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GRAINE DE TENDRESSE

DU MÊME AUTEUR

Bonjour la galère! Balland, 1984

C'est peut-être ça l'amour, Balland, 1986

Les amies de ma femme, Balland, 1987

Philippe Adler

GRAINE DE TENDRESSE

roman

BALLAND

33, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris

© Éditions Balland, 1989.

A la mémoire de

Sylvie Ducourant Pierre Desproges et Jacques Santi

J 'ai bien évidemment tout inventé. Sauf ce qui est vrai.

Ph. A.

Celui qui réussit avec les femmes est celui qui sait s'en passer.

Ambrose Bierce

Et je vois soudain le rat qui fonce vers moi. On a beau afficher quelque sympathie pour

les animaux, en vivre même, cela ne vous empêche guère de sursauter lorsque, assis à Roissy, sur une des banquettes de faux cuir du Terminal n° 3, en instance de départ pour Londres, vous voyez subitement un gros gaspard trottiner en zigzaguant dans votre direction.

Le rongeur n'est plus qu'à deux ou trois mètres de ma braguette lorsque j'avise le môme qui prend son élan, fonce, s'aplatit sur le siège, plaque le rat contre la moleskine, l'emprisonne dans ses menottes, se redresse et me regarde en éclatant de rire.

« Moins deux! je grogne, pas vraiment heu- reux.

- Ouaip! il me répond, il s'est échappé pen- dant que je musardais au duty-free, mais j'ai l'œil.

-Parce qu'il est à toi?

- 'Videmment. Confucius, je l'appelle. Parce qu'il est super-intelligent. Hein Confuss? »

Et il l'embrasse sur le nez! « C'est dégoûtant, si je puis me permettre. - Pas du tout! D'abord, Confucius a pris son

bain ce matin avant de partir. Deuxièmement, il est vacciné contre la peste et tout.

- D ' o ù vient-il? - Montfort l'Amaury. Je l'ai trouvé l'année

dernière. La patte avant, celle-là tu vois, prise dans un piège. Je l'ai soigné et tout. Depuis, on ne se quitte plus. »

Et il le pose sur mon futal. L'autre part tranquillement s'installer sur le bi du bout de mon genou, moustaches en bataille.

« Tu vas à Londres ? me demande le môme. Moi aussi.

- Tu sais que tu ne peux l'emmener là-bas?... Les Anglais sont draconiens. Ils imposent une quarantaine à...

- Je sais. Mais ne t'en fais pas, j'ai un truc. - U n truc? - Ouaip! » Ah bon. Il a un truc. Tant mieux pour lui.

Je fais mine de redéployer mon journal mais mon sauveteur ne l'entend pas de cet œil.

« Moi, c'est Marc. Et toi ? -Moi , quoi? - Ben, comment tu t'appelles ? - David. David Carcassonne. » Il se marre.

« Comme les remparts? - Oui. Comme les remparts. - Amusant. Et, tous comptes faits, plus seyant

que Marcel Maubeuge. » Oh! Où il va, lui? « De toute façon, dis-je, on ne choisit pas son

nom. - Peut-être en est-il mieux ainsi. Il y a peu

de choix parmi les pommes pourries et qui voudrait choisir souvent prendrait la pire. »

Mais qu'est-ce que c'est?... Au secours! Il commence à me gonfler ce môme! Je suis là, tranquillement en train d'attendre mon aéro- plane, et le voilà qui déboule avec son rat des champs pour se payer mon portrait et m'assener proverbes et énigmes à la façon du Sphinx. Je jette un coup d'œil exaspéré alentour. Encore très peu de candidats au départ et en tout cas aucun qui s'intéresse à Marc.

« Bien. Tu ne veux pas me lâcher un peu, maintenant?

- Non! - Alors, sache que tu m'emmerdes! » Que n'ai-je dit là?... Il soulève Confucius de

ma cuisse et me considère, narquois, avant de répéter Tu m'emmerdes trois ou quatre fois, à voix presque basse, comme pour bien se le mettre en bouche. On dirait l'un de ces chiens bâtards de la Drôme, longiligne et nerveux, qui s'apprête à déterrer au pied d'un chêne une truffe bien noire dans l'idée de se l'avaler in

petto avant que le maître n'ait eu le temps de tirer sur la laisse. Marrant comme les enfants savent pareillement humer les mots bannis. Tu m'emmerdes, ça vous a une saveur de cannelle, vanille et cacao, une onctuosité de kiwi et un petit goût de revenez-y que ne posséderont jamais brosse à dents ou tableau noir.

