GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les...

16
30 le nouveau pouvoir judiciaire - n° 394 - avril 2011 G A R D E À V U E : C E Q U E V E U L E N T L E S P R O F E S S I O N N E L S Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui s'est tenu le jeudi 03 mars 2011 après midi dans la salle d'audience de la 1ère chambre du Tribunal de Grande Instance de PARIS. Animé par le journaliste à France Info (auteur en 2010 d’un livre intitulé “gardes-à-vues”) : Matthieu ARON, ces travaux ont regroupé autour d'une même tribune, outre les représentants de l'USM et du SNOP: - Christine LAZERGE, professeur de droit à la faculté de PARIS I , - Marc TREVIDIC, Président de l'Association Française des Magistrats Instructeurs, - Me Loïc DUSSEAU et Me Frank NATALI représentant le Conseil National des Barreaux, - Sylvie FEUCHER, secrétaire générale et Richard SRECKI représentant le Syndicat des Commis saires de la Police Nationale. L'assistance nombreuse comptait plusieurs parlementaires et le vice-bâtonnier de Paris, Me LEBORGNE. Cette réunion des professionnels de l'enquête et de la justice pénale constituait un temps d'échange constructif, laissant de côté les polémiques stériles et se concentrant sur l'avenir proche de la réforme de la garde-à-vue et toutes ses conséquences. Cette réforme qui constitue un pas historique pour notre système judiciaire par le renforcement du rôle de l'avocat, aura des conséquences profondes sur les conditions du déroulement de l'enquête de police. Loin des invectives inutiles ou des postures politiques, l'objectif était de chercher ensemble, magistrats, policiers et avocats, les moyens de la mettre en oeuvre efficacement. COLLOQUE GARDE À VUE

Transcript of GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les...

Page 1: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

30 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Dominiqu

“ GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui s'est tenu le jeudi 03 mars 2011 aprèsmidi dans la salle d'audience de la 1ère chambre du Tribunal de Grande Instance de PARIS.Animé par le journaliste à France Info (auteur en 2010 d’un livre intitulé “gardes-à-vues”) : MatthieuARON, ces travaux ont regroupé autour d'une même tribune, outre les représentants de l'USM et duSNOP:− Christine LAZERGE, professeur de droit à la faculté de PARIS I ,− Marc TREVIDIC, Président de l'Association Française des Magistrats Instructeurs, − Me Loïc DUSSEAU et Me Frank NATALI représentant le Conseil National des Barreaux,− Sylvie FEUCHER, secrétaire générale et Richard SRECKI représentant le Syndicat des Commis

saires de la Police Nationale.L'assistance nombreuse comptait plusieurs parlementaires et le vice-bâtonnier de Paris, Me LEBORGNE.Cette réunion des professionnels de l'enquête et de la justice pénale constituait un temps d'échangeconstructif, laissant de côté les polémiques stériles et se concentrant sur l'avenir proche de la réformede la garde-à-vue et toutes ses conséquences.

Cette réforme qui constitue un pas historique pour notre système judiciaire par le renforcement du rôlede l'avocat, aura des conséquences profondes sur les conditions du déroulement de l'enquête de police.

Loin des invectives inutiles ou des postures politiques, l'objectif était de chercher ensemble, magistrats, policiers et avocats, les moyens de la mettre en oeuvre efficacement.

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page30

Page 2: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

31le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Mesdames et messieurs,

Pourquoi organiser un débat sur lagarde à vue conjointement avecl'Union Syndicale des Magistrats ?

Parce que je crois que nous parta-geons l'analyse que la chaînepénale est en danger, que nosmoyens de fonctionnement sontinsuffisants face aux charges crois-santes et aux réformes qui s'accu-mulent.

La réforme de la garde à vue à misen évidence ce sentiment communcar elle constitue un point de jonc-tion privilégié entre le travail policieret judiciaire.

Un autre facteur de rapprochemententre nos organisations réside dansla tension des relations police/jus-tice, qui résulte en grande partie descontraintes professionnelles vécuesde part et d'autre dans l'isolement,et du clivage médiatique, provoquéou entretenu, qui en résulte.

En effet, face aux difficultés le pre-mier réflexe est un repli de chacunsur les siennes, et donc un rejet, ouau mieux une ignorance volontaire,des autres.

Mais je crois que la responsabilitédes organisations professionnellesest justement de prendreconscience de cette situation decrise, de l'analyser, et de dépasser

les limites des intérêts decorps pour confronter nosréflexions et travailler à res-taurer la cohérence entrenos actions respectives.

Et je le dis sans acrimonie,les concurrences entreministères ne facilitent pasles relations, sur le terrain,entre les professionnels.

Il fallait donc bien qu'uneautre voix se fasse entendre,celle de la raison, de ceuxqui se trouvent au contactdirect de la matière judiciairepénale et des individus qui lacomposent : victimes,témoins, et auteurs. Cette voix se veut

constructive sans être naïve : sinous recherchons des éléments deconvergence pour aider à un meil-leur fonctionnement de la chaînepénale cela ne doit pas se traduireuniquement par des charges etdes efforts supplémentaires pourles policiers et magistrats, oumême les avocats, mais égale-ment par des moyens adaptés.

Je me tourne là vers les représen-tants élus de la Nation et ceux del'Autorité publique pour leur dire : laFrance a pris un retard considéra-ble dans l'évolution de son systèmejudiciaire pénal, placé dans unespace européen duquel elle nepeut s'extraire.

Ce retard est juridique et budgé-taire, il nous amène à un doubleconstat :

- Le premier, qui est de rendrehommage au travail des acteurs dela chaîne pénale grâce à qui laJustice de notre pays reste l'unedes plus sûres au monde, en dépitd'erreurs dramatiques, mais rares.

Ce constat repose sur la qualité deces acteurs : policiers, magistrats,personnels et auxiliaires de Justicequi transcendent des structures etde moyens notoirement insuffisants.

- Le second est qu'on ne peut ajou-ter sans fin des étages à un édificedont les fondations sont trop fragilesou encore, pour prendre une image

Propos introductifsIntervention de Dominique ACHISPON,secrétaire général du SNOP

Dominique ACHISPON

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page31

Page 3: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

32 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

plus proche de notre sujet, s'offrirune réforme à crédit alors que notrechaîne pénale est déjà en quasi-ces-sation de paiements. Cela s'appellede la cavalerie.

Cette part du constat est tournéevers notre futur proche, celui dejuillet 2011.

Les choix juridiques relativementcontraints qui seront faits pourréformer le régime de la garde àvue auront des conséquencesprofondes sur l'exercice policieret judiciaire et il ne suffira pas deprévisions " au doigt mouillé "pour affirmer que tout ça fonction-nera à moyens constants, commeil serait d'un optimisme excessifd'imaginer que que ce seront lesmêmes acteurs, policiers etmagistrats, qui prendront encoreune fois sur eux d'absorber lescontraintes nouvelles et leurcohorte d'incohérences.

Ce colloque et nos travaux préala-bles sont la preuve de notre senscommun des responsabilités.Nous prendrons toute notre partdans l'effort d'adaptation de notredroit et sa mise en œuvre auprèsdes justiciables, mais cela n'irapas sans les moyens qui nous fontdéjà défaut aujourd'hui.

Un mot encore pour expliquer notresouhait d'associer les représen-tants des avocats à ces travaux.

Ce colloque n'a pas vocation à servir de tribune où se succède-raient des orateurs aussi enflam-més qu'irréductiblement opposés. Tout au contraire, ce projet a été celui

d'un partage apaisé entre profession-nels soucieux du bon fonctionnementde la Justice, dans ses traditionscomme dans sa marche vers uneforme de modernité, si on peut ainsiqualifier la fusion progressive du droitfrançais dans un standard européenqui lui impose ses valeurs.

