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La Gazette n° 290 - Du 31 octobre au 27 novembre 2013 16 report age undi 16h45. Sourire aux lèvres et badge euro- péen au cou – attaché par un discret cordon bleu marine, et glissé sous la cravate –. Le maire de Sète sort tout juste de l’amphithéâtre aux vingt-trois langues. Face à l’immense baie vitrée, il se montre jovial : “Barroso a repris toutes nos idées…” José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, vient de lancer les Open Days, trois jours de rencontres entre élus locaux des vingt-huit pays de l’Union. Mais pas question de traîner du côté du Parlement (1) : “Allez, on va chez nous.” Chez nous ? Au Comité des Régions d’Europe, dans le bâtiment Jacques- Delors. Membre de cette assemblée d’élus lo- caux (voir encadré), François Commeinhes vient tous les mois à Bruxelles. Plus précisément dans le quartier européen : de larges avenues imper- sonnelles coincées entre des buildings de béton et de verre. Dont il ne sort pas. Précieux guide 17h05. Pour entrer dans le building, le badge permanent du maire tient lieu de laissez-passer. Avec leur badge à cordon vert ou jaune, les in- vités, eux, doivent contourner, passer au détec- teur de métaux comme dans les aéroports. Devant chaque cerbère à cordon orange, il faut montrer patte blanche. Sauf à être accompagné par Laurent Thieule, le directeur de la commu- nication du Comité des Régions. Dans l’impi- toyable labyrinthe de l’Europe, cet homme aux longs cils, calme et affable, fait office de guide précieux pour le maire de Sète. Toujours dis- ponible, malgré les six mille élus locaux à ac- cueillir lors de ces Open Days. Car Laurent Thieule est un enfant du pays. Un ex-journaliste de Midi Libre, originaire de Pinet. Dans l’ascen- seur international, le maire lui raconte le déluge du 4 octobre dernier : “Tu pouvais faire du surf sur la rue Paul-Valéry !” Sixième étage. Cocktail. Dress code : chic, mais cool. Un verre de blanc dans une main, des sushis piochés sur les plateaux argentés dans l’autre, François Commeinhes parcourt les ex- positions sur les beaux exemples européens sans y porter grande attention. Car il l’a bien compris : l’important, ici, c’est le réseau. Les serrements de paluches et les euroconfidences- éclairs. De ceux qui ont le pouvoir de “faire re- monter” les dossiers… Délices d’initié Tel un aventurier de l’Europe enchantée, le maire vibre d’enthousiasmeà l’idée d’en éventer les secrets, d’en partager les arcanes. Mais il y a dix ans, François Commeinhes se sentait bien moins à son aise dans le microcosme européen que dans l’enceinte de son Île singulière. Premier contact, premier échec : “J’étais venu défendre le lido de Sète à Marseillan : le dossier est revenu comme il est arrivé. Rejeté. Mais une fois que j’ai compris le système, le dossier a pu être financé.” La subtilité, c’est de bien présenter: “Il ne faut pas dire : ‘On va déplacer la route’. Il faut dire : ‘On veut protéger le cordon dunaire et poursuivre le tourisme’. Malin. “Rentrer dans les orientations de l’Europe, c’est un cheminement intellectuel.” Au pays de Tintin, je dirais même plus : un rite d’initiation. À force de visites à Bruxelles pour l’avancement du chantier, François Commeinhes se fait re- marquer par l’Association des maires de France. Elle le désigne rapporteur sur l’Europe, puis, en 2009, comme un des six maires français à siéger au Comité des Régions. Résultat : “Être ici, à la source des informations, c’est facilitateur. Sète prend cinq ans d’avance sur les dispositifs, et ça ne coûte rien à la ville !” (Voir p. 18). Autour du cocktail, le maire rejoint d’autres élus de la droite languedocienne – Stéphan Rossignol, secrétaire UMP de l’Hérault et maire de La Grande-Motte et Jacques Blanc, ex-prési- dent de Région –. Et assure : “Ici, vous déconnec- tez du contexte local, ça relève le niveau. On est François Commeinhes prend chaque mois ses quartiers à Bruxelles: il est l’un des 24 élus locaux à représenter la France au niveau européen. De cocktail en dossiers, le maire de Sète maîtrise peu à peu les codes de cet univers de béton et de verre. À l’occasion des “Open Days”, La Gazette plonge avec lui dans les arcanes de l’Europe. L Les euroconfidences de François Commeinhes Parmi 353 élus locaux de toute l’Europe, François Commeinhes siège dans l’hémicycle du Comité des Régions à Bruxelles, dans le secteur “bleu” du parti de droite (PPE). Pour voter les amendements à main levée, il brandit son panneau avec le numéro 125. Difficile à départager à première vue ? Il appuie sur son petit boîtier, et le résultat s’affiche en temps réel. Son équipement pour suivre des heures de discours : bouteille d’eau et tasse de café servie entre les rangées, dossier de deux kilos et six centimètres d’épaisseur, micro discret pour intervenir, code Wi-Fi pour gérer ses e-mails. Pour suivre les débats en français sur la piste n° 3, François Commeinhes préfère ses oreillettes persos au casque disponible – “c’est plus classe, plus discret. On est l’image de la France : il y a une réputation à tenir !”

