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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 août 2021 05:37 Santé mentale au Québec Gisela Pankow ou la possible rencontre avec le psychotique Gisela Pankow or possible meeting with the psychotic Robert Pelsser Pratique analytique et psychose Volume 9, numéro 1, juin 1984 URI : https://id.erudit.org/iderudit/030212ar DOI : https://doi.org/10.7202/030212ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Revue Santé mentale au Québec ISSN 0383-6320 (imprimé) 1708-3923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pelsser, R. (1984). Gisela Pankow ou la possible rencontre avec le psychotique. Santé mentale au Québec, 9(1), 80–96. https://doi.org/10.7202/030212ar Résumé de l'article L'auteur présente une synthèse des travaux théoriques et cliniques de Gisela Pankow concernant la psychose. La lecture des travaux de cette psychanalyste a un caractère fascinant pour diverses raisons : elle fournit de nombreux cas cliniques détaillés et vivants, elle prend en analyse des patients pour lesquels d'autres méthodes de traitement ont échoué. Mais cet aspect spectaculaire risque de faire passer le lecteur à côté de l'essentiel de l'oeuvre qui est une théorisation et une approche, pratique originales concernant la psychose. Le résumé des thèses de Pankow s'avère d'autant plus nécessaire que cette dernière ne prend pas toujours le temps de présenter ses travaux de façon claire et organisée. Les principaux apports de Pankow sont les suivants : l'utilisation de techniques non traditionnelles (face à face, dessins, modelages, contacts avec la famille) dans le traitement du psychotique, la redéfinition de l'image du corps avec une double fonction de forme et de contenu, le développement de la technique des greffes de transfert, par opposition au transfert classique, la redéfinition du concept de forclusion (Lacan) en tant que mécanisme de défense impliquant directement l'image du corps. Le présent texte peut servir d'introduction à la lecture des travaux de Pankow en mettant quelque peu les idées en ordre.

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Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 16 août 2021 05:37

Santé mentale au Québec

Gisela Pankow ou la possible rencontre avec le psychotiqueGisela Pankow or possible meeting with the psychoticRobert Pelsser

Pratique analytique et psychoseVolume 9, numéro 1, juin 1984

URI : https://id.erudit.org/iderudit/030212arDOI : https://doi.org/10.7202/030212ar

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Éditeur(s)Revue Santé mentale au Québec

ISSN0383-6320 (imprimé)1708-3923 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articlePelsser, R. (1984). Gisela Pankow ou la possible rencontre avec le psychotique.Santé mentale au Québec, 9(1), 80–96. https://doi.org/10.7202/030212ar

Résumé de l'articleL'auteur présente une synthèse des travaux théoriques et cliniques de GiselaPankow concernant la psychose. La lecture des travaux de cette psychanalystea un caractère fascinant pour diverses raisons : elle fournit de nombreux cascliniques détaillés et vivants, elle prend en analyse des patients pour lesquelsd'autres méthodes de traitement ont échoué. Mais cet aspect spectaculairerisque de faire passer le lecteur à côté de l'essentiel de l'oeuvre qui est unethéorisation et une approche, pratique originales concernant la psychose. Lerésumé des thèses de Pankow s'avère d'autant plus nécessaire que cettedernière ne prend pas toujours le temps de présenter ses travaux de façonclaire et organisée. Les principaux apports de Pankow sont les suivants :l'utilisation de techniques non traditionnelles (face à face, dessins, modelages,contacts avec la famille) dans le traitement du psychotique, la redéfinition del'image du corps avec une double fonction de forme et de contenu, ledéveloppement de la technique des greffes de transfert, par opposition autransfert classique, la redéfinition du concept de forclusion (Lacan) en tant quemécanisme de défense impliquant directement l'image du corps. Le présenttexte peut servir d'introduction à la lecture des travaux de Pankow en mettantquelque peu les idées en ordre.

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Gisela Pankow oula possible rencontre avec le psychotique

Robert Pelsser*

L'auteur présente une synthèse des travaux théoriques et cliniques de Gisela Pankow concernant la psychose. La lecturedes travaux de cette psychanalyste a un caractère fascinant pour diverses raisons : elle fournit de nombreux cas clini-ques détaillés et vivants, elle prend en analyse des patients pour lesquels d'autres méthodes de traitement ont échoué.Mais cet aspect spectaculaire risque de faire passer le lecteur à côté de l'essentiel de l'oeuvre qui est une théorisationet une approche, pratique originales concernant la psychose. Le résumé des thèses de Pankow s'avère d'autant plusnécessaire que cette dernière ne prend pas toujours le temps de présenter ses travaux de façon claire et organisée. Lesprincipaux apports de Pankow sont les suivants : l'utilisation de techniques non traditionnelles (face à face, dessins,modelages, contacts avec la famille) dans le traitement du psychotique, la redéfinition de l'image du corps avec unedouble fonction de forme et de contenu, le développement de la technique des greffes de transfert, par opposition autransfert classique, la redéfinition du concept de forclusion (Lacan) en tant que mécanisme de défense impliquant direc-tement l'image du corps. Le présent texte peut servir d'introduction à la lecture des travaux de Pankow en mettantquelque peu les idées en ordre.

«L'arme thérapeutique n'est que laparole. Comment le corps vécu peut-il être atteint par la parole? C'est làle secret du langage et de son pouvoir(...) La parole est une arme, une armetrès efficace» (Pankow, 1981).

La littérature psychanalytique sur la psychose estabondante, et probablement directement proportion-nelle aux questions que soulève cette pathologiepsychique tant au plan de son étiologie que de sathérapeutique. Il est possible de trouver les théo-ries les plus variées sur la nature et les mécanismesde la psychose, tout comme la description de mul-tiples approches thérapeutiques d'inspiration analy-tique. La multitude des écrits n'est que le reflet dufait que la psychose, à un moment donné, met lechercheur et le clinicien en échec, ou du moins lesconfronte à des obstacles de taille.

Le lecteur parcourant les travaux de Gisela Pan-kow a l'impression très nette de se trouver devantquelque chose de totalement différent : - d'abord,Pankow fournit de nombreuses histoires de cas pré-sentées de façon vivante, qui se lisent de façonagréable, presque comme des nouvelles littéraires;- ensuite, Pankow a une façon très originale de com-

prendre la psychose et de travailler avec les psycho-tiques. Tout en se disant d'orientation strictementanalytique, elle utilise les techniques du dessin etdu modelage (ce qui s'écarte de la cure-type, exclu-sivement verbale) et réintroduit dans sa pratique ladimension de l'image du corps; - enfin, Pankowaccompagne le psychotique et reçoit les cas les plusdésespérés, qui ont connu antérieurement des trai-tements tels que les électrochocs, les hospitalisationset les neuroleptiques, sans que ces traitements aientpu les sortir de leur univers psychotique.

Il nous semble que l'oeuvre de Pankow n'est passuffisamment connue et qu'on se contente trop sou-vent de se référer à certains auteurs français, amé-ricains et anglais, devenus classiques dans ledomaine. Nous voudrions dans le présent articlereprendre certains thèmes fondamentaux des travauxde Pankow et peut-être répondre à un voeu jadis émispar Laplanche : «On aimerait, sans lui demanderde stériliser la source vitale de son expérience, trou-ver (...) une réponse plus décisive concernant lesdistinctions et les oppositions qui soutiennent sondiscours» (Pankow, 1969, 11-12). Pankow apparaîtavant tout comme une clinicienne profondémentengagée dans «l'empoignade quotidienne» et la «des-cente aux enfers» avec les patients psychotiques, desorte qu'il ne lui est pas toujours loisible de pré-senter sa pensée de façon systématisée. Nous enL'auteur est psychologue clinicien.

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dégageons ici les aspects théoriques et cliniques lesplus importants1.

L'APPROCHE SPÉCIFIQUEDE LA PSYCHOSE

L'abord de la psychose n'a aucune communemesure avec celui de la névrose, ce qui pose desquestions fondamentales à la psychanalyse élabo-rée au départ comme méthode de traitement pourles névroses. Pankow se situe résolument dans uneoptique psychanalytique se réclamant de Freud etdes concepts fondamentaux (Grundbe griffe) quecelui-ci énonce aux plans théorique et clinique. Ellepropose régulièrement dans ses écrits la formule sui-vante : «La différence entre la névrose et la psychoseconsiste en ce que des structures fondamentales del'ordre symbolique, qui apparaissent au sein du lan-gage et qui contiennent l'expérience du corps, sontdétruites dans la psychose et déformées dans lanévrose», et elle ajoute : «Les zones de destructiondans l'image du corps du psychotique correspon-dent aux zones de destruction dans la structure fami-liale de tels patients» (Pankow, 1977, 8). Mais laconnaissance des structures de l'inconscient estessentielle comme moyen thérapeutique pour lapsychose comme pour la névrose; sur ce point,l'oeuvre de Freud reste la référence essentielle donton ne peut faire l'économie.

L'approche de Pankow rejoint certains thèmestrès actuels à propos de la psychose (le langage,le corps, la famille), mais il faut noter qu'elle adéveloppé ses idées depuis déjà trente ans (Pankow,1981). Elle nomme son approche la méthode destructuration dynamique de l'image du corps;il s'agit avant toute chose de reconstruire l'imagedu corps chez le psychotique, avant de songer àentreprendre par la suite une psychanalyse de typeclassique. Il ne s'agit pas, dans la psychose, dedonner une interprétation du refoulé, parce qu'àproprement parler il n'y a pas de refoulement, cedernier exigeant un dedans et un dehors et une pos-sibilité de représentation, de symbolisation. Lacana tenté d'articuler le concept de forclusion (Vei~wer-fung) dans ce sens. Il s'agit plutôt d'élaborer desmoyens pour avoir accès au non-représenté et pro-bablement au non-représentable parce que les con-ditions préliminaires font défaut. La névrose nousmet face à une dialectique temporelle, à une his-

toire vécue, présentant des lacunes et des conflits,mais chez le psychotique, il convient de dévelop-per avant tout une dialectique spatiale, c'est-à-direune restructuration de l'espace corporel, de l'imagedu corps. C'est de cette façon qu'il sera possibled'ouvrir la voie à la représentabilité, à la capacitéde symbolisation. Si, dans le traitement de lanévrose, il s'agit de resituer la relation d'objet etla dynamique des pulsions, dans le traitement de lapsychose par contre, il s'agit de développer le prin-cipe de sécurité ou de sécurisation, et ce d'aborden redonnant une limite et une organisation au corpsdu psychotique.