Dans cette évolution le rôle desavocats est appelé à se renforcerau travers d'un accroissement desdroits de la défense lors de l'en-quête de police. C'est un fait incon-tournable qu'il convient d'organiseravec eux, autant que possible sanspolémique inutile.

" Le Diable est dans les détails "dit-on ; c'est pourquoi les thèmesabordés aujourd'hui intègrent laportée concrète, pratique, de cetteréforme, dans la perspective deson application au quotidien.

Il serait en effet à la fois illusoireet dangereux de limiter la loi futureà l'expression de principes géné-raux que certains pourraientconsidérer comme des victoirespolitiques mais qui seraient, assu-rément, des échecs techniquesprogrammés.

Notre Justice ne peut se le permettre.

Nous avons au contraire exprimétrès tôt notre conviction que cetteréforme doit aller le plus loin pos-sible dans la définition et l'enca-drement des nouvelles règles deprocédure, afin d'éviter que sereproduisent les dérives qui ontsoumis le régime de la garde à vueau gré de courants dominantsvariables selon les époques, avec

le naufrage final que l'on connait. Il nous faut une réforme qui ne soitpas politique, je devrais dire politi-sée, qui ne soit pas non plus tech-nocratique, mais qui soit juridiqueet technique.

N'oublions pas enfin que nous tou-chons là aux libertés constitution-nelles , domaine réservé à loi qui nepeut, en particulier pour ce qui estde la garde à vue, laisser une placeimprudente au règlement ou auxpratiques pour régler des détailsqui à terme nous amèneraient versde nouveaux écueils.

Voilà donc pour conclure les axesqui nous semblent essentiels àcette réforme : celui des moyens,et celui de la cohérence externe etinterne de la loi.

En externe je veux évoquer sonadéquation avec les objectifs quenous devons rechercher et attein-dre pour assurer une meilleuresécurité et une meilleure justice ;en interne il s'agit du " niveau definition " de la loi, si vous me per-mettez cette expression, c'est àdire l'anticipation et l'analyse assu-mée de toutes les conséquencesde ses dispositions.

Je limiterais mon propos à cesquelques mots d'introduction etlaisse le soin à mes collègues qui sesont investis, de longue date, dansce sujet, de poursuivre notre inter-vention sur les thèmes qui ont étéfixés.

Mesdames, messieurs, je vousremercie de votre attention.

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page32

Page 4: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

33le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Mesdames, messieurs,

C’est avec plaisir qu’après les pro-pos liminaires de DominiqueACHISPON au nom du SNOP, jeprends la parole. Je serai brefparce que beaucoup a déjà été ditet qu’à l’USM nous partageonsentièrement cette vision de nosfonctions qui se doivent deconcourir en harmonie à ladéfense du bien et de la sécuritépublics dans le respect des prin-cipes et des standards européenset notamment du respect desdroits de la défense.

Opposer les corps entre eux, nousaccuser sans cesse de corpora-tisme et de conservatisme, cher-cher des responsables est devenuun jeu politique depuis quelquesannées … un jeu dangereux.

Personne ne gagne à saper l’auto-rité de la Justice ou celle de laPolice dans un Etat démocratique. Saper cette autorité, casser etdénigrer sans cesse les corps inter-médiaires, c’est en réalité saperl’autorité de l’Etat, au plus grandbénéfice, pour reprendre uneexpression qu’aime bien lePrésident de la République, desvoyous.

Ecouter les professionnels, lesexperts est une évidence dans denombreux pays. Cette écoute fait

cruellement défaut en France. On levoit tous les jours. On l’a particuliè-rement vu pour cette réforme de lagarde à vue qui nous réunitaujourd’hui.

Nous avions alerté depuis long-temps le Ministère sur le risque decensure des dispositions fran-çaises après les arrêts de la CourEuropéenne des Droits del’Homme condamnant le systèmeturc. On a, place Vendôme et pro-bablement aussi place Beauvau,balayé d’un revers de main notreanalyse et nos inquiétudes …jusqu’au crash de 2010, auxcondamnations concomitantes duConseil Constitutionnel, de laCEDH et de la Cour de Cassation,qui ont ouvert une période transi-toire pleine d’incertitudes juri-diques, générant des tensionsinévitables entre Police et Justice,mais aussi au sein des juridictionsentre magistrats.

Mener dans l’urgence une telleréforme, qui va modifier en profon-deur notre exercice professionnelquotidien est une folie. Une foliequ’il nous faudra assumer, hélasprobablement sans les moyenshumains et matériels qui sont pour-tant nécessaires.

On aurait pu espérer que le pouvoirpolitique en aurait tiré les leçons,mais il n’en est rien. La réforme de

la médecine légale ou celle del’hospitalisation sans consente-ment ont suivi le même chemin.Elles vont compliquer encore unpeu plus chaque jour le travail dechacun des membres de la chainepénale, sources de dysfonctionne-ments potentiels, que l’on essaiera,soyons en persuadés hélas, dansun deuxième temps de reprocherindividuellement aux professionnelsque nous sommes.

C’est ce constat que les profes-sionnels ne sont pas assez écou-tés, ni entendus, qui est à l’originedu rapprochement entre le SNOP etl’USM, comme il l’a été dans unpassé proche entre l’USM et d’au-tres corps de métiers.

Nous ne pensons sans doute pastous la même chose, mais commele disait justement DominiqueACHISPON, nous sommes tousconfrontés aux mêmes difficultéspratiques, pour appliquer destextes, souvent inapplicables avecles moyens qui nous sont dévolus.

Réfléchir ensemble pour proposerdes adaptations pragmatiques,adopter des positions communesapolitiques entre professionnels estessentiel dans le monde média-tique que nous connaissons. Quelmeilleur moyen de montrer que loindes clichés que d’aucuns entretien-nent à dessein, nous ne sommes ni

Intervention de Christophe REGNARD,

Président de l’Union Syndicale des Magistrats,Vice Président de l’union Internationale desMagistrats

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page33

Page 5: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

corporatistes, ni conservateurs,mais que nous voulons juste unsystème aux fondations stabilisées,conforme aux traditions juridiquesfrançaises et aux standards euro-péens, respectueux des droits despersonnes et préservant l’efficacitédes enquêtes.

C’est le sens de l’action menéepar l’USM depuis longtemps.Depuis 2008, nous avons multipliéles discussions et les débats avecl’ensemble des professions quiparticipent à un titre ou à un autreà l’œuvre de Justice : avec lesassociations de victimes aumoment de la réforme de la procé-dure pénale, qui prévoyait la dis-parition du juge d’instruction ;avec les syndicats et associationsde psychiatres sur les questionsde récidive et d’hospitalisationsous contrainte ; avec les avocats,et notamment le CNB, sur laréforme de la procédure pénale et

la formation continue des profes-sionnels du droit ; avec les syndi-cats de la Protection Judiciaire dela Jeunesse sur le droit pénal desmineurs, avec les syndicats dumonde pénitentiaire sur les condi-tions carcérales et le suivi enmilieu ouvert des condamnés …

Travailler avec des policiers, plusencore avec le SNOP, dont nouspartageons la philosophie et laconception d’un syndicalismeapolitique, était donc une évi-dence pour nous. Le paradoxec’est ce qui nous a rapprochés, lesmanifestations de Bobigny contreune décision de Justice, les cri-tiques des plus hautes autorités del’Etat contre magistrats et poli-ciers, conduisant le SNOP àdemander une « union sacrée » etl’USM à solliciter l’organisationd’une table ronde réunissant sousl’égide du Premier Ministre l’en-semble des professionnels de lachaine pénale.

