Game of Thrones : Pourquoi un tel succès ?

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PACE “Game of Thrones, pourquoi un tel succès” omas Rousseau Télécom Paristech Promo 2015 [email protected]

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Projet PACE 1ère année à Télécom Paristech

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PACE

“Game of Thrones, pourquoi un tel succès”

Thomas RousseauTélécom Paristech

Promo [email protected]

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Pourquoi un tel succès ?

Game of Thrones, Le Trône de Fer en français, série événement produite par la chaîne américaine HBO, dont la diffusion a commencé en 2011, n’a cessé de surprendre et d’interroger.

Basée sur la saga d’heroic fantasy (sci-ence fiction médiévale) de George R.R. Martin, dont la réputation n’est pus à faire, cette série au parfum sombre et médiéval a su mettre en émoi toute la communauté de fans de ce genre littéraire, tout en créant un énorme buzz sur la toile. Déjà deux saisons produites, correspon-dant aux trois premiers tomes de la série de ro-mans, et une troisième promise pour le mois d’avril 2013. Une série au rythme effréné, vi-suellement impeccable, un univers chaotique et complexe, une centaine de personnages, des paysages et décors aussi impressionnants que sublimes, des retournements de situation et un suspense intenable pour les non-lecteurs, tout ceci a su faire le succès d’une saga de fiction moderne et prenante.

Cependant, on est en droit de s’inter-roger sur ce succès. Il s’agit d’un sous-genre plutôt peu ou mal représenté sous forme de série télévisuelle. Il règne de plus dans le milieu de la production de ces séries une concurrence implacable, et des coûts souvent monstrueux, si l’on considère les quelques centaines de millions de dollars qu’a coûté la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. On a également af-faire à une série fortement critiquée, agressée de tous cotés, souvent à cause d’un trop plein de violence explicite, ou d’érotisme trop insistant. Tout porte à croire à un succès atypique, basé sur un roman qui, il y a quelques années, était encore confidentiel relativement à ce qu’il est devenu plus récemment. Mais peut être est ce justement ce support papier qui a porté la série, apportant une communauté de fans préexistan-te, et participant ainsi à son succès colossal.

p12 Argent & Seriep20 Diffusion & Piratesp22 Reception & CritiqueP28 Livres & Adaptation

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Une carte de l’univers de George R.R. Mar-tin, disponible au début du roman, chose très classique dans ce genre littéraire

C’est à travers ces multiples facettes que l’on tentera de comprendre les causes de ce phénomène médiatique, qui n’a eu que peu d’égal ces dernières années. On se tournera vers la chaîne HBO, dont cette série est l’inves-tissement le plus récent, avant de décortiquer le contenu de la série et ses critiques, et enfin on appréciera le regard de l’auteur George R.R. Mar-tin sur cette œuvre, et toute la communauté de fan que cette adaptation a fédéré dans une dynamique col-lective.

Avant même d’aborder et d’analyser la production de la série, il est essentiel de dress-er un résumé de l’univers afin de vous plonger dans la série. Les puristes seront offensés, tant il semble impossible de condenser un univers si riche en quelques lignes, mais il s’agit là unique-ment de donner quelques repères visuels.

Notre curiosité est rap-idement piquée par ces affiches d’HBO, sou-vent assez sombres, ici pour la diffusiWon de la deuxième saison

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L’histoire se déroule sur les deux conti-nents fictifs de Westeros et d’Essos, le premier rappelant l’Europe médiévale tandis que le sec-ond a quelque chose de plus exotique, tirant sur le Moyen Orient. Le fil principal de l’histoire prend place sur Westeros, où se situe King’s Landing, Port Real en français, la capitale en quelque sorte de cet univers. Là bas se trame une sombre lutte pour le Trône de Fer, opposant la famille Stark, venant du nord, froids, et accor-

dant une grande place à l’honneur, à la famille Lannister, manipulateurs fourbes et avides de pouvoirs. Puis viennent deux trames secon-daires ; au nord, l’hiver arrive, et des êtres aussi surnaturels qu’emplit de cruauté s’apprêtent à fondre sur le continent. Et à l’est, une princesse, Daenerys Targaryen, dernière descendante des «  dragons  », dépossédée de son trône, mûrit l’idée de le reconquérir

Bien qu’ils prennent leur temps pour apparaitre dans la série, les dragons, ici accompagné de Daenerys, permettent de nous évader des intrigues politiques

Le monde des puissants ne peut rester paisible très longtemps. En haut, la famille Stark, attendant la venue du roi. En bas, la famille Lannister, mère et fils, qui ten-teront tout pour accéder au trône

“The Wall”, le Mur, dernier rem-part entre le monde civilisé et une nature hostile et cruelle

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L’argent, toujours l’argent me direz vous. Il s’agit néanmoins d’une piste pertinente lor-squ’on cherche à expliquer une telle perfor-mance. Est-il la garantie du succès d’une série ? On peut trouver de nombreux exemples de séries plutôt confidentielles voire abandonnées (The Legend of the Seeker, The Women’s mur-der club ...), mal mises en scène, ou s’adressant à un public trop restreint, et pour lesquelles on est néanmoins surpris par un budget souvent important. Plusieurs millions de dollars, au moins pour l’épisode pilote. Est-ce une ques-tion de public ? Là encore, rien d’évident pour Game of Thrones. L’heroic fantasy est un genre peu ou mal représenté à la télévision, et de part des intrigues souvent très complexes, ne s’adr-essent qu’à une communauté restreinte de fans. Quels sont donc les points cruciaux qui mènent au succès d’une série, et tout particulièrement de cette série, et dans quelle mesure peut on imputer cette performance à l’aspect financier de la production ?

