Gérer le personnel

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gestion | social 24 OptionBio | jeudi 26 avril 2012 | n° 471 Propos homophobes - Orientation sexuelle - Refus de promotion Refuser d’accorder une promotion à un salarié à un poste de directeur au Maroc en raison de son orientation sexuelle est discriminatoire, mais tenir des propos homophobes à son égard ne l’est pas. La solution rendue par la cour d’appel de Versailles* est intéressante en ce qu’elle reconnaît le caractère discriminatoire d’un refus de promo- tion fondé sur l’orientation sexuelle d’un salarié mais l’écarte s’agissant des propos homophobes dont il a fait l’objet. En l’espèce, le salarié avait postulé à un poste de directeur au Maroc. En réponse, il avait reçu un courrier au terme duquel il était clairement avéré que cette promotion lui était refusée en raison de son homosexualité. Cet élément laissait donc supposer l’existence d’une discrimination en raison de son orientation sexuelle. L’employeur n’ayant apporté aucun élément pour justifier que sa décision était fondée sur un élément objectif étranger à toute discrimination, la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié produisait les effets d’un licenciement nul. Le salarié se disait également victime d’écrits et de propos homophobes de la part de ses collè- gues et de son supérieur hiérarchique qui l’avaient notamment affublé d’un surnom à consonnance féminine. Pour les juges du fond, ces comporte- ments injurieux ne constituent pas une discrimi- nation. Ils caractérisent néanmoins un manque- ment à l’obligation de sécurité de l’employeur qui lui impose de veiller à la sécurité des travailleurs. Pour autant, ce manquement n’est pas expres- sément sanctionné par le juge, puisque seuls des dommages et intérêts pour discrimination ont été alloués au salarié. * CA Versailles,10 janvier 2012, n° 10/04996, 6 e ch., B. c/ SAS Sitel France. A-t-on le droit d’interdire aux hommes de porter des boucles d’oreilles ? Le licenciement d’un chef de rang d’un restaurant gastronomique au motif qu’il porte des boucles d’oreilles et que cela n’est pas tolérable pour un homme repose sur un motif discriminatoire fondé sur l’apparence physique rapportée à son sexe. Un salarié, chef de rang dans un restaurant gas- tronomique, peut-il faire l’objet d’un licencie- ment disciplinaire au motif qu’il a refusé d’ôter ses boucles d’oreilles pendant le service ? Telle était la question tranchée par la cour d’appel de Montpellier puis déférée à la Cour de cassation*. La réponse ne va pas de soi si l’on se fonde sur les dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail selon lesquelles des restrictions peuvent être apportées à la liberté individuelle du salarié, notamment celle de se vêtir, si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et propor- tionnées au but recherché. Sur ce fondement, la cour d’appel de Versailles a considéré, dans une autre affaire à peu près similaire, que le refus d’un chef de rang de retirer pendant le service son piercing nasal et ses boucles d’oreilles jus- tifiait son licenciement pour insubordination, ces accessoires étant de nature à choquer la clientèle d’affaires et familiale de l’établissement (CA Ver- sailles, 22 juin 2006, n° 05-3726). En l’espèce, le salarié a préféré se placer sur le terrain de la discrimination, en se fondant sur les termes de la lettre de licenciement qui énonçait « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes ». En laissant entendre au salarié qu’il ne serait pas un homme en portant des boucles d’oreilles, il y avait là, selon la cour d’appel approuvée par la Cour de cassation, un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’ap- parence physique du salarié rapportée à son sexe. L’employeur n’ayant pu justifier sa décision d’im- poser au salarié d’enlever ses boucles d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute dis- crimination, le licenciement avait nécessairement un caractère discriminatoire. Gérer le personnel Quelques arrêts récents peuvent être utiles pour montrer l’esprit des juridictions en matière sociale à ceux qui doivent gérer le personnel dans les nouvelles grandes structures qui se mettent en place. © FOTOLIA-YURI ARCURS

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24 OptionBio | jeudi 26 avril 2012 | n° 471

Propos homophobes - Orientation sexuelle - Refus de promotionRefuser d’accorder une promotion à un salarié à un poste de directeur au Maroc en raison de son orientation sexuelle est discriminatoire, mais tenir des propos homophobes à son égard ne l’est pas.La solution rendue par la cour d’appel de Versailles* est intéressante en ce qu’elle reconnaît le caractère discriminatoire d’un refus de promo-tion fondé sur l’orientation sexuelle d’un salarié mais l’écarte s’agissant des propos homophobes dont il a fait l’objet.En l’espèce, le salarié avait postulé à un poste de directeur au Maroc. En réponse, il avait reçu un courrier au terme duquel il était clairement avéré que cette promotion lui était refusée en raison de son homosexualité. Cet élément laissait donc supposer l’existence d’une discrimination en raison de son orientation sexuelle. L’employeur n’ayant apporté aucun élément pour justifier que

sa décision était fondée sur un élément objectif étranger à toute discrimination, la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié produisait les effets d’un licenciement nul.Le salarié se disait également victime d’écrits et de propos homophobes de la part de ses collè-gues et de son supérieur hiérarchique qui l’avaient notamment affublé d’un surnom à consonnance féminine. Pour les juges du fond, ces comporte-ments injurieux ne constituent pas une discrimi-nation. Ils caractérisent néanmoins un manque-ment à l’obligation de sécurité de l’employeur qui lui impose de veiller à la sécurité des travailleurs. Pour autant, ce manquement n’est pas expres-sément sanctionné par le juge, puisque seuls des dommages et intérêts pour discrimination ont été alloués au salarié.

* CA Versailles,10 janvier 2012, n° 10/04996, 6e ch.,B. c/ SAS Sitel France.

