Gilles Deleuze - Les conditions de la question : qu'est-ce que la philosophie ?

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    Gilles Deleuze

    Les conditions de la question :

    qu'est-ce que la philosophie ?

    Peut-tre ne peut-on poser la question quest-ce que la philosophie que tard, quand vient lavieillesse, et lheure de parler concrtement. Cest une question quon pose quand on na plusrien demander, mais ses consquences peuvent tre considrables.Auparavant on la posait, on ne cessait pas de la poser, mais ctait trop artificiel, trop abstrait,on lexposait, on la dominait plus quon ntait happ par elle. Il y a des cas o la vieillessedonne, non pas une ternelle jeunesse, mais au contraire une souveraine libert, une ncessit

    pure o lon jouit dun moment de grce entre la vie et la mort, et o toutes les pices de lamachine se combinent pour envoyer dans lavenir un trait qui traverse les ges Turner, Monet,Matisse. Turner vieux a acquis ou conquis le droit de mener la peinture sur un chemin dsertet sans retour, qui ne se distingue plus dune dernire question. De mme en philosophie, laCritique du jugement, de Kant, est une uvre de vieillesse, une uvre dchane derrirelaquelle ne cesseront de courir ses descendants.

    Nous ne pouvons pas prtendre un tel statut. Simplement, lheure est venue pour nous dedemander ce que cest que la philosophie. Et nous navions pas cess de le faire

    prcdemment, et nous avions dj la rponse, qui na pas vari la philosophie est lart deformer, dinventer, de fabriquer des concepts. Mais il ne fallait pas seulement que la rponse

    recueille la question, il fallait aussi quelle dtermine une heure, une occasion, descirconstances, des paysages et des personnages, des conditions et des inconnues de laquestion. Il fallait pouvoir la poser "entre amis", comme une confidence ou une confiance, ou

    bien face lennemi, comme un dfi, et tout la fois atteindre cette heure, entre chien etloup, o lon se mfie mme de lami.

    Cest que les concepts ont besoin de personnages conceptuels qui contribuent leurdfinition. "Ami" est un tel personnage, dont on dit mme quil tmoigne pour une originegrecque de la philosophie les autres civilisations avaient des Sages, mais les Grecs prsententces "amis", qui ne sont pas simplement des sages plus modestes. Ce seraient les Grecs quiauraient entrin la mort du Sage, et lauraient remplac par les philosophes, les amis de lasagesse, ceux qui cherchent la sagesse, mais ne la possdent pas formellement. Peu de

    penseurs pourtant se sont demand ce que signifiait "ami", mme et surtout chez les Grecs.Ami dsignerait-il une certaine intimit comptente, une sorte de got matriel ou une

    potentialit, comme celle du menuisier avec le bois le bon menuisier est en puissance de bois,il est lami du bois La question est importante puisque lami, tel quil apparat dans la

    philosophie, ne dsigne plus un personnage extrinsque, un exemple ou une circonstanceempirique, mais une prsence intrinsque la pense, une condition de possibilit de la

    pense mme, bref une catgorie vivante, un vcu transcendantal, un lment constituant de lapense. Et en effet, ds la naissance de la philosophie, les Grecs font subir un coup de force lami qui nest plus en rapport avec un autre, mais avec une Entit, une Objectivit, uneEssence. Ce quexprime bien la formule si souvent cite, quil faut traduire je suis lami dePierre, de Paul, ou mme du philosophe Platon, mais plus encore ami du Vrai, de la Sagesseou du Concept. Le philosophe sy connat en concepts, et en manque de concepts, il sait

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    lesquels sont inviables, arbitraires ou inconsistants, ne tiennent pas un instant, lesquels aucontraire sont bien faits et tmoignent dune cration, mme inquitante ou dangereuse.