Dès nos premières rencontres,l’idée d’une réflexion commune surla réforme de la garde à vue nous asemblé une évidence. L’actualitédramatique récente, le populismede certains cherchant à fuir leurspropres responsabilités, la partici-pation commune et historique del’ensemble des professionnels de lachaine pénale à la journée de mobi-lisation du 10 février, nous ontdavantage rapprochés.

Notre but aujourd’hui, alors que letexte est en discussion en premièrelecture au Sénat, est simple. Il est demontrer que nous ne nous opposonspas à une réforme dont chacun s’ac-corde à penser qu’elle est néces-

saire, nous cherchons au contraire àla rendre acceptable par tous, pro-tectrice des personnes mises encause et des victimes, capable de nepas entraver inutilement lesenquêtes et la recherche de la vérité.

Le chemin conciliant ces impératifsest étroit. Force est de constaterque le gouvernement et le parle-ment, en proposant et en votant untexte, certes positif sur certainsaspects, mais très largementincomplet et de nature à pérenniserdes difficultés juridiques et pra-tiques sur d’autres, n’ont pasemprunté cet étroit chemin et quel’on peut dès lors craindre demainque cette réforme nécessaire ne setransforme en une réforme catas-trophique.

Peser sur les débats parlemen-taires, montrer que bien des ques-tions ne sont pas réglées par letexte en discussion, dénoncer enamont des problèmes que nousrisquons de rencontrer dansquelques mois, voilà le sens decette après midi, que j’espèreconstructive.

La présence à une même tribunede magistrats, d’officiers et decommissaires de police, d’avocats,de professeurs de droit, de journa-listes, n’est pas si fréquente. Elleest en elle-même réconfortante etsource d’espoir pour l’avenir.

Je n’irai pas plus loin. Il est tempsque les débats s’ouvrent.

Je vous remercie

34 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Christophe REGNARD

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page34

Page 6: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

35le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Pour le Syndicat National desOfficiers de Police, le constat d'unedérive quantitative et qualitative del'usage de la garde-à-vue a été faitdepuis des années, puisqu'uneétude circonstanciée sur ces difficul-tés était conduite par notre syndicatet transmise dès le mois d'avril 2007aux autorités publiques concernées.

En effet il nous était apparu que cenombre n'était pas nécessairementexcessif en lui même, en valeurabsolue, mais surtout en fonctiondes mauvaises raisons -du point devue policier- qui conduisaient àl'adoption d'une part significativedes gardes-à-vue.

Cette étude répondait donc aussi àla question de savoir s'il étaitopportun, ou nécessaire, de réduirele nombre des gardes-à-vue, avantd'aborder les moyens d'y parvenir.

Nous ne referons pas l'inventaireexhaustif de ces mauvaises raisonssur lequel tout le monde s'accorde

plus ou moins. Le ConseilConstitutionnel en a reprisquelques unes des principales cequi légitime, au plus haut niveau,les critiques que nous formulions,et donc, par là même, l'objectif deréduire globalement le nombre et ladurée des gardes-à-vue.

L'analyse que nous faisons encoreà ce jour de l'ensemble de ces rai-sons nous conforte dans l'affirma-tion qu'il est tout à fait possible deréduire significativement le nombredes gardes-à-vue, sans pour autantnuire à l'efficacité des enquêtes ni àla poursuite des personnes misesen cause.

Par contre, s'agissant de la duréedes gardes-à-vue, les contraintesjuridiques et techniques externesnouvelles, venues notamment de lajurisprudence de la CourEuropénne des Droits de l'Homme,nous font fortement douter qu'onpuisse la réduire. Il est même pro-bable que la durée moyenne de lagarde-à-vue augmentera.

S'agissant de la réduction dunombre des gardes-à-vue :

Elle peut être réalisée à deuxconditions :

• l'instauration d'un cadre juri-dique alternatif ;

• la réorganisation des pour-suites "en temps réel".

La justification originelle de lagarde-à-vue est celle des nécéssi-tés de l'enquête. Si les services depolice en étaient restés à cettenotion, nous ne serions réunisaujourd'hui que pour évoquer laquestion des droits des personneslors de la garde-à-vue, et pas cellede leur nombre excessif.

Nous redisons donc ici que les offi-ciers de police judiciaire, pour peuqu'on leur laisse exercer sereine-ment leurs prérogatives et respon-sabilités, sont un élément destabilité, de régulation dans l'usagede la garde-à-vue et que, contraire-ment à certaines présentations quien ont été faites, ils sont très sou-cieux des libertés et des droits despersonnes.

Il suffit à ce titre de constater quedepuis que le débat public autourde la garde-à-vue s'est engagé et aconduit à un relachement des pres-sions hiérarchiques exercées surles OPJ, le nombre des garde-à-vue a naturellement et considéra-blement diminué. On en compte100.000 de moins sur le dernierexercice.

Il nous paraît donc très décalé, pourne pas dire vexatoire, qu'au planlégislatif on puisse envisager uneréduction des gardes-à-vue en limi-

TABLE RONDE n°1 Est-il concrètement possible de réduire le nombre et la durée de lagarde-à-vue ?

Intervention de Michel Antoine THIERS et Chantal PONS MESOUAKI

Secrétaires Nationaux du SNOP

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page35

Page 7: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

36 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

tant les possibilités pour les OPJ depouvoir y recourir, ou encore en ren-dant la mesure si complexe qu'ilsen seraient dissuadés. Noussommes à ce titre défavorables àune limitation liée à la peine encou-rue -on a parlé des délits punis d'aumoins 3 ans d'emprisonnement-car elle exclurait des situations oùla garde à vue serait nécessaire,conduirait à une forme d'impunitéet exclurait la prise en compte desrécidives et des circonstancesaggravantes.

Sur un plan général ce sont biendes contraintes extérieures auxbesoins des enquêteurs qui ontimposé le recours de plus en plusfréquent, pour ne pas dire quasi-systématique dans certains typesde faits ou de circonstances, àcette mesure privative de liberté. Celle qui figure au premier plan parson effet mécanique et contrelaquelle il faudrait légiférer utile-ment est liée à l'exercice de lacontrainte contre les personnes.C'est le paradoxe de la jurispru-dence de la Chambre criminelle dela Cour de Cassation issue de la loisur la présomption d'innoncencede 2000, paradoxe auquel, à cejour, le projet de loi ne répond tou-jours pas.

Ce mécanisme juridique et soneffet sur le garde à vue sont large-ment admis.

Contrainte policière = droitsde la personne = garde àvue.

Certes, les services de policeauraient pu en partie compenser

cette évolution parun recours accru aumode non-coercitifde l'enquête préli-minaire. Mais leurmarge de manoeu-vre n'était pas silarge et il faut rap-peler qu'il y a plusd'affaires délic-tuelles traitées horsg a r d e - à - v u equ'avec garde-à-vue.

Pour autant, l'emploide la contrainte lorsd'une interpellationsuivie d'une"conduite au poste"ne préjuge en riendes nécessités demaintenir cettecontrainte pour lesnécessités de l'enquête.

Outre les conséquences imposéespar l'emploi initial de la contrainte,le mode de traitement judiciairedit "en temps réel" par les par-quets doublait l'obligation de pro-noncer la garde à vue. En effet lesdélais, même faibles, que deman-daient les parquets pour évaluerl'affaire et décider de l'orientationdes poursuites ne pouvaient sepasser de quelques heures degarde-à-vue.