Il faut donc être conscient que la psychoseéchappe totalement aux lois de l'ordre symboliquequi touche l'organisation du langage, la relationvéritablement objectale, l'émergence du désir, latriangulation oedipienne et l'image du corps. En unmot, le psychotique se situe au plan de structurespré-oedipiennes et pré-conflictuelles. Ceci se mani-feste clairement à travers le type de relation établiepar le psychotique à autrui : soit que le psychoti-que est pris dans un isolement profond, soit qu'ilcherche à fusionner avec l'entourage. Freud par-lait de relation anobjectale ou narcissique et d'ab-sence de transfert dans le cas du psychotique. L'ac-cès à l'autre (ce qui implique le désir et la recon-naissance du désir) est difficile, sinon impossible.La relation d'objet signifie à la fois que l'autrepuisse être différencié de soi-même et qu'il puisseêtre désiré (Lacan : le désir, c'est le désir de l'Au-tre). Il n'existe pas véritablement de conflits rela-tionnels comme chez le névrosé, mais plutôt desconflits d'ordre spatial au plan de l'image du corps.Il s'agit avant toute chose de reconstruire une imagedu corps non conflictuelle, de réparer les failles del'image du corps dans sa forme et son contenu (cf.les fonctions de l'image du corps). L'analyse de larelation d'objet et du dynamisme pulsionnel par lebiais d'une analyse de type classique ne pourra êtreentreprise qu'une fois l'image du corps restructurée.

Le moi, tout comme le corps, les deux allantessentiellement de pair (Freud : Le moi est avanttout une entité corporelle), ne sont plus saisissablesdans le processus de destruction psychotique. L'ap-proche des psychotiques exige l'utilisation de latechnique des greffes de transfert (nous y revien-drons), à défaut de l'établissement du transfert clas-sique, à partir des modelages et des dessins deman-

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dés par l'analyste au patient. Le processus de dis-sociation du moi et du corps exige avant tout unetechnique en partie non verbale pour aborder lesphantasmes structurants.Pankow préfère l'orthogra-phe phantasme pour le distinguer du concept clas-sique de fantasme qui est une production imaginairepassagère, une fantaisie ordinaire apparaissant chezles névrosés. Un phantasme structurant concernestrictement l'image du corps et indique la manièredont le patient habite son corps et dont il le situepar rapport au corps de l'autre, pour que cet autrepuisse entrer dans le monde du désir du patient.

Une interprétation du matériel soi-disant refouléou des aspects conflictuels risque d'accentuer le pro-cessus délirant ou d'entraîner une décompensation.La technique analytique applicable aux névrosesrecourt à la chaîne des associations libres et auxconflits transférés des figures parentales sur l'en-tourage et l'analyste; une telle technique n'est pasutilisable avec le psychotique parce que l'interpré-tation de l'analyste tomberait littéralement «dans levide», parce que le psychotique a un moi et un corpsnon structurés. Il faut d'abord que le psychotiqueait un moi et un corps avec des limites, une struc-turation, afin que l'analyste puisse adresser sesinterventions à une personne. Si l'approche de lanévrose peut être centrée sur le langage et le refou-lement, c'est-à-dire sur les lacunes dans le discours(Lacan), toute approche authentique de la psychosene peut que se développer autour de la notion del'image du corps, c'est-à-dire autour des élémentsantérieurs au langage et au conflit oedipien, à unstade où il n'existait pas de distinction entre l'inté-rieur et l'extérieur, entre le corps propre et l'objet,à savoir le corps d'autrui et le monde ambiant. Iln'existait à ce moment ni espace, avec ses frontiè-res, ses limites, avec sa structuration, ni temps, avecun avant et un après, avec un sujet et un projet.

Le processus de destruction de la psychose s'at-taque aux fondements de l'ordre symbolique; il fautdévelopper des instruments spécifiques pour répa-rer les destructions à ce niveau. Il ne suffit pas, notePankow, de parler de forclusion du signifiant (etdu signifié) ou d'interruption de la chaîne associa-tive, pour reprendre les formules de certains disci-ples de Lacan; de tels concepts se réfèrent tropdirectement au langage et à une approche verbaleuniquement valable chez les névrosés. Pankow sou-tient : «Attendre pendant de longues années la venue

du «Signifiant» qui «flotte», désincarné, on ne saitoù, n'a aucune efficacité propre» (Pankow, 1981,151). La forclusion touche non pas tant le langage,mais plus fondamentalement l'image du corps danssa double fonction de forme et de contenu. Larecherche de conflits inconscients saisissables à tra-vers des relations objectâtes doit faire place à laréparation de structures corporelles. Pankow tentedès lors, au moyen de la structuration dynamiquede l'image du corps, de donner des limites au corps,de remettre les morceaux du corps ensemble, deredonner une cohérence fonctionnelle au corps, desorte que le corps devienne habitable et que lepsychotique puisse apprendre à l'habiter. C'est seu-lement lorsque cette expérience spatiale du corpsest réalisée que le patient aura accès à une expé-rience temporelles la spatialisation du sujet, parl'acquisition d'une image du corps cohérente, doitprécéder la temporalisation qui se fonde sur une his-toricité et un désir personnel; lorsque le corps peutêtre reconnu comme corps limité, fonctionnel etsexué, le patient peut avoir accès au désir de l'au-tre et entrer dans sa propre histoire. L'analyse clas-sique, centrée sur l'histoire du sujet, ses lacunes etses conflits, débutera à ce moment-là.

LES FONCTIONS DEL'IMAGE DU CORPS

Le traitement de la psychose doit reconstruirel'image du corps dissocié du psychotique. Le phé-nomène de dissociation (Spaltung, splitting) del'image du corps peut se manifester de deux maniè-res selon que l'une ou l'autre fonction de l'imagedu corps est touchée. L'image du corps a une dou-ble fonction au plan symbolique, selon les travauxde Gisela Pankow : 1) une fonction de forme : celle-ci permet de reconnaître une relation dynamiqueentre une partie et la totalité du corps et de saisirle corps en tant que forme globale; 2) une fonctionde contenu : celle-ci permet de saisir, au-delà dela forme, la signification de la partie du corps dansle tout.

1) La première fonction de l'image du corps con-cerne uniquement la structure spatiale du corps entant que forme ou Gestalt. Le névrosé, à la diffé-rence du psychotique, est toujours capable de recon-naître l'unité du corps. Pankow utilise parfois lesqualificatifs mutilé, déformé, déchiré pour désigner

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le vécu corporel pathologique du névrosé : le corpsdu névrosé peut sacrifier des parties sans toutefoisperdre son unité de forme. Le psychotique, par con-tre, et particulièrement le schizophrène, présente uncorps dissocié (le terme a un sens précis dans lestextes de Pankow) : l'unité de la forme est détruite;une partie du corps devient une entité indépendanteet peut prendre la place de la totalité du corps (cf.dans le délire schizophrénique); la partie n'est plusreconnue comme une partie dans le tout, elle perdson lien avec le tout et prend la place de l'ensem-ble. Les phénomènes du déplacement et de la con-densation entre les parties du corps n'existent pluscomme tel comme dans la névrose, parce que detels mécanismes de défense exigent la reconnais-sance de la totalité du corps et du lien entre les par-ties et le tout. Le schizophrène présente un corpsdissocié : l'image de la totalité du corps est détruite,la possibilité d'une organisation, d'une structura-tion du corps fait défaut. Ceci entraînera égalementla perte des limites du corps et une confusion entrele dedans et le dehors.

Si un patient fait un modelage pour l'analyste oùil représente un corps auquel manque un membre,il peut reconnaître ce manque s'il est névrosé et nepourra pas le reconnaître s'il est psychotique. Dansle premier cas, il sera possible de trouver un trou,une lacune dans l'histoire temporelle du sujet, dansle second cas, il sera possible de découvrir un videdans la structure spatiale du corps, dans l'appréhen-sion du corps. Nous pouvons reprendre deux exem-ples cliniques cités par Pankow pour préciser cettedistinction.

Le cas Véronique. Une patiente schizophrènenégativiste fait un rêve : «J'avais une maison danslaquelle il y avait un frigidaire. Sur un rayonnagedu frigidaire, il y avait une jambe. Elle était blan-che, coupée en morceaux et on pouvait encore voirles poils d'homme. Un homme vint et posa unejambe de bois à la place de la jambe d'homme dansle frigidaire car il était près de mourir de faim. C'estpourquoi il avait coupé sa propre jambe et l'avaitmise comme provision dans le frigidaire» (Pankow,1969, 145). La patiente rêve d'un homme affaméqui s'est coupé sa propre jambe et l'a mise au frigi-daire comme nourriture pour ne pas mourir de faim.Le vide intérieur, symbolisé par la faim, peut ainsiêtre comblé par la jambe à manger. Celle-ci n'a plusde lien avec le corps vécu : elle n'est plus un moyen

pour se déplacer, mais devient tout autre chose :une nourriture pour combler un vide. Il n'existe plusde lien logique entre la jambe-nourriture et le corpsvivant de l'homme; il existe simplement un vide etla nécessité de le combler.

Il se produit quelque chose de différent dans unprocessus névrotique, par exemple en cas d'hysté-rie; une femme «perd une jambe» suite à une paraly-sie hystérique; ceci peut s'interpréter comme unedette payée au père pour pouvoir lui être infidèleet être libre de rencontrer un autre homme. Lenévrosé est capable de reconnaître en tant que tel-les à la fois les parties du corps qui manquent ouqui sont séparées entre elles, et la totalité du corpsauquel se rapportent ces parties. La jambe conti-nue à être une partie du corps perçue comme moyende locomotion potentiel.