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La Gazette n° 290 - Du 31 octobre au 27 novembre 2013

16 reportage

undi 16h45. Sourire aux lèvres et badge euro-péen au cou – attaché par un discret cordonbleu marine, et glissé sous la cravate –. Le mairede Sète sort tout juste de l’amphithéâtre auxvingt-trois langues. Face à l’immense baie vitrée,il se montre jovial : “Barroso a repris toutes nosidées…” José Manuel Barroso, le président dela Commission européenne, vient de lancer lesOpen Days, trois jours de rencontres entre éluslocaux des vingt-huit pays de l’Union. Mais pasquestion de traîner du côté du Parlement (1) :“Allez, on va chez nous.” Chez nous? Au Comitédes Régions d’Europe, dans le bâtiment Jacques-Delors. Membre de cette assemblée d’élus lo-caux (voir encadré), François Commeinhes vienttous les mois à Bruxelles. Plus précisément dansle quartier européen: de larges avenues imper-sonnelles coincées entre des buildings de bétonet de verre. Dont il ne sort pas.

Précieux guide17h05. Pour entrer dans le building, le badgepermanent du maire tient lieu de laissez-passer.Avec leur badge à cordon vert ou jaune, les in-vités, eux, doivent contourner, passer au détec-teur de métaux comme dans les aéroports.Devant chaque cerbère à cordon orange, il fautmontrer patte blanche. Sauf à être accompagné

par Laurent Thieule, le directeur de la commu-nication du Comité des Régions. Dans l’impi-toyable labyrinthe de l’Europe, cet homme auxlongs cils, calme et affable, fait office de guideprécieux pour le maire de Sète. Toujours dis-ponible, malgré les six mille élus locaux à ac-cueillir lors de ces Open Days. Car LaurentThieule est un enfant du pays. Un ex-journalistede Midi Libre, originaire de Pinet. Dans l’ascen-seur international, le maire lui raconte le délugedu 4 octobre dernier: “Tu pouvais faire du surfsur la rue Paul-Valéry!”Sixième étage. Cocktail. Dress code: chic, maiscool. Un verre de blanc dans une main, des sushis piochés sur les plateaux argentés dansl’autre, François Commeinhes parcourt les ex-positions sur les beaux exemples européenssans y porter grande attention. Car il l’a biencompris: l’important, ici, c’est le réseau. Lesserrements de paluches et les euroconfidences-éclairs. De ceux qui ont le pouvoir de “faire re-monter” les dossiers…

Délices d’initiéTel un aventurier de l’Europe enchantée, lemaire vibre d’enthousiasmeà l’idée d’en éventerles secrets, d’en partager les arcanes. Mais il ya dix ans, François Commeinhes se sentait bien