    Que veut dire ami, quand il devient personnage conceptuel, ou condition pour lexercice de lapense ou bien amant, nest-ce pas plutt amant. Et lami ne va-t-il pas rintroduire, jusquedans la pense, un rapport vital avec lAutre quon avait cru exclure de la pense pure Ou bien

    encore ne sagit-il pas de quelquun dautre que lami ou lamant Car, si le philosophe estlami ou lamant de la Sagesse, nest-ce pas parce quil y prtend, sy efforant en puissance

    plutt que la possdant en acte Lami serait donc aussi le prtendant, et celui dont il se diraitlami, ce serait la Chose sur laquelle porterait la prtention, mais non pas le tiers, quideviendrait au contraire un rival Lamiti comporterait autant de mfiance mulante lgarddu rival que damoureuse tension vers lobjet du dsir. Quand lamiti se tournerait verslessence, les deux amis seraient comme le prtendant et le rival (mais qui les distinguerait).Cest par l que la philosophie grecque conciderait avec lapport des " cits avoir promuentre elles et en chacune des rapports de rivalit, opposant des prtendants dans tous lesdomaines, en amour, dans les jeux, les tribunaux, les magistratures, la politique, et jusquedans la pense qui ne trouverait pas seulement sa condition dans lami, mais dans le

    prtendant et dans le rival (la dialectique que Platon dfinissait par lamphisbetesis). Unathltisme gnralis. Lami, lamant, le prtendant, le rival sont des dterminationstranscendantales qui ne perdent pas pour cela leur existence intense et anime, dans un mme

    personnage ou dans plusieurs. Et quand, aujourdhui, Maurice Blanchot, qui fait partie desrares penseurs considrer le sens du mot " ami dans philosophie, reprend cette questionintrieure des conditions de la pense comme telle, nest-ce pas de nouveaux personnagesconceptuels encore quil introduit au sein du plus pur Pens, des personnages peu grecs cettefois, venus dailleurs, qui entranent avec eux de nouvelles relations vivantes promues ltatde figures a priori une certaine fatigue, une certaine dtresse entre amis qui convertit lamitimme la pense du concept comme partage et patience infinis La liste des personnages

    conceptuels nest jamais close, et par l joue un rle important dans lvolution ou lesmutations de la philosophie leur diversit doit tre comprise, sans tre rduite lunit djcomplexe du philosophe.

    Le philosophe est lami du concept, il est en puissance de concept. Cest dire que laphilosophie nest pas un simple art de former, dinventer ou de fabriquer des concepts, car lesconcepts ne sont pas ncessairement des formes, des trouvailles ou des produits. La

    philosophie, plus rigoureusement, est la discipline qui consiste crer des concepts. Lamiserait lami de ses propres crations Crer des concepts toujours nouveaux, cest lobjet de la

    philosophie. Cest parce que le concept doit tre cr, quil renvoie au philosophe comme celui qui la en puissance, ou qui en a la puissance et la comptence. On ne peut pas objecterque la cration se dit plutt du sensible et des arts, tant lart fait exister des entits spirituelles,

    et tant les concepts philosophiques sont aussi des " sensibilia. dire vrai, les sciences, lesarts, les philosophies sont galement crateurs, bien quil revienne la philosophie seule decrer des concepts au sens strict. Les concepts ne nous attendent pas tout faits, comme descorps clestes. Il ny a pas de ciel pour les concepts. Ils doivent tre invents, fabriqus ou

    plutt crs, et ne seraient rien sans la signature de ceux qui les crent. Nietzsche a dterminla tche de la philosophie quand il crivit " Les philosophes ne doivent plus se contenterdaccepter les concepts quon leur donne, pour seulement les nettoyer et les faire reluire, maisil faut quils commencent par les fabriquer, les crer, les poser et persuader les hommes dyrecourir. Jusqu prsent, somme toute, chacun faisait confiance ses concepts, comme unedot miraculeuse venue de quelque monde galement miraculeux, mais il faut remplacer laconfiance par la mfiance, et cest des concepts que le philosophe doit se mfier le plus, tantquil ne les a pas lui-mme crs (Platon le savait bien, quoiquil ait enseign le contraire).Que vaudrait un philosophe dont on pourrait dire il na pas cr de concept Nous voyons au

