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ALAIN BUCHETON Président de la section MICHELE MEUNIER-ROTIVAL Rapporteur Frédéric Barras Joël Bégueret Jean-Marie Blanchard Raymond Devoret Michel Duguet Marie Dutreix Bernard Dutrillaux Janine Gaillard Claude Gutierrez Alain Israel Bernard Jacq Claude Kedinger Andrée Lazdunski Danièle Le Roscouet Jean-Michel Louarn Christine Petit Monique Scandellari-Bras Dominique Stehelin David Tuil INTRODUCTION Quel point commun entre l’apparition de certains cancers et l’existence de pathologies comme la trop fameuse maladie de la vache folle ? On peut les considérer comme des perversions de la régulation, qu’elle soit génétique ou épigéné- tique. Les diverses modalités d’expression de notre génome se déclinent à de multiples niveaux. Le flux de l’information engendré tout d’abord dans le noyau au cours de la transcription de l’ADN en ARN va ensuite passer dans le cyto- plasme où le message sera interprété en terme de protéines aux activités multiples : enzymes, régu- lateurs géniques, éléments de structures supramo- léculaires, etc. Un cancer peut ainsi résulter d’un dérèglement de la transcription ou de l’une quel- conque des étapes post-transcriptionnelles qui conduisent à la maturation du message codé par certains gènes critiques (proto-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs). Toutefois, si le phénotype d’un organisme est le résultat de la confrontation de l’information génétique qu’il contient aux signaux qu’il reçoit, l’existence d’une mémoire moléculaire héritable, autre que la simple séquence nucléotidique, peut intervenir pour moduler l’expression génétique. Dans ce cas, ce n’est pas tant la séquence du gène qui va déter - miner ses modalités d’expression que l’empreinte d’événements qui se sont produits antérieurement, et qui va se transmettre aux générations ulté- 1 GÉNOMES STRUCTURES, FONCTIONS ET RÉGULATIONS 23

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ALAIN BUCHETON

Président de la section

MICHELE MEUNIER-ROTIVAL

Rapporteur

Frédéric Barras

Joël Bégueret

Jean-Marie Blanchard

Raymond Devoret

Michel Duguet

Marie Dutreix

Bernard Dutrillaux

Janine Gaillard

Claude Gutierrez

Alain Israel

Bernard Jacq

Claude Kedinger

Andrée Lazdunski

Danièle Le Roscouet

Jean-Michel Louarn

Christine Petit

Monique Scandellari-Bras

Dominique Stehelin

David Tuil

INTRODUCTION

Quel point commun entre l’apparition decertains cancers et l’existence de pathologiescomme la trop fameuse maladie de la vache folle ?On peut les considérer comme des perversions dela régulation, qu’elle soit génétique ou épigéné-tique. Les diverses modalités d’expression denotre génome se déclinent à de multiples niveaux.Le flux de l’information engendré tout d’aborddans le noyau au cours de la transcription del’ADN en ARN va ensuite passer dans le cyto-plasme où le message sera interprété en terme deprotéines aux activités multiples : enzymes, régu-lateurs géniques, éléments de structures supramo-léculaires, etc. Un cancer peut ainsi résulter d’undérèglement de la transcription ou de l’une quel -conque des étapes post-transcriptionnelles quiconduisent à la maturation du message codé parcertains gènes critiques (proto-oncogènes ougènes suppresseurs de tumeurs). Toutefois, si lephénotype d’un organisme est le résultat de laconfrontation de l’information génétique qu’ilcontient aux signaux qu’il reçoit, l’existence d’unemémoire moléculaire héritable, autre que lasimple séquence nucléotidique, peut intervenirpour moduler l’expression génétique. Dans ce cas,ce n’est pas tant la séquence du gène qui va déter -miner ses modalités d’expression que l’empreinted’événements qui se sont produits antérieurement,et qui va se transmettre aux générations ulté-

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rieures. Ces phénomènes s’exercent aussi bien auniveau chromatinien – c’est entre autres ce quirend impossible la parthénogenèse chez les mam-mifères – qu’au niveau protéique, et c’est ce qui seproduit dans les maladies à prions.

Ce dialogue permanent entre génome etmilieu externe n’est pas sans danger : en effet, lemaintien de l’identité d’une espèce, de même quela prévention de l’apparition de maladies gravessont le fruit d’une lutte constante menée contrel’accumulation de mutations. Ces dernières peuventaussi avoir une cause endogène et, à ce titre, leséléments transposables, ces courtes séquencesdotées de mobilité qui représentent une large pro-portion de tout génome normal, sont des agentstrès actifs. La variabilité créée par ces processus,quand elle n’est pas endiguée, est aussi une porteouverte à l’émergence de nouvelles espèces. Cettedynamique, aux effets apparemment opposés, esten fait sous-tendue par l’action conjuguée de sys-tèmes enzymatiques complexes de réparation et derecombinaison de l’ADN. Les années récentes ontpermis de disséquer les mécanismes moléculaires etd’isoler de nombreuses enzymes impliquées dansces processus. Deux conclusions importantes sedégagent : tout d’abord, les voies de réparation etde recombinaison de l’ADN sont intimement liéesaux processus de réplication, de transcription et derégulation du cycle cellulaire. En outre, la dissectiondes mécanismes de contrôle de la fidélité de laréplication permet de suivre la phylogenèse depuisles bactéries jusqu’à l’homme, et de comprendre lemécanisme moléculaire de nombreuses maladiesgravissimes, y compris certains cancers.

La compréhension de l’écheveau des régula-tions qui se tisse au sein des organismes complexesdemeure un enjeu formidable qui requiert non seu-lement l’intervention des techniques les plussophistiquées de la biologie moléculaire et de lachimie structurale, mais également l’étude des sys-tèmes modèles dont la microbiologie est si riche. Eneffet, il reste encore beaucoup à apprendre sur lesmécanismes fondamentaux du vivant, et les micro-organismes, de par leur simplicité et le caractèreparfois extrême de leurs stratégies de régulation,jettent un éclairage instructif sur les eucaryotessupérieurs.

L’analyse des génomes a connu récemmentdes avancées considérables. Citons l’établissementdes cartes génétique, physique et bientôt géniquedu génome humain, ou la détermination de laséquence complète du génome de la levure et deplusieurs procaryotes. Les répertoires des gènesfournissent des outils inestimables à l’ensemble desdisciplines biologiques, mais apportent aussi leurlot de surprises. Ainsi, le séquençage du génome dela levure a mis en évidence un grand nombre degènes (gènes “orphelins”) qui codent des produitsdont la fonction est encore totalement inconnue.

Au travers des divers projets de séquençagede l’intégralité du génome humain qui voient lejour s’ouvre l’espoir, dans les prochaines années, decaractériser plus facilement les gènes impliquésdans des pathologies. Outre un diagnostic plus effi-cace des prédispositions, il devient légitime d’envi -sager à plus long terme une approche de thérapiegénique ou cellulaire (la recherche amont sur lesvecteurs est actuellement en plein essor). D’autrepart, un nombre croissant de micro-organismesd’intérêt médical sont en cours de séquençage.L’ensemble du secteur de la santé sera donc pro-fondément marqué par les retombées des pro-grammes génomes.

L’un des défis que les biologistes doivent rele-ver est la détermination de la fonction des gènesidentifiés par ces programmes. Et c’est là que lerecours à des organismes modèles sera un atout dechoix. En effet, l’un des résultats les plus spectacu -laires de la biologie ces dernières années a été lamise en évidence de la conservation des grandesfonctions du vivant au cours de l’évolution, non seu -lement pour le fonctionnement de la machinerie cel -lulaire de base, mais aussi aux niveaux supérieursd’organisation des êtres vivants. Il n’est ainsi que deciter par exemple la conservation troublante de lastructure et de la fonction des gènes qui dictent nonseulement la mise en place des grands axes del’embryon, mais également de certains organes.Ainsi, la plupart des gènes humains identifiés aur ontleur homologue dans des espèces modèles chez les -quelles leur étude pourra être entreprise. Cela suffità justifier les programmes de séquençage dugénome de ces derniers, tels – la liste n’est pas limi -tative – la drosophile (dont la moitié des gènes adéjà été identifiée par la génétique), le nématode

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Caenorhabditis elegans (dont le génome est presqueentièrement séquencé), ou encore la planteArabidopsis thaliana.

En conclusion, la génétique et la biologiemoléculaire sont les disciplines qui ont le plus mar -qué la biologie au cours des dernières décennies.Les progrès considérables enregistrés dans desdomaines tels que la biologie cellulaire, et surtoutle développement, résultent de la performance deces méthodes d’étude et de leur application à cesdifférents domaines. Le développement de la géné -tique moléculaire révolutionnera aussi des disci-plines encore plus complexes comme les neuros-ciences. On peut dire sans excès que la génétiqueet la biologie moléculaire, combinées à l’analysesystématique des génomes, constituent la base quipermet aujourd’hui le développement sans précé-dent des sciences du vivant.

Le texte qui suit développe ces différentesnotions sous la forme de cinq chapitres qui analy-sent respectivement l’étude fonctionnelle desgénomes, les mécanismes de la recombinaison,réplication, réparation et de la transposition, lesmécanismes d’oncogenèse, en mettant plus parti-culièrement l’accent sur la transcription, les régula-tions post-transcriptionnelles et épigénétiques, etfinalement, les apports plus spécifiques de la micro-biologie aux grands courants actuels de la biologie.

1 - ANALYSEFONCTIONNELLE DES GÉNOMES

1. 1 PROJETS “GÉNOMES”Les projets de séquençage concernant les

génomes modèles (Escherichia coli 4,2 mégabases :Mb, Bacillus subtilis 4,7 Mb, Saccharomyces cerevi -siae 13 Mb, Caenorhabditis elegans 100 Mb,Arabidopsis thaliana 100 Mb, Drosophila melano -gaster 165 Mb, Homo sapiens 3000 Mb) sont à

différents états de développement et/ou d’achève-ment. Pour les génomes compacts, lorsqu’ont existédes projets structurés au niveau européen ou mon-dial, le succès est évident, même si les stratégies ontété très différentes selon l’organisme. Deuxgénomes procaryotes sont aujourd’hui entièrementséquencés : il s’agit d’Haemophilus influenzae et deMycoplasma genitalium, le plus petit génome bac-térien connu (0,6 Mb), donnant une idée ducontenu minimal en information nécessaire pourfaire fonctionner une cellule. Plus d’une vingtained’autres génomes bactériens ou archaebactériensfont l’objet de projets de séquençage (certainspresque terminés), soit pour leur intérêt fondamen -tal, soit pour leur importance en santé publique, soitpour leur importance écologique et économique. Lagrande majorité de ces projets est américaine ;Canadiens et Japonais sont également impliqués.