Le budget de la série en quelques chif-fres. Pour les deux premières saisons réunies (les chiffres étant encore trop vagues pour ce qui est de la 3ème en cours de production), HBO annonçait un coût total tournant autours de 120 millions d’euros. La série table sur des saisons de 10 épisodes, chacun d’eux durant aux alentours de 1 heure. Après un rapide calcul, on arrive à la conclusion que chaque épisode coûte à HBO environ 6 millions d’euros. Soit plus du double d’une série « classique » (True Blood et ses vampires, Breaking Bad et ses drogues, The Walking Dead et ses zombies, Homeland et ses terroristes etc...). Et par pure comparaison, ch-aque épisode de Dexter, ce meurtrier intelligent et attachant aux pratiques sanglantes, coûte 0,6 millions d’euros, l’adaptation au cinéma de la trilogie de Tolkien a coûté aux alentours de 230 millions d’euros, la production de chacun des opus de Star Wars aura coûté entre 10 et 30 mil-lions d’euros.

Argent & Série

Petite comparaison indispensable des coût moyen par épisode entre HBO et ses concur-rents. Les échelles ne sont pas les mêmes ...HBO, des centaines de

séries en illimité et en haute définition pour une poignée de dol-lars mensuelle. Son slogan ? “Get more”, évidement ...

Pourquoi un tel coût ? L’explication est plutôt simple en vérité : l’équipe tourne simul-tanément en Croatie, en Islande, et en Irlande du Nord (voire au Maroc pour la dernière saison paraîtrait-il), emportant à chaque fois un gigantesque cortège d’acteurs, réalisateurs, et des montagnes de matériels, costumes et dé-cors. Un comportement qui rappelle le tournage de films comme la trilogie Lord of The Rings, Prometheus etc … Car en effet, la plupart des paysages du Royaume des Sept Couronnes, sur le continent fictif de Westeros, sont en réalité certains des plus beaux sites d’Irlande du Nord.

Est ce que cela paye ? Dans un premier temps, on peut au moins remarquer que l’es-thétique visuelle a été saluée. En effet, Game of Thrones est allé rafler pas moins de six trophées des « Creative Arts Emmy Awards », pour ses réalisations techniques, notamment l’«  Out-standing Visual Effects Award  », récompense plutôt primée dans le domaine des séries télé. Et un responsable d’HBO confirme qu’en effet, un des buts du faramineux budget accordé à la série, notamment dans le domaine graphique, est de s’assurer que le continent de Westeros est amené au premier plan, au moins sur le plan de

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HBO fait très peu dans la série de pla-teau basique comme “Friends” ou “The Big Bang Theory”. Elle préfère les grandes époques historiques, avec ici trois de ses séries phare : The So-pranos, Boardwalk Empire et Rome

sa réalisation. Et il est vrai que cette stratégie marche plutôt bien  : au delà de cette récom-pense technique, la série s’est également vu nominée au Festival de Télévision de Mon-te-Carlo, aux Emmy Awards (2011/2012), aux Golden Globes, mais également d’innombra-bles prix félicitant les acteurs, ou récompensant le scénario ou la production … HBO voulait qu’on parle d’elle, et c’est mission accomplie sur ce point. La série est reconnue mondialement, et crée le buzz partout où elle pose les pieds. On ne la compare à d’autres séries uniquement pour en faire les louanges. On a même laissé entendre qu’il s’agissait « des Sopranos en Terre du Milieu  », en référence à la série mythique d’HBO, et à l’œuvre de Tolkien. Cela a bien en-tendu rassuré la chaîne HBO, qui mise sa répu-tation à chaque investissement de ce genre.

On peut revenir sur quelques séries qui ont été d’énormes investissements pour HBO, et qui ont été couvertes de succès. The Sopra-nos, une sorte d’adaptation moderne du Par-rain, décrivant tous les problèmes que rencon-tre Tony Soprano pour gérer son entreprise mafieuse. Dans le même esprit, Boardwalk Em-pire, la prohibition de l’alcool à Atlantic City, et toutes les intrigues politiques et criminelles sous-jacentes. Cette dernière série, réalisée par Martin Scorcese, fut une des plus chère d’HBO, avec un pilote de 18 millions, et un coût moy-en par épisode avoisinant les 6 millions. Mais le succès fut au rendez vous, et la critique unanime.

La “salle au trésor”, ie la salle des accessoirs, décors, cos-tumes, installée sur les lieux de tournage, ici au Maroc. Avec une robe de Cersei Lannister, on produirait trois saisons de How I Met Your Mother, paraitrait-t-il ...

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Quand on parle de budget et du lieu de tournage, on peut également légitimement parler du casting. Game of Thrones affiche une distribution prestigieuse et à toute épreuve : Sean Bean, incarnant Eddard Stark (Troie, La Communauté de l’Anneau), Charles Dance, pour Tywin Lannister (Le Fantôme de l’Opéra, Underworld), Peter Dinklage, jouant Tyrion Lannister … HBO aime en effet conserver une certaine image de marque à travers ses distri-butions, comme dans The Sopranos, ou Board-walk Empire. Cette stratégie était d’autant plus cruciale ici car, à l’opposé des romans de Tolk-

ien, ou d’autres saga dans la même veine, le style de Martin est tel qu’on accompagne con-tinuellement les pensées, les espoirs et les ob-jectifs de la plupart des personnages. On finit, au bout de trois tomes, ou de deux saisons, par connaître vraiment très profondément cha-cun des personnages de cet univers fantastique médiéval. Trouver des acteurs attachants, char-ismatiques, incernables, fourbes ou détestables selon les rôles, s’est donc révélé une tache es-sentielle, pour la pérennité de la série. Le rendu est excellent, et le public a été ravi, mais nous développerons cela plus loin.

