Guerre d'Algérie 50 ans après

download Guerre d'Algérie 50 ans après

of 214

description

Témoignages d'un officier appelé sur la guerre d'Algérie

Transcript of Guerre d'Algérie 50 ans après

Bernard DRAVET Officier appel

LA GUERRE D'ALGRIE 50 ANS APRS

PRFACES : Michel ROCARD (Ancien Premier Ministre) Simone DE BOLLARDIERE

04/09/08

Page 1 sur 214

Bernard Dravet Tour Foch Rue de la poste 13400 Aubagne Franc

04/09/08

Page 2 sur 214

Interrogatoires avec svices, Tortures Emprisonnements arbitraires, Excutions sommaires, Regroupements, Viols, Napalm

Aux civils franais et algriens morts. Aux militaires de larme franaise et de lALN morts.

A mes amis l-bas morts, blesss pour la vie

Tous morts pour rien !

A lAdjudant chef Foulon

A lInstit de Fedj Mzala

04/09/08

Page 3 sur 214

PREFACE de Michel ROCARD Voici encore un livre sur la guerre d'Algrie. Il y en a dj un certain nombre, pas assez pourtant pour empcher qu'un Secrtaire d'Etat aux Anciens Combattants l'me noble, M. Jacques Floch, n'ait prouv au tournant du sicle le besoin et le devoir, tout la fois, de prononcer cette phrase : En ce dbut du XXIme sicle, la Rpublique Franaise s'honorerait assumer son histoire, intgrer dans la mmoire nationale, un pass trop longtemps occult, et contribuer ainsi la rconciliation entre les peuples algrien et franais . Cette piste n'est parcourue que fort lentement. La France a fini, non sans mal et aprs bien du temps, assumer collectivement et officiellement ce que fut Vichy, savoir une administration franaise. Elle est loin d'avoir fix son jugement sur la guerre d'Algrie. Il faudra encore bien des mois, sinon des annes pour que dans l'avenir, l'occasion de contradictions d'intrts comme il y en a toujours entre pays gographiquement voisins, nos deux peuples et leurs autorits respectives cessent d'invoquer les incomprhensions et les violences du pass pour rendre compte et visiblement chercher aggraver celles du prsent. Le caractre toujours dsagrable et irrationnel de ces relations ne peut que conduire de part et d'autre les citoyens soucieux de paix et de rconciliation accumuler les matriaux, faits et informations soumettre nos opinions publiques pour faire progresser le jugement de l'histoire. C'est visiblement le but principal que s'est donn Bernard Dravet en publiant ce court livre Officier 20 ans , qui ressemble plus ou moins un journal de campagne. L'criture est rapide, la plume est sche. C'est sur les faits qu'il cite que Bernard Dravet veut nous informer et nous voir rflchir, sur des actes dats et dcrits beaucoup plus que sur les rflexions qu'il enchane. Il est dj paru quelques tmoignages de ce genre. Que la guerre d'Algrie ait t une trs sale guerre, certains le savaient en quelque sorte depuis longtemps. L'importance du tmoignage de Dravet me semble tre ailleurs. Il publie pas loin de cinquante ans aprs les faits. Visiblement son motif principal n'est pas l'envie d'crire, au sens o il existe un prurit de l'crivain, un besoin d'crire. Non. Le motif de notre auteur c'est la colre politique, c'est le besoin de faire partager son indignation, le souci d'amener ses lecteurs, et travers eux l'opinion franaise, un jugement global sur cette srie d'vnements. D'une certaine faon, on sent mme chez Dravet comme un tonnement scandalis que l'opinion franaise n'en soit pas encore arrive un tel jugement. De toute vidence, notre homme se ressent comme un acteur, non comme un commentateur. S'il a mis cinquante ans se dcider crire, c'est visiblement parce qu'il a longtemps pens que d'autres s'en chargeraient. Et il prend la plume quand il constate que le travail n'est pas fini. Le travail, celui qui consiste mettre tout sur la table, rendre tout public, donner au peuple franais dans son ensemble les lments pour juger. Je ne suis pas historien, pas davantage spcialiste de la guerre d'Algrie, je n'ai srement pas tout lu de ce qui a t publi.

04/09/08

Page 4 sur 214

Je ne crois pas que les historiens de ce drame apprendront de Bernard Dravet des lments prcis qu'ils ne connaissaient pas, sauf peut-tre sur les ractions et le rle du contingent au moment du putsch des gnraux, j'y reviendrai. L'lment majeur de ce petit livre, pour moi, est autre. C'est en quelque sorte la banalisation de la description de la torture. Le dit communment reu propos de la guerre d'Algrie associe la torture des pratiques, des lieux et des quipements particuliers, et d'usage intermittent. Ce qui clate, ds que Dravet s'installe dans sa rgion d'affection, le Constantinois, c'est la dcouverte que la torture, autrement dit la brutalit, est partout. C'est l'accompagnement gnral de la guerre. Le plus important dans ce que dcrit Dravet c'est peut-tre tout simplement l'ambiance. Et il est vrai que dans la masse des commentaires aujourd'hui disponibles, on trouve beaucoup d'informations ponctuelles, de rcits de cas de torture . On dispose moins souvent de descriptions du climat gnral faites par un officier aux responsabilits polyvalentes, et affect dans une zone de grande tension. Pour moi, qui ai sjourn six mois en Algrie juste avant que Dravet n'y arrive, mais comme civil et Alger, qui m'y suis occup de faire connatre et si possible interdire les camps de regroupement, et qui n'ai gure cess depuis de chercher rester inform, la lecture de Dravet fournit une sorte d'aggravation confondante de ce que je pensais savoir. Ce qui vient immdiatement l'esprit en le lisant c'est mais enfin s'ils (les autorits militaires) en taient dj l au printemps 1959, comment pouvaient-ils encore croire qu'ils gagneraient cette guerre . Le constat d'chec immanquable ne vient pas seulement d'un raisonnement gopolitique mondial que l'on peut tenir aussi bien Alger qu' Paris. Il se lit dans la vie quotidienne d'une section d'infanterie, d'une SAS ou d'une harka dans le Constantinois ds le printemps 1959. Pour qui n'a pas eu connaissance de ces vnements et se demande encore pourquoi on a perdu cette guerre, la lecture d' Officier 20 ans est un rsum convaincant. Ce qui se passait tait de toute vidence non compatible avec l'espoir de retrouver le consentement l'occupation franaise d'une population ainsi traite. Il est enfin un dernier point sur lequel le texte de Bernard Dravet apporte un clairage important. Le sujet tait jusqu'ici trs peu trait, c'est la raction du contingent devant le putsch des gnraux, du 22 avril 1961. Les travaux historiques d'ensemble (Lacouture, Courrire, Stora) m'avaient par le pass paru relativement mal informs sur ce sujet particulier. Il se trouve que dans les annes 1954-55, Paris, avant que la dcision soit prise d'envoyer le contingent en Algrie, le protestant que j'tais avait nou de multiples relations amicales avec des tudiants membres de la JEC (Jeunesse tudiante Chrtienne, mouvement de jeunes catholiques). Quand, partir de 1956, le contingent fit mouvement vers l'Algrie, il ne s'y maintint aucun rseau amical dfinition politique. Le Parti Communiste avait toujours refus de donner son autonomie la Section algrienne du Parti Communiste franais et ne prenait donc gure position sur la guerre commence. Toute forme de jeunesse, et surtout tudiante, avait dsert depuis longtemps le Parti Socialiste, Section Franaise de l'Internationale Ouvrire . Les seuls rseaux de quelque puissance qui fonctionnrent en Algrie sont les rseaux catholiques (JEC et JOC, Jeunesse Etudiante Chrtienne et Jeunesse Ouvrire Chrtienne). C'est par ce canal que ds le lendemain du putsch nous fumes nombreux Paris tre informs en dtail des multiples ractions hostiles des hommes du contingent.

04/09/08

Page 5 sur 214

Mise en paralysie gnrale de divers centraux tlphoniques, pressions explicites et parfois physiques sur les officiers putschistes, distribution immdiate et abondante du discours du Gnral De Gaulle sous forme de tracts, refus d'obir nombreux, etc... On a mme parl, mais je n'ai jamais pu moi-mme vrifier ce point, du dmontage sur le terrain de Maison Blanche, des hlices d'avions de transport militaire qui auraient pu assurer le transfert vers Paris d'un ou deux rgiments putschistes. J'ai toujours eu l'absolue conviction que la fermet et la rapidit de cette raction rpublicaine des appels avait jou un rle essentiel dans l'effondrement du putsch. Il fallait bien que De Gaulle fut un peu aid... Bernard Dravet a vcu dans cette situation, et il y a connu la mme raction. Il tait dans le Constantinois, zone moins nvralgique qu'Alger, mais o la probabilit que les officiers suprieurs se rvlent largement putschistes tait grande cause de leur isolement comme de l'intensit des combats. Son rcit est tout fait frappant. Il est utile aussi que soit enfin publie la liste de ces publications discrtes internes au contingent, qui ont tellement aid des appels isols, officiers ou non, tenir le coup intellectuellement et moralement. Ce sont ces multiples initiatives qui ont en fait permis aux appels de rester de France , et de ne pas succomber ce prisme dformant, cette exaltation malsaine qui fit croire trop d'officiers qu'on pourrait coups de bottes maintenir l'Algrie sous la souverainet franaise. La confirmation que la jeunesse de ce pays a jou le rle majeur pour mettre fin cette tentative absurde de prenniser l'empire colonial par la force est un lment fondateur d'une rconciliation russie avec le peuple algrien. Bernard Dravet y apporte une forte contribution. Michel ROCARD

04/09/08

Page 6 sur 214

PREFACE Le livre tmoignage de Monsieur Bernard Dravet est trs important. Il relate dans son journal de bord, les vnements quil a vcus. Si moralement, il a pu tenir debout , cest quil avait beaucoup rflchi avant son dpart. Son tmoignage est essentiel. Il servira de base de travail aux historiens qui viendront pour raconter lhistoire de cette guerre qui naurait jamais d avoir leu et quon appelait lpoque les vnements dAlgrie Actuellement, de jeunes historiens rtablissement la vrit sur le dpart non volontaire des Palestiniens, mais parlent de la violence extrme, de la mort, de la destruction des villages La vrit finit toujours par ressortir. Ils sont trs peu nombreux ceux qui ont crit leur souvenir. Presque tous sont rests enferms dans le silence, incapables de trouver des mots pour dire lhorrible, lindicible, la peur permanente et lennui combattu par la bire. Bien sur le F.L.N. a fait des horreurs avec une cruaut sans borne contre son propre peuple appartenant au M.N.A. parti concurrent et sur les franais, soldats ou civils. Mais leur cruaut ne justifiait en rien la ntre qui tait presque pire. Quand ils sont revenus, leur famille ne les ont pas reconnu. Ils taient sombres, silencieux, avaient des cauchemars la nuit, etc Beaucoup sont partis dans lalcool, dautres se sont suicids. Les gouvernements successifs ne leur ont apports aucune aide psychologique ou autre. Ils sont rests livrs eux-mmes et leurs souvenirs invivables. Si, il y a deux guerres que nous naurions d jamais faire, cest bien la guerre dIndochine, et la guerre dAlgrie. Nous pouvions nous entendre si bien avec les vietnamiens. Leur civilisation est beaucoup plus ancienne que la ntre. On pouvait tablir des liens culturels tous les niveaux : artistique, conomique, sens du travail bien fait, sens de la rigidit. La fraternisation se faisait spontanment entre la population et les soldats autour du riz et du nuoc-mm. Tant de souffrance et de morts des deux cts pour rien ! En Algrie, aussi, nous avons tout gch. Ferrat Abbas demandait une reconnaissance du peuple Algrien, des droits civils normaux, un salaire dcent. Aprs la conqute en 1830, qui ft dune cruaut rare et dont les acteurs taient fiers, un droit de nationalit franaise a t donn aux trangers qui sy taient tablis : Libanais, Syriens, Juifs, Espagnols, etcsauf aux vrais habitants. Les algriens appels franais musulmans . En plus de leur terre fertile, des plaines leur ont t confisques pour tre donnes des colons petits, grands, ou trs grands. Eux ont d se replier sur les pentes de collines caillouteuses. Aprs la guerre de 1939-1945, le monde avait chang. Les peuples aspiraient la libert. LAngleterre allait finir par donner lindpendance aux Indes. Le temps de la colonisation tait pass. Mais le gouvernement franais de cette poque a voulu restaurer le grand empire franais. En Octobre 1945, le Gnral Leclerc est arriv pour acclrer le dpart des occupants Japonais. Ho Chi Minh tait en France pour discuter et donner un peu de libert et de responsabilit aux habitants. Avec le Gnral Leclerc sur place, les discussions avanaient bien. Mais, il a d partir au bout de deux ou trois mois, pour tre remplac par lAmiral Thierry dArgenlieu.