Il attend encore quelques secondes puis me replaque Confucius sur le genou. Mais putain! Qu'est-ce que je lui ai fait, moi, au Seigneur?... Les mômes, j'adore. Mais en photo seulement. Dans le civil, ça me prend la tête, me gonfle et me fout des migraines. Ça tousse la nuit, ça joue avec des allumettes, ça vous pose des questions auxquelles vous ne savez jamais répondre et ça fait pipi au lit juste à la fin du Ciné-Club à l'instant précis où l'on va enfin savoir si c'est ce salaud de juge l'assassin.

Et son Confussmachin qui continue de prendre ma guibolle pour un autorate à quatre voies avec moustaches-à-queues autorisées entre aine et genou. La plupart des banquettes sont occu- pées maintenant mais il ne se trouve toujours personne pour s'intéresser à Marc. Et si c'était un gosse abandonné qui ne sait pas encore qu'il vient d'être largué ? Après tout, on est à Pâques. Il n'y a pas que la SPA et Nouvelles Frontières à faire du surbooking au moment des grandes migrations. La DDASS fait le plein, elle aussi.

« Marc ? - Mmmmh?

- Où sont tes parents ? » Il ne me répond même pas et sort de sa poche

un cerneau de noix que Confucius croque aussitôt avec volupté.

« Si tu veux, on joue à un jeu, me propose Marc. On essaye de deviner qui était assis à notre place ici ces derniers jours.

-Ridicule! Comment le saurions-nous? - E n procédant par déduction, tout simple-

ment. Exemple : avant-hier, au Parc des Princes, il y avait un match de rugby France-Pays de Galles.

- Oui, et alors ? - On peut donc supposer qu'à ta place, hier,

se trouvait installé un hooligan plein de bière. -Mouais. Peut-être après tout. - Bon. A toi, maintenant. -Mais je n'en sais rien! - T u es vraiment nul, mon pauvre David.

Enfin, je vais t'aider. Regarde le panneau d'af- fichage, là-bas. Les arrivées d'avions. Qu'est-ce que tu vois?

- Peuh, je ne sais pas. Un vol en provenance de Bogota.

- Eh ben voilà, Dave! - Quoi?... Je ne comprends rien à cette hist... - T u es peut-être assis à la place d'un trafi-

quant de drogue colombien qui, hier à la même heure, les fesses serrées par la peur, voyait venir vers lui un chien renifleur.

- A h bon?

- Oh là là, t'es pas drôle. Je comprends que tu sois tout seul! »

C'est quoi, ce machin, au juste? Un bébé- Nobel-éprouvette? Le Commissaire Bourrel? Le fruit des amours de Marguerite Duras et Bernard Tapie? Bon. Il veut jouer au con? On sera deux. Je me retourne vers le tableau d'affichage. Un vol en provenance de Dakar, un en partance vers les Émirats. Il va voir ce qu'il va voir.

- Hier soir, à ma place, il y avait une princesse africaine avec un joli pétard tout rond qui est venue à Paris en rêvant du Lido et qui y finira femme de ménage.

- Pas mal, concède Marc. - E t dix minutes plus tard, il y avait une

petite nana toute blonde qui a fait Socio à la Sorbonne et qui, comme elle ne trouve pas de boulot, part de temps en temps faire la pute chez les Émirs.

- Au fond, vous rapportez tout au sexe, mon- sieur Carcassonne.

- C'est important, l'amour, Marc, tu sais? - Mon pauvre ami! Sache que le cœur ne se

situe point à hauteur des fesses!... Avec toi, Amour et Seigneurie ne vont pas de compagnie! »

Et voilà! Encore une maxime! Et si c'était un extraterrestre ?

J'examine ses mains à la dérobée. Ça va. Il a cinq doigts et aucun n'est recourbé.