On attend les données complètes pour B. sub -tilis et C. elegans. Le séquençage de la levure deboulanger S. cerevisiae est terminé et accessibledans les bases de données bien que les publica-tions ne soient parues que pour un petit nombre dechromosomes. Il a été effectué pour plus de la moi -tié dans la CE, par le biais de programmes euro-péens, avec soutiens récurrents réguliers, planifiéssur plusieurs années, et dans une multitude delaboratoires de taille très variable. Leur caractéris-tique commune est leur expertise dans le domainede la génétique de la levure, ce qui permettra à ceslaboratoires de participer à l’après-séquence (voirplus loin). Le deuxième exemple est celui de C. ele -gans dont la séquence va être achevée par des“genome centers” spécialisés dans le “très grandséquençage” (deux centres anglo-saxons).

Lorsqu’au contraire, aucun projet n’a été misen place, la séquence n’est pas terminée même si lataille du génome est “modeste” comme celle d’E.coli . Enfin, pour être l’exception qui confirme larègle, citons l’exemple récent de ce centre “régio-nal” et non académique japonais qui a séquencé enmoins d’un an le génome entier d’une cyanobacté -rie de 3,5 Mb (30 chercheurs et 30 techniciens).

La formidable moisson d’informations qui varésulter de ces programmes permettra de com-prendre le fonctionnement de la cellule dans sa globalité : intégration de l’activité sensorielle, de

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l’activité de transport, des réseaux de régulationsmajeurs, du contrôle des flux d’énergie, etc., ellepermettra également des comparaisons intéres-santes, pas seulement en termes de phylogéniemoléculaire, mais aussi d’évolution des fonctionscellulaires dans divers micro-organismes en relationavec leur mode de vie. Cette masse d’informationsdevra être ordonnée et exploitée. On peut doncprévoir qu’un développement important de la bio-informatique sera nécessaire.

Pour les génomes eucaryotes complexes, dontles génomes de mammifères (souris, rat, chien,porc, bœuf et mouton) et le génome humain enparticulier, la situation est autre. En premier lieu, aété visé l’établissement des cartes génétique et phy -sique avec une précision croissante. Dans le cas dugénome humain, rappelons les avancées dues auxéquipes françaises soutenues par les grandes fon-dations telles que l’AFM, le CEPH et le Généthon.Les principales données ont été la définition de col -lections très importantes de marqueurs microsatel-lites répartis sur tout le génome humain, localiséssur les contigs de clones dans des chromosomesartificiels de levure (YAC) et, plus récemment, lesétiquettes séquencées transcrites (EST). Maintenantles hybrides d’irradiation servent également à l’éta -blissement d’une carte des gènes.

Les avancées ont été conséquentes pour legénome humain où le financement est plus facile àtrouver, alors que la carte physique du mammifèremodèle dont la génétique est très avancée (souris)est dans un état plus rudimentaire. Le projet deséquençage du génome humain (on n’en connaîtactuellement que 2 %) est sérieusement à l’étudedans plusieurs grands centres mondiaux qui sont entrain de démontrer sa faisabilité sur des régionsd’intérêt (par exemple le séquençage de la régioncritique du syndrome de Down au Japon). Leschoix stratégiques (nombre de centres, méthodes,technologies, nature des échantillons, précision dela séquence) n’ont pas encore été faits. Le projet decentre de très grand séquençage en France a suscitédes avis très contrastés dans la communauté. Sacréation vient d’être annoncée et devrait permettreà la France de ne pas perdre pied dans ce domaine.

En amont, une recherche en informatiqueappliquée aux problèmes de la biologie doit être

encouragée avec le développement du dialogueentre biologistes et informaticiens. En plus des don-nées gigantesques qu’il faut se préparer à recevoir,organiser, mettre à jour et distribuer (on parle de1000 gigaoctets en l’an 2000), de nouveaux outils etlogiciels adaptés à la comparaison de séquences età la prédiction des structures à partir de cesséquences devront être développés, ainsi que denouvelles bases permettant la modélisation et laprédiction des fonctions et régulations. En effet, lesgénomes modèles compacts serviront de prototypespour l’analyse des grandes fonctions. Le séquen-çage des génomes eucaryotes permettra l’analysede leur organisation globale (organisation des chro-mosomes et plus particulièrement des structures etdes éléments chromatiniens, rôle des séquencesrépétées, groupement des gènes, répartition desséquences, etc.). Les études sur l’évolution bénéfi -cieront des programmes de séquençage, pourvuqu’on leur ajoute le séquençage (en totalité ou enparties) des génomes d’autres espèces judicieuse-ment choisies.

1. 2 L’APRES-SÉQUENÇAGEET/OU L’ANALYSE FONCTIONNELLE

Plusieurs stratégies sont possibles pour“l’après-séquençage” : partir des grandes fonctionspour rechercher les gènes, ou exploiter les donnéesde séquence pour rechercher la fonction. C’estactuellement cette dernière voie qui est exploitée.

En effet, dans le cas des génomes compacts,les avancées significatives apportées par le séquen -çage systématique portent sur la découverte d’unnombre important de gènes de fonction inconnue(gènes orphelins). Il faut maintenant proposer desméthodes permettant une approche globale d’ana-lyse fonctionnelle de ces gènes. L’analyse fonction -nelle de gènes d’E. coli, B. subtilis et S. cerevisiae(programme EUROFAN) est commencée afin devalider les méthodes d’analyse globale. D’unemanière générale, le schéma est le même : organi-sation des ressources (construction systématique de collections de mutants et distribution) et utilisa -tion de ces mutants pour déterminer la fonction des gènes par l'analyse de leur phénotype (dansdifférents milieux, à différents moments du cycle

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notamment en construisant des cartes 2D ducontenu protéique), ou bien étude de l’expressiondes gènes en construisant des banques d’ADNc(déposées à haute densité sur membranes par desrobots), etc.

Pour la drosophile, près de la moitié desgènes a déjà été identifiée par la génétique molé-culaire. Un projet de séquençage a commencé auxÉtats-Unis, et un autre débute au niveau de la CE.L’existence de collections d’insertions de l’élémenttransposable P régulièrement réparties sur l’en-semble du génome permet d’envisager l’étude desphénotypes mutants de la plupart des gènes identi -fiés par le séquençage.

Dans les cas du génome du nématode, dugénome humain (projet TIGR, Merck etGenexpress) et de celui de la souris, le cataloguedes gènes est abordé par l’analyse systématique descapacités codantes des génomes via les banquesd’expression. Les étiquettes séquencées transcrites(EST) sont de plus en plus nombreuses dans lesbanques de données et elles doivent être organi-sées et regroupées. La construction de cartes trans -criptionnelles nécessitera la localisation de ces mar -queurs géniques sur la carte physique, devenantalors un outil pour le clonage positionnel.

Donner la liste ne signifie pas donner la fonc -tion. Ces EST sont classées en différentes catégoriesselon que l’on peut les rattacher à des gènesconnus, ou qu’elles sont apparentées, ou qu’ellescomportent seulement des motifs connus. La fonc-tion des gènes orphelins demandera des investisse -ments considérables et l’utilisation d’organismesmodèles tels que la levure, la drosophile, le néma-tode, le poisson-zèbre, la souris, etc. Parmi les stra-tégies actuellement définies, citons l’invalidationdes gènes (knock out), la transgenèse par additionde gènes ou modification de gènes résidents (rem-placement par une version mutée), la création dedélétions génomiques à volonté (en utilisant parexemple le système cre-lox), l’analyse massive del’expression par l’analyse in situ, la transgenèse defragments génomiques de plus en plus grands(dans des BAC, PAC, YAC) pouvant permettre l’uti-lisation de tests de complémentation. D’unemanière générale, l’analyse comparée de fonctionset de systèmes de régulation et d’organogenèse fera

également avancer les connaissances. La pluridisci -plinarité est nécessaire, et la demande est forte pourdes compétences très variées, notamment desconnaissances très structurées en biochimie, enphysiologie, dans les sciences du développement,de l’évolution, en génétique des populations, etc.

1. 3 LES MALADIES GÉNÉTIQUES(MALADIES HÉRÉDITAIRES, GÉNÉTIQUEDES CANCERS, GÉNÉTIQUE MÉDICALE)

La recherche des gènes impliqués dans lesmaladies monogéniques et polygéniques est encours, que ce soit des maladies du développement,du système nerveux, de la réparation, du métabo -lisme ...

Ceci n’a été possible que grâce à la mise enplace des marqueurs de polymorphisme dévelop-pés au Généthon et n’est faisable qu’avec un sou -tien logistique important. Il est intéressant de noterla compilation récente montrant que 51 gènes res-ponsables de maladies génétiques humaines ont ététrouvés par clonage positionnel (13/51, soit 25 %,correspondent à des gènes connus et étudiés chezla levure). Trouver le ou les gènes responsable(s)ne conduit pas nécessairement à expliquer par quelmécanisme le défaut génétique conduit à la mala -die. C’est la raison pour laquelle il est nécessaired’avoir une démarche pluridisciplinaire, et notam-ment biochimique. Il est utile d’avoir des modèlesanimaux. La souris est le modèle de choix (maisnon exclusif) par sa petite taille, sa reproductionrapide et surtout sa génétique, sans parler de la syn -ténie qui existe entre les chromosomes de la souriset de l’homme. Des modèles animaux plus prochesde l’homme pourraient être nécessaires.

L’analyse des QTL (quantitative trait loci), celledes maladies multifactorielles à composante géné -tique comme les maladies cardiaques ou le diabète,la mise en évidence des gènes de prédispositionaux cancers etc., va se développer.