04/09/08

Page 7 sur 214

Il a repris les mthodes brutales dautrefois et fait bombarder par les canons de Marine, les bords dHaiphong : 2 000 Morts ou plus, on ne sait pas trs bien Ho Chi Minh quitte la France o il discutait dun dbut dautonomie, et rentre dans son pays, et la guerre a commenc doucement, de Mars 1946 Mai 1954. Quelle diffrence y a-t-il entre un rsistant et un terroriste ? Cela dpend du point de vue o lon se place. Quand mon mari en 1944 avant le dbarquement, commandait le maquis interalli dans les Ardennes, la police de Vichy, et le Colonel Igrabovsky qui commandait ce secteur, le recherchait comme terroriste, son adjoint anglais a eu la malchance dtre arrt par les Allemands et a fini pendu un crochet de boucherie. De mme, aprs la libration de la France, il est retourn en Angleterre, pour prparer la libration de la Hollande. Il a saut avec son rgiment par petits groupes de 8 ou 10 sur les arrires des Allemands pour attaquer leur convoi. Ceux-ci les recherchaient et les traitaient comme des terroristes. En Indochine et en Algrie, les responsables civils et militaires avaient un profond mpris pour lennemi, lautre, lopposant, ce qui est une grave erreur. Ils nont peut-tre pas suivi les cours de lEcole de Guerre, mais leur intelligence va trs bien, merci pour eux, et ils connaissent le terrain. Les gnraux et les Officiers dEtat Major, qui ont invent Nassan dabord, puis Dien Bien Phu dans une grande cuvette entoure de collines et traverse par une rivire qui la saison des moussons ne restera pas sa place. Quont-ils comme exprience ? Sontils alls une fois sur le terrain en opration ? Savent-ils quune compagnie qui a cinq blesss graves, nest plus oprationnelle. Savent-ils que le Vietminh navait pas besoin de voies de communication, nayant ni chars, ni camions, ni matriels roulants pour transporter la nourriture. Un boudin de riz autour des reins pour huit jours de nourriture, un coupe-coupe. Ils passent o ils veulent. Plus tard, ils ont eu des bicyclettes. A quoi a servit le coup de Nassan, un ou deux ans avant Dien Bien Phu ? Pour soi-disant gner leurs dplacements ? Les convois franais venant ravitailler Nassan, leur ont donn de magnifiques occasions dembuscades et dattaques. Mon ami Bernard, mdecin y tait et ma dit quil avait bien cru, sa dernire heure arrive, quand ils ont d dcrocher en catastrophe. Alors, pourquoi Dien Bien Phu prs du Laos ? Les avions pouvaient juste faire laller-retour Hani- Dien Bien Phu, mais ne pouvaient rester plus dune demi-heure, faire du soutien par manque dessence. Le responsable de la dfense oprationnelle du camp avec des canons un peu partout, bien organiss, tait sr de lui. Mais son mpris pour les Viet-Minh navait pas diminu. Ceux-ci ont fait preuve dun courage physique et mental inou. Ils ont mont leurs canons, centimtre par centimtre la force de leurs mains sur le dos des collines et les ont installs dans des grottes creuses la main. Ils y ont mis le temps quil fallait. Quand ils ont dcids de dclencher lattaque du camp, les obus sont arrivs de tous les cts et les canons Vietminhs taient invisibles. Il parat que le responsable de la dfense du camp sest suicid. Mais o taient les chefs, qui commandaient, qui connaissaient le terrain ? O taient les vrais chefs qui mesurent le danger et lutilit dune telle aberration ? Bien sr, il fallait traiter, arrter cette guerre inutile. Il y a eu l, un courage immense des deux cts pour rien.

04/09/08

Page 8 sur 214

Dans lavion qui nous ramenait en France, en Avril 1953, Dien Bien Phu tait en place, mon mari tait catastroph et pessimiste au maximum. Avant de partir, il avait fait les visites protocolaires qui simposent. A tous, il a fait part de son angoisse, de son inquitude, et tous lui ont dit quil tait pessimiste et que la situation tait bien en main. Il ne faut pas oublier quen Indochine, la France avait envoy des soldats musulmans, algriens, marocains et africains. Leur intelligence est au moins gale la ntre. Ils nous ont aids nous dlivrer de loccupation allemande, cest eux qui taient en Italie, Monte-Cassino, encadr par des officiers franais. Ils ont fait le dbarquement de Toulon, sont remonts le long du Rhne et durant lhiver 1944, les premiers blesss de mon amie Madeleine, ctaient les pieds gels de ces soldats si mal quips. Ils ont constats la libration de la France, vcu la libration des vietnamiens. Maintenant, cest nous dy aller. Cest exactement ce que mon mari ma dit, le prochain coup, cest lAlgrie Dans le film Les indignes on voit les algriens venir sengager dans larme avec cette promesse quau retour, ils auraient une certaine autonomie. Ils y ont cru. Le 8 Mai 1945, jour de la victoire Srif et Guelma, ils ont sorti le drapeau algrien et commence la fte. La gendarmerie sy est oppose, la violence est aussitt arrive. De nombreux civils franais ont t tus, 80 hommes, femmes, enfants. Ce qui est horrible. Mais larme, sest dchane avec ses moyens puissants Il y aurait eu entre 10 000 et 15 000 arabes tus et des villages rass. Qui la su en France, personne. Beaucoup dAlgriens, rentrant chez eux, aprs le dfil de la victoire, nont retrouv ni village, ni famille, ni voisins, le grand silence de mort. Germaine Tillion, ethnologue, a vcue seule dans les Aurs chez les Chaouias deux jours de cheval du premier europen. Elle est rentre en France en 1940, a mont un rseau de rsistance. Sur dnonciation deux ou trois ans plus tard, elle a t arrte avec sa mre, interne plusieurs mois Fresnes, puis envoye avec sa mre Ravensbruck. Elle a eu la douleur de voir sa mre partir en fume dans les fours. Pendant la guerre dAlgrie, elle y est revenue. Elle a t frappe par la pauprisation, la clochardisation, la misre des Algriens quon nappelait pas comme a. Bougnoule, ratons tant les mots les moins grossiers. Un racisme incroyable, inimaginable, rgnait en Algrie. Les trs, trs grands et gros colons faisaient la Loi, voulaient que rien ne change. Les quelques avances de leurs statuts proposs par le gouvernement ntaient jamais appliques. Les rares lections taient truques. A lentre des bureaux de vote, larme ou les gendarmes vrifiaient, sils avaient le bon bulletin ou bien, ils nentraient pas. O taient les vrais chefs ? Il ny en avait pas ! Les grands colons commandaient pour le gouvernement. A un moment, il fut question de nommer le Gnral Catroux, comme Haut Commissaire. Il tait rput pour tre libral. Quand Guy Moquet, est venu le prsenter Alger, il fut reu coup de tomates par des Pieds Noirs trs remonts contre tout changement. Ce ft Robert Lacoste qui ft nomm sa place et fit la pire des politiques guerrires et policires.

04/09/08

Page 9 sur 214

Le parlement, lui vota les Pouvoirs Spciaux qui donnent droit de vie et de mort sur tous les Algriens, du Gnral au simple soldat. Tout Algrien tait considr comme un suspect ou ennemi abattre. Les tortures sont non seulement couvertes et approuves, mais en mme temps, il ny a jamais eu aucune sanction aprs des massacres manifestes. Monsieur Bernard Dravet sest comport en Chef Responsable, suivant la voie de sa conscience qui tait droite et bien vivante. Lors dun contrle de mechtas, la section dont il venait de prendre le commandement, sest comporte dune faon tellement violente et habituelle pour elle, quil se mit hurler. Arrtez, ces algriens, ces algriennes, femmes et enfants sont des tres humains Tous me regardaient, dit-il. Le Capitaine aussi quest ce qui vous prends Je commande ma section. Vous verrez, avec le temps, vous comprendrez, a ajout le Capitaine. Ces incidents ne se sont plus reproduits, si sa troupe ntait pas daccord, elle lui a obi Pourquoi y a t il eu si peu de chef comme lui ? Pour ceux qui ont pris le parti de la torture, celle-ci a peut-tre permis de retrouver trente bombes, mais elle a suscit cinquante terroristes nouveaux, qui oprant ailleurs feront prir plus dinnocents encore. Mme accepte au nom du ralisme et de lefficacit, la dchance ne sert rien qu accabler notre pays ses propres yeux et ceux de ltranger. Cette phrase a t dite par Albert Camus. Sous la torture, que le suspect parle ou non, sil nest plus prsentable et sera limin directement ou avec la corve de bois. Les gouvernements au pouvoir sont les premiers responsables, par leur laisser faire, leurs refus davouer que les pratiques illgales taient monnaies courantes. En permettant comme Robert Lacoste, en couvrant comme Guy Mollet. Ils ont laiss les militaires dans une situation dramatique, plus de Loi, aucune sanction sur ceux qui pratiquent ces horreurs, mais au contraire ladmettent comme indispensable pour gagner. Dans les secteurs plus calmes, que fait-on des suspects ou des prisonniers ? On les remet au centre de dtention le plus proche, ou au D.O.P. Centre Oprationnel de Protection ce qui ne veut rien dire, mais est un groupe mobile dinterrogatoire, de tortures et qui ne fait que cela ? O sont les chefs qui ont gard le sens de la dignit de tout homme et qui suivent leur conscience claire et exigeante ? Quand Germaine Tilllion tait en Bretagne dans sa maison Plouhiec, mon mari et moi sommes alls plusieurs fois chez elle. Ils avaient lun envers lautre un grand respect et une grande estime, plus de lamiti. Il y a trois ans peu prs loccasion dun film documentaire, jai eu loccasion daller la voir. Je lui ai demand ce quelle en pensait des gouvernements franais en poste durant la guerre dAlgrie 54-62 Germaine Tillion est une femme modeste , qui ne se prend pas au srieux, ni en femme super courageuse, ce quelle est en ralit. Elle dit il fallait le faire, cest tout. Avec sa voie douce, elle ma donn son apprciation, je lai redite, elle la rpte et jai saut sur ma chaise. Ctait ce que je pensais. Je ne donnerai pas la rponse ici, par respect pour les familles de ceux peut-tre encore vivant et responsable cette poque. Le rcit de Monsieur Dravet est salutaire et trs ncessaire. Il donne vie ce que nous avons fait, nous qui nous croyons civilis. Il est difficile de descendre plus bas dans lhorreur. O taient les chefs ?, Quand un groupe dcouvre des copains tus, ventrs, masculs, lenvie daller se venger sur la metcha voisine, en tuant, violant les femmes, brlant tout, o tait le chef pour arrter cet engrenage infernal ? Cest ce qua fait Monsieur Dravet, et il a t obi.04/09/08 Page 10 sur 214