moins à son aise dans le microcosme européenque dans l’enceinte de son Île singulière.Premier contact, premier échec: “J’étais venudéfendre le lido de Sète à Marseillan: le dossierest revenu comme il est arrivé. Rejeté. Mais unefois que j’ai compris le système, le dossier a puêtre financé.” La subtilité, c’est de bien présenter:“Il ne faut pas dire: ‘On va déplacer la route’. Ilfaut dire: ‘On veut protéger le cordon dunaireet poursuivre le tourisme’.” Malin. “Rentrer dansles orientations de l’Europe, c’est un cheminementintellectuel.” Au pays de Tintin, je dirais mêmeplus: un rite d’initiation.À force de visites à Bruxelles pour l’avancementdu chantier, François Commeinhes se fait re-marquer par l’Association des maires de France.Elle le désigne rapporteur sur l’Europe, puis,en 2009, comme un des six maires français àsiéger au Comité des Régions. Résultat : “Êtreici, à la source des informations, c’est facilitateur.Sète prend cinq ans d’avance sur les dispositifs,et ça ne coûte rien à la ville!” (Voir p. 18).Autour du cocktail, le maire rejoint d’autresélus de la droite languedocienne – StéphanRossignol, secrétaire UMP de l’Hérault et mairede La Grande-Motte et Jacques Blanc, ex-prési-dent de Région –. Et assure: “Ici, vous déconnec-tez du contexte local, ça relève le niveau. On est

François Commeinhes prend chaque mois ses quartiers à Bruxelles : il est l’undes 24 élus locaux à représenter la France au niveau européen. De cocktail endossiers, le maire de Sète maîtrise peu à peu les codes de cet univers de bétonet de verre. À l’occasion des “Open Days”, La Gazette plonge avec lui dans lesarcanes de l’Europe.

LLes euroconfidences

de François Commeinhes

Parmi 353 élus locauxde toute l’Europe,François Commeinhessiège dans l’hémicycledu Comité des Régionsà Bruxelles, dans lesecteur “bleu” du partide droite (PPE). Pourvoter les amendementsà main levée, il branditson panneau avec lenuméro 125. Difficile àdépartager à premièrevue? Il appuie sur sonpetit boîtier, et lerésultat s’affiche entemps réel. Sonéquipement poursuivre des heures dediscours : bouteilled’eau et tasse de caféservie entre les rangées,dossier de deux kilos etsix centimètresd’épaisseur, microdiscret pour intervenir,code Wi-Fi pour gérerses e-mails. Pour suivreles débats en françaissur la piste n°3,François Commeinhespréfère ses oreillettespersos au casquedisponible – “c’est plusclasse, plus discret. Onest l’image de laFrance: il y a uneréputation à tenir !”

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La Gazette n° 290 - Du 31 octobre au 27 novembre 2013

Réalisé par Raquel Hadida /photos Raquel Hadida /

17! EUROPE

!COMITÉDES RÉGIONSSix commissions(80 membres environ) :- Cohésion territoriale (ou“Coter”): urbanisme, transport,coopération.- Ressources naturelles (ouNat”), agriculture, pêche, santépublique, tourisme,développement rural.- Politique économique et sociale(ou “Ecos”), emploi, économie etmonétaire, égalité des chances.- Éducation (ou “Éduc”), jeunesse,culture, information, recherche.- Citoyenneté et affairesextérieures (ou “Civex”),décentralisation et gouvernance,liberté, sécurité, justice,immigration…- Environnement (ou “Enve”),sur le changement climatique etles réseaux dans le secteur del’énergie.

Groupes politiques :• Parti populaire européen(PPE) - Droite• Parti socialiste européen (PSE) -Gauche• Alliance des démocrates et deslibéraux pour l’Europe (ADLE) -Centre-libéral• Groupe Alliance européenne(AE) - Écologistes• Groupe européen desconservateurs et réformistes -Antifédéralistes, souverainistes

Délégation :Chacune des 28 délégationsnationales est censée respecterles équilibres politiques,géographiques et régionaux dechaque État. Composée de 24membres désignés par le Premierministre, la délégation françaiseregroupe:- 12 élus régionaux, proposés parl’Association des régions deFrance (ARF).- 6 élus cantonaux, proposés parl’Association des départementsde France (ADF).- 6 maires, proposés parl’Association des maires de France(AMF).À chaque échelon, les membressont pour moitié de droite, pourmoitié de gauche.Étrangeté des nominations: leLanguedoc-Roussillon est sur-représenté avec quatre de sespersonnalités, tous de droite(PPE): -le maire de Sète FrançoisCommeinhes,- le conseiller régional StéphanRossignol, maire de La Grande-Motte,- Jacques Blanc, maire de LaCanourgue (48),- Pierre Hughon, vice -présidentdu Département de la Lozère.