C'est la deuxième raison majeurequi, dans le contentieux "cible" dupetit correctionnel courant de fla-grant délit, a provoqué une multipli-cation des gardes-à-vue.

C'est ainsi que les officiers depolice judiciaire, essentiellement

dans les services généralistes dits"de Sécurité Publique", ont dû pro-noncer un grand nombre degardes-à-vue dont ils se seraientvolontiers dispensés, simplementdu fait que les personnes qui leurétaient présentées avaient étéinterpellées de façon coercitive etque les parquets ne pouvaientfonctionner en temps réel sansgarde-à-vue.

Pour renverser cet effet indésirableil nous a donc paru nécessaire d'or-ganiser un dispositif procéduralpermettant de dissocier les notionsde contrainte et de garde-à-vue.

C'est ainsi qu'une première pro-position du SNOP en 2007 aconsisté à poser les principesd'une "retenue courte" stricte-ment limitée dans le temps, avecun formalisme allégé tout comme

Chantal PONS

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page36

Page 8: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

l'auraient été les contraintesimposées à la personne retenueet, partant, les droits qu'elle auraitpu exercer.

Ce dispositif alternatif à la garde-à-vue avait été repris en 2009 par leComité Léger, avec d'importantesvariations. Cette approche a pourtant forte-ment évolué dans l'avant projet deréforme du Code de ProcédurePénale présenté en 2010 par laChancellerie, qui qualifiait "d'audi-tion libre" la situation d'une per-sonne interpellée puis entenduedans le cadre d'une enquête judi-ciaire, hors garde-à-vue.

Si cette hypothèse répondait à unecertaine logique dans celle, pluslarge, d'une fusion de tous lescadres d'enquête (flagrant délit,préliminaire, information judiciaire)et d'une refonte d'ensemble de laprocédure pénale, traitée isolémentelle avait peu de chances de survie.

Quoi qu'il en soit, feu "l'auditionlibre" voulait également remplirl'objectif d'un cadre juridiquealternatif à la garde-à-vue, mêmeaprès l'usage initial de la coercitionpar les forces de police, ce quinous ramène encore à la jurispru-dence de la Cour de Cassation.

L'ensemble des critiques formuléescontre la "retenue courte" et "l'audi-tion libre" a conduit notre syndicat àfaire évoluer sa réflexion sur lesmoyens d'aboutir à une baisse dunombre des gardes-à-vue en inté-grant de nouveaux paramètres, enparticulier les récentes décisions dela Cour Européenne des Droits del'Homme, mais aussi en anticipant

la réforme globale de la procédurepénale qu'on nous annonce tou-jours comme étant une certitude.

C'est ainsi que nous avons analyséen décembre 2010 que le rapportentre contrainte et garde-à-vuereposait en fait sur une fiction juri-dique, laquelle masquait en défini-tive une carence du droit.

• La fiction est que les droitsde la personne consécutifs àune interpellation coercitivesont, rétroactivement, ceux dela garde-à-vue ; avec l'effet per-vers que l'on connaît, d'obligerà une garde à vue du simple faitde l'interpellation.

• La carence est donc évi-demment celle d'une absencede définition et d'encadrementjuridique de l'interpellation enelle-même. On retrouve d'ail-leurs cette carence dans quasi-ment toutes les hypothèses etles motifs d'interpellation quivont emprunter leur régime juri-dique à celui de la rétention quiy fait suite : retenue douanière,dégrisement, écrou, vérificationd'identité, etc.

Nous en avons donc tiré une pro-position nouvelle de création d'un"droit de la personne interpellée"qui pourrait s'articuler avec tous lescadres d'enquêtes actuels et prévi-sibles pour l'avenir proche.

Pour en faire une traductionconcrète, pratique, on constatequ'il remettrait en cohérence lesdifférentes phases de la confronta-tion entre le justiciable et les ser-vices de police et judiciaires.

Après une interpellation parcontrainte et sa conduite devantl'officier de police judiciaire, la per-sonne pourrait se retrouver dansdeux situations clairement définies :

• Soit l'OPJ estime qu'en toutétat de cause les circonstancespermettent et justifient unedécision de garde à vue et, fina-lement, rien ne changera. Ledroit commun de la garde-à-vues'appliquera ;

• Soit l'OPJ estime qu'il n'apas de motif ou pas de besoinde décider d'une garde-à-vue,et l'interpellation ouvrira néan-moins des droits propres, quipourraient aller jusqu'à l'appeltéléphonique à un avocat, voireun entretien si une permanenceest assurée sur site, commecela existe dans divers pays.

La notification et l'exercice de cesdroits de la personne interpelléepermettraient ainsi de satisfaire lajurisprudence de la Cour deCassation en compensant l'atteinteaux libertés constituée par l'emploide la contrainte à l'égard de la per-sonne lors de son interpellation etde sa conduite devant un officier depolice judiciaire.

La personne étant dès lors replacéedans une position juridique etmatérielle de liberté, plus rienn'obligerait l'officier de police judi-ciaire à prononcer une mesure degarde-à-vue inutile à son enquête,enquête qui pourrait alors se pour-suivre sur un mode exempt decoercition : aujourd'hui celui del'enquête préliminaire qui, à ce jour,ne fait l'objet d'aucune critique endroit interne ou européen.

37le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page37

Page 9: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

Nous restons donc persuadés queseule une innovation législativepermettra d'atteindre l'objectifd'une baisse des gardes-à-vue etque l'aménagement de l'existantse révèlerait insuffisant, sauf àgraver dans le marbre que la juris-prudence de la Cour de Cassationn'existe plus.

Cette innovation devra être attrac-tive pour la chaîne pénale police-justice, c'est à dire permettre unbon fonctionnement tant desenquêtes judiciaires que dans l'or-ganisation des poursuites par lesparquets.

Pour ce qui est du "traitement entemps réel" dont le principe nesemble pas devoir être remis encause, il devra néanmoins êtreaménagé pour s'accomoder aurythme et aux modalités desenquêtes de police diligentées sansgarde à vue. Les magistrats en par-leront mieux que nous.

S'agissant de la réduction dela durée des gardes-à-vue :

Un tel objectif ne peut manifeste-ment pas être poursuivi.

A ce titre, le raisonnement tenudans l'étude d'impact consacrée àcette réforme nous parait tenir dupari, voire de l'utopie, plus qued'une prévision raisonnable.

Schématiquement, la baisse dunombre des gardes-à-vue permet-trait de reporter des moyens maté-riels et humains sur celles quiresteraient, de sorte que leur traite-

ment pourrait en être accéléré mal-gré les contraintes nouvelles quis'y grefferont.

La situation très contrainte desbudgets et des effectifs, rappor-tée aux obligations nouvelles quivont peser sur les enquêtesassorties de gardes-à-vue ne per-mettront pas de procéder à unrééquilibrage des moyens allantvers des gardes à vue pluscourtes ; bien au contraire, nousévaluons que la durée moyenneen augmentera.

Pour l'expliquer il faudrait détaillerquelles sont ces obligations nou-velles, ce qui est l'objet du secondthème de notre colloque.

Un dernier mot sur la décision degarde-à-vue qui revient à l'officierde police judiciaire : cette mesurereste bien souvent nécessairepour la recherche et l'expressionde la vérité. Si leur nombre doitbaisser, ce sera parce que desjusticiables accepteront de parti-ciper de leur plein gré, libre-ment, à l'émergence de cettevérité. Dans le cas contraire, tôtou tard, une contrainte devras'exercer.