Jai eu loccasion de rencontrer les trois prtres qui taient sminaristes lpoque, et disent dans le reportage notre conscience tait comme anesthsie et il en garde un remord profond. Dans quel tat tait la voie de la conscience des responsables civils et militaires ? Je crois quils nen avaient plus, elle tait en tat de coma dpass, et jai honte. Quand mon mari, que toute larme connaissait et appelait Bollo a organis dans son secteur du Sud Est de lAtlas Bliden, le travail de pacification officiellement annonc. Il commandait les rappels de lair, parmi lesquels Jean -Jacques Servan-Schreiber. Barberot, etc... Il a obtenu les crdits de la D.D.E. vots tous les ans et non utiliss pour cause dinscurit. Il a donn du travail aux habitants du secteur, qui avaient un salaire chaque semaine. La vie reprenait. De Juillet 1956 Janvier 1957, il a men un travail de pacification, de dveloppement. La troupe gardait les chantiers. Un autre groupe a form les commandos Noirs sans armes, ont nomadis autour du secteur. Il y avait parmi aux J.J.S.S., Barbereot et dautres, tous volontaires, qui parfois restait dormir chez lhabitant. Quand la bataille dAlger a commenc, des femmes sont venues dans les bureaux de son Etat Major pour dire : Cette nuit des hommes en Uniforme sont venus prendre mon mari, mon fils, etc Il a remont toute la filire au dessus de lui : Massu, Salan jusqu Lacoste qui, un jour, lasse de le voir protester avec tant de conviction, lui a dit : Ecoutez BOLLARDIERE arrtez de protester, et laisser travailler les parachutes de MASSU. Les rappels de lair avaient t rappels pour 6 mois, ils taient donc repartis. Il navait plus les moyens de continuer son travail, il a demand tre relev de son commandement. Ds son retour en France, Jean Jacques Servan Schreiber la contact. Il tait poursuivi pour atteinte au moral des armes etc Il avait prvenu en partant : Quand je reviendrai, jcrirai ce qui se passe . Le gouvernement lavait envoy en Algrie persuad que lExpress, journal dopposition ne survivrait pas son absence, mais il y avait Franoise Giroud, et lExpress continuer se dvelopper. Seuls quatre ou cinq journaux essayaient davertir les Franais de la ralit : lExpress, lObservateur, le Monde, La Croix, lHumanit Ils paraissaient avec des articles coups par la censure ou taient saisis la sortie de limprimerie. A Alger Monseigneur Duval protestait et faisait lire ses textes dans les Eglises. Les Pieds noirs lappelait Mohammed Ben Duval . Mon mari a dit Jean Jacques quil avait raison dalerter lopinion franaise. Il la soutenu publiquement en refusant les mthodes employes en Algrie, disant quen plus, elles ne seraient pas efficaces. Ctait un vrai refus dobissance paru dans lExpress et en 1re page du Monde Il a t aussitt condamn 2 mois de forteresse. C'est--dire 2 mois disolement total dans une petite chambre la gendarmerie de la Courneuve Saint Denis. Et pratiquement toute larme lui a tourn le dos. Le journal lObservateur interpelle Mitterrand : Votre Gestapo dAlger . Paul Teitgen envoie sa lettre de dmission Lacoste Nous sommes engags dans des crimes de guerre. Je refuse la torture pour raison personnelle et des raisons de principe. Elle est indigne pour ceux qui la font et pour ceux qui la subissent.

04/09/08

Page 11 sur 214

Jean Maireg, Directeur de la Sret Nationale, enqute sur les pratiques de la Police et de lArme, et termine son expos je ne peux supporter de voir comparer les soldats Franais aux sinistres SS . Toute larme, tous les soldats nont pas tortur. Certains secteurs ont vcu plus calmement. Cela dpendait des Chefs suprieurs ou sous-officiers, de leur sens de lhonneur, du respect d tout tre humain et de leur conscience Berthold Brecht dit : Celui qui ne sait pas est un imbcile, mais celui qui sait et ne dit rien est un criminel . Cest exactement ce que ma dit mon ami Henri Alleg tortur en avril 1957 Ils savaient et ils nont rien dit . Il est le dernier avoir vu Maurice Audin vivant. Il tait assis, la figure massacr par ce quil avait subi depuis plusieurs jours : Cest dur, Henri, tu sais . Ce sont ces dernires paroles. Il a t achev peu aprs, et sa femme ne sait toujours pas qui la tu et o est son corps. Cest une torture permanente pour elle. Je la connais bien. Jai pos cette question au Gnral Aussaresses, puisque jtais tmoin son procs. Il ma affirm quil ne savait pas. Il mentait. Jai alors crit au Gnral Massu, pour quil nous donne une piste, et que Madame Audin sache enfin ce quon a fait du corps de son mari qui avait 25 ans. Jai eu une rponse de madame Massu me disant que son mari tait malade et avait perdu la mmoire Les officiers et sous officiers des S.A.S., section administratives, ont fait un norme et courageux travail. Avec eux, le gouvernement voulait montrer que la pacification existait. Ils agissaient avec gnrosit et courage en sinvestissant dans lcole, le soutien alimentaire, les transports, llaboration de projets agricoles, etc mais ils taient si peu nombreux. Avec la complicit entire du gouvernement franais de lpoque, larme a arrt, supprim, tu et tortur mort toute llite intellectuelle musulmane qui airait pu former un gouvernement civil dmocratique au moment de lindpendance. A ce moment l, il ne restait que larme algrienne, elle y est toujours en place. Les algriens vivent toujours sous dictature. Je connais en particulier, la famille de Matre Ali Boumendjel, avocat connu et rput, qui avait t un des lves de Matre Capitant, alors professeur de droit la facult dAlger. Il tait responsable pour lAlgrie du mouvement de la paix, tait bien sr pour une Algrie indpendante, mais na jamais touch une bombe. Il a t arrt avec dautres de sa qualit, et aprs trois semaines de torture dans le service du Gnral Aussaresses , a t prcipit vivant du balcon du troisime tage de limmeuble. Larme a rendu son corps sa femme en disant quil stait suicid, mais dans un tel tat, que ses amis ont refus quelle le voit. Son professeur Matre Capitant devenu doyen de la facult de droit de Lyon donnant des cours la Sorbonne, en apprenant sa mort dans ces conditions horribles, a interrompu ses cours. Inutile de donner des cours de droit, puisque la France ne respecte pas sa propre lgislation Il a t puni aussitt et envoy ltranger jusqu la fin de la guerre. Le gouvernement savait ce qui se passait, tait largement complice .Certains jeunes appels en revenant, crivaient ce quils avaient vu, entendu ou oblig de faire.

04/09/08

Page 12 sur 214

Germaine Tillion ma affirm que les placards du ministre o elle avait un ami dport comme elle, dbordaient de tmoignages horrifis. Moyennant quoi, la tl Guy Mollet, affirmait que tout tait correct en Algrie. Ceux ? qui, comme lobservateur, parlait de votre Gestapo dAlger , salissait larme. Il ny aurait eu quun seul cas, cela aurait t de trop ! La France est le Pays des droits de lhomme. Germaine Tillion me disait dans son langage trs modr Ils mentent, cest trs vilain . Monsieur Dravet dit un moment ; Les Harkis mont protg . Cest certain, le voyant commander sa section avec humanit vis--vis de la population, voulaient le garder le plus longtemps possible. Ces algriens, ces harkis taient pris entre eux feux. Si leurs familles avaient t massacres cause le L.A.L.N, ils vont avec les franais pour se venger. Ils sont volontaires pour les coups durs. Larme franaise profite deux, De leur haine, leur volont. Pour dautres, cest le besoin dargent pour leur famille .La population regroupe par larme est sans ressource, le salaire du Harki est leu seul soutien. La ferme Amezziane (centre de renseignement et daction de Constantine) Tout Algrien est priori suspect. Les interrogations sont conduites par des officiers, sousofficiers ou des membres du C.R.A. Les jeunes du contingent ne torturent pas. Ils voient, ils entendent, ils regardent, ils assistent, plus ou moins. Certains approuvent, dautres non, cela dpend de leur conscience, quils coutent encore ou non. On peut dire que trois algriens sur quatre y sont passs ; On connaissait les pratiquent du F.L.N, sa cruaut, son sadisme, mais les mthodes franaises ne valent pas mieux. Monsieur Bernard Dravet ajoute : Ladjudant qui nous ravitaillait, ma dit, je nai pas vos opinions, mais jai une grande estime pour votre sens de lhonneur. Vos principes sauvent larme franaise. L-bas, on est perdu, les repres disparaissent avec la mort cruelle de copains. La haine entrane la pulsion de haine, la vengeance, le racisme et toute leurs consquences, abruti par la guerre et ses pratiques, on nest plus des hommes . Ils sont tous revenus marqus, avec comme un abcs au cur, une culpabilit, de navoir rien dit, de navoir pas protest. Mais que pouvait faire un garon de vingt ans devant lautorit de larme, ils taient mis en prison pour quinze jours ou un moi. La plupart reste dans le mutisme, ils gardent tout en eux. Pendant cinq ans avant davoir un cancer, jen ai rencontr beaucoup et souvent. Certains parlent, les larmes aux yeux. Jusqu ma mort, jaurai ces cris dans les oreilles et ses images dans les yeux La responsabilit des politiques est crasante. Cest eux qui lont voulu et laiss partir dans lhorreur, o tait leur sens de lhonneur et la voix de leur conscience. Elle ntait pas anesthsie comme lont dit certains, mais en situation de coma dpass . Jai honte de ce quils ont laiss faire.

04/09/08

Page 13 sur 214

Faisons un rve. Si au lieu de mpriser mon mari, compagnon de la libration une dizaine de gnraux et de colonels, rveillant leurs consciences, lavaient suivi dans son refus absolus de ces mthodes. Le gouvernement aurait d prendre ses responsabilits et commencer les ngociations pour la paix en Algrie et son indpendance. La guerre aurait pt finir en 1957. Les petits Pieds Noirs sur place en bon terme avec leur voisin. En Octobre 2002, jau eu loccasion daller Tlemcen avec des amis. Jtais avec les autres, responsable de rien. Nous assistions la facult de Tlemcen, trs belle, diffrentes discussions avec aussi des algriens. Certains algriens ont su que jtais l, et entre deux dbats, sont venus me dire cest vous ? Je rponds Cest moi Ils me disent, les uns aprs les autres avec des larmes dans les yeux, merci dtre venu pour lui. Il nous a trait comme des tres humains, il nous a trait chacun comme,un homme .

Quel plus grand compliment peut-on faire celui qui fut mon mari, le Gnral de Bollardire.