2. La deuxième fonction de l'image du corpsconduit au vécu temporel. La partie du corps estcette fois considérée dans son rôle, sa significationà l'intérieur de la totalité. Dans le délire chroniquenon schizophrénique (par exemple dans la psychosehystérique), la fonction de forme de l'image ducorps est intacte (à la différence de ce qui se pro-duit dans la schizophrénie), comme d'ailleurs dansla névrose; mais le patient n'est plus capable dereconnaître les fonctions spécifiques des parties ducorps. L'image du corps, et plus précisément de sesdifférentes parties, joue ici un rôle en tant que repré-sentation ou reproduction, c'est-à-dire en tant querenvoi à autre chose, au sens précis que prend lapartie dans le tout. Reprenons encore une fois desexemples cliniques donnés par Pankow.

Le cas de Madame E. Une patiente souffrant d'undélire chronique de type paranoïaque (non schizo-phrénique) (Pankow, 1969) a l'impression que lesos de son visage subissent une transformation etqu'une grossesse se produit au niveau de sa figure.Chez une telle patiente, la forme du ventre peut êtrereconnue dans l'espace comme partie dans le tout,mais elle est méconnue dans sa fonction de repro-duction biologique. La partie inférieure du corpsest exclue, forcluse, comme lieu de grossesse danssa fonction de contenu.

S'il s'agissait d'un processus névrotique, l'analysepermettrait de découvrir par quels mécanismes dedéfense le visage se substitue au ventre; par exem-ple dans un cas d'érythrophobie, il existe un pro-cessus de déplacement du bas vers le haut, ainsi

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que l'indique la clinique psychanalytique. Il est pos-sible de retrouver une association entre les deux par-ties du corps, et chacune malgré tout continue d'êtrereconnue dans sa fonction de contenu.

Pankow (1969) précise dans quel sens elle entendle terme dissociation, phénomène qui touche l'imagedu corps, typique de la présence d'un processuspsychotique; il existe des conflits de la spatialité ducorps vécu au plan de la forme ou du contenu2. Ladissociation, la destruction de l'image du corps peutainsi se présenter sous deux formes : elle peut con-cerner la relation entre les parties du corps (forme)ou les fonctions, les significations propres des par-ties du corps (contenu).

1) La dissociation au sens strict : soit qu'il existeune non-reconnaissance de la forme du corps et dulien entre ses parties; la totalité de l'image du corpsse trouve remplacée par une partie et il se produitune confusion entre le dedans et le dehors, entrel'intérieur et l'extérieur du fait que les limites etl'unité du corps sont atteintes. À la suite d'une telleperturbation, on peut voir réapparaître certaines deces parties de l'image du corps dans le monde exté-rieur, habituellement sous forme d'hallucinationsauditives et visuelles.

2) La dissociation au sens large : soit qu'il existeune non-reconnaissance de la fonction spécifiqued'une partie du corps, sans que les limites du corpselles-mêmes soient disparues; les parties gardentleur lien avec la totalité, mais n'ont plus leurs fonc-tions dans la totalité; le corps peut encore êtrereconnu et vécu comme un corps limité.

Pankow reprend l'opposition établie par Kretsch-mer entre psychose nucléaire {Kernpsy chose) etpsychose marginale {Randpsy chose) pour distinguerdes structures psychotiques différentes. Dans lapsychose nucléaire, la fonction de forme (et par con-séquent la fonction de contenu) de l'image du corpsest atteinte; c'est le cas dans la schizophrénie et sessous-types : simple, catatonique, hébéphrénique,paranoïde et les délires schizophréniques. Dans lapsychose marginale, la fonction de contenu del'image du corps est atteinte, comme c'est le casdans les états-limites, les délires non schizophréni-ques, les états hallucinatoires chroniques, lapsychose paranoïaque, la psychose hystérique3, leshallucinations obsessionnelles ou hystériques (états-limites entre l'obsession ou l'hystérie etl'hallucination).

Dans la psychose marginale, le patient peut inté-grer la destruction de l'image du corps dans son his-toire vécue (temps), alors que dans la psychosenucléaire, cette destruction (espace) s'accompagnesimultanément d'une perte de la relation à l'histoiredu sujet. Dans la psychose marginale, la méthodede structuration dynamique devient une dialectiqueentre l'image du corps et la loi des relations inter-humaines, tandis que dans la psychose nucléaire,l'analyse s'attaque directement à la dialectique dela forme et du contenu de l'image du corps. Pan-kow précise : le travail de structuration dynamiquese termine lorsque la forme et le contenu de l'imagedu corps peuvent être intégrés l'un par rapport àl'autre et que l'image du corps peut être resituéedans le cadre des relations interhumaines.

LA TECHNIQUE DES GREFFESDE TRANSFERT

Le patient psychotique a de la difficulté à vivredans un corps limité avec des frontières et à établirune relation avec un autre vraiment reconnu commeautre. Cette difficulté pose le problème de la rela-tion du psychotique à l'objet et à l'environnement.Il est connu que le psychotique n'établit pas vérita-blement de relation transférentielle en raison de sesangoisses (et de ses désirs) de fusion et de sépara-tion avec autrui.

Pankow utilise la technique des greffes de trans-fert pour permettre au patient d'établir une relationà autrui et de se reconnaître dans un corps limité.Sechehaye avait déjà parlé de «transfert-greffe» dansce sens. La technique des greffes de transfert viseà provoquer le transfert, mais par le biais d'un objetajouté (une greffe) à l'intérieur de la relation patient-analyste. Il s'agit de développer une technique per-mettant au patient d'avoir accès à l'autre, c'est-à-dire à quelqu'un qui n'est pas soi-même et qui peutêtre désiré; ceci implique la distinction d'un moiet d'un non-moi, la reconnaissance de limites cor-porelles définies et la cohérence de l'image ducorps. La technique des greffes de transfert peuts'effectuer selon deux voies principales : 1) pourdes patients extrêmement perturbés, il est possibled'utiliser les actes que le thérapeute fait lui-mêmepour permettre l'établissement de la relation de lareconnaissance d'un non-moi; 2) pour des patientsmoins perturbés, il s'agit de se servir des actes que

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le thérapeute fait faire par le patient lui-même pourfavoriser le contact avec autrui.

Pour les patients profondément perturbés, lareconnaissance des limites du corps peut être obte-nue en travaillant directement avec le corps à l'aidede techniques telles que des massages, des bains,des enveloppements humides (packs). Ces techni-ques ne visent pas à donner au patient des soins qu'iln'aurait pas reçus étant bébé, à compenser des man-ques vécus dans le passé, ce qui situerait la techni-que sur le plan du réel (pour reprendre la distinctionlacanienne entre le réel, le symbolique et l'imagi-naire); elles visent plutôt à donner au patient dessensations corporelles (toucher, contact) pour l'ame-ner à reconnaître les limites de son corps et, dèslors ce qui ne lui appartient pas, c'est-à-dire ce quin'est pas son corps, ce qui est en dehors de soncorps. Ceci se produit au plan symbolique de la res-tructuration de l'image du corps et de la relationà autrui. Pankow souligne : la main qui touche lepatient n'est pas lui, mais lui fait saisir qu'il vit dansun corps limité, un corps qui n'est pas la main quile touche ou la chambre qui l'entoure, mais autrechose. Les patients schizophrènes ressentent par-fois seulement une partie du corps comme existanteet celle-ci risque de prendre la place de la totalité.Le traitement vise à amener le patient à ressentird'autres parties de son corps, à les faire sortir del'insensibilité. Toute sensation corporelle, toute par-tie du corps redécouverte est une victoire sur le pro-cessus de la psychose.

Pankow commente l'exemple classique de Seche-haye (1950) et de la patiente schizophrène Renée.À un moment difficile de la psychothérapie, Seche-haye donnait des pommes à la patiente qui les man-geait dans ses bras; elle ne pouvait lui offrir le sein,mais savait qu'il fallait faire quelque chose pour ren-contrer la patiente «au niveau de sa régression» oupour développer «une participation affective»(Sechehaye). Il ne s'agit pas tant de «satisfaire» lapatiente ou de réparer «les torts d'autrefois» commeJe laisse entendre Sechehaye. La satisfaction ne s'ef-fectue pas au plan réel : il ne s'agit pas de donnerà la patiente ce qu'elle n'a pas eu étant enfant etde satisfaire ses besoins régressifs d'affection et denourriture, il s'agit plutôt d'un geste symboliqueselon le titre d'un ouvrage de Sechehaye (1947).C'est la reconnaissance du désir de l'autre qui per-met à la patiente de sortir de son état psychotique

et d'être débarrassée de ses hallucinations. La formeet la fonction des pommes est reconnue en tant queforme et fonction du sein nourricier et s'inscrit dansla structure du corps. La pomme devient simulta-nément autre chose qu'un objet qui satisfait lesbesoins du sujet, le sein lui-même n'est pas sim-plement une partie du corps; la pomme et le seinsont des objets désirés au-delà d'un objet satisfac-tion. Le besoin vise la satisfaction d'un instinct bio-logique alors que le désir {Wunsch de Freud) viseune relation d'objet. C'est la reconnaissance dudésir et non la satisfaction de ce dernier qui pro-duit un effet thérapeutique (cf. Lacan : la triadebesoin-demande-désir). Il s'agit de faire surgir chezla patiente un désir se référant à une partie du corpsde l'analyste (par exemple le sein) ou au corps totalde l'analyste, et dès lors de lui permettre l'accèsà autrui.

