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Geographica Timisiensis, vol. 13, nr. 2, 2004 (pp. 79-102) FRONTIERES ET REGIONS TRANSFRONTALIERES EN ROUMANIE : ENTRE TERRITOIRES, CULTURES ET FONCTIONS Nicolae POPA Université de l'Ouest, Timişoara – Roumanie Département de Géographie Résumé: L'intégration et l'extension de l'Union européenne constitue la réponse donnée par plusieurs pays du continent aux défis du processus de mondialisation, lequel a entraîné tout d'abord la sphère des activités économiques, pour retomber ensuite sur d’autres domaines de la vie sociale. Ces processus ont engendré des évolutions spectaculaires du statut et des fonctions des frontières, visibles notamment dans les pays de l’Europe centrale et orientale. Dans l’espace roumain, les représentations et le vécu des limites et des frontières ont évolué au fil du temps, en fonction du parcours historique. Traditionnellement, les Roumains ont eu un très puissant sens de la limite relevant du domaine privé, mais un faible sens de la limite publique/frontière politique. Pendant la période de création et d’évolution de l’Etat national roumain, on a assisté à un renforcement du sens de la frontière, accentué aussi dans la période socialiste, quand, en revanche, les représentations sur la propriété privé (donc sur ses limites aussi) ont été gravement perturbées. Enfin, actuellement, l’intégration européenne et les évolutions que ce processus engage, engendrent une nouvelle phase de détente, contrastée territorialement cette fois-ci, suite aux conditions frontalières locales et aux exigences de l’Union européenne. De ce point de vue, les frontières d’Etat de la Roumanie (3149,9 km) auront à l’avenir des statuts différents: frontières internes à l’Union européenne, donc transparentes, à l’Ouest et au Sud; frontières externes à l’Union européenne, nécessairement moins poreuses et soumises à des contrôles très strictes, à l’Est et au Nord. Le degré actuel de transparence ne nous donne qu’une vague perception sur les enjeux transfrontaliers qui marquent les marges du territoire roumain. Pourtant, ils peuvent être saisis par le truchement de la politique régionale interne, du phénomène de constitution des eurorégions et de coopérations transfrontalières, de même qu’à travers les divers types des flux qui transitent les frontières de la Roumanie. Rezumat. Frontiere şi regiuni transfrontaliere în România: între teritoriu, cultură şi funcţiuni. Integrarea şi extinderea Uniunii Europene constituie răspunsul dat de mai multe ţări ale continentului la sfidările mondializării, care a antrenat mai întâi sfera activităţilor economice, pentru a implica apoi şi alte domenii ale vieţii sociale. Aceste procese au generat evoluţii spectaculoase în statutul şi funcţiile frontierelor, vizibile îndeosebi în ţările Europei Centrale şi de Est. În spaţiul românesc, reprezentările şi experienţa frontierei au evoluat de-a lungul timpului, în funcţie de parcursul istoric. În mod tradiţional, românii au avut un puternic simţ al limitelor relevând din domeniul privat şi mai puţin din cel al limitelor publice/frontierei politice. În perioada de constituire şi de evoluţie a statului naţional român, am asistat la consolidarea simţului frontierei, accentuat şi în perioada socialistă, când, în schimb, reprezentările asupra proprietăţii private (deci şi asupra limitelor) au fost perturbate grav. În fine, în prezent, integrarea europeană şi mutaţiile pe care acest proces le determină, conduc la o nouă fază de destindere, conrastantă teritorial, ca urmare a exigenţelor Uniunii Europene şi condiţiilor frontaliere diferite de la un sector la altul. Din acest punct de vedere, frontierele de stat ale României (3149,9 km) vor avea statute diferite în viitorul apropiat: frontiere interne Uniunii Europene, deci transparente, la vest şi sud; frontiere externe ale Uniunii Europene, în mod necesar mai puţin poroase şi supuse controlului strict, la răsărit şi în nord. Gradul actual de transparenţă nu ne oferă decât o percepţie vagă asupra mizelor transfrontaliere care marchează marginile teritoriului

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Geographica Timisiensis, vol. 13, nr. 2, 2004 (pp. 79-102) ●

FRONTIERES ET REGIONS TRANSFRONTALIERES EN ROUMANIE :

