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Genres et sous genres de la Science Fiction au prisme d'un auteur emblématique : Philip K. Dick ou une vie de Science Fiction « il n'y avait eu en tout que quatre types de Griffes. Celles qu'il voyait maintenant avaient toutes été fabriquées dans la même usine souterraine, elles étaient toutes sorties de la même matrice, du même moule. Cinquante à soixante robots, qui formaient autant d'exemplaires d'un même jeune homme, allaient calmement leur chemin. Ils se déplaçaient très lentement. Tous étaient amputés d'une jambe. » Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 267, Editions Denoël, 2011. Question du programme liée à l'objet d'étude : Le virtuel est-il un enrichissement du réel ? Problématique de fond à cette communication : La science fiction implique-t-elle nécessairement un déplacement dans le temps et dans l'espace ? Dans la science-fiction le fantastique est tué dans l'œuf grâce à la science ou à des spéculations scientifiques. Mais différencier ces deux genres catégoriquement n'est pas si aisé. En effet, comme le rappelle Michel Houellebecq dans son essai H. P. Lovecraft, contre la vie, contre la mort, cet auteur américain horrifique aux accents si fantastiques et inclassables fut d'abord publié en France dans une collection SF. Avec Philip K. Dick aussi, tracer des traits définitifs est souvent difficile : sa science-fiction est tellement hors des marges et ses thèmes de prédilection si vastes et particuliers qu'ils constituent des références aussi incontournables qu'originales. I. Philip K. Dick, « le pape » de la science-fiction 1928-1982 Auteur très prolifique de nouvelles dans les pulps et de romans tous azimuths, K. Dick a abordé tous les genres de la SF, et a largement contribué à les populariser. Parfois il en a été le précurseur comme pour le genre Cyberpunk. Ou encore il a créé de nouvelles branches et catégories qui en sont devenues de nouveaux genres comme celui de la SF métaphysique. K. Dick a ainsi largement influencé le monde des lettres et des arts au 20ème : une pièce maîtresse d'une synergie entre SF, philosophie, sociologie et littérature que le cinéma ne cesse de redécouvrir ou réinterpréter ; citons par exemple Blade Runner de Ridley Scott en 1982, Total Recall (Paul Verhoeven, 1990), Planète hurlante (1995), Impostor (2001), Minority Report (Steven Spielberg, 2002), Paycheck (John Woo, 2003) qui sera réadapté par Martin Scorcese avec Les Infiltrés, A Scanner Darkly (2005). Les problématiques de Ubik ont encore inspiré librement Vanilla Sky de Cameron Crowe en 2001. Dans Next de Lee Tamahori, 2007, Nicolas Cage arbore un curieux bronzage mordoré comme en référence à L'Homme Doré, la nouvelle dont est tiré ce film. En 2011 sort L'Agence, avec Matt Damon, film tiré de la nouvelle Rajustement de K. Dick. Next est d'ailleurs un film très proche du fantastique : son héros évolue à notre époque et

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Genres et sous genres de la Science Fiction au prisme d'un auteur emblématique :

Philip K. Dick

ou

une vie de Science Fiction« il n'y avait eu en tout que quatre types de

Griffes. Celles qu'il voyait maintenant avaient toutes été fabriquées dans la même usine souterraine, elles étaient toutes sorties de la même matrice, du même moule. Cinquante à soixante robots, qui formaient autant d'exemplaires d'un même jeune homme, allaient calmement leur chemin. Ils se déplaçaient très lentement. Tous étaient amputés d'une jambe. »

Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 267, Editions Denoël, 2011.

Question du programme liée à l'objet d'étude : Le virtuel est-il un enrichissement du réel ?

Problématique de fond à cette communication :

La science fiction implique-t-elle nécessairement un déplacement dans le temps et dans l'espace ?

Dans la science-fiction le fantastique est tué dans l'œuf grâce à la science ou à des spéculations scientifiques. Mais différencier ces deux genres catégoriquement n'est pas si aisé. En effet, comme le rappelle Michel Houellebecq dans son essai H. P. Lovecraft, contre la vie, contre la mort, cet auteur américain horrifique aux accents si fantastiques et inclassables fut d'abord publié en France dans une collection SF. Avec Philip K. Dick aussi, tracer des traits définitifs est souvent difficile : sa science-fiction est tellement hors des marges et ses thèmes de prédilection si vastes et particuliers qu'ils constituent des références aussi incontournables qu'originales.

I. Philip K. Dick, « le pape » de la science-fiction 1928-1982Auteur très prolifique de nouvelles dans les pulps et de romans tous azimuths, K. Dick a

abordé tous les genres de la SF, et a largement contribué à les populariser. Parfois il en a été le précurseur comme pour le genre Cyberpunk. Ou encore il a créé de nouvelles branches et catégories qui en sont devenues de nouveaux genres comme celui de la SF métaphysique.

K. Dick a ainsi largement influencé le monde des lettres et des arts au 20ème : une pièce maîtresse d'une synergie entre SF, philosophie, sociologie et littérature que le cinéma ne cesse de redécouvrir ou réinterpréter ; citons par exemple Blade Runner de Ridley Scott en 1982, Total Recall (Paul Verhoeven, 1990), Planète hurlante (1995), Impostor (2001), Minority Report (Steven Spielberg, 2002), Paycheck (John Woo, 2003) qui sera réadapté par Martin Scorcese avec Les Infiltrés, A Scanner Darkly (2005). Les problématiques de Ubik ont encore inspiré librement Vanilla Sky de Cameron Crowe en 2001. Dans Next de Lee Tamahori, 2007, Nicolas Cage arbore un curieux bronzage mordoré comme en référence à L'Homme Doré, la nouvelle dont est tiré ce film. En 2011 sort L'Agence, avec Matt Damon, film tiré de la nouvelle Rajustement de K. Dick.

Next est d'ailleurs un film très proche du fantastique : son héros évolue à notre époque et

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possède un don qui lui montre le futur à un quart d'heure mais pas plus. Cette exception de la nature pourra ainsi sauver l'humanité d'une attaque terroriste atomique dont l'arme sophistiquée permet l'ambivalence avec le genre de la science-fiction.

A. Des jeux sur le tempsPassé fantasmé, futur proche et futur lointain : quelle science Fiction ?

Philip K. Dick a été un auteur très prolifique qui a écrit des uchronies comme Le Maître du Haut Château. Les forces de l'Axe ont remporté la victoire et se sont partagé le monde. Ainsi, l'Europe et l'Afrique sont aux mains des nazis alors que l'Asie et l'Amérique sont passés sous le contrôle des Japonais depuis bien longtemps déjà... Mais aux États-Unis un homme résiste : un écrivain de science-fiction qui vit reclus et diffuse des romans subversifs appelant à la rébellion... Un des héros empreint de culture nippone prend régulièrement ses décisions grâce au Yi King dont l'usage aléatoire lui délivre des oracles. Ainsi, à l'Histoire revisitée s'ajoute déjà une touche spirituelle et métaphysique avec ce livre traditionnel.

« John Cage, le compositeur, l'utilise pour dériver ses progressions d'accords. Plusieurs physiciens y ont recours pour déterminer le comportement des particules subatomiques – contournant ainsi le principe d'incertitude d'Heisenberg. Je m'en suis servi pour développer le sens d'un roman. Jung s'en servait avec ses patients pour contourner leurs zones aveugles psychologiques. Leibniz fonda son système binaire dessus, l'idée de la porte ouverte-et-fermée, sinon l'intégralité de sa philosophie de la monadologie... pour ce qu'elle vaut. »

Philip K. Dick, La schizophrénie et le Livre des Changements, in « Souvenir », p.33, Editions Denoël, 1996.

- Point de divergence et multivers : les uchroniesLe mot « uchronie » a été inventé par Charles Renouvier, qui s’en est servi pour intituler son

livre Uchronie, l’utopie dans l’histoire, publié en 1857. « Uchronie » est donc un néologisme du XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie (mot créé en 1516 par Thomas More pour servir de titre à son célèbre livre, Utopia), avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos » (temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.

L'uchronie est un genre littéraire qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. On utilise également l’expression « histoire alternative » (alternate history) ou « histoire contrefactuelle ». Lorsqu’elle est associée à des moyens techniques qui permettent de remonter dans le temps et donc de modifier le passé, l’uchronie est directement associée au genre de la science-fiction.

L’uchronie devint populaire petit à petit grâce aux magazines américains publiant des nouvelles de science-fiction.

Winston Churchill qui reçut le Prix Nobel de littérature en 1953 avait écrit en 1900 un seul et unique roman de fiction : Savrola qui raconte la révolution d'un pays européen fictif. Il a aussi écrit une uchronie qui s'intitule Si Lee avait gagné la bataille de Gettysburg. Il a pour cadre la Guerre de Sécession. Churchill y évoque un historien sudiste vivant dans un monde où les Confédérés sudistes ont gagné ; cet historien imagine ce que serait le monde si les Nordistes avaient gagné. Ce texte est donc comme une prémisse de l’uchronie qui sera répétée par Philip K. Dick dans Le Maître du Haut Château.

Le moment où l’histoire réelle et l’histoire uchronique divergent est appelé « Point de divergence ». Par exemple, dans Le Maître du Haut Château, c’est l’assassinat de Franklin Roosevelt à Miami en 1933 qui est le point de divergence et fait basculer l’intrigue dans la fiction. Les États-Unis ne parviennent pas à sortir de la grande dépression et restent figés dans leur

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neutralité face à Hitler.

Un ami de Philip K. Dick, Norman Spinrad, (que nous retrouverons dans des tasses à café avec lui à Disneyland), a lui aussi écrit une uchronie intitulée Rêve de fer où un obscur auteur d'heroic fantasy, nommé Adolf Hitler, atteint un certain succès avec son roman le Seigneur du Swastika. Et il imagine un monde n’ayant pas vécu la Seconde Guerre mondiale.

La théorie du multivers postule que des points de divergence surviennent à chaque instant au sein des uchronies. Ils créent sans cesse des univers parallèles au sein d'un même roman : si les dinosaures n’avaient pas disparu, si l’Empire romain avait perduré, etc...

Uchronies dans la BD :

On peut citer les Watchmen, une bande dessinée politique de Alan Moore et Dave Gibbons mettant en scène des super héros : l’apparition en 1959 d’un surhomme dote les États-Unis d’une arme qui leur permet plus tard de gagner la guerre du Viêt Nam ; Richard Nixon étouffe le Watergate et est toujours président en 1985.

Au cinéma :

Pour des uchronies récentes on pense tout de suite à Inglorious Bastards de Tarentino ou, à Goodbye Lénine.

Mais comme uchronies spécifiquement SF au cinéma on peut citer Capitaine Sky et le monde de demain (Captain Sky and the World of Tomorrow, 2004) : L'histoire se déroule en 1939. Polly Perkins, journaliste au Chronicle, cherche à élucider la disparition de plusieurs scientifiques de renom. La piste semble aboutir à un certain docteur Totenkopf. Alors que des robots géants envoyés par Totenkopf attaquent New York, la police impuissante fait appel au Capitaine Sky. Dans ce film où seuls les acteurs qui ont joué sur fond bleu sont réels, l'ambiance bande dessinée est très forte et très réussie.

L'armée des douze singes de Terry Gilian avec Bruce Willys et Brad Pitt est aussi une uchronie : des savants du futur envoient un homme dans notre époque pour savoir comment est apparu un virus qui a quasiment détruit toute l'humanité.

B. Philip K. Dick a aussi écrit des dystopies :

Toujours dans la question de l'espace-temps : Une science fiction à ¼ d'heure

Son roman Substance Mort est une dystopie, ou, contre-utopie : un récit de fiction peignant une société imaginaire, organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur, et contre l'avènement de laquelle l'auteur entend mettre en garde le lecteur. La dystopie s'oppose à l'utopie : au lieu de présenter un monde parfait, la dystopie propose le pire qui soit.

Cette forme littéraire a été rendue célèbre par Le Meilleur des mondes (1932) d'Aldous Huxley, La Kallocaïne de Karin Boye (1940), 1984 de George Orwell (1948), Fahrenheit 451 (1954) de Ray Bradbury et Nous autres (1920) de Ievgueni Zamiatine.