Pour les patients moins perturbés, le thérapeutepeut demander au patient de fabriquer quelque chose(par exemple un dessin, un modelage); un tel acten'est pas une forme de thérapie occupationnelle,d'ergothérapie pour le patient, mais doit avoir pourobjectif d'amener la reconnaissance de l'autre chezle patient. Pankow demande au patient de prendrede la pâte à modeler et de faire quelque chose pourelle et selon son gré; une telle technique corresponden fait à la règle fondamentale des associations libresdans l'analyse classique, mais se situe sur un plannon verbal. Le modelage peut être interprété commeun message révélant la manière dont le patient vitdans son corps, dans sa relation à l'analyste. Cer-tains patients craignent de toucher et de manipulerla pâte à modeler, en raison de certaines fantaisiespsychotiques (angoisse, panique). Pankow rapportel'exemple d'un professeur de philosophie schizo-phrène qui disait : «Chaque acceptation d'une formeest une menace contre mon existence (pause). Aumoment où j'accepte une forme définie, je suisperdu» (Pankow, 1961, 27). Si le patient fait parexemple un soulier à la demande du thérapeute, cedernier peut intervenir de deux façons, selon ledegré de dissociation psychotique (Pankow, 1981):une méthode directe dans la schizophrénie ou uneméthode indirecte dans les autres cas.

1) La méthode indirecte de manipulation dutransfert dans le cas de psychoses non schizophré-niques. L'objet modelé par le patient implique desrelations avec l'entourage, avec d'autres objets (cho-

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ses ou êtres vivants, y compris les humains); il s'agitd'amener le patient à préciser, dans un rêve éveillé,l'environnement de l'objet qu'il a créé, et de la sortel'amener à créer une relation. Pankow demande aupatient de décrire des relations dramatiques, plei-nes d'action, entre l'objet inanimé et des êtresvivants. La question posée à propos du soulier serala suivante : «À qui pourrait appartenir le soulier?»Une telle question inclut celui qui possède et celuiqui ne possède pas. Par là s'ouvre le monde del'avoir où il y a l'autre et le non-autre que je suis.Ceci favorise chez le patient l'accès à des relationsobjectales qui permet de situer l'objet modelé dansun entourage spatial. Ensuite, Pankow demande aupatient d'imaginer et de décrire le destin completd'un objet ou d'un être vivant jusqu'à ce qu'il sedésintègre et devienne «de la poussière et des cen-dres». Ceci permet de libérer le patient de ses agres-sions et de sa culpabilité, et situe les relations d'objetdans un contexte temporel. Dans ce monde qui con-tient des expériences temporelles, aussi vide puisse-t-il être, Pankow encourage le patient à formulerdes demandes qui permettront de mettre à jour desdésirs inconscients. Le rêve éveillé à partir de l'objetmodelé permet de la sorte d'établir la relation objec-tale et de reconnaître le désir, à travers une expé-rience spatiale et temporelle.

2) La méthode directe de manipulation du trans-fert dans le cas de la schizophrénie. Si le patient

n'est plus capable de reconnaître l'objet modelécomme s'inscrivant dans un monde spatial organisé,il ne sera pas capable de saisir les relations de l'ob-jet modelé à l'environnement. Ainsi, certainspatients sont incapables de laisser le soulier appar-tenir à une personne en particulier. La pensée magi-que de ces patients est tellement intense que le faitd'imaginer que le soulier appartient à quelqu'unreprésente une limitation trop importante pour leurmonde sans frontières et tout-puissant. Il est essen-tiel pour eux que personne ne possède le soulier.Le monde de ces patients se rétrécit jusqu'à l'étatde devenir un soulier (identification fusionnelle).Pankow pose dans ce cas la question suivante : «Sivous étiez ce soulier, que pourriez-vous faire avecmon corps?» De cette façon, le soulier devient latotalité du corps du patient qui entre en relation avecl'analyste et avec le corps de ce dernier. Puisquele soulier agit sur le corps de l'analyste (par exem-ple par une agression), le patient devient capabled'exprimer des demandes qui concernent le corpsde l'analyste, et dès lors qui débouchent sur lareconnaissance de désirs inconscients. L'interven-tion de l'analyste vise encore une fois à favoriserune relation objectale, un transfert avec l'analysteà partir de l'objet modelé.

Les désirs inconscients du patient se cristallisentautour d'images dynamiques qui permettent de répa-rer la dissociation de l'image du corps et de réta-

TABLEAU 1Image du corps

fonction de forme traitement

relation entre parties et totalité concerne l'espace, la spatialitécorps avec limites structure du corpsdistinction dedans-dehors intégration forme-contenuperturbée dans psychose nucléaire comment le sujet se situe dans son corps

greffe de transfert : si vous étiez...

fonction de contenu traitement

fonction, signification des parties conduit au temps, à la temporalitéreprésentation, reproduction histoire du sujetperturbée dans psychose marginale relation d'objet

relations interhumainesrelation à la loi, à l'ordrecomment le sujet situe son corps vis-à-vis d'autruigreffe de transfert : à qui appartient...

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blir les relations à autrui; Pankow les appelle desphantasmes, à distinguer des fantasmes comme pro-ductions imaginaires passagères, ne concernant pasnécessairement le corps. Pankow, par la techniquedu modelage ou du dessin, introduit les patients dansl'espace du jeu (playing) ou l'espace potentiel,même si l'objet modelé ou le dessin ne sont pas àproprement parler des objets transitionnels, à la foistrouvés et créés (Winnicott). L'objet modelé et ledessin, tout comme l'objet transitionnel, doiventfavoriser le processus de symbolisation4.

Les différentes distinctions et oppositions expli-quées dans les paragraphes précédents peuvent êtrerésumées dans un tableau récapitulatif (cf. tableau 1).

L'IMAGE DU CORPSEN RELATION AVEC AUTRUI

La structuration dynamique de l'image du corpsdans sa forme et son contenu doit être suivie dansl'analyse par la mise du corps en relation avec laloi, avec les règles. Le terme de loi est à compren-dre au sens psychanalytique. Lorsque le sujetenfreint une loi dans ce sens, cela signifie qu'il serend coupable vis-à-vis d'un ordre structural (cf.Lévi-Strauss). Le choix, la décision concernant laloi est attaché à une échelle de valeurs : être inclusdans cet ordre est ressenti comme bien, et s'en trou-ver exclu est perçu comme mal. L'homme peut setrouver coupable ou non coupable à l'égard de cetordre, de cette hiérarchie.

Ainsi, le petit garçon qui manifeste un désirinconscient vis-à-vis de sa mère n'est pas coupableparce qu'il serait trop jeune pour désirer une femme,mais parce que suivant la loi, la mère est la femmed'un autre homme, appartenant à une autre géné-ration. La culpabilité peut être vécue dans différentsdomaines de l'existence humaine : elle peut être dueà la simple transgression d'une règle sociale (parexemple un règlement de police), mais peut égale-ment apparaître dans des expériences fondamenta-les, comme la culpabilité à l'égard de l'existence,c'est-à-dire le droit de vivre avec un désir propre(comme dans la psychose). Toute loi entraîne unprocessus de choix et d'exclusion : choisir une choseimplique renoncer à une autre chose. La présencede la loi entraîne qu'il est impossible de choisirsimultanément deux choses qui s'excluentmutuellement.

La reconnaissance du corps humain se fait selondeux dimensions : d'abord la structuration del'image du corps dans sa fonction de forme et decontenu (comment le patient habite son corps),ensuite la mise du corps en rapport avec autrui(comment le patient ressent son corps par rapportà l'analyste, comment il le situe dans les relationsinterhumaines). Il importe dans le travail thérapeu-tique avec les psychotiques de mettre le corps enrelation avec la loi régissant les relations à autrui;ceci se passe dans deux domaines : 1) le patientdevient capable de reconnaître un non-moi dans uncorps unisexuel, c'est-à-dire de vivre une situationà trois personnes; 2) le patient devient capable depasser d'un corps ressenti par soi à un corps reconnupar autrui. Pankow explique ce double aspect dansses oeuvres.

La psychose se caractérise par l'incapacité devivre une situation à trois (la triangulation oedi-pienne) au niveau des personnes; la situation à troispersonnes n'est plus vécue en relation avec le corpshumain et même ne peut être supportée dans ledomaine du vivant. Le psychotique vit une situa-tion oedipienne sous forme tronquée, réduite auxchoses. Dès lors, la reconnaissance d'une image ducorps sexuée est une étape importante dans le trai-tement du psychotique. La reconnaissance par lepatient que le corps d'autrui est sexué et la recon-naissance du désir de l'autre permettent de débou-cher sur une situation triangulaire. Ceci impliqueune action d'exclusion qui peut se traduire par laformule : «Ce corps qui est extérieur à moi n'estpas mon corps, c'est le corps d'un autre qu'il estimpossible de désirer». Le psychotique, grâce àl'analyste, devient capable de reconnaître un non-moi non seulement dans le domaine du vivant, maiségalement en relation avec le corps humain. Lagénitalisation (Freud) signifie dans cette optique lapossibilité de reconnaître un non-moi dans un corpsunisexuel. Lorsque le corps de l'autre est reconnucomme totalement différent, comme n'ayant rien decommun avec le corps du patient, il devient possi-ble pour ce dernier que l'autre constitue l'objet,d'abord d'un désir et enfin d'un désir sexuel. Lepassage de la reconstruction de l'image du corps àla relation génitalisée avec autrui ne se fait pas defaçon immédiate, mais exige l'analyse de certainesproductions significatives du patient. L'accès audésir de l'autre signifie l'accès à la situation oedi-

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pienne qui implique la présence d'un tiers, d'unordre symbolique. Lorsque l'enfant reconnaît à laphase oedipienne que son corps est semblable aucorps d'un de ses parents (je suis comme), il peutsimultanément reconnaître, sur le mode de l'exclu-sion, que le corps de l'autre parent diffère du sien(je ne suis pas comme). Le processus d'identifica-tion va de pair avec le choix d'objet. Le sujet quine peut faire un tel choix dans le domaine humain,se tournera vers d'autres domaines non humains :le minéral, le végétal, l'animal, l'inanimé. Le trai-tement du psychotique vise à créer des situationsà trois personnes, à partir d'un monde d'objets.Citons deux exemples donnés par Pankow.

