Carnet d'Algérie

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1 Pascal Leonardi Carnet d’Algérie Danaïde

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Une quête à la recherche de soi ou à la recherche de l'autre ? Tous deux sont enfants des deux rives. Lui part là bas de l'autre côté. Pourquoi, il ne le sait pas, au départ en tout cas ! Est ce pour reconstruire son identité ou bien pour elle... Un voyage où se melent la découverte d'un pays riche, beau, à la population accueilante et les paysages de sa passion amoureuse... Cherche editeur pour publication.

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Pascal Leonardi

Carnet d’Algérie

Danaïde

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Danaïde, Paris, 2009 ISBN 28-04-1974-1981

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A Sonia...

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Je ne dirais plus jamais je t’aime Parce que ce mot dans ma bouche n’appartient qu’à elle.

Je n’aimerai plus jamais personne d’autre Car sur tout l’amour que je peux donner il y a son nom à elle.

Plus jamais mon corps n’appartiendra à une autre Car mon corps est trop plein du souvenir d’elle.

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Mon itinéraire Francfort, le 2 décembre 2007…………………………………. 10 Tigzirt, le 5 décembre…………………………………………... 10 Tigzirt, le 6 décembre…………………………………………... 12 Tigzirt, le7 décembre…………………………………………… 17

Tigzirt, le 8 décembre ………………………………………….. 24 Beni Yenni, le 9 décembre……………………………………… 26 Beni Yenni – Tizi Ouzou – Alger , le 10 décembre…………… 31 Alger, le 11 décembre 2007…………………………………….. 32 Alger – Djamaa, le 12 décembre……………………………….. 33 Djamaa, le 13 décembre………………………………………… 36 Djamaa, le 14 décembre………………………………………… 41 Djamaa, le 15 décembre………………………………………… 47 Djamaa, le 16 décembre………………………………………… 50 Djamaa, le 17 décembre………………………………………… 54 Alger, du 18 au 24 décembre…………………………………… 57

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Francfort, le 2 décembre 2007 Je suis assis a une table au milieu de la salle d’embarquement pour Alger

et je scrute tout les visages : sont-ils algériens ? Ceux pour qui il y a un doute, sont-ils berbères ? Et le mien de visage, si on le regarde, que voit-on ? Que voient-ils ces algériens en me regardant, un autre algérien ou un français ?...

En tout cas je suis heureux d’être là, « parmi eux » à attendre le « retour au pays ». ALG sur mon billet. Ces trois lettres prennent un sens inouï. J’ai hâte, je suis si impatient.

(Etrange sentiment car j’ai comme l’impression de rentrer en un lieu pas du tout inconnu)

Habituellement quand je pars en voyage ou que je vais chez des gens « inconnus » il y a une certaine angoisse qui précède. Mais là absolument pas, Je suis serein. J’ai l’impression d’être attendu. Une partie de moi-même se trouve là bas depuis toujours. Elle m’attends pour m’accueillir et que nous nous retrouvions.

J’ai hâte d’arriver dans cette famille. Presque la mienne... des cousins, une tante...

J’essais de lire sur le visage des gens qui m’entourent le sentiment que ce voyage leur inspire... Des dates s’entrechoquent 1954-1962, 1989, 1994.

Tigzirt, le 5 décembre Hier Tina a eu huit ans. L’âge de Sonia lorsqu’elle a quittée son pays.

L’Algérie ce pays qu’elle n’a jamais revu. Voilà deux jours que moi j’ai posé le pied sur ce sol. Est-ce mon pays ou

celui de Sonia que je suis venu cherché ? Evidence... J’ai passé ces deux jours entre une vie de famille algérienne et de

longues marches entre El-Biar et le centre d’Alger. Déjà des heures de discussions avec Louisette et Mehdi sur la France / l’Algérie, la vie et ses souffrances. D’un côté les blessures du passé qui saignent sur la vie d’une mère dévouée et résignée, d’une femme attachante et malheureuse ; de l’autre la tradition et le poids des croyances qui absorbent – bouffe liberté d’un fils qui rêve et croit en un pays plein de promesses. Tous deux pourtant rêvent d’ailleurs, de l’autre côté de la méditerranée...

J’ai sillonné les rues d’Alger seul et en voiture avec Mehdi. La ville est très belle, Alger la Blanche, Alger la Bleue. Des enfilades d’immeubles haussmanniens blancs aux volets et balcons bleus. C’est très beau. Le dénivelé entre El-biar et le port est très important. Mes mollets s’en ressentent déjà ! Dans Alger il y a énormément de boutiques, la plupart luxueuses et propres. Je regarde toujours

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les gens, leurs visages. Je regarde cette population algérienne à la lumière du regard méfiant de Louisette et du regard enthousiaste et plein d’espoirs de Mehdi. La réalité se situe probablement entre les deux. « Méfis toi des barbus, ne leur parle pas » comme me dit Louisette.

Au retour d’une de mes

ballades je m’arrête boire un café et manger un gâteau dans un genre de bar populaire (55 dinards = 55centimes d’euros !). Après avoir, consommé et au moment de partir l’homme derrière le comptoir m’interpelle. - Tu es là pour du tourisme ou professionnel ? - Tourisme. Je lui avait dit auparavant que j’étais français. - Mais tu es algérien toi ? Me dit-il en me regardant avec un petit sourire.

J’étais fier de lui dire oui par mon père. Et je lui ai brièvement raconté mon histoire. L’échange s’est poursuivi, nous nous sommes serrés la main. IL m’a souhaité bonne chance, a embrassé ses doigts. Et je suis parti fier et heureux. Oui je suis d’ici ! C’est vrai que dans la rue personne ne me dévisage comme dans tous les autres pays où je suis allé.

Tout l’après midi d’hier et pendant notre soirée avec Mehdi je sentais monter en moi l’envie dévorante de continuer mon voyage. Il était temps de partir. Je restais silencieux, Mehdi l’a remarqué. J’étais également très préoccupé. Nous étions le quatre décembre, anniversaire de Tina. Et je sais que tous sont réunis chez Sonia. Sentiment étrange. Ils me manquent tellement.

Pendant ces 3 jours à Alger plusieurs fois dans les rues les larmes me sont venues. Sonia me manque trop. Tout ici me rappel a elle. L’immeuble familial que j’ai vu avec beaucoup d’émotion et où vit la famille de Hamid. La mère de Nina.

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Tigzirt, le 6 décembre

Je suis donc arrivé ici hier accompagné de Lyes, le second fils de Louisette. Louisette et Mehdi voulaient que je reste un peu plus avec eux à Alger. Mais j’étais investi d’une violente envie de poursuivre ma quête. Lyes a appelé un taxi clandestin, un ami et ancien collègue a lui pour m’emmener à la gare routière. Une fois dans le taxi il me propose si je le souhaite de m’emmener jusqu’à Tigzirt ! Je réfléchis et demande combien. Il me propose 1300 dinars soit 13 euros pour au moins deux heures de route (130 km dont la

moitié en montagne) OUI !! OK. Nous voilà donc partis tous les trois pour la Kabylie. Le chauffeur a la tête bien sympathique de bourvil. C’est d’ailleurs comme ça que ses amis français l’appellent. Il était videur dans le club de billard où Lyes était barman. Nous discutons toute la route. Le voyage est très sympas. On arrive dans les montagnes de Kabylie. C’est beau. On se réjouit tous les

trois de cette petite aventure qui les a fait quitté le béton et les embouteillages de la capitale. Il est marié et sa femme attend un bébé. Elle est malade des reins et de la vésicule. Je suis heureux de faire le voyage avec lui. J’ai aussi l’occasion de mieux connaître Lyes qui se confie. Il n’a rien avoir avec son frère Mehdi. A m’entendre leur donner mon itinéraire en Algérie, ils se demandent s’ils ne vont pas me suivre dans cette aventure jusqu’au Sahara. Lyes lui semble presque sérieux et me dit qu’il me rejoindra peut être le lendemain à Tigzirt. Tous les deux sont adorable et ne me lâcheront que lorsqu’ils auront trouvé un hôtel convenable pour moi. Il aura fallut faire 4 ou 5 hôtels différents pour que Bourvil en trouve un à sa convenance pour moi. Seul j’avoue que je me serais arrêté dans le premier venu. Après leur départ et m’être installé je sillonne la ville timidement en étudiant « le kabyle ». Il est tard dans l’après midi. Je meurs d’envie de partir pour Sidi Khaled.