Dans sa dystopie Substance Mort (A Scanner Darkly au cinéma), Philip K. Dick met en scène un Junkie, Bob Arctor, travaillant dans la brigade des stups. Vêtu d'un « complet brouillé » lui donnant mille et une apparences pour couvrir son anonymat, il lui sera finalement demandé d'enquêter sur lui-même. Cette enquête est donc métaphorique d'un thème récurrent chez K. Dick : celui de la perte d'identité ; celle du héros mais aussi celle du spectateur mis en abime. Tout est possible dans la société de consommation : changer d'image, certes mais aussi se perdre dans des

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modes créant des identités instables. Au point de ne plus se souvenir de sa propre origine...

Et dans l'adaptation ciné, l'image elle-même est matière à réflexion sur le traitement de la SF grâce au rotoscop. Avec le traitement redessiné et numérisé il y a parfaite adéquation entre le fond de l'histoire, la forme et le genre de la SF.

Substance mort est une charge contre les drogues et une stigmatisation des modes, de leurs dangers et de l'hypnose collective par l'information et les spectacles de masse. En outre, K. Dick montre dans ce roman un autre versant du psychédélisme, un psychédélisme alternatif : il y a bien eu le célèbre Peace and Love de Woodstock, certes (en août 1969 dans l'État de New York)... mais aussi le festival d'Altamont, en Californie, quelques mois plus tard (décembre 69) pourtant assuré par les mêmes organisateurs. Or, Altamont s'est traduit par le meurtre d'un jeune adolescent noir par des Hells Angels lors du concert des Stones qui continuent néanmoins à jouer... La drogue ici n'est plus pacifique... Et Substance Mort se termine avec la liste des amis de K. Dick morts d'overdose ou devenus fous à la suite d'expériences psychédéliques.

Minority Report de Steven Spielberg (2002) est aussi une dystopie désenchantée adaptée de la nouvelle éponyme de K. Dick. Erreurs de la nature, les Précogs ont permis de mettre fin au crime. En effet, une brigade de police, Précrime, les utilise car ils prévoient les crimes : ainsi Précrime intervient et arrête les meurtriers avant qu'ils ne passent à l'acte. Jusqu'au moment où ils prédisent qu'un meurtre sera commis par l'un des meilleurs policiers de Précrime qui doit donc être rapidement neutralisé. Dans cette nouvelle, on retrouve les thèmes dickiens de la paranoïa alimentée par des mouchards de chair et de sang ou même électroniques, de la quête d'identité mais aussi de la mise en danger des libertés au sein d'une démocratie. Précrime, la police et ses méthodes modernes ne seraient-elles pas une organisation qui faciliterait le totalitarisme à grande échelle ?

C. A l'ombre des dystopies, le cyberpunk : informatique, robotique et extrapolations :

« Ed eut un choc en comprenant qu'il s'agissait d'un robot. Un robot ultra-perfectionné, humanoïde, de conception très différente des travailleurs à coque de métal. Il s'y était laissé prendre – il y avait si longtemps qu'il avait quitté la Terre ! »

Philip k. Dick, Progéniture, in « Souvenir », p.63, Editions Denoël, 2011.

Avec Les Androïdes rêvent-ils de Moutons électriques (1968), Philip K. Dick se pose en précurseur et inspirateur du Cyberpunk : il présente en effet « les Répliquants » qui sont des androïdes biomécaniques au service de l'humanité. Mais la frontière entre robots et humains est très ténue puisque ces créatures ont développé des sentiments, des ambitions, et ils possèdent un appétit de vie. Ils débarquent sur Terre, au siège de l'entreprise qui les a créés et en dignes évolutions « frankensteinesques » réclament « plus de vie » à Tyrell, leur créateur.

Voilà un premier niveau de lecture. Mais ce qui est en germe dans la nouvelle de K. Dick va être développé dans l'adaptation qu'en réalise Ridley Scott pour le cinéma avec Blade Runner. Elle va ouvrir une toute nouvelle clé de lecture de l'oeuvre car Ridley Scott soulève des questions qui resteront soumises à la sagacité du spectateur : le policier, le Faucheur (Blade Runner), joué par Harrison Ford, chargé d'exécuter les Répliquants révoltés et meurtriers n'est-il pas lui-même un

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Répliquant qui aurait oublié qu'il en est un ? Le film se trouve parsemé d'indices allant dans ce sens, notamment autour des implants de souvenirs des protagonistes qui semblent connus des inspecteurs de police...

Ainsi, c'est le spectateur qui est mis en abîme à travers ce film : si un robot biologique a oublié son origine artificielle au point de se confondre avec un humain, n'en serait-il pas de même pour nous tous ? Les perspectives SF qui s'ouvrent avec cette réflexion vont ensemencer de nombreuses autres œuvres : l'humanité n'est pas ce qu'elle croit être, son origine est autre et elle peut-être manipulée comme dans Matrix, par exemple...

Philip K. Dick avait vendu les droits de ses Androïdes rêvent-ils de Moutons électriques à la Warner et il est décédé durant le tournage. Mais il est mort très mécontent du film car il s'est senti dépossédé de l'histoire qu'il avait écrite, en particulier avec la fin revue par Hollywood. En effet, conformément à son nom de faucheur sans états d'âme, le Blade Runner exterminait tous les Répliquants dans la nouvelle. Or, dans le film, le Blade Runner tombe amoureux de la belle Rachel, une répliquante qui ignore ses origines et, dans un happy end bricolé et lyrique, les dernières images les montrent partir pour filer le parfait amour dans un vaisseau survolant des forêts (images empruntées à des rushes de Kubrick inutilisés pour son Shining). C'était ici la fin du film tel qu'il est sorti sur les écrans en 1984.

Or, la Warner a finalement rendu justiice à Philip K. Dick puisque dans la version final cut du DVD ces dernières images sont coupées : les amants semblent s'enfuir mais le suspense demeure sur un fond noir enchaîné avec la musique de Vangélis et le générique de fin.

Dans I Robot d'Asimov, on retrouve ce thème du robot policier qui ignore lui aussi qu'il en est un...

Cette question des robots pouvant être assimilés à des humains existait déjà dans l'Eve future de Villiers de l'Isle Adam : un dandy décadent, insatisfait par la gent féminine décide de construire la femme idéale. L'accouplement de l'homme avec la machine, super et parfaite poupée gonflable robotisée est en marche...

Dans 2001 l'Odyssée de l'espace, Carl, l'ordinateur du vaisseau se dote d'une vie autonome et refuse de répondre aux ordres des humains qui le pilotent : il prend seul les commandes de l'engin. Mais il reste un robot. Ce qui n'est plus le cas du petit garçon robot dans AI, du même Stanley Kubrick. Quand ses parents adoptifs l'abandonnent, il se met à pleurer. Il rencontrera d'autres robots qui fuient les chasseurs : des hommes dénonçant l'usurpation existentielle de ces robots devenus autonomes...

Mais c'est surtout dans le manga Astro boy qu'est exploitée cette veine des androïdes dont la genèse mécanique est inextricablement mêlé à l'ADN des humains. En effet, mort dans un accident, un petit garçon très intelligent est reconstruit par son père à partir de son ADN. Mais son papa lui offre des super pouvoirs technologiques qui en font « le robot le plus fort du monde ! » Et le lecteur de ce manga vit les aventures et la déchirure d'Astro Boy qui se tient constamment à la lisière de deux mondes sans appartenir jamais à aucun : celui des hommes et celui des robots.

Ces thématiques sont à nouveau développées dans une suite pour adultes, un manga librement inspiré d'Astro Boy où des robots humanisées et totalement intégrés à nos sociétés risquent bien de prendre le contrôle de leurs créateurs.

Ainsi, les reflexions de Philip K. Dick sur le devenir de robots biologiques ont amorcé une nouvelle veine dans la SF : celle du Cyberpunk.

Si Isaac Asimov avait inventé l'hyper espace, William Gibson aura été en 1984 l'inventeur du « cyberspace » dans son ouvrage Neuromancien. Et en tant que tel il est le premier à porter le titre de romancier cyberpunk.

Le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction décrivant un monde dystopique.

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Depuis les années 1980 il a essaimé ses thématiques dans de nombreux média, notamment dans la bande dessinée, le cinéma, la musique, les jeux vidéo et les jeux de rôle. Les sous-genres Postcyberpunk et Biopunk en sont des spécialisations.

« Le courant Cyberpunk provient d'un univers où le dingue d'informatique et le rocker se rejoignent, d'un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s'imbriquent. »

Bruce Sterling

Le terme « Cyberpunk » résulte d'une association de « cyber » (du grec ancien kubérnètès : l'art de gouverner ou de piloter à l'origine du mot cybernétique) et « punk » (mouvement exprimant une révolte contre les valeurs établies). Le « Cyberpunk » est au confluent des thématiques du hacker, de l'intelligence artificielle et des multinationales. Ses romans se déroulent la plupart du temps dans un futur proche sur Terre en opposition avec les récits de science-fiction se déroulant dans une perspective plus large : voyages dans l'espace, découverte de nouveaux espaces, conflits mettant en jeu l'univers connu et inconnu... Le lieu où l'histoire se déroule possède des caractères dystopiques et « punk » : les personnages font leur possible pour se débrouiller dans un univers désorganisé. Mais le futur est déjà passé et ils se retrouvent dans la zone d'incertitude qui sépare une « presque-apocalypse » et l'univers post apocalyptique. Ils voient leurs actions se heurter à des intérêts inamovibles, impalpables. L'assimilation du terme « punk » est aussi induite par le slogan de ce mouvement « No Futur ! » et par son esthétique à la fois familière et particulièrement agressive. L'implication politique anarchiste vaut surtout par son opposition à l'organisation de pouvoirs totalement dépourvue d'éthique, très fortement dénoncés et la plupart du temps combattus.

Et dans le monde informatique parallèle du cyberspace du Neuromancien de William Gibson se trouve la matrice : en est-elle une excroissance ou l'origine ?

« La matrice tire ses racines des jeux vidéo les plus primitifs, expliquait la voix hors champ, des tout premiers programmes graphiques et des expérimentations militaires avec les connecteurs crâniens. » Sur le Sony, une guerre spatiale en deux dimensions s'évanouit derrière une forêt de fougères générées de manière mathématique, démontrant les possibilités spatiales des spirales logarithmiques ; insertion d'une séquence d'archive militaire bleu glacé : animaux de laboratoire câblés sur des dispositifs d'expérimentation, casques branchés sur les circuits de contrôle des mise à feu de blindés et d'avions de combat. « Le cyberspace. Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques... Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l'esprit, des amas et des constellations de données. Comme les lumières de villes dans le lointain... »

William Gibson, Neuromancien, 1984.

II. De Philip K. Dick à Horselover Fat :

genèse d'une œuvre séminale

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A. Un auteur et un héros de SF : comment objectiver le réel ?

Les palimpsestes d'un Voyant :

- Tu parles ! Après ce que j'ai vu ? Ecoute, Ruth. J'ai vu le tissu de la réalité se déchirer sous mes yeux. Et j'ai vu… derrière. Dessous. J'ai vu ce qui se trouve réellement là. Et je ne veux pas y retourner. Je ne veux plus voir d'êtres en poussière. Plus jamais. »

Philip k. Dick, Rajustement, in « Souvenir », p.63, Editions Denoël, 2011.

L'écriture de Philip K. Dick est une écriture charnelle, très proche du lecteur, encore renforcée par des héros très ordinaires qui, du jour au lendemain, sont appelés à sauver le monde. Philip K. Dick a exercé une véritable fascination sur des générations de lecteurs comme on peut le voir à travers les biographies qui lui sont consacrées comme Invasions divines de Laurence Sutin ; mais aussi une biographie fictionnée sur le mode des romans dickiens : Requiem pour Philip K. Dick de Michael Bishop. Ou encore la biographie romancée que lui a consacré Emmanuel Carrère : Je suis vivant et vous êtes morts. Son inspiration est aussi revendiquée par Maurice G. Dantec, l'auteur de Babylon Babies, porté à l'écran par Mathieu Kassovitz avec Vin Diesel, en 2008.