Groupes interrégionaux :- Méditerranée -Arlem(Association régionale et localeeuroméditerranéenne): 84 élusde l’Europe + 16 partenaires duMaghreb et Moyen-Orient.- Mer Baltique, Danube, mer duNord, Saar-Lor-Lux-Santé, vin, industrieautomobile…

En violet, les groupes auxquelsparticipe/appartient FrançoisCommeinhes, le maire de Sète.

En savoir plus:http://cor.europa.eu

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à parité droite-gauche, on serre les mains des so-cialistes, des Verts.” Bref, ça vaut le coup de fairemille kilomètres. “Il y a vraiment la culture duconsensus, du compromis constructif. Pas de l’af-frontement.” Pas d’enjeu électoral, pas de lutted’ego: moins de mesquineries électoralistes.

Inspiration européenneD’autant plus qu’on y fait des rencontres enri-chissantes. Le maire de Porto et le moteur àpropulsion électrique de Michelin pour les na-vettes fluviales. Le maire de Göteborg, en Suède,sur le temps périscolaire. Les Croates et leurconchyliculture. Le copain hongrois d’une ré-gion viticole. Les soirées avec le sénateur Vert,les interventions de Michel Barnier (2) ou duPremier ministre indien. Urbanisme, emploi,logement: les mêmes problèmes s’éprouventpartout. François Commeinhes s’inspire desexpériences, comme des discours solennels. Ety trouve même la justification de sa politique:les partenariats public-privé, la densificationdes villes pour épargner les terres agricoles.À Bruxelles, François Commeinhes se “régale”,mais ne fanfaronne pas. Un maire parmi d’au-tres, qui se fait discret: “Au début, au lieu d’in-tervenir pour ne rien dire, il a écouté pour com-prendre comment ça marchait, apprécie LaurentThieule. Ici, il y a des codes à respecter. Dans lesdiscours, comme dans le lobbying de couloir. Lesrelations publiques informelles comptent beau-coup.”Après avoir partagé les photos de son ryad ma-rocain, le maire évolue vers une autre salle, oùs’alignent petits-fours et drapeaux européens.Habituellement, un des pays organise le buffet,à moins que l’Europe propose des dégustations,d’huile d’olive par exemple. Mais la plus grandesatisfaction de François Commeinhes n’est pasgastronomique: “C’est au fond de cette pièce quej’ai arraché l’accord de Danuta Hübner de venirà Sète pour lancer le chantier du lido, en 2007.Entre deux séances de maquillage pour un plateautélé. Ça, ce sont des combats jouissifs, valorisants.Pas des combats stériles, comme chez nous!”19h. La fatigue se fait sentir. Après s’être inté-ressé aux multiples cartes du stand d’Eurostat,le maire repart vers son hôtel. À cinq minutesà pied: “À part une fois, un tour sur la Grand-Place avec les “jeunes talents” de Sète, je neconnais pas Bruxelles!” Boulot-dodo.

Réunions intensivesMardi midi. À la cafétéria, poulet-patates, encompagnie d’un maire PS (voir photo en haut àdroite).13h30. Réunion de la délégation française.Comme ce matin avec son groupe politique, leParti populaire européen (PPE), FrançoisCommeinhes prend les consignes de vote.Parfois, entre les deux, les indications divergent:“Si un vote est important pour la France, ça prime:je ne regarde plus l’étiquette politique.” Mais au-jourd’hui, le débat porte surtout… sur la nomi-nation du directeur du Comité des Régions:face à l’hégémonie allemande, la France tentede placer ses ouailles. À la sortie, François

Chasse au trésordans les entrailles de l’Europe.“Au début, je mettais une heure pourtrouver la bonne salle… parfois sous lapluie.” Pas évident de se retrouver dans ledédale des bâtiments européens, pourFrançois Commeinhes comme pour toutvisiteur ! Et pour accéder à certaines salles,gare à celui qui n’a pas la petite étoileadéquate sur son badge…