ENTRE TERRITOIRES, CULTURES ET FONCTIONS Nicolae POPA

Université de l'Ouest, Timişoara – Roumanie Département de Géographie

Résumé: L'intégration et l'extension de l'Union européenne constitue la réponse donnée par plusieurs pays du continent aux défis du processus de mondialisation, lequel a entraîné tout d'abord la sphère des activités économiques, pour retomber ensuite sur d’autres domaines de la vie sociale. Ces processus ont engendré des évolutions spectaculaires du statut et des fonctions des frontières, visibles notamment dans les pays de l’Europe centrale et orientale. Dans l’espace roumain, les représentations et le vécu des limites et des frontières ont évolué au fil du temps, en fonction du parcours historique. Traditionnellement, les Roumains ont eu un très puissant sens de la limite relevant du domaine privé, mais un faible sens de la limite publique/frontière politique. Pendant la période de création et d’évolution de l’Etat national roumain, on a assisté à un renforcement du sens de la frontière, accentué aussi dans la période socialiste, quand, en revanche, les représentations sur la propriété privé (donc sur ses limites aussi) ont été gravement perturbées. Enfin, actuellement, l’intégration européenne et les évolutions que ce processus engage, engendrent une nouvelle phase de détente, contrastée territorialement cette fois-ci, suite aux conditions frontalières locales et aux exigences de l’Union européenne. De ce point de vue, les frontières d’Etat de la Roumanie (3149,9 km) auront à l’avenir des statuts différents: frontières internes à l’Union européenne, donc transparentes, à l’Ouest et au Sud; frontières externes à l’Union européenne, nécessairement moins poreuses et soumises à des contrôles très strictes, à l’Est et au Nord. Le degré actuel de transparence ne nous donne qu’une vague perception sur les enjeux transfrontaliers qui marquent les marges du territoire roumain. Pourtant, ils peuvent être saisis par le truchement de la politique régionale interne, du phénomène de constitution des eurorégions et de coopérations transfrontalières, de même qu’à travers les divers types des flux qui transitent les frontières de la Roumanie. Rezumat. Frontiere şi regiuni transfrontaliere în România: între teritoriu, cultură şi funcţiuni. Integrarea şi extinderea Uniunii Europene constituie răspunsul dat de mai multe ţări ale continentului la sfidările mondializării, care a antrenat mai întâi sfera activităţilor economice, pentru a implica apoi şi alte domenii ale vieţii sociale. Aceste procese au generat evoluţii spectaculoase în statutul şi funcţiile frontierelor, vizibile îndeosebi în ţările Europei Centrale şi de Est. În spaţiul românesc, reprezentările şi experienţa frontierei au evoluat de-a lungul timpului, în funcţie de parcursul istoric. În mod tradiţional, românii au avut un puternic simţ al limitelor relevând din domeniul privat şi mai puţin din cel al limitelor publice/frontierei politice. În perioada de constituire şi de evoluţie a statului naţional român, am asistat la consolidarea simţului frontierei, accentuat şi în perioada socialistă, când, în schimb, reprezentările asupra proprietăţii private (deci şi asupra limitelor) au fost perturbate grav. În fine, în prezent, integrarea europeană şi mutaţiile pe care acest proces le determină, conduc la o nouă fază de destindere, conrastantă teritorial, ca urmare a exigenţelor Uniunii Europene şi condiţiilor frontaliere diferite de la un sector la altul. Din acest punct de vedere, frontierele de stat ale României (3149,9 km) vor avea statute diferite în viitorul apropiat: frontiere interne Uniunii Europene, deci transparente, la vest şi sud; frontiere externe ale Uniunii Europene, în mod necesar mai puţin poroase şi supuse controlului strict, la răsărit şi în nord. Gradul actual de transparenţă nu ne oferă decât o percepţie vagă asupra mizelor transfrontaliere care marchează marginile teritoriului

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românesc. Şi totuşi, acestea transpar prin prisma politicii regionale interne, al fenomenului de constituire a euroregiunilor şi a cooperărilor transfrontaliere, ca şi prin intermediul diverselor tipuri de fluxuri ce tranzitează frontierele României. Mots-clés : limite, frontière, représentations, espace vécu, flux transfrontaliers, eurorégion, développement régional, intégration européenne, Roumanie. Cuvinte cheie : limită, frontieră, reprezentări, spaţiu trăit, fluxuri transfrontaliere, euroregiuni, dezvoltare regională, integrare europeană, România.

L'intégration européenne des pays ex-communistes suppose l'amorçage de toute

une série de transformations, qui visent tous les niveaux d'organisation de la société. De nombreux changements concernent les structures héritées – matérielles, politiques, mentales – pour qu'elles deviennent compatibles avec le système intégrateur. D'autres réclament d'importants efforts créatifs, d'adaptation active à la dynamique politique et économique actuelle, régionale et globale.

La problématique des frontières et des régions de frontière est une de ces dimensions qui a marqué un fort changement de statut par rapport au passé. Ce qui est valable pour les pays membres de l'UE (Humeau, 2001), l’est encore plus pour les nouveaux candidats à l'adhésion.

Longtemps conçues et vécues comme éléments de séparation et de défense, voire même d'isolation, les frontières d'Etat sont maintenant appelées à abandonner leurs anciennes fonctions, pour devenir des interfaces d'échanges économiques et de contacts culturels. Sommes-nous prêts à accepter ce nouveau statut pour toutes les frontières de la Roumanie? Est-elle, cette évolution, valable pour l'ensemble des frontières roumaines, ou les conjonctures spatiales et politiques vont-elles obliger à un traitement discriminatoire entre les divers secteurs de la frontière? Quels seront les conséquences géographiques sur les régions internes et externes des frontières par suite de ce traitement différencié?

Voilà quelques questions sur lesquelles cette communication essayera de mener une réflexion appliquée et structurée en quatre parties : - le contexte régional et transfrontalier en Europe centrale et orientale ; - la forteresse communiste, vécu et représentations des frontières dans l'espace roumain ; - les changements postcommunistes du statut des frontières - les évolutions du degré de transparence et leur impact régional ; - l'intégration européenne de la Roumanie et l'avenir du développement des relations transfrontalières de ce pays - options stratégiques.

1. Le contexte régional et transfrontalier en Europe centrale et orientale

Longtemps après la constitution des Etats nationaux, la collaboration transfrontalière en Europe est restée faiblement développée. En dépit de nombreuses homogénéités et complémentarités régionales, cette collaboration a été découragée par les rivalités, la mémoire historique conflictuelle, les craintes et les suspicions réciproques de ces pays. Ensuite, chaque Etat national, anciennement ou plus récemment constitué, cherchait le renforcement de son unité interne, de sa cohérence sociale, économique et culturelle, et non pas le développement des compatibilités transfrontalières.

Pourtant, en dépit de toutes ces politiques de renforcement des frontières nationales, d’homogénéisation interne et de centralisation administrative, il n’a pas été possible

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d’effacer entièrement les disparités structurelles et territoriales héritées. Des siècles d’évolutions territorialement particularisées n’ont pas pu être annulés par quelques événements politiques, aussi profondes et destabilisatrices qu’aient pu être les réformes introduites par ces événements. La période historique relativement courte et leur application souvent contre la volonté des populations locales ont constitué d’importants facteurs inhibitoires pour ces processus.