Sur ce point nous ne partageonspas les critiques d'une garde-à-vue qui "fabriquerait une véritépolicière" qui, à l'audience, devien-drait une vérité judiciaire. Les casdans lesquels les conclusionsd'une enquête de police sont infir-mées au fond restent très raresalors que les preuves contrairespeuvent être librement produitespar la défense, que les carences oules mauvaises orientations dans

les vérifications peuvent êtredénoncées sans réserve.

Il faut donc bien reconnaître queles enquêtes de police, mêmesans faire de place au contradic-toire, sont soumises à des règleset des contrôles assez efficaces,jusqu'à la décision des juges dusiège.

Leur efficacité est à ce prix : celuid'un temps d'enquête à charge et àdécharge, de la mesure la pluscomplète possible de l'implicationdes personnes soupçonnées, c'està dire de l'absence d'élémentsjusqu'aux preuves les plus acca-blantes.

Neutraliser la garde-à-vue au fauxprétexte d'en finir avec une culturede l'aveu qui a disparu depuis déjàlongtemps, ce serait en réalitéempêcher les enquêtes et laisserles crimes et délits impunis par destribunaux désamparés, privésd'éclairage sur les faits comme surles personnes.

Le temps de l'enquête et de lagarde-à-vue n'est pas celui du pro-cès, mais rien n'interdit qu'au pro-cès, on fasse aussi celui del'enquête, si elle est fautive.

Le diminution du nombre desgardes-à-vue ne doit donc pasrésulter d'une paralysie des ser-vices d'enquête mais bien de choixprocéduraux plus ouverts et adap-tés au divers types de faits, qualifi-cations et circonstances.

38 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page38

Page 10: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

39le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

INTRODUCTION

1- Pourquoi cette question sepose ?

• Un problème de droit

Le régime français de la garde àvue, tel qu'issu principalement desLois n°93-2 du 4 janvier 1993 por-tant réforme de la ProcédurePénale, n°2000-516 du 15 juin 2000renforçant la présomption d'inno-cence et n°2004-204 du 9 mars2004 portant adaptation de la jus-tice aux évolutions de la criminalité,est aujourd'hui incompatibleavec les normes européennes.

La survenance récente de plusieursdécisions concordantes du ConseilConstitutionnel, de la CourEuropéenne des Droits de l'Hommeet de la Cour de Cassation n'a faitque mettre en évidence de manièreincontournable une situation pour-tant déjà connue depuis long-temps.

En effet, dès 2008-2009 et le pro-noncé par la Cour Européenne des

arrêts Salduz c. Turquie1 etDayanan c. Turquie2, l'attention duGouvernement avait été attirée surl'incompatibilité du régime françaisavec le droit européen relativementnotamment à l'assistance de l'avo-cat en garde à vue. Ignorant les évi-dences et les remarques de l'USM,la Chancellerie avait alors préférédiffuser une circulaire indiquant enquoi le régime français était parfai-tement conforme aux normes supranationales … !

De la même manière, dès le 10 juil-let 2008 et le prononcé de l'arrêtMedvedyev c. France3, leGouvernement ne pouvait plusignorer l'incompatibilité du statutde dépendance du Parquet àl'égard de l'exécutif avec laConvention européenne.

A l'identique, la Chancellerie apourtant préféré prendre des posi-tions officielles manifestementcontraires au droit européen !

En attendant qu'une situation iden-tique se produise s'agissant du sta-tut du ministère public ..., la Courde Cassation et la ConseilConstitutionnel ont donné auGouvernement et au Législateur undélai expirant le 1er juillet 2011pour réformer le régime de la gardeà vue.

• Un problème social

Avec près de 800.000 mesures de

gardes à vue en 2009 contre envi-ron 300.000 en 2001, l'augmenta-tion du volume global de recours àcette procédure est l'une descauses principales de saturation dusystème d'autant plus que près de200.000 gardes à vue en 2009concernaient des infractions rou-tières.

Les causes de cette évolution délé-tère sont bien connues.

L'introduction du nombre degardes à vue par année dans lesindicateurs de performance desservices de police est un facteurmajeur. Cette situation est aggra-vée par une approche souventbasique de cette donnée bruterarement corrélée au nombre d'af-faires élucidées ou au type decontentieux en cause4.

De la même manière, la prise encompte prépondérante au niveaudes Parquets d'une approche sta-tistique du nombre d'affaires trai-tées et ayant donné lieu à uneréponse pénale a largement favo-risé la culture du « traitement entemps réel »

1 Salduz c. Turquie – 27 novembre 2008– req. n°36391/02 2 Dayanan c. Turquie – 13 octobre 2009– req. n°7377/03 3 Medvedyev c. France – 10 juillet 2008– req. n°3394/03 4 Constat et réflexions sur l'évolution dela garde à vue – Michel-Antoine THIERS– SNOP – Avril 2007

Du droit des personnes gardées à vue au droit des personnes suspectéesIntervention de Nicolas LEGER, Secrétaire National de l’USM

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page39

Page 11: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

40 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

généralisée des infractionspénales. Or, dans ce contexte « d'efficacité statistique » le recoursà la simple convocation pour audi-tion par les services de police ou degendarmerie a cédé la place à l'in-terpellation systématique des per-sonnes suspectées imposant,conformément à la jurisprudenceconstante de la Cour de Cassation,le placement en garde à vue et lesrigueurs qui s'y attachent.

La combinaison de ces deux fac-teurs explique dans le mêmetemps l'augmentation incontrô-lée du nombre de gardes à vue etla progression au sein de lapopulation du sentiment que « nul n'est à l'abri d'une garde àvue » qui ne serait plus réservéeaux seuls « vrais délinquants »d'où un souhait largement par-tagé d'encadrer cette mesure etde renforcer les droits du gardé àvue.

2- Vers quels objectifs ?

Réduire le nombre des GAV...certes. Mais cet objectif n'est pasune fin en soi.

C'est en fait la refonte de notre sys-tème d'enquête qui est en ligne demire.

Une telle réforme n'est pas simple.

Les évolutions de notre société l'ontrendue en effet particulièrementsensible dans un même temps:

• au respect de la dignité despersonnes placées entre lesmains de l'autorité publique; • à l'efficacité des enquêtespénales et à la recherche descoupables de crimes ou délits; • à l'égalité de traitemententre tous face aux procédures;

Ces évolutions marquent à l'évi-dence un progrès des conscienceset du degré de civilisation maiscontraint le système pénal, plongédans un état de pénurie générali-sée, à s'adapter à des exigences deplus en plus fortes quoique contra-dictoires par certains aspects.

Dans cet esprit, l'USM partage largement l'objectif affiché par leParlement5 de concilier trois impé-ratifs fondamentaux:

— le respect des libertés; — l'efficacité des enquêtes; — la préservation des droitsdes victimes;

QUELLE REFORME POURREDUIRE LE NOMBRE DEGARDES A VUE

La garde à vue n'est évidemmentpas une mesure isolée qui existepour elle-même. Elle n'a qu'uneseule raison d'être, c'est decontribuer à la manifestation dela vérité dans le procès pénal.

La question de la réforme de lagarde à vue doit donc s'inscriredans le contexte beaucoup pluslarge du droit à un procès équitablequi ne doit pas être ignoré, négligéou délibérément contourné.

La Cour Européenne des Droits del'Homme considère ainsi au visa del'article 6 de la Convention que ledroit de ne pas contribuer à sapropre incrimination est unenorme au cœur de la notion de pro-cès équitable dont le but est de « protéger l'accusé contre unecoercition abusive de la part desautorités et, ainsi, d'éviter leserreurs judiciaires » 6. Cela impliqueque l'accusation doit fonder son

argumentation sans recourir à deséléments de preuve « obtenus par lacontrainte ou des pressions aumépris de la volonté de l'accusé » 7.