« Bon. On va essayer de jouer à autre chose,

reprend Marc décidément infatigable. Tu peux me dire quand Picasso est mort?

- Hein ? - T u as très bien entendu la question. - Je ne sais pas, moi. En 69. Ou en 75. - Faux. Picasso est mort le 9 avril 1973. - Et pourquoi me demandes-tu cela ? - Parce que Picasso, je l'adore. » Ah! L'argument est irréfutable. Il met un

terme au débat. Enfin, je croyais. « Bon, alors ? - Quoi, encore, Marc ? - Ben, demande-moi pourquoi je l'adore. - Pourquoi tu l'adores? - Parce qu'il peint les gens pleins de grimaces.

Tu sais en faire, toi? - Q u o i ? Du Picasso ou des grimaces? - Des grimaces, évidemment! Si tu faisais du

Picasso, tu n'aurais pas un énorme trou à ta semelle gauche! »

Je décroise précipitamment les jambes et repose mon pied côté cœur sur le sol. Mais le mal est fait. Dans la seconde, Confucius retrouve sa place sur mon cubitus de la cuisse, tandis que Marc entreprend de me démontrer ses talents de grimacier. C'est vrai que l'on n'est pas loin des Demoiselles d'Avignon.

Au fond, je comprends que ses parents se planquent. Ils doivent terminer leurs journées anéantis, exsangues, aphones.

Marc a, sans doute, neuf ou dix ans. Il n'est

pas très grand et un brin enrobé. Des traits d'une extrême finesse et surtout des yeux verts étonnants, immenses. Chemise Lacoste rose, pantalon bleu clair, baskets ornés de petits canards.

« Et tu ne veux toujours pas me dire où sont tes parents ?

- Et toi? Où elle est ta femme, " T u m'em- merdes " ?

-Alors là, tu es gentil, tu ne m'appelles pas ainsi ou je t'allonge une baffe. Deuxio, de femme, je n'ai pas.

-Ahah?.. . Tiens, tiens. » Il me considère avec gravité soudain. Comme

s'il me voyait pour la première fois. Croise les bras, me dévisage jusqu'aux pieds, fixe le plafond en expirant bruyamment et décide de rendre son verdict.

« Non, David. Tu n'en es pas. » Eh beh! Voilà une bonne chose. Je peux

rentrer aux écuries, les urines sont claires. La voix de l'hôtesse d'accueil se fait entendre

dans la sono. Elle nous soupire qu'en gros les passagers du vol Air France n° 312 à destination de Londres Heathrow sont invités à se mettre en rangs d'oignons comme au conseil de révi- sion. Je me lève.

Et c'est à cet instant enfin que j'aperçois la maman de mon copain. Elle sort de la cabine téléphonique située près du duty-free en ran- geant des papiers dans son sac à main, cherche

son fils des yeux sans s'affoler, se dirige vers nous. Marc qui l'a vue, lui aussi, enfourne prestement Confucius dans le petit sac de voyage qui se trouve à ses pieds.

Elle est belle, vingt-huit-trente ans. Un visage à l'ovale parfait. Des cheveux, brun acajou, descendant en cascades, sur les épaules. Des yeux, vert jade, abrités derrière des lunettes à la Christophe Lambert.

Et ces yeux sont très légèrement étirés vers les tempes. Juste de quoi faire fantasmer un brin, genre et si c'était une belle papaye née de l'accouplement brutal d'un colonel baroudeur et d'une frêle liane cambodgienne dans les marais sauvages du Delta sous l'œil impavide d'un troupeau 305 buffles et dans le croassement des grenouilles saluant l'éveil de la pleine lune? Les lèvres sont sensuelles mais boudeuses. Ensemble de voyage élégant sur silhouette racée et jambes d'antilope. Bref, on a vu pire.

« Marc, j'espère que tu n'as pas ennuyé Mon- sieur? »

Elle se tourne vers moi et, clâsse, balise comme si elle ne remarquait pas que je suis en train de lui préparer le coup du type qui va tomber foudroyé à ses pieds.

« Je suis absolument désolée, ajoute-t-elle, j'avais un coup de fil à donner et...