Les structures transfrontalières, même si plus profondément affectées, ont subi des évolutions semblables. Dès que le contexte international et les conjonctures internes ont changé, les anciennes solidarités ont eu tendance à renaître. Cela n‘a pas été le résultat de quelques stratégies et arguments géopolitiques savants, mais le fait d’évolutions naturelles vers la mise en valeur des potentiels locaux et régionaux, jusqu’alors occultés par l’obstacle de la frontière. Le retour à la détente n’est pas, pourtant, aussi simple que ça : les intérêts sont multiples, de même que les soucis…

Sur le plan politique, nous citeront seulement deux exemples, ceux de la Roumanie et de la Hongrie. En cours d’intégration dans l’Union européenne, l’Etat roumain est obligé de sécuriser ses frontières, parmi lesquelles les plus sollicités et poreuses semblent être celles avec l’Ukraine et la République de Moldova. En 2000, la Roumanie a offert la possibilité aux citoyens de la Moldova d’obtenir la citoyenneté roumaine sans aucune contrainte domiciliaire. C’était une réponse aux craintes d’une partie de la population moldave, qui ne voulait plus revivre une autre période de séparation hermétique de l’Etat roumain, séparation imposée par le renforcement en cours de la frontière sur le Prut. Les quelques milliers de citoyens moldaves qui ont profité de cette opportunité à la fin de l’an 2000 et en 2001 ont provoqué le mécontentement des autorités de Chişinau. L’arrivée des communistes au pouvoir en République de Moldova a introduit par la suite d’autres variables dans les relations romano-moldaves.

Encore plus profondes d’implications régionales fut le désir des autorités hongroises de promouvoir une loi pour les minorités magyares des pays voisins. Essentiellement, cette loi offre aux ethniques magyars, citoyens des pays voisins, un ensemble de facilités matérielles, administratives et d’accès à la Hongrie. Les conditions pour en bénéficier sont les suivantes : faire preuve d’une maîtrise acceptable de la langue et de la culture magyare et s’engager à retourner dans le pays natal à la fin du séjour en Hongrie. Dénonçant le caractère discriminatoire sur base ethnique et ses effets d’extraterritorialité, les autorités de Roumanie, Slovaquie et Serbie, sur les territoires desquelles se trouvent d’importantes minorités ethniques magyares, ont sollicité, en mars 2001, des consultations avec le gouvernement hongrois. Puis, la Roumanie s’est adressé à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Finalement, la loi a été promulguée par le parlement hongrois et appliquée, mais encadrée par un mémorandum d’entente avec la partie roumaine, puis avec de modifications apportées par le parlement hongrois. Maintenant, une autre étape est en train d’être franchie par la Hongrie avec la mise au référendum en décembre 2004 d’une proposition de loi sur la double citoyenneté pour les populations magyars des pays voisins.

Voilà donc les frontières d’Etat profondément transformées. Du statut d’enveloppes étanches qui devaient participer à la construction et à la préservation de l’homogénéité nationale, les frontières se sont transformé en facteurs essentiels pour le désenclavement régional et l’intégration européenne.

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Une question s’impose, pourtant. Serait-il possible, partout en Europe, même au-delà de celle-ci, d’imaginer des évolutions similaires? Comme on l’a déjà constaté, de nombreuses évolutions du monde contemporain conduisent vers la suppression des frontières ou, tout du moins, vers une plus forte transparence et porosité de celles-ci. Par conséquent, serait-il possible de voir la généralisation de ces pratiques à l’échelle du monde entier? Une possible réponse nous est fournie par C. Raffestin, qui se demande : puisque « la frontière a non seulement un fondement biologique, mais surtout un fondement social », comment pourrait-on la gommer sans provoquer un vrai chaos dans l’ordre des choses? (Raffestin, 1993, p. 159).

Pourtant, nous sommes en une étape dans laquelle la tendance est d’accroître la transparence des frontières, de les dilater, pour les transformer en des régions de contact, d’interconnaissances, d’échanges et de développement. L’Europe centrale et de l’Est est déjà maillée par un grand nombre de coopérations transfrontalières. Les toutes premières ont été instituées en 1991-1993 frontières germano-polonaise et germano-tchèque, sous la forme d’eurorégions (fig. 1). Avec des dimensions raisonnables, ces coopérations transfrontalières ont été stimulées aussi bien par le haut, les autorités centrales, que par le bas, à travers la volonté des communautés locales. Elles se sont proposées des objectifs concrets, en partie réalisés : - améliorer ou construire des infrastructures de transport et de passage des frontières ; - stimuler les contacts entre les hommes d’affaires pour le développement de ces régions de

frontière ; - susciter des échanges culturels ; - aider et collaborer pour la formation des jeunes spécialistes ; - protéger l’environnement ; - développer le tourisme ; - prévenir les calamités naturelles, etc.

A peu près au même moment, ont commencé à se constituer des eurorégions autour de la Hongrie (fig. 2). Ce pays a été extrêmement actif dans ce domaine, en raison de ses préoccupations concernant la préservation de son identité culturelle et la promotion des intérêts économiques et politiques des minorités magyares des pays voisins. Les enjeux politiques marqués de ces initiatives ont suscité certaines réticences de la part des pays voisins (Roumanie, Slovaquie, Ukraine, Serbie) et ont contribué à la formation d’eurorégions de très grandes dimensions, largement étendues vers l’Est. Instaurées progressivement à partir de 1993, ces eurorégions ont chacune des objectifs propres, adaptés aux réalités locales. Ces objectifs se cristallisent autour des problèmes de l’aménagement du territoire, des infrastructures pour le transport et les télécommunications, de la protection environnementale, de la prévention des désastres, des échanges culturels et commerciaux (e.g. participations aux foires et expositions organisées par chaque partie, etc.)