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    moins ce que la philosophie nest pas elle nest pas contemplation, ni rflexion, nicommunication, mme si elle a pu croire tre tantt lune, tantt lautre, en raison de lacapacit de toute discipline engendrer ses propres illusions, et se cacher derrire un

    brouillard quelle met spcialement. Elle nest pas contemplation, car les contemplationssont les choses elles-mmes en tant que vues dans la cration de leurs propres concepts. Elle

    nest pas rflexion, parce que personne na besoin de philosophie pour rflchir sur quoi quece soit on croit donner beaucoup la philosophie en en faisant lart de la rflexion, mais on luiretire tout, car les mathmaticiens comme tels nont jamais attendu les philosophes pourrflchir sur les mathmatiques, ni les artistes, sur la peinture ou la musique dire quilsdeviennent alors philosophes est une mauvaise plaisanterie, tant leur rflexion appartient leur cration respective. Et la philosophie ne trouve aucun refuge ultime dans lacommunication, qui ne travaille en puissance que des opinions, pour crer du " consensus etnon du concept.

    La philosophie ne contemple pas, ne rflchit pas, ne communique pas, bien quelle ait crerdes concepts de ces actions ou passions. La contemplation, la rflexion, la communication nesont pas des disciplines, mais des machines constituer des Universaux dans toutes lesdisciplines. Les Universaux de contemplation, puis de rflexion, sont comme les deuxillusions que la philosophie a dj parcourues dans son rve de dominer les autres disciplines(idalisme objectif et idalisme subjectif), et la philosophie ne shonore pas en se rabattantmaintenant sur des universaux de la communication qui lui donneraient une matriseimaginaire des marchs et des mdias (idalisme intersubjectif). Toute cration est singulire,et le concept comme cration proprement philosophique est toujours une singularit. Le

    premier principe de la philosophie est que les Universaux nexpliquent rien, ils doivent treeux-mmes expliqus. On peut considrer comme dcisive cette dfinition de la philosophie,connaissance par purs concepts mais tombe le verdict nietzschen vous ne connatrez rien parconcepts, si vous ne les avez dabord crs Philosopher, cest crer des concepts. Les

    grands philosophes sont donc trs rares.Se connatre soi-mme apprendre penser faire comme si rien nallait de soi stonner, " stonner que ltant est, ces dterminations de la philosophie et beaucoupdautres forment des attitudes intressantes, quoique lassantes la longue, mais ne constituent

    pas une occupation bien dfinie, une vritable activit, mme dun point de vue pdagogique.Crer des concepts, au moins, cest faire quelque chose. La question de lusage ou de lutilitde la philosophie, ou mme de sa nocivit, doit en tre change.

    Beaucoup de problmes se pressent sous les yeux hallucins dun vieil homme qui verraitsaffronter toute sorte de concepts philosophiques et de personnages conceptuels. Et dabord,ces concepts sont et restent signs, substance dAristote, cogito de Descartes, monade de

    Leibniz, condition de Kant, puissance de Schelling, dure de Bergson Mais aussi, certainsrclament un mot extraordinaire, parfois barbare ou choquant, qui doit les dsigner, tandis quedautres se contentent dun mot courant trs ordinaire qui se gonfle dharmoniques silointaines quelles risquent dtre imperceptibles une oreille non philosophique. Certainssollicitent des archasmes, dautres des nologismes, traverss dexercices tymologiques

    presque fous ltymologie comme athltisme proprement philosophique. Il doit y avoir danschaque cas une trange ncessit de ces mots et de leur choix, comme lment de style. Le

    baptme du concept sollicite un got proprement philosophique qui procde avec violence ouavec insinuation, et qui constitue dans la langue une langue de la philosophie, non seulementun vocabulaire, mais une syntaxe atteignant au sublime ou une grande beaut. Or, quoiquedats, signs et baptiss, les concepts ont leur manire de ne pas mourir, et pourtant sont

    soumis des contraintes de renouvellement, de remplacement, de mutation qui donnent laphilosophie une histoire et aussi une gographie agites, dont chaque moment, chaque lieu se