Les réalisateurs voulaient faire de cette série « un petit bijou d’esthétisme », et rien que pour le générique, ils se sont tournés vers des valeurs sures du genre. Ce dernier, très long, un peu moins de 2 minutes, est signé Angus Wall, déjà auteur du générique de Rome. Il est ac-compagné la musique de Ramin Djawadi, qui avait déjà signé le générique de Prison Break. Le générique nous fait survoler l’ensemble de la carte des deux continents fictifs de George R R Martin, nous positionnant géographiquement dans la narration tout en nous exposant toute l’ampleur épique de la saga. Et même après le générique, chaque épisode en tant que tel est un film, en terme de densité d’action, au niveau visuel, au niveau du nombre de figurants etc ... Pour revenir sur des question de budgets, on peut se pencher davantage sur un épisode en particulier : « Blackwater », épisode 9 de la saison 2. Il s’agit en effet d’un épisode de na-

ture légèrement différente ; c’est le premier épi-sode relatant un bataille navale, et terrestre, de grande envergure. Le budget déjà énorme au-rait donc littéralement explosé, à cause de cette impressionnante scène de bataille d’une durée avoisinant celle de l’épisode. David Benioff, l’un des réalisateurs de la série, raconte être allé « supplier HBO » de leur donner plus d’argent. Cet épisode, comparé à la séquence de la bataille du Gouffre de Helm dans le Seigneurs des An-neaux, a su s’adapter aux limitations de budget imposées par HBO en se tournant davantage vers les personnages individuellement plutôt que de miser sur des grands plans de bataille aériens. Il est à noter que cet épisode compte parmi les plus visionnés de la série, le succès a donc été (de manière assez peu surprenante) au rendez vous, et a ici bien fait rimer fric avec public.

Difficile d’arracher un sourire au patriarche Lannister, interprété par le charismatique Charles Dance

Sean Bean, dans le rôle de l’irréprochable Ed-dard Stark accompagné de son épouse Catelyn. Comme à son habitude, il manie un personn-nage impénétrable et peu enclin à survivre plus de quelques épi-sodes

Peter Dinklage, révélé par la série, incarne le facétieux Tyrion Lannister, dit “le Lutin”. Il reçoit ici son Golden Globe en 2012, pour le meilleur second rôle dans Game of Thrones.

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George R.R. Martin, scénariste déçu d’Hollywood, a profité des contrats et des promesses de budget pour lâcher son écrit-ure, complexifiant et diversifiant son univers déjà très riche. Mais par la suite, notamment lors du tournage de la deuxième saison, et lor-sque HBO a commencé à mettre des freins aux dépenses de la série, il s’est révélé frustré. Il admet lui même toujours en vouloir plus, et être avide de plus de spectacle vi-suel. « Ils ont une tache particulière-

ment dure, à savoir faire tenir mon histoire en dix heures par saisons, avec les limitations de budget » admet-il au cours d’une interview. Martin décrit l’épisode plein d’action « Black-water » comme spectaculaire, mais avoue que ses attentes étaient bien supérieures.

Le résultat est cependant bien là : la chaîne an-nonçait au début de la saison 2 quelques 3,9 millions de téléspectateurs réunis pour visionner le premier épisode, permettant à la série de battre son record historique d’audience. Cela regonfle bien entendu la notoriété de la chaîne pour ce genre de séries.

“Blackwater”, l’épisode aux 15 millions de dollars. Pourquoi un tel coût ? L’épisode en lui même : il s’agit d’une bataille navale au cours de laquelle la flotte est détruite à grand coup de napalm moyenageux, suivi d’un affrontement terrestre aussi long que sanglant.

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Diffusion & Pirates

L’autre aspect du buzz médiatique qu’a créé Le Trône de Fer est le piratage, à savoir le vision-nage illégal et gratuit de la série via les réseaux de streaming ou de partage. On rappelle qu’HBO est une chaîne payante, chaque mensualité vous coûtant une dizaine de dollars. Game of Thrones est ici victime de son succès : elle se retrouve en tête du classement des séries les plus piratées en 2012, révèle Torrentfreak, un site spécialisé dans ces réseaux de partages illégaux, et qui se charge chaque année de faire paraître ce palmarès. En 2012, la série compte près de 4,28 millions d’épi-sodes téléchargés. Ces « pirates » se trouvent pour une large majorité en dehors des États Unis. Des impatients qui ne peuvent plus attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant que la série ne soit disponible légalement dans leur pays, note Torrentfreak. La plupart des critiques s’accordent pour dire que cela tient à une mauvaise stratégie de diffusion adoptée par la chaîne, qui ne signe des contrats de diffusion en Europe ou en Asie qu’au compte goutte ...

Cela n’a pas empêché David Petrarca, l’un des réalisateurs de la série, de déclarer dans un quotidien australien que le téléchargement illégal n’était pas un problème étant donné qu’il permet d’entretenir un  «  buzz culturel  » qui maintient et propage la popularité de la série. Il a même ajouté que  c’est grâce au piratage que les séries survivent. Bien qu’il ait par la suite modéré ses propos, s’agirait-il d’un signe d’ouverture d’esprit ? Quoiqu’il en soit, cela par-ticipe au succès médiatique, et n’empêche pas le succès commercial de Game of Thrones  : il s’agit de la série d’HBO qui s’est le mieux ven-due en DVD et Blu-Ray.