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Sonia, Mounia, Maya, Nina, Hamid. Je suis chez eux... Mais la nuit va tomber donc je me résous à être patient. Pourquoi Sonia n’est pas là ? J’ai besoin d’elle. Que suis-je venu cherché ici en Algérie ? Est-ce un chez moi, une maison, un foyer sur les traces de Sonia ? Car en France son cœur s’est fermé a moi, je suis sans domicile, sans refuge. Je n’habite nul part. Je cherche ici a pénétrer l’espace de son passé pour me sentir bien sur le sol qu’elle a foulé et où elle s’est sentie chez elle jeune. Là où elle, son cœur, souhaite revenir « en pèlerinage », au temps de l’insouciance et du bonheur passé. Tout cela en vain sûrement car elle me manque de plus en plus dans ce voyage où elle est dans chacun de mes pas.

Je m’endors au son de Matoub Lounes qui passe dans le bar de l’hôtel à l’étage du dessous. On est bien en Kabylie ! Je me suis levé ce matin avec une seule idée en tête – la maison de Sidi Khaled. A peine levé je me suis habillé et je suis sorti. Un café au lait et un petit gâteau dans le premier bar. Un autre

café au lait dans un autre bar. Je suis aujourd’hui

plus à l’aise ici – les gens sont très sympathiques, polis, serviables. Et me voilà parti a pied

sur la route côtière qui va de Tigzirt à Sidi Khaled – je refais le chemin qu’ils faisaient tous les cinq. Dans chacun de mes pas sur cette route il y a Sonia et sa famille. Peut-être a-t-elle posée son petit pied de petite fille là où je pose le mien aujourd’hui – peut-être a-t-elle regardé le rocher, la colline, le paysage que je regarde aujourd’hui ? Les montagnes de Kabylie. Oh oui qu’ils sont

beau ces paysages. J’ai bien envie de m’y perdre dans ce maquis. Plus j’approche et plus je scrute pour trouver une petite maison perdue au milieu des broussailles. Il y a énormément de maisons neuves et en construction. Plus j’avance et plus se dessinent l’image que doit avoir cette maison tant espérée. Je traverse tout le village d’a peine 500m. je demande

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successivement a une, deux, trois personnes. Puis un petit monsieur tout frêle, Ali Bouhadine, qui m’embarque dans sa voiture pour aller voir tous les « anciens » qui seraient susceptibles de connaître la famille Moussaoui et leur maison. On va de maison en maison, de vieux en vieux. Ali est né ici, il est a la retraite après ses 32 ans de travail. Il entre dans les maisons, dans les commerces, arrête un camion sur la nationale en quête de la maison de Hamid Moussaoui et de ses petites filles qui venaient ici il y a une vingtaine d’année, l’été. Rien ! Je suis un peu déçu mais pas résigné, je reviendrais demain. Ali me ramène en voiture à Tigzirt où tous les après midi il vient boire son coup dans un petit café sur la plage. Je me dirige vers le petit bouiboui qui sert des sardines frites où j’ai mangé la veille. Là j’appel Nina et envois des SMS à Mounia. Ces échanges font monter l’émotion en moi. Les quelques indications qu’elles me donnent m’aideront demain.

Après une longue ballade en ville et sur la plage je finis la soirée dans le restaurant de l’hôtel entouré par de hommes qui picolent bières et vin rouge en écoutant des chansons douces (l’enfant et l’oiseau de Marie Myriam, des valses...). Amusant mélange du genre que j’ai déjà remarqué dans un bar en ville l’après midi : que des hommes qui boivent du lait, du chocolat, du thé... sur la carte il

y a même du lait fraise. Summum de la virilité ! Ce pays plein de paradoxes me plait beaucoup. Moi je mange un excellent mérou grillé avec une bière et un verre de rouge.

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Tigzirt, le 7 décembre Troisième jour à Tigzirt. Je suis assez fatigué car hier je me suis couché

tard. J’ai traîné devant la TV. Nouveau paradoxe algérien, ici il y a plusieurs centaines de chaînes dont toutes les françaises car la TV n’est que satellite. Les paraboles fleurissent tous les toits et les balcons. J’ouvre le volet et découvre un soleil magnifique dans un ciel bleu extraordinaire. Le port brille sous ma fenêtre. Depuis que je suis ici il n’y a toujours pas de bateau sauf quelques barquettes dans ce port vide déserté. Etrange. Une des première idées qui me traverse l’esprit c’est la maison. Il faut que je la trouve. Les rares indications que m’ont données Nina et Mounia m’ont travaillé toute la nuit.

Mais est-ce raisonnable ? trouver une petite maison qui doit plus ressembler à une cabane abandonnée depuis vingt ans dans le maquis en dehors d’un village où il n’y a ni rue, ni adresse, ni nom sur les portes, ni même de boites aux lettres. De plus en vingt ans de nombreuses maisons ont poussées comme des champignons et ont sûrement considérablement modifié le paysage qui m’a été décrit. Mais je ne peux pas me résigner, ce n’est pas possible je serais trop déçu. Je prends donc une douche. Je vais me manger un

mille feuilles et boire un jus d’orange dans une boulangerie (35Da) – boire un café au lait dans le café d’en face (15Da). Et me voilà reparti a pied pour une à deux heures de marche vers Sidi Khaled. Je prend mon temps le paysage est si beau que je m’arrête souvent. Je regarde la route et imagine a nouveau où vingt ans plus tôt ces trois petites filles ont posées leurs pieds. Après un dernier virage je vois au loin le village. Le village qui recèle le trésor de ma convoitise affective. Je scrute le maquis. Je suis hyper

concentré mais je ne vois rien. Nina m’a dit qu’elle devait être recouverte par les herbes donc je décide de m’y engouffrer après avoir demandé à un berger, un vieux qui n’aura pas pu m’aider. Je déambule entre les hautes herbes épineuses pendant de longues minutes avant de rejoindre un groupe de maison entre la route et la plage. Je vois une bâtisse en parpaing qui correspondrait mais elle n’a aucune ouverture aucun volet. Or selon Mounia il y a deux ou trois volets en bois. J’hésite et la prend en photo tout de même. Puis je poursuis ma longue exploration. Je circule entre les maisons neuve et luxueuses jusqu'à trouver au milieu un bout de maquis et une bâtisse grise qui en dépasse. Je vois sur une face un volet en bois. Mon cœur s’accélère. Une grille rouillée et déformée entoure le terrain. Comme un fou je m’engouffre dans les broussailles qui me griffent. Plus j’avance et plus j’en suis sûr c’est

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elle. Deux volets en bois, une porte en bois ... c’est elle. L’émotion me gagne. Je suis devant la porte. Je cherche partout, parterre, sur les murs, la certitude, une trace de cette petite fille de six ans.

C’est bien ici je le ressent. Mon cœur ne tient plus. J’ai trouvé leur maison en Kabylie. Je n’ai plus qu’une idée maintenant, y entrer. Je reste bien là trois quart d’heure une heure contre cette

maison avant de partir en quête des clés. Je frappe à la porte de la maison la plus proche et demande si la petite maison appartient à la famille Moussaoui et qui aurait les clés. Mais rien ! Un peu méfiant et curieux ils me répondent qu’ils ne connaissent pas. Je frappe a une deuxième, une troisième... Enfin j’interpelle une homme qui bricole dans sa cour et lui parle de la famille Moussaoui et de la maison... il me répond « la maison de Hamid ? ». Alors là j’aurais pu m’effondrer de soulagement et d’émotion en entendant ce prénom.