La mise en évidence des gènes responsablesde maladies permet d’ores et déjà d’envisager leurtraitement par thérapie génique. La thérapie

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génique somatique – ou plus spécifiquement le trai -tement par transfert de gènes – est à l’étude pourdes maladies monogéniques très variées ou pourcertaines formes de cancer. Cela nécessite la miseau point de vecteurs, dérivés notamment de rétro-virus et d’adénovirus ou des vecteurs non viraux(liposomes, etc.). C’est une recherche qui se faitparfois en partenariat avec l’industrie pharmaceu-tique. Les progrès de la connaissance des méca-nismes de la transposition permettent égalementd’envisager l’utilisation des éléments transposables(des parasites des génomes) pour la thérapiegénique.

1. 4 LES MOYENS ET LES TECHNIQUES

Les fondations et associations caritatives quiont participé aux grandes avancées de cartographiephysique et génétique du génome humain se reti-rent systématiquement (voir le CEPH, Généthon etAFM). La place de l’industrie n’est pas très impor -tante pour l’instant. Dans tous les cas, il serait bonque les choix soient clairement exprimés et que soitreconnue la place de chaque partenaire acadé-mique, caritatif ou industriel.

On vient d’apprendre qu’un centre de séquen-çage va être créé en France. Il était temps, car leretard pris ne sera bientôt plus rattrapable. Encorefaut-il choisir avec soin les génomes à séquencer etla technologie. On assiste, de par le monde, àl’émergence d’une nouvelle manière d’aborder lesproblèmes biologiques, avec la constitution degrands centres d’analyse systématique, par exempledes centres de séquençage pour les grandsgénomes, et des centres pour l’inactivation systé-matique chez des organismes modèles des gènesidentifiés par les projets de séquençage. Il estessentiel de tenir sa place dans ces domaines. Et ilest tout aussi essentiel de développer le réseau deslaboratoires plus “traditionnels”, dont l’activité estindispensable à la compréhension finale de cettefonction et à la résolution des problèmes biolo-giques de fond.

Il va exister et il existe déjà un problème decentres de ressources biologiques en France. Lesbanques de clones, de cellules immortalisées, de

tissus adultes et fœtaux, sains ou malades, les col -lections d’ADN et les outils (filtres) de criblageenfin, nécessitent des moyens financiers pour lemaintien et la distribution des échantillons.

Les données de cartographie, de séquences,les bases de données spécialisées indispensablessont in silico et sont l’outil de travail de base detout laboratoire. Il faut en avoir l’accès et pouvoirtraiter ces données, ceci suppose la définition destandards plus précis (nomenclature, définition desobjets biologiques). Pour intégrer les données pro-venant du séquençage, il faut développer desréseaux aux débits très accrus et des outils de visua -lisation et de navigation plus conviviaux.

L’accès à ces ressources informatiques dépenddes capacités nationales (le Groupement d’IntérêtScientifique Infobiogen répond à beaucoup desbesoins de la communauté, encore faut-il qu’il aitdes moyens à la hauteur des enjeux) et des possi -bilités locales.

Il est nécessaire d’avoir une liaison de qualitéà l’Internet (le Groupement d’Intérêt Public Renatera été pionnier pour les centres de recherche aca-démique et a joué un rôle essentiel). Ceci demandeles compétences d’ingénieurs réseaux, nécessite lecâblage des bâtiments anciens, l’achat de machines,et enfin demande un énorme travail d’enseigne-ment et de formation puis de suivi, car l’évolutiondes techniques et des nouveaux outils accessiblesest devenue extrêmement rapide.

Sur le plan technologique, l’imagerie sera deplus en plus utilisée, nécessitant une améliorationdes logiciels pour la comparaison automatique desautoradiogrammes de gels protéiques en deuxdimensions ou la lecture des gels de génotypagepar microsatellites, et une amélioration de la quan -tification des signaux en microscopie. Il faut aussiune miniaturisation accrue de l’analyse des macro-molécules, la robotisation de nombreuses étapes,sans parler de l’invention de nouvelles techniquesde séquençage par exemple.

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1. 5 LE PROGRAMME “GÉNOMES”FRANÇAIS

Le GREG a, au dire de tous, le mérite d’avoirexisté ; il a permis de maintenir la recherche sur lesgénomes en France à un excellent niveau interna-tional, même si les avis divergent beaucoup sur sonrôle incitatif et fédérateur.

Les ACC de 1995 ne sont pas reconduites sousleur forme passée et, de toute façon, la génétiquemédicale était particulièrement favorisée (du moinsau niveau de l’appel d’offres) alors que l’étude desorganismes modèles l’était moins.

Pour les chercheurs français, actuellement, endehors des programmes européens tels que Biotechet Biomed2 terminés ou en voie de l’être, il n’existeaucun programme national incitatif et coordonna-teur de moyens : “il n’existe plus de ProgrammeGénome Français”. La situation est assez paradoxalequand on voit le développement des programmes“génomes” aux États-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne et maintenant en Allemagne, et les retom-bées que l’on peut en attendre.

Il ne faut en effet pas assimiler l’effort deséquençage (qui vient d’être soutenu au niveaunational par la création du centre de séquençage)et un programme incitatif national portant sur lesgénomes, que ce soit l’étude des génomes modèles,des génomes à intérêt industriel ou thérapeutique,la génétique fondamentale, la génétique médicale,la génétique des cancers, la bioinformatique, etc.

1. 6 LES AUTRES CONSÉQUENCES

Les implications éthiques, légales et socialesdes recherches sur les génomes – sur le génomehumain et les maladies génétiques en particulier– doivent aussi faire l’objet de recherche.

Enfin, il faut noter l’effet de mode et la média-tion intense qui entourent la génétique médicale.Les causes en sont évidentes. Les conséquences lesplus visibles sont le déplacement d’intérêt des étu-diants (la génétique humaine, en particulier le clo-

nage positionnel et la thérapie génique, attirent trèsfortement les étudiants en médecine et en sciences)et même la modification des programmes de for-mation. Les crédits récoltés par les associations cari -tatives sont susceptibles d’orienter les programmesde recherche.

2 - RÉPARATION,RECOMBINAISON,

RÉPLICATION ET TRANSPOSITION

La réparation, la recombinaison, la réplicationet la transposition contribuent au maintien de l’inté -grité du génome et à sa propagation fidèle, tout enpermettant une variabilité nécessaire à l’évolutiondes espèces. Sous une forme immédiatement per-ceptible, des anomalies de ces processus sont révé-lées par l’apparition de nombreuses pathologieshumaines.

2. 1 RECOMBINAISON, RÉPARATIONET RÉPLICATION

La recombinaison et la réparation sont deuxactivités cellulaires étroitement associées à la répli-cation ainsi qu’à la transcription. Les exemples quisuivent montrent que les processus de réplication,réparation et recombinaison sont intimement asso-ciés de manière simultanée ou séquentielle. Ainsi :

- la réplication est génératrice d’erreurs defidélité qui sont réparées par la voie de réparationdes mésappariements,

- ce système de réparation contrôle lui-mêmela recombinaison en prévenant les échanges entreséquences d’ADN non identiques,

- la persistance de dommages sur l’ADN, enbloquant la réplication, induit (ou permet) les fonc-tions de réparation et de recombinaison,

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- le blocage de la transcription par les lésionsde l’ADN entraîne une étape de réparation préfé-rentielle qui est liée à la présence d’enzymes deréparation dans les complexes de transcription,

- tous ces processus impliquent une resyn-thèse de l’ADN dont les acteurs et leur régulationrestent encore à préciser.

Toutes ces relations ont pu être démontréesgrâce aux approches simultanées utilisant la géné-tique, la biologie moléculaire et la biochimie.

Complexité des systèmes enzymatiques

De nombreuses protéines sont communes auxtrois mécanismes. Cette intrication des processus seretrouve au niveau des systèmes enzymatiques. Lesréactions impliquées s’exercent au niveau d’un sub-strat macromoléculaire constitué, au départ, parl’ADN bicaténaire. L’un des traits communs de cesréactions est la participation de nombreusesenzymes, dont les ADN et ARN polymérases,nucléases, hélicases et topoisomérases. Certainsétats intermédiaires dans ces réactions sont com-muns : l’ADN monocaténaire en est un exempletypique. Ainsi, la réplication de l’ADN est amorcéeaux origines de réplication par la formation transi-toire d’ADN monocaténaire, l’ensemble des sys-tèmes de réparation par excision resynthèse pro-cède par une dégradation d’un brin d’ADN suivi de(ou associé à) sa resynthèse. Enfin, la productiond’ADN simple brin sur lequel se fixe la protéinerecA initie la recherche d’homologie durant larecombinaison. Par conséquent, les enzymescapables de former l’ADN monocaténaire ou lesprotéines ayant une affinité pour celui-ci peuventparticiper à chacun de ces mécanismes. Un autrefacteur jouant certainement un rôle important est lastructure topologique de l’ADN, à laquelle partici -pent les topoisomérases et d’autres protéines chro-mosomiques, en particulier les protéines de typehistone. De fait, la recombinaison homologue, larecombinaison site-spécifique, l’initiation de laréplication et probablement la réparation préféren-tielle, dépendent respectivement de la superhélicitéde l’ADN, de sa courbure, ou des deux.

L’étude in vitro de la réplication par lesgroupes de Kornberg et de Stillman a illustré lacomplexité des systèmes protéiques impliqués danscette réaction et la nécessité de rechercher chacundes éléments protéiques (ainsi que leur modifica-tion post-traductionnelle) qui participent à ces com -plexes afin de les reconstituer in vitro. Des étudesin vivo montrent qu’à cette complexité, qui seretrouve aussi dans les systèmes enzymatiques deréparation et de recombinaison, s’ajoutent les pro-blèmes de transport, de stabilité, d’intégration avecles autres fonctions dans la cellule (telles que latranscription) et de coordination avec le cycle cel-lulaire.

Les trois dernières années ont permis de mon-trer clairement une association étroite entre répara-tion de l’ADN, au sens large du terme, et transcrip-tion de l’ARN, du fait de l’existence de protéinescommunes aux deux mécanismes et de maladiesdans lesquelles ces deux voies cellulaires peuventêtre altérées indépendamment ou non. Cettedémonstration a permis d’expliquer le phénomènede réparation préférentielle du brin transcrit connudepuis une décennie.