Mais il est clair qu’HBO tient, dans son propre intérêt, à apprendre de ses erreurs. Les fans auront tendance à se tourn-er vers un abonnement si ils en ont la possibilité, pour avoir ac-cès à la série de manière légale et surtout pour l’avoir dés sa sor-tie. HBO va donc lancer, pour la diffusion de la 3eme saison, un service d’accès aux séries de la chaîne pour l’Europe du Nord : «  HBO Nordic  ». La concur-rence sera rude, mais c’est un premier pas vers son implanta-tion en Europe et ailleurs. Un des nombreux avantages sera la diffusion en VO, et non dans un doublage local de qualité sou-vent très discutable.

Dans l’ensemble, HBO se débrouille plutôt bien pour ce qui est de la promotion de sa 3ième saison, multipliant les coups de publicité dans les journaux, par des affiches, augmentant petit à petit la longueur des « trailers », lâchant de ci de la des informations sur le casting ou les épisodes … Le public est à cran, et cette saison à venir a intérêt à tenir ses promesses.

Le classement 2012 des séries les plus téléchargées, comparé avec les audiences américaines, pub-lié par le site TorrentFreak. Les utilisateurs utilisent la plupart du temps des sites de partage ou “peer to peer”, dont le plus em-blématique reste jusqu’à présent l’intouchable The Pirate Bay

Pour dynamiser sa présence en Eu-rope, HBO lance en août 2012 HBO Nordic, essentiellement accessible en Scandinavie, mais se diffusant petit à petit. Les utilisateurs peuvent ainsi profiter de toutes les séries de la chaîne en échange d’un abonnement mensuel, chose jusqu’alors impossible.

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Réception & Critique

Un des points qui nous frappe, après avoir visionné quelques épisodes, ou tout bonnement l’épisode pilote, est qu’on est assail-li par des images très crues de violence et de sexe, et ce tout au long de la saga. Cependant, si on se penche davantage sur la question, on se rend compte que cet univers visuel n’a rien d’artificiel, et n’est pas là juste pour qu’HBO crée le buzz et fasse couler de l’encre, même si cela plaît beaucoup à la chaîne américaine. Cela s’intègre tout à fait dans l’univers de George R. R. Martin, et ce dernier avoue que l’adaptation a pour le moment dépassé ses espérances sur ce point. Mais jetons un coup d’œil à la réception du public et de la critique.

Une audience qui a doublé entre la pre-mière et la deuxième saison, passant de 2 a 4 millions par épisodes, juste pour les États Unis, et ce quasiment instantanément à partir de la diffusion du pilote. On sent ici le savoir faire d’HBO pour ce qui est de faire la promotion de sa série. Les communautés de fans attendaient une adaptation de ce type et de cette qualité depuis très longtemps, et se sont révélées con-quises. Visiblement, HBO a su combler leurs attentes. Bien entendu, il n’y a pas eu unanimité et on a vu apparaitre de nombreux commen-taires mitigés, surtout pendant la diffusion de la saison 2 : un rythme qui ralentit, une lourdeur et un certain immobilisme qui s’impose, un ép-isode (saison 2, épisode 4, «Garden of bones») sans queue ni tête, accompagné d’un deus ex machina de sorcelerie mystique aussi inutile qu’incompréhensible … Mais chaque fois, les producteurs, aidés par l’auteur, ont gardé tête haute, faisant miroiter les merveilles des épi-sodes à venir.

Du coté de la critique magazine et in-ternet, les choses n’ont également pas été aussi manichéennes. Malgré une réception globale-ment bonne dès le premier épisode, on se sou-vient de l’article virulent de Ginia Bellafantes pour le New York Times, qui a fait polémique, en attaquant la série pour un certain sexisme : « La perversion incarnée, un trop plein sexuel, des femmes traitées comme moins que rien. Je ne connais aucune femme qui regarderait cette série par plaisir. Il s’agit de fiction masculine, rien de plus ». Cette critique a été huée unila-téralement, donnant par la même occasion un image très vieillotte du New York Times. Mar-tin a répliqué en disant tout simplement : « Mais qui sont alors, tout ces types avec de fortes poi-trines, qui se pressent pour avoir des dédicaces lors des meetings de fantasy ? »

Sexe, viols, incestes, éxécutions plus ou moins sommaire et au-tres actes sanglants sont monnaie courrante dans la série, tout comme dans l’univers del’oeuvre de Martin. Un moyen de mettre le grappin sur les jeunes générations, ou une affection particu-lière pour le spectaculaire ?

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Toute la presse n’a pas partagé ce point de vue bien entendu. Les Inrocks par exemple ont beaucoup publié à propos de cette série. Très exaltée à l’heure actuelle, on ne peut se permettre d’oublier les articles très critiques à la sortie du pilote, mettant en avant un univers trop com-plexe pour lequel on a du mal à se passionner, et une lourdeur ambiante à laquelle s’ajoute un trop plein de sexe et de violence  :  « Les créa-teurs de la série, David Benioff et Daniel Weiss, manquent singulièrement d’humour et de dis-tance ». Un article paru deux mois après adou-cissait cependant ces propos, annonçant cette fois-ci une certaine originalité, et un canevas de personnages attachants et vivants. Cette en-seigne, jeune, dynamique, souvent très cynique et très ouverte d’esprit, a été plutôt représenta-tive de l’avis général, surtout sur internet. Elle a décrit et analysé Game of Thrones comme une seconde tentative de la série Rome, mais où cette fois ci, HBO serait prête à aller au fond des choses. Rome, série tournant autours des intrigues politiques et militaires de la rome an-tique, dans une atmosphère dure et sanglante, fut un des phénomènes amorçant le regain d’in-térêt pour les péplums historiques. La série fut