Enfin j’approche du but. Il s’agit de Boussad qui ira immédiatement chercher Ali. Ce sont les deux vieux amis de

Hamid. En pionnier ils se sont tous les trois installés les premiers ici il y a plus de vingt ans. A l’époque Ali avait aidé à la construction de la maison de Hamid. Hamid dormait soit dans une tente sur son terrain au milieu du maquis et souvent visité par le gibier du coin, des sangliers, soit dans un conteneur vert qu’Ali utilisait comme maison de fortune. Je suis si heureux de les entendre me parler de Hamid. Je crois que la réciproque est vraie. Ils sont heureux de voir ressurgir du passé les souvenir de leur cher ami Hamid.

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Je sens qu’il s’agissait de vrais amis et non de simples voisins. Je suis

bien tombé ! Nous partons maintenant en quête des clés. Ils ne savent pas exactement qui les a. C’était Areski un autre ami de Hamid, aujourd’hui en France. Peut être alors un gendarme de Tigzirt rencontré par Hamid dans l’avion entre Djamaa et Alger puis devenus amis. Nous arrêtons tous les gens du village, ceux qui passent sur la route, l’épicier. Ici tout le monde se connaît. De longues explications en Kabyle... depuis deux jours les habitants sont investis dans une vraie enquête sur les traces de cette petite famille d’il y a vingt ans. Le frère de Areski passe en mobylette, il s’arrête. Il semblerait que ce soit lui qui ait les clés. Il retourne chez lui les chercher. Il revient avec plein de clés qu’il confie a Ali. Et nous voilà partis Ali et moi sur le petit chemin qui descend vers la plage et où se trouve la maison. Pendant ce temps Boussad dit qu’il va préparer quelque chose a mangé. J’aime beaucoup Ali et sa façon de parler, très lente, saccadée et avec un fort accent. Un long manteau

sombre, un pull col en V détendu et une chemise a gros carreau en flanelle. On le croirait sorti d’un vieux cliché des années cinquante. On arrive devant la maison je sui excité. Il trouve la clé du gros cadenas et ouvre la porte. Ma récompense. J’entre et découvre cette petite maison sombre et modeste aux parpaings nus. Elle m’apparaît si belle. C’est un instant magique, je suis si ému. On ouvre les fenêtres et les volets. Il y a d’abord une petite cuisine. IL y a un vieux buffet ancien à droite, un réchaud et des gamelles à gauche sur une planche qui repose sur des tréteaux. Je vois trois gobelets en

plastique bleu. Peut-être ceux des filles ?! Sur le buffet un gros bol en bois qui ressemble plutôt à un pilon. Après la cuisine, il y a un petit renfoncement, les toilettes où se trouve empilé un tas de fatras. J’y découvre les sandales d’eau en plastique marron de Mounia et Maya. Je les prends dans mes mains. Je cherche des objets ayant pu appartenir a ma Sonia.

Et enfin la chambre avec une grande armoire ancienne, un grand sommier en latte de bois et deux grands fauteuils en bois. Je reste là dans la maison. Ali voit mon émotion et me laisse seul un instant. Je vais de pièce en pièce avec émotion en essayant de recréer la vie de cette petite famille si chère a mon cœur. Ces petites qui courent, qui jouent. Nina qui prépare les repas. Je suis ému, triste et heureux à la fois. Ma Sonia... Je me mets à aimer cette maison comme j’aime ceux qui y ont vécu. J’aimerais revenir avec Hamid et la terminer pour en faire une belle maison de vacances pour les filles. Moment difficile quand Ali referme la porte pour rendre les clés au frère d’Areski. La porte se referme a nouveau sur ce passé que j’ai fait revivre dans mon imagination l’espace de

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quelques minutes. (C’est comme si pendant ces quelques précieuses minutes j’avais pu pénétrer à nouveau le cœur de Sonia. Cette porte qui se referme me

rappel avec violence que la porte de son cœur s’est aujourd’hui refermée sur moi).

Ali et moi rentrons chez lui. Il me fait visiter une superbe maison encore en travaux bien qu’il l’ai commencé en même temps que Hamid a commencé la sienne il y a plus de vingt ans. Puis nous allons manger chez Boussad le repas que sa femme nous a improvisé. Discrète je ne la verrais que quelques secondes le temps d’un

timide salut avant quelle ne disparaisse. Nous mangerons entre homme. Soupe de légume du

jardin, pattes en sauce et choucroute Kabyle. On parle du passé, de Hamid, de ce qu’il devient. Mais on parle aussi de la vie, de l’Algérie. Après le repas on regarde quelques photos. Comme moi Boussad a été adopté, il a vécu jusqu'à quatorze ans en Belgique. Boussad et Ali sont géologues. Enfin ils m’emmèneront visiter Taksept, un village romain que les Kabyles ont habité plus de mille ans. Cela ne fait qu’une trentaine

d’années qu’ils l’ont quasiment déserté pour venir habiter dans la vallée. Le village est magnifique, tout de pierre taillées, apposées, ajustées, une merveille d’architecture rurale. Il y flotte quelque chose de mystérieux et envahissant comme dans toutes les cités en ruines qui portent la charge du temps et de l’histoire. A la tombée de la nuit ils me ramèneront en voiture à Tigzirt jusqu’à mon hôtel accompagné du « général », un vieux fou qui habite toujours les ruines de Taksept et qui s’est invité d’office dans la voiture de Boussad.

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Tigzirt, le 8 décembre Dernière journée à Tigzirt. J’ai décidé de partir demain. Ca y est je l’ai vu celui qui boit des laits fraise ! Ce matin en prenant

mon petit déjeuner dans mon bar habituel. Je remarque à la table voisine parmi trois hommes que l’un d’entre eux à un lait fraise en face de lui. J’ai très envie de rire, je me retiens et ne fait que sourire.

Aujourd’hui pour dernier jour je prévois un dernier voyage à Sidi Khaled, un dernier adieu. Je refais le chemin seul a pied, lentement. Pour rien au monde je n’aurais fais ces cinq à six kilomètres en voiture. Ils les faisaient à pied et même ma petite Sonia de six ans. En chemin je revois toutes ces ordures amassées le long de la route. Quel dommage d’abîmer un tel paysage ! Boussad hier m’a expliqué que les algériens sont à l’ère de la consommation mais qu’ils n’ont pas encore mis en place le traitement de cette masse de déchets conséquent de ce nouveau mode de vie. Rien n’existe. Il faut traiter et recycler soi même comme on peut. Le problème c’est surtout le plastique et les bouteilles en verre d’alcool. Et oui ne buvant normalement pas d’alcool, les algériens font suivre a ces bouteilles des « circuits non officiels » pour leur traitement, soit le bord de la route. Tout cela me donne plein d’idées. Tout le secteur du traitement des déchets est a prendre : impliquer la population en leur achetant la matière triées et revendre aux industries qui traitent ces déchets ailleurs, ou mettre en place ces structures en s’inspirant d’autres pays si elles n’existent pas ici... il y a aussi une grosse carence dans la protection du patrimoine et son exploitation. Je l’ai vu hier à Taksept. Des idées me viennent. J’ai envie d’adopter ce pays comme j’ai adopté ma famille de cœur. Les gens sont si accueillants et gentils. Ici en Kabylie c’est vraiment une autre Algérie comme Nina me l’avait dit ! Pas de voiles, pas de « barbus ». On se croirait avec le paysage, en Corse.

J’arrive enfin à la petite maison que je regarde avec affection. Sa modestie par rapport à celles qui l’entourent me touche beaucoup. Une maison simple qui m’inspire un bonheur simple. Avant ce dernier au revoir je vais sur la plage. Je fais une très longue ballade méditative. Les réflexions se bousculent. Nul besoin de préciser quels en sont les sujets ! Je marche sur la plage de Sidi Khaled et ma main est vide. Pourquoi ? Malgré cette légère mélancolie je suis bien ici. Cette petite maison abandonnée n’est pas loin

et elle est comme un refuge symbolique. Elle a jadis hébergé toute la joie, l’insouciance, les rires, les jeux, le bonheur et l’insouciance d’une petite fille de six ans. Je décide enfin de remonter de la plage dire au revoir à ce qui est bien plus qu’une maisonnette perdue dans le maquis. J’en fais le tour, l’observe un long moment encore. Je lui laisse une petite trace de mon passage. Et doucement je la quitte. Ce n’est j’espère qu’un court au revoir car je reviendrais un jour prochain et accompagné cette fois. Très pensif, le cœur lourd, je refais tout le chemin inverse, a pied pour la première fois, comme lorsque leurs vacances étaient finies il y a vingt ans.