Le cas Suzanne. Une schizophrène hébéphréni-que fait le rêve suivant : «J'ai rêvé. Il était questionde mariage. Oui, c'était à la campagne. Il y avaitune jeune fille avec son fiancé qui était drôle. Il étaitquestion d'un repas et d'un jeune homme qui a dis-paru (pause). Ce garçon avait l'air d'un fromager(pause). Les voix m'ont dit : Pourquoi as-tu cou-ché là? (un peu plus tard) Ah! je me rappelle la suitedu rêve! Il y avait un petit ruisseau, je nageais là-dedans. Je suis arrivée à un grand bassin long. Là,j 'ai remarqué qu'il y avait un bassin devant et unbassin derrière. Le fromager en avait un». (Pankow,1956, 43-44). La patiente précise que les bassinssont de forme rectangulaire, semblable à celle d'unlit et qu'elle a éprouvé du plaisir dans le bassin dufromager. La patiente est ainsi confrontée à deuxbassins clairement séparés l'un de l'autre; elle choi-sit l'un des bassins, le bassin du fromager, commeétant son propre bassin, tout en excluant l'autrecomme ne lui appartenant pas. Le rêve contient unesituation à trois, même si elle est réduite aux cho-ses; il implique un processus de choix et d'exclusion.

Une patiente borderline (Pankow, 1977) n'avaitjamais été elle-même, mais simplement une partiedu corps de son père (la jambe) manipulé par lamère. Le père, dominé par son épouse, avait unejambe de bois et la mère avait à toutes fins prati-ques remplacé la jambe de bois de son mari par safille vivante. La mère parvenait ainsi à réduire unesituation triangulaire à une relation à deux person-nes, puisque la fille formait un bloc fusionnel avecle père, tous deux étant soumis aux désirs de lamère. La patiente change régulièrement de tenuevestimentaire pour les séances d'analyse. Elle seprésente un jour avec un accoutrement particulier;

elle revenait d'une visite chez ses parents et portaitla veste de son père sous l'écharpe de laine de samère. La patiente avait pour ainsi dire mis sesparents «sur son dos» tout en les réduisant à des cho-ses, mais en les séparant clairement. La patienteaboutit à une situation triangulaire dans laquelle lamère n'était plus vécue comme persécutrice etmenaçante et le père était intégré dans sa fonctionde protection et différencié de la mère. La patientene faisait plus un bloc indifférencié avec le père etdistinguait également la mère du père. À partir dece moment, un changement intervint dans la vie dela patiente : alors qu'elle était frigide et refusaitd'avoir un enfant, elle accepta par la suite d'avoirdes relations sexuelles et d'être enceinte.

Le passage du corps ressenti au corps reconnureprésente une étape importante dans le dévelop-pement humain. La formulation bon-mauvais, seréférant à l'état du corps, implique une échelle devaleurs et se rattache aux premières expériences derelation entre la mère et l'enfant. Les sensationscénesthésiques de malaise ou de bien-être corporelspeuvent être à l'origine de sentiments de culpabi-lité ou non. C'est dans la mesure où le corps reçoitune valeur bonne ou mauvaise dans la relation àautrui, par le contact ou par la parole, qu'il pourraégalement être perçu comme bon ou mauvais parle sujet lui-même. Le corps qui par exemple se res-sent comme bon à la chaleur ou au contact sera dési-gné comme bon par le sujet parce que la mère luiattribue la valeur «bon» dans cette relation interper-sonnelle. Le corps tel que ressenti par le sujet estétroitement lié au corps tel que reconnu par l'au-tre. L'accession à une loi, à un ordre (le symboli-que) se produit dans la mesure où le corps estreconnu par autrui et ressenti par soi-même; eneffet, les deux aspects sont essentiels : le corps peutêtre considéré dans ses relations aux autres êtreshumains ou se référer seulement à une manièred'être qui ne concerne que lui-même. Le dévelop-pement normal du sujet permet de fonder l'imagedu corps pour soi sur l'image du corps pour autrui.Une image du corps intégrée suppose un corps res-senti qui sera également reconnu par autrui (cf. ledésir de l'Autre). Le corps ressenti et le corpsreconnu sont détruits dans la psychose marginale,alors que dans la psychose nucléaire, il est impos-sible d'étudier ces aspects, puisque le corps n'existeplus comme entité : il ne peut dès lors être ques-

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tion de ressentir ou de faire reconnaître le corpspropre.

LA MISE EN MOUVEMENTDU TRAITEMENT

Nous reprenons maintenant deux exemples cli-niques présentés par Pankow pour montrer commentelle articule, dans le contexte du traitement, les dif-férentes notions expliquées. L'analyse permet d'étu-dier comment le patient se situe dans son corps etle situe par rapport à autrui.

1) L'arbre et la colombe (Pankow, 1969). Ils'agit d'un cas de psychose hystérique. Une femmeâgée de trente-cinq ans présente différents symptô-mes depuis un an et demi : elle se dit fatiguée etest continuellement couchée au lit ou sur un divan;elle fait des crises de tremblement; elle ne quittela maison qu'accompagnée parce qu'elle craint defaire une chute dans la rue; elle se plaint de vio-lents maux de tête; elle a l'impression par momentsde marcher «dans le brouillard, dans les nuages»;elle perd le contrôle d'elle-même à la moindre irri-tation; elle fait des crises de colère où elle voudrait«tout casser» ou tuer ses enfants; elle ressent la plu-part du temps ses jambes comme paralysées. Lapatiente a deux enfants, âgés respectivement de septans et de un an et demi; elle a eu deux enfants mort-nés, six et quatre ans plus tôt et une fausse couche,cinq ans auparavant. Le tableau clinique est mani-festement de nature hystérique, avec des symptô-mes de conversion, mais le caractère plus sévèrede l'affection apparaît pendant la cure où la patientedéveloppe un délire hystérique.

La patiente raconte son histoire à la premièreséance; elle couvre l'analyste sous un flot de paro-les; elle semble dépassée par tout ce qu'elle a vécudans son corps; elle parle longuement de ses enfantsmort-nés et de sa fausse couche qui ont été des évé-nements pénibles à vivre; elle parle beaucoup depertes de sang. Les médecins consultés avaient doncconclu à un état d'épuisement physique dont l'ori-gine serait la perte de ses enfants. Pankow l'inviteà revenir et, si elle en a envie, à lui faire unmodelage.

La patiente, à la deuxième consultation, apportedeux travaux de modelage : un arbre vert et unecolombe verte.

Pankow donne la description suivante du premiermodelage : «L'arbre a onze centimètres de hauteur;sept branches, telles des tentacules, sortent du troncrelativement gros, comme d'un moyeu de roue.Seule la plus longue de ces branches a une ramifi-cation; toutes les autres sont lisses, aucune ramifi-cation et aucune feuille, mais on peut observer dansles sept branches un mouvement analogue à celuid'une roue tournant sur elle-même pour revenir àson point de départ. (...) La «belle forme» des bran-ches a été obtenue en enroulant très soigneusementla pâte autour d'un fil de fer. La masse de la pâten'est donc pas homogène; un matériau étranger, lefil de fer, a dû être utilisé (Pankow, 1969, 50).

Le modelage peut être interprété comme un lan-gage du corps contenant un message adressé àl'analyste; il exprime à la fois comment la patientehabite son corps, et comment elle le ressent par rap-port à l'analyste et à autrui en général. La formede l'arbre est dépouillée; les branches nues et bri-sées peuvent représenter la vie brisée de ses troisenfants morts; par ailleurs, la patiente elle-mêmeressent son corps sous une forme raidie. Le fil defer a été rajouté à l'arbre comme un matériel hété-rogène, ce qui peut s'interpréter ainsi : la patientevit, comme corps étranger, dans un autre corps ouressent un corps étranger dans le sien (enfant mort).

Le second modelage a trois centimètres de hau-teur et représente, selon la patiente, «une colombequi porte une perle dans son bec». Pankow luidemande de raconter une histoire dans laquelle cesdeux éléments, la colombe et la perle, jouent un cer-tain rôle, une histoire dramatique, pleine d'actionsriches et extraordinaires. La patiente raconte : «Unecolombe vole sur une jeune fille et veut lui arra-cher son collier de perles. Un homme veut empê-cher la colombe. L'oiseau lui arrache un oeil. Lajeune fille se met à crier. Là-dessus, le fiancé dela jeune fille arrive et croit que l'homme a attaquésa fiancée. Il tue l'homme et part avec la jeune fille.»Pankow demande : «Qu'est devenu le corps del'homme mort?» en vue de liquider les sentimentsde culpabilité reliés à la présence du mort. Lapatiente surprise ajoute : «Un lion est venu et l'amangé». Pankow : «Qu'est devenu le corps del'homme dans le lion?» La patiente se dit capablede faire digérer le corps de l'homme par le lion etde préparer avec les excréments «des engrais pourla terre» (relation vie-mort).

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L'histoire racontée mentionne à trois reprises uncombat (colombe-jeune fille; homme anonyme-colombe; fiancé-homme anonyme). L'histoire tra-duit la présence de l'angoisse d'être agressée oudétruite et également d'un désir de mort, à mettreen rapport avec le vécu de la patiente : la perte destrois enfants. Les réponses aux questions del'analyste indiquent que l'homme mort ne peut êtreenterré purement et simplement; un autre animalentre en jeu : le lion dévore le mort, traduisant lemême thème, tuer-être tué. Pankow mentionne quele matériel apporté donne accès à l'hystérie de lapatiente par le biais de l'identification avec les ani-maux et les hommes et est de l'ordre d'un délireparanoïaque de persécution (thème de dévoration,introduction factice d'un lion).

