.

15 Ce chapitre s’intitule « L’antillanité de l’Acadie ».16 Voir DH, p. 188.

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tAbLe des mAtières

RemeRciements ......................................................................................... 5

intRoduction ............................................................................................ 7Lucie Hotte et Guy Poirier

L’AcAdie (s’)écLAte-t-eLLe à moncton ? ...................................................... 15Catherine Leclerc

chAnteR contre L’AutRe ........................................................................... 37Johanne Melançon

stRAtégies ReLAtionneLLes du Far ouest ..................................................... 59Pamela V. Sing

hAbiteR et RêveR LA coLombie-bRitAnnique fRAncophone ................................. 81Guy Poirier

mémoiRe et expéRience migRAnte dAns LA science-fiction .............................. 101Sophie Beaulé

s’éLoigneR, s’exiLeR, fuiR ....................................................................... 123Lucie Hotte

RomAncieRs du cAnAdA fRAnçAis .............................................................. 147Jean Morency

Le canon des GobeLins de dAnieL poLiquin ............................................... 165Kathleen Kellett-Betsos

postfAce ............................................................................................. 183François Paré

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sous la direction deLucie Hotte et Guy Poirier

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Habiterla distance

Études en marge deLa distance habitée

Prise deparoleAgora

Depuis une vingtaine d’années, les travaux de François Paré sur les cultures et les littératures minoritaires cons­tituent une référence incontournable pour tout chercheur qui s’intéresse aux littératures en émergence. Dès la paru tion des Littératures de l’exiguïté (prix du Gouverneur général, 1992), tout le champ de la recherche sur les conditions d’existence des « petites » cultures et des « petites » littératures a été radicalement transformé. Sa réflexion s’est poursuivie et approfondie dans Théories de la fragilité (1994) et La distance habitée (2003). Ce dernier ouvrage marque un tournant : Paré s’interroge « sur les structures d’accommo­dement propres aux cultures de l’exiguïté, tout en re fusant d’en faire des signes de capitulation » (Catherine Leclerc).

Huit chercheurs réputés de l’Ontario, du Québec, de l’Acadie et de l’Ouest canadien ont accepté le défi que leur lançaient Lucie Hotte et Guy Poirier, d’appliquer des notions développées dans La distance habitée — la langue, la mémoire, la migration et les frontières tant culturelles, linguistiques que textuelles — à l’analyse de romans, d’essais et de chansons d’auteurs divers, dont France Daigle, Michel Ouellette, Daniel Poliquin, Gabrielle Roy, Michel Tremblay et Gisèle Villeneuve. Voici le résultat de leurs travaux.

La postface est signée par l’incontournable François Paré.

Lucie Hotte est titulaire de la Chaire de recherche sur les cultures et les littératures francophones du Canada et profes­seure de littérature à l’Université d’Ottawa.

Guy Poirier est professeur de littérature à l’Université de Waterloo.

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