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Beni Yenni, le 9 décembre Je me suis levé tôt ce matin et ai pris la route pour Tizi Ouzou. Dans le

minibus je regarde le paysage magnifique des montagnes kabyles qui défile devant moi. Je ne sais pas encore ce que je ferais arrivé a Tizi Ouzou :

- rester à Tizi pour visiter le fief des grands noms de la Kabylie : Idir, Matoub...

- repartir pour Alger, m’y arrêter un peu avant le Sahara. - Ou aller à Beni Yenni, un tout petit village de montagne très reculé,

près du plus haut sommet de Kabylie, le Djurdjura. Pourquoi Beni Yenni, d’où me vient cette idée ? Eh bien parce que c’est

ici dans ce village que sont nés les bijoux Aït Yenni. Ce sont les bijoux communément appelés bijoux Kabyles. La tribu de Beni Yenni travaillait traditionnellement l’argent, le corail et les émaux pour faire divers objets sculptés. Et ils ont appliqués ce savoir-faire aux bijoux qui constituaient traditionnellement la dote de la jeune mariée. Dans la parure on trouve entre autre des broches de front ou de poitrine (tavrucht), des fibules (tavzimt), ceinture (tahzant), colliers (azrar), des bracelets (azevg), des bagues (tikhutam) et des boucles d’oreilles (talukin). La légende dit qu’autrefois afin de préserver jalousement ce savoir-faire on ne se mariait qu’entre Beni Yenni. Aujourd’hui il ne reste plus qu’une pauvre soixantaine d’artisans descendants de Beni Yenni.

Me sentant depuis ce matin très apaisé, serein, détendu, je décide donc en arrivant à Tizi d’aller me perdre aux fin fonds des montagnes Kabyles. Après quelques errances à pied dans Tizi me voilà parti pour Beni Yenni. Sur les routes escarpées de la montagne je n’en crois pas mes yeux, les paysages sont indicibles. Les montagnes très abruptes sont intégralement recouvertes de forêts et végétation dense, luxuriante, abondante, riche et grasse. Sur la crête des hautes montagnes on voit nichés des petites maisons en pierre, des villages en terre comme incrustés naturellement dans la montagne. C’est tout simplement magnifique. Sur les plus hauts sommets visibles, le Djurdjura probablement, je vois de la neige. La route dure environ quarante cinq minutes. Quarante cinq minutes de bonheur et d’exaltation. Le chauffeur me dépose devant l’auberge du Bracelet d’argent qui se trouve au pied du village (La course 60Da). Je demande une chambre simple. Je paie effectivement le prix d’une chambre simple mais me retrouve dans une chambre vaste et presque luxueuse. Trois lits, belle décoration, TV, terrasse avec vue sur le Djurdjura, baignoire, frigo... 1650Da. Il y a même du papier dans les toilettes. Détail apparemment insignifiant mais c’est la première fois que j’en vois depuis mon arrivée. Rapidement je quitte ma chambre et m’engage dans le petit village. Plus de Salamalikoum, ici on est en Kabylie profonde c’est donc plutôt du Azoul ou du Svalkher (azoul félaoun lorsque c’est adressé à un groupe de personne ; azoul felem pour une femme et azoul felegh pour un homme). La plupart des femmes sont en robe Kabyle. C’est une merveille. Les vieilles sont assises par terre en groupe de quatre ou cinq et elles discutent.

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On croise aussi pas mal de vieux en burnous noir ou marron taillés dans une épaisse étoffe. On croirait des ermites ou des moines tout droit sortis du Moyen-âge. Les rues aussi sont aussi moyenâgeuses : très étroites, biscornues, chaotiques, faites de pierre et de terre – des couleurs chaudes qui rappèlent la nature. De temps en temps entre deux baraques défoncées on aperçoit les hautes montagnes de l’autre côté de la vallée. Le tout dans un silence absolu, paisible (J’ai à certains moments l’impression de revivre le mysticisme et l’ambiance impénétrable, ténébreuse qui plane sur des scènes que j’ai lu dans le nom de la rose d’Umberto Eco). Sur les murs sont dessinées des sigles ancestraux. Plus loin sont dessinés des visages plus contemporains. Je reconnais entre autre Idir, Aït Menguelet et Matoub Lounes. Ce village pittoresque est un vrai bonheur, un havre de paix. Je croise enfin des bijoutiers regroupés dans un coin du village a flan de montagne. Des bijoux Kabyles par centaines – toutes les formes, tous les motifs. Ces échoppes artisanales recèlent des trésors dignes des plus grands musées. S’il est un endroit au monde où acheter des bijoux Kabyles c’est ici. Pour l’authenticité d’une part et parce que cette production artisanale de bijoux constitue 60% des revenus de la région. Je m’engouffre donc dans une de ces boutiques pour y trouver quelques trésors et discuter un long moment avec l’artisan sur les bijoux bien sur mais aussi de sujets plus généraux. Il m’apprendra par exemple que les émaux des bijoux Kabyles viennent de France, de Limoges car c’est là qu’ils sont les plus beaux. Ce qui m’étonne beaucoup et m’amuse. Mes achats faits je retourne tranquillement à l’auberge.

Je suis actuellement assis à une table dans un près derrière l’auberge. En face de moi se dressent les montagnes coiffées par des petits villages, la vallée et le monumental Djurdjura. Je vois des vaches paître, des moutons avec leurs bergers et des ânes. Le paradis de la tranquillité doit être ici ! Je crois que je suis le seul client de l’auberge. Le soir dans le restaurant de l’auberge je suis effectivement le seul ce qui me donne l’occasion d’une longue conversation avec le serveur qui n’a que moi a s’occuper. Nous discutons de beaucoup de choses : patrimoine, tourisme, littérature, musique, tout cela sur fond de Kabylie et tradition Kabyle. Un homme très intéressant et cultivé. Il semble heureux lui aussi de pouvoir discuter avec moi. J’ai ce sentiment que j’ai eu a chacune de mes conversation et qui se précise de plus en plus que les gens trouvent en moi, petit français un souffle venu d’ailleurs. Un besoin d’ailleurs ou plutôt un besoin de reconnaissance de ce qu’ils sont par les autres. J’apprends lors de cette conversation que de nombreuses élites algériennes sont Kabyles et de cette région même – Idir est de Beni Yenni. Je comprends donc mieux cette immense peinture sur un immeuble du village. Aït Menguelet est d’un village voisin. Mais aussi le conservateur du patrimoine algérien, un anthropologue maintenant à Alger. Des hommes de Lettres sont de Beni Yenni comme Mouloud Mamri, Kateb Yacin (Nedjma). Outre la tradition des bijoux j’apprends que cette région a vu naître aussi la tradition de la poterie à Ain-el-hammam et de la tapisserie à Mitra.

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Beni Yenni – Tizi Ouzou – Alger , le 10 décembre Beni Yenni – Tizi en taxi collectif. Confortable et agréable. Je me

ballade un peu a Tizi, capitale de la grande Kabylie. Puis je me dirige vers la gare routière pour prendre un car vers Alger. Le grand luxe pour 120 Da seulement !

En arrivant a Alger différents sentiments m’envahissent – ceux habituels lorsque je suis à mi-chemin de tous mes voyages itinérants :

� S’esquisse de mieux en mieux quel environnement, quel ton à donner a mon voyage. Et je me rends compte en l’occurrence que c’est plutôt l’isolement de la retraite rurale que je cherche. Le retour dans le brouhaha et l’effervescence de la grande ville me gène bien que je sois maintenant très à l’aise ici. Seuls me manquent les petits plats familiaux de Louisette.