- Mais ce fut un plaisir, chêêêêre Mââdâââme, j'ânonne en continuant de jouer les pétrifiés.

Marc est absolument délicieux et nous nous sommes...

- T u parles! Il ne m'a dit que des gros mots! - Oh! » proteste-je faiblement. Elle sourit, indulgente. « C'est que tu devais l'importuner, Marc. - Mais non, mais non, rassure-je. Nous nous

sommes amusés à imaginer les... euh, les paires de fesses qui s'étaient posées là, sur la banquette, avant nous.

- Très amusant en effet, siffle-t-elle coincée. - Et puis, il a menacé de me gifler! » Le petit salopiot! Du coup, elle prend Marc

par la main, ne me salue même pas et part s'installer à l'autre bout de la salle d'attente tandis même que les premiers passagers embar- quent. Ah, je vois. Madame et son surdoué voyagent sans doute en First. Au revoir Monsieur, merci d'avoir fait la bonne d'enfant mais restons- en là, nous ne sommes pas du même monde. Et puis, arrêtez de loucher sur mes seins. Il n'a point été programmé qu'ils palpitent sous l'assaut de vos mains calleuses. Bon vent, Ducon!

Je pars, vexé, rejoindre la piétaille. A l'instant de me présenter devant l'hôtesse qui récupère les contremarques d'embarquement, je sens que l'on me tire par la manche.

C'est Marc. Il me tend mon portefeuille. « Tiens, Carcassonne. Finalement, tu es sympa.

Alors, je te le rends. J'ai rien pris, hein? »

Et il court se rasseoir aux côtés de sa mère qui n'a pas levé le nez de son Glamour.

Derrière, les hommes d'affaires poussent. L'hôtesse s'empare de mon billet. Je m'enfonce dans l'Airbus, fou de rage.

Bien évidemment, l'avion est plein. Je finis par m'introduire dans l'un des fauteuils du fond, entre un vieil Écossais en kilt en train de biberonner son Pur Malt à même une petite flasque en argent massif et un genre jeune cadre dynamique acnéeux qui, lui, est déjà penché sur des statistiques glauques concernant, d'après ce que j'arrive à en déchiffrer, la production d'orge dans les pays de l'Est.

L'avion, avant, j'aimais bien. Et puis un jour, j'ai fait Paris-New York avec escales à Londres et Shannon à côté d'un vieux routard de la presse. Le type m'avait étonné dès le départ d'Orly en égrenant à voix haute les secondes tandis que le 747 roulait sur la piste. A 42 secondes, l'avion avait décollé, mon voisin avait poussé un énorme soupir. A 79 secondes, le commandant de bord avait rentré le train d'atterrissage, le quidam avait épongé son front inondé de sueur et, lorsque quelques instants

plus tard, l'avion avait entamé un large virage vers les brumes de la Manche, il avait commencé de se détendre non sans avoir murmuré : « Main- tenant, Londres... Toujours dans le brouillard!... L'horreur intégrale! »

Puis il s'était présenté. Roger Valmère. Cin- quante-quatre ans. Journaliste à Ouest-France depuis dix-sept ans. Spécialiste des catastrophes aériennes. Il les avait toutes faites. Marcel Cer- dan aux Açores. Les Canaries. La forêt d'Er- menonville. Les cannibales des Andes. Le Boeing sud-coréen. L'iranien. Il avait tout vu, tout reniflé, tout palpé. Les corps brûlés. Mutilés. Éjectés. Noyés. Les yeux encore grands ouverts. Les mains griffées dans les accoudoirs. Les rates dans les peupliers. Les doigts de pieds dans le vantail.

Et les détails, Roger Valmère ne m'en épargna aucun. « Le plus dur, quand ça a brûlé, c'est l'odeur. Très proche du cochon grillé. Mais les bas morceaux, mon cher, les bas morceaux. » Après quoi, mais en s'interrompant longuement pour prier au moment des escales, il entreprit de m'expliquer les moments dangereux d'un vol intercontinental.

Quand nous atterrîmes à New York, nous étions tous deux ivres morts.