SIMONE DE BOLLARDIERE. Le 3 juin 2008

04/09/08

Page 14 sur 214

INTRODUCTION

Si j'tais objet, je serai objectif, Comme je suis sujet, je suis subjectif Bergamine

04/09/08

Page 15 sur 214

Pourquoi ce tmoignage ?

Je dois, mme 50 ans aprs, parler, tmoigner. Mon premier tmoignage, ne donnait que des faits, sans explications ; il ne suffisait pas. Tmoigner tait une exigence que je mtais donne. Jy rponds seulement maintenant Cest si dur sortir, crire. Je ny arriverai pas. Les souvenirs, les lieux, les collgues morts, les soldats tus de lALN je nen avais plus de mmoire.

Il me fallait vivre, oublier tout a. Analyser, rflchir avec dautres.

Mais jai toujours su quil faudrait crire avant ma mort.

Ctait mon engagement.

04/09/08

Page 16 sur 214

Pourquoi suis-je rest debout ?

J'ai eu le privilge d'tre inform sur cette guerre par la Jeunesse Etudiante Catholique (JEC) et un comit pour la paix en Algrie. La JEC est trs engage pour la paix en Algrie. Les vques lui reprochent ses positions. Robert Chapuis, son secrtaire gnral au moment o je suis moimme responsable fdral dans le dpartement du Var et ensuite des Bouches du Rhne, effectue son service en mme temps que moi. Il publiera aussi comme moi un bulletin pour les appels du contingent qui est trs bien document. Par ce mouvement, la J.E.C., nous sommes informs durant les sessions nationales de formation et par ses publications Elle fit mon ducation civique et politique. Elle m'ouvrit l'esprit et me donna une ouverture qui allait maider garantir lhumanit de mon regard sur les Algriens. Un an avant de partir, je suis Marseille pour des tudes de capacit en Droit. J'habite la Maison des Etudiants Catholiques. Les dbats y sont nombreux, les aumniers et associations tudiantes sont pour la paix en Algrie et contre la rpression, les tortures et les exactions. Je participe un comit pour la paix en Algrie. Des membres de ce comit sont Algriens. Ils nous tiennent informs de ce que le peuple algrien subit. Ils nous clairent sur les raisons qui les poussent lutter pour leur indpendance, les gouvernements franais n'ayant jamais mis en application les rformes pourtant timides qu'ils avaient approuves. Ces dbats, ces rencontres, ces rflexions, ces prises de position seront dterminants. Quand je pars la guerre, je suis dj fix. Je n'ai pas pu tre objecteur de conscience. Je ferai donc la guerre en prenant mes responsabilits. Cela explique mon choix dentrer l'cole de Elves Officiers de Rserve, d'tre aspirant, puis sous lieutenant et d'assumer des responsabilits dans le combat, sur le terrain. Je sais que je le ferai en exigeant que les lois nationales et internationales soient respectes dans les mthodes employes durant les combats et durant les interrogatoires avec les prisonniers et les populations. Dans la continuit de mes engagements personnels, j'ai dcid de prendre des notes au quotidien sur mon journal de bord avec le plus grand soin sur ce que j'ai vu, ressenti, vcu. Je les ai crites sur un agenda que javais toujours dans une poche lintrieur de mon treillis de sous-lieutenant. En effet, je savais qu'un jour, je devrais tmoigner et que ces notes me seraient fort utiles. Je ne voulais surtout pas courir le risque de loubli.

04/09/08

Page 17 sur 214

Par respect pour les familles, jai chang les noms des militaires de carrire qui furent mes suprieurs ou celui de leurs collaborateurs, dont je rprouve lattitude. Toutefois, ils pourront se reconnatre du fait de ce quils ont fait subir aux Algriens. Toutes mes notes, je les ai gardes et dposes chez un ami avocat.

04/09/08

Page 18 sur 214

LAlgrie dans lHistoire.Jusqu la colonisation franaise, partir de 1830, il faut plutt parler de lAfrique du nord ou des territoires devenus lAlgrie. En effet, sil y a assez tt une certaine personnalit politique des rgions qui sont devenues le Maroc, louest, la Tunisie lest, le territoire aujourdhui Algrie na jamais t unifi, en tant que tel, sous une seule autorit politique. Cest dailleurs le prtexte que les adversaires dune Algrie indpendante prenaient pour affirmer que lAlgrie tait une invention franaise et quil ne pouvait y avoir de conscience nationale algrienne en dehors de la France I) LAlgrie jusquen 1830

Les territoires dAfrique du nord, ce quon peut appeler la Berbrie, ont t romaniss, latiniss donc christianiss, dans lAntiquit. Mais la christianisation a touch les villes et na t que superficielle dans les campagnes. Au VII sicle, les armes arabes avaient conquis toute lAfrique du Nord et assez rapidement les populations embrassrent la religion musulmane et, avec elle, peu peu, sincorporrent la civilisation arabo-islamique qui eut toujours des caractres propres ici cause des vieilles civilisations berbres et de la marque de sicles de romanisation. LArabe parl en Algrie est trs diffrent de lArabe du Moyen-Orient. De toutes faons, si lAlgrie se revendique sans conteste comme membre de lensemble des pays arabes , la population dorigine arabe au sens ethnique y a toujours t minoritaire et le fond de la population de lAlgrie comme du Maroc et de la Tunisie est le vieux fond mditerranen appel berbre en Afrique du Nord, peu diffrent de celui de lEspagne, du Portugal, des les de Mditerrane occidentale et de lItalie mridionale Au XVII sicle, les territoires de lAfrique du Nord tombent sous la domination de lEmpire ottoman turc dont le chef suprme est le sultan de Constantinople. Tout musulmans quils soient, les matres turcs ne cherchent pas sassimiler aux AraboBerbres et ne parlent pas leur langue. LAlgrie est gouverne par le Dey et ses Janissaires qui reprsentent le sultan et qui laissent leur autonomie aux divers seigneurs de la guerre et des dynasties locales qui cherchent simposer mais nont jamais unifi le pays, encore moins le Sud qui chappe lautorit du Dey. II) LAlgrie aprs 1830

Sous prtexte de se dbarrasser des corsaires turcs en Mditerrane, le roi de France, Charles X, frre de Louis XVI, qui a succd en 1824 son autre frre, Louis XVIII, lance une expdition en 1830 qui dbarque 25 kilomtres dAlger et attaque la capitale du Dey. Le Roi avait besoin dune action de prestige pour restaurer son autorit. Alger est prise le 5 juillet 1830. La ville est pille par les Franais. LouisPhilippe qui succde Charles X conserve cette conqute. On est dans un tat desprit dimprialisme, de conqute et civilisation de territoires par les peuples suprieurs contre les races infrieures et de croisade contre le monde musulman des Infidles ! Le territoire algrien a t conquis par la violence brutale, barbare, cruelle, de 1830 1847.

04/09/08

Page 19 sur 214

Exemple : Toutes les populations qui nacceptent pas nos conditions doivent tre rases. Voil comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu lge de 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les btiments, les envoyer aux les Marquises ou ailleurs. En un mot anantir tout ce qui ne rampera pas nos pieds comme des chiens. (Lieutenant-Colonel Montagnac. Lettres dun soldat. 15 Mars 1843) La guerre de conqute prit par moments les caractres dune guerre dextermination : La population de lAlgrie tait denviron 3 millions dhabitants en 1830 et seulement de 2 millions en 1845 ! Les peuples qui vivaient en Algrie nacceptrent pas la domination franaise et il fallut vaincre leur rsistance. Le plus clbre rsistant loccupation franaise fut Abdel Kader qui ne se rendit quen 1847. LAlgrie, dont la population ne sest soumise que contrainte et force, et se rvoltera parfois, est devenue une colonie de peuplement. En 1872 il y avait dj 245 000 Europens qui reprsentaient 12% de la population totale. Franais, certes mais aussi beaucoup dEspagnols, Maltais, Suisses, Italiens. Les Europens semparrent des terres les meilleures et en 1886 plus de 7 millions dhectares taient aux mains des colons. Certaines tribus se virent confisquer 50% voire 80% de leurs terres ! En 1881, lAlgrie fut intgre la France, divise en 3 dpartements franais auxquels sajoutrent plus tard les territoires du Sud. Les colons sopposrent toujours la scolarisation massive des populations autochtones. Les autochtones suivaient les cours des coles coraniques. Seule une petite minorit indigne parvint bnficier de lenseignement franais. La France accorda la citoyennet franaise aux Juifs dAlgrie (dcret Crmieux en octobre 1870) mais les Algriens musulmans sont toujours demeurs des sujets franais et ont t soumis au code de lindignat de triste mmoire. Le dcalage entre le discours rpublicain de lgalit, de la libert et de la fraternit et la ralit vcue par les populations soumises a t particulirement choquant. La population europenne a mis en valeur les terres confisques et la frange ctire, plus peuple, sest dveloppe. En 1954, au dbut de la guerre dindpendance, il y avait environ 1000 000 dEuropens et 9 millions dAlgriens musulmans. Les populations indignes mprises, victimes du racisme, dune soumission svre, ont bien videmment tout de mme profit du dveloppement de lAlgrie, bien que leur situation conomique et sociale en ait fait, dans leur majorit, des populations proltarises. Seule une petite minorit dAlgriens formait une bourgeoisie autochtone. Enfin dans cette Algrie franaise, il y avait parmi les Europens, une classe pauvre de modestes ouvriers, employs ou artisans proches conomiquement de la situation de nombreux Algriens. Les relations de domination quasi-totale, quil serait absurde et mensonger de nier, ne sopposrent pas ltablissement de liens damiti et destime mutuelle entre certains Europens et des Algriens. La domination saccommode trs bien de ces relations individuelles et encore mieux des relations de bienveillance paternaliste, elles aussi frquentes.