� En revenant sur mes pas (à Alger) je revois des endroits connus et j’ai le sentiment d’un retour à la maison.

Arrivé à la gare routière d’Alger je prends les transports en commun, bus 113 direction Sahar-Chuhada (place des martyrs, là où se trouvent les deux grandes mosquées dont une millénaire) puis j’enchaîne avec le bus 50 direction El-biar.

Une certaine émotion m’envahie quand le bus me dépose juste devant l’immeuble de famille (maison de Sonia à El Biar). Je finis à pied. Je suis content de tous les retrouver et de leur raconter mon périple.

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Alger, le 11 décembre 2007 Double attentat terroriste à Alger dont un à Ben-Aknoun (quelques

centaines de mètres de la maison). Le haut de la porte fenêtre contre laquelle je suis adossé dans la cuisine vole... Louisette et moi poussons un cri !

... dans la journée je me rends seul sur les lieux ...

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Alger – Djamaa, le 12 décembre

Je me lève très tôt pour aller à la gare routière par les transports en commun. La gare routière est au moins à une dizaine de km d’Alger. Mehdi se prépare pour aller travailler. Je déjeune dans la cuisine puis je pars. Le 50, le 113 et me voilà après quelques embouteillages à la gare routière. Je prends mon billet Alger-Djamaa 750 Da. J’ai une heure trente à attendre avant le départ qui est a onze heure trente. Je regarde les personnes qui arrivent dans la zone d’embarquement. Les visages sont différents : foncés – des gens du désert – il y a un grand touareg avec sa fille. Il est très grand et fin. Il a un foulard enroulé sur la

tête qui lui cache tout le visage. IL a une élégance folle. Ses déplacements sont lents et assurés. Il respire la sagesse et la sérénité. Nous partons enfin ! Après les quelques

embouteillages on quitte la ville pour des paysages plus naturels. Rapidement on arrive dans les montagnes. Puis au fil de ces huit-dix heures de voyage, les paysages déferlent tous aussi beaux. Progressivement la puissance virile des hautes montagnes s’efface pour laisser place à l’intensité et à la profondeur du désert. Collines, ondulations, steppes arides, plaines. Le paysage se dénude, la végétation disparaît lentement par étapes. La terre mets a nue sous mes yeux qui débordent de plaisir. La beauté est telle ici qu’on en oubli le temps du voyage la bêtise humaine et les blessures de la veille. La nuit tombe mais il reste au moins

deux à trois heures de route. Le spectacle continu. Au fur et à mesure que le paysage disparaît dans l’obscurité, le ciel prend le relais. Couché de soleil aux couleurs douces, puis un champ d’étoiles magnifiques. Petit à petit j’approche de Djamaa, ville du désert où grandit Sonia. Mon esprit commence à travailler. Je suis submergé par un tas

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d’émotions confuses, d’idées et de souvenirs plus ou moins désagréables. Je me remémore cette année passée – douleur, colère, rancœur, incompréhension. Je ne contrôle pas ce qui me traverse l’esprit. Sonia, le mur d’un mètre quatre-vingt-six qui me sépare d’elle... Nina, Patrick, moi... Qu’est ce que je fais ici ? Les kilomètres défilent. Le malaise. Je l’aime tant. Mon Amour pour elle m’aura conduit jusqu’aux portes du Sahara. Je lui en veux de ne pas être là ! Djamaa soixante kilomètres indique un panneau – ça devient concret. Une autre forme d’excitation me gagne. Djamaa cinquante kilomètres – la colère et tous les sentiments négatifs s’effacent. Djamaa dix kilomètres – je n’y crois pas j’arrive au pays de ma Sonia, je suis chez elle. Lorsque le car me dépose, il fait totalement nuit et je suis envahi par un sentiment de bonheur. Je regarde les rues en avançant. CE sont ses rues, c’est sa ville. Je suis heureux et excité. J’ai de l’affection pour cette ville que je découvre à peine parce qu’elle a vue grandir celle que j’aime. Et pourtant tout ici est des plus dépaysant. C’est comme si ce bus m’avait débarqué d’un seul coup dans un autre pays sur un autre continent. C’est une ville du désert. J’arrive a l’auberge de jeunesse et je me rend rapidement compte que je n’ai plus mon passeport. Le jeune hôtelier en burnous me dit alors qu’il y a un problème. Ils ont des directives de la police qui évidement sont appliquées scrupuleusement depuis les attentats de la veille. Ils doivent me signaler à la Police, ce qu’ils font rapidement sans que je m’en rende vraiment compte car après quelques discussions et après que d’autres clients aient pu eux normalement trouver une chambre, deux policiers sont dans le bureau derrière moi. Une discussion très cordiale débute. Mais je me retrouve rapidement dans un gros véhicule de Police entre deux agents puis au poste. J’y passe bien une heure à raconter toujours dans une discussion très cordiale voir même amicale mon histoire, d’où je viens et ce que je suis venu faire à Djamaa (petite ville perdue aux porte du désert où il est effectivement a priori étrange de voir y venir un touriste français. Oui pourquoi Djamaa ?) : pour venir voir la ville d’enfance de ma fiancée, la fille du professeur de français Hamid Moussaoui. Je dois répéter mon histoire plusieurs fois. Certains connaissent Hamid Moussaoui. Enfin ils me ramènent à l’auberge en 4�4 et à cinq agents. Quelle aventure ! Un peu de piquant !

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Djamaa, le 13 décembre Je me réveille à Djamaa, j’ai du mal à réaliser. Ce matin je dois

retourner au commissariat pour récupérer ma carte d’identité et faire une déclaration de perte de mon passeport. En chemin je rencontre un gars avec qui j’ai vaguement discuté la veille à l’auberge. Je prend mon petit déjeuner avec lui. Il vient de devenir joueur de foot, se marier avec une française pour venir en France ! Amusant, pathétique... Me revoilà au commissariat que je met un peu de temps a retrouver car il se trouve a l’autre bout de la ville. Je suis introduit chez ce qui doit être le

commissaire et lui raconte à nouveau toute mon histoire. Je lui cite également le nom de Driss Bekhouche, ami et collègue de Hamid. C’est chez cet ami que Nina et Mounia sont venues en 2005. Je dois dire dans cette histoire que le nom de Hamid Moussaoui m’aura beaucoup facilité les choses. Vingt ans qu’il est parti mais son souvenir est encore présent dans la tête de beaucoup. Incroyable mais certains policiers l’ont même eu comme professeur. Le commissaire veut tout de même faire venir ce Driss Bekhouche pour qu’il établisse le lien avec Hamid et confirme mon histoire. Je suis « libéré » le temps que soit établie la déclaration de perte de mon passeport. Je vais donc pendant environ une heure et demie errer dans la ville et la palmeraie. C’est sublime et si dépaysant. J’imagine que ma Sonia a grandi ici et je

vois l’attachement qu’elle a aujourd’hui pour Djamaa. Je la vois d’un œil nouveau. D’un seul coup je suis très impressionné par ma Sonia. Je crois que je ne l’en aimerais que plus ma petite femme du désert. Je suis complètement envahi par ce sentiment. Je marche au moins une heure à travers la palmeraie et tombe de magnifiques ruines, toute une ville fantôme, jaune sable avec des voûtes partout, des enchevêtrements de petites pièces exigus dans lesquelles je m’engouffre. Malheureusement l’heure tourne et je dois retourner au commissariat. A contre cœur je fais demi-tour. Mr Driss Bekhouche était là à m’attendre dans le bureau du commissaire. J’apprends qu’ils sont allés le chercher chez lui. Je suis très gêné et désolé que cette première rencontre se passe dans de telles circonstances au commissariat. Je m’excuse au près de lui, mais son sourire et son accueil me rassurent un peu. Ici il est très connu, le commissaire est un ami. Il dit me prendre en charge sans problème. Le commissaire me dit alors que tout est réglé. Samedi j’aurai le document qui me permettra d’aller au consulat de France et de faire le nécessaire pour rentrer en France.