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Fig. 1. Eurorégions sur les frontières de la Pologne (source : M. Koter et D. Koter, 2002)

1 – frontière d’Etat ; 2 – territoires communs

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Fig. 2. Eurorégions auxquelles participe la Hongrie (source : Rechnitzer et Hardi, 2002)

Pour mieux comprendre l’attitude des autorités roumaines face au phénomène

transfrontalier, quelques repères sur le vécu et les représentations frontalières des Roumains pendant le communisme peuvent être utiles.

2. Forteresse communiste, statut et représentations des frontières

Le camp communiste a représenté un univers solidaire et solitaire, fonctionnant comme association de plusieurs mondes clos. La solidarité clamée de l’internationalisme socialiste s’est vite heurté à la nécessité de construire des frontières solides et sûres destinées à défendre les “grandes réalisations” du régime contre « l’étrange » volonté de ses populations de les ignorer et de les abandonner pour gagner d’autres horizons. Etant des régimes centralisés, ils ont cultivé une politique de fermeture frontalière, la seule en état de garantir la maîtrise des affaires internes et d’empêcher les contacts avec le monde extérieur. Ces contacts étaient vus comme porteurs de prises de conscience et déclencheurs de déstabilisations internes.

Les frontières de la Roumanie socialiste n’échappaient pas à ce statut. Leur étanchéité, très nette après la guerre, s’est assouplie pendant la décennie 1965-1975, pour se renforcer ensuite, dans les années de crise économique et de dictature. Dans cet univers clos et dominé, il y avait plusieurs façon de vivre et de se représenter la frontière: - comme obstacle à l’accès à la possible liberté ;

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- comme obstacle au développement de relations inter-humaines et économiques fonctionnelles ; - comme garante de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’Etat.

Les deux premiers types de rapports relèvent plutôt des expériences individuelles vécues sur un fond de représentations plus ou moins unitaires. Le troisième s’est imposé comme représentation générique et générale venue de l’histoire et cultivé aussi par rapport aux expériences d’interaction avec les pays du camp communiste.

Le statut de la frontière comme garant de l'intégrité et de l'indépendance nationale s'est consolidé vers la fin des années soixante. C'est alors que la Roumanie, s'éloignant de la tutelle soviétique, a refusé de participer à l'invasion en 1968 de la Tchécoslovaquie par les armées « frères » du Pacte de Varsovie et a condamné en des termes très durs cette intervention. Le danger que la Roumanie soit occupée, elle aussi, par ces armées était très réel. Le discours prononcé à cette occasion par le secrétaire général du Parti , Nicolae Ceauşescu, devant des centaines de milliers de personnes à Bucarest, restera longtemps dans la mémoire de la population. L'évolution ultérieure des relations entre le régime et les sujets de son autorité serait difficile à comprendre sans l'existence de ce moment clé pour l'image du Dirigeant roumain.

La perception de la frontière comme obstacle au développement de relations inter-humaines actives et de liens économiques fonctionnels s'est développé au cours des années soixante-dix et surtout dans les années quatre-vingt. C'est dans la première de ces décennies que la semi-ouverture, entraînant des contacts internationaux plus nombreux, a provoqué une prise de conscience sur les réalités occidentales, sur la liberté et la démocratie, sur les droits de l'homme, sur les décalages économiques et de niveaux de vie. Les prémisses au déclenchement d'un mouvement d'émigration étaient en partie réunies. C'était l'époque de la politique occidentale d'encouragement à l'émigration comme facteur de pression sur les régimes communistes.

Les premières touchées se sont avéré être les communautés allemandes. Le rythme des demandes de visa pour quitter définitivement la Roumanie et gagner l'Allemagne de l'Ouest a augmenté, provoquant une certaine malaise du régime. C'était une preuve du mécontentement de la population et une défaite pour la société socialiste. Ce mouvement s'inscrivait d'ailleurs dans une tendance plus large en Europe de l'Est, engendrée par l'«Ostpolitik» du chancelier Willy Brandt. A la fin des années 1970, l’accord Schmidt-Ceausescu permit à un quota annuel de 12 000 citoyens roumains d'ethnie allemande d'émigrer vers l'Allemagne fédérale, quota porté par la suite à 15 000 personnes par an (Sanguin, 1997). La pression émigratoire était pourtant beaucoup plus grande, ce qui rendait assez pénibles les démarches et la période d'attente, d'autant plus que chaque sollicitation faisait l'objet d'une analyse attentive et d'un essai de convaincre le sollicitant de ne pas quitter son pays natal. A l'époque, pour de nombreux allemands de Roumanie, la frontière se trouvait à l'intérieur du pays, notamment à Bucarest.

D'autres rapports particuliers avec les frontières proprement-dites étaient présents aussi. Car il y avait des candidats à l’émigration beaucoup plus impatients et téméraires, qui ne déposaient de demandes officielles aux autorités ou qui renonçaient à attendre leur réponse. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas spécialement d’allemands, mais de citoyens roumains en général. Ceux qui forçaient la frontière étaient plutôt des jeunes saisies par les valeurs occidentales, qui n'entrevoyaient aucun avenir rassurant pour eux dans ce pays socialiste fermé sur lui-même. La frontière la plus sollicitée est restée longtemps celle avec

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la Yougoslavie, tant sur son secteur danubien que sur sa partie terrestre. Vers la fin des années 1980, s'ajouta la frontière avec la Hongrie, et même la frontière maritime (sur la mer Noire), dont le franchissement permettait d'arriver en Turquie et en Grèce, pour gagner ensuite l'Occident.