Dans Existenz, Cronenberg lui rend hommage et le cite comme source d'inspiration.

K. Dick a des obsessions qui reviennent et participent à la construction d'une oeuvre véritable : qu'est-ce que la réalité, qu'est-ce que l'humain véritable, sommes-nous maîtres de notre destin ou objet manipulés ? Sa littérature paranoïaque est en fait extrêmement perturbante et subversive car elle remet en cause notre vision des choses et du monde. Nourrie de la paranoïa de la guerre froide, elle remet en question l'Etat, le pouvoir et tous ses agents.

« J'ai toujours eu l'espoir, en écrivant des romans et des nouvelles qui posaient la question « Qu'est-ce que la réalité ? » d'obtenir un jour une réponse. C'était aussi l'espoir de la plupart de mes lecteurs... Les années passaient. J'écrivis plus de trente romans et plus de cent nouvelles, et j'étais toujours incapable de déterminer ce qui était réel. Un jour, une étudiante canadienne m'a demandé de lui fournir une définition de la réalité pour son cours de philosophie. Elle voulait une réponse en une phrase. J'y réfléchis, et je finis par dire : « La réalité est ce qui, lorsqu'on cesse d'y croire, ne s'en va pas. » C'est tout ce que j'étais capable de proposer. C'était en 1972. Depuis lors, je ne suis pas parvenu à définir la réalité plus clairement.

Mais il s'agit d'un vrai problème, pas d'un simple jeu intellectuel. Parce que nous vivons aujourd'hui dans une société où les médias, les gouvernements, les grandes compagnies, les groupements religieux et les partis politiques fabriquent de pseudo-réalités – et qu'il existe l'équipement électronique requis pour faire rentrer ces univers illusoires dans la tête du lecteur, du spectateur, de l'auditeur. Parfois, quand j'observe ma fille de onze ans en train de regarder la télé, je me demande ce qu'on lui apprend. […] Les policiers sont toujours bons et ils gagnent toujours. Ne négligez pas cela : la police gagne toujours. Quelle leçon ! On ne devrait pas combattre les autorités et, même si on le fait, on est sûr de perdre. Ici, le message est : Restez passifs. Et... coopérez. Si le sergent Baretta vous demande une information, donnez-la-lui, parce que le sergent Baretta est UN BRAVE HOMME DIGNE DE CONFIANCE, IL VOUS AIME, ET VOUS DEVRIEZ L'AIMER.

Alors dans mes écrits, je pose la question « Qu'est-ce qui est réel ? ». Parce que nous sommes sans cesse bombardés de pseudo-réalités fabriquées par des gens très sophistiqués

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recourant à des mécanismes électroniques très sophistiqués. Je ne me défie pas de leurs intentions ; je me défie de leur pouvoir. Ils en ont beaucoup. Et c'est un pouvoir stupéfiant : celui de créer des univers entiers, des univers mentaux. Je devrais le savoir. Je fais la même chose. C'est mon boulot de créer des univers, c'est indispensable pour écrire roman sur roman. Et je dois les construire de telle manière qu'ils ne s'effondrent pas deux jours plus tard. Ou, du moins, c'est ce que mes éditeurs souhaitent. Pourtant, je vais vous confier un secret : j'aime construire des univers qui s'effondrent vraiment. J'aime les voir perdre le nord, et j'aime voir comment les personnages de romans se débrouillent face à ce problème. J'éprouve un secret amour pour le chaos. Il devrait y en avoir davantage. »

Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas deux jours plus tard, conférence publiée en 1978, traduite en 1987 in Le Crâne, collection Présence du Futur, Denoël éditeur.

K. Dick vivait à Berkeley, en Californie, dont l'université était gauchisante. Il a lui-même souvent fouillé de fond en comble sa demeure, persuadé qu'elle était truffée de micros et que ses écrits étaient l'objet de la plus grande attention du FBI. Il met d'ailleurs en scène cette parano dans Substance mort.

A travers ses écrits, 200 nouvelles publiées dans des pulps et 3O romans, il a cherché par la voie de la SF a interroger et a objectiver le réel : peut-on voir la réalité vraie en ouvrant les portes de la perception, par quelque moyen que ce soit ?

Aldous Huxley en 1954 expérimente le peyotl chez les indiens du Mexique et Carlos Castaneda, un anthropologue américain est connu pour ses ouvrages relatant ses expériences prétendument issues de l'enseignement d'un mentor indien Yaqui, don Juan Matus qui lui fait expérimenter la mescaline et les champignons hallucinogènes : il témoigne de ses expériences dans ses livres car il découvre une autre réalité. Dans la Californie contemporaine de K Dick il existe donc une synergie autour de la drogue et particulièrement du LSD. En prendre est très smart, dans l'air du temps (le film Single man, rappelle les déboires de son héros, prof d'université, avec la mescaline). Les poètes de la Beat Generation : Ginsberg, Ken Kesey, Kerouac en prennent et Timothy Leary, sociologue, se fait apôtre des drogues dans un but scientifique... D'ailleurs, n'a-t-il pas lui-même téléphoné à K. Dick ? « Il aimait raconter comment Leary, un jour, lui avait téléphoné de la chambre d'hôtel de John Lennon au Canada, où les Beatles étaient en tournée. Oui, répétait-il avec solennité, jouissant du frisson mi-incrédule, mi-dévot qu'il suscitait : de la chambre de John Lennon ! Les deux hommes, complètement pétés, venaient de lire Le Dieu venu du Centaure et ne se tenaient plus d'enthousiasme. C'était ça ! Exactement ça ! hoquetait Lennon en rampant sur la moquette. Il parlait déjà d'en faire un film, le film psychédélique, qui serait le pendant de l'album qu'il préparait : Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band (Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982, Biographie, p. 173, Editions du Seuil, septembre 1993). Et dans ce même album, les Beatles chantent à la gloire de l'acide Lucy in the Sky with Diamonds.

Le LSD a été synthétisé en 1938. Mais sa formule tombe dans le domaine public et échappe au laboratoire pharmaceutique qui l'a inventé en 1963. Il arrive donc sur le marché sous forme de buvards aux noms évocateurs : Superman, Yellow Sunshine... Souvent pour le pire avec Charles Manson et La Famille en 1969 et l'hécatombe des musiciens rock, fans et groupies psychédéliques. Mais aussi pour le meilleur avec K Dick car elle va être un moteur de son oeuvre. Il écrit ainsi un roman qu'il intitule La Transmigration de Timothy Archer (Timothy Leary ?) et il envisage les drogues comme moyens de voir le réel. En effet, « Les membres de la secte dont Jésus, ou ses inventeurs, n'avaient fait que vulgariser l'enseignement cultivaient dans leurs cavernes, au-dessus de la mer Morte, un champignon dont ils faisaient une sorte de pain et un bouillon. Ils mangeaient ce pain et buvaient ce bouillon, tradition dans laquelle il n'est pas difficile de repérer l'origine de la communion sous les deux espèces. Or on venait d'établir que ce champignon était un

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hallucinogène : l'Anamita muscaria, objet d'un culte de la fertilité remontant à la plus haute antiquité et encore en usage parmi des peuplades sibériennes qu'il avait largement , d'ailleurs, contribué à décimer. Le christianisme n'était donc qu'une manifestation de ce culte, plutôt tardive, et le Nouveau Testament, qui le travestissait pour complaire aux autorités civiles et religieuses, un cryptogramme cryptogrammique (Emmanuel Carrère, opus cité, p. 177).

Pour Emmanuel Carrère pas de doutes au sujet des drogues et K. Dick : comme il l'écrit dans la biographie qu'il lui a consacré, il avait fait de son corps « un shaker à cocktails chimiques ». À cette époque, on parlait beaucoup des flashbacks d'acide, où les anciens drogués des années soixante avaient soudain des hallucinations hors du commun, et pouvaient être pris de pulsions meurtrières inattendues, phénomène qui faisait peur et fascinait les Américains moyens. Peut-être cela explique-t-il la raison qui poussa Philip k. Dick à verser dans le spirituel, lui qui avait toujours voulu prouver que notre monde était faux, qu'il existait une réalité supérieure et que lui seul semblait s'en apercevoir.

Ainsi, l'œuvre géniale de Dick est celle d'un « voyant » et se caractérise par une philosophie mystique et une science fiction métaphysique qui trouve son paroxysme dans sa « Trilogie divine » avec SIVA, L'Invasion divine et La Transmigration de Timothy Archer.

Et ses obsessions, Dick les interroge et revisite sans trêve dans ses romans d'une SF presque fantastique pour être toute proche de nous et où il se met lui-même en scène sous les pseudonymes de ses héros. A la manière de Montaigne avec ses farcissures ou Proust avec ses papillotes, il écrit en palimpsestes : ses romans reviennent sur les mêmes sujets et se recouvrent les uns les autres car il traite souvent les mêmes questions sous des éclairages différents : qu'est-ce que le réel ? Quelle est l'origine du mal ? Qu'est-ce qu'un humain authentique ? Et ses réponses restent dans le genre de la SF avec une eschatologie par des robots, des androïdes, des extraterrestres ou peut-être des hommes évolués comme des dieux revenant du futur …

B. Une SF métaphysique : « La trilogie divine »

L'apax, au sens de Michel Onfray, qui a bouleversé K. Dick aurait été une curieuse et pragmatique vaticination lui ayant permis de sauver son fils. Il va la retranscrire dans certains de ses romans et elle influencera les interrogations de sa Trilogie divine :

« Du schéma dessiné sur la feuille de papier tendue monta soudain un rayon de lumière violet-rose d'environ trois centimètres de diamètre qui frappa le visage de Nicholas. Il ferma les yeux, grimaça de douleur, laissa tomber la feuille de papier et porta vivement une main à son front.

« D'un seul coup, fit-il d'une voix pâteuse, j'ai une migraine vraiment très violente.

- Tu n'as pas vu le faisceau lumineux ? » demandai-je. Rachel avait posé son livre et s'était levée.

- Nicholas ôta sa main de son front, ouvrit les yeux et cligna des paupières. « Je suis aveugle », dit-il.

Silence. Nous restions plantés là tous les trois, immobiles.

« Je distingue des phosphènes en activité, maintenant. Une image rémanente. Non, je n'ai vu aucun rayon lumineux. Mais je vois un cercle de phosphènes. Il est rose. A présent, je discerne un certain nombre de choses. »

Rachel s'approcha de lui, le prit par l'épaule. « Tu ferais mieux de t'asseoir. »

D'une voix bizarre, atone, à la texture presque mécanique, Nicholas déclara :

« Rachel, Johnny a un défaut de naissance.

- Le docteur a dit qu'il n'y avait absolument rien de …

- Il a une hernie inguinale droite étranglée. Elle est déjà descendue dans le sac scrotal. La membrane a cédé. Johnny doit être opéré immédiatement ; va au téléphone, décroche-le et appelle

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le Dr Evenston. Dis-lui que tu emmènes Johnny au service des urgences de l'hôpital Saint-Jude, à Fullerton. Demande-lui d'y être.

- Ce soir ? fit Rachel, épouvantée.

- Il court un danger de mort imminente », psalmodia Nicholas. Puis il le répéta mot par mot, les yeux fermés, exactement comme il l'avait dit. En l'observant, j'eus subitement l'impression que, quoique ses yeux fussent fermés, il voyait des mots. Il s'exprimait comme s'il les lisait sur des cartons portant les répliques d'une pièce de théâtre, à la façon d'un acteur. Cce n'était pas son ton de voix, sa cadence ; il suivait un discours que l'on avait rédigé à son intention.

Je les accompagnai à l'hôpital. Rachel conduisit ; Nicholas avait encore des problèmes avec ses yeux, et il s'était donc assis à côté d'elle, le petit garçon dans les bras. Leur médecin, le Dr Evenston, très irritable, vint à leur rencontre dans la salle des urgences. D'abord, il leur affirma qu'il avait examiné Johnny plusieurs fois à la recherche d'une possible hernie et qu'il n'avait rien trouvé. Puis il emmena Johnny. Le temps passa. Le Dr Evenston finit par revenir et déclara sans se compromettre qu'il y avait en effet une hernie inguinale droite, réductible mais nécessitant une intervention chirurgicale immédiate, car il existait toujours une possibilité d'étranglement.