De l’étude de la phylogénie des génomes àl’analyse enzymatique des réactions de réparationet recombinaison, il apparaît que les processus deréparation de l’ADN, en inhibant la recombinaisonhomologue, contribuent à la stabilisation des grandsremaniements du génome, tandis que les étapes demutagenèse produisent l’effet inverse.

Conservation évolutive et diversification des protéines de réparation, de réplication et de recombinaison

La conservation, des procaryotes aux mammi-fères, des séquences (des gènes) des protéines dusystème de réparation des mésappariements a per -mis l’isolement en quelques mois de sept gèneshumains susceptibles de participer à cette voie deréparation. Ce travail a eu d’autant plus d’impactque le système de réparation des mésappariementsou des lésions de l’ADN qui intervient dans la fidé -lité de la réplication et le contrôle de la recombi-naison parait être altéré dans un grand nombre de

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cancers. La progression fulgurante de ce travail estdue à l’excellente connaissance d’un tel systèmechez les bactéries et les levures, mais aussi à l’exis-tence de malades mutés sur ces gènes de répara-tion. Plusieurs laboratoires français ont fortementcontribué à la mise en évidence de ces méca-nismes. Particulièrement intéressante est la multi-plication et la spécialisation des systèmes de la bac -térie aux eucaryotes : ainsi les gènes bactériensrecA et mutS ont, chacun, au moins quatre gèneshomologues chez la levure.

Perspectives

Il nous faut intégrer nos connaissances dansune vision plus globale de la cellule. En effet,l’étude des mécanismes régulateurs du cycle cellu-laire intéresse aussi bien les domaines de la répli-cation que ceux de la réparation et de la recombi-naison. De la bactérie à l’homme, l’accumulationdes lésions dans l’ADN (quelle que soit leur ori-gine) s’accompagne d’un blocage de la division cel -lulaire caractérisé par un arrêt à des phases précisesdu cycle. Par exemple chez S. cerevisiae, les pro-duits des gènes RAD9 et RAD24 bloquent les cel-lules en phase G1. Des analyses génétiquesrécentes montrent que des mutations des ADNpolymérases delta et epsilon – indispensables à laréplication du génome des levures – peuvent blo-quer l’induction des protéines de réparation ainsique mettre hors circuit certains points de contrôledu cycle cellulaire. De façon analogue, chez lesmammifères, une cascade d’événements contrôléspar la protéine p53 provoque un blocage du cyclecellulaire en G1 en réponse à l’endommagement del’ADN. Ce blocage permettrait la réparation deslésions de l’ADN afin d’assurer une réplicationfidèle et complète. L’absence d’un tel blocage setraduit par l’apparition de maladies humainesgraves.

Certaines étapes de la recombinaison parais-sent nécessaires au contrôle de la partition deschromosomes lors de la méiose chez la levure. C’estégalement durant la méiose que des événements“accidentels” de recombinaison et de réplicationvont provoquer l’expansion des courtes séquencesrépétées, responsables de plusieurs pathologieslourdes chez l’homme. L’origine de tels événements

et la capacité des cellules à les réparer sont l’objetde recherches intensives.

Les connaissances acquises devraient per-mettre de nombreux développements dans :

- la défense contre l’adaptation des parasites etdes virus en développant et utilisant des inhibiteursde réplication et de recombinaison,

- la prévention et le traitement des cancersgrâce à une meilleure connaissance des systèmesde réparation et de réplication,

- le dépistage de prédispositions génétiques aucancer et aux maladies liées à l’instabilité desgénomes,

- le dépistage d’agents mutateurs et cancéri-gènes par l’amélioration des tests du type Mutatest,Chromotest et test de Ames,

- la mise au point de nouvelles techniques etl’amélioration des techniques existantes : séquen-çage de l’ADN, PCR, thérapie génique, constructionde modèles animaux

2. 2 LES ÉLÉMENTS TRANSPOSABLES

Les éléments transposables représentent pro-bablement les plus petits “êtres vivants”, définiscomme “unités de réplication qui se comportent defaçon autonome vis-à-vis de la sélection naturelle”.Sous sa forme la plus simple, un transposon estconstitué d’un seul gène, souvent flanqué deséquences répétées. Ce gène code une enzyme de“recombinaison illégitime” qui assure sa dissémina-tion à l’intérieur du génome des espèces qu’il para -site. La capacité de transposition réplicative de ceséléments suffit à expliquer qu’ils occupent une partimportante de la plupart des génomes : parexemple, l’élément L1 constitue, à lui seul, 10 % dugénome humain, et sa transposition y cause desmutations associées à des maladies.

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Éléments transposables et plasticité des génomes

La présence et/ou l’activité des éléments trans -posables jouent un rôle capital dans les remanie-ments génomiques de presque tous les organismes.Chez les bactéries, les séquences d’insertion (IS)permettent la mobilité de caractères tels que résis-tances aux agents anti-bactériens, déterminants ducatabolisme des xénobiotiques, et déterminants dela pathogénicité. Chez les mammifères, les altéra-tions induites par les éléments transposables peu-vent conduire à des modifications notables du pro-gramme génétique de leur cellule hôte, pouvantêtre liées à l’apparition de cancers, ainsi qu’à demultiples autres désordres.

Il a été également récemment mis en évidenceque certains éléments transposables peuvent êtreindispensables à leur hôte. Ainsi, des élémentstransposables, appartenant à la classe des rétro-transposons sans répétitions terminales longues(LTR), assurent l’intégrité des télomères chez lesdiptères.

Différents types d’élémentstransposables et mécanismes de transposition

Les éléments transposables se subdivisent endeux grands groupes selon la stratégie utilisée dansleur transposition. Les éléments du premier groupe,qualifiés de “type bactérien” (bien qu’ils existentdans des organismes procaryotes et eucaryotes),expriment au moins une protéine, la transposase,capable de reconnaître les extrémités de son élé-ment, de les cliver, et de les transférer à un autresite du génome. Les éléments du second groupe,appelés rétroéléments (ou rétrotransposons), utili-sent un intermédiaire ARN dans la première étapede leur cycle de rétrotransposition. Les rétrovirusappartiennent à ce groupe. L'ARN, transcrit à partirde l’élément intégré (appelé provirus dans le casdes rétrovirus), est converti en ADN bicaténaire etlinéaire par une polymérase virale codée par l’élé -ment, la transcriptase inverse. Dans le cas des rétro-virus et des rétrotransposons à LTR, l’ADN néosyn-thétisé est inséré dans le génome par une autreenzyme codée par le rétroélément, l’intégrase.

En dépit des différences marquées entre cesdeux stratégies de transposition, il s’avère que lesréactions de coupure et de ligature réalisées parl’intégrase sont identiques à celles effectuées par lestransposases des éléments de type bactérien.

Au niveau du mécanisme moléculaire de latransposition, deux processus fondamentaux, appa-rus successivement au cours de l’évolution des élé -ments transposables, se dégagent nettement :

- le mécanisme d’intégration de certains rétro-éléments (les rétrotransposons sans LTR, ou LINE),directement couplé à leur transcription inverse, estmanifestement très ancien puisqu’il assure, parexemple, le “homing” des introns de type II, ves-tiges du “RNA world” ;

- les diverses intégrases à ADN suivent toutesles règles de base du fonctionnement de la recom-binaison illégitime chez les procaryotes. Ce méca-nisme d’intégration a même été adopté par les plusévolués des rétroéléments (les rétrotransposons àLTR et les rétrovirus) chez qui transcription inverseet intégration de la copie ADN sont deux méca-nismes moléculairement distincts.

Régulation de la transposition

Chez la drosophile, l’étude des divers méca-nismes qui empêchent l’élément P, un transposonde type bactérien, de “dépasser les bornes”, ontapporté d’importantes informations à la fois surl’élément lui-même et sur son hôte. Ces méca-nismes incluent : une répression transcriptionnellede l’élément par quelques éléments P défectifs ;une répression de l’épissage dans les tissus soma-tiques ; la participation d’autres éléments, encorecapables, bien que défectifs, de produire du répres-seur ou simplement de titrer la transposase.

L’étude du facteur I de la drosophile – unrétrotransposon sans LTR – devrait aussi apporter,dans un futur proche, d’intéressantes informationssur les mécanismes qui limitent la transposition.

Dans certains cas, il a été montré que les fré -quences de transposition sont régulées par desgènes de l’hôte (par exemple pour le rétroélément

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gypsy de la drosophile), ce qui situe directement larégulation des éléments transposables dans le cadregénéral de l’étude des relations hôte/parasite. Lestransposons peuvent utiliser les circuits de régula-tion de leur hôte, nous permettant ainsi de décou -vrir ces circuits. C’est le cas des processus de diffé-renciation cellulaire qui limitent leur expression àcertains tissus (par exemple à la lignée germinalequi assure leur propagation).

Utilisation des éléments transposables

En ce qui concerne la transgenèse, on ressentun besoin pressant de vecteurs utilisables notam-ment chez divers invertébrés présentant un intérêtagronomique ou médical. Rappelons que la perfor-mance de la génétique moléculaire chez la droso-phile est très largement basée sur l’utilisation d’unélément transposable, l’élément P. Des succès enre-gistrés récemment, soit avec des transposons detype bactérien (l’élément Minos utilisé chez desinsectes nuisibles aux cultures), soit avec des rétro-virus (le rétrovirus de Moloney enveloppé par laprotéine G du virus de la stomatite vésiculaire uti-lisé chez le poisson-zèbre et des bivalves) augurentfavorablement de la transformation d’autres orga-nismes importants comme le moustique ou le ver àsoie. Enfin, la découverte récente de rétrovirus chezles invertébrés (gypsy chez la drosophile) permetd’envisager le développement de vecteurs rétrovi-raux spécialement destinés aux insectes. Il est aussipossible d’espérer développer de nouvelles straté-gies de thérapie génique chez l’être humain par uti -lisation des éléments transposables.