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    conservent, mais dans le temps, et passent, mais en dehors du temps. Si les concepts necessent pas de changer, on demandera quelle unit demeure pour les philosophies. Est-ce lamme chose pour les sciences, pour les arts, qui ne procdent pas par concepts Et quen est-ilde leur histoire respective Si la philosophie est cette cration continue de concepts, ondemandera videmment ce quest un concept comme Ide philosophique, mais aussi en quoi

    consistent les autres Ides cratrices qui ne sont pas des concepts qui reviennent aux scienceset aux arts, qui ont leur propre histoire et leur propre devenir, et leurs propres rapportsvariables entre elles et avec la philosophie. Lexclusivit de la cration des concepts assure la philosophie une fonction, mais ne lui donne aucune prminence, aucun privilge, tant il ya dautres faons de penser et de crer, dautres modes didation qui nont pas passer parles concepts, commencer par la pense scientifique. Et lon reviendra toujours la questionde savoir quoi sert cette activit de crer des concepts, telle quelle se diffrencie delactivit scientifique ou artistique pourquoi faut-il crer des concepts, et toujours denouveaux concepts, sous quelle ncessit, quel usage Pour quoi faire La rponse daprslaquelle la grandeur de la philosophie serait justement de ne servir rien est une stupidecoquetterie. En tout cas, nous navons jamais eu de problme concernant la mort de lamtaphysique ou le dpassement de la philosophie ce sont dinutiles, de pnibles radotages.On parle de la faillite des systmes aujourdhui, alors que cest seulement le concept desystme qui a chang. Sil y a lieu et temps de crer des concepts, lopration qui y procdesappellera toujours philosophie, ou ne sen distinguerait mme pas si on lui donnait un autrenom. La philosophie cderait volontiers la place toute autre discipline qui remplirait mieuxla fonction de crer des concepts, mais tant que la fonction subsiste, elle sappelle encore

    philosophie, toujours philosophie.

    Nous savons pourtant que lami ou lamant comme prtendant ne va pas sans rivaux. Si laphilosophie a une origine grecque autant quon veut bien le dire, cest parce que la cit, ladiffrence des empires ou des tats, invente lAgn comme rgle dune socit des " amis, la

    communaut des hommes libres en tant que rivaux (citoyens). Cest la situation constante quedcrit Platon si chaque citoyen prtend quelque chose, il rencontre ncessairement desrivaux, si bien quil faut pouvoir juger du bien-fond des prtentions. Le menuisier prtend au

    bois, mais se heurte au forestier, au bcheron, au charpentier qui disent cest moi, cest moilami du bois. Sil sagit de prendre soin des hommes, il y a beaucoup de prtendants qui se

    prsentent comme lami de lhomme, le paysan qui le nourrit, le tisserand qui lhabille, lemdecin qui le soigne, le guerrier qui le protge. Et si, dans tous ces cas, la slection se faitmalgr tout dans un cercle quelque peu restreint, il nen est plus de mme en politique, onimporte qui peut prtendre nimporte quoi, dans la dmocratie athnienne telle que la voitPlaton. Do la ncessit pour Platon dune remise en ordre, o lon cre les instances grceauxquelles juger du bien-fond des prtentions ce sont les Ides comme concepts

    philosophiques. Mais mme l, ne va-t-on pas rencontrer toutes sortes de prtendants pourdire le vrai philosophe, cest moi, cest moi lami de la Sagesse ou du Bien-Fond La rivalitculmine avec celle du philosophe et du sophiste, qui sarrachent les dpouilles du vieux sage,mais comment distinguer le faux ami du vrai, et le concept du simulacre Le simulateur etlami cest tout un thtre platonicien qui fait prolifrer les personnages conceptuels en lesdotant des puissances du comique et du tragique.