Cet impératif est renforcé en casd'exercice d'une contrainte sur lapersonne suspectée: « le droitpour toute personne gardée à vued'être assistée d'un avocat dès ledébut de cette mesure ainsi quependant les interrogatoires, a for-tiori lorsqu'elle n'a pas été infor-mée par les autorités de son droit àgarder le silence ».8

L'architecture générale du nou-veau système, dont l'objectif affi-ché est d'encadrer le recours à lagarde à vue afin de limiter lenombre de ces mesures, doitainsi permettre de s'assurerqu'en toute hypothèse, les décla-rations de la personne suspec-tée, quelles que soient lesconditions de son audition,seront faites « sans contraintesou pressions » au sens de la juris-prudence européenne.

Or, pour des raisons diverses, lelégislateur s'est engagé sur uneapproche minimaliste, ne traitantlagarde à vue que pour elle même,

5 Rapport n°3040 enregistré à laPrésidence de l'Assemblée Nationale le15 décembre 2010 – Philippe GOSSELIN 6 Notamment, Bykov c. Russie -n°4378/02 §92 10 mars 2009 ou JohnMurray §45 7 Notamment Saunders c. Royaume Uni- 17 décembre 1996 §§68-69 Allan c. Royaume Uni - n°48539/99 §44 Jalloh c. Allemagne - n°54810/00 §§99-117O'Halloran et Francis c. Royaume Uni -n°15809/02 et 25624/02, §§53-63, 8 Salduz c. Turquie – n°36391/02 §§50-62 Dayanan c. Turquie – n°7377/03 §§30-34 Boz c. Turquie – n°2039/04 §§33-36

Adamkiewicz c. pologne – n°54729/00§§82-92

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page40

Page 12: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

41le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

sans l'intégrer dans l'ensembleplus vaste qu'est la norme du pro-cès équitable.

Comme, de manière diffuse, cetimpératif est ressenti par leParlement, le texte actuel, construitsur un postulat inexact, débouchesur une formulation incohérente (1),une approche globale permettraitde concilier les impératifs (2)

1- L'approche minimaliste … quiconduit à une incohérencemajeure

N'approchant la réforme que sousl'angle minimaliste de la « réductiondu nombre de garde à vue », laréforme débouche sur une incohé-rence majeure:

— l'approche minimaliste:limitation du recours à la GAV...

Le texte issu des travaux del'Assemblée Nationale9 et du Sénatprévoit en son article 1er d'instaurerdes critères impératifs de place-ment en garde à vue copiés surceux qui permettent actuellementle placement en détention provi-soire:

« Art. 62-3. – La garde à vue est unemesure de contrainte décidée parun officier de police judiciaire, sousle contrôle de l’autorité judiciaire,par laquelle une personne à l’en-contre de laquelle il existe une ouplusieurs raisons plausibles desoupçonner qu’elle a commis outenté de commettre un crime ou undélit puni d’une peine d’emprison-nement est maintenue à la disposi-tion des enquêteurs dès lors quecette mesure constitue l’uniquemoyen de parvenir à au moins undes objectifs suivants : « 1° Permettre l’exécution desinvestigations impliquant la pré-

sence ou la participation de la per-sonne ; « 2° Garantir la présentation de lapersonne devant le procureur de laRépublique afin que ce magistratpuisse apprécier la suite à donner àl’enquête ; « 3° Empêcher que la personne nemodifie les preuves ou indicesmatériels ; « 4° Empêcher que la personne nefasse pression sur les témoins oules victimes ainsi que sur leurfamille ou leurs proches ; « 5° Empêcher que la personne nese concerte avec d’autres per-sonnes susceptibles d’être sescoauteurs ou complices ; « 6° Garantir la mise en œuvre desmesures destinées à faire cesser lecrime ou le délit.

L'instauration de ces critères estconforme aux souhaits de l'USMd'encadrement de la garde à vue afinde réserver cette mesure aux situa-tions où elle est effectivement utile.

Il est probable que dans un nombrenon négligeable de cas (notammenten matière d'infractions routières)ces critères permettront d'éviter lerecours à la garde à vue.

Reste une difficulté majeure. Lescritères choisis n'étant pas « objec-tifs » (type d'infraction, durée de lapeine encourue...), ils seront néces-sairement sujet à interprétation etdonc à contentieux.

L'approche traditionnelle quiconsistait à voir dans la garde à vueune mesure « favorable » car pro-tectrice des droits n'aura plus courtsous le nouveau régime puisquecette mesure devient subsidiaire.Dès lors l'interprétation de ces cri-tères au stade de l'audience serasource d'annulation de procédureet d'insécurité juridique.

Sans doute pourrait on atteindre lemême objectif de réduction duvolume de garde à vue avec des cri-tères objectifs non discutables enlimitant par exemple le recours à cettemesure aux enquêtes portant sur descrimes ou des délits faisant encourirplus de 3 années d'emprisonnement(Cf régime du placement en déten-tion) et ainsi assurer une véritablesécurité juridique des procédures.

— … une incohérencemajeure : pas de régimealternatif construit...

Les problèmes commencent lorsquese pose la question des modalitésd'auditions venant se substituer à lagarde à vue... car il est une évidence:il y aura toujours des suspects d'in-fraction à entendre même si l'on nerecourt pas à la GAV...!

C'est toute la question de l'auditionlibre.

Or, le projet de Loi supprime for-mellement l'audition libre initiale-ment prévue dans le projet de Loigouvernemental.

La commission des Lois del'Assemblée Nationale (suivie encela par la commission des Lois duSénat) explique ce choix de lamanière suivante: « le problèmeessentiel de ce dispositif étaitl'absence de reconnaissancedes droits du suspect entendulibrement. Le dispositif ne prévoitpas de notification des droits de lapersonne librement entendue,notamment de son droit de se taire,si bien qu'il pouvait être abusé del'ignorance de la personne desdroits auxquels elle renonce en évi-tant la garde à vue. L'assistance de

9 Assemblée Nationale - texte adopté n°597 –

25 janvier 2011

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page41

Page 13: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

42 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

la personne par un avocat n'étaitde même pas prévue, ce qui sem-ble contraire à la jurisprudenceeuropéenne de la Cour européennedes Droits de l'Homme (...) »10

Certes mais la réflexion ne peuts'arrêter là!

Une fois ce constat fait, il fallaitbien évidemment prévoir lesmodalités de l'audition de ceux,suspects, qui ne seront pas pla-cés en Garde à Vue...

Plus rien dans le texte sur cettequestion !

Une simple réminiscence de l'audi-tion libre subsiste à l'article 11bis duprojet de Loi introduisant un alinéa àl'article 73 du CPP ainsi rédigé : I. – L’article 73 du même code est

complété par un alinéa ainsi rédigé :« Lorsque la personne est présen-tée devant l’officier de police judi-ciaire, son placement en garde àvue, lorsque les conditions de cettemesure prévues par le présent codesont réunies, n’est pas obligatoiredès lors qu’elle n’est pas tenuesous la contrainte de demeurer à ladisposition des enquêteurs. Le pré-sent alinéa n’est toutefois pas appli-cable si la personne a été conduitepar la force publique devant l’offi-cier de police judiciaire. »

Ce texte qui ne s'applique qu'àl'hypothèse de l'interpellation parun citoyen (art. 73 CPP) n'a évi-demment qu'une portée résiduelle.

Bref, il n'existe plus aucun régimed'audition encadrée pour les sus-pects non placés en garde à vue!