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Driss et moi partons donc a pied pour chez lui. Nous arrivons devant chez lui mais il ne m’emmène pas chez lui – Oh surprise ! – mais dans la maison de Sonia, Mounia, Maya, Nina et Hamid. Je reconnais la façade pour l’avoir vue en photo avec la petite Sonia devant. Driss me dit vient on va la visiter. Incroyable, elle a été vendue a un médecin qui fait des travaux avant de l’habiter donc elle est ouverte vide et accessible. C’est déjà surréaliste de voir cette maison en vrai mais voilà maintenant que je suis dedans. Tout va trop vite je n’ai pas le temps de réaliser, je suis dépassé je ne comprend rien. Driss me fait faire le tour en m’indiquant ce qu’était chaque pièce à l’époque. La chambre des parents à gauche puis celle des petites. Ma Sonia dormait là !!! La cuisine le salon une immense cour en forme de L. Je suis si heureux de voir tout ça. Elles me manquent, j’ai hâte de partager ça avec elles. J’ai du mal a y croire. Nous montons sur le toit Oui il y a maintenant un escalier dans l’entrée qui conduit sur une terrasse. Je prends bien sûr plein de photos de l’intérieur de la maison comme à Sidi Khaled. Et nous voilà maintenant chez Driss, dans la pièce où Mounia et Nina ont dormis en 2005. Je suis assis sur le lit de Mounia. Driss me présente ses enfants. Il fait des aller retours entre ici et la cuisine pour préparer un repas. Chaque fois qu’il sort de la pièce je me

précipite et regarde par la fenêtre la façade de la maison d’en face, but de mon voyage ici. Je n’arrive décidément pas à y croire. Des salves d’émotion que je m’efforce de contenir me submergent. C’est toute l’émotion de l’attachement que je leur porte qui remonte en moi.

Nous mangeons salade de betterave et dattes avec du lait, dessert traditionnel. Après le repas c’est parti pour une petite ballade dans la voiture de Driss qui semble très heureux de ma présence bien que totalement inattendue. Je ne sais pas où il veut m’emmener mais je

m’aperçois rapidement que je n’ai besoin de rien lui demander. Driss lit dans mes pensées. J’oubliais de dire que pendant notre repas je lui ai expliqué mon histoire et que nous avons le même nom (Pascal Karim gilles Bekkouche). Il n’en revient pas ! Il me montrera plein de photos et m’en offrira une spéciale où figurent Sonia, Mounia et Maya ! Plus de doute tout cela n’est pas un rêve.

Notre premier arrêt surprise, le plus évident pour moi après sa maison, son école. Oui l’école de Sonia, sa petite école. Je dispose avec moi de deux laisser passer universels à Djamaa : Driss connu de tous et très influent, et Hamid, mon beau père dont la réputation ici, plus de vingt-deux ans après son départ, est toujours intact, et cela ne fera que se confirmer toute la journée. Incroyable nous entrons dans l’école pleine de petits enfants. Driss connaît le directeur qui lui connaît Hamid. La cour est pleine, les enfants courent, jouent. La petite Sonia aurait pu être là parmi eux. Bon dans le temps, je les regarde ébahi. Je suis comblé, comblé, comblé. Je regarde les murs, les arbres, le monsieur assis en blouse blanche qui surveille tous ces bambins agités.

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J’imagine ma petite Sonia au milieu courant, sautant, jouant, criant avec les autres. Nous repartons après avoir échangés quelques mots avec le directeur et une institutrice ancienne élève de Hamid.

Nous allons maintenant faire un tour du côté des dunes hors de la ville. Le sable y est blanc et fin... On ne s’attarde pas car Driss me dit avoir un rendez-vous. Nous passons tout de même par le « CM » (collège) où Hamid et Driss maintenant à la retraite donnaient leurs cours. Driss me demande « tu veux entrer ? Le directeur est un ami. » Evidemment je répond OUI ! Je rentre donc dans la cour entourée de quatorze classes où Hamid enseignait le français. Un petit groupe d’élèves, essentiellement des filles, nous regarde. Tout cela est fou. Je suis a près de trois mille kilomètres de ceux dont je suis en train de parcourir le passé et dont chacun de mes pas ici me rapproche d’eux. Ils sont si loin et pourtant jamais je n’ai été si proche d’eux.

Driss me ramène à l’hôtel le temps de sa course. J’en profite pour me détendre, griffonner quelques lignes et me remettre de toutes ces émotions. Je crois qu’il ne peut plus rien m’arriver de plus ! Et bien si ! C’était sans compter sur la réputation de Hamid. Le directeur de l’Hôtel est un ancien élève de Hamid. Alors quand Driss lui dit que je sui le gendre de Hamid, je passe du statut de simple client à celui de privilégié : je suis invité au mariage de son neveu qui se déroule aujourd’hui même. Nous allons donc d’abord à la cérémonie religieuse où curieusement aucun des deux époux n’est présent. Ce sont les pères qui les représentent dans la religion musulmane. C’est ici un mariage traditionnel d’un peuple du désert – costume, cérémonie, tir au fusil traditionnel, danse, le tout en plein air. Le père de la mariée demande au père du marié s’il accepte de prendre sa fille et la dote qui l’accompagne. Le tout est répété trois fois et arboré de sourates du Coran afin que tout le public soit témoin. Il est important dans la tradition qu’un maximum de personnes soit présent et témoin. Ainsi lorsque la femme se promènera au bras de son mari on saura qu’elle lui est mariée et son honneur sera sauf. On distribue pendant la cérémonie des cacahuètes et on nous parfume !? J’essais de singer tous les gestes que font les autres et qui participent de la cérémonie. Driss m’explique et me guide. Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y à la que les hommes ? Les femmes sont réunies ailleurs. Durant l’après midi a eu lieu une fantasia a laquelle je n’ai pas assisté mais que j’ai pu entendre de la fenêtre de ma chambre où je me reposais. Le soir nous irons au repas. Très différent de « chez nous » où le repas dur, s’éternise. Ici il faut se dépêcher pour laisser la place aux autres. Eh oui il y a tellement de monde ! Donc on engloutit une chorba, des olives et du mouton (une tagine), de la salade, des mandarines... eh hop au suivant ! Pendant cette soirée j’aurai croisé au moins une douzaine

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de personnes ayant eu Hamid comme collègue ou professeur. Les anciens élèves de Hamid que je croise sont aujourd’hui professeur à leur tour ou travaillent dans des institutions occupant des postes a responsabilités. Bravo Hamid ! Après ce repas expédié, une danse traditionnelle et quelques coup de

feu détonnant. Nous feront le tour de quelques amis de Driss et Hamid pour finir chez un professeur de français assis par terre sur des tapis à boire du thé et à partir dans de riches discussions. Nous rejoindrons trois amis. Des

discussions où s’entremêle Français et Arabe. C’est génial. Les hommes sont en burnous. Et non les hommes en burnous ne sont pas tous moines ou ermites. Ils sont professeur, fonctionnaires, policier, économe... Ca me donne envie d’en porter un car il fait maintenant un peu frais. Excellentissime soirée pour tous. Je leur apporte un peu de France, ils m’apportent un peu de désert. Fabuleuse journée. Je vais m’endormir au son des tambours et autres instruments traditionnels des festivités du mariage qui se poursuivront toute la nuit.