Ces zones de frontières jouissaient d'un statut particulier dans les actions et les représentations de diverses structures d'encadrement socio-politiques ou militaires. Des références très nuancées caractérisaient aussi le mental de la population, en fonction d'une multitude de facteurs (âge, profession, origine sociale, culture, entourage, région…). Toujours est-il que ces zones avaient un régime spécial qui les rendait plutôt répulsives qu'attractives.

Tout d'abord, elles étaient militarisées et strictement contrôlées. Les militaires eux mêmes, surtout les soldats "in termen", craignaient beaucoup d'être emmenés faire leur service militaire sur la frontière occidentale de la Roumanie. En effet, des situations conflictuelles impliquant des transfuges ont fait des victimes parmi les gardes-frontière. Réputée dangereuse, surtout la frontière yougoslave, elle n'était « désirée » que par ceux qui avaient l'esprit de l'aventure ou par certains militaires de carrière avec beaucoup d'expérience.

Pour les structures politiques centrales, la frontière de sud-ouest avait une image contrastée. Elle était une frontière sûre et bonne, car il n'y avait pas des revendications ou de tensions entre la Roumanie et la Yougoslavie. On y développait de plus des actions de coopération bilatérales, comme les centrales hydroélectriques des Portes de Fer I et II ou les industries complémentaires de la région (Timisoara, Pancevo, Novi Sad). Par ailleurs, c’était aussi une frontière problème car c'est par-là que passaient les transfuges vers la "liberté", ce qui générait de permanentes préoccupations, analyses et mesures de protection.

Les structures politiques et administratives locales, elles aussi, se positionnaient elles aussi diversement face à cette frontière. Source de richesse par l'intermédiaire des échanges institutionnalisés et du petit trafic transfrontalier civile, unique point de contact avec un extérieur moins dogmatique et plus ouvert sur les valeurs occidentales, elle était aussi une constante source de critiques et de mesures de rétorsions venues de la part du pouvoir central. Les responsables locaux et départementaux devaient être capables de jongler avec un grand nombre d'intérêts et d'exigences, pour arriver à s'en sortir et à résister plus longtemps à la tête d'une région tellement convoitée.

Tous ces enjeux avaient des répercussions plus ou moins directes sur la population. Généralement plus riches, les habitants se plaisaient bien dans cette zone, d'autant qu'elle était, plus qu'aujourd'hui, une société très composite du point de vue culturel. Roumains, Allemands, Hongrois, Serbes, Tchèques, Bulgares et autres formaient un ensemble depuis longtemps habitué aux pratiques multiculturelles. Leurs contacts transfrontaliers n'étaient pourtant si intenses que ça, les complémentarités locales se satisfaisant plutôt vers l'intérieur de chaque pays que vers les pôles d'attraction du pays voisin. Le nombre réduit de points de passage pesait pour beaucoup, la pression psychologique de même. C'est peut-être pour cela que, en dépit de la prospérité locale, en approchant de la frontière on éprouvait un étrange sentiment de "bout du monde" : localités plus rares, circulation très réduite, villages peu animés. En regardant de plus prés, les choses étaient un peu différentes, car une partie de l'animation se déroulait surtout à l’abri des regards : d'un côté, les réseaux de renseignement, de surveillance et de contrôle et, de

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l'autre, les tâtonnements, les guides de passage, toujours l'audace et l'aventure des transfuges.

Les autres frontières de la Roumanie ont été largement moins importantes que celle du Sud-Ouest pour le phénomène qui nous intéresse ici. Par exemple, en dépit du fait qu'à l'Est elle séparait les Roumains de Roumanie, des Roumains de la Moldavie soviétique, la frontière était perçue plutôt comme une démarcation avec le grand et écrasant "frère russe" que comme une cassure nationale imposée artificiellement par celui-ci. La situation était tellement maîtriséz par les Soviétiques qu'on n'osait espérer aucun changement significatif.

(Après la deuxième guerre mondiale et l'installation du régime communiste en Roumanie, par exemple, pendant une assez longue période, les contacts officiels entre les dirigeants roumains et ceux de la Moldavie soviétique, qui avaient lieu à Chisinau, devaient se passer en la présence d'un interprète. Celui-ci "traduisait", en fait, du roumain en roumain).

Les Roumains ont "redécouvert" leurs co-nationaux moldaves seulement lors des manifestations pour l'indépendance qui ont mobilisé ceux-ci dans les années 1989-1991. Jusqu'alors, les rares contacts ne visaient pratiquement que les délégations officielles. Après la chute du régime Ceausescu, le fait transfrontalier autour de la Roumanie a subi une évolution extraordinaire, au moins pour certains de ses secteurs. Pourtant, petit à petit, des mutations contrastées apparaissent. Certaines engendrent la réduction des opacités frontalières, d'autres s'imposent comme facteurs de limitation de leur transparence. La mise en route des processus destinés à rapprocher la Roumanie des structures sociales et économiques européennes est depuis longtemps commencée, mais elle avance avec difficulté. Sa position spatiale par rapport à l'Europe en cours d'intégration a, de même, des implications très profondes. Dans ce contexte, une question s'impose: serait-elle la Roumanie vouée à se retrouver toujours dans cette position ingrate de marche périphérique? Mais, au moins, serait-elle une marche intérieure à la construction européenne ou une marche de la zone grise, obligée à frapper à l'infini à des "Sublimes Portes"?