cependant arrêtée, pour des raisons financières. La critique fut largement enthousiaste à la sor-tie de la série et quatre Emmy Awards vinrent la récompenser. Et cette critique, ici le blog du Monde, annonçât à l’époque, ce qui cadre par-faitement avec Game of Thrones, que « l’ambi-tion de Rome n’était pas de réussir une recon-stitution fidèle des événements, mais à travers le prétexte de l’Histoire de décrire une atmo-sphère, une manière de vivre et des mœurs, celles qui existaient à Rome à cette époque. ». De plus, cette comparaison avec Rome permet aux Inrocks de contrer toutes les critiques de violence ou de sexe en montrant que cela avait déjà été fait, et qu’à cette époque, Rome n’avait pas tellement eu de problème de ce point de vue … En tout les cas, un travail d’adaptation délicat et de longue haleine, mais une prise de risque récompensée. Faire dans le spectaculaire et l’historique pour contrer la vague des séries comme Dr House, pour la Fox, ou Breaking Bad, pour AMC, qui commencaient à sérieuse-ment entamer le monopole d’HBO. Un des points également

discuté, est qu’on a souvent taxé de « nerdy », ou « geek » la série, à savoir ne s’adressant qu’à un public très restreint composé de jeunes isolés adeptes de ce type d’univers. Mais on peut nuancer cela en disant que le public effectif est composé des généra-tions ayant grandi avec Star Trek, Star Wars, Dr Who, Matrix, Pokémon ou bercé par Asimov, Tolkien, Harry Potter et autres Monde de Nar-nia … Ce qui, en plus de comprendre plusieurs générations et des millions de visionneurs po-tentiels, recouvre effectivement le panel atten-du par la chaîne américaine. On a pu le voir sur Twitter, « Les nerds adorent, les autres tentent tant bien que mal de suivre ». La série plaît à tous, même si l’on s’y accroche avec plus ou moins de facilité.

Pour ce qui est des récompenses offi-cielles, la série a été plutôt gâtée. Elle a été nom-mée pour treize Emmy Award, dont celui de la meilleure série dramatique, du meilleur second rôle dramatique pour l’acteur Peter Dinklage, et de nombreux domaines concernant les effets visuels, le casting, les décors … Peter Dinklage reçoit quelques mois plus tard un Golden Globe, et Le Trône de Fer a également remporté le prix de la presse lors du Festival de Monte-Carlo.

Dans le même esprit que la série Rome d’après les réalisateurs, il s’agit, au dela du peplum an-tique ou moyenageux, de (re)construire une at-mosphère, un malaise ambiant, une confusion omniprésente ... Ici le sénat agité de Rome

George R. R. Martin adore profiter et participer à l’en-thousiasme de ses fans, et est souvent décrit comme très volubile en ce qui concerne son oeuvre, comme ici au sa-lon Comic Con de San Diego. Ce genre de salon, exposant des oeuvres et des univers de science fiction, de fantasy, de bande dessinée et autre, ras-semble néanmoins un panel très spécifique et restreint de personnes, la plupart du temps des fans très impli-qués par leur passion pour ce genre d’univers

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Mais revenons maintenant sur un des points qui a fait couler tant d’encre, j’ai nom-mé bien entendu le sexe et la violence dans la série. De nombreux articles défendent ces scènes crues, les voyant comme une obligation pour tenter de rester le plus proche possible de l’univers très dur décrit par le roman. C’est là que tout devient intéressant, lorsqu’il s’agit de comparer le livre et la série. Commençons par la scène de l’adultère entre les deux jumeaux Lannister, Cersei, reine au caractère dur et ma-nipulateur, et son frère Jaime, grand, blond, et le sourire en coin. Si dans le roman, tout n’est que suggéré, l’auteur visant davantage à décrire l’ambiance tendue et perturbante de cet acte contre nature, dans la série tout est beaucoup plus explicite et visuel. Cela en a choqué plus d’un, puisque cette scène apparaît dès l’épisode pilote. Traversons la mer entre les deux conti-nents imaginaires, et passons à la scène de nuit de noces en plein air entre Khal Drogo, chef

imposant d’une horde de cavaliers barbares, et Daenerys Targaryen, frèle fillette vendue par son détestable frère. Une scène qui dans le ro-man est simplement une scène d’amour mitigée et bizarre, se transforme en viol pur et dur filmé du début à la fin. On peut faire des commen-taires similaires sur de nombreuses scènes ou personnages violents. Il est facile d’en déduire que l’adaptation à la télévision exacerbe le car-actère déjà cru de la saga, certainement pour rendre la série un peu plus accrocheuse. Cela ne trompe personne : « Non, scènes de bouche-rie et levrettes ne suffisent pas à faire une bonne série » peut on lire sur certains blogs …