La patiente rapporte spontanément un rêve à latroisième séance. «J'avais plusieurs corps. L'un descorps voulait tuer mon enfant. Non, plutôt vous.Je voulais vous battre (un silence). Je vous déteste.J'ai dit aujourd'hui des grossièretés. Crotte, je dismerde (un temps d'arrêt). Cette nuit, j 'ai pensé àl'arbre que j'avais modelé : il me rappellait mesenfants morts. Cette nuit, je me suis serrée très fortdans les bras de mon mari. J'ai déchiré quelquechose de vieux. Cette nuit, je suis devenue femme(un silence). Je vous déteste (un silence). Le mondeentier peut m'emmerder. Bon, maintenant ça vamieux. Je ne vais pas devenir folle. À midi, j 'aimangé, sans sentir de brouillard» (Pankow, 1969,52-53). Pankow rappelle à la patiente qu'elle par-lait de plusieurs corps et celle-ci continue : «Oui,j'avais plusieurs dos (un silence). Depuis hier, jepense que c'est normal de faire l'amour avec unhomme. Je déteste les femmes. Toute ma vie, onm'a tenue dans une couveuse. C'est comme si jevivais par ma mère. Maintenant, je vis par monmari. Suis-je un monstre? Ce brouillard, ces nap-pes de brume devant mes yeux doivent disparaître».

Le rêve peut être interprété comme un messagequi encore une fois nous révèle comment la patientehabite son corps et comment elle le situe dans sesrapports interhumains. La patiente se sent vivre dansplusieurs corps : un corps vit par son mari, et l'au-tre par sa mère; un changement apparaît : quelquechose a été déchirée et la patiente ressent qu'ellea le droit d'être femme dans les bras d'un homme.L'image d'un corps multiplié montre comment lapatiente vit dans son corps : elle est encore partie

du corps d'un autre, c'est-à-dire pas encore capa-ble de vivre seule dans sa propre peau; elle n'a pasencore de corps, mais fait partie d'un corps. Parailleurs, l'image du coips multiplié donne accès auxrelations avec autrui : une participation positive aucorps de l'homme se fait par le biais du corps dumari, tandis qu'un retour dans le corps de la femme,ressenti comme «couveuse», se fait par l'intermé-diaire de la mère.

La suite du traitement dura au total deux ans etdemi; pendant près d'un an, elle a fait apparaîtreun délire hystérique important, mais développé uni-quement pendant les séances. Pankow en donne unrésumé. La patiente voulait battre l'analyste et lesfemmes; elle dirigeait ses agressions vers son pro-pre corps, mais elle visait en fait le corps de sa belle-mère et de sa mère. La patiente n'a pu atteindre sonmari qu'en détruisant, dans ses rêves, le corps desa belle-mère, parce que celle-ci avait «dévoré» sonfils afin de le garder pour elle seule; elle a égale-ment pu retrouver dans le ventre de sa propre mère,le père, homme faible, que celle-ci avait totalementabsorbé. Le père ne remplissait pas son rôle, et lapatiente, dans son délire, avait transformé sonmonde vécu pour occuper la place du père(identification).

2) La chaîne rouge (Pankow, 1969). Il s'agit d'uncas d'état hallucinatoire chronique. Une patienteâgée de cinquante-deux ans entend des voix depuisplusieurs années et raconte son histoire antérieureà la première entrevue. Elle a épousé civilement unhomme à l'âge de vingt-huit ans, mais s'est sépa-rée quelques heures après le mariage sans jamaisavoir cohabité avec lui. Elle s'est seulement rema-riée à l'âge de quarante-cinq ans; même si entre-temps elle a fait connaissance de plusieurs hommes,elle est restée vierge. Elle se plaint d'entendre dumatin au soir la voix d'un agent de police qui parleconstamment et répète en écho tout ce qu'elle fait.Pankow demande : «À quelle occasion particulièrecette voix a-t-elle parlé pour la première fois?» Lapatiente explique que son mari avait accepté de gar-der dans leur maison une remorque d'automobileconfiée par un de ses amis. La patiente avait beau-coup insisté pour que la maison soit enfin débar-rassée de ce «vieux meuble». C'est à partir du jouroù la remorque fut enlevée que l'agent de police,habitant la maison voisine, avait commencé à par-ler. La patiente a l'impression que la police fran-

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çaise la connaît et surveille ses moindres faits et ges-tes. Pankow fait comprendre à la patiente qu'il seraitimportant de réfléchir au fait qu'il n'existe pas pourelle d'autre possibilité de vivre que cette relationavec la voix d'un homme qu'elle ne connaît paspersonnellement, et elle demande à la patiente demodeler quelque chose pour elle tous les jours - toutsimplement ce qui lui viendra à l'esprit - et de l'ap-porter à la séance suivante.

L'histoire de la patiente permet de soulever deshypothèses. Ce n'est peut-être pas par hasard si lapatiente a entendu la voix de l'agent de police pourla première fois le jour même où l'on se débarrassadu vieux meuble (la remorque d'auto) qui apparte-nait à une famille que connaissait son mari; lapatiente ne peut posséder un foyer qui soit exclusi-vement à elle seule qu'au prix de l'instaurationd'une psychose; la voix semble prendre la place dela famille étrangère qui s'était installée dans sa mai-son sous forme d'un «vieux meuble». La mêmeobservation peut être faite à propos du corps de lapatiente : comment habite-t-elle dans son corps, etcomment le situe-t-elle vis-à-vis d'autrui? Le corpsest vécu comme s'il était composé de deux partieshétérogènes : une partie qui lui appartient en pro-pre et qui correspond au foyer de la patiente, et unepartie étrangère représentée par un vieux meubleet la voix venue de l'extérieur. La faille dans l'imagedu corps de la patiente est entrée dans son histoirepersonnelle, selon les lois régissant les relationshumaines (choisir un homme, être désirée).

La patiente apporte, à la deuxième séance, unmodelage : «Une sorte de natte tressée de trois cor-dons en pâte à modeler rouge, les trois cordons tres-sés «à l'envers». Cette tresse a vingt centimètres delong, de deux à quatre centimètres d'épaisseur, etelle est symétrique à ses deux extrémités. Les troiscordons s'écartent en des directions différentes etportent à leur surface trois incisures; à l'endroit oùles trois cordons se croisent pour la première foiset où commence le motif natté, se trouve une piècetransversale, également marquée de trois incisures»(Pankow, 1969, 96). La patiente raconte que,lorsqu'elle avait sept ou huit ans, un homme étran-ger venait toujours à la maison lorsque son pères'absentait pour des voyages d'affaires et qu'elleavait compris à ce moment ce que venait faire cethomme chez sa mère. La patiente avait senti quesa mère lui avait ôté son affection à cause de son

attachement à cet homme. Après un long momentde silence et d'anxiété, elle se souvient soudain d'unévénement oublié depuis longtemps. Une nuit, ellefut réveillée par un bruit dans la maison. Elle s'étaitlevée et avait rencontré sa mère les mains couver-tes de sang, puis elle entendit les coups de feu dela police et sa mère avait été emmenée les mainsenchaînées. Il s'agit de la nuit où le père et la mère,afin de sauver l'honneur, avaient voulu se débar-rasser de l'amant de la mère : ils lui avaient fourrédes serviettes dans la bouche et avaient essayé dele mettre dans un tonneau pour l'étouffer.L'homme, en se débattant, s'était libéré et il sai-gnait. Pankow montre à ce moment le modelage dela patiente et lui dit : «Eh! bien, voici la chaîne aveclaquelle on avait enchaîné votre mère. Elle est rougecomme le sang qu'elle avait sur les mains.» Lapatiente fournit d'autres détails de son histoire. Lesparents ne s'entendaient pas; le père était pourtantresté à la maison jusqu'à ce que la patiente eut atteintl'âge de vingt et un ans. Le frère cadet de la patienteétait l'enfant que sa mère avait eu de l'amant. Lepère avait dès lors forcé la mère à tuer l'amant enlui disant : «Si tu m'aides à le tuer, tu garderas tonhonneur et les enfants le garderont aussi.»

La chaîne rouge donne accès à l'image du corpsde la patiente; le modelage indique à la fois com-ment la patiente vit dans son corps (si on le consi-dère d'après sa forme) et comment la patiente situeson corps dans les relations humaines (si on le con-sidère d'après son contenu).

Le modelage exprime le corps tel qu'il est vécu :la chaîne, que sa mère avait aux mains après la ten-tative d'assassinat, devenait une partie intégrante ducorps de la patiente. La chaîne s'ajoute, en tant quepartie hétérogène, au corps propre de la patiente quise compose de deux parties, tout comme la maisonau début de son (second) mariage lorsque la patientey trouve encore un meuble provenant d'un autrefoyer. La relation des deux parties hétérogènes esttellement étroite qu'une séparation n'est plus pos-sible : la perte d'une partie est compensée par l'ap-parition d'un substitut venu de l'extérieur. Lorsquela patiente se débarrasse d'un meuble étranger, lavoix de l'agent la poursuit sans cesse; la chaînerouge correspond dans l'image du corps au meubleen tant que «corps étranger». Pankow apprendra àla troisième séance que la patiente était transforméeet que l'agent parlait beaucoup moins. Dès lors, elle

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se demande : «Est-ce un hasard, si cette voix parledonc moins depuis que, la malade ayant fabriquécette chaîne en pâte à modeler, nous l'avons pous-sée vers la malade à la fin de la séance, comme étant«sa chaîne?» (Pankow, 1969, 101)

Le modelage donne également accès aux relationshumaines. La patiente se trouve tellement «enchaî-née» qu'elle ne pourra pas dans le cours ultérieurde sa vie, rencontrer un homme. La patiente avaitdéfendu à son propre corps de devenir un corps defemme lorsque, au cours de l'enfance, elle ne sesentit plus aimée par sa mère. La patiente se punis-sait, à la place de sa mère, en perdant son sexe fémi-nin. Chaque fois qu'un homme au cours de sa viefaisait appel à la femme en elle, son corps se trou-vait entravé par des chaînes (cf. fuite après lemariage civil, refus face aux propositions demariage, mariage avec un homme socialement infé-rieur). La patiente reste prise dans une situation àdeux (relation duelle avec la mère) de sorte que latroisième personne (un homme prenant le relais dupère) ne peut être introduite dans la relation. Lemodelage de la chaîne rouge, par le biais de lasymbolique du chiffre trois, prépare le retour de larelation à trois (génitalisation) dans l'histoire de lapatiente. Lorsqu'on compare les différentes formessous lesquelles la patiente verbalise la situation àtrois, on obtient d'une part mère - amant - père etd'autre part mère - amant - patiente; ceci indiqueque la patiente peut se charger du rôle du père etdès lors avoir un rôle bisexuel : se punir, à la placede la mère, en se coupant de son sexe de femmeet dès lors de l'accès au sexe de l'homme.