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Djamaa, le 14 décembre Je vais déjeuner au bar d’hier que j’avais trouvé sympathique. Comme

d’habitude mon café au lait et mille feuille. Je suis en terrasse. Je surveille la route du coin de l’œil car Driss doit passer me prendre à l’auberge. Un vieux en burnous avec une canne vient s’asseoir a ma table. Ici c’est normal, on s’assoit à n’importe quelle table du moment qu’une chaise est libre. Salamalikoum ! Je finis tranquillement mon petit déjeuner avant de voir passer la voiture de Driss. Il m’a vu et s’arrête. Il m’emmène dans le bar de son ami, un professeur de français, ancien élève de Hamid. Décidément ! Maintenant partout où je passe et où l’on sait que je suis le gendre de Hamid, je suis un invité. Le thé nous est donc offert. Il s’assied à notre table. Entre autre discussions intéressantes nous parlons du temps passé, de Hamid. Il semble vraiment le porter dans son cœur. Je le vois dans ses yeux nostalgiques et plein d’affection. C’est touchant ! Sinon comme la veille nous parlons du système éducatif algérien, de la France et de l’Algérie. Après avoir englouti plusieurs thés, le temps de partir arrive. Encore une fois c’est un au revoir plein d’espérance et de sincérité. Il veut absolument que je repasse le voir avant mon

départ. Les gens sont décidément très attachants ici en Algérie. L’amour franco-algérien est fort de l’Algérie vers la France. Quel dommage que la réciproque ne soit pas vraie en France...

Je suis invité a manger chez Driss. Sa femme nous a préparé un repas. Je me fais une fête de faire un repas de famille. Mais je suis vite déçu de voir que nous

serons seuls à

manger Driss et moi. Les enfants sont là mais ne mangent pas, sa femme est probablement restée en cuisine. Sarah, la fille de Driss nous apporte les plats. Superbe couscous. Nous mangeons aux sons de Linda Lemay, Otis Redding. Plutôt curieux ce mélange musical avec le Sahara, amusant ! Driss ainsi ne cessera pas de me montrer sa culture et son amour pour l’Europe. La France et la Belgique où il a un frère qui a monté avec succès une affaire de restauration.

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A la fin du repas Sarah et son grand frère nous rejoignent. Sarah est vraiment adorable, elle est très douce et délicate. Je veux la prendre en photo mais elle refuse tant qu’elle ne se sera pas recoiffée... coquette. Elle aussi tient a me prendre en photo avec un téléphone. Et elle me donne une petite photo d’identité d’elle pour que je la donne à Nina.

Nous voilà reparti en ballade avec Driss. Je lui dit que j’aimerais voir le désert. Il me répond que nous allons aller dans un village à une quinzaine de kilomètres et que l’on passera par le désert. Effectivement on se retrouve rapidement dans le désert. C’est magnifique, si émouvant. J’ai d’un seul coup une énorme pensé pour Mounia avec qui je partage cet instant. Driss me parle mais

je ne peux plus répondre. Je ne peux que rester silencieux devant cette immensité. Nous arrivons dans un vieux village hors du temps. Il est entièrement fait de murs en pierre jaune ocre. C’est superbe. On prend un thé chez un ami puis on repart pour arriver sur une petite place vierge ou une grande cour on ne sait pas vraiment. Le sol est en terre. Les murs d’enceinte assez bas ressemblent à des vestiges d’une civilisation ancienne. Là deux ou trois tapis contre un mur et trois hommes assis par terre à boire du thé. Burnous, turban de touareg. Je me croirais deux milles ans en arrière, c’est magique. L’espace et le temps se confondent. On passe là un long moment à boire du thé et à discuter en Français, en Arabe. Vu le cadre, on parlerait en araméen que cela ne serait pas étonnant ! Le temps s’est arrêté ici. Un des hommes semble le centre des discussions car il a récemment été agressé à Djamaa. On lui a volé sa paye qu’il venait de retirer intégralement à la poste. Oui ici pas de banque, l’argent arrive à la poste mais on ne sait jamais trop quand. Parfois avec un mois ou deux de retard. Ce qui donne l’occasion de voir des attroupements le matin devant la poste pour être le premier servi si la poste a été approvisionnée. Bref ce monsieur a également été blessé, il a le bras dans des bandages. On écoute son récit et tout le monde lui apporte son soutien.

Sur le retour vers Djamaa je ne peux m’empêcher de demander a Driss de s’arrêter dans les dunes où je vais aller me perdre seul à quelques mètres mais quelques trop court instants. Silence, sérénité, vide apaisant.

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Djamaa, le 15 décembre Halte à la police car c’est aujourd’hui que je dois récupérer le procès

verbal de la déclaration de perte de mon passeport. Les lenteurs administratives, lourd et inutile héritage de l’administration française : ce n’est pas encore prêt, je devrais repasser l’après midi. Driss peut néanmoins récupérer sa carte d’identité qu’il avait laissé en gage. Tous les policiers viennent me voir pour me serrer la main et échanger quelques mots avec moi. Il semblerait que je sois maintenant connu !

Pendant son temps libre Driss est retraité depuis un moment fait office d’écrivain public ambulant. Nous allons chez un homme qui veut faire une demande de visa long séjour pour rejoindre sa famille en France, pour l’aider a constituer le dossier. Obtenir un visa ici est une mission impossible !

Driss l’an passé a été reçu a un concours (de même que son ami prof chez qui nous avons été invité a boire le thé dans son café un peu plus tôt). Ce concours lui permettait de venir faire une troisième année universitaire en France, à Strasbourg, pour obtenir un Master. L’université avait accepté son inscription pour l’année. Driss avait trouvé le moyen de financer son année. Tout semblait donc honnête et en règle comme démarche. Mais pas suffisamment pour notre administration française puisqu’il n’a pas pu obtenir son visa. La France lui réclamait un relevé de compte bancaire avec au moins cinq mille euros dessus !! Quand on sait que le revenu moyen ici est de trois cent à quatre cent euros net par mois, est ce raisonnable ? Nous même ici en France avec des salaires trois à cinq fois supérieur, combien peuvent prétendre posséder un tel compte en banque ? Il faut également préciser que pour faire une demande de visa un algérien doit donner quatre vingt euros (entre ¼ et 1/5 du salaire moyen) à l’état français qu’il ne reverra jamais que sa demande soit accepté ou refusé. Qui est le voleur dans cette histoire ? « L’Arabe » ou l’état Français ?

Au retour nous sommes allés nous balader dans la palmeraie du côté de Tigdidine après avoir traversé le vieux Djamaa et le vieux Tigdidine. Ce sont les vestiges dans lesquels j’avais aimé me perdre mon premier jour à Djamaa. Ensuite il m’a emmené dans un autre désert un peu plus caillouteux qui me rappel vaguement le désert du Néguev au sud d’Israël où je suis allé vivre

quelques semaines en 2002. Enfin il m’emmène à « Eingorga », le trou bleu ou l’œil bleu. C’est un tout petit étang au milieu des roseaux qui selon la légende est hanté par une femme qui habite le fond. Driss me dit que Hamid et Nina connaissent bien ce lieu au milieu de la palmeraie car ils y venaient souvent tous les deux ou en famille pour s’y baigner.

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L’après midi je ne peux attendre Driss à l’auberge, je ne résiste pas à la terrible envie de retourner voir la maison et l’école de Sonia. J’y retourne donc. C’est à l’autre bout de la ville. M’y voilà ... j’aimerais rester là des heures... Je retrouve Driss chez lui à quelques mètres et l’on part voir Farouk Guessoum. Le « troisième compère ». Farouk est l’ami le plus cher qu’à Hamid à Djamaa. C’est lui qui l’a accueilli et aidé lorsqu’il est arrivé à Djamaa comme tout jeune

professeur de français. Farouk est aujourd’hui très malade et faible. Mais quand on lui dit que Driss et le gendre de Hamid sont là, il fait l’effort de venir. La maison est en travaux pour le mariage de sa fille dans quinze jours. Donc on s’installe par terre devant la maison avec du thé et des gâteaux. Nous parlons de Hamid, Il est content d’évoquer ces vieux souvenirs du « bon vieux temps ». Le permis de conduire de Hamid qui s’est obtenu avec une caisse de bière à l’examinateur ; leurs virées à tous les trois dans une coccinelle. Farouk est un ancien professeur de français. Il est calme, réservé, beaucoup moins démonstratif que Driss. J’attribue cela a sa faiblesse extrême et à une forme de sagesse que lui auront donné son âge et sa maladie. Il est cependant tellement heureux qu’il décide de partir en virée avec Driss et moi voir d’autres amis dans les villages voisins : Tigdidine, Zaouïa. Nous l’aidons a marcher, a monter dans la voiture. Et nous voilà partis. Les deux compères devant et moi derrière. En chemin on rencontrera un ancien prof de Mounia, un prof de mathématiques je crois. Il se souvient parfaitement d’elle. Il s’appel Ahmed Hinka. Ca me fait drôle et je sais combien Mounia aurait aimé partager ce voyage avec moi. Plus j’avance dans ce voyage et plus mon affection pour Mounia grandit.