A-t-on le droit d’interdire aux hommes de porter des boucles d’oreilles ?Le licenciement d’un chef de rang d’un restaurant gastronomique au motif qu’il porte des boucles d’oreilles et que cela n’est pas tolérable pour un homme repose sur un motif discriminatoire fondé sur l’apparence physique rapportée à son sexe.Un salarié, chef de rang dans un restaurant gas-tronomique, peut-il faire l’objet d’un licencie-ment disciplinaire au motif qu’il a refusé d’ôter ses boucles d’oreilles pendant le service ? Telle était la question tranchée par la cour d’appel de Montpellier puis déférée à la Cour de cassation*.La réponse ne va pas de soi si l’on se fonde sur les dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail selon lesquelles des restrictions peuvent être apportées à la liberté individuelle du salarié, notamment celle de se vêtir, si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et propor-tionnées au but recherché. Sur ce fondement, la cour d’appel de Versailles a considéré, dans une autre affaire à peu près similaire, que le refus d’un chef de rang de retirer pendant le service son piercing nasal et ses boucles d’oreilles jus-tifiait son licenciement pour insubordination, ces accessoires étant de nature à choquer la clientèle d’affaires et familiale de l’établissement (CA Ver-sailles, 22 juin 2006, n° 05-3726).En l’espèce, le salarié a préféré se placer sur le terrain de la discrimination, en se fondant sur les termes de la lettre de licenciement qui énonçait « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes ».En laissant entendre au salarié qu’il ne serait pas un homme en portant des boucles d’oreilles, il y avait là, selon la cour d’appel approuvée par la Cour de cassation, un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’ap-parence physique du salarié rapportée à son sexe. L’employeur n’ayant pu justifier sa décision d’im-poser au salarié d’enlever ses boucles d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute dis-crimination, le licenciement avait nécessairement un caractère discriminatoire.

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Quelques arrêts récents peuvent être utiles pour montrer l’esprit des juridictions en matière sociale à ceux qui doivent gérer le personnel dans les nouvelles grandes structures qui se mettent en place.

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25OptionBio | jeudi 26 avril 2012 | n° 471

Cette solution permet de souligner l’importance de la rédaction de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il appartient aux employeurs de bien faire attention aux termes qu’ils utilisent et d’éviter toute allusion ou référence au sexe. On ne saurait toutefois déduire de cet arrêt un principe général selon lequel le licenciement d’un salarié pour port de boucles d’oreilles serait discriminatoire.

* Cass. soc. 11 janvier 2012, n° 10-28.213 (n° 177 FS-PB), Sté Bessières frères c/ Wylock.

Odeurs nauséabondes - Atteinte à la dignité du salarié - Résiliation de son contrat de travailL’employeur qui porte atteinte à la dignité d’un salarié en lui reprochant de dégager des odeurs nauséabondes manque à ses obligations, ce qui justifie la résiliation à ses torts du contrat de travail.La dignité du salarié n’est pas directement proté-gée par le Code du travail. Cette notion y est juste mentionnée, notamment dans la définition du har-cèlement moral (C. trav. art. L 1152-1). Mais cette définition, issue de la loi du 17 janvier 2002, fait écho à la Charte sociale européenne qui, depuis 1996, consacre le principe du droit à la dignité des femmes et des hommes au travail. Par ailleurs, la protection de la dignité de la personne est expres-sément prévue à l’article 16 du Code civil. Et le Conseil constitutionnel a fait de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute

forme d’asservissement et de dégradation un principe de valeur constitutionnelle (Cons. const., 27 juillet 1994 no 94-343/344 DC).Nul doute alors que l’employeur est tenu de respecter la dignité de ses salariés.C’est ce que décide la Cour de cassation dans son arrêt du 7 février 2012* : elle considère, au visa de l’article L 1222-1 du Code du travail relatif à l’obligation de l’employeur d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, que l’atteinte à la dignité du salarié constitue un manquement grave de l’employeur à ses obligations. Elle en déduit que ce comporte-ment justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts. Elle justifierait de même une prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié.En l’espèce, l’atteinte à la dignité résultait de propos tenus par l’employeur à l’égard d’un sala-rié, par ailleurs atteint d’un handicap. Il lui avait en effet reproché de dégager des odeurs nau-séabondes, et lui avait demandé s’il n’avait pas une gangrène ou des problèmes d’incontinence.La question de savoir si le salarié en question dégageait réellement des odeurs désagréables n’entrait pas dans le débat. En tant que tels, les propos tenus par l’employeur constituaient une atteinte à la dignité.Dans l’entourage professionnel, il arrive que sur-viennent des difficultés liées à des odeurs corpo-relles fortes, qui ne sont pas nécessairement liées à un manque d’hygiène, mais peuvent avoir pour origine des problèmes de santé.

L’employeur et le personnel d’encadrement peu-vent alors être amenés à aborder le sujet avec le salarié concerné. Ils doivent dans ce cas adopter un comportement respectueux et se garder de tout propos humiliant.On notera que la Cour de cassation contrôle ici la qualification de manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations justifiant une résiliation judiciaire du contrat de travail.

Cette décision peut être rapprochée du contrôle qu’exerce la Haute Juridiction sur la justifica-tion de la prise d’acte en présence de certains manquements de l’employeur d’une particulière gravité, dont elle estime qu’ils justifient toujours la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail. Parmi ceux-ci, on peut citer notamment les atteintes à l’intégrité physique ou morale des salariés (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-15.493), les agissements de harcèlement (Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019), ou encore la modification unilatérale du contrat de travail (Cass. soc., 4 février 2009, n° 08-40.611). |

* Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.686 (n° 405 FS-PB), Dupuy c/ Sté Mecarungis.

GÉRARD GUEZ

Avocat à la Cour, [email protected]

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêts en lien avec cet article.