04/09/08

Page 20 sur 214

Les Europens, part une minorit de Franais dAlgrie dits libraux , par leurs lites politiques et leurs influences se sont toujours opposs une quelconque marche vers la reconnaissance de lgalit des Musulmans. Les pouvoirs publics mtropolitains nont jamais su imposer une autorit qui contre le colonialisme ou le paternalisme des matres coloniaux dAlger ! Ainsi un projet daccorder la citoyennet franaise aux Algriens, en 1936 fut refus avec succs par les colons (projet Blum-Violette). Ainsi le statut de 1947 donnait autant dimportance et de voix, dans lassemble algrienne lue, aux 464 000 Franais et 58 000 Franais musulmans quaux 1 200 000 lecteurs musulmans algriens ! Et les lections taient truques ! Un nationalisme des autochtones sest dvelopp trs tt en Algrie notamment dans la bourgeoisie musulmane urbaine et dans les usines franaises o ouvriers et employs immigrs rencontraient le syndicalisme et le mouvement ouvrier franais. En 1926, Messali Hadj fonde ltoile Nord-Africaine et cre plus tard le MTLD qui deviendra M.N.A. (Mouvement National Algrien). Ferhat Abbas, pharmacien, est une autre figure importante du nationalisme algrien. Avant la seconde guerre mondiale, il se bat, en vain, pour que les Algriens obtiennent lgalit avec les citoyens franais. A cette poque Ferhat Abbas, na pas en vue lindpendance dune Algrie qui, selon lui, na pas de racines historiques. En mai1945, dans latmosphre de la victoire, des manifestations algriennes sont trs brutalement rprimes par les forces de lordre franaises. Il y a, notamment Stif, des milliers de morts algriens. Cette rpression cruelle, ce refus de toute remise en cause de la domination totale des Europens sur la majorit arabo-musulmane, ont encourag de nombreux Algriens sorganiser dans la clandestinit pour mener la lutte pour lindpendance. Les divers mouvements nationalistes vont se rassembler dans un Front de Libration Nationale (F.L.N.) lexception du M.N.A. de Messali Hadj. Pendant les premires annes de la lutte dclenche en 1954, le FLN et le MNA vont sopposer dans une guerre civile cruelle faite dassassinats et massacres sauvages. III) La Guerre dindpendance. 1954 / 1962

Ce fut une tragdie terrible, comme toutes les guerres certes, mais encore plus, parce que le terrorisme, souvent aveugle, la barbarie des mutilations, meurtres et assassinats, furent trop souvent larme privilgie des combattants algriens tandis que larme franaise utilisait massivement les pires mthodes de pacification au nom de la lutte contre les rebelles , auxquels ne fut jamais reconnu le titre de combattants dune arme. Tortures, brutalits, violences, vacuation de villages et regroupement des habitants dans des camps ferms, bombardements de populations civiles, mpris raciste, viols, pillages. Les protestations, nombreuses contre de telles mthodes de guerre indignes de larme dune dmocratie ny ont rien fait, sauf prserver un peu dhonneur ! Et cest par dizaines de milliers que de jeunes Franais de 20 ans ont, en Algrie, inaugurs leur vie dadultes par cette terrible exprience. Le rle social et humanitaire que certaines units de larme ont exerc, avec dvouement et sincrit, au profit de populations ainsi aides, soignes et instruites, ne pouvait en rien compenser les horreurs de la rpression. 1954 / 1958. Pacification. Rappel de rservistes. Arme en Algrie porte 400 000 hommes qui narrivent pas venir bout de linsurrection. Ceux des Musulmans qui voudraient collaborer avec les Franais sont violemment, sauvagement punis par les hommes du FLN !

04/09/08

Page 21 sur 214

Devant lchec de la pacification et limportance de la lutte des Algriens, en France un fort mouvement dopinion souhaite des ngociations avec le FLN pour aboutir la paix. Les lections de 1956 voient la victoire de la gauche politique sur ce thme. Mais les lobbies des colons russissent faire chouer ces tentatives et les derniers gouvernements de la IV Rpublique continuent la guerre et augmentent toujours les moyens militaires. Le 13 Mai 1958, une rvolte de Franais dAlgrie soutenus par certains corps de larme, clate Alger par peur que le nouveau gouvernement investi Paris entame des ngociations avec le FLN. Cette rvolte aboutit au retour au pouvoir du Gnral De Gaulle et lavnement de la V rpublique. De Gaulle a men une politique hsitante et fluctuante. Cette politique a t dabord de continuer la guerre. En Septembre 1959 De Gaulle envisage lautodtermination de lAlgrie. A partir de l, les Franais dAlgrie vont de plus en plus sopposer De Gaulle et sa politique qui volue vers lacceptation de fait de lindpendance. Il faut dire que les Algriens se sont dots dun Gouvernement Provisoire de la Rpublique Algrienne en exil au Caire puis Tunis. Diplomatiquement, la France est de plus en plus isole et mme ses allis amricains font pression pour quelle mette fin une guerre dsastreuse. En France, si la majorit de lopinion fait confiance De Gaulle cest parce quon espre quil va mettre fin une guerre coteuse, dure, de plus en plus impopulaire. De Gaulle russit, grce aux soldats du contingent en Algrie, grce au soutien massif de lopinion en France, rprimer un putsch dirig, en 1961, par les 4 gnraux les plus prestigieux de larme. Ce putsch prtendait dfendre lAlgrie franaise, renverser le gouvernement rpublicain. Davril 1961 juillet 1962, la situation en Algrie devint encore plus tragique. Larme franaise se battait contre lArme de Libration nationale des Algriens et contre le terrorisme aveugle, meurtrier, de lO.A.S. organisation de pieds-noirs et militaires qui avaient jur de maintenir lAlgrie franaise. Les ngociations de paix entre le GPRA et la France aboutirent aux accords dvian (mars 1962) qui consacrrent lindpendance de lAlgrie. Pour les Europens dAlgrie cet aboutissement calamiteux se termina en tragdie avec leur exode massif vers la mtropole, labandon de leurs biens, leurs maisons, tout ce qui avait t leur vie. Cest le 5 juillet 1962 que lAlgrie devint indpendante. Le contraste tait poignant entre la liesse manifeste bruyamment par le peuple algrien heureux de sa victoire, langoisse, la tristesse des Europens en fuite et le sort terrible des harkis, ces suppltifs musulmans engags dans larme franaise contre le FLN, dont la plupart furent abandonns par larme et livrs alors trop souvent au massacre perptr contre eux par les vainqueurs algriens.

04/09/08

Page 22 sur 214

IV) Conclusion La guerre dAlgrie a t un des moments de la dcolonisation les plus terribles. La socit franaise na jamais vraiment examin avec franchise cet pisode tragique o des milliers de jeunes Franais moururent, des centaines de milliers furent blesss, traumatiss, dans leur me et dans leur corps, o une population de citoyens franais fut contrainte lexode, sinon par la force, du moins par le cours de lHistoire, abandonner ce qui tait pour elle sa terre, sa patrie, son morceau de France ! Deux rvoltes de larme contre le gouvernement lgitime et lgal, la mort dune rpublique et finalement, aprs 8 ans dune guerre atroce, labandon de ce quon avait, contre toute vraisemblance, appel 3 dpartements franais et limmense Sahara riche en ptrole et en gaz. Gchis politique, gchis conomique, gchis social. Mais le pire ne fut-il pas le gchis moral ? ( LAlgrie dans lhistoire : Auteur Henri Dravet)

Secteur militaire et lieux daffectation successifs : Mila Beinem Fedj Mzaha Si-Zerouk Rouached

04/09/08

Page 23 sur 214

CHAPITRE 1 Le dpart au service militaire

Penser, c'est passer, dpasser, interroger cet ordre du monde, s'tonner qu'il soit l, se demander ce qui l'a rendu possible, chercher dans les visages disponibles comment et jusqu'o il serait possible de penser autrement Michel Foucault L'usage des plaisirs Gallimard - 1984

04/09/08

Page 24 sur 214

Dbut septembre 1958, je reois mon avis d'incorporation pour rejoindre le 11me Bataillon de Chasseurs Alpins de Barcelonnette au dbut du mois de novembre. Je souhaite trouver d'autres appels, connaissances ou amis qui s'engagent collectivement tre objecteurs de conscience avec moi. En effet je ne trouve de sens cette position de refus d'engagement dans la guerre que si elle est affirme collectivement. J'ai cherch et personne n'a voulu prendre cet engagement ce moment-l. Etre objecteur de conscience n'tait pas un statut reconnu en France. Le temps de service tait doubl. Tous les jeunes franais partaient faire la guerre. Etre objecteur de conscience, c'tait une solution individuelle qui n'avait pas de sens face tout le contingent et aux Franais qui, dans leur grande majorit, approuvaient l'envoi des appels en 1958. Qui trouver cette date, qui s'engagerait avec tous les risques encourus ? Je cherche, multiplie les rencontres, en vain. Personne ne veut sengager dans cette dmarche collective Je change alors ma faon de me situer par rapport un combat dont ds le dbut je ne partage pas les buts. Pour tre avec tous les jeunes de mon ge, je mengage y participer comme officier, pour tre au front et pas cach comme tant dautres dans des bureaux Dj avant mon dpart, mes opinions sont connues puisque jai particip pendant un an un comit pour la paix en Algrie Marseille. Les nervis de Le Pen nous poursuivaient avec des nerfs de buf dans la rue Breteuil la sortie du restaurant universitaire. Les Algriens prsents nous informent sur la guerre, les exactions, la lutte arme lindpendance, qui est leur but et nous disent pourquoi ils finiront par gagner Fin aot 1958 ; jai 20 ans. En novembre 58, nous sommes dans les premiers mois de rgne du Gnral De Gaulle ; me voil dans la micheline jaune et rouge pour Barcelonnette. Ds le lendemain matin de mon arrive, le lieutenant nous confronte au froid pour le footing et la gymnastique. Terre glace et recouverte de neige. Je suis arriv le 4 novembre la caserne de Barcelonnette qui se trouve avant cette ville. Je suis mes classes, apprends faire la guerre. Ds les premiers jours, tous les chelons de la hirarchie se sont vertus cloisonner les diffrents milieux sociaux : 2me classe, lves grads, et futurs lves officiers de rserve.

04/09/08

Page 25 sur 214

La prslection faite avant le service tait minutieusement refaite larrive. Ceux qui, pour des raisons personnelles, voulaient rester simples soldats ont eu droit de fortes pressions. Les appels qui arrivaient se croyaient forts pour ragir face larme. Les premiers jours, des critiques acerbes sexpriment loccasion de dtails : nourriture, froid, chambre bruyante. Raction dhommes en crise qui ne sadaptent pas leur milieu. Cette critique sur les dtails rend souvent les appels aveugles sur les vritables mcanismes de manipulation en jeu pendant ces classes. Ds nos premiers cours, lofficier instructeur impose aux soldats les rflexes du combattant. Aussi bien dans les cours crits que dans les exercices pratiques. Il essaie de nous former laide de slogans, de rflexes simples, plusieurs fois rpts. Les soldats affrontent les plus bas chelons de la hirarchie militaire qui sont rigides bien que souvent, ils soient des appels. Pour des questions de discipline collective, lappel va se braquer contre son suprieur. Ensuite plus a ira, plus il saplatira devant son suprieur, soit par peur des consquences, soit par je men foutisme , ou par dgot de se voir diriger par un homme beaucoup moins fort que lui mais dont les galons font la force. Durant ces quatre mois de classe, mon seul milieu de vie est la caserne. Je nai pas de permission parce que des piqres me sont administres en vue du dpart vers lAlgrie. Au lieu dorganiser des loisirs et des moments de libert, les appels restent accrochs leur vie passe. Ils se referment sur eux-mmes, ne participent pas la vie collective. Ils attendent le courrier ou la permission. Nous n'avons aucune libert. Chaque fois que je trane, un grad sempresse de me faire faire une corve. Nous n'avons le loisir d'aucune initiative aussi bien lintrieur de la caserne qu lextrieur. Les cadres marquent nettement leur hirarchie. Sauf exception, ils nont aucun contact avec nous, bien au contraire. la fin de ces quatre mois de classe, nous sommes entrans subir. Comme nous subirons dautres expriences en Algrie. Cest un laisser-aller gnral. Le premier week-end de dcembre, le samedi matin, tous les soldats du bataillon partent en camion militaire sur un plateau trs enneig au-dessus de Jausiers. Arrivs l-bas, nous nous exerons un long moment prsenter les armes pour un gnral qui doit arriver vers les 10 heures. Il faut tre dans la bonne position, chaque section sa place, toutes les lignes doivent tre droites. Plusieurs fois, nous rptons l'exercice au commandement du chef de bataillon. Nous nous gelons les pieds. Nos mains sont glaces. Comment vont-elles tenir les crosses ? Le soleil commence poindre. Le gnral est en retard, finalement trs en retard. Une tente a t dresse o sont disposs verres, apritifs, petits fours, petits gteaux et quelques bouteilles.