3. Changements postcommunistes du statut des frontières – les évolutions du degré de transparence et leur impact régional

L’enveloppe frontalière de la Roumanie actuelle recouvre un périmètre de 3149,9 km, frontières terrestres (1085,6 km) et fluviales (1816,9 km), vers la Rép. de Moldova, l’Ukraine, la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, auxquelles s’ajoutent les 247,4 km de frontières maritimes. Les situations actuelles de ces frontières sont assez différentes d’un secteur à l’autre. La frontière avec la Hongrie (448,0 km) a été consacrée par le Traité de paix de Trianon, le 4 juin 1920, et confirmée par les traités de paix de Paris, conclus entre les Puissances Alliées et Associées et la Roumanie, respectivement la Hongrie, le 10 février 1947 (Stamate, 1997). Elle a fonctionnée toujours comme une frontière sensible, car contestée périodiquement par la Hongrie (Manciulea, 1938, Deica, 1999, Sageata, 2001), soit par irrédentisme politique, soit par la nostalgie entretenue dans les milieux culturels hongrois. Le traité de bon voisinage signé en 1996 entre la Roumanie et la Hongrie réaffirme la reconnaissance officielle de ces pays de la frontière commune.

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En dépit de ce statut sensible, la frontière romano-hongroise a souvent été la plus importante pour le trafic transfrontalier et pour le développement des relations de la Roumanie avec l’Europe centrale. Ce rôle peut être illustré à travers les flux de personnes et de marchandises qui transitent, habituellement, cette frontière (tableau 1 et fig. 4).

Tableau 1. Nombre des traversées de la frontière romano-hongroise

(destinations aller-retour Roumanie et, respectivement, Hongrie) Année Roumanie-Hongrie Hongrie-

Roumanie 1995 2,66 mil. 0,64 mil. 1996 2,5 mil. 0,82 mil. 1997 2,8 mil. 0,8 mil. 1998 3,1 mil. 0,83 mil. 1999 3,0 mil. 1,1 mil. 2000 ? 1,23 mil. 2001 ? 1,13 mil. 2002 ? 1,15. mil. (Source: Anuarul Statistic al României, Bucureşti, 2001, 2003)

C'est aussi en liens à la Hongrie que la Roumanie a commencé à développer les relations transfrontalières les plus actives, dans le cadre de deux eurorégions (fig. 3): Carpatica, au nord-ouest et surtout DKMT à l'ouest. C'est cette dernière qui, étant réclamée et promue par les communautés locales et départementales des trois pays a connu le plus de succès: projets infra structuraux, nouveaux points de passages de la frontière, coopération culturelle etc. (La sigle DKMT provienne des noms de principaux cours d'eaux qui traversent le territoire de cet eurorégion - notamment le Danube, le Kris, le Mures et la Tisza - en réunissant 4 départements roumaines, 4 départements hongrois et la région autonome serbe de Voïvodina. Au total, soit 5,2 millions d'habitants et 77,6 milles km²).

Pour répondre à ce besoin d’interaction, sur la frontière romano-hongroise fonctionnent 14 points de passage (un point tous les 32 km), parmi lesquels les PPF Nadlac, Curtici, Bors et Episcopia Bihorului sont les plus importants (fig. 3). Trois de ces PPF ont été ouverts après 1990 (Cenad, Valea lui Mihai et Turnu). Il existe aussi d’autres démarches, faites par les communautés locales, soit en Hongrie soit en Roumanie, pour continuer les investissements à de nouvelles infrastructures de passage transfrontalier, car celles-ci sont considérées insuffisantes (Popa, 2002). La frontière avec la Serbie (546,4 km) a été sanctionnée par le Traité de paix de Sèvres, le 10 août 1920, puis précisée plusieurs fois, surtout par suite aux travaux d’aménagement du cours du Danube entre les deux pays (barrages des Portes de Fer I et II) – (Stamate, 1994). C’est une frontière dont le statut est nettement différencié de celui avec la Hongrie. En dépit de certaines tensions qui ont marqué l’établissement de son itinéraire (Sageata, 2001, Boulineau, 2001), cette frontière est perçue comme étant sure, car elle n’est pas contestée. De part et d’autre de la frontière, aussi les Roumains que les Serbes ont des communautés ethniques minoritaires, qui gardent leur spécificité culturelle, mais elles sont fidèles et bien intégrées dans l’Etat d’adoption.

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Pourtant, cette frontière est moins sollicitée par les échanges, en dépit du fait qu’ici a été en vigueur, depuis longtemps, un accord qui permettait le développement du petit trafic de frontière. Il s’agit d’un accord qui offre le droit, aux membres des communautés locales situées jusqu’a 30 km de part et d’autre, de disposer d’un permis qui autorise, à chaque sollicitant, 12 passages par année. La relative faiblesse de flux transfrontaliers (tableau 2 et fig. 4) est due aussi aux guerres et aux embargos qui ont affecté la Serbie, cette dernière décennie. Elle est illustrée par le nombre plus réduit de points de passage, 8 seulement, ce qui donne en moyenne un PPF tous les 68,3 km de frontière (fig. 3). C’est, peut être, l’effet tardif de la méfiance des autorités roumaines envers une frontière qui a joué longtemps la fonction de principale porte de l’émigration clandestine; ce sont sûrement les effets de l’ancienne (avant 1989) orientation occidentale de l’ex-Yougoslavie, puis des embargos récentes, qui ont découragé toute éventuelle initiative de rapprochement pour le développement des structures transfrontalières (Popa, 2002).

Tableau 2. Nombre des traversées de la frontière romano-serbe

(destinations aller-retour Roumanie et, respectivement, Serbie)

Année Roumanie-Serbie Serbie-Roumanie 1990 2,4 mil. 0,26 mil. 1992 1,54 mil. 0,85 mil. 1995 1,27 mil. 0,24 mil. 1996 1,33 mil. 0,2 mil. 1997 1,4 mil. 0,14 mil. 1998 1,5 mil. 0,11 mil. 1999 ? 0,15 mil. 2000 ? 0,14 mil. 2001 ? 0,13 mil. 2002 ? 0,17 mil.