Sur le chemin du retour vers l'appartement de Placentia, je demandai :

« Qui sont ces gens ?

- Des amis, répondit Nicholas.

- Ils s'intéressent à ta santé, c'est sûr. Et à celle de ton fils.

- Rien de mal ne peut arriver, dit Nicholas.

- Mais de tels pouvoirs !

- Ils ont transféré l'information dans ma tête, mais ils n'ont pas guéri Johnny. Ils ont juste...

- Ils l'ont guéri », dis-je. Le faire emmener chez le médecin et attirer l'attention de celui-ci sur le défaut de naissance, c'était le guérir. »

Philip K. Dick, Radio libre Albemuth, p. 53-54, collection Présence du Futur, éditions Denoël, 1987.

Dans une de ses BD, Robert Crumb a mis en images l'apax de Philip K. Dick :

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Selon K. Dick lui-même, cette expérience prémonitoire a fortement influencé sa vision du monde. Pour l'expliquer rationnellement, il n'écarte aucune hypothèse : qui lui a parlé pour sauver son fils ? Des extra terrestres ? Dieu ? Des robots ou des hommes du futur à l'aide d'un puissant

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émetteur ?

Dès 1965 avec Le Dieu venu du Centaure et toute sa vie il va tenter de répondre à ces questions à travers sa SF et il invente le genre de la SF métaphysique avec la « Trilogie divine » composée de :

–Siva (1980) : nom d'une divinité hindoue mais dans le cadre du Cyberpunk, elle devient Système Intelligent Vivant et Agissant ;

–L'Invasion divine en 1981, réécriture de Radio Libre Albemuth, un brouillon génial (toujours l'idée du palimpseste) qui sera tout de même publié sous forme de roman posthume en 1985 ;

–La Transmigration de Timothy Archer, en 1982, une synthèse dans cette trilogie, qui sera publiée juste avant sa mort.

C.Un « retour aux sources » pour de nouvelles clés de lecture de l'œuvre de Philippe K. Dick : génie cyberpunk, un prophète qui recycle la SF de l' antiquité

A quelle époque vivons-nous ? (// Qu'est-ce que le réel ?) Ne serions-nous pas abusés par les puissants qui nous gouvernent ? Comment le savoir ? Bien-sûr, il y a bien eu des erreurs dans le calendrier chrétien mais il pourrait ne pas s'agir de quelques années... Plutôt de siècles sans que nous n'en sachions rien... Érudit, c'est ce qu'il explique avec humour lors d'une interview enregistrée à Disneyland en compagnie d'un ami auteur de SF, Norman Spinrad, avec lequel il tournoie dans un manège de tasses de thé, pour une chaîne de télévision française. Car K. Dick connaît le succès en France alors qu'il souffre de n'être encore considéré en 1978 que comme un marginal aux États-Unis :

« Au Moyen Âge, une curieuse théorie a vu le jour, que je vais maintenant vous présenter pour ce qu'elle vaut. C'est la théorie selon laquelle le Mauvais – Satan – est « le singe de Dieu ». Qu'il crée de fallacieuses imitations de la création, de l'authentique création de Dieu, puis les insère dans cette authentique création pour la falsifier. Est-ce que cette théorie bizarre contribue à éclairer mon expérience ? Devons-nous croire que nous sommes enfermés, que nous sommes abusés, que nous ne sommes pas en 1978 mais en 50 après Jésus Christ... et que Satan a fabriqué une contrefaçon de la réalité pour étouffer notre foi en le retour du Christ ? […]

Je sais parfaitement que nous sommes en 1978, que Jimmy Carter est Président et que j'habite Santa Ana, Californie, aux États-Unis. Je connais même le trajet pour aller de chez moi à Disneyland, chose que je semble incapable d'oublier. Et il n'existait sûrement aucun Disneyland à l'époque de saint Paul.

Donc, si je me force à être très rationnel, raisonnable et toutes ces choses louables, je dois admettre que l'existence de Disneyland (que je sais réel) prouve que nous ne vivons pas en Judée en 50 après Jésus Christ. L'idée d'un Saint Paul en train de tournoyer dans des tasses à thé géantes tout en composant les Premières Épîtres aux Corinthiens, pendant que la télévision parisienne le film au téléobjectif – c'est tout simplement impossible. Saint Paul n'approcherait jamais de Disneyland. Seuls les enfants, les touristes et les hauts fonctionnaires soviétiques en visite officielle vont à Disneyland. Pas les saints. »

Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas deux jours plus tard.

Mais tout de même, tout notre monde pourrait fort bien n'être semblable qu'à un gigantesque Disneyland pour K. Dick qui cherche à soulever le voile d'Isis :

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« Disneyland est un organisme évolutif. Pendant des années, ils ont eu le simulacre de Lincoln et, finalement, celui-ci s'est mis à mourir et ils ont dû le retirer, à contrecœur. Le simulacre, comme Lincoln lui-même, n'était qu'une de ces formes temporaires dont la matière et l'énergie s'emparent, puis qu'elles abandonnent. La même chose est vraie pour chacun d'entre nous, que ça vous plaise ou non.

Le philosophe grec présocratique Parménide enseignait que les seules choses réelles sont celles qui ne changent jamais... et le philosophe grec présocratique Héraclite enseignait que tout change. Si l'on superpose leurs deux façons de voir, on arrive à ce résultat : rien n'est réel. […]

Mais je considère que la question de la définition de la réalité... c'est un problème sérieux, et même un problème vital. Et qui contient quelque part l'autre question, celle de la définition de l'humain authentique. Car le bombardement de pseudo-réalités commence à produire très vite des êtres humains non authentiques, des simulacres d'êtres humains – aussi faux que les données qui les assaillent de toutes parts. Mes deux questions n'en forment qu'une, en réalité ; c'est là qu'elles se rejoignent. De fausses réalités engendrent de faux êtres humains. Ou de faux êtres humains engendrent de fausses réalités qu'ils vendent ensuite à d'autres humains, les transformant, au bout du compte, en contrefaçons d'eux-mêmes. Et nous nous retrouvons donc avec de faux humains inventant de fausses réalités, puis les refilant à d'autres faux êtres humains. C'est juste une immense variante de Disneyland. On peut faire un tour avec les pirates, voir le simulacre de Lincoln ou monter dans le Mr Toad's Wilde Ride – on peut tout faire, mais rien n'est vrai.

Dans ce que j'ai écrit, je me suis tellement intéressé aux faux que j'en suis finalement arrivé au concept de faux faux. Par exemple, il y a à Disneyland de faux oiseaux mus par des moteurs électriques qui émettent des croassements et des cris perçants quand on passe à côté d'eux. Imaginez qu'une nuit nous nous introduisions tous dans le parc avec de vrais oiseaux et que nous nous en servions pour remplacer les oiseaux artificiels. Imaginez l'horreur qu'éprouveraient les responsables de Disneyland en découvrant la cruelle supercherie. De vrais oiseaux ! Et peut-être même un jour de vrais hippopotames et de vrais lions. Consternation. Le parc subissant une fourbe transmutation de l'irréel au réel sous l'influence de sinistres forces. Et si le lieu entier, par quelque miracle de la puissance et de la sagesse divines, devenait, en un instant, en un clin d'œil, quelque chose d'incorruptible ? Ils seraient obligés de fermer.

Dans le Timée de Platon, Dieu ne crée pas l'univers, comme le fait le Dieu chrétien ; il le découvre un jour, simplement. Et il est dans un état de chaos total. Dieu se met au travail pour transformer le chaos en ordre. Je trouve cette idée séduisante, et je l'ai adaptée pour qu'elle satisfasse mes propres besoins intellectuels : et si notre univers n'avait pas été tout à fait réel, au commencement, s'il n'avait été qu'une sorte d'illusion, comme l'enseigne la religion hindoue, et que Dieu, par amour et bonté envers nous, le métamorphosait lentement, lentement et secrètement en quelque chose de réel.

Nous n'aurions pas conscience de cette transformation, puisque nous n'aurions pas conscience du fait que notre monde était une illusion au départ. Techniquement, il s'agit d'une notion gnostique. Le gnosticisme est une religion qu'ont embrassée les juifs, les chrétiens et les païens durant des siècles. O m'a accusé d'avoir des idées gnostiques. Je suppose que c'est vrai. A une certaine époque on m'aurait brûlé. Mais certaines de leurs idées m'intriguent. Une fois, alors que je consultais l'Encyclopedia Britannica à l'article « Gnosticisme », je suis tombé sur la référence à un codex gnostique intitulé Le Dieu irréel et les aspects de son univers inexistant, idée qui m'a plongé dans un irrésistible fou rire. Quel genre d'individu pouvait être capable d'écrire à propos d'une chose dont il savait qu'elle n'existait pas, et comment quelque chose qui n'existe pas peut-il avoir des aspects ? Mais je m'aperçus ensuite que j'avais écrit sur ces sujets durant plus de vingt-cinq ans. […]

Nous avons la fiction qui parodie la réalité et la réalité qui parodie la fiction. Nous avons deux choses qui se chevauchent dangereusement, qui se brouillent dangereusement l'une l'autre. Et, en toute probabilité, ce n'est pas volontaire. Cela fait en réalité partie du problème. On ne peut pas forcer un auteur à déclarer quelle partie est vraie et laquelle ne l'est pas s'il ne le sait pas lui-même. »

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Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas deux jours plus tard.

K. Dick s'inspire donc des présocratiques et du mythe de la caverne de Platon comme il le dit en 1954, par exemple dans sa nouvelle : Le monde de Jon. « Jon allait et venait, surexcité. « Tout ceci, toutes ces choses. Ce que nous voyons ici. Les immeubles. Le ciel. Les cités. La cendre à n'en plus finir. Rien de tout cela n'est vraiment réel. C'est tellement vague et flou ! Je ne le sens pas réellement, ce monde, pas comme l'autre en tout cas. Et il perd de plus en plus de sa réalité. Mais l'autre croît, Ryan. Il devient de plus en plus net ! Grant pense que c'est seulement un produit de mon imagination. Mais il se trompe ! Il est réel ! Plus que tout ce que nous avons ici, plus que les objets de cette pièce. » (Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 250, Editions Denoël, 2011.)

Mais la vision de cette dualité du monde est essentiellement lisible dans les Manuscrits de Nag Hammadi.

Aussi, développe-t-il dans sa SF une vision gnostique du monde.

Ces Manuscrits de Nag Hammadi, ou Manuscrits de la Mer Morte, découverts en 1945 dans des jarres cachées dans des grottes, sont en fait des évangiles vierges pour ne pas avoir été interpolés par l'Église catholique. Ils se présentent sous forme de codex et s'ils contiennent une version de La République de Platon, antérieurs au canon du christianisme romain ils dévoilent surtout un christianisme sans Jésus qui fait de chacun un Christ en puissance.

Si le plus célèbre de ces évangiles est L'Evangile selon Thomas, ont aussi été découverts : L'Evangile selon Philippe, L'Hypostase des Archontes, Le Livre de Thomas l'Athlète, Le Livre des secrets de Jean, L'Apocalypse de Paul, l'Authentikos Logos, La Paraphrase de Sem, le Deuxième Traité du Grand Seth, la Prôtennoia trimorphe, parmi bien d'autres...

Et pour un auteur mystique de science-fiction, ces œuvres sonnent comme une SF antique. En effet, ces Révélations présentent une vision du monde qui explique l'origine du mal : déchues dans le dernier de mondes chutés et emboîtés à la manière de poupées gigognes, l'humanité est prisonnière des archontes et des éons de la chute qui cadenassent l'univers et la tiennent éloignée du Royaume du seul Dieu bon. Parce que ces anges mauvais se repaissent des souffrances des âmes qu'ils martyrisent et vampirisent, ils obscurcissent les consciences en les maintenant dans des illusions de religions salvatrices et de progrès... Ils cachent ainsi de toute leur puissance la Vérité du royaume immuable et éternel du vrai Dieu, qu'ils ignorent eux-mêmes, aux âmes aveuglées par de fausses lumières : engluées dans la matière, elles tournent en rond dans le Samsâra des réincarnations et ne peuvent accéder au Nirvana libérateur.