Pourtant, le Législateur confusé-ment conscient que des droits fon-damentaux devraient s'attacher àcette modalité d'audition introduit

même un article préliminaire dansle Code de Procédure Pénale:

« En matière criminelle et correc-tionnelle, aucune condamnation nepeut être prononcée contre unepersonne sur le seul fondement dedéclarations qu’elle a faites sansavoir pu s’entretenir avec un avocat« ou/et » être assistée par lui. »

Or, cette disposition rend impossi-ble les aveux librement consentissans avocat devant les enquêteurs.

Si cette approche est dans la droiteligne du droit européen pour lespersonnes placées sous contrainte(GAV) … elle est rigoureusementincohérente avec les auditionslibres ...

Au final, pour recueillir des aveuxlibrement consentis ... l'OPJ n'auraitque pour seule possibilité de... pla-cer en garde à vue la personne afind'attendre l'assistance du conseil...et toute la réforme s'écroule...!

2- L'approche globale … lesdroits du suspects

Sans se focaliser sur la seule garde

à vue, l'approche doit être pluslarge, plus haute...!

Gardé à Vue ou entendu librement,le suspect présente une qualitéfondamentale qui définit l'ampleurdes droits dont il doit bénéficierdans un Etat de droit... : il est « accusé en matière pénale ».

Réduire le nombre des gardes à vueen ignorant cette réalité n'aboutiraqu'à :

10 Rapport AN n°3040 précité p.43— soit la création d'un nouveausystème également incompa-tible avec la norme internatio-nale et européenne (desauditions libres non encadrées) — soit l'échec de la réformepar le placement systéma-tique en GAV de tous les sus-pects pour pouvoir les entendrerégulièrement

Le Pacte international relatif auxdroits civils et politique 11 prévoitque toute personne accuséed'une infraction pénale a droit « àdisposer du temps et des facilitésnécessaires à la préparation de sadéfense et à communiquer avec leconseil de son choix ».

La Cour européenne énonce régu-lièrement que « l'article 6 exige nor-malement que le prévenu puissebénéficier de l'assistance d'un avo-cat dès les premiers stades desinterrogatoires de police » 12

compte tenu de « l'importance dustade de l'enquête pour la prépara-tion du procès, dans la mesure oùles preuves obtenues durant cettephase déterminent le cadre danslesquels l'infraction imputée seraexaminée au procès »13.

11 Article 14 §3 b) 12 Salduz c. Turquie précité §52 13 Can c. Autriche – n°9300-81 §50

Nicolas LEGER

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page42

Page 14: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

43le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Selon la Cour, « un prompt accès àun avocat fait partie des garantiesprocédurales auxquelles la Courprête une attention particulièrelorsqu'elle examine la question desavoir si une procédure a ou nonanéanti la substance même du droitde ne pas contribuer à sa propreincrimination »14

Dans l'arrêt Salduz 15, la Cour tireune conséquence radicale de l'ab-sence d'avocat en considérant « qu'il est porté une atteinte irré-médiable aux droits de la défenselorsque des déclarations incrimi-nantes faites lors d'un interroga-toire de police subi sansassistance possible d'une avocatsont utilisées pour fonder unecondamnation ».

Aussi, pour être en cohérence avecla norme internationale et euro-péenne, le texte devrait explicite-ment prévoir que, dans l'hypothèseou une personne est suspectéed'avoir commis un crime ou un délitson audition ne peut se fairequ'après l'avoir informé:

— du fait qu'elle est officielle-ment suspectée d'avoir commistelle infraction; — de son droit à se taire; — de son droit à l'assistanced'un conseil; — et à défaut du fait que lesdéclarations qu'elle fera sontsusceptibles d'être retenuescomme éléments de preuve.

Cette position a également étéexprimée devant la Commissiondes Lois de l'Assemblée Nationalepar le Professeur Frédéric SUDREqui estimait également que « pourla jurisprudence européenne, toutemise en accusation en matièrepénale implique l'application desgaranties du procès équitable »16. Seule une évolution du texte

incluant un régime d'audition alter-natif à la garde à vue et ouvrant à lapersonne suspectée les droits fon-damentaux résultant des normeseuropéennes du procès équitablepermettrait d'aboutir à un ensem-ble cohérent.

Ce dispositif remanié de « l'audi-tion libre » prévoirait ainsi que toute « personne suspectée d'avoir com-mis un crime ou un délit et enten-due sans être placée en garde àvue est immédiatement informéepar un officier de police judiciaireou, sous le contrôle de celui ci, parun agent de police judiciaire, dansune langue qu'elle comprend, lecas échéant au moyen de formu-laires écrits:

1° de la nature et de la date présu-mée de l'infraction qu'elle est soup-çonnée d'avoir commise ou tentéde commettre

2° du fait qu'elle bénéficie: - du droit d'être assistée par unavocat, - du droit lors des auditions, aprèsavoir décliné son identité, de fairedes déclarations, de répondre auxquestions qui lui sont posées ou dese taire

Il s'agit là d'une exigence fonda-mentale au regard également del'efficacité et de la sécurité juridiquedes procédures afin d'éviter que lesdéclarations du suspect dans cesconditions ne soient purement etsimplement écartées des débatsultérieurs.

CONCLUSION

Réduire le nombre des gardes àvue... c'est possible ! Créer une procédure alternativecohérente qui préserve les droits

des suspects et l'efficacité desenquêtes … c'est mieux !

Cela serait possible de manièrefinalement assez simple...

Ni Magistrats, ni policiers, ni avo-cats ne sont hostiles à cette évolu-tion générale qui préservel'efficacité des enquêtes et consti-tue un indéniable progrès de notresystème judiciaire.

Reste la traditionnelle question...pourquoi le législateur n'a pas suivicette voie... dont il ressent confusé-ment l'importance... ?

Une seule explication logique...finalement toujours la même: laquestion des moyens mis au ser-vice de cette réforme essentielle.Le financement de l'assistance del'avocat en garde à vue, de la miseà niveau des locaux et des autresdroits notamment médicaux reste àce jour très flou... Etendre le cadrede l'intervention du conseil aux pro-cédures d'audition libre n'est finale-ment perçue que comme un coûtsupplémentaire...d'où un numérod'équilibriste pour réduire à la por-tion congrue le rôle de l'avocat enmême temps que le nombre deGAV...

A toujours vouloir afficher degrands principes sans s'en don-ner les moyens, on aboutit finale-ment systématiquement à viderde toute substance ces mêmesprincipes...

14 Jalloh c. Allemagne – n°54810-00 §100 Kolu c. Turquie – n°35811/97 §51

15 §55 16 À l'occasion de la table ronde sur lesimplications des récentes jurisprudencessur la réforme de la garde à vue - précitée

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page43

Page 15: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

44 le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

Quelle que soit la loi finalementvotée, les professionnels l’appli-queront parce que c’est leur devoiret leur responsabilité. C’est dès lorsen amont qu’ils doivent alerter surles conséquences possibles d’untexte imprécis.

Or ce texte pose de réelles ques-tions relatives tant aux conditionsmatérielles dans lesquelles pour-ront s’exercer les nouveaux droitsdes gardés à vue, notamment ledroit à l’avocat, que sur la portéeréelle de ceux-ci, en raison d’uneinterprétation possible des textes.