(Source: Anuarul statistic al României, Bucureşti, 1993, 2001, 2003) La frontière avec la Bulgarie (631,3 km) a été consacrée juridiquement par la Convention de Sofia, du 1/14 janvier 1908, pour la délimitation de la frontière fluviale sur le Danube, et par le Traité de Craïova du 7 septembre 1940, pour le secteur continental (Stamate, 1997). En dépit de la navigabilité du grand fleuve, qui pourrait constituer un axe économique très attractif pour les régions traversées, la frontière danubienne s’est avéré être suffisamment rigide pour entraîner une marginalisation relative des espaces bordiers, surtout du côté roumain. La léthargie des villes danubiennes, constatée pendant le régime communiste, s’est accentué après 1989, par suite à la coupure de la navigation danubienne dans son secteur yougoslave (embargos, blocage par les débris des ponts bombardés) et grâce au déclin économique des pays riverains.

Cette marginalisation a aussi des causes historiques et géographiques plus profondes. Il s’agit de cette étrange attitude, développée par les Bulgares et les Roumains, de s’ignorer réciproquement dans le processus de leur développement (trait visible du niveau des représentations collectives, jusqu’au niveau des élites culturelles et politiques). Les années de communisme n’ont fait qu’accentuer le divorce réciproque, entre une

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Roumanie dissidente au sein des pays du CAMECON et du Pacte de Varsovie et une Bulgarie tellement fidèle au grand frère soviétique, donc soutenue par celui-ci. Ce ne sont que les démarches pour l’intégration européenne et euratlantiques ceux qui ont réussi, après de longues hésitations, sous la pression des occidentaux, à rapprocher les deux pays, pour développer des projets communs.

Le manque d’intérêt pour une collaboration réciproquement avantageuse est lisible aussi à travers le nombre réduit des points de passage de la frontière (PPF), à peine 10, respectivement un PPF tous les 63 km (fig. 3). La relative ressemblance des économies roumaine et bulgare, donc leur complémentarité réduite, n’a pas eu la vocation de stimuler les flux réciproques de personnes et de marchandises (Popa, 2002) (fig. 4 et tableau 3).

Fig. 3. Frontières et principales coopérations transfrontalières de la Roumanie

(Nicolae Popa, 2002) Legende. Points de passage de la frontière: routiers (1), ferroviaires (2), aériens (3), fluvio-maritimes

(4) et principaux axes routiers (5). Eurorégions: DKMT (A), Carpatica (B), du Prout supérieur (C), du Bas Danube (D). Zones

transfrontalières: Giurgiu-Russe (E), Danube 21 (Calafat-Vidin) (F).

C'est, peut être, en raison à cela que la coopération transfrontalière avec la Bulgarie s'est concrétisé si tardivement. Aucune eurorégion romano-bulgare ou zone trans-danubienne quelconque n'a pas pu naître jusque très récemment. C'est à peine en début de l'an 2002 qu'on a vu ressortir deux initiatives locales, une au sud, entre Giurgiu et Russe,

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pas loin de Bucarest, et l'autre au sud-ouest, aux alentours du futur pont trans-danubien de Calafat-Vidin.

Tableau 3. Nombre des traversées de la frontière romano-bulgare

(destinations aller-retour Roumanie et, respectivement, Bulgarie)

Année Roumanie-Bulgarie Bulgarie-Roumanie 1990 0,7 mil. 1,1 mil. 1992 0,53 mil. 1,1 mil. 1995 0,48 mil. 0,7 mil. 1996 0,6 mil. 0,45 mil. 1997 0,57 mil. 0,6 mil. 1998 0,6 mil. 0,47 mil. 1999 ? 0,5 mil. 2000 ? 0,36 mil. 2001 ? 0,39 mil. 2002 ? 0,36 mil.

(Source: Anuarul Statistic al României, Bucureşti, 1993, 2001, 2003)

La frontière avec l’Ukraine (649,4 km), comportant deux secteurs, un au nord et l’autre au sud-est, vers la mer Noire, a un statut particulier: elle n’est pas fondé par un régime juridique actualisé et convenu entre les deux pays. Elle relève du premier Traité de frontière romano-soviétique, du 27 février 1961 (Stamate, 1997). La plupart de cette frontière traverse des zones assez difficiles du point de vue physique et à peuplement faible: régions de montagnes au nord, puis la région marécageuse du Delta du Danube, au sud-est.

Pourtant, les enjeux de la frontière avec l’Ukraine ne sont pas négligeables. Surtout au nord, dans la Bucovine et le Maramureş historiques, et moins au sud-est, dans le Boudjac et le Delta du Danube, les minorités ethniques sont bien représentées numériquement de part et d’autre de la frontière. Les plus nombreuses sont les communautés roumaines répandues en Ukraine dans la Bucovine du Nord (environ 300 mille), au Maramureş du nord (60 mille) et dans le Boudjac (50 mille), en des régions de très ancien encrage roumain. Les Ukrainiens se concentrent en Roumanie, prés de la frontière, dans les départements de Maramureş (33 mille) et Suceava (9 mille), au nord, et moins dans le Delta du Danube (2,5 mille).

Le potentiel d’interaction transfrontalière, longuement réprimée pendant le régime soviétique et même après, continue à être peu exploité. La précarité des infrastructures est une des explications du retard avec lequel s’ouvrent de nouvelles possibilités de contacte. S’ajoute une certaine méfiance, issue du fait que presque tous ces territoires ont fait partie de la Grande Roumaine (1918-1940), mais déterminée aussi par l'esprit nationaliste ukrainien, dont l'Etat national est très jeun et pas suffisamment cohérent. Puis, les centres d’intérêt cultivés dans cette région pendant la période communiste n’ont eu aucune dimension transfrontalière.