C'est cette idée d'une humanité jouet de puissances démoniaques que l'on retrouve, par exemple, dans Le Mal de Rimbaud :

Tandis que les crachats rouges de la mitrailleSifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Tandis qu'une folie épouvantable, broieEt fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;- Pauvres morts dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,Nature, ô toi qui fis ces hommes saintement !... -

- Il est un Dieu qui rit aux nappes damasséesDes autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;Qui dans le bercement des hosanna s'endort,

Et se réveille quand des mères, ramassées Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir,

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Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Comme Gustav Meyrink, l'auteur du Golem l'avait déjà fait dans L'Ange à la fenêtre d'Occident, K. Dick n'explique-t-il pas lui aussi à propos des anges dans sa nouvelle Sur la terre sans joie que :

« Mais si ! Le sang les attire, surtout le sang d'agneau. Ils planent au-dessus des champs de bataille. Les Walkyries qui emportent les morts au Walhalla... C'est pour cela que les saints et les martyrs se blessent et se mutilent eux mêmes. »

Philip k. Dick, Sur la terre sans joie, in « Souvenir », p. 178, Éditions Denoël, 2011.

La seule solution pour l'humanité déchue est de prendre conscience de l'illusion organisée dans laquelle elle se débat dans ce monde pour suivre la voie de la Gnose (la Connaissance) : LE seul rayonnement d'information originelle provenant du Royaume du Père unique. Il traverse tous les univers et appelle au retournement vers la Vérité du Dieu Bon. Cette prise de conscience peut seule permettre à chacun de suivre de son vivant le chemin libérateur vers la Lumière ; de se relier progressivement et de plus en plus intensivement au Plérôme gnostique, à ce champ de rayonnement divin pour accéder sans intermédiaire à la Lumière, transfigurer en corps glorieux christique et poursuivre sa vie sur Terre en tant que libéré et libérateur des âmes encore endormies pour être victimes de l'hypnose collective.

C'est, par exemple, le sens d'un autre évangile gnostique découvert quant à lui au 17ème siècle : la Pistis Sophia (Foi de la Sagesse, ou, Connaissance et Sagesse). Ce texte présente, comme un nouveau commencement après sa transfiguration et sa crucifixion sur le Golgotha (étymologiquement « le lieu du crâne ») l'ascension du Christ dans le Plérôme gnostique à travers tous les mondes déchus vers le Royaume du Père. Incarnant dans sa chair un « royaume qui n'est pas de ce monde » le Christ n'est même pas aperçu par les éons et les archontes de la chute dont il traverse les sphères puisqu'il n'est plus de notre monde, celui de cette nature déchue.

Car pour K. Dick, « Il existe d'autres régions au-delà de celle-ci. L'échelle ne se termine pas ici. Personne ne sait où elle s'arrête ; apparemment, elle ne cesse de s'élever, monde après monde. »

Philip k. Dick, Sur la terre sans joie, in « Souvenir », p. 192, Éditions Denoël, 2011.

Or cette résurrection et cette élévation ne sont pas l'apanage d'un être divin unique mais sont accessibles à tous : elles doivent se dérouler intérieurement ici-bas selon un processus précis décrit dans les évangiles gnostiques. C'est là le « Mysterium Magnum » que tout homme doit. Et surtout, l'Oeuvre, doit être accomplie ici-bas, sans rien attendre de l'au-delà, ce monde des anges de la chute dans lequel les pauvres âmes sont encore plus soumises à l'illusion que dans notre monde concret.

Ce sont tous ces thèmes que Philip K. Dick va recycler dans son œuvre avec des anges plus ou moins ignorants déréglant notre monde, des robots qui ont pris le pouvoir sur les hommes, ou, d'étranges visiteurs de l'espace...

Et K. Dick ne cache pas ses érudites sources d'inspiration :

« Le docteur Stone s'appuya contre son bureau, croisa les bras et se balança doucement d'avant en arrière en étudiant Fat, attendant la suite. […]

« Fragment vingt-quatre : A l'état latent, germinatif, en tant qu'information vivante, le plasme a sommeillé dans la bibliothèque enfouie des manuscrits de Khénoboskion jusqu'à...

- Khénoboskion ? releva le docteur Stone.

- Nag Hammadi.

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- Oh ! La bibliothèque des gnostiques... » Le psychiatre hocha la tête. « Découverte et déchiffrée en 1945 mais jamais publiée. Information vivante ? » Ses yeux se rivèrent à ceux de Fat. « Information vivante ? » dit-il une nouvelle fois, avant d'ajouter : « Le Logos. »

Fat frissonna.

« Oui. Le Logos constituerait de l'information vivante, capable de reproduction.

- Une reproduction, dit Fat, non par ou dans l'information, mais comme information. »

Philip K. Dick, SIVA, pp. 61-62, collection Présence du Futur, éditions Denoël, 1980.

Philip K. Dick, catholique romain en proie au doute, truffe ainsi son oeuvre SF de ces références aux cosmogonie gnostiques, à ce christianisme primitif qui, selon lui, peut seul révéler l'essence de notre monde, l'origine réelle du mal et l'hypnose collective de l'humanité en proie à l'errance. Et il ensemence la SF de ces thèmes pour les générations futures. On peut citer, par exemple, Mysterium de Robert Charles Wilson :

Parce qu'une explosion a endommagé le complexe de recherches de Two Rivers, les pompiers locaux, dans l'incapacité de contacter l'armée, se rendent sur les lieux à la recherche de survivants pour aussitôt rebrousser chemin. Certains ont vu des anges jaillir des flammes. Pour d'autres, il s'agissait de monstres terrifiants. Et ce n'est pas le plus étrange, car autour de Two Rivers la forêt a changé. Visiblement plus ancienne, elle coupe désormais toutes les routes d'accès. Révélé au grand public par le succès mondial de Spin, Robert Charles Wilson a publié son premier roman, La Cabane de l'aiguilleur, en 1986, mais ne connaîtra son premier véritable succès que huit ans plus tard avec Mysterium, lauréat du prix Philip K. Dick 1994.

Mais, cette vision d'un monde double imprègne aussi cinéma et philosophie au XXème : l'image de l'Homme exploité et tenu en ignorance, c'est bien le thème de The Truman Show, un film de Peter Weir, avec Jim Carey, sorti en 1998. Et, c'est surtout, avec sa dimension spirituelle non dissimulée, à la manière de K. Dick et de ses inspirations gnostiques, le thème de la trilogie Matrix (une trilogie comme la « Trilogie divine »...) dont le premier volet est sorti en 1999.

Et dans Matrix, l'humanité est à tel point trompée qu'elle ignore à quelle époque elle vit. Problématique bien-sûr déjà exploitée par K. Dick :

« Le temps n'existe pas. C'est là le grand secret que connaissaient Apollonios de Tyane, Simon le Magicien, Paracelse, Boehme et Bruno. L'univers se contracte en une entité unitive qui tend à sa complétude. La dégradation et le désordre nous les voyons à l'envers, comme s'ils augmentaient. Le fragment 18 de mon exégèse l'affirme : « Le temps réel a pris fin en 70 de l'Ère commune, avec la destruction du temple de Jérusalem. Il a repris son cours en 1974. La période située dans l'intervalle n'était qu'une interpolation bâtarde qui singeait à la perfection la création de l'Esprit. »

- Qui est responsable de cette interpolation ?

- La prison de fer noir, qui est une expression de l'Empire. La chose qui... » Fat s'apprêtait à dire : « La chose qui m'a été révélé. » Il reformula sa phrase. « La chose qui a le plus compté parmi mes découvertes est ceci : l'Empire n'a jamais pris fin. »

Philip K. Dick, SIVA, pp. 61-62, collection Présence du Futur, éditions Denoël, 1980.

Dans Matrix, le mythe gnostique de l'enfermement et de l'asservissement de l'humanité est le même que dans le christianisme originel mais il a évolué : elle n'est plus prisonnière des archontes

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et éons de la chute, ou, de concentrations magnétiques impies, qui l'aveuglent mais des machines qu'elle a elle-même construites... Le monde est tenu par des machines qui asservissent une humanité oublieuse du monde de son origine et de sa fin eschatologique.

Ces machines construites par les humains les vampirisent : elles les asservissent en les maintenant dans l'illusion organisée et collective. Pour ce faire, elles projettent de simples artefacts de notre monde devant nos cinq sens. Mais ce monde dans lequel nous vivons n'est qu'un leurre, que des programmes informatiques émanant de la matrice. « L'homme est un dieu déchu qui se souvient des cieux. » Or dans Matrix l'humanité a bu depuis si longtemps l'eau du Léthé qu'elle ne se souvient plus qu'elle a elle même construit ses geôliers, les machines qui la cultivent et ne la considèrent que comme des batteries d'énergie leur permettant de mener leur vie mécanique autonome.

K. Dick n'avait-il d'ailleurs pas représenté l'humanité dessaisie de ses enfants par des robots dans sa nouvelle Progéniture, publiée en 1954 :

« Les parents n'étaient jamais capables d'objectiver vis-à-vis de leur enfant. Ils faisaient immanquablement sur lui une projection affective tendancieuse. Il était inévitable que leur point de vue soit erroné. Aucun parent ne pouvait être un bon instructeur pour son enfant.

En revanche, les robots, eux, savaient observer l'enfant, analyser ses besoins, ses désirs, tester ses centres d'intérêt. Jamais ils ne forçaient un enfant à se couler dans un moule particulier. On l'élevait au gré de ses propres tendances, toujours dans le sens de ses intérêts et de ses besoins, tels que déterminés par l'analyse scientifique. »

Philip k. Dick, Progéniture, in « Souvenir », p. 153, Editions Denoël, 2011.

Quand les spectateurs ont vu le blockbuster Matrix, ils ont été fascinés et nombreux ont été ceux qui se sont demandés quelles en étaient les sources. Philip K. Dick en est une. Mais dès le début du film si les références sont multiples à Alice au Pays des Merveilles qui va passer à travers le miroir en suivant le lapin blanc, une autre source plus moderne est discrètement mentionnée : Néo, le héros, cache ses logiciels pirates dans un livre. Un arrêt sur image permet d'en lire le titre : Simulacras et Simulations.

Qu'est-ce que cet ouvrage ?

Une simple fiction ?

En fait, ce titre donne une autre clef de lecture de Matrix. En effet, Simulacres et Simulations est le titre d'un livre de Jean Baudrillard, l'auteur de La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu.

Baudrillard (1929-2007): critique, sociologue et philosophe français. Simulacres et simulations en 1981 : « La séduction représente la maîtrise de l'univers symbolique, alors que le pouvoir ne représente que la maîtrise de l'univers réel. » Il s'est intéressé à la consommation, les relations de couples, la compréhension sociale de l'histoire à travers des commentaires sur le sida, le clonage, l'affaire Rushdie, la première guerre du Golfe et les attentats contre le World Trade Center. Baudrillard, inspiré par l'œuvre de Nietzsche, s'intéresse aux événements de l'objet et à leurs règlements ou dérèglements : « séduction », « simulation » et « hyper-réalité ». L'une de ses thèses centrales, qui poursuit, d'une certaine façon, la critique de la société du spectacle entamée par Guy Debord, repose sur l'analyse de la « disparition du réel », auquel se substitue une série de simulacres qui ne cessent de s'auto-engendrer. Tous thèmes inspirateurs de Matrix, dont il dénonça la récupération : " Matrix, c’est un peu le film sur la Matrice qu’aurait pu fabriquer la Matrice." Un film à gros budget et gros profits qui ne ferait que l'entretenir plutôt que réellement la dénoncer ?

Pour Beaudrillard, comme pour les gnostiques et Philip K. Dick, la réalité intrinsèque de notre monde est donc recouverte par des simulacres, de fines pellicules de cendre, qui nous empêchent de l'objectiver.