Les flics de l'immigration nous gardèrent vingt-quatre heures au dépôt après que nous eûmes absolument voulu franchir bras dessus, bras dessous la ligne jaune qui balise l'accès à

l'accueil et qui ne doit être franchie que par une seule personne à la fois. Fût-on marida depuis quarante-cinq ans. Ce qui, de toute façon, n'était pas notre cas.

Frais et brillant émoulu de HEC, je voyageais à l'époque pour le compte de « Soft Swing », une multinationale spécialisée dans la fourniture de logiciels et autres microprocesseurs. Quand je me présentai aux bureaux de la maison mère, sur Park Avenue, à l'heure fixée mais avec un petit jour de retard quand même, ce fut pour m'y faire expliquer par un troisième couteau de l'étage du personnel que j'étais lourdé depuis la veille très précisément et que désormais le plus sage pour moi serait de ne plus jamais, ma vie durant, m'intéresser fût-ce à distance à un quelconque microprocesseur. Mon nom, m'ex- pliqua l'exécuteur des basses-œuvres, était d'ores et déjà déclaré non grato, dans la corporation high-tech des cinq continents.

J'avais vingt-cinq ans et abandonnai sans regret un avenir qui m'emmerdait puissamment.

Ce fut le début de la dérive. J'ai quarante-deux ans aujourd'hui et la dérive

est toujours là. Mais je suis un homme libre. Tout revers a sa médaille, comme dirait mon copain.

Revenu en France, je commençai par m'ac- corder deux années sabbatiques, le temps pour moi de claquer les Bons de la Semeuse que m'avait légués une vieille tante alsacienne avant

qu'il faut lui dire pour la faire rire. Où on doit mettre sa langue quand on l'embrasse. Rien! »

J'ai l'impression de revivre. J'éclate de rire et lui fais un croc-en-jambe avant de m'agenouiller dans le sable à ses côtés. Il se décide enfin à sourire. Tendre, doux, fragile, apprivoisé. Ce môme qui, pour la première fois, vient d'avouer qu'il y avait quelque chose qu'il ne connaissait pas. Cette tronche de cake, ce zombie multi- coque, ce Martien qui conteste les calculs d'Eins- tein, enfin, enfin il a besoin de David Carcas- sonne pour apprendre quelque chose. Mais je l'aime, ce con!

Et lui, il continue de vider son sac à malheurs. Qu'il s'en fout d'avoir déjà emmagasiné quelque deux mille maximes pensées par les plus grands Sages de l'histoire de l'humanité. Qu'il s'en tape de pouvoir pirater un ordinateur de la Nasa. Qu'il se moque de savoir reconnaître un python d'un boa, un Manet d'un Monet, une vessie d'une lanterne, un virus d'un microbe, un âne d'un mulet. Tout son savoir, tout, tout, tout, il le largue, ad vitam eternam, pour une infor- mation, une : que fait-on de sa langue quand on embrasse quelqu'un sur la bouche?

Alors, je lui explique. Puis, nous partons main dans la main, pieds

nus dans le sable, vers le groupe. Évidemment, ce sont des femmes, elles nous

voient arriver de loin. Suspendant aussitôt leurs gestes, leurs courses, leurs rires.

A vingt mètres d'elles, Marc me signifie par une légère pression de la main, que c'est assez, il n'ira pas plus loin.

Nous nous figeons. Comme le reste de la plage. Plus un souffle, plus une vague, plus un rire. Même les autres, là-bas, s'arrêtent de taper dans leur ballon.

Alors, ce sont les filles qui reprennent l'ini- tiative et se remettent en marche dans notre direction.

Elles sont trois et elle fait partie du trio. « Bonjour ! lancent-elles, encore à quelques

pas. - Bonjour, réponds-je. - C'est votre fils ?» me demande-t-elle. Je regarde Marc, hésite, hausse les épaules. « Oui... enfin, un peu, si l'on veut. - J e le veux! murmure Marc en serrant fort

ma main. - Est-ce que... est-ce qu'il... est-ce que tu veux

venir jouer avec nous? » Et elle lui tend la main. Et il lâche la mienne. Pour courir vers elle. Sans se retourner. Sans plus un regard pour

moi. Les salopes! Merde! Chié! Bordel! Elles sont

déjà en train de me le piquer! Maaaaaarc!