La Zaouïa en Algérie est un lieu qui traditionnellement accueille les plus démunis, les nomades, les reclus, les malades, pour leur offrir un toit et à manger. En échange ils reçoivent un enseignement religieux. Les Zaouïas ont largement contribué à la diffusion de l’Islam dans ce pays. Il en reste peu aujourd’hui bien que le président

Boumédienne ait consacré un budget « colossale », comme dit Farouk, pour le développement des Zaouïas.

Avant que l’on ne se décide a rentrer après notre virée, Farouk m’aura montré la première maison de Hamid à

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Djamaa, non loin d’une ancienne église catholique près de la gare ferroviaire de Djamaa aujourd’hui désaffectée.

On aura passé une autre après midi bien sympathique en compagnie de ce monsieur fragile et attachant. Driss me dépose enfin à l’auberge avec mes dix kilos de Deglet-Nour (doigt de lumière) dont Ali m’a parlé à Sidi Khaled avec des yeux qui pétillent d’envie. Cinq kilos sont à remettre à une amie de Nina en France, Rachida Beljani, de la part de sa sœur, et les autres cinq kilos sont pour

moi et à partager. J’avais effectivement demandé à Driss s’il pouvait me trouver quelques dattes et du Bendregue (plante aromatique que l’on ne trouve que dans le désert). La simple et légère évocation d’un besoin, d’une envie quelconque devient ici en Algérie un vrai devoir et une obligation pour celui qui vous reçoit. J’ai simplement demandé si je pourrais en trouver ici à Djamaa. Et sans que je ne comprenne me voila avec dix kilos de dattes, cadeau !! Des dattes de Djamaa !!

En allant me chercher de quoi manger le soir (1/2 poulet grillé, des frites, des tomates, des piments et une baguette = 300Da) je suis tombé sur une petite boutique où ils vendaient des bons burnous bien chaud. Je n’ai pas hésité, me voilà maintenant homme du désert, ermite ou je ne sais quoi d’autre...

Je finis ma soirée par de longues réflexions solitaires en tout genre, S....

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Djamaa, le 16 décembre Dans toutes les bouches, chez tous les commerçants, sur les vitres de

tous les cafés et restaurants se lit la même phrase : « Soyez le bienvenue ». Et cela ne se limite pas qu’a des mots ici , l’accueil est bon, partout on se sent le bienvenue !

Ce matin après mon petit déjeuner traditionnel, je me dirige vers la maison et l’école. C’est devenu un rituel, un besoin. Je croise Driss qui depuis hier est embêté. Il n’y a plus d’argent dans la ville. La poste qui fait office de Banque a épuisé ses stocks. C’est assez courant me dit-il. Ici bien sur pas de carte bancaire. On retire en début de mois sa paye en espèce. En attendant l’approvisionnement en argent (on ne sait quand ?) il faut faire crédit chez les commerçants.

De l’école de Sonia ensuite je me dirige vers le bord de la ville où naît le désert. L’école est déjà en périphérie et j’ai très peu de chemin à faire pour sortir et apercevoir ce désert qui m’attire. Je vais y faire une longue balade jusqu’aux dunes où je resterais un très long moment immobile à écouter le silence. La ville disparaît rapidement derrière mes pas. Il n’y a plus que les dunes de sable. C’est a peine si j’ose laisser mes empruntes sur le sable vierge de toute trace d’homme. Il n’y a que les empruntes parfaites, les courbes sublimes du vent laissées sur le sable. Progressivement mon corps se met au diapason du silence et de cette tranquillité. Je suis détendu au plus haut point. Je deviens désert. Je ne suis plus entouré que par du sable. Le silence est tel que j’entends un sifflement presque douloureux, comme des acouphènes. Je suis si bien ! Je reste là un long moment. On est déjà dans l’après midi. Je reviens doucement, au ralenti. Je suis tellement ralenti, tellement coupé du monde à cet instant, que l’approche des bruits lointains de la ville, pourtant au ralenti eux même, et les mouvements de Djamaa sont presque gênants.

Pour reprendre doucement le rythme de la ville je viens finir l’après midi à une terrasse à boire du thé, bercé par le chant des minarets qui ponctuent le jour. Je finirais la soirée avec Driss dans le café de son ami prof. Je souhaite partir pour Alger demain matin car j’aurais avant de rentrer en France pas mal de formalités a faire concernant mon passeport d’une part et les questions sur mon identité. Mais j’apprends qu’il n’y a des cars pour Alger que le soir, ce qui repousse mon départ à demain soir. Avant de rentrer à l’auberge je fais un tour au cyber. Erreur !!

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Djamaa, le 17 décembre Mon dernier jour ici. Je n’ai quasiment pas dormi : un mail. Je n’aurais

pas du aller au cyber hier. Driss me réveille en sursaut pour m’emmener à Touggourt. Une ville à

soixante-dix kilomètres plus au sud dans le désert. Une ville de mozabites. Sa fille, la grande veut faire des emplettes pour l’Aïd (20 décembre). Le trajet entre Djamaa et Touggourt est très agréable. Désert, désert, désert. Touggourt est une ville agréable qui respire les vacances. Belle, propre, colorée...on va au souk, très typique ! Les hommes du désert. Affûteur de couteaux assis par terre avec leur meule. Les odeurs des épices se mélangent. Vêtements en tout genre. J’achète du khôl. On boit un thé sur une petite place où Driss rencontre son frère – trois ans qu’ils ne se sont pas vu – les retrouvailles. Son frère travaille sur le projet de réhabilitation de la voie de chemin de fer Touggourt-Biskra (les trains déraillent souvent). Nous allons ensuite voir un ami de Driss qui travaille dans la compagnie de gaz. Un ingénieur charmant, content de discuter avec moi. Il me dit que lorsque je reviendrais en Algérie il m’organisera un voyage dans « le grand sud ». Puis nous rentrons à Djamaa. Pour cette dernière journée je vais faire une longue balade solitaire dans les palmeraies du côté du vieux Djamaa dans lequel je m’engouffre a nouveau.

Je suis un peu triste de quitter Djamaa. Ca sonne un peu comme la fin de mon voyage alors qu’il me reste pourtant encore une semaine. Je crois effectivement que c’est là la fin d’un voyage, la fin d’une quête. La fin de mon voyage affectif, mon voyage de cœur... Je me rend compte maintenant que c’était la seule vrai raison de ma présence en Algérie : retracer les premières années d’une vie qui compte tant pour moi, des années d’innocence, d’insouciance et de bonheur. Oh oui qu’elle compte cette vie pour moi, je l’aime... Plus rien après mon voyage ne pourra me dévier de cet amour, plus rien ne pourra plus jamais briser ce lien qui m’unit à elle.

Oui c’est donc avec de la tristesse que je quitte Djamaa. Car de retour en France qu’est ce qu’il me restera d’elle ? Rien ! Un silence insupportable, une absence douloureuse, une porte fermée, un cœur clos. Sa maison et son école me manqueront. Sa maison et son école ici m’ont ouvert leur porte et c’est avec beaucoup d’émotion et d’amour que j’y suis entré.

Donc oui c’est la fin d’un voyage. C’est la fin du voyage. Et ce n’est peut être pas un hasard alors si ces mots je les écrits sur la dernière page de mon carnet de voyage. Sous ces derniers mots je pourrais presque écrire FIN.

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Alger, du 18 au 24 décembre

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Clinique Jalila – El-Biar C’est ici qu’elle est née...

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1987

2007

J’y suis allé…

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Danaïde, Paris, 2009 ISBN 28-04-1974-1981