04/09/08

Page 26 sur 214

A 11 heures, plusieurs jeeps arrivent. Le gnral suit dans une belle voiture noire. Un chauffeur le conduit. Il sort, trs rapidement fait quelques pas devant le bataillon qui lui prsente les armes, au commandement de notre chef de bataillon. Puis il rejoint la tente avec tous les officiels. Nous n'avons pas droit aux agapes. Chaque section remonte dans ses camions GMC. Ils sont environ une dizaine prendre la route des gorges qui descendent Barcelonnette. Maintenant le soleil tape et la neige fond. Une demi-heure aprs notre dpart, un bruit effrayant, comme un grand coup de tonnerre qui se rpte plusieurs fois vient du haut des gorges. Puis un norme rocher s'abat sur mon GMC. Sous la bche nous n'avons rien vu. Les deux collgues ct de moi sont crass et morts. Pourquoi y ai-je chapp ? Ils seront veills par tous les soldats pendant deux jours. Le colonel commandant la caserne de Barcelonnette met longtemps avertir la famille qui enfin vient, plonge dans une immense dtresse. Le gnral restera absent. Mon premier contact avec des morts inutiles. Morts de jeunes de 20 ans. Morts pour rien. Comme demain en Algrie. Pour ma part janime un groupe de rflexion. Nous nous prparons autrement la guerre. Nous ne restons que quatre mois. Je suis dj caporal. Il faut du sang neuf. Le 4 mars 1959, Marseille, la caserne du Muy ; puis sur le quai de la Joliette ; les parents pleurent. Je balance mes bras, cest le grand dpart pour cette connerie de guerre Jai envie de sauter la mer. Un seul livret aux jeunes appels en Algrie est publi par les alliances des quipes unionistes. Il est trs bien rdige mais son public est minoritaire (voir annexe 1). Me voici Cherchell en Algrie, lcole qui forme les futurs officiers dabord la guerre : entranement, commandement dune section, lecture de carte, embuscade, attaque, dfense, vacuationMais lcole nous soumet une intense prparation psychologique : lAlgrie a toujours t franaise ; nous reprsentons un Occident chrtien volu face un Orient musulman retardataire ; il faut sauvegarder les Pieds noirs, maintenir cette position stratgique de lAfrique du Nord franaise, lutter contre le Communisme qui est derrire le G. P. R.A. et le F.L.N. ; il faut sauver la Patrie, la France et je ne sais quoi encore que joublie Cette cole nous garde prs de six mois. Plusieurs faits me marquent ds mon arrive en Algrie.

04/09/08

Page 27 sur 214

Je dcouvre lAlgrie, les Algriens et larme dans son combat. Comme celle des autres, ma raction est trs sentimentale devant la souffrance et la misre bien visible des Algriens. La plupart affirment : Cette cole ne nous transformera pas . Ils se croient forts. Il y a peu defforts de rflexion de la part des lves officiers et un mois et demi aprs, leurs ractions ont bien chang. Chacun savait maintenant que, dans son intrt personnel, il valait mieux se taire. On se surveillait mutuellement. Beaucoup affirmaient leur supriorit par rapport aux Arabes. Pourtant dans la plupart des chambres se trouvait un lve officier (E.O.R.) algrien. Combien de fois ai-je entendu cette phrase : cause deux, nous venons perdre notre temps ici. Ils nacceptent pas ce que nous leur proposons : la paix des braves. ? Face ce mpris, cette crainte, cette mfiance envers les Algriens, jai voulu dans lcole organiser une rencontre entre EOR algriens et lves officiers dorientation chrtienne. On devait parler de lIslam, du Catholicisme. Je nai pu atteindre mon but. Les EOR algriens nont pas eu lautorisation de nous rencontrer. On leur interdisait de trop se voir entre eux. nous mtropolitains, on avait interdit daller dans les cafs maures. Comment pouvais-je dcouvrir ce peuple avec qui j'allais passer 24 mois ? Par les cours de sociologie arabe trs schmatique !!! Je me rappelle cet exercice pratique : nous apprenons en cours thorique comment faire une fouille dans un village. Aprs le cours, nous descendons en ville, Cherchell, raliser lexercice. Nous bloquons tout le centre ville, fouillons tout le monde. Ensuite, le lieutenant choisit quelques civils algriens qui jouent le rle de suspects. On les fouille plus mthodiquement. On les amne au commissariat de police. Un Algrien minterpelle : Jai dj t amen trois fois au commissariat de police depuis ce matin ! Japprends que depuis plusieurs jours toutes les sections sexercent comme la ntre. Derrire lcole dlves officiers de rserve existait un regroupement de population sur un terrain en pente assez travaill par lrosion. Nous y avons pratiqu des exercices de pacification. La population devait sy regrouper troitement en une semaine sous peine de reprsailles. Imaginez un terrain en pente, dfonc par lrosion o viennent sinstaller un millier de personnes avec leurs btes, et o chacune des familles doit se btir un petit abriLa premire fois, la raction des EOR fut unanime. Ils taient scandaliss, ne voulaient mme pas rentrer dans les maisons, sachant que toutes les autres sections lavaient dj fait. Chaque semaine, la mme comdie recommenait. Certains chappaient cet exercice en se cachant, les autres en tablissant les feuilles de contrle de la population, essayaient dtablir des contacts avec les habitants nervs par ces fouilles trop frquentes. Trois mois aprs, peu parmi les EOR pensaient encore ce regroupement.

04/09/08

Page 28 sur 214

Peu peu l'arrivisme gagne les promotions d'lves aspirants. On revenait dun exercice pratique. Comme dhabitude avant dtre libre, une prsentation darme avait lieu devant un sous-lieutenant, lui-mme un appel comme nous mais 6 mois avant nous. Un des lves prsente mal ses armes. Il est puni par le souslieutenant instructeur. Il lui fait cirer ses chaussures. Cet esprit darrivisme sest accentu. la fin du 2me mois, nous subissions plusieurs rcitations crites sur des questions de rglement ou autre. Lesprit de bachotage stait gnralis. La priode des examens fut longue. Une rivalit entre les EOR stait installe pour obtenir le plus grand nombre de points au classement final, loccasion des exercices de tir, du parcours du combattant, des exercices pratiques de combat ou des interrogations crites. la fin du stage, chaque section vivait dans cet esprit de comptition. Les rsultats de lexamen final sont affichs sur un immense tableau dans un grand amphithtre. Chaque EOR, nous sommes plus de 400, arrive lamphi o il va choisir sa place daspirant en fonction de son classement lexamen. Course effrne vers les planques en Allemagne ou en France de la part des premiers du classement tandis que les plus mal classs sont affects dans les rgiments les plus oprationnels. De plus les premires places au classement gnral sont obtenues par piston ou fayotage. Lcole ne nous a pas prpars nos futures responsabilits humaines. Nous y avons dcouvert peu peu les difficults de cette guerre, les contradictions de la pacification, les origines des dpartements franais dAlgrie les raisons du soulvement algrien Le plus grand nombre voulait ignorer lexistence des tortures, des reprsailles collectives, des mesures militaires prises contre une population. Pourtant, il suffisait de passer quelques jours linfirmerie comme j'en ai eu l'occasion, de parler avec des soldats du secteur qui y taient prsents pour dcouvrir les problmes qui se posaient. Dj parmi eux, on demandait parfois des volontaires pour aller tuer des suspects aprs les interrogatoires. Ces interrogatoires taient mens par un pied-noir de Cherchell dont certains membres de la famille avaient subi des reprsailles de la part du Front de Libration Nationale. Tout cela ntait pas dit, restait cach ou on ne voulait pas savoir ... Il y eut trs peu de rencontres entre EOR et population algrienne. Seule rencontre, le dimanche entre Europens et lves officiers au dancing et au restaurant ... Nous restions entre Europens. Pour ces lves officiers, dj, tout le peuple algrien est en guerre contre la France, contre les Europens, contre eux, soldats franais. On est fatigu de leur baratin sur l'honneur. On crapahute. On boit, on s'ennuie. Quel gchis... On parle de la torture et des exactions en petit comit. Alors que je suis l'infirmerie pour une dysenterie, un Algrien, soldat franais, mapporte son tmoignage sur la torture, les tueries, le napalm, les regroupements, les camps de prisonniers, les viols.

04/09/08

Page 29 sur 214

Au classement de sortie, cause de mes prises de position, je serai un des derniers, n 388. Les premiers vont se planquer en Allemagne. Les mauvais vont au front, le plus risqu, dfendre leur patrie. Celle qui nest pas la leur. Aprs l'cole des EOR*, je retourne en France et je passe une semaine chez moi. A mon retour en France, Pre est inquiet de mes ractions et tmoignages de deuxime main sur les pratiques de l'arme, la stupidit de cette guerre. Il croit De Gaulle, Malraux. Lors d'une confrence de presse*, celui-ci a jur sur lhonneur quavec De Gaulle au pouvoir, il ny aurait plus de tortures !!! Il est tout de suite dmenti par les faits. Les tmoignages se multiplient. Des militaires de haut rang, des hommes de lettre, de Justice et dglise manifestent contre la torture par des appels publics. Pre est soucieux de me voir partir en plein combat dans le Constantinois, zone la plus dangereuse. Mes amis me soutiennent, comme mes frres et surs. Je repars sans illusion, dcid faire respecter les lois, la Loi et assumer mes devoirs dofficier et respecter ce peuple algrien dont on nous rpte tout propos qu'une minorit seulement nous fait la guerre.

* *

Ecole des Elves Officiers de Rserve Confrence de presse tenue le 24 juin 1958, il dclare : aucun acte de torture ne s'est produit ma connaissance ni la vtre depuis la venue Alger du Gnral De Gaule. Il ne doit plus s'en produire dsormais.

04/09/08

Page 30 sur 214

CHAPITRE 2 Mon premier poste en Algrie

Il faut s'attacher montrer que cela mme qui parat aux hommes clair et comprhensible, est trangement nigmatique et mystrieux. Les sources de l'tre sont en effet dans ce qui est cach et non dans ce qui est dcouvert. Marc Alain Ouaknin Lire aux clats. Eloge de la caresse Edition Quai Voltaire - 1992

04/09/08

Page 31 sur 214

Le 16 aot 1959, trois jours avant l'anniversaire de mes 21 ans, je suis affect au 51me rgiment dinfanterie dans le Nord Constantinois. Aprs ma semaine en France, je reprends le bateau Marseille avec des milliers de soldats pour Alger. Le voyage est difficile. Chaque soldat sait qu'il va rester plus de 25 mois dans un bled en Algrie. Tous savent les conditions dures de cette guerre. Nous sommes plusieurs aspirants. Sur les quais, les officiers suprieurs nous attendent. Un tri s'organise pour que chaque aspirant rejoigne le groupe de grads de sa rgion de combat. Je me retrouve avec quelques officiers et un capitaine, qui a la charge de nous mener Constantine. la caserne centrale de cette ville, un autre capitaine, commandant de mon futur poste, mattend. En effet, le 12 septembre, je suis affect la 8me compagnie Benem, un des postes les plus durs. Ds le lendemain jarrive Benem dans la journe. Le capitaine m'embarque directement dans sa jeep pour me diriger vers mon affectation : Benem, 1100 mtres d'altitude. J'ai eu le temps de voir le paysage pendant tout le trajet. Je traverse plaines et gorges aprs Constantine. Larme est partout prsente. Ce ne sont que convois militaires, des villes ou des villages protgs par des soldats en arme, souvent derrire des barbels ou des murs de bton arm. Dans certains endroits, on nous arrte un point de contrle pour nous demander notre identit et notre destination. De l, nous arrivons Mila dans le bureau du colonel du secteur, Virot. Dans laprs midi, le capitaine de Benem me conduit jusqu notre poste 1100m daltitude. Cest un homme de 40 ans au visage ouvert et sympathique, assez grand, qui m'accueille bien et va beaucoup me parler. Dans la jeep nous montons les chemins tortueux dans le djebel, surveills par des postes militaires de ci de l, Je me tais. Je reois le coup de massue ! Il me dclare : Ici, beaucoup de FLN* , de fellagas , disent-ils tous. Moi je dis toujours, partout, les soldats de lALN*, mme si les autres ricanent. Il m avoue : Nous sommes les claireurs de toutes les grandes oprations de cette zone montagneuse. Nous faisons le sale boulot : dominer le terrain car on est l'avant des troupes de combat. Dans deux jours, le gnral Ducournot arrive avec les parachutistes de la lgion trangre. Cette fois, ils vont dnicher les fellagas dans les grottes, la montagne, les oueds. Cen est rempli. Opration dure. Ils sont chez eux. Ils nous attendent derrire des caches fortifies flanc de montagne. Ils senfuient dans les forts. Nous ne pouvons que les faire canarder par laviation, ou avec les mortiers. Aprs nous balanons du napalm. Ils sont obligs de sortir et dattaquer, de se dfendre. Nous les attendons.* *