2. 3 ORGANISATION DE LACOMMUNAUTÉ : UN PÔLE IMPORTANT

DE LA GÉNÉTIQUE EN FRANCE

Réparation, recombinaison et réplication

Trois clubs indépendants se sont constitués etorganisent des réunions régulières et indépendantespour chaque thème. Tous les deux ans, un colloque

commun (colloque des 3R) regroupant plus de 300personnes est organisé. Le congrès international desmutagènes de l’environnement qui se tient tous lesquatre ans dans un pays étranger sera organisé enFrance en 1997. De nombreuses conférences inter-nationales sont régulièrement organisées sur cessujets.

Transposition

Tous les deux mois, une réunion est organiséeentre les laboratoires “éléments transposables” de larégion parisienne. Chaque année, une réunionnationale regroupe près de 150 personnes des dif -férents laboratoires français. Des conférences inter-nationales sont régulièrement organisées. Au niveaueuropéen, la France est un pays leader qui regroupeun grand nombre de chercheurs travaillant dans cesdomaines et qui a contribué efficacement à la plu -part des découvertes citées ci-dessus .

3 - TRANSCRIPTION ETONCOGENÈSE

L’une des caractéristiques majeures des pro-grès faits ces dernières années dans le domaine del’oncogenèse est très certainement le rapproche-ment de champs thématiques qui s’ignoraient plusou moins comme l’oncologie, le contrôle du cyclecellulaire et la réparation de l’ADN. L’exposé quisuit se cantonne à la transcription, et les divisionsintroduites – que certains d’entre vous pourraienttrouver arbitraires – ne sont là que pour mettre enexergue les divers courants que l’on peut discernerdans ce domaine. Ainsi, si l’on prend pour exemplele cas des gènes suppresseurs de tumeurs, leurdécouverte est à mettre sur le compte de travauxréalisés aussi bien dans le cadre des virus onco-gènes à ADN que dans celui de la cytogénétique etdu clonage positionnel.

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3. 1 ONCOGÈNESET SIGNALISATION

Les travaux sur les rétrovirus oncogéniquesont conduit à l’idée que la plupart des oncogènesdécouverts à ce jour interviennent dans l’une desgrandes voies de transmission des signaux de pro-lifération ou de différenciation.

En effet, les protéines oncogéniquesnucléaires (membres des familles des protéinesMyc, Myb, Fos, Jun, Ski, Abl, eErbA, NFkB/Rel, Etspar exemple) constituent autant de relais transcrip-tionnels potentiels dans la transmission des signauxqui prennent naissance dans la membrane plas-mique ou dans le cytoplasme. La compréhensionde l’écheveau des régulations qui se tisse autourdes gènes qui les codent demeure un enjeu impor-tant.

La duplication de l’ADN qui suit la stimulationde cellules quiescentes par des facteurs de crois-sance est précédée par une cascade de processusmoléculaires mettant en jeu un ensemble de gènesqualifiés de précoces, comme les gènes c-fos, c-junou c-myc. Un grand nombre de ces gènes, commenous l’avons mentionné plus haut, codent des fac -teurs de transcription qui sont à leur tour impliquésdans l’induction de nouvelles vagues de transcrip-tion. Ceci conduit tout naturellement à la recherchede liens fonctionnels entre gènes précoces et gènesexprimés plus tardivement dans le cycle cellulaire.Ces régulations en cascade sont orchestrées par unefamille grandissante de protéines-kinases qui sontlà pour relayer aussi bien l’action de facteurs decroissance que d’agents physiques ou chimiquesgénérateurs de stress cellulaires. L’analyse desmécanismes (détermination des substrats et desgènes cibles) et leur validation in vivo restent dansla plupart des cas à faire.

3. 2 ONCOGÈNESET CYCLE CELLULAIRE

Les oncoprotéines de plusieurs virus tumori-gènes à ADN (SV40, virus des adénomes, polyomeset papillomes) sont capables de dissocier des com-

plexes protéiques cellulaires qui contiennent desrégulateurs du cycle de division cellulaire, parmilesquels l’on retrouve plusieurs suppresseurs detumeurs. Le pouvoir transformant de ces protéinesvirales est lié à cette propriété de détourner lesrégulateurs de leur fonction première.

Le déroulement correct du cycle cellulaire est,là aussi, sous la dépendance de la formation, del’activation et finalement de l’inactivation séquen-tielles d’une famille de protéine-kinases. Ces der-nières, sous leurs formes associées aux cyclines(qui doivent leur nom à ce que ce sont des pro-téines dégradées de façon cyclique), sont soumisesà un jeu de régulations positives et négatives qui,au niveau de points de contrôle spécifiques, ne per -mettent le passage de la cellule d’une phase àl’autre du cycle cellulaire que si certains événe-ments sont réalisés. La progression dans le cyclecellulaire peut également être influencée par desfacteurs exogènes aussi divers que par exemple leTGF-ß (Transforming Growth Factor-ß), l’ancragedans la matrice extracellulaire, ou encore l’intro-duction de lésions dans l’ADN. Dans tous ces cas,des observations récentes suggèrent l’interventionde protéines comme p53, inhibitrices du cycle cel -lulaire, qui agissent comme des médiateurs cou-plant le fonctionnement des divers points decontrôle dont la cellule s’est dotée aux principalesvoies de signalisation. Leur dysfonctionnement estimpliqué dans un nombre grandissant de néopla-sies. La pierre angulaire de cette régulation est lafamille des activateurs transcriptionnels E2F. Cesfacteurs de transcription sont retrouvés associés nonseulement à des complexes kinases/cyclines, maisaussi aux protéines apparentées au produit du gènede susceptibilité au rétinoblastome (pRb, p130,p107). Il est maintenant bien accepté que ces pro-téines inhibent la transcription sous contrôle desE2F en les séquestrant sous forme de complexesinactifs. La recherche des gènes cibles est, à l’heureactuelle, un enjeu important : des sites présomptifssont présents dans de nombreux gènes dont lesproduits sont requis pour le passage dans la phaseduplicative du cycle de division cellulaire (enzymesde la réplication, proto-oncogènes, effecteurs ducycle cellulaire, ...). Qu’en est-il in vivo ?

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3. 3 ONCOGÈNESET DIFFÉRENCIATION

Si les rétrovirus ont apporté leur moisson deparadigmes et sont actuellement devenus des outilspuissants pour interférer avec certaines voies de dif -férenciation, un grand nombre de proto-oncogèneset de gènes suppresseurs de tumeurs (particulière-ment chez l’homme) ont été découverts par l’ana-lyse des anomalies chromosomiques (amplifica-tions, mutations, remaniements chromosomiques).C’est en effet une propriété remarquable de la cel -lule tumorale que d’être le siège d’une intenseinstabilité génomique. Les leucémies ont été à cetitre (et continuent de l’être) une manne très utile,et constituent un modèle remarquable pour com-prendre les processus de différenciation qui opè-rent sur plusieurs lignages cellulaires. De très nom-breux facteurs de transcription se trouvent ainsijuxtaposés à des séquences ectopiques qui, soit lesmutilent (élimination d’un domaine régulateur, gaind’une séquence, avec pour résultat de nouvellespropriétés), soit les font échapper à la tutelle d’élé -ments de contrôle (proximité d’un élément régula-teur fort). La conséquence : une expression ecto-pique ou anachronique qui conduit à un blocagedans une impasse de la différenciation associé àune amplification incontrôlée du nombre de cel-lules. Peut-être, à ce propos, assisterons-nous à lacaractérisation de l’une des dernières terra inco -gnita nucléaires : “nuclear bodies” ou encore“POD” (pour : Promyelocytic Leukemia (PML)Oncogenic Domain), structures subnucléaires dontla fonction est totalement inconnue, mais qui sontle siège de remaniements profonds au cours de latransformation oncogénique. Les tumeurs solides,bien que plus difficiles à étudier, ont égalementapporté leurs contributions : nous citerons pourexemple les sarcomes d’Ewing (gènes fli-1, erg,ETV1), ou encore les cancers héréditaires du sein(gènes BRCA1 et BRCA2).

3. 4 ONCOGÈNES ET APOPTOSE

Le fonctionnement correct d’un organismecomplexe requiert un contrôle strict de la taille despopulations cellulaires qui constituent ses différents

tissus. Ceci résulte d’un équilibre judicieux entre lesprocessus qui gouvernent la prolifération et ceuxqui déclenchent la mort cellulaire. Cette dernière,aussi appelée apoptose, est un processus physiolo-gique actif qui semble être constitutif dans toutesles cellules des eucaryotes supérieurs, la survied’une cellule n’étant assurée que par la répressionconstante de la machinerie apoptotique. Ainsil’expression forcée dans des cellules quiescentesd’oncogènes nucléaires comme c-myc, tout en sti -mulant leur entrée dans le cycle cellulaire, pro-voque également une mort abondante qui peutemporter toute la population si des facteurs de sur -vie ne sont pas présents. Il semblerait donc que lepouvoir transformant de multiples oncogènes ne serévèle que dans des conditions où l’apoptose estinhibée. La sensibilité à de nombreux agents géno-toxiques serait, au moins en partie, relayée par leproduit du gène suppresseur de tumeurs p53 quiest un des acteurs importants dans le contrôle del’apoptose. La perte de p53 au cours de la progres-sion tumorale est en bonne corrélation avec la résis -tance acquise par la cellule aux multiples traite-ments utilisés en thérapie antitumorale.

3. 5 ONCOGÈNES ET RÉGULATIONTRANSCRIPTIONNELLE :

UNE PERSPECTIVE

Il n’est pas possible de dissocier les progrèsfaits dans ce domaine de ceux obtenus dans celuide la compréhension des mécanismes généraux dela transcription. Ces progrès ont été rendus pos-sibles notamment grâce à l’essor pris par toutes lestechniques visant à mettre en évidence des interac-tions protéines-protéines et ADN-protéines (co-immunoprécipitation ou GST/pull down, simple etdouble-hybride, ...). Ces méthodes n’ont pas fini deservir, et il sera sans doute opportun de les affinerencore davantage (triple-hybride, double-hybridedans les cellules de mammifères, etc.).