On peut cependant remarquer qu’il s’agit là de thèmes très actuels de société. Des ex-emples de même nature peuvent être dénichés dans beaucoup de domaines. Que dire de Fifty Shades of Grey, le roman pornographique qui a fait fureur, du dévergondage dans les clips

musicaux, de films de violence et de débauche comme Spring Breakers, à paraître ? Ou même

d’autres séries, comme Board-walk Empire ou The Wire, brassant sans cesse violence et drogue ? Game of Thrones aura au moins le méri-te de d’omettre la drogue. La série, classée comme «  soft porn  », ap-partient à la caté-gorie de restric-tion «  R18  », la plus dure aux États Unis, tandis que la plupart des séries d’HBO, même aus-si discutable que True Blood, pour

ses vampires adolescents aux mœurs légers, se contentent bien souvent d’un « 16 ». On avait l’habitude des séries policières très violentes et sanglantes comme Law & Order ou autres, mais cette transition d’un monde rongé par la violence, l’alcool et la drogue, vers un univers médiéval dévergondé fictif continue de cho-quer. HBO avoue elle même ne pas trop s’en soucier, voyant plutôt cela comme participant au battage médiatique environnant leurs pro-ductions. Les gens se plaignent et ainsi, incitent d’autres à regarder … Le jeu vidéo officiel de la série, à paraître, n’a d’ailleurs pas vu cela com-me un avertissement, et sera gratifié d’un « Pegi 18 ».

La question se pose. Est ce que toutes ces restrictions sont légitimes ? Est ce qu’elles veu-lent toujours dire quelque chose ? Est ce qu’elles sont méritées  ? En tout les cas, cela participe d’une manière ou d’une autre au buzz de la sé-rie.

Que dire de True Blood et autres Vam-pire Diaries, mar-qués par une sex-ualité adolescente et par une violence sanglante et gratuite ? Un public différent certainement, dans le sens où Game of Thrones cherche à être quelque peu plus grand public

Une scène d’adultère trop réaliste pour la plupart des critiques, et ce dés l’épisode pilote. L’univers de Martin, déjà dur, se retrouve ici effectivement exacerbé, souvent pour le plus grand plaisir du public

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Livres & Adaptation

Nous allons ici nous pencher davantage sur la saga de roman elle même, en tant que base même du succès de la série, et tous les mé-andres du processus d’adaptation. Quelle bril-lante idée que de se baser sur une œuvre déjà écrite pour produire une série à succès ! Il s’agit là d’une stratégie déjà bien utilisée, mais qui a tendance à se généraliser, tout spécialement en ce qui concerne les séries à grand budget. On citera Boardwalk Empire ou True Blood en ce qui concerne HBO, et Bones ou Dexter pour les concurrents, ces séries étant la plupart du temps tirées des œuvres littéraires homonymes. On notera que les œuvres originales, excepté

pour The Game of Thrones, ont connu le plus souvent un succès très limité. Bien entendu, la question se pose : un livre préexistent, même un best seller, est-il en lui même une garantie de succès ? Non, la réponse semble s’imposer d’elle même, de part la quantité de navets ciné-matographiques que l’on voit produite chaque année … Les choses se doivent donc d’être bien faites sur trois plans : l’adaptation à l’écran, le roman lui même, et le lien culturel entre les deux, à savoir les éventuelles communautés de fans concernées.

Sept livres achevés, et sans doute au moins deux, au dire de l’auteur, pour clore les aventures de Westeros. Outre le fait que les livres en tant que tels soient esthétique-ment sublimes et invitent à la collection, certaines des premières éditions sont aujourd’hui classées commeobjet de collec-tion et très recherchées des grands fans

Le livre tout d’abord. On a vu qu’il s’agissait du renouveau d’un genre plutôt ignoré par les producteurs de séries, car, nous l’avons vu, coûteux et délicat à mettre en place. Mais ce ne sont pas les œuvres d’heroic fantasy ou de science fiction qui manquent, alors qu’a-t-elle de particulier ? On notera d’abord un for-mat cosmologique déroutant : une alternance d’étés et d’hivers, longs chacun de plusieurs années, nous ramenant dans des temps quasi préhistoriques, bien plus loin que le moyen age classique. Notons que ce même univers moy-enâgeux continue tant bien que mal à fasciner les esprits, tout spécialement outre atlantique. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil à toute cette sci-ence fiction de bas étage, « Warhammer » ou au-tre, aux univers de la plupart des jeux de rôle à succès ou MMORPG, ou à ce nouvelle engoue-ment pour tout ce qui touche aux vampires et autres sorcelleries européennes moyenâgeuses.

L’auteur écrit sur son site officiel qu’il pratique une immersion totale dans ses re-cherches, par exemple sur le moyen âge, que

cela concerne l’aspect militaire, artistique, ou même gastronomique, s’inspirant des récits de la guerre de 100 ans, ou de la guerre des roses. D’où une impressionnante précision et une sen-sation de réel dans sa saga, qui participe au suc-cès, en invitant le lecteur à se projeter dans cet univers.

Au delà de l’univers fantastique, des dragons et autres revenants, cette saga a été dé-signée comme « touche à tout ». On y côtoie de nombreux types de problématiques : la famille, l’honneur, donner à un sens à nos courtes ex-istences, et plus complexes que ces quelques idées chevaleresques, l’atomisation de la so-ciété, l’opposition entre religion personnelle et religion établie, l’acceptation de la violence … Certes, on se rend compte de l’élitisme de ces romans, mais en même temps, on peut aussi se dire que chacun y trouve son compte, et que toute cette trame intellectuelle est bien lissée par la violence et le sexe de l’’univers de George R. R. Martin.