Front de Libration Nationale Arme de Libration Nationale

04/09/08

Page 32 sur 214

Notre nombre, dix fois plus important nous rend plus fort. Nos puissances de feu sont considrables. Mais la population les cache, les protge, les informe par peur ou parce quelle les soutient. Ils sont invisibles, redeviennent parfois des civils mlangs la population. Ici nous sommes une arme doccupation . Il m'affirme : Vous ntes pas Alger, ni Oran ni dans la plaine de la Mitidja. Vous aurez une section dappels, un sergent, une radio, deux caporaux, un auxiliaire de sant pour les blesss, une jeep et deux GMC. Lopration va durer trois jours. Le poste gnral de commandement stablira chez nous Benem, sur ces hauteurs d'o on voit tout. Il est difficile ici de nous attaquer. Ils ont leur propre bureau de renseignements avec les mthodes et moyens appropris. Votre section nest pas facile : un tiers de vos hommes est prt de la quille. Ils n'ont qu'une hte, finir leur temps de prsence en Algrie. Trs peu ont encore la foi. Les autres tranent la patte. Il faut svir, les obliger affronter lennemi. Cela dpend de votre commandement. Lautre section est commande par un sminariste. Jen suis content. Au dbut, il sinterrogeait. Maintenant il joue le va-ten guerre, veut du rsultat, abattre du fel comme on dit ici. Sa troupe le suit. Il faut fermer les yeux quand il attaque une mechta*. La population civile est servie en cruauts. Jcoute. Jai envie de hurler, de crier. Une vague de larmes me bouleverse et me rend muet. Je me pose tant de questions. Je savais dj, mais recevoir a en direct, si crment...cette la ralit que je vais vivre, subir, que d'autres ont tout simplement accepte ! Mais o suis-je ? Pourquoi rester ? Une envie folle me prend de fuir. Je minterroge. Tout se prcipite dans ma tte. Ton engagement est stupide. Tu aurais d refuser*

Hameau constitu d'un certain nombre de maisons de terre ou de torchis

04/09/08

Page 33 sur 214

larme et la guerre. L, que vas-tu faire, pris dans lengrenage ? Tu dois obir. Je ne sais plus si je dois descendre de la Jeep !!! Le capitaine me prsente le poste : une ancienne maison forestire. Un baraquement pour la cantine et le mess des officiers. Un autre baraquement pour ma section. Lautre section est installe dans la maison forestire. Tout me revient, 50 ans aprs.. Comme si ctait hier. Jai envie de dgueuler. Le capitaine me fait entrer, me montre une cave, petite. On y descend en soulevant une trappe pour y mettre les prisonniers. Je crains dj le pire... Dans la cour, une baraque comme un poulailler. Au premier, la chambre des officiers. Lofficier sminariste me salue, maccueille bien. Je suis sonn. Il sen aperoit, me dit qu'il comprend. Ce fut ainsi pour lui son arrive Benem. Sur le ct de sa table de nuit, une bible. Je suis rassur comme si Dieu avait sa place dans la guerre. Je vais dchanter sur son existence, ma foi vacillera pour toujours avec cette guerre.pour toujours !!! Ds le soir, un homme est tu par les soldats. Un nouveau harki aurait dit ses camarades quil voulait dserter. Les trois premiers jours, trois prisonniers, aprs avoir trop bu deau linterrogatoire, sont morts. Le lendemain matin, ma section me prsente les honneurs dans la cour. Chacun au garde--vous, sans aucun signe, dit fort : prnom, nom, grade Je les commande. Dans la mme semaine, je pars en reconnaissance avec ma section toute la journe aux environs. En face de nous, la fort de Benem, une fort dense, une des plus belles dAlgrie. Elle sera si souvent bombarde au napalm. Quen est-il rest ?

Le chauffeur de ma jeep : Albert C. Pourquoi je me le rappelle ? Jai si peur de ne pas bien lire la carte dtat major. Il va mtre essentiel rellement, face mes peurs soudaines qui menvahissent. Comment se reconnatre dans ce territoire ? Bien sr, aucun panneau de signalisation, surtout des pistes, peu de routes goudronnes. Des pistes qui jalonnent des sommets, des oueds. La rgion a un relief trs accident. Sur les sommets, la vue est trs belle. Au loin, des forts o se cachent les soldats de lALN. Deux chauffeurs : Michel et Stphane, pour les deux GMC, suivent. De bons mcaniciens me dit doucement le capitaine, Cest si utile en panne en plein bled face aux fels !!

04/09/08

Page 34 sur 214

Le lendemain matin, premire sortie de reconnaissance, Pour se montrer dclare le capitaine. Lautre section nest pas sortie. Lors de mon premier commandement, j'ai sous mes ordres 36 hommes qui me sont inconnus. Ces appels vont me jauger ds le premier jour. Ils sont trs jeunes, de 20 25 ans. Ils sont en gnral de milieu paysan ou ouvrier. Ils sont l depuis des mois. Nous descendons vers loued. Le radio est mes cts ; le sergent devant avec douze hommes a atteint un groupe de mechtas. Les chiens aboient. Les femmes hurlent. Les vieux restants sortent les mains en lair. Je vois mes douze hommes rentrer dans les mechtas. A mesure que je mapproche, je vois le massacre : ils cassent, sortent tout, pelotent les femmes, grondent les enfants, tapent sur les btes. Tout le monde s'agite. Je hurle darrter, de sortir des mechtas. Ici, on n'obit qu mes ordres. Je continue en ordonnant le rassemblement de toute la section dans la cour immdiatement. Personne ncoute, part le radio, le caporal et son collgue, auxiliaire de sant. Dune voix si forte que je ne me connaissais pas, jordonne au sergent de me rejoindre, lautre caporal et ses douze hommes de faire de mme. Un mouvement lent les dirige vers moi. JE CRIE : PLUS D'EXACTION . Je suis froce, ma colre me rend si fort quand je leur affirme : Sous mon commandement, ces Algriens, ces femmes, ces enfants sont des tres humains. Cest compris. Il en sera toujours ainsi. Sous mon commandement, ils le resteront sous peine de graves sanctions si vous outrepassez mes commandements. Garde vous. Rompez.. Tous me regardent, bahis comme dans un rve. Le capitaine soudain arrive et me dit : quest ce qui vous prend ? . Je rponds : Je commande ma section, moi seul la commande. Il nen est pas revenu, moi non plus, de cette nergie vitale du plus profond de mes forces humaines, de mes tripes. Je veux, en tant que lieutenant, reprendre en main la section dappels que je commande. Jy mets toute mon nergie. Ils sauront tout de suite mes positions. Je ne transige pas. La troupe se disperse. La reconnaissance continue. La population semble se calmer Je ne comprends pas. A-t-elle compris ? Tout au long de ces 24 mois, elle me comprendra trs vite, me sauvera mme, sans bruit !!! Nous marchons au fond de loued puis retournons au sommet de Benem, notre poste.04/09/08 Page 35 sur 214

Ce fut, le soir mme, un travail collectif et puis un travail plus individuel auprs de chacun des soldats de ma section. Mon seul but est quils respectent ces tres humains. Je leur fais dcouvrir les Algriens, comme je pense, avec lintelligence de cur qui vous vient dans ces cas l. Ce ne fut pas facile. Un chef larme reste un chef. Mais chacun m'coute et certains s'interrogent. D'autres m'approuvent. Jai appris : lautre soldat te juge sur tes premiers actes, non sur tes paroles, surtout si ceci est suivi dune pratique qui perdure. Tout tait faire car la vie militaire, surtout en temps de guerre, dans un pays qui leur est tranger, conduit au repli. On se tait par peur des anciens ou par peur dtre entendu par les autres ou par peur de la hirarchie. Lappel essaie de trouver une justification sa prsence. Personne ne lui en a donn la raison. Celle de larme est trop grossire : apporter les bienfaits de la civilisation occidentale et les progrs de la France dmocratique et rpublicaine. Lappel pense quil est l cause des arabes, (dbut de racisme), par la faute des colons, (dbut de lincomprhension des pieds noirs). La vie en opration (fouilles, patrouille, gardes, contacts avec les anciens) transforme tout du fait des actes de racisme dominants le quotidien pratiqus par chacun, quel que soit son grade, quil soit de carrire ou appel. Les reprsailles sont multiples, varies, connues par tous, sur tout le territoire, tous les niveaux de la hirarchie militaire. Aux moments creux, sur un piton, ils sont nombreux 1100 mtres daltitude, perdus dans un environnement tranger, je veux les ouvrir ceux qui nous entourent : des hommes et des femmes algriens, avec une religion, des coutumes, une histoire, luttant pour lindpendance aprs des annes de rformes, promises ds 1945 par De Gaulle, bafoues par les socialistes ou la droite et finalement jamais appliques. Dans un groupe, certains accrochent de suite, entranent les autres. Ce fut long, trs long, rude. Jimposais une discipline militaire. Au bout dun mois, leur attitude avait chang. Le capitaine men voulait dj. Au cours de ce premier mois, a lieu aussi une grande opration avec le rgiment tranger de parachutistes du Gnral Ducournot. Un caporal, chef harki, tue une femme qui lavait injuri. Durant lopration mesure que lon avance, les mechtas sont brles, foutues en lair, leurs habitants vols. Un gosse est gravement bless par nous. Il meurt quelques heures aprs. Un autre est bless lgrement. On le laisse terre. Le soir, aprs un interrogatoire trs dur, des svices trs longs sont subis par un prisonnier. Ce prisonnier est tu finalement par les soldats.04/09/08 Page 36 sur 214

Je demande parler au commandant du poste. Ce capitaine est trs impliqu dans la guerre. Je suis l depuis trois semaines. Je suis rvolt. Je ne peux cautionner ces mthodes. Je les refuse catgoriquement et au cours de ce rendez-vous, je dis au capitaine mon total dsaccord sur ces pratiques scandaleuses, inhumaines. Il coute mon indignation mais semble ne pas donner dimportance ma colre. Le matin, de nouveau, jentends des gmissements. Ils viennent de la cave en dessous de la trappe. On sortira deux corps de soldats de lALN qui rlaient. Ils sont achevs devant tous les soldats, de deux balles de pistolet. A 6 heures dpart avec deux GMC* pour lopration appele Papillon Durant lopration avec les paras, quoique les soldats de ma section en pensent, ils mobissent. Bien obligs ! Puis je les surveille et explique mes missions. Tout se passe bien. Nous, en claireurs, sur les cts. Les paras, dans les vallons, les oueds. Ils tiraient, bombardaient. On entendait des rafales de mitraillettes. Puis plus rien, des cris. De partout a sifflait, balles traantes, balles de mitrailleuses... Quelques instants aprs, a redmarrait. Tir au mortier. Que pouvait lALN face une puissance de feu pareille ? Aprs trois jours, on retrouve le campement, mme sommaire, avec plaisir le soir, vers 18 heures. Dans le poulailler, jentends des cris. Des soldats regardent. a hurle. Ils interrogent des suspects. En haut, le sminariste ne dit rien. Quelques jours suivants, durant une opration de notre compagnie, un harki tue un Arabe de loin. Jtais bien au-del avec ma section. Le lendemain, rcidive, par vengeance, un harki, sans que le capitaine le sache, tue une femme qui lui rsiste.