Après une longue période de recherchedédiée à la caractérisation des divers partenairesimpliqués dans la transcription, à leur purification,à la définition de leurs interactions sélectives, letemps est venu de les replacer dans un contexte

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plus global. Ainsi, de nombreux travaux visentactuellement à isoler la (les) structure(s) opération-nelle(s), capable(s) de mimer in vitro toutes lescaractéristiques d’une transcription fidèle et efficace(holoenzyme). Aux détours de ces pérégrinations,de nombreuses surprises : pour exemple, le facteurTBP, initialement caractérisé au niveau des unitésde transcription pourvues d’une boîte TATA ettranscrites par l’ARN polymérase II, est maintenantreconnu comme essentiel aux trois classes d’ARNpolymérases (I, II et III) ! Le lien avec de nom-breuses fonctions cellulaires a été établi, et actuel -lement la transcription ne peut être séparée parexemple de la réparation de l’ADN (deux sous-uni -tés du facteur de base TFII H ont des activités héli -cases) : est-ce un moyen de surveiller en perma-nence la partie transcrite du génome ?

Toutes les techniques qui tentent de replacerla transcription dans un contexte qui est le plusproche d’une situation in vivo sont à soutenir : nousassistons ainsi à une réactualisation du rôle de lastructure chromatinienne dans le contrôle del’expression des gènes in vivo. Ces études ont béné-ficié non seulement de la réalisation d’animauxtransgéniques permettant d’exprimer un gain defonction, mais également d’animaux où les gènesanalysés ont subi des invalidations biallèliques. Aucaractère constitutif et limité de ces dernières, nousopposerons la possibilité, bien plus intéressante,d’une extinction ciblée et conditionnelle. C’est sansnul doute dans ce domaine un axe à privilégier .

Signalons également le rôle grandissant del’analyse structurale avec l’étude tridimensionnelledes facteurs de transcription (domaines de liaisonavec l’ADN, domaines de dimérisation, domainesactivateurs). C’est non seulement une finalité de labiologie structurale, mais également un outil puis-sant de modélisation qui, de pair avec l’analyse desréseaux de signalisation cellulaire telle qu’elle estdécrite plus haut, peut avoir des retombées dans ledomaine de la cancérologie.

Finalement, et bien que cela déborde du cadrede l’oncogenèse, il y a le monde des procaryotes :l’oublier serait une grave erreur, car ce secteur resteun système de référence pour de nombreux aspectstouchant à la transcription (depuis la structure despolymérases jusqu’à la caractérisation fine, au

niveau atomique, des interactions protéines-ADN etprotéines-protéines). Parmi les découvertes mar-quantes les plus récentes, citons l’identificationd’une protéine structurellement et fonctionnelle-ment apparentée à TBP chez les archaebactéries, oubien la magnifique cascade de facteurs sigma inter -venant au cours de la sporulation de Bacillus sub -tilis, et dont la description s’af fine au fil des ans...

En conclusion, nos intérêts dans l’étude del’oncogenèse, et plus particulièrement des facteursde transcription oncogéniques, se sont progressive-ment élargis du contrôle de la prolifération verscelui de la différenciation cellulaire. Si les progrèsen thérapeutique anticancéreuse engendrés par larecherche fondamentale ne semblent pas à lamesure de la formidable quantité de découvertesfaites dans ce domaine, c’est que le problème estd’une complexité colossale souvent cachée par laconjonction de certains intérêts industriels, acadé-miques et d’effets médiatiques. De nombreusescibles potentielles sont maintenant en notre pos-session, le problème est de trouver les plus judi-cieuses. Pour cela, il reste encore à ordonner lesdonnées accumulées pendant ces deux dernièresdécennies en un modèle pertinent qui tiendracompte des diverses facettes évoquées plus haut.En revanche, si l’on se place sur le plan de la méde -cine prédictive, des progrès très importants ont étéenregistrés. L’analyse des mécanismes de prédispo-sition à de nombreux cancers est en pleine expan-sion et fournit déjà, dans de nombreux cas, un outildiagnostique important. En outre, les nouvellesconnexions établies avec des champs thématiquesaussi divers que le cycle cellulaire, la réparation deslésions dans l’ADN ou l’apoptose, laissent espérerde nouvelles approches fondées sur l’utilisation desmécanismes cellulaires d’arrêt de la prolifération, ouencore d’autodestruction des cellules déviantes.

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4 - RÉGULATION POST-TRANSCRIPTIONNELLE

ET CONTRÔLE ÉPIGÉNÉTIQUEDE L’EXPRESSION

GÉNÉTIQUE

4. 1 MODIFICATIONS ET RÉGULATIONSPOST-TRANSCRIPTIONNELLES

Les régulations post-transcriptionnelles peu-vent se situer à différents niveaux du flux de l’infor -mation génétique dans la cellule : maturation destranscrits, stabilité des messagers, contrôle de la tra -duction et modification des protéines. Si les étudessur le contrôle transcriptionnel sont les plus avan -cées, il apparaît de plus en plus que les événementspost-transcriptionnels ont une importance qualita-tive et quantitative essentielle dans le fonctionne-ment cellulaire. De plus, un certain nombre derésultats récents : éditage des ARN messagers(ARNm), prions, épissage des protéines, ARNguides issus de la maturation de certains introns,montre que ce domaine peut continuer à révélerdes surprises sur les mécanismes mis en œuvredans l’expression génétique.

Un nombre conséquent de laboratoires fran-çais ont une activité qui se situe dans ce domained’étude des modifications et régulations post-trans-criptionnelles, principalement au niveau de la matu -ration et de la stabilité des transcrits. Les événe-ments post-traductionnels sont principalementabordés dans le cadre de l’étude de la régulation del’activité des facteurs transcriptionnels et des onco-gènes, du cycle cellulaire ou du rôle des protéineschaperons.

Il existe un potentiel de chercheurs relative-ment important sur le métabolisme des ARN, enparticulier sur les problèmes liés à l’épissage, quece soit au niveau de l’analyse des mécanismes debase sur les modèles levure et mammifères, del’épissage alternatif, des ARN autocatalytiques. Il

s’agit d’une thématique importante, compte tenu enparticulier du rôle de l’épissage alternatif en tantque mécanisme responsable de la diversificationdes séquences protéiques (ayant souvent des effetsbiologiques antagonistes) en relation avec la diffé-renciation cellulaire et le contrôle de l’expressiongénétique (voir protéines du cytosquelette, neuro-peptides, facteurs de transcription et oncogènes,etc.). Les recherches de base sur les mécanismes del’épissage sont essentielles pour appréhender lesmécanismes de l’épissage alternatif et en particulierle rôle relatif des facteurs généraux et des facteursspécifiques. La généralité et l’importance de l’épis -sage alternatif dans de nombreux phénomènes bio-logiques méritent un effort soutenu avec commeobjectif l’identification des facteurs spécifiques etl’étude de leur expression tissu-spécifique. Cecipassera peut-être par le développement d’étudessur de nouveaux modèles autres que les pré-mes-sagers des tropomyosines. Les recherches sur lesARN autoépissables permettent d’éclaircir certainsaspects structuraux et catalytiques impliqués dansla maturation des ARN hétérogènes. Ils sont actuel-lement prolongés par l’étude de motifs nucléoti-diques possédant diverses activités catalytiques(SELEX). Cette orientation peut déboucher sur desrésultats importants non seulement dans le domainede l’évolution moléculaire, mais aussi dans la défi -nition de nouvelles approches thérapeutiques.

Les études sur la maturation des ARN riboso -miques progressent actuellement assez rapidementgrâce à des approches mettant en jeu des mini-gènes et la caractérisation des protéines impliquées.Le rôle de certains petits ARN d’origine introniquecomme guides dans la modification des ARN ribo -somiques constitue une découverte récente etimportante de ce domaine.

Un facteur important de la modulation del’information génétique et éventuellement de sarégulation est l’efficacité de la traduction. Certainsaspects du problème de la stabilité des ARNm etdes mécanismes mis en jeu dans la dégradation deces ARN sont étudiés en France sur des modèlesbactériens et eucaryotes. Sur le modèle levure, ceproblème est abordé par l’analyse du rôle du seg-ment polyadénylé sur la stabilité des ARNm et surles relations avec l’initiation de la traduction. Cestravaux sont complémentaires des recherches en

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cours sur le rôle des événements de polyadényla-tion et désadénylation des messagers dans lesphases précoces du développement embryonnaire.Un autre élément important à prendre en considé-ration au niveau de la régulation de la traduction,est le “capping” des messagers. Il est maintenantadmis que les extrémités 3’ et 5’ des messagers ontun effet synergique dans l’efficacité de la traduction.Différents résultats récents révèlent en outrel’importance de la coiffe, aussi bien pour l’exportnucléo-cytoplasmique de l’ARN que pour lecontrôle traductionnel des ARNm au cours du déve -loppement précoce ou de l’oncogenèse.

Ces différents travaux révèlent la nécessitéd’un fort investissement dans la caractérisation desprotéines associées au stockage et au transit desARN nucléaires et cytoplasmiques. Il est égalementnécessaire d’entreprendre une étude approfondiede l’organisation fonctionnelle du noyau. Ces deuxdomaines sont actuellement en cours d’exploration.Ces recherches doivent mettre en œuvre desapproches multidisciplinaires de génétique molé-culaire, de biologie cellulaire et de reconstitution in vitro.

Au niveau protéique, plusieurs aspects méri-tent une attention particulière. Il s’agit du détermi-nisme de la stabilité des protéines en relation avecune meilleure compréhension des voies de dégra-dation. L’importance de ces problèmes est bienillustrée par les relations existant entre pouvoironcogénique et stabilité des protéines, mises enévidence par exemple pour des protéines telles queJun ou Fos. Il devient également nécessaire demieux préciser le rôle du chaperonnage, en parti-culier, dans l’assemblage des complexes multipro-téiques. Ceci est actuellement abordé sur différentsmodèles : assemblage des ribosomes, complexesrespiratoires mitochondriaux, etc.