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Quelques-unes des étapes de l'évolution d'une cosmogonie largement inspiratrice de la science-fiction :

La cosmogonie gnostique des chrétiens qui est une tentative d'expliquer l'origine du mal et d'objectiver le réel a donc été pérennisé grâce à la SF qui lui a fait subir plusieurs évolutions :

1.Références de K. Dick, les philosophes « pré socratiques » matérialistes et hédonistes réfléchissent à la genèse du monde puis, comme Platon le fera à leur suite avec le mythe de la caverne, mettent en doute notre notion de la réalité : le monde est difficile à percevoir car, recouvert de simulacres, il n'est qu'atomes en mouvement... Cette dimension reste philosophique.

2.Une SF des premiers siècles de l'ère chrétienne : la spiritualité gnostique. C'est une alternative spirituelle à la philosophie pré-socratique transposée et imagée à partir de l'Ancien Testament : Yahvé est le démiurge (Yahvé = Satan). Avec les éons, d'autres anges rebelles, il cadenasse le monde et vampirise les humains. C'est la cosmogonie des gnostiques, véhiculée autour du bassin méditerranéen et du Proche Orient par d'innombrables groupements (Thérapeutes, Esséniens, Ophites, Caïnites, Barbélognostiques, Mandéens, cultes à mystères tel que celui de Mithra propagé par les légions romaines... – puis, plus tard, le gnosticisme des Manichéens de l'Afrique à la Chine...) et « Maîtres de Gnose » comme Valentin, Bardesane, Carpocrate, Basilide, Plotin et les néo platoniciens d'Alexandrie ou, les Hermétistes et les alchimistes. Ils ont laissé des évangiles « secrets » retrouvés à Nag Hammadi, par exemple, non interpolés ni détournés par l'Eglise catholique alors en construction. Malgré son opposition à ces évangiles et au fait qu'elle en retarde la publication, l'Université Laval au Québec est la première à les publier. Des historiens et nombre d'auteurs les présentent et vulgarisent : Elaine Pagels avec ses Evangiles secrets, Leisegang avec La Gnose, Jacques Lacarrière qui présente seulement les gnostiques licencieux avec Les Gnostiques, La Pléiade qui publie enfin ces « autres » et « nouveaux » évangiles. Michel Onfray s'y réfère dans ses Résistances au Christianisme, avec « la transvaluation gnostique » ou, sa présentation des Frères du Libre Esprit. Quant à Gérard Manset, il a traduit cette philosophie dans ses chansons, particulièrement dans ses albums Prisonniers de l'inutile mais aussi Lumières puis Matrice... Les gnostiques insistent sur la réalité de mondes qui s'imbriquent : celui du Dieu Bon inconnaissable et celui des faux dieux, le monde chuté, L'Hypostase des Archontes dans le samsâra de laquelle nous vivons et tournons en rond : il faut s'en échapper de notre vivant pour regagner et incarner ici-bas le Royaume du Père, le Nirvana de l'Éternel. Tous ces référents hermétiques et religieux sont ceux de Philip K. Dick qui les exploite dans sa science-fiction :à laquelle il donne une dimension spirituelle et eschatologique, particulièrement dans sa Trilogie divine. Car Philip K. Dick « prenait position dans un débat qui agitait l'opinion, du moins sa frange soucieuse de questions religieuses. La découverte des manuscrits de la mer Morte, en 1947, avait fait grand bruit et vulgarisé l'idée que, si une partie appréciable de l'enseignement attribué à Jésus par les Évangiles synoptiques se retrouve dans des documents antérieurs à sa naissance, cet enseignement n'était peut-être pas si original qu'on l'a cru, et celui qui le dispensait autre chose qu'un prédicateur comme il en pullulait alors en Palestine : en somme, et si l'on considère ce que des milliards de gens croient et ont cru à son sujet, un imposteur. » En effet, « Le christianisme est déjà une dissidence, mais les gnostiques sont les dissidents de cette dissidence : perdants magnifiques, mauvais cons absolus qui toujours fascineront les francs-tireurs de la religion. Dick ne pouvait qu'aimer ces maîtres spirituels, Valentin, Basilide, dont tout l'enseignement repose sur l'intuition que quelque chose ne va pas dans le monde comme il va. C'est à la fois, disent-ils, une prison et une illusion, une erreur et un mauvais tour que nous joue un cruel démiurge. A qui en prend conscience, cependant, et fait le dur effort de rester éveillé il est possible de remonter jusqu'à la lumière du vrai Dieu, dans l'ombre de qui le démiurge nous tient captifs. Entendant, lisant cela, Dick comprit que toute sa vie il avait fait de la Gnose sans le savoir. » (Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982, Biographie, pp. 173, 175, Editions du Seuil, septembre 1993).

3.Les cosmogonies gnostiques sont aussi traitées dans une perspective athée mais poético-scientifique : des extra terrestres nous obombrent comme dans la science-fiction pure du film Dark City, d' Alex Proyas, en 1998 (Au commencement étaient les ténèbres...). Ou, des robots biologiques, construits ou non par l'Homme, Les Répliquants de Blade Runner, nous menacent : ils

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reviennent sur Terre. « Et tombent les anges en feu... » introduit la dernière tirade du chef des Répliquants dans Blade Runner, juste avant sa mort par fin de son programme de vie volontairement limitée.

4.Dans la perspective matérialiste, les deux mondes se rapprochent de nous : l'hyperespace permettant de relier rapidement des mondes lointains, inventé par Asimov dans Fondation, ne reste toujours qu'une fantasmagorie théorique. Aussi, après les chocs pétroliers et à l'heure de l'énergie chère, se double-t-il d'une version terrestre grâce à Internet et aux nouvelles technologies. Elles permettent d'envisager parmi nous un monde informatique parallèle créé par l'Homme : la matrice de William Gibson avec Neuromancien en 1982. La SF s'adapte aux contraintes économiques en amplifiant les possibilités de la high tech. Et surtout elle se rapproche en temps et en distance.

5.Matérialisme et retour au spirituel avec la trilogie Matrix inspirée de K. Dick et Baudrillard : l'informatique et les machines ont pris le dessus sur l'Homme qui les a créées et elles l'asservissent sans qu'il le sache. Seuls des éveillés pourront sauver l'humanité et surtout l'Élu, le nouveau messie : Néo. L'ennui d'Anderson au début de la trilogie peut-être envisagé comme un recyclage du mal du siècle, des souffrances du jeune Werther, du spleen Baudelairien, de la lassitude face à un monde qui ne correspond pas à l'image qu'on s'en fait et qui n'apporte rien aux poètes. En tout cas la SF ne recourt plus pour cette cosmogonie à des extra terrestres lointains, beaucoup plus évolués que les humains et qui possèdent des technologies très avancées. Non, les avancées technologiques sur terre permettent d'envisager des machines créées par les humains et qui les dépassent et exploitent.

De spéculations antiques sur le réel aux élucubrations gnostiques sur deux mondes imbriqués qu'exploitent des auteurs de SF, on est passé à des peurs d'extra terrestres avancés venus de la « planète rouge » durant la guerre froide, à des humains hyperévolués revenant du futur et à des robots qui « s'humanisent ». Pour en arriver enfin à des machines esclavagistes construites par des hommes qui les ont oubliées et qu'elles vampirisent : depuis les chocs pétroliers et les années 80, la SF vit désormais son futur ici et maintenant, aujourd'hui et sur Terre.

D. Une SF initiatique : trouvez l'Élu ! Quelques tics au niveau de l'onomastique...

Trois thèmes dominent dans la SF : les voyages spatiaux avec l'exploration des mondes lointains, les robots et, l'initiation d'un héros qui deviendra un nouveau messie, le sauveur de l'humanité.

Déjà, dans Le cycle de Dune publié aux USA en 1965 par Frank Herbert (adapté au ciné par David Lynch) très inspirée par le soufisme, le héros se nomme au départ Paul Atréide. Il est peut-être le messie attendu pour sauver le monde menacé par une autre famille, les Arkonnen. Au cours de multiples épreuves son nom va évoluer : après ces initiations, il sera véritablement reconnu comme l'élu et il deviendra Usul (la base du pilier, de la colonne, en arabe).

Puis il sera finalement renommé le Kwisach Aederech lorsqu'il deviendra l'empereur-dieu de Dune.

L'initiation, l'évolution vers l'illumination se traduit donc par un changement de nom au sein du roman.

Dans Matrix des héros se nomment Orphéus, Trinity : sans-doute là, l'influence de K. Dick qui incarne des personnages mythologiques et bibliques dans ses romans : dans Invasions divines, un ami du héros doté de super pouvoirs se révèle au dernier tiers du roman être le prophète Élie venu d'une lointaine constellation. Et toujours dans Matrix, Anderson devient Néo. Les Smiths y pullulent comme chez Ionesco, dans La Cantatrice chauve : le dramaturge qui dépeint l'absurdité de la condition humaine avait choisi ce patronyme parce que c'est le nom le plus répandu chez les anglo-saxons. C'est donc « Smith » pour ces agents du FBI dans Matrix, pour ces agents de la matrice, le nom des anonymes. Et leur costume témoigne de cet anonymat : ils portent tous le même

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et sa doublure dorée, symbole de leur origine divine, est volontairement cachée ou oubliée sous le vêtement.

Car nous en sommes tous là ! Tout le monde devient un Smith, se transforme quand la matrice est attaquée : clochard, policier, passants, anonyme au téléphone portable se métamorphosent en agents Smith dès que Néo, le révélateur de la vie véritable, les menace ... Nous sommes tous d'ignorantes entités de la matrice... Et elle veille sur nous, nous tient dans son enclos comme un loup garde ses brebis....

Si tous ces personnages appartiennent à la science-fiction ou l'inspirent, pas chez K. Dick où là encore sa vie se confond avec son œuvre. Alors qui est réellement Horselover Fat ?

Comme Saül, pharisien grand persécuteur des chrétiens, est devenu l'apôtre Paul, Philip K. Dick va devenir, lui, Horselover Fat au sein de ses romans. Il entretient en effet une filiation particulière avec Paul de Tarse.

Saül le pharisien fut un grand persécuteur des chrétiens avant d'être terrassé par la lumière divine sur le chemin de Damas : sa conversion au Nouveau Testament est aussi aveuglante qu'immédiate. Et avec elle il prend le nom de Paul pour répandre les évangiles en se réclamant apôtre de Jésus Christ. Une expérience qui selon Philip K. Dick est similaire à la sienne... N'a-t-il pas lui aussi été révélé à lui-même par le fameux rayon rose qu'il dépeint dans SIVA ? Son double apparaît donc désormais dans sa « Trilogie divine » sous la traduction de son nom hélléno-germanisée : Horselover Fat, Le Gros Ami des Chevaux !

Son Exégèse, ouvrage énorme de 8000 pages, date de cette époque. Il s'agit d'un essai où toutes ses révélations sont soigneusement notées, et où s'affrontent Philip K. Dick et Horselover Fat, unique et même personnage (Philippe signifie en grec « l'ami des chevaux » qui s'écrit en anglais « horse lover » ; Dick signifie gros en allemand, « fat » en anglais). Dans plusieurs de ses romans de cette dernière période, l'ancien président Richard Nixon, sous son nom (dans SIVA) ou une version fictive, apparaît comme une figure maléfique de L'Empire car L'Empire n'a jamais pris fin est une phrase récurrente dans SIVA. En effet, « Rome est ici, maintenant. L'Américain moyen n'y voit que du feu, mais elle est la réalité sous-jacente au monde où il vit. L'Empire n'a jamais pris fin. Il s'est seulement dérobé aux yeux de ses sujets. Comme on projette un film sur le mur d'une prison, il a ourdi pour eux cet univers de fantaisie, cette fiction éhontée que la plupart des spectateurs prennent pour un scrupuleux documentaire : dix-neuf siècles d'histoire et le monde qui en résulte. Mais pendant la projection la guerre continue. Ceux qui refusent de regarder le film et de le croire réel sont pourchassés impitoyablement : on ne les laisse pas sortir de la salle, on les massacre dans les toilettes. Certains, par prudence, donnent le change : ils restent assis face à l'écran, les yeux clos et l'esprit éveillé. Ils suivent leur propre voix, ils servent un autre roi (Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982, Biographie, p. 262, Editions du Seuil, septembre 1993)

Ainsi, K Dick déclara avoir eu plusieurs révélations divines, et, il fut invité d'honneur en 1977 à la Convention de la SF de Metz : « Il pouvait à présent sortir du placard pour annoncer au monde la vérité. Et il admirait le tact de la Providence, qui en avait réservé la primeur aux Français, ses plus fervents admirateurs » (Emmanuel Carrère, opus cité, p. 347). Ainsi prononça-t-il devant une foule ébahie, en guise d'ouverture, un discours saugrenu où il expliqua avoir été contacté par des extraterrestres en mars 1974 et qu'il entretenait depuis cette date une correspondance avec eux.