La cafète de l’EuropePause-déjeuner à la cafétéria de l’Europe. Peu habitués des cantines, les politiciens languedociensprotestent. Face à l’absence de son céleri-rémoulade habituel, François Commeinhes, lui, n’éprouvequ’une pointe de regret. À sa gauche, c’est un homme au cordon rouge qui vient poser sonplateau-repas :Christophe Rouillon, un maire PS de la Sarthe, un copain. “On se connaît del’Association des maires de France, et on arrive à discuter !”, appuie le maire UMP. Chuchotementsentrecoupés de bruits de fourchettes. Ça parle école, ça rigole, ça glisse : “On peut pas faire de ladémagogie”, “et alors, je te vois pas sur Facebook ! ?”, “les Allemands sont trop tournés vers l’Est,alors que la Méditerranée, c’est stra-té-gique…” À droite, Laurent Thieule, le directeur de lacommunication du Comité des Régions, originaire de Pinet (au nord de Mèze). Il sert de véritablecoach à François Commeinhes dans le dédale de Bruxelles.

Le roi au cornet de fritesDans le quartier européen de Bruxelles, François Commeinhes pratique avec acuité le sport local : leserrement de paluches. Mais qui est cet Autrichien à la barbe naissante et au cornet de frites béant(notez la petite case à mayonnaise) ? C’est Johannes Hahn, le commissaire européen chargé de lapolitique régionale. Autant dire le pape des financeurs, pour les élus locaux de l’Unioneuropéenne. Mais sans garde du corps, sans chichis ni trompettes. “C’est comme un président dela République, un chef d’État !”, chuchote le maire de Sète. Mais “Hollande, c’est rien à côté ! Luigère 450 milliards d’euros !” Alors, en courtisan avisé, le maire nous conseille : “Si vous avez undossier à défendre, c’est à sa porte qu’il vaut mieux aller taper.” Et, le temps d’une photo pour sapropre communication, il lui glisse un : “L’année prochaine, ça me ferait plaisir que vous veniezvoir la reconsitution des dunes, sur le lido.” C’est le premier projet qu’a défendu FrançoisCommeinhes à Bruxelles.

Comité des régions: la voix des pouvoirs locauxC

Composé de 353 élus locaux, issus des 28 pays de l’Union européenne, le Comité desRégions (ou “Cor” pour les intimes) porte la voix des collectivités locales dans la

construction européenne. Le Parlement et le Conseil européens, ainsi que la Commissioneuropéenne, sont obligés de le consulter dans les domaines ayant des répercussions locales…Et c’est le cas pour 70 % des décisions, et les trois quarts des budgets !Créé en 1994, et renforcé par le traité de Lisbonne en 2009, ce comité est une jeune“institution” qui affirme progressivement sa place.Chaque année, il se réunit en cinq sessions plénières et donne plus de 50 avis sur lalégislation. Et même, lors de la dernière séance, sur le budget de l’Europe. Désignés pour unmandat de cinq ans, les 353 membres se réunissent aussi par thématique, par affinitépolitique et par nationalité pour travailler textes et amendements, et affiner leurs positions(voir colonne ci-contre).

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18Texte Raquel Hadida /

Photos Raquel Hadida /

Commeinhes emboîte le pas à Michel Delebarre,le maire PS de Dunkerque. “C’est le plus grandcumulard de France!”, souffle-t-il. Courte erranceau milieu de piles de documentation. Puis, aurez-de-chaussée, il passe par un tourniquet façonmétro. Direction le JAN 2Q2 — en décryptage,la salle Jòzsef Antall du Parlement —, via unepasserelle secrète.15h. À l’entrée de l’hémicycle, François Com -meinhes signe sa feuille de présence. Au troi-sième rang, un pupitre l’attend, entre uneAnglaise et une Italienne (voir photo page 16).“Avec les élections locales dans tous les pays, lespersonnes changent tout le temps!” Remous, ser-rements de mains, papotages de fond de salle.La séance débute par une minute de silencepour les immigrés clandestins échoués àLampedusa. Libéralisation ferroviaire, budgeteuropéen…: à chaque “avis” son lot d’amende-ments, votés ou refusés par l’assemblée. Chaqueélu local avec son petit carton numéroté, façonÉcole des fans. Houleux débat autour du gaz deschiste: le maire se lève pour parler à son” co-pain Vert belge”.