    Plus prs de nous, la philosophie a crois beaucoup de nouveaux rivaux. Ce furent dabord lessciences de lhomme, et notamment la sociologie, qui voulaient la remplacer. Mais, comme la

    philosophie avait de plus en plus mconnu sa vocation de crer des concepts, pour se rfugierdans les universaux, on ne savait plus trs bien de quoi il tait question. Sagissait-il de

    renoncer toute cration de concept au profit dune stricte science de lhomme, ou bien aucontraire de transformer la nature des concepts en en faisant tantt des reprsentations

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    collectives, tantt des conceptions du monde cres par les peuples, leurs forces vitales,historiques et spirituelles Puis ce fut le tour de lpistmologie, de la linguistique, ou mme dela psychanalyse, et de lanalyse logique. Dpreuve en preuve, la philosophie affronterait desrivaux de plus en plus insolents, de plus en plus calamiteux, que Platon lui-mme naurait pasimagins dans ses moments les plus comiques. Enfin, le fond de la honte fut atteint quand

    linformatique, la publicit, le marketing, le design semparrent du mot concept lui-mme, etdirent cest notre affaire, cest nous les cratifs, nous sommes les concepteurs Cest nous lesamis du concept, nous le mettons dans nos ordinateurs. Information et crativit, concept etentreprise une abondante bibliographie dj Le mouvement gnral qui a remplac laCritique par la promotion commerciale na pas manqu daffecter la philosophie. Lesimulacre, la simulation dun paquet de nouilles est devenu le vrai concept, et le prsentateurdu produit, marchandise ou uvre dart, est devenu le philosophe, le personnage conceptuelou lartiste. Mais comment la philosophie, une vieille personne, salignerait-elle avec des

    jeunes cadres dans une course aux universaux de la communication pour dterminer uneforme marchande du concept, Merz Plus la philosophie se heurte des rivaux impudents etniais, plus elle les rencontre en son propre sein, plus elle se sent dentrain pour remplir satche, crer des concepts, qui sont des arolithes plutt que des marchandises. Elle a des fousrires qui emportent ses larmes. Ainsi donc, la question de la philosophie est le point singuliero le concept et la cration se rapportent lun lautre.

    Les philosophes ne se sont pas suffisamment occups de la nature du concept comme ralitphilosophique. Ils ont prfr le considrer comme une connaissance ou une reprsentationdonnes, qui sexpliquaient par des facults capables de le former (abstraction, ougnralisation) ou den faire usage (jugement). Mais le concept nest pas donn, il est cr, crer il nest pas form, il se pose lui-mme en lui-mme, auto-position. Les deuxsimpliquent, puisque ce qui est vritablement cr, du vivant luvre dart, jouit par lmme dune auto-position de soi, ou dun caractre autopotique quoi on le reconnat.

    Dautant plus le concept est cr, dautant plus il se pose. Ce qui dpend dune libre activitcratrice, cest aussi ce qui se pose en soi-mme, indpendamment et ncessairement le plussubjectif sera le plus objectif. Ce sont les post-kantiens qui ont port le plus dattention en cesens au concept comme ralit philosophique, notamment Schelling et Hegel. Hegel a dfini

    puissamment le concept par les Figures de sa cration et les Moments de son auto-position lesfigures constituent le ct sous lequel le concept est cr par et dans la conscience, travers lasuccession des esprits, tandis que les moments dressent lautre ct suivant lequel le conceptse pose lui-mme et runit les esprits dans labsolu du Soi. Hegel montrait ainsi que leconcept na rien voir avec une ide gnrale ou abstraite qui ne dpendrait pas de la

    philosophie mme. Mais ctait au prix dune extension indtermine de la philosophie qui nelaissait gure subsister le mouvement indpendant des sciences et des arts, parce quelle

    reconstituait des universaux avec ses propres moments et ne traitait plus quen figurantsfantmes les personnages de sa propre cration. Les post-kantiens tournaient autour duneencyclopdie universelle du concept, qui renvoyait la cration de celui-ci une puresubjectivit, au lieu de se donner une tche plus modeste, une pdagogie du concept, quidevrait analyser les conditions de cration comme facteurs de moments restant singuliers. Siles trois ges du concept sont lencyclopdie, la pdagogie et la formation professionnellecommerciale, seul le second peut nous empcher de tomber des sommets du premier dans ledsastre absolu du troisime, dsastre absolu pour la pense, quels quen soient, bien entendu,les bnfices sociaux du point de vue du capitalisme universel.Gilles DeleuzeCe texte a t publi initialement in Chimres, n 8, mai 1990. Revue trimestrielle dirige parGilles Deleuze et Flix Guattari