Pankow a rencontré cette patiente à six reprisesaprès les deux séances initiales, soit pendant deuxmois, et celle-ci a été libérée de ses sensations hal-lucinatoires chroniques après ce traitement excep-tionnel bref.

LES ASPECTS TECHNIQUESDE L'ANALYSE

Pankow introduit différentes variantes dans lacure-type pour adapter cette dernière aux patientspsychotiques; malgré ces innovations, il faut remar-quer que les principes fondamentaux de la psycha-nalyse classique sont maintenus (associations libres,transfert, résistance, etc.). Les modifications appor-tées par Pankow ne sont pas le fruit de sa fantaisie

personnelle, mais sont indispensables pour permet-tre le traitement du psychotique et respectent rigou-reusement l'esprit de la psychanalyse freudienne.

Face à face et divan. Pankow laisse le patientpsychotique libre à l'égard du divan, s'il refuse des'étendre; elle invite le patient à s'installer sur ledivan seulement une fois que les limites corporel-les (fonction de forme) sont stabilisées; il n'est doncpas question de forcer les patients trop fragiles,comme les schizophrènes, qui peuvent avoir desfantaisies de fusion ou de morcellement. L'analysepeut débuter par une série de séances face à face.Pour les patients dont les limites corporelles sontplus assurées, l'utilisation du divan devient possi-ble plus rapidement après les séances où sont utili-sés les dessins et les modelages pour établir le trans-fert. Il s'agit de respecter le rythme du patient pourdéterminer le nombre de séances par semaine; ilpeut varier de trois séances, et même plus, parsemaine à une séance aux deux semaines, toutdépend de la gravité du cas.

Tranquillisants et hospitalisation. Pankow sou-tient que pour certains patients les neuroleptiquespeuvent apporter une aide efficace à la psychothé-rapie; les deux modes de traitement ne doivent pasêtre considérés comme s'excluant mutuellement. Eneffet, chaque sensation corporelle reconnue, cha-que parcelle ressentie à nouveau, particulièrementdans le cas de la schizophrénie, est quelque choseque l'on conquiert sur le processus de la psychose.Le recours à l'hospitalisation ne doit pas être excluà priori et est indiqué momentanément, lorsque lesétats de dissociation mettent la vie du patient ou cellede son entourage en danger; dans ce cas, Pankowrecourt toujours à des médecins psychiatres et à descliniques d'orientation psychanalytique pour as-surer une continuité et une cohérence dans letraitement.

Traitement autogène. Pankow propose régulière-ment aux patients psychotiques des séances de trai-ning autogène en leur expliquant qu'il s'agit d'exer-cices de détente, de relaxation, et en les invitant àles poursuivre à domicile. Elle a apporté des modi-fications à cette technique pour l'adapter aux grandspatients psychotiques et même psychosomatiques;elle indique avoir tenu Schultz lui-même au cou-rant des modifications apportées (avant la mort dece dernier), et celui-ci aurait approuvé ces adapta-tions nécessaires.

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Chez les personnes droitières, elle commence parla main gauche (l'inverse, chez les gauchers) et ellelaisse découvrir par les patients eux-mêmes la sen-sation de lourdeur dans la main gauche posée surle divan, puis, en montant, la lourdeur de l'avant-bras jusqu'à l'épaule. Le patient fait ensuite quel-ques mouvements du bras. Après quoi, on agit dela même manière avec le bras droit, en prenant cons-cience de la lourdeur, toujours en remontant de lamain jusqu'à l'épaule. Le patient fait encore une foisquelques mouvements avec le bras droit. Finale-ment, on fait le même exercice avec les deux bras,des extrémités jusqu'en haut, et le patient termineen remuant les deux bras. Par la suite, dans uneséance ultérieure, le patient peut découvrir la lour-deur de la jambe gauche, puis celle de la jambedroite, et finalement des deux jambes réunies. Il fautnoter que contrairement à l'usage courant, Pankowne donne aucun ordre suggestif (mon bras, ma jam-be est lourde), mais qu'elle invite simplement lespatients à découvrir par eux-mêmes la sensation delourdeur. Pankow utilise le training autogène defaçon systématique pour que le patient retrouve soncorps comme corps habité, pour faire sentir la lour-deur d'abord dans les membres supérieurs et infé-rieurs, et ensuite dans le corps entier, en centrantl'exercice sur la région lombaire, la région cervi-cale, etc.5

Test d'aperception thématique (T.A.T.). Pankowutilisait auparavant les planches du T.A.T. (Mor-gan et Murray) pour favoriser la fantasmatisationdu patient. Elle faisait verbaliser le patient sur lesplanches alors qu'il était dans l'état de détente pro-duit par le training autogène. Et par la suite, quel-ques jours plus tard, elle confrontait le patient à sapropre parole alors qu'il était encore une fois en étatde relaxation, en lui lisant ce qu'il avait dit parrapport à quelques planches qui lui semblent à ellecontenir le matériel le plus significatif et le plus effi-cace. Les auteurs du T.A.T. ont d'ailleurs mentionnéque cette épreuve projectile pouvait être utiliséecomme point de départ pour la psychothérapie, sanscependant en avoir indiqué la technique. Malgré lessuccès obtenus dans l'utilisation du T. A.T. commeméthode d'associations libres, Pankow a abandonnécette technique par la suite, au profit du modelageprincipalement et du dessin accessoirement.

Pankow mentionne que la méthode des greffes detransfert à partir du T.A.T. ne donne aucun résul-

tat en cas de délire chronique schizophrénique, carle T.A.T. suppose la reconnaissance des formesdans la dialectique entre tout et parties (fonction deforme). Le T. A.T. est seulement utilisable lorsquela reconnaissance de la totalité du corps avec seslimites est encore possible, comme par exempledans les psychoses marginales, alors que seule lafonction de contenu de l'image du corps est atteinte.

Dessins et modelages. Pankow demande aupatient d'acheter de la pâte à modeler de couleursdifférentes, de même qu'un cahier et des crayonsde couleur, et de modeler ou de dessiner chaque jourquelque chose; elle invite le patient à faire des pro-ductions pour elle, l'analyste, et de faire tout sim-plement quelque chose selon son gré, selon ce quilui passe par la tête (associations libres). Le patientdoit apporter les modelages ou les dessins àl'analyste. Pankow peut également procéder autre-ment en proposant au patient, pendant les séancesd'analyse, de prendre de la pâte à modeler qui setrouve sur une table dans son bureau et de faire quel-que chose pour elle.

Au début de sa carrière, devant la productiond'une partie du corps (par exemple la tête d'un chienou un soulier), Pankow demande au patient s'il pou-vait compléter le modelage. Par la suite, elle a aban-donné cette technique pour se limiter à la parole àpartir du modelage en demandant : «À qui pourraitappartenir la tête? - Si vous étiez chien, que feriez-vous?» Il est possible de la sorte de compléter lemodelage, de façon verbale, et de le situer dans unenvironnement, dans une relation.

Rêve éveillé. Pankow favorise les associationslibres du patient à partir du modelage ou du dessin,en l'invitant à faire une sorte de rêve éveillé. Elledemande au patient de raconter une histoire drama-tique, pleine d'actions et de fantaisies incluant ledessin ou le modelage. Elle peut également inviterle patient à raconter une histoire concernant le des-tin, l'évolution de l'objet représenté, du momentprésent jusqu'à sa disparition ou sa destruction. Unetelle histoire permet de toucher aux thèmes de lamort et de la perte de l'objet, et de libérer les fan-taisies agressives et les sentiments de culpabilité.Les diverses productions, modelages, dessins, rêveséveillés, associations libres, ont pour fonction decréer un phantasme structurant concernant l'imagedu corps. Ces diverses productions permettent nonseulement de réparer la faille dans la dynamique du

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corps vécu, mais aussi de retrouver une partieimportante de l'histoire du patient, de réparer lafaille dans les relations interhumaines.

Rencontre des parents. Lorsque Pankow prenden analyse un patient schizophrène, elle rencontreautant que possible les parents afin de mieux saisircomment les zones de destruction dans l'image ducorps correspondent aux zones de destruction dansla dynamique familiale. Elle procède de la façon sui-vante. Elle rencontre d'abord trois fois la mère d'unschizophrène avant de rencontrer le patient lui-même. Pendant la première entrevue, elle se con-tente d'écouter; pendant la deuxième consultation,elle essaie d'élaborer les relations de la mère à sespropres parents; pendant la troisième rencontre, elleessaie de saisir la situation existant au moment dela conception de l'enfant (le désir d'avoir un enfant).Après avoir rencontré la mère, Pankow rencontrele patient, trois fois également. Ensuite seulement,elle voit le père avec lequel elle aborde les mêmesthèmes qu'avec la mère. C'est à ce moment qu'elledécide de commencer le traitement du patientschizophrène.