De cocktail en cocktail18h45. La séance se poursuit jusqu’à 21h autourdes déchets en plastique, des télécoms ou del’industrie auto. Mais ce sera sans FrançoisCommeinhes. Sur les conseils de son amiLaurent Thieule, il s’esquive pour assister à lasoirée festive. Au pas de course, il traverse l’es-planade Solidarnosc, l’agora Simone-Veil, et unegrande avenue en chantier (européen) perpétuel,pour se retrouver sur une place au bas de sonhôtel-tour. Cent “solutions urbaines” s’exposentdans des kiosques colorés. Ambiance jeune,chic, mais pas collet monté. FrançoisCommeinhes cherche à serrer des mains VIP,qu’il assortit de courtes messes basses. Le pré-sident de la chambre de commerce des Canaries,le commissaire européen aux Régions (photo p.précédente), plusieurs maires… “C’est dans cessoirées-là qu’on en apprend le plus, estime lemaire.On se croise et, le coup d’après, on déjeuneensemble.” Effet immédiat: il sait dire “à votresanté” en hongrois et en finlandais.Pour l’heure, il pioche dans le cornet de fritesde Tatiana, une danseuse de zumba (et conseil-lère en gestion du risque) d’origine martini-quaise…” Mais vous êtes qui pour qu’on vousphotographie? Vous êtes si important?”, rit-elle.Après moult titillages ludiques, le maire lancel’invitation: “Venez danser pour la Saint-Louis!”.Allez, on remonte vers un autre duo cocktail-orchestre d’intérieur, en étage. Spécial“Networking” (réseautage), comme il est inscriten grandes lettres sur le sol. FrançoisCommeinhes se fait littéralement coacher parLaurent Thieule: “On prend un verre de rouge”

Quand l’Europe met la main à la pocheC

Comment financer des projets locaux ? Au prix de dossiers lourds etcomplexes, l’Europe peut y participer via des investissements

durables, garantis sur 7 ans (fonds structurels).Outre les régions “compétitives” (souvent autour des métropoles) et lesrégions “de convergence” (en “retard” économique), bénéficiaires desfonds régionaux, une troisième catégorie apparaît, sur la pression duComité des Régions : les régions “en transition”. Ni ultra-pauvres, ni“sorties d’affaire”, leur PIB atteint 70 à 90 % du PIB moyen européen. EnFrance, les neuf régions concernées devraient obtenir de l’Europe quatremilliards d’euros sur sept ans. Parmi elles, le Languedoc-Roussillon.Ainsi, la Région prépare activement son “programme opérationnel” pourla période 2014-2020. Dans la “stratégie Europe 20-20”, les priorités sontclaires : l’innovation, la recherche-formation et l’aide aux petitesentreprises (PME/PMI). Pour la méthode, adieu la vision “secteur parsecteur” : pour éviter les financements incohérents, l’Europe appuiedésormais les projets transversaux.

L’hémicycle des élus locauxSéance plénière au Comité des Régions à Bruxelles, où siège le maire de Sète. Avec samodernité et son ambiance cool-chic, l’hémicycle moderne tranche avec le protocoleempesé de l’Assemblée nationale en France. Dans les 27 cabines vitrées qui ceinturentl’hémicycle, des duos de traducteurs carburent en simultané. Chaque rapporteur exposeà la tribune ses arguments pour “l’avis” du Comité de Région qu’il a élaboré. Le président

énumère les amendements déposés. “Qui est pour ? Qui est contre ? Qui s’abstient ?” Lesvotes à main levée s’enchaînent. Adoptés ou rejetés : la litanie d’amendements ( jusqu’à 80 !)se poursuit jusqu’à ce que les membres votent l’avis dans son ensemble. Vote à l’unanimité ?Applaudissements. Pour François Commeinhes, “la plénière, ce n’est qu’une chambred’enregistrement des six mois de travail réalisés en commissions. Et entre la traduction,les déplacements et l’impression, c’est faramineux ce que ça coûte !”

La Gazette n° 290 - Du 31 octobre au 27 novembre 2013

! EUROPEreportage

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Les coulisses du reportageC

À l’occasion des journées portes ouvertes(Open Days) aux collectivités locales, c’est

l’Union européenne qui a financé voyage ethôtel, pour trois jours, sur invitation de la Villede Sète. La Gazette n’est donc pas liéefinancièrement. Le déplacement de FrançoisCommeinhes (et lui seul, sans son cabinet) est,lui aussi, remboursé par l’Europe.

L’Europe à Sète et autour de ThauC

Les projets ci-dessous sont soutenus par l’Europe : Entreparenthèses, la structure porteuse de ces projets. Non exhaustif.