Puis, « Dick attribuait une origine divine aux rafales d'information qui depuis février 1974 mitraillaient son cerveau. Dieu, qu'il nommait pudiquement Siva, lui parlait comme Il avait parlé à Moïse, à Mahomet et à quelques autres. Il s'était adressé cette fois à un écrivain, comptant sur lui pour transcrire Ses paroles dans la forme contemporaine, qui, à Son avis, convenait le mieux à une révélation : la science-fiction. » (Emmanuel Carrère, idem, p. 301)

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III.Histoire des arts : Evolution d'un mythe

A. Petite mythologie appliquée du savant fou Mythe de Prométhée : un extrait des dieux antiques de Mallarmée.

Peintures et sculptures de Prométhée

Un sujet grave mais avec les élèves on pourra mettre en relief les différences de traitement au cinéma : elles débouchent sur la notion de tonalités à propos des sciences dans la SF : Dramatique et tragique certes (Frankenstein, L'île du Docteur Moreau...) mais aussi épique dans retour vers le futur et comique : Folamour, mais aussi Mike Myers dans Austin Powers.

Ainsi, on mettra en avant, à travers deux analyses filmiques comparées ce qui fait le comique ou le dramatique autour d'un même sujet : bande son, images, cadrage, univers inquiétant, références nazisme (Minority)

Extrait Blade Runner à 1 h. 17 mn 40 secondes

// Frankenstein versus Folamour

Minority : les yeux à 1h 02 + 1h09

Renaissance

Photos savants fous

B. Des divagations d'un hurluberlu ?

Du rêve de « l'Homme amélioré » aux nanotechnologies :Par le dopage, les drogues (Saga de Dune, l'épice et les Fremen) ; bidouillage ADN : le surhomme par eugénisme (Bienvenue à Gattaca, Andrew Nicoll, 1997) ; et par les machines : Roboccop (Paul Verhoeven en 1987)

Edgar Cayce (1877-1945) ,vie secrète de Jésus; Swedenborg : 1688-1772 : les arcanes célestes (16 volumes) ; le ciel, ses merveilles et l'enfer d'après ce qui a été entendu et vu.

Fils de l'Un et fils de Bélial

Voici ce qu'a écrit Dick dans Le monde de Jon, une nouvelle publiée en 1954 :

« En réalité, il y avait eu deux guerres. La première avait opposé l'homme à lui-même. La seconde, il l'avait livrée aux Griffes, ces robots qu'il avait lui-même conçus pour servir d'armes de guerre; Les Griffes s'étaient retournées contre leurs créateurs en se dotant elles-mêmes de nouveaux modèles et équipements. »

Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 245, Editions Denoël, 2011.

Et c'est bien ce fantasme dickien, ce conflit entre humains et robots, qu'a mis en scène Stanley Kubrick puis Steven Spielberg auquel le premier avait confié de poursuivre son film AI après sa mort survenue en cours de tournage.

Mais si tout ceci est de l'ordre de la science-fiction, que penser alors de ces images ? Notre réalité ne serait-elle pas en train de dépasser cette même science-fiction ?

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http://terresacree.org/images/nanotechnology.jpg

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C. Des exfiltrations de la SF vers la littérature canonique : Burroughs : cut up ; écriture informatique ; Nova Express, La machine molle (n'ayons pas peur), le ticket qui explosa (cut up qui fait de la langue l'héroïne elle-même de la narration + une cyberécriture ; chaos, punk)

Tom Wolfe Acid Test : synchronisation, LSD, Merry Pranksters, Greatefull Dead...

Étude la langue :

Voyage en Sciences et en Fictions :

La science-fiction s'adresse-t-elle uniquement à des spécialistes ou des scientifiques ?

Dominante : Analyse de la langue.

Capacités : Savoir distinguer extraits de romans de science fiction et articles scientifiques.

« Les écrivains de science-fiction, je suis navré de le dire, ne savent vraiment rien. Nous ne pouvons pas parler de la science, car la connaissance que nous en avons est vraiment limitée et n'a rien d'officiel, et d'habitude notre fiction est épouvantable. Il y a quelques années, aucun établissement d'enseignement supérieur, aucune université n'aurait jamais songé l'un d'entre nous à venir parler. Nous étions miséricordieusement cantonnés dans d'atroces magazines à deux sous, et n'impressionnions personne. A cette époque-là, certains amis me demandaient : « Mais est-ce que tu écris des choses sérieuses ? » Entendant par là : « Est-ce que tu écris autre chose que de la science-fiction ? » Nous mourions d'envie qu'on nous reconnaisse. Nous pleurions pour qu'on nous remarque. Et puis, d'un seul coup, les milieux intellectuels se sont mis à nous prêter attention, on nous a invités à participer à des conférences et à participer à des tables rondes – et nous nous sommes aussitôt fait passer pour des idiots. Le problème est simplement celui-ci : qu'est-ce qu'un écrivain de science-fiction ? Dans quelle matière fait-il autorité ? »

Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas deux jours plus tard, conférence publiée en 1978, traduite en 1987 in « Le Crâne », collection Présence du Futur, Denoël éditeur.

Texte 1 :

Il ne s’était un peu raidi qu’au moment du saut dans l’hyperespace, un phénomène qu’on n’avait pas l’occasion d’expérimenter au cours de simples déplacements interplanétaires. Le saut demeurait, et demeurerait sans doute toujours, le seul moyen pratique de voyager d’une étoile à l’autre. On ne pouvait se déplacer dans l’espace ordinaire à une vitesse supérieure à celle de la lumière (c’était un de ces principes aussi vieux que l’humanité) ; il aurait donc fallu des années pour passer d’un système habité au système le plus voisin. En empruntant l’hyperespace, ce domaine inimaginable qui n’était ni temps ni espace, ni réalité ni néant, il était possible de traverser la Galaxie en un instant dans toute sa longueur.

Isaac Asimov, Fondation, 1951.

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Rayez la fausse appellation.

Extrait : Minority report

Texte 2 :

Laissez-moi vous expliquer, dit Joe, comment agit généralement un anti–précog. Comment il agit en fait dans tous les cas que nous connaissons. Le précog a la vision d’une série de futurs, rangés les uns à côté des autres comme des rayons dans une ruche. Mais l’un d’eux lui apparaît plus lumineux que les autres, et c’est celui-là qu’il choisit. Après ça l’anti-précog ne peut plus agir ; il faut qu’il soit présent au moment où le précog va faire son choix sinon il est trop tard. L’action de l’anti-précog brouille la vision du précog en lui donnant l’impression que tous les futurs ont le même coefficient de réalité, ce qui l’empêche d’en sélectionner un. Mais le précog est immédiatement averti de la présence de l’anti-précog, car toute la relation entre le futur et lui est altérée.

Philip K. Dick, Ubik, 1969.

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Extrait : A scanner darkly

Texte 3 :

Le complet brouillé était une invention des laboratoires Bell, due à un employé nommé S.A. Powers, qui tomba dessus par hasard. Quelques années auparavant, Powers avait expérimenté quelques substances déshinibitrices affectant les tissus nerveux. Un soir, il avait subi une baisse catastrophique de liquide GABA à l’intérieur du cerveau. Subjectivement, il avait alors assisté à une projection de phosphènes bariolés sur le mur de sa chambre, un montage toujours plus frénétique de ce que, sur le moment, il considéra comme des toiles abstraites contemporaines. Au cours d’une transe de six heures environ, S.A. Powers avait vu des Picasso se chasser l’un l’autre selon un rythme ultra-rapide ; puis ç’avait été le tour de Paul Klee, plus de toiles que l’artiste n’en avait peintes durant sa vie. Alors que des Modigliani se succédaient sous ses yeux à la vitesse grand V, Powers avait présumé (on a besoin de théories pour tout) que des mages lui projetaient télépathiquement des tableaux, aidés sans doute par un système avancé de micro-relais ; plus tard Kandinsky se mit à le harceler, il se rappela que le principal musée de Leningrad se spécialisait dans ce genre d’art moderne, et décida que les Soviets essayaient d’entrer télépathiquement en contact avec lui.

Au matin, il se rappela qu’une diminution radicale du liquide GABA provoquait normalement une telle apparition de phosphènes. Personne n’essayait d’entrer en contact avec lui, avec ou sans micro-relais. Mais l’incident lui donna l’idée du complet brouillé. A la base il s’agissait de relier un quartz à un mini-ordinateur dont les mémoires contenaient jusqu’à un million et demi d’images fragmentaires de la physionomie d’individus divers : hommes, femmes, enfants ; chaque variante encodée était ensuite projetée omnidirectionnellement sur une membrane ultra-fine, sorte de linceul assez grand pour envelopper un humain de taille moyenne.

Philip K. Dick, Substance mort, 1973.

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Texte 4 :

Case rencontra son premier Moderne deux jours après avoir visionné le topo de l'Hosaka. Les Modernes étaient décidément la version contemporaine des Grands savants du temps de ses vingt ans. Il y avait comme un spectre d'ADN adolescent à l'œuvre dans la Conurb, un truc qui

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transportait les préceptes codés de diverses subcultures à brève durée de vie et les répliquait à intervalles aléatoires. Les Panthers modernes étaient une variante biologique des Savants. Si la technologie avait été disponible à l'époque, tous les Grands Savants auraient porté des connecteurs bourrés de micrologiciels. C'était le style qui comptait et le style restait le même. Les Modernes étaient des mercenaires, des rigolos, des technofétichistes nihilistes.

Celui qui se présenta à la porte du loft avec une boîte de disquettes du Finnois était un garçon à la voix douce du nom d'Angelo. Son visage n'était qu'un greffon de collagène et de cartilages de squale en polysaccharides, aussi lisse que hideux. L'un des exemples les plus affreux de chirurgie élective qu'il ait été donné à Case de contempler. Lorsque Angelo sourit, révélant les canines effilées comme des rasoirs de quelques fauves, Case fut réellement soulagé : vulgaires transplants de racines dentaires. Ça, il avait déjà vu. p. 70

William Gibson, Neuromancien, 1984.

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Texte 5 :

L'implant HealthGuard utilisait la toute dernière puce doseuse programmable : une batterie de protéines complexes agglutinées au silicium, comparable sous bien des aspects à un synthétiseur de robopharm mais conçue pour compter les molécules et non les fabriquer. La génération des puces précédentes avait utilisé une multitude d'anticorps hautement spécialisés, des protéines fourchues implantées en damier dans le semi-conducteur comme des parcelles juxtaposées de cent cultures différentes. Quand une molécule de cholestérol, d'insuline ou de n'importe quoi atterrissait par hasard sur la parcelle correcte et entrait en collision avec un anticorps compatible, elle s'attachait à lui assez longtemps pour que l'infime différence de potentiel soit détectée, puis enregistrée dans un microprocesseur. Au bout d'un certain temps, ce relevé de collisions aléatoires indiquait le taux de chaque substance dans le sang.

Les nouveaux capteurs recouraient à une protéine qui ressemblait plus à une plante carnivore dotée d'un cerveau qu'à la matrice passive et spécialisée d'un anticorps. Dans son état réceptif, la "dosagine" était une molécule longiligne en forme de cloche, un tube s'évasant en un large entonnoir.

Cette configuration était métastable : la répartition de la charge sur la molécule la rendait prodigieusement sensible, comme un piège à ressort. Tout objet suffisamment volumineux heurtant la surface interne de l'entonnoir déclenchait une onde déferlante, rapide comme l'éclair, qui engloutissait et empaquetait l'intrus. Le microprocesseur, voyant le piège refermé, pouvait alors sonder la molécule captive en recherchant une forme de la dosagine qui l'emprisonnerait encore plus étroitement. Il n'y avait plus de collisions inutiles et mal assorties - plus de molécules d'insuline s'écrasant sur des anticorps du cholestérol avec un résultat nul sur le plan de l'information. La dosagine identifiait à tous les coups ce qui l'avait touché.