*

Camion militaire pour transporter la troupe GMC : General Motors Corp. Compagnie amricaine.

04/09/08

Page 37 sur 214

Une autre fois, un sergent me raconte les tortures quon a fait subir un harki dserteur que lon a retrouv. Il est rest une semaine pendu par le bras une poutre, buvant de leau sale, subissant llectricit ses parties. Chaque harki le battait, lui donnant son compte. Finalement, il est tu par les harkis. Le sergent me dit aussi : lorsque les mechtas* ne veulent pas faire le travail quon leur commande, ils leur donnent leur compte. Le capitaine autorise dans ces mechtas rebelles violer les femmes, piller, et tuer ceux qui rsistent .

Les cruauts continuent. Aprs un interrogatoire qui avait dur toute une journe, un chef saoul larde de coups de couteau un prisonnier. Celui-ci gmit trop. Il le termine au pistolet automatique. Un soir, un membre de la compagnie de hussards qui logeait au poste, me raconte comment, en opration, il passe les 10 suspects la flotte, llectricit, aux parties et ailleurs, les interroge au poignard. Ils crachent tout ce quils savent, mme si cest faux, jusqu ce quils crvent. Les semaines se succdent et les faits sont toujours aussi bestiaux. Un harki tue un Arabe qui avait tu un Franais. Durant une patrouille, pas loin du poste, les soldats dune harka (section de harkis) battent violemment des femmes algriennes. Ils ne sont pas sanctionns par le capitaine prsent. Enfin un caporal chef, harki, tue 4 femmes quil navait pu baiser, en blesse deux autres au cours de lopration. Le capitaine prsent ne le sanctionne pas. Je demande rendez vous auprs du capitaine. Je lui rappelle mes positions. Jexige le respect des lois de la guerre, des droits des prisonniers. Lexplication est dure, trs brve et sche. Il joue la compassion : vous verrez, face leurs atrocits, vous comprendrez. On est quand mme en guerre, la pacification, cest du pipeau, cest pour amuser la galerie Paris. Je lui redis mon opposition ces mthodes indignes. Je le fais savoir.

*

Hameau constitu d'un certain nombre de maisons de terre ou de torchis.

04/09/08

Page 38 sur 214

Pourtant, milieu novembre, je me souviens, le capitaine me demande d'aller photographier trois cadavres que lon croit tus par le FLN. Par la suite, japprends que cest le commando de chasse du secteur de Sidi Merouane qui les a tus. Je suis ulcr. Les officiers paras qui ont leur QG au poste de Benem, me regardent et mignorent. Je suis seul. Le sminariste est de leur ct comme celui qui manie la ggne (le gnrateur quon tourne pour envoyer de llectricit ceux quon interroge, torture,) chez les paras au bureau mobile des renseignements. J'ai un dernier entretien avec le capitaine commandant le poste de Benem. Notre change est tendu, svre, rude. Les ponts sont coups jamais. Il ne me recevra plus. Il n'y a plus de compassion, ni de paternalisme. Mon dsaccord est affirm. Il ne nie aucunement les faits. Il dit : Vous verrez avec le temps, vous comprendrez. Cest une raction dun jeune qui arrive, a vous passera. Vous tes chrtien. Quelques jours aprs, je suis convoqu par le colonel commandant du secteur.

04/09/08

Page 39 sur 214

CHAPITRE 3 Mut comme officier de renseignements

A cet gard, on doit aborder de front l'argument majeur de ceux qui ont pris leur parti de la torture : celle-ci a peut-tre permis de retrouver trente bombes, au prix d'un certain honneur, mais elle a suscit du mme coup cinquante terroristes nouveaux, qui oprant autrement et ailleurs, feront mourir plus d'innocents encore. Mme accepte au nom de ralisme et defficacit, la dchance ne sert rien, qu' accabler notre pays ses propres yeux et ceux de l'tranger. Albert Camus Actuelles III Gallimard.

04/09/08

Page 40 sur 214

Fin novembre, je suis finalement appel dans le bureau du capitaine. Japprends ma mutation au 2me bureau de renseignements du secteur. Je suis tonn. Le 2me bureau est le lieu o lon interroge, o lon torture, o les prisonniers subissent des svices. Il m'y affecte... En effet, quelques jours aprs, je suis reu par le colonel. Il me fait lui aussi le chapelet de la compassion. Je suis le meilleur officier appel. Je vous nomme officier de renseignement, un poste de confiance, pour la premire fois ici, donn un appel. Ils veulent me mouiller cest clair. Pour ma part, durant ces vingt-huit mois, je dis ce que je pense, je parle, maffronte aux cadres de carrire comme aux appels, parfois si primaires. Ils me laissent libres de parler. Les confrontations sont directes, les points de vue diffrents, voire opposs. Mais ils vont me muter de commandement, de postes, de missions, de lieux, des postes o je commande chaque fois des soldats diffrents, de plus en plus difficiles. Ce sont des mutations sanctions... Je suis Mila. Dans les bureaux du quartier gnral du colonel, jai rencontr trois soldats appels au quartier gnral du colonel, MG un agriculteur militant, GX, un jsuite, MT, un avocat de Bordeaux, puis laumnier militaire, trs ouvert, devenu un ami. Continuellement, jai son appui, comme celui des trois autres. Ds mon arrive, je suis tmoin de la scne suivante. Le lieutenant qui me commande au 2me bureau, reoit 5000 francs pris dans une mechta, en garde 3000 pour lui, acte courant. Il le fait devant moi. Il me fait visiter la salle des interrogatoires (corde pour les pendre, caoutchouc, installation pour leau ingurgiter durant les interrogatoires, fil pour le courant, fouet, baignoire). Je suis bien dcid ne pas faillir sous leur pression, respecter les prisonniers durant les interrogatoires que je mnerai moi-mme. Jai droit au dbut oprer de petits interrogatoires, mais l, tout est prt. Ils me font aller au centre de dtention appel centre de transit territorial : une horreur, dix, dans des cellules prvues pour un homme. L, hommes et femmes ensemble. Sans jugement, sans papier, sans aucune trace, prts disparatre. Pourtant la circulaire n 8443 prcise les conditions de la dtention (voir en annexe 1) et les dmarches lgales suivre obligatoirement. Trs peu respectent cette directive du 23/09/1959 du Dlgu Gnral. On ne les sanctionne pas. On fait comme si. On ne veut pas voir ni savoir. Tout cela doit rester cach aux Franais.04/09/08 Page 41 sur 214

Vauquier, le major directeur du centre de transit territorial, gros, gras, les yeux bouffis, m'cure. Quand je le connatrai mieux, ce major me dira : J'ai t Jociste*, les prisonniers sont bien traits, j'ai 214 prisonniers dtachs. Plusieurs restent plus de 3 mois. 21 sont en attente d'une dcision du colonel. Les prisonniers dtachs, je les libre sans les revoir. Beaucoup reviennent blesss des interrogatoires. Je les fais soigner. Il a 435 personnes assignes au CTT*, 87 personnes sont l depuis plus de trois mois en toute illgalit. Mais que deviennent les prisonniers une fois librs ? Qui dcide du temps d'emprisonnement : 3 mois... 6 mois ou plus ... Qui dcide d'envoyer les prisonniers l'officier de renseignement de Mila ? Ontils dj t interrogs ? Certains srement, pour les autres je n'ai pas eu de rponse prcise. Les prisonniers rests dans les postes sont-ils dclars officiellement ? Certains oui, d'autres non. La plupart en gnral, ne sont pas signals. Larme agit dans lillgalit la plus totale. Y a-t-il des visites permises des familles ? N'est-ce pas dangereux pour elles ? Non. Les visites sont refuses sauf exception. Ils ne sauront mme pas que leur pre, que leur frre, que leur fils a disparuqui sait o ? Ils ne connaissent pas non plus leur lieu de spulture, bien sr. On les a jets dans un puits, dans les environs de Fedj ou balancs dans un oued ou jets dun hlicoptre, comme les paras me lont affirm. Le samedi de fin novembre, le Capitaine POULLENC meurt dans lattaque dun convoi par LALN. Le lundi a lieu lenterrement avec tout ltat major du secteur. Le mardi, le major Vauquier, avec dautres militaires, va au restaurant AUGIER. Ils ftent ainsi davoir chapp la mort. Ils sortent compltement saouls 16 H, et tuent le soir six prisonniers dans une cellule du centre de tri. Les cadavres sont emports le lendemain dans le lit dun oued. Le commissaire de police de Fedj Mzala les aide. Un prisonnier reste accroch une branche. Ils le mitraillent. Ils lemportent sur les civires du centre de tri. Ils ont t gorgs avec une cordelette. Massacre ralis sans bruit. Personne na rien vu me dit le major Vauquier. Puis le Lieutenant Viron, mon chef, men parle directement Fedj-Mzala quand je suis venu visiter le centre territorial de transit. Un autre lieutenant de Fedj, Pac, le samedi, me raconte la mme version. Il rajoute : quatre mois auparavant, aprs la mort dun capitaine SAS *, quatre* * *

Membre de la Jeunesse Ouvrire Catholique Centre de Transit Territorial Section dAdministration Spciale

04/09/08

Page 42 sur 214

prisonniers ont t tus. Le commandant pense quun seul prisonnier a t tu. Ils craignent que ce commandant ne descende les voir et constate quil y a eu trois autres tus. Le Lieutenant Viron est averti par le major le mardi au tlphone 17h. Il demande quon se dbarrasse de ces prisonniers en montant un coup de main. Au 2me bureau, la situation des prisonniers mapparat dans toute son ampleur. Avoir des prisonniers, cest capital pour le commandant dun poste. La population ne donne pas de renseignement. Seul le prisonnier peut en donner et dire sous la torture o se cachent les soldats de lALN, o sont leurs caches de ravitaillement, quelle population les appuie, quelle embuscade ils prparent. Sous les tortures, le prisonnier parle, mme sil donne de faux renseignements. Il sera but (tu) au retour de lopration o il a t amen pour prciser les lieux. But, il le sera, quil parle ou pas. Une concurrence stablit entre chefs de poste pour garder les prisonniers au lieu de les diriger vers le 2me bureau de Mila. Ils veulent des faits darme. La guerre face un ennemi mobile, invisible, soutenu, cach par la popul