Pankow indique aux parents qu'ils ont le droit delui téléphoner s'ils ont des questions ou des angois-ses particulières, ou s'ils ne comprennent pas ce quise passe au cours du traitement de leur enfantmalade; dans ce cas, elle peut leur donner desrendez-vous. La mise en marche d'une psychothé-rapie analytique des schizophrènes a comme con-dition préalable ce contact avec les parents. Quandles parents d'un schizophrène sont capables derenoncer à leur attachement infantile à leurs pro-pres parents, et quand ils acceptent de se séparerde leur enfant, ils peuvent devenir véritablement desparents eux-mêmes; c'est seulement à ce momentqu'ils peuvent se permettre eux-mêmes d'exister defaçon autonome et qu'ils peuvent reconnaître leurenfant comme quelque chose qui n'est plus eux-mêmes. Pankow rejoint la pensée de plusieurs cli-niciens qui affirment que la schizophrénie apparaîtà la troisième génération d'une histoire familiale etque le schizophrène doit être considéré en relationavec ses propres parents, et même ses grands-parents paternels et maternels. Pankow propose laformule : «Pour les parents d'un schizophrène, iln'est pas permis d'avoir un enfant qui soit un fruit;pour un schizophrène, il n'est pas permis d'exis-ter» (Pankow, 1977, 10).

Vacances et correspondance. Pankow demandeà certains patients, surtout les schizophrènes, de luiécrire une fois par semaine pendant les vacances,pendant l'interruption temporaire du traitement. Cemoyen permet au patient de rester en contact avecl'analyste et de se rassurer en vérifiant son exis-tence. L'expérience a prouvé que le premier signede vie était donné au bout de deux ou trois semai-nes, et qu'après une brève réponse de sa part,l'analyste ne recevait presque jamais d'autres lettres.

La méthode de structuration dynamique de l'ima-ge du corps comme traitement de la psychose secaractérise par différents aspects originaux : - l'uti-lisation d'un matériel non verbal (modelages, des-sins) en tant qu'associations libres fournies par lepatient; - la place privilégiée accordée à l'imagedu corps pour analyser les productions faites parle patient et ses relations à autrui; - la mise en paral-lèle des zones de destruction du corps avec lesaspects du dysfonctionnement dans la famille dupatient; - le concept de forclusion défini non plusen termes linguistiques, mais en termes de repré-sentation, de symbolisation, en tant que destructionde l'image du corps; - l'élaboration d'une méthodepour établir le transfert en greffant un élément tiersà l'intérieur de la relation patient-analyste; - l'in-troduction de la distinction de deux fonctions del'image du corps qui ne peut plus être comprisecomme un concept global; - l'intégration d'élémentstechniques originaux dans l'analyse de la psychosequi la différencie clairement de la cure-type vala-ble pour la névrose; - la dissociation redéfinie selonles deux catégories fondamentales de psychose :nucléaire et marginale.

Ces différentes innovations permettent de consi-dérer l'oeuvre de Pankow comme un apport consi-dérable à la pratique et à la théorie concernant lapsychose. Le foisonnement des idées théoriques etdes cas cliniques dans les textes de Pankow empê-che parfois le lecteur d'en faire une synthèse et deréaliser qu'il se trouve devant une oeuvre essentiellequi mérite de figurer à côté des grands noms dansle domaine de l'étude et du traitement de la psy-chose6. La psychothérapie des psychoses est par-fois dévalorisée en raison du peu de succès qu'ellerencontrerait. Il en est peut-être ainsi parce que nousn'avons pas encore appris à être des psychothéra-peutes efficaces qui ont développé une compréhen-

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sion théorique profonde de la psychose et une appro-che technique spécifique pour la prendre en charge.Les travaux de Pankow nous fournissent dans cesens les instruments théoriques et techniques néces-saires pour une véritable psychothérapie despsychotiques.

NOTES

1. Le lecteur pourra, tout au long du présent article, être hantépar la question des rapports entre les travaux de Lacan surla psychose (1966, 1981) et l'approche originale de Pankow;il est clair qu'il existe des correspondances et des divergen-ces. André (1983) propose une relecture lacanienne d'un casprésenté par Pankow pour démontrer «la cohérence de la pra-tique de Pankow, dans les grandes lignes en tout cas, avecl'enseignement de Lacan»; il ajoute même que le décryptageà partir d'une grille lacanienne permet d'éclairer les thèseset les pratiques de Pankow «au point que tout s'y articuleavec une logique impeccable» (André, 1983, 21).

2. Les articles de Marazzani ( 1981 ) et Jobin (1981) permettentde préciser le sens des deux fonctions de l'image du corps.La fonction de forme est liée au moi et à sa spatialisationet rejoint les notions de délimitation, d'enveloppe, de fron-tière, de contenant; la fonction de contenu se réfère à l'in-vestissement des parties du corps d'une personne, au sensque prennent ces parties pour elle et à ses relations objecta-les. Les auteurs font l'hypothèse que le contenu se rattacheaux stades oral et anal, se construit par le versant introjectifde l'identification et représente la dimension viscérale, éprou-vée du corps, alors que la forme se rattache au stade du miroiret au stade phallique, se construit par le versant projectif del'identification et représente la dimension visuelle, voire audi-tive, et reconnue par autrui du corps.

3. Pankow reprend le concept de psychose hystérique méconnudans le contexte anglo-saxon; cette entité clinique a été pro-mue par certains auteurs français (Follin, Chazaud et Pilon,1961), mais a entraîné une vive controverse (Chazaud, 1981;Maleval, 1978, 1977). Hollender et Hirsh (1964, 1969) demême que Bishop et HoIt (1980) font une intéressante revuede la question.

4. Nous avons nous-mêmes repris la question du rapport entrela psychose et la transitionalité dans des textes récents (PeIs-ser, 1981, 1982). Nous avons montré que le psychotique neparvient pas à se situer dans le registre transitionnel, à fairecomme si ou à faire semblant, soit qu'il se situe en deçà dutransitionnel, incapable d'entrer dans le rôle à jouer, soit qu'ilse situe au-delà du transitionnel, se confondant totalementavec le rôle joué.

5. Il faut noter comment Pankow adapte le training autogènede façon personnelle. Le training autogène avec les patientspsychotiques se révèle moins menaçant s'il se limite à la lour-deur et à la chaleur des bras et des jambes. Les psychoti-ques risquent facilement d'être pris de panique en interpré-tant de façon délirante des sensations corporelles induites parles exercices des rythmes cardiaque et respiratoire et du plexussolaire. La relaxation progressive de Jacobson offre plus desécurité à la fois parce qu'elle est uniquement centrée surla contraction et la décontraction musculaires et parce qu'ellese base sur des consignes plus encadrantes et plus structu-rées. Le training autogène pour sa part favorise beaucoupplus les «associations libres» corporelles globales.

6. Le style d'approche de la psychose élaboré par Pankow peutse retrouver dans certains textes de Dolto (1949, 1950, 1961)chez laquelle celle-ci a d'ailleurs été en formation, de mêmeque dans l'ouvrage de O'Dwyer de Macedo (1977) quianalyse un cas à partir d'un scheme de référence inspiré dePankow. Le lecteur pourra recourir à ces textes pour appro-fondir sa compréhension de l'oeuvre de Pankow centrée surle concept d'image du corps.

RÉFÉRENCES

Nous retenons, en ce qui concerne Pankow, uniquement lesouvrages reprenant ses principaux articles, et les articles en lan-gue anglaise.

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SUMMARY

The author presents a synthesis of the theoretical and clinicalwork of Gisela Pankow on psychosis. The reading of works ofthis psychoanalyst is fascinating for a number of reasons : sheprovides a detailed and lively look at numerous clinical cases,she accepted patients in analysis with whom other methods hadfailed. But this spectacular character may distract the reader fromthe essence of the work, which is an original theorizing and prac-tical approach concerning psychosis. The resume of the Pankow'stheses is all the more necessary because the latter does not alwaystake the time to present her works in a clear, organized fashion.The main contributions of Pankow are the following : the useof non-traditional techniques (face to face, drawings, models,family contacts) in the treatment of the psychotic, the redefi-nition of the concept of forclusion (Lacan) as a defense mechan-ism directly implying the body image. The present text may serveas an introduction to the reading of Pankow's works, by puttingthe ideas in order to a certain extent.

TRANSITIONS, n° 16, décembre 1983Revue Internationale du Changement Psychiatrique et Social

Éditée par : L'AS.E.P.S.I.

Association pour l'Étude et la Promotion des Structures Intermédiaires, 55 Av. Mathurin Moreau, 75019,Paris, France. Tél. : 206.83.76.

Secrétaire de rédaction : J.-L. Zanda.

Rédacteur en chef : J.-F. Reverzy.

Comité de rédaction : J.-M. Antoine, J.-F. Dameron, M. Guyader, C. Lorin, E. Piel, C. Piguet-Reverzy,P. Pinay, P. Renaut, P. Sadoul, M. Serpaggi, B. Chouraqui.

Des Ressources ALTERNATIVES au QUÉBECNuméro conçu et réalisé par Jean-Marc Antoine

Sommaire :

— Editorial.

— Remerciements aux personnes et aux organismes qui ont favorisé les échanges entre l'AS.E.P.S.I,et les Ressources Alternatives au Québec.

— Lettres ministérielles à propos des Alternatives et des échanges franco-québécois.

— Réflexion, critique et perspective sur la Santé Mentale au Québec.

— Des ressources Alternatives.

- La Maison des Étapes, Montréal - Le M. A. D. H., St-Hyacinthe

- Le "388", Québec - La Cordée, Sherbrooke- La Maison de Transition, Montréal - P. A. L., Montréal- La Maison St-Jacques, Montréal - Maison Vivre, Longueuil- L'Entre-deux, Longueuil - L'Espoir, Longueuil- Les Agents de Quartier, Québec - Solidarité-Psychiatrie, Montréal- Autopsy, Québec — La Maisonnée, Québec- La Chrysalide, Montréal - La Maison Painchaud, Québec- La ferme St-Isidore, Québec — La Maison de Transition, Hull

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— Boscoville. Qu'est-ce que c'est?

— Manifeste de l'AS.E.P.S.I.

— La littérature québécoise.

— L'Art au Québec.

— 1984, Paris. Premier congrès de psychiatrie sociale de langue française.Prix du numéro, 70F +port 18 F. Chèque à l'ordre de Transitions.