• L’aménagement du lido de Sète à Marseillan, au titre de la protection dulittoral (Thau Agglo) : 11 M€.• La Saint-Louis, au titre de la défense du patrimoine (Ville de Sète).• Festival de poésie Voix vives, à Sète, à El Jadida au Maroc, à Tolède enEspagne, à Gênes en Italie (association Libre Culture) : 200 000€.• Contrat de gestion intégrée: aménagement de Thau tout en préservant lalagune (Syndicat mixte du bassin de Thau).• Paniers poissons coquillages (CPIE Bassin de Thau, basé à Mèze), MobiThauExpé (appli de territoire, 8 000€), optimisation du collage des huîtres,pescatourisme, diversification des coquillages, Escale à Sète (association,35 000€). Au titre du développement durable des territoires dépendantsde la pêche et de l’aquaculture. Programme Axe 4 du Fonds européenpour la pêche (FEP), porté par l’Association pour le développement desmétiers maritimes (Mèze).• Préservation des lagunes littorales de la région (Syndicat intercommunaldes étangs littoraux, basé à Villeneuve-lès-Maguelone, et Conservatoiredes espaces naturels). Programme Life-Lag’Nature.• Plan-climat. La Ville de Sète est signataire de la Convention des maires(2009), ce qui l’engage à dépasser les objectifs fixés par l’Europe pour2020, par rapport à 1990 : réduire les gaz à effet de serre et lesconsommations d’énergie d’au moins 20 %, atteindre 20 % d’énergiesrenouvelables. Après avoir réalisé un bilan carbone, la Ville se lance dansun plan-climat depuis 2011. Et intègre ces critères dans les appels d’offres.• Drapeau. Par sa participation à l’“idéal européen” via les associations etle Comité des Régions, Sète a reçu en 2012 le drapeau d’honneureuropéen.

(de Lézignan-Corbières!), “on s’enfonce un peuplus loin…” Mais surprise! Au détour d’un verrede champagne, apparaît Didier Durrafourg,l’ancien directeur général de la Ville de Sète,désormais à la tête de l’Union des dirigeantsterritoriaux d’Europe (Udite).

Dîner en simplicité20h30. Pour dîner, le maire amène chargée decommunication et journaliste dans son QG. Unpetit resto italien, le Positano, à quelques enca-blures. “J’ai horreur de chercher un taxi à onzeheures du soir.” En fourchettant ses pâtes, il dis-cute enfants, petits-enfants. Mais aussi souvenirsd’enfance: pêche au lamparo et ramendage defilets, avant d’être envoyé en pension à Béziers.Autour du gorgonzola, son péché mignon, il serisque à des projections pour les municipalessétoises: “Le risque, c’est la quadrangulaire au2e tour.” Et s’étonne de l’opiniâtreté de certainscandidats: “Si je ne suis pas réélu, moi, je ne vaispas revenir une autre fois!” Après une grappapour digestif, le maire insiste avec courtoisiepour régler la note: “C’est bon: je n’achète pasles journalistes!”Mercredi 9h30. En chemise rayée, FrançoisCommeinhes arrive en retard pour la plénière– suite et fin. “Je me suis fait accrocher à l’hôtelpar le maire de Lisbonne – rencontré à Co -penhague et juste réélu –. Il monte l’Associationdes villes à canaux.” Une heure de vote… et l’hé-micycle commence déjà à se vider, alors que laséance est prévue jusqu’à 13h. FrançoisCommeinhes attrape un taxi “sur la place deStrasbourg, la seule que je connais”. En fait, c’estla place du Luxembourg. Direction gare du Midipour prendre le train Thalys jusqu’à Paris.Traversée, de Gare du Nord à Orly, vol Orly-Montpellier, retour à Sète. Plus de six heuresde trajet, autant qu’en TGV direct, “mais plusflexible”, assure-t-il. Il faudra penser à retirer lebadge européen, et son cordon bleu marine.

(1) Le Parlement européen siège à Strasbourg,mais se réunit en commissions et en “plénièresadditionnelles” à Bruxelles.(2) Michel Barnier, ex-ministre de l’Agriculturefrançais (UMP), Commissaire européen au mar-ché intérieur et aux services.

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