1 – Combinaison des articlesrelatifs à la présence de l’avocaten garde à vue et de l’article pré-liminaire du Code de Procédurepénale

Au-delà de ce qui a été dit précé-demment, toute la questiondevient donc d’interpréter le textepour savoir si la présence de l’avo-cat est un droit ou devient uneobligation. La lecture du texte du projet

laisse penser qu’il s’agit d’undroit, l’officier de police judiciairen’étant alors tenu qu’à une obli-gation de moyens : il doit notifier àla personne gardée à vue son droità s’entretenir avec un avocat et àêtre assisté par lui lors des audi-tions (articles 63-3-1 et suivants duCPP), mais la personne peut renon-cer à ce droit, et si elle souhaite unavocat, l’OPJ peut néanmoinsentamer l’audition sans avocat sicelui-ci ne s’est pas présenté aprèsun délai de 2 heures ; lorsqu’il seprésente, son client peut choisir des’entretenir simplement avec luisans qu’il l’assiste lors des audi-tions, d’être assisté directementsans entretien préalable, ou debénéficier de l’ensemble de cesdroits.

Aucune nullité n’est encourue sices principes sont respectés maisque la personne ne souhaite pasd’avocat ou que celui-ci ne se pré-sente pas.

Toutefois, ces dispositions, misesen parallèle avec l’article prélimi-naire du code de procédurepénale, dans sa dernière versionet surtout avec la lecture des tra-vaux parlementaires laissent plu-tôt penser que la présence del’avocat est, de fait, obligatoire. Eneffet, si la personne ne peut êtrecondamnée au vu de ses seulesdéclarations faites sans avoir pus’entretenir avec un avocat ET sans

avoir été assistée par lui, cela rendinopérantes toutes les auditionsprises alors que la personne a refuséle droit à avocat, a souhaité êtreassistée sans entretien préalable, ouaprès celui-ci n’a pas souhaité êtreassistée. Il en sera de même danstous les cas où l’avocat ne se pré-sentera pas. C’est ainsi la porteouverte aux manœuvres dilatoires etaux blocages de l’enquête lorsquel’avocat ne pourra se présenter.

La procédure serait alors régulièreau regard des dispositions des arti-cles 63-3 et suivants du cpp,aucune nullité n’étant encourue,mais les déclarations, au fond, nepourront servir à la condamnation,si elles ne sont pas corroborées pard’autres preuves. Tout au plus, ilsemble quand même que l’OPJpuisse utiliser les déclarationsmême faites sans avocat pour envérifier la véracité…

Il nous apparait plus sage derevenir à une rédaction pluspragmatique et pour autantconforme à la jurisprudenceeuropéenne rappelant que l’en-tretien ou l’assistance d’un avo-cat sont un droit, mais qu’il s’agitlà d’une obligation de moyensmise à la charge de l’OPJ, laforce de la preuve devant alorss’apprécier en fonction desconditions de recueil des décla-rations et selon qu’elles sont ounon corroborées.

Table ronde n° 2Comment gérer pragmatiquement les nouveaux droits créés ?Intervention de Virginie VALTON

Vice Présidente de l’USM

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page44

Page 16: GARDE À VUE : CE QUE VEULENT LES PROFESSIONNELS ”€¦ · “ garde À vue : ce que veulent les professionnels ” Le SNOP et l’USM ont organisé conjointement un colloque qui

45le nouveau pouvoir judic ia ire - n° 394 - avr i l 2011

2 – Le calendrier de la garde à vue

Quelle que soit la lecture qui doive enêtre faite, le texte n’est pas plus pré-cis sur le calendrier de la garde à vue.

Le rapport de la commission deslois du Sénat précise que le délaide deux heures entre l’avis àl’avocat et le début de l’auditionn’a à être respecté que lors de lapremière audition ; toutefois letexte ne le précise pas…

Dès lors, qu’en est il si l’avocat s’estprésenté, a assisté son client lors dupremier interrogatoire et n’est pasprésent lors des interrogatoires sui-vants ? Faut-il systématiquementlaisser passer un nouveau délai decarence, ce qui allongerait de fait ladurée de la garde à vue ou pourraitaussi constituer un moyen dilatoirede retarder l’enquête ?

Quand bien même ce ne serait pasle cas, quel serait le sort réservé auxaveux obtenus dans ce nouvel inter-rogatoire, alors que le gardé à vue apu s’entretenir avec son avocat aupréalable, mais n’a pas été assistépuisque le texte issu des travaux dela commission prévoit les deuxconditions comme cumulatives ?

Or l’avocat ne pourra être disponi-ble systématiquement et si enthéorie, il est toujours possible deprévoir un programme d’auditions,celui-ci ne peut être qu’indicatifpuisqu’en cas de rebondissement, denouvelles déclarations d’un co-gardéà vue, un nouvel interrogatoire ou uneperquisition peuvent s’avérer utiles demanière plus urgente… Faudra t ilalors attendre l’avocat quitte à allon-ger la durée de privation de libertépour sécuriser la procédure ?

3 – Le différé dans l’assistancedu gardé à vue par l’avocat

Je ne reviendrai pas sur ce quevient de dire le SNOP et avec lequell’USM est entièrement d’accord.

En l’état des textes, si le procu-reur peut différer l’avis à famille,c’est pour éviter que des élé-ments de l’enquête soient portésà la connaissance de complicesou co auteurs et éviter la dispari-tion de preuves.

Prévoir la même possibilité pourl’entretien avec l’avocat présup-pose une méfiance à son égardalors que d’une part, en cas dedoute sur la déontologie de ceconseil, il est toujours possible desolliciter l’intervention du bâton-nier et d’autre part qu’en cas demanquement aux règles déontolo-giques des sanctions sont pré-vues.

De plus, s’il peut se concevoirqu’une audition soit entaméeavant l’expiration du délai dedeux heures lorsque le but estpar exemple de retrouver unevictime séquestrée, il apparaitincompréhensible dans un texterenforçant les droits de ladéfense, de considérer dans lemême temps que l’avocat seraitun frein à l’enquête et que lesméthodes policières seraientplus efficaces sans lui.

Surtout, au-delà du risque decontournement de la procédure,c’est la porte ouverte à tout uncontentieux de nullités et donc unesource d’insécurité juridique, a for-tiori si la décision de différer lesdroits est décidée par le parquet,organe de poursuite, d’autantqu’au vu de l’article préliminaire,on voit mal l’intérêt de différer ledroit à l’avocat pour obtenir desaveux qui ne pourraient êtreexploités ultérieurement……

4 – Les régimes dérogatoires

La même question se pose pour lesrégimes dérogatoires, en matièrede terrorisme, de criminalité etdélinquance organisée.

Ces contentieux exigent souvent desinvestigations plus longues, soit à rai-son de la complexité des faits eux-mêmes, des réseaux, soit à raison dela pluralité des auteurs. Il n’apparaitdès lors pas choquant que le délaimaximum de garde à vue soitallongé, à la condition qu’au termed’un délai de 48 heures, la per-sonne soit présentée à un jugepour prolongation, conformémentaux exigences européennes.

Par contre et comme l’a développéle SNOP, il ne nous parait pasjustifié que la personne soit pri-vée d’une partie de ses droits etnotamment de la possibilitéd’être assistée d’un avocat, afortiori au regard de la rédactionactuelle de l’article préliminaire.

D’une part, il existe aussi un risqueque pour contourner la présencede l’avocat certains soient tentésde retenir une qualification permet-tant un régime dérogatoire et doncun avocat différé. D’autre part, c’est prendre lerisque, que toutes les déclarationsfaites avant la 48ème ou la 72ème

heure suivant le régime, soientécartées des débats, l’incidenceen étant alors supportée par lesvictimes et la société toute entière.

En tout état de cause, soit les cri-tères pour différer ce droit sontobjectifs (comme c’est le casactuellement : le droit à l’avocat estipso facto différé pour ces infra-ctions) soit ils sont subjectifs surdécision motivée, et c’est la voieouverte à tout un contentieux de

COLLOQUE GARDE A ̀ VUE

3105685_94214-4:USM NPJ 373 3055680 11/04/11 12:07 Page45