Greg Egan, L'énigme de l'univers, 1995.

Extrait de roman ou d'article scientifique ?

Rayez la fausse appellation.

Texte 6 :

Les cellules solaires en plastique font un bon en avant

Avec 8,3 % d’énergie lumineuse transformée en énergie électrique, les panneaux plastique de la société américaine Konarka établissent une nouveau record de rendement pour les cellules à

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base de polymères. Les performances de ces panneaux, contrôlées par la National Energy Renewable Laboratory (NREL), sont spectaculaires : elles ont cru de près d’un tiers en trois années seulement. Le rendement du « Power Plastic » de Konarka atteint désormais la moitié de celui des cellules traditionnelles rigides à base de silicium, mais à un coût trois fois moins élevé et sur un support souple, grâce à des techniques de fabrication inspirées de l’imprimerie : les panneaux sortent sous forme de rouleaux de 152 cm de large, sur une longueur quasiment illimitée.

Pierre Grumberg , Science et Vie, décembre 2010.

http://mondedurable.science-et-vie.com/2010/12/les-cellules-solaires-en-plastique-font-un-bon-en-avant/

Extrait de roman ou d'article scientifique ?

Rayez la fausse appellation.

Texte 7 :

Le graphène pourrait aider à séquencer l’ADN

Encore une application pour le graphène : cette fois, c’est en décodeur d’ADN que l’équipe du physicien américain Daniel Branton, associant des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology et de l’Université de Harvard, veut transformer le désormais fameux feuillet de carbone d’un atome d’épaisseur. L’idée est la suivante : utiliser une membrane de graphène (épaisse de deux feuillets, soit moins d’un nanomètre d’épaisseur) pour séparer deux bacs contenant chacun des ions en solution. Lorsque des ions traversent la membrane par un trou de quelques nanomètres de diamètre, un signal électrique continu est mesuré. L’idée des chercheurs est d’introduire des molécules d’ADN dans un des bacs. Attirées dans le trou, les longs rubans y pénètrent alors comme un fil par le chas d’une aiguille. Chaque base composant le code génétique étant d’une taille légèrement différente, son passage dans le trou modifie le flux d’ions traversant, et du coup le signal électrique. Dont la variation permet alors d’identifier les composants de la chaîne, base par base… Vertigineux ! Évidemment, il s’agit encore d’un « décodeur » expérimental, encore très loin d’un dispositif industriel. Mais les chercheurs espèrent bien parvenir à en tirer un appareil à la fois plus rapide et moins coûteux que les décodeurs actuels.

http://nouvellestechnos.science-et-vie.com/14/09/2010/le-graphene-pourrait-aider-a-sequencer-ladn/

Extrait de roman ou d'article scientifique ?

Rayez la fausse appellation.

Subjectivité Vs objectivité Charabia ou littérature ?

Demander aux élèves de classer extraits de romans et articles scientifiques en justifiant leurs choix (différencier texte narratif et texte explicatif). Les extraits sont distribués à toute la classe mais chaque élève ne travaille que sur deux textes pour les confronter : un extrait de roman et un article scientifique.

Donner un échantillon de texte SF + 1 extrait vulgarisation scientifique (Science et Vie) et demander aux élèves pour chacun :

Selon vous, extrait de roman ou article scientifique ?

Puis :

Guidance par des questions :

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–Comprenez-vous cet extrait ? De quoi parle-t-il ?

–Des personnages se trouvent-ils dans votre extrait ?

–Que font-ils ?

–Est-ce possible à notre époque ?

–Quels sont les temps utilisés ?

–Quel(s) est (sont) le(s) niveau(x) de langue utilisés dans votre extrait ?

Le langage de la crédibilité :La pseudo-science ou l'art de faire prendre des vessies pour des lanternes : Comment se construit un univers de SF, une ambiance, une atmosphère propre à la

science-fiction et comment se différencie-t-elle d'articles scientifiques ?

Extraits K. Dick n° 6 et 7

Bien-sûr, la préoccupation de tout auteur de roman est d'introduire son lecteur dans une fiction. Mais la question est particulièrement prégnante avec la Science-fiction puisqu'elle a pour but d'induire un pacte de lecture qui d'emblée projette le lecteur dans un univers qui lui est peu ou prou inconnu.

Si la langue romanesque de la SF utilise les ressorts littéraires éprouvés de la construction de fiction, il est bon de montrer aux élèves la prolifération de ces ressorts littéraires pour forcer le lecteur à entrer dans des univers très particuliers. Comment la SF pousse néanmoins au paroxysme certains procédés pour maintenir des repères et entretenir une connexion constante avec l'univers des auteurs.

On retrouvera donc tous les artifices littéraires que nous connaissons mais nous amènerons les élèves à remarquer leur abondance créant en quelque sorte :

Une langue de la prolifération au service des élucubrations : La méthode pour amener cette prise de conscience d'un pacte de lecture amplifié serait donc

mettre en parallèle extraits de romans et articles scientifiques pour insister sur certains procédés comme :–Les caractéristiques des situations d'énonciation avec présence ou absence de narrateurs et de personnages ; jeu sur la prominalisation ; –le jeu des temps : présent du compte rendu ou temps du passé propres au récit ;–Les modalisateurs qui permettent de distinguer le « dictum », ce qui est dit, du « modus », l'intention avec laquelle on le dit. Les modalisateurs sont les marqueurs privilégiés de la subjectivité : ils abondent bien-sûr dans les extraits de romans contrairement aux articles scientifiques visant l'objectivité et la neutralité. On retrouve donc l'expression de la modalisation avec :–les verbes, leur temps, leur mode quand ils énoncent une impression ou une probabilité ;–avec la présence d'adverbes et d'adjectifs qui traduisent le ton engagé du narrateur ; ils abondent dans les extraits de romans, sont renforcés par les points d'exclamation et de suspension alors qu'ils sont peu fréquents dans les articles scientifiques.–Et bien sûr, on se penchera sur la surabondance des particularités lexicales dans les romans de SF en mettant en évidence avec les élèves :–les niveaux de langue : soutenu, courant et familier sont mélangés dans les romans alors que les articles scientifiques favorisent le soutenu (les textes scientifiques se classent dans une catégorie du soutenu) ;–métaphores et comparaisons : présentes dans les passages de romans, rigoureusement absentes dans les compte-rendus scientifiques mais présentes dans la vulgarisation scientifiques !!!–les nombreux néologismes qui abondent dans les extraits de romans alors qu'ils sont rigoureusement exclus des articles scientifiques : précogs = apocope de « précognition » ; conurb = apocope de conurbation. Procédé phonétique, l'apocope peut être employée sciemment pour oraliser

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un discours ou pour brouiller le message dans un but esthétique particulier. –Mots valises : robopharm. Technofétichistes. Micrologiciels.Cette multiplication des néologismes fait évoluer le lecteur dans une dimension abstraite qui contribue à la poétique du récit de science fiction.–Insertion de noms de sociétés commerciales ou de laboratoires scientifiques réels pour une plus grande crédibilité afin de brouiller les pistes de la fiction dans les romans ; Souci des références à des noms de scientifiques ou de laboratoires pour une crédibilité, une vraisemblance pour ce qui reste principalement des élucubrations romanesques. Mais elles sont construites sur la copie d'articles scientifiques, en particulier pour l'extrait n° 5.–Insertion directe de mots scientifiques sans explications (liquide GABA) ; au contraire, dans les articles scientifiques il est usé de comparaisons et même de métaphores pour faire comprendre les concepts aux lecteurs : vulgarisation scientifique. –usage du franglais comme une ressource naturelle liée au genre anglo saxon de la SF (dosagine).Ce jeu entre mots inventés et références établies, participe évidemment des effets de réel. Il assure une crédibilité à la fiction par un soutènement pseudo scientifique. Le langage est ici performatif. Le cadre de la fiction est donné à priori et dans le sens d'un argument d'autorité. Il est inhérent au pacte de lecture, et le lecteur doit l'accepter d'emblée pour se transporter dans des mondes imaginaires. En effet, qui parmi nous connaît le liquide GABA ?–L'acide 4-hydroxybutanoïque ou gamma-hydroxybutyrate ou GHB est un psychotrope dépresseur, utilisé à des fins médicales ou à des fins détournées (parfois comme « drogue de viol »). Découvert par les laboratoires Balmer & CO, il est produit physiologiquement dans le cerveau des mammifères et sa structure chimique est très proche du neurotransmetteur GABA.

Les données scientifiques exactes ou imprécises n'empêchent pas de lire le roman : elles ne servent que de cadre enveloppant à une intrigue principale et aux actions des héros. Les enjeux des intrigues des romans de SF touchent aux préoccupations existentielles de l'humanité et sont universelles puisqu'elles traitent de son avenir, de son eschatologie.

Ce registre pseudo scientifique n'est qu'un cadre et ne constitue pas un parcours fléché d'importance pour le lecteur qui reste accroché à l'intrigue du roman et à l'évolution de ses personnages.

Pour introduire un exercice d'écriture récapitulatif des impératifs de langue inhérents à la SF on pourra procéder en trois étapes : I. donner aux élèves les étapes du compte-rendu scientifique :1. Décrire les problèmes posés et les hypothèses émises.

2. Exposer le protocole expérimental.

Sans entrer véritablement dans le détail, il faut décrire brièvement les outils et le déroulement de l'expérience.

3. Présenter les résultats de l'expérience :

4. Faire la critique de l'expérience et conclure.

Il s'agit là de faire le bilan de l'expérience et de ses limites en guise de conclusion.

II. Replacez logiquement des mots dans l'énoncé d'une expérience :

L'expérience de l'œuf flottantReplacez logiquement ces mots dans l'énoncé de cette expérience : solution, doucement, légers, complètement, délicatement, grand, frais, ingrédients, densités, préparation, à l'origine, composés.

... :

1. un œuf ...2. un ... verre

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3. du sel de cuisine

... :

1. Remplir le ... verre d'eau du robinet. 2. Placez l'oeuf ... à la surface de l'eau et lâchez-le. L'oeuf coule ! 3. Avec une cuillère, versez du sel dans l'eau et remuez ... au fur et à mesure. 4. Observez

Que se passe t-il ?

L'oeuf flotte.

Pourquoi ?

C'est une question de rapport entre les ... de l'eau et de l'oeuf. En effet, ... , l'eau est plus légège que l'oeuf car les ... les plus ... se positionnent au dessus des ... les plus lourds (comme l'huile flotte sur l'eau). En versant du sel dans l'eau, la ... finit par devenir plus lourde que l'oeuf : celui-ci flotte !

III. Exercice d'écriture :

Première étape : Teintez de subjectivité la dernière étape de ce compte-rendu scientifique en y introduisant vos commentaires et vos impressions. Utilisez ces expressions et adverbe : Il me semble, vraiment, génial, formidable, il paraît, le croirez-vous, fantastique !

Deuxième étape : Fictionnez ce compte rendu en le poursuivant dans le genre de la science fiction, cette fois ! Introduisez, par exemple, des ingrédients chimiques ou des machines pour faire éclore cet oeuf transformé par vos soins. Imaginez quelle sera la créature qui naîtra de vos expérimentations pseudo scientifique.

Passé fantasmé, futur proche et futur lointain : quelle science Fiction ?Demander aux élèves de déterminer, parmi les extraits de romans précédents, ceux dont

l'action se déroule sur Terre et ceux qui se déroulent ailleurs.

Les élèves affinent leur définition de la SF et leurs réponses vont souvent à l'encontre de ce qu'ils croyaient être obligé dans le domaine de la SF, idée forgée par les films et séries à effets spéciaux dont la TV les abreuve : hormis pour le premier extrait, l'action de tous les autres se situe sur Terre.

La SF peut donc se passer de vaisseaux spatiaux, de lointaines planètes, d'extra terrestres... Même si elle peut faire appel à des mondes parallèles, ils peuvent être à deux doigts de nous ou à un clic de souris.