Il existe encore un décalage important entrenos connaissances des événements intervenant auxniveaux transcriptionnel et post-transcriptionnel,décalage qui tient à la fois à des raisons historiques,à la grande diversité des mécanismes mis en jeu,mais aussi, sans doute, à des aspects techniques. Ilest en effet nécessaire de disposer de méthodesquantitatives sensibles pour évaluer le rôle relatifdes nombreuses étapes possibles d’un contrôle

post-transcriptionnel. Le développement deméthodes de quantification en imagerie des pro-téines (quantification en double marquage, compa-raison automatisée des électrophorèses 2D) doitêtre encouragé. Indépendamment de l’aspect cogni -tif, l’accroissement des connaissances dans cedomaine permettra de mieux appréhender certainespathologies (expression et prolifération virale, pro-gression tumorale, etc.) et d’aider à une meilleuremaîtrise de certains aspects de la thérapie géniquepar l’optimisation des systèmes d’expression, pro-blème qui est actuellement abordé principalementau niveau transcriptionnel.

4. 2 CONTRÔLE ÉPIGÉNÉTIQUEDE L’EXPRESSION DES GÈNES

Si le phénotype d’une cellule ou d’un orga-nisme est fondamentalement le résultat de l’inté-gration rapide de l’information génétique qu’ilscontiennent et des signaux qu’ils reçoivent, l’exis-tence d’une mémoire moléculaire héritable peutintervenir pour moduler l’expression génétique.Dans ce cas, ce n’est pas tant la séquence du gènequi va déterminer son patron d’expression quel’empreinte d’événements qui se sont produits anté-rieurement et qui se transmet au cours des généra -tions cellulaires. Dans ce domaine, de nouveauxaspects du fonctionnement cellulaire ont été révé-lés au cours des dernières années (empreinte géno-mique parentale, hérédité structurale des protéines).

Ce contrôle épigénétique peut s’exercer à dif-férents niveaux. Le premier niveau est chromoso-mique par l’intermédiaire d’au moins deux types demodifications, la méthylation de bases et la struc-ture chromatinienne. Des régulations de cettenature ont été mises en évidence dans le contrôlede l’expression de gènes dans un nombre croissantde situations biologiques. Elles ont en particulierété décrites chez les mammifères au cours du déve-loppement, lors de l’installation et de la progressionde l’état tumoral ou dans le contrôle de l’expr essionmonoallélique de certains gènes au cours de la dif -férenciation cellulaire, et éventuellement au coursdu vieillissement. Il peut également s’agir de phé -nomènes intervenant lors de la transgenèse ou à lasuite d’accidents chromosomiques (effets de posi-

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tion) ou de la duplication de gènes. La compré-hension des mécanismes moléculaires mis en jeurevêt donc un intérêt essentiel, et le nombre depublications connaît dans ce domaine une progres-sion très importante et très rapide. Ces phénomènesne sont pas limités aux mammifères, ils sont égale-ment présents et analysés chez les invertébrés (dro-sophile, nématode : Caenorhabditis) et chez lesvégétaux, ainsi que chez les micro-organismes oùdifférents modèles biologiques sont explorés(levures : variégation associée aux structures chro-matiniennes télomériques ou centromériques ;champignons : méthylation ; trypanosomes :expression des VSG en position télomérique, etc.).Il faut également signaler les études conduites surles phénomènes de co-suppression chez les végé-taux suggérant l’existence d’un contrôle épigéné-tique post-transcriptionnel affectant le transport oula stabilité des ARN messagers.

De nombreux problèmes restent à résoudre,recensement des gènes concernés, mécanismes del’installation et de la levée de l’empreinte (signaux,protéines), modalités de l’héritabilité de cesempreintes au cours des divisions cellulaires, etc. Lepotentiel de recherche en France est significatifdans plusieurs de ces différents aspects, que ce soitsur l’homme ou la souris, les végétaux ou les micr o-organismes. Il serait cependant nécessaire de faireun état des lieux précis et de structurer des interac-tions entre les groupes impliqués dans ces travaux(colloque national, appel d’offres ?). Il faut égale-ment intégrer dans ces thématiques les travaux encours dans différents laboratoires sur la structura-tion des domaines chromatiniens et sa dynamique(relations avec la régulation de l’expression géné-tique).

Il est prévisible que les informations dans cedomaine seront essentielles dans la compréhensionde certains aspects fondamentaux de la biologiecellulaire tels que le développement, le contrôle dela prolifération ou le vieillissement.

Un contrôle épigénétique a été caractérisérécemment au niveau protéique grâce aux travauxsur la protéine prion. Ces travaux ont mis en évi-dence la possibilité pour une forme de cette pro-téine de transmettre son état conformationnel à desmolécules identiques, mais présentant une autre

configuration. Des situations comparables du pointde vue phénoménologique ont été décrites chezdes micro-organismes, levure et champignon, pourplusieurs protéines ayant des fonctions différentes,ce qui suggère que cette hérédité structurale peutavoir une portée assez générale. Les laboratoiresfrançais impliqués dans ces études ont été bienrecensés à l’occasion de l’appel d’offres ACC-SV 10 :“Pathologies associées aux prions”. Compte tenu del’incidence sociale et économique des maladies àprions et de l’implication possible de phénomènescomparables dans d’autres maladies neurodégéné-ratives, les activités de recherche dans ce domainedoivent être développées. Les pistes de recherche àexplorer portent sur la compréhension des relationsentre la structure de ces protéines et les change-ments conformationnels (nécessité d’une forte col -laboration avec les biochimistes structuralistes), lacaractérisation d’autres gènes éventuellement impli-qués dans ces changements conformationnels(“chaperones” ?), les moyens permettant de modu-ler in vivo les états conformationnels de ces pro-téines, etc. L’objectif doit être, à terme, le dévelop-pement d’approches thérapeutiques permettant lamaîtrise des pathologies associées à ce type d’évé-nement.

La transmission d’une information structuraleau niveau protéique doit également être mise enjeu dans le maintien et la transmission de l’organi-sation de structures supramoléculaires comme lecytosquelette. La notion que l’organisation cellulaireet le développement ne découlent pas seulementde la spécificité des molécules en jeu, mais dépen -dent aussi de polarités et de différenciations pré-existantes est actuellement largement suggérée pardifférents travaux sur la polarité cellulaire (embryonde drosophile, plans de division chez C. elegans,bourgeonnement chez la levure), le cytosquelettechez la paramécie ou l’organisation de centres orga-nisateurs des structures microtubulaires. La com-préhension de ces aspects de la biologie cellulaireconstitue donc un enjeu important.

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5 - MICROBIOLOGIE

5. 1 DE LA DÉFINITIONDES MICRO-ORGANISMES

Pour la Société Française de Microbiologie(SFM), la définition inclut bactéries, protistes euca-ryotes, bactériophages et virus ! Il semble cepen-dant raisonnable de limiter la définition aux micro-organismes procaryotes et eucaryotes et à leursvirus. Le flou relatif dans une définition claire desmicro-organismes entraîne souvent une difficulté deperception d’une véritable communauté des micro-biologistes : de fait, à part la SFM, il n’y a pas réel -lement de cadre organisé où les microbiologistespeuvent se retrouver. Une possibilité serait de tirerparti de l’infrastructure de l’ATIPE Microbiologie,qui pourrait être enrichie par l’organisation de col-loques d’une part, et de laboratoires de microbio-logie “sans murs” d’autre part.

Des découvertes à faire sur le planfondamental

Il faut maintenir un effort de recherche enmicrobiologie car il reste encore beaucoup à apprendre sur les mécanismes fondamentaux duvivant : cycle cellulaire, modèles de développementet de différenciation, contrôle de la densité de lapopulation cellulaire, réponse et adaptation aux signaux environnementaux, topologie et assem-blage des protéines membranaires, théories del’évolution, etc.

Les micro-organismes, notamment les bacté-ries, constituent des modèles extraordinaires pources études, y compris pour éclairer les problèmesdes “eucaryotes supérieurs”. On constate en effetune remarquable conservation des séquences, maissurtout de la structure des protéines et de leursfonctions : un tout petit nombre de motifs structu-raux utilisés encore et encore dans tous les orga-nismes, y compris l’homme. Cette constatation jus-tifie certaines extrapolations aux eucaryotessupérieurs. C’est le cas de l’étude du cycle cellulaire

chez la levure et chez Aspergillus qui éclaire laconnaissance du contrôle du cycle chez les mam-mifères. C’est le cas des transporteurs ATP-dépen-dants (famille ABC) et de certains gènes impliquésdans la résistance aux drogues, des gènes de répa-ration et leurs équivalents humains impliqués dansle cancer héréditaire du colon. C’est le cas du deve -nir de deux cellules filles et des mécanismes de dif -férenciation, des rythmes circadiens, des analogiesentre la translocation nucléaire chez Aspergillus etle développement neuronal, etc.

“Limiter cette source d’idées novatrices enarrêtant de soutenir la recherche et la formation enmicrobiologie serait rapidement désastreux”.

Les mécanismes de pathogénicité

Les micro-organismes pathogènes constituentun problème important pour le citoyen, qu’ils’agisse de santé publique avec les pathogènes del’homme, ou d’agronomie avec les pathogènes desplantes et des insectes. Nous connaissons encorepeu de choses sur les mécanismes moléculaires dela pathogénicité, en particulier sur les interactionsavec l’hôte. Ces axes de recherche sont peu déve-loppés en France et constituent un champ d’étudepassionnant, tant sur le plan de la recherche fon-damentale qui intéresse le CNRS, que des possibili -tés de recherche finalisée (INSERM, INRA).

5. 2 LES MICROBES EUCARYOTES(LEVURES, CHAMPIGNONS)

Il est difficile de faire un état des recherchessur la (les) levure(s), étant donné la multitude detravaux sur ces organismes. On peut toutefoisremarquer l’existence d’une véritable communautédes levuristes, d’abord au niveau français, maisaussi au niveau européen, avec des réunions, desinformations qui circulent, des programmes coor-donnés. C’est un atout important au moment où latotalité de la séquence nucléotidique de la levurede boulanger (S. cerevisiae) est connue, et oùl’exploitation de ces séquences va commencer.L’analyse fonctionnelle de ce génome et les rela-tions entre celle-ci et les pathologies humaines et

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végétales constitue une ouverture intéressante. Il faut signaler, d’autre part, l’intérêt de S. cerevisiaepour l’étude des organelles (mitochondries, peroxi-somes etc.) et la façon dont la cellule contrôle leurbiogenèse. Enfin, ne pas oublier les avantages desmodèles de la levure de fission (Schizosaccha -romyces pombe) et Aspergillus nidulans, et leurimportant développement actuel.