Tout dans l’oeuvre de Martin confirme les importantes recherches qu’il a du mener sur le moyen-âge européen. Que ce soit au niveau de l’architecture, des faits et techniques militaires, des us et coutumes ... Ici, “King’s Landing”, la capitale, dans le générique stylisé de la série, où se fait sentir l’insipration pour les temps des cathédrales

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Le revers de la médaille est bien entendue la complexité titanesque des lieux, événements, liens entre les personnages … Qui importe, car à l’inverse de la trilogie du Seigneur des Anneaux, on cherche à reproduire cette com-plexité à l’écran, plutôt que de la simplifier dramatiquement. Et l’univers satisfera tout le monde, qu’on soit friand de détails, de cartes ou de généalogie, ou que l’on cherche simplement à se laisser bercer par les grands passages de-scriptifs et les flash back romancés.

Nous avons la matière, pas-sons au processus d’adaptation. Pour une adaptation réussie, y a-t-il un secret ? D’après Robert Col-vile, éditeur au Telegraph, il tient en deux points précis. Tout d’abord le casting : Sean Bean, Charles Dance, Roger Allam … Puis le scénario lui-même : « une exploration aussi déroutante que réaliste d’intrigues politiques et de pouvoir, et tout ce dont nous sommes capables pour nous l’approprier». Il continue en disant que « Game of Thrones me semble très novatrice et très pertur-bante dans le genre certainement à cause du plaisir quasi sadique que l’auteur prend à tuer ses personnag-es les plus importants ou attachants. Il n’existe aucune corrélation entre mérite et récompense. » On citera l’exemple de Sean Bean, incarnant le paterfamilias de la famille Stark, bon, juste, loyal et mesuré, qui n’a pas eu la chance de tourner dans la deuxième saison …

Au delà de cet attachement du public aux personnages et cette quasi trahison de la part de l’au-teur, il est également à noter que la

structure même des romans crée ce malaise, et éventuellement, cet intérêt. En effet, Mar-tin s’amuse à partir d’une trame simple, puis à prendre de plus en plus de recul, éloignant et isolant les personnages les uns des autres, supprimant instantanément les zones de con-fiance et de confort qui tentent d’apparaître.

Un diagramme, plutôt bien construit, résumant les iens principaux entre les personnages ma-jeurs de l’univers de George R. R. Martin. Il faut du talent pour garder la série attrayante et ne pas blaser des spectateurs qui se perdraient dans ces méandres généalogiques ... Ne pas perdre de vue que ce diagramme est simplifié à l’extrème

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Mais le mérite principal revient bien évidement aux réalisateurs Benioff et Weiss qui ont su apporter l’univers visuel adapté, si bien qu’on ne peut s’imaginer les personnag-es des romans différents des acteurs. Pas une seule fausse note, incompréhension, ou faille en se qui concerne les personnages, seulement quelques modifications scéniques : simplifi-cations, suppressions de scènes de combats superfétatoires, ou amélioration pour plus de spectaculaire, comme pour la bataille navale de l’épisode « Black Water ». On assiste à une certaine distorsion des distances, du temps, ou au niveau de l’âge des personnages, comparé aux romans, mais rien, en soi, de bien tragique. Mais il est clair que l’adaptation de l’œuvre de Martin pour un rendu attrayant a du être un défi d’ingéniosité. Les réalisateurs se sont focal-isés sur deux points : les acteurs, et la manière de filmer.

Face a un public, et un auteur, aux ex-igences graphiques très fortes, les deux réali-sateurs n’ont eu d’autres choix que de s’adapt-er. « Nous avons du nous tourner beaucoup plus vers les personnages et tendre vers des séquences personnelles, en introspection, plutôt que de donner dans le spectaculaire distant des scènes de bataille à la Peter Jackson » déclare Weiss. Ce à quoi Benioff renchérit « L’un des avantages que nous avions par rapport aux films est que lorsqu’un person-nage s’élance dans la bataille, nous avons déjà passé quelques dizaines d’heures à ses cotés.

C’est cet attachement et cette proximité que nous recherchons ». C’est un des points qui a participé à l’élargissement du panel visé par la série, en la rendant moins démonstrative, plus personnelle, et plus proche des person-nages, à la manière de la plupart des séries actuelles. Et HBO n’oublie pas d’extraire de la saga quelques phrases emblématiques, pour avoir une image et une publicité efficace. On retiendra «In the game of thrones, you win or you die », ou mieux encore, l’omniprésent «Winter is coming ».

David Benioff et Daniel B Weiss, les deux principaux réalisateurs, en-tourant Jason Momoa, incarnant le barbare exotique Khal Drogo. Si Da-vid Benioff est un réalisateur prisé d’Hollywood, pour ses réalisations comme Troie ou X-Men, Daniel B Weiss est à l’origine un écrivain, qui a donc eu la délicate tâche d’adapter les romans de Martin et de les préparer pour l’écran.

George R. R. Martin, juché sur un rempart décors de sa série. Il dit se projetter assez facilement dans l’univers bon vivant des banquets et festins royaux qu’il dépeind dans ses romans

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Un des points qu’il me reste à soulever est que l’on assiste ici à un phénomène plutôt rare d’écriture et d’adaptation quasi simultanée, car l’auteur est en train de finir son dernier ro-man. Martin semble d’ailleurs préoccupé par la vitesse de tournage d’HBO par rapport à l’écri-ture de ses romans, face a ce qu’il appelle lui même « la locomotive de l’adaptation ». D’hab-itude, sur de grandes séries similaires, seuls les fans donnaient leur avis, comme pour Star Trek ou Dr Who, mais ici, l’auteur lui même vaga-bonde de temps à autre sur les lieux de tour-nage, et la série comme le livre ont la possibilité d’être améliorés directement.