Les champignons filamenteux constituent unrelais particulièrement intéressant entre levures eteucaryotes pluricellulaires. On peut citer plusieursexemples où des contributions majeures à la com-préhension de phénomènes biologiques ont étéapportées.

- Ascobulus immersus, dont l’utilisation a per-mis l’étude des mécanismes de recombinaisonméiotique, est maintenant un modèle pour l’étudedu processus du MIP, dans lequel la méthylationdes gènes dupliqués conduit à leur extinction,

- Fusarium oxysporum, qui est par ailleurs unpathogène de plantes, constitue un modèle extra-ordinaire pour l’étude des éléments transposables.Sept familles de transposons, représentatives desclasses majeures d’éléments génétiques mobileschez les eucaryotes ont été répertoriées, avec leursconséquences sur le fonctionnement du génome etsa plasticité (inactivation de gènes, réarrangementschromosomiques...),

- Podospora anserina est un modèle de choixpour l’étude des processus dégénératifs (sénes-cence, mort prématurée) associés à des remanie-ments du génome mitochondrial. Il est aussi unmodèle prometteur pour les mécanismes de diffé-renciation des cellules après la fécondation et desphénomènes de lyse des cellules hétérocaryotiquespar fusion entre filaments de deux souches diffé-rentes (incompatibilité végétative).

5. 3 FAUT-IL SOUTENIRLES RECHERCHES SUR LES MODÈLES

BACTÉRIENS CLASSIQUESOU SUR UNE VARIÉTÉ DE MODÈLES ?

On peut donner de nombreux exemples mon-trant que la recherche sur les bactéries classiquesest encore d’une actualité brûlante : découverte desintrons de groupe II chez E. coli, autoépissage etsans doute “intron homing” ; possibilité de poly-adénylation chez E. coli ; mise en évidence des hélicases de la famille “DEAD box” toujours chez E. coli.

D’autre part, les modèles classiques consti-tuent des outils inégalés pour mieux comprendreles relations structure-fonction des protéines si l’onveut aborder ensuite l’étude de systèmes complexeschez les mammifères. Un autre avantage décisif deces modèles est la masse considérable d’informa-tions apportées depuis des années sur leur mor-phologie, leur physiologie et leur métabolisme, etles innombrables mutants dont on dispose. Cesdonnées permettront de relier de façon très perti-nente les informations de séquences à la physiolo-gie de ces organismes. Il est impensable d’aban-donner ces modèle à un moment aussi décisif. Lesmodèles comme E. coli et B. subtilis permettrontnon seulement d’éclairer de nombreux problèmeschez les eucaryotes, mais encore de découvrir denouvelles fonctions et d’analyser complètement desédifices macromoléculaires.

Un autre point de vue (non exclusif) est deconsidérer qu’il faut au contraire étudier une grandevariété de modèles en utilisant chacun d’eux poursa capacité à éclairer au mieux un problème donné.Par exemple B. subtilis pour la sporulation, C. cres -centus pour le cycle cellulaire, Synecoccus sp. (cya-nobactéries) comme progéniteurs des chloroplastes,Sulfolobus (archaebactérie) ou Thermotoga (eubac-térie) pour les études sur la thermophilie, etc.

De ce point de vue, l’apport du séquençagesera décisif, car il va permettre des comparaisonsintéressantes, non seulement en termes de phylo-génie moléculaire, mais aussi d’évolution des struc -tures et des fonctions cellulaires des organismes en

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relation avec leur mode de vie. Enfin, il faut utiliserla variété des micro-organismes comme outilsd’analyse de gènes essentiels que l’on a ou que l’onva retrouver chez les mammifères.

5. 4 L’APPORT DESMICRO-ORGANISMES MARINS,

PARTICULIÈREMENT LES THERMOPHILES

Récemment, l’étude des sources chaudes sous-marines a permis de décrire une multitude demicro-organismes nouveaux. Ces découvertes sti-mulent les recherches fondamentales sur les extrê-mophiles, notamment sur les mécanismes molécu -laires de l’adaptation aux hautes températures etpressions (découverte d’enzymes aux propriétésnouvelles), et sur l’évolution des organismes et lesorigines de la vie. On formule maintenant l’hypo-thèse d’une biosphère souterraine dominée par lesmicro-organismes. Le séquençage de plusieursgénomes d’organismes thermophiles et hyperther-mophiles est en cours.

Parallèlement, l’instrumentation s’est dévelop-pée pour répondre aux besoins de ces études : unsubmersible, le Nautile, des incubateurs sous hautepression, des fermenteurs adaptés pour la produc-tion de biomasse, etc. Ces études ont stimulé l’inter -disciplinarité avec les géochimistes, les minéralo-gistes, les physiciens.

Les recherches sur les micro-organismesmarins sont développées principalement dans troispays : États-Unis, Japon, France. En France, le GDRBactocéan regroupe à la fois des laboratoires àvocation finaliste (IFREMER) et des laboratoires derecherche fondamentale (CNRS, Universités).

5. 5 L’IMPORTANCE DE L’ÉCOLOGIEMICROBIENNE

“Les micro-organismes ne vivent pas dans lesboîtes de Pétri !”

Pourquoi est-il important de développer ce secteur ?

- Le sol contient une très grande richessed’espèces microbiennes (et encore ce n’est rien àcôté de la flore tellurique) qui reste inexploitée.

- Le sol et la rhizosphère contiennent des bac-téries impliquées dans les cycles biochimiquesmajeurs de notre planète : il faut identifier plus pré -cisément les fonctions métaboliques clés et lesorganismes qui sont responsables.

- Les conditions très changeantes du sol et dela rhizosphère imposent une adaptation et uneinteraction entre micro-organismes.

Il y a des applications non exploitées des bacté -ries du sol, notamment comme agents antimicr obiens.

Que faut-il étudier ?

- Les grandes réactions de transformations desmétabolites.

- Les mécanismes d’adaptation à l’environne-ment, notamment chez les extrêmophiles.

- Les phénomènes de co-évolution - symbiose- parasitisme.

- Les études de taxonomie et d’évolution(Woese), la caractérisation d’espèces non culti-vables, l’étude de leur représentativité, et de leurdistribution. L’un des outils pour ces études : la bio-logie moléculaire.

5. 6 LA PLURIDISCIPLINARITÉET LES RETOMBÉES

SUR LES RECHERCHES FINALISÉES

L’étude des micro-organismes stimule consi-dérablement les recherches interdisciplinaires. Toussoulignent le très grand pouvoir de rassemblementde la microbiologie, qui réunit des spécialistes dedisciplines très variées :

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Recherches fondamentales

Interface avec les biophysiciens pour lesétudes des relations structure-fonction des protéineset des interactions protéines-acides nucléiques, parRMN, rayons X, microscopie électronique, photo-nique, cristallographie 2D, modélisation etc., apportdes immunologistes pour disséquer l’organisationmoléculaire des protéines et pour l’optimisationd’abzymes.

Interfaces avec les archéologues et les géo-logues pour l’identification de micro-organismesprésents dans les ossements ou les sédiments.

Recherches finalisées

Interfaces entre les chimistes, les géochimistes,et les microbiologistes pour les problèmes de bio-conversion, notamment dans le cas des bactéries ouarchaebactéries métabolisant le soufre. Interfaceavec les Sciences de l’ingénieur – notamment dansle cas des extrêmophiles – pour l’extraction deminerais, et aussi pour l’étude des organismesvivant sous haute pression.

Interface avec les écologistes pour les pro-blèmes de dépollution. Interface avec l’industrieagro-alimentaire pour le contrôle bactériologiquede qualité des produits. Interfaces avec lesdomaines médicaux et agronomiques pour l’étudedes pathogènes des mammifères, des insectes etdes plantes.

5. 7 QUELS DANGERS MENACENTLA MICROBIOLOGIE ? COMMENT

SOUTENIR CETTE DISCIPLINE ?

Les difficultés que cette discipline traverserésultent, de l’avis général, d’une accumulation de cir -constances défavorables : une politique favorisantplutôt les organismes pluricellulaires, la médiatisationet l’effet de mode pour le SIDA, la génétiquehumaine, la thérapie génique, etc. La conséquence decette politique a été la difficulté accrue d’attirer debons étudiants dans ce domaine où postes et finan -

cements étaient quelque peu réduits. Une autre diffi-culté réside dans le manque de définition précise dela communauté des microbiologistes (voir plus haut).

Les remèdes dans la situation actuelle sont lessuivants :

- mieux définir les contours de notre commu-nauté ;

- resserrer les liens à l’intérieur de cette com-munauté, par exemple grâce à des colloques et parla mise en route d’échanges de compétences et dechercheurs à travers la constitution de laboratoiressans murs, associant, si nécessaire, divers EPST :CNRS, INSERM, INRA, IFREMER ;

- intégrer harmonieusement les recherches lesplus fondamentales et les recherches les plus finali-sées ;

- ne pas oublier notre devoir de citoyens dumonde et penser à développer les recherches sur lespathogènes, pour des raisons humanitaires, maisaussi scientifiques et économiques ;

- maintenir les recherches sur les organismespour lesquels une très grande accumulation deconnaissances existe déjà (E. coli, B. subtilis, S. cere-visiae), mais soutenir l’idée d’une variété de modèlesbactériens, archaebactériens, eucaryotes dits “infé-rieurs” pour leur capacité à résoudre au mieux unproblème biologique (cycle cellulaire, différenciation,adaptation à l’environnement, etc.) et leur propriétééventuelle d’avoir mis en place tel ou tel mécanismedéveloppé par la suite chez les métazoaires ;

- renforcer les liens avec nos partenaires euro-péens, tout en sachant que les projets finalisés sontlargement favorisés par la CEE.

La recherche de soutien financier et de postes,notamment de post-doctorants, est évidemment unedifficulté majeure de la discipline.

En principe, la communauté européenne a pourtâche de soutenir des projets de recherche assez finali-sés, cependant que les États soutiendraient lesrecherches les plus fondamentales. Malheureusement,l’apport des EPST est notoirement très insuffisant.

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