Pour ce qui est du jeu d’acteur, l’auteur se montre très exigent, mais entièrement satis-fait jusqu’à présent. Il serait venu féliciter Jack Gleeson, l’acteur interprétant Jeoffrey Barathe-on, fils pédant d’une reine manipulatrice, en lui disant : «Bravo, bon travail. Tout le monde te déteste. » Cela va même plus loin : Ygrid, une barbare rousse de caractère, s’est retrouvée in-terprétée par Rose Leslie, qui a si bien su cerner le personnage que l’auteur aurait déclaré avoir été inspiré par sa personnalité, et allait en tenir compte lors de l’écriture de son roman actuel, et sans doute lui donner une place et un rôle plus important que ce qu’il avait prévu a l’origine…

Délaissons un peu les plateaux de tour-nage pour nous tourner un peu plus vers ces communautés préexistantes de fans, car il sem-blerait que la série aurait eu beaucoup plus de difficultés à décoller sans elles. Des études so-ciologiques assez poussées ont été menées en ce qui concerne les échanges entre les produc-teurs, de livres ou de séries, et la communauté de fans qui leur est attachée. C’est la “culture participative”, ou Participatory Culture, chère à Henry Jenkins, célèbre auteur et professeur dans ce domaine. En décortiquant des séries comme Dr Who, ou Star Trek, et leur audi-ence, il nous montre à quelle point les fans sont porteurs pour une série, et qu’ils permettent, à travers leurs réactions, leurs critiques, leurs de-mandes et leurs espoirs, de rectifier et d’amélior-er. L’adaptation télévisuelle de l’œuvre littéraire de Martin leur a donné l’occasion de s’exprim-er, et on a assisté à un véritable déluge de blogs, de “meme”, de fanart etc … C’est ce lien, que l’auteur s’efforce de conserver et de renforcer, qui est intéressant. Car on en arrive à des situations plutôt comiques, comme ce fan, Elio Garcia, Ran de son pseudo, qui, aux dires de Martin, connaît mieux l’univers que lui. Tant et si bien qu’il a annoncé dans une interview sur un ton de plaisanterie qu’il lui téléphone quand il a un doute sur tel ou tel point … Certains fans se plongent également dans la com-plexité quasi fractale de l’univers, comme avec le livre « Beyond the wall », recueil de réflexions pointilleuses et sans intérêt pour le commun des mortels.

L’ampleur du phénomène Game of Thrones est encore une fois prouvée par la di-versité des produits dérivés que l’on peut trou-ver. Des nouvelles éditions des romans, avec la couverture HBO de la série, des adaptations sous forme de comics, un jeu vidéo en cours de développement, et même des bières et des livres de cuisine … Cela atteste du cercle de succès qui a été initié entre livre et série, mais également du dynamisme et de l’agitation de la communauté internet et artistique autours de ce riche univers.

Henry Jenkins, professeur et spécialiste en culture participative, réseaux sociaux et séries télvisuelles, aux conférences si prisées, nous apprend énormément sur les logiques d’échanges entre les auteurs et les communautés de fans, notamment à tra-vers des livres comme Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture

Rose Leslie, incar-nant le personnage audacieux et habile d’Ygrid, une barbare plutôt civiisée vivant par dela le Mur. Et grâce à la justesse de son interprétation, l’auteur aurait été émerveillé et serait allé juqu’à promettre une place plus im-portante à ce person-nage dans la fin de ses livres

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Un livre, une série, une saga, un succès ? Une grande compagnie, des in-vestissements suffisants, une présence médiatique, un auteur très présents et des fans très dynamiques, autant d’atouts qui rendent aujourd’hui ce phénomène incon-tournable. Cela soulève bien entendu d’au-tres interrogations, mais qui ne sont plus de notre ressort. De tels coûts sont-ils décents ? La littérature doit elle d’une quelconque manière se soucier de faciliter une éventu-elle adaptation à l’écran, ou du moins va-t-elle aller dans ce sens ? A-t-on mangé notre pain blanc avec les deux premières saisons ? Le public se verra-t-il blasé ou déçu par les prochains épisodes ? Tout ce qu’on peut souhaiter à cette série est une bonne con-tinuation, et un bon courage à l’auteur. Et si cela a d’une manière ou d’une autre éveillé votre curiosité, ou si vous vous trouvez être un fan averti, ne ratez pas la sortie de la 3ième saison début avril.

HBO manque de nous épouvanter en nous laissant imaginer qu’un dragon nous survole, comme avec cette publicité ingénieuse pour la sortie de sa nouvelle saison, dans le New York Times

Preuve de sa volonté de présence en Europe, HBO ne réintère pas ses erreurs de stratégie de diffu-sion des premières saisons. Elle s’impose souvent largement face aux concurrents locaux en terme de visibilité. Ici, une affiche du métro parisien

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Sources internet

Disponibles en ligne sur http://tinyurl.com/pace-game-of-thrones

Sources bibliographiques

Science Fiction Audiences, watching Docotor Who and Star Trek, John Tulloch and Henry Jen-kins, Routledge, 1995Fans, Bloggers and amers, exploring participatory culture, Henry Jenkins, New York University Press, 2006A Song of Ice and Fire, George R. R. Martin, Bantam Books HBO cover, 2011A Game of Thrones, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011A Clash of Kings, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011A Storm of Swords, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011A Feast of Crows, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011A Dance with Dragons, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011

Remerciements

WikipédiaWordreferenceThe Pirate Bay

Morgan Schmitz, ENSAE, fan invétéré qui m’a été d’une grande aide

Sources & Bibliographie

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