C’est pour cela que le nombre de points de passage de la frontière se réduit a 8 – dont seulement un dans le secteur maritime du bas Danube, prés de Galaţi – soit en moyenne un PPF tous les 82 km (fig. 3). La ,,densité” la plus grande caractérise le secteur

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nord-ouest de la frontière, en Maramureş, là où des enjeux économiques stratégiques (conduites de gaz, interconnexion des systèmes énergétiques nationaux etc.) se combinent avec la présence significative d’une minorité ukrainienne sur le territoire roumain. Le peu d’intérêt que s’accordent réciproquement les populations de deux pays est illustré aussi par les flux démographiques et économiques ventilés chaque année à leur frontière (tableau 4 et fig. 4), que par la lenteur avec laquelle les autorités s’intéressent à la réhabilitation de deux PPF affectés, il y a deux ans, par les inondations, au Maramures (Popa, 2002).

Tableau 4. Nombre des traversées de la frontière romano-ukrainienne

(destinations aller-retour Roumanie et, respectivement, Ukraine)

Année Roumanie-Ukraine Ukraine-Roumanie 1995 0,1 mil. 0,7 mil. 1996 0,09 mil. 0,6 mil. 1997 0,1 mil. 0,62 mil. 1998 0,11 mil. 0,42 mil. 1999 ? 0,31 mil. 2000 ? 0,33 mil. 2001 ? 0,32 mil. 2002 ? 0,29 mil.

(Source: Anuarul statistic al României, 2001, 2003).

La frontière avec la République de Moldova forme le secteur le plus long (681,3 km) des dyades frontalières roumaines grâce au cours méandreux du Prut, qui constitue son support. Cette frontière a un statut similaire à celui avec l’Ukraine, étant héritée de la période soviétique. Pendant le régime communiste, ce fut une des frontières les plus hermétiquement fermée de la Roumanie. Les représentations transfrontalières réciproques ont été, et le restent largement encore, très marquées du discours anti-roumain cultivé par les Soviétiques, du côté moldave, respectivement de l’indifférence et de l’incompréhension, du côté roumain.

L’enthousiasme initial des retrouvailles a amené les Roumains des deux rives du Prout à tisser des ,,ponts de fleurs”. Hélas, ponts éphémères, car les fleurs se sont écoulées avec les ondes, laissant place à la rude réalité: économies en chute libre, complémentarités transfrontalières faibles (car autant la Moldavie roumaine que la République de Moldavie sont à prédominance rurale et agricole), faible capacité de la Roumanie d’attirer une Moldavie en partie slavisée (les Ukrainiens et les Russes représentent 27 % de la population totale) et polarisée du point de vue économique, politique et même culturel (Muntele, 2002), par l'ancienne métropole, la Russie Pourtant, les flux transfrontaliers de population ont été assez importants après 1990, notamment vers la Roumanie, par contraste avec la faiblesse des échanges économiques (tableau 5 et fig. 4).

La perméabilité officielle de la frontière romano-moldave s’est amélioré un peu ces dernières 12 années par l’ouverture de plusieurs points de passage (3), mais qui fonctionnent avec des restrictions horaires et par catégories de véhicules. Parmi les 8 points de passage (un PPF tous les 85 km), il n'y a que 4 passages routiers et 2 ferroviaires

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(conjoints aux 2 des points antérieurs) qui permettent des flux réguliers plus importants (fig. 3).

Tableau 5. Nombre des traversées de la frontière romano-moldave

(destinations aller-retour Roumanie et, respectivement, Rép. de Moldova)

Année Roumanie-Moldova Moldova-Roumanie 1995 0,11 mil. 1,05 mil. 1996 0,1 mil. 1,14 mil. 1997 0,12 mil. 1,08 mil. 1998 0,13 mil. 1,19 mil. 1999 ? 1,5 mil. 2000 ? 1,44 mil. 2001 ? 1,03 mil. 2002 ? 0,86 mil.

(Source: Anuarul statistic al României, 2001, 2003)

Le développement des relations transfrontalières romano-roumaines à travers le Prout semble être obstrué, pour l’avenir, par le nouveau statut que va acquérir cette rivière, de support d'une des frontières externes de l’OTAN et de l’UE le mieux contrôlée, pour limiter les passages clandestins et les trafics illicites. C'est aussi à cause de ça que les deux eurorégions initiées par la Roumanie en collaboration avec l'Ukraine et la République de Moldova, celle du Prout supérieur, au nord-est, respectivement celle du bas Danube, au sud-est (fig. 3 et 6), ont, pour le moment, des chances réduites de développement. Les perspectives des communautés locales de réaliser des projets communs se trouvent ainsi embarrassées.

La frontière maritime de la Roumanie (193,5 km vers les eaux internationales, 22,2 km vers les eaux territoriales de la Bulgarie et 31,7 km vers les eaux territoriales de l’Ukraine) a, elle aussi, un statut provisoire et imprécis.

La frontière maritime avec la Bulgarie pose problèmes relativement simples, mais pas encore résolues. Il s’agit d’une décision finale sur le principe à retenir dans le tracement et le marquage de la frontière maritime commune : suivant la perpendiculaire sur la ligne générale de la cote, la perpendiculaire sur la ligne de cote adjacente à la frontière locale ou suivant la parallèle qui passe par la dernière borne de frontière émergée (fig. 5).

● Frontieres et regions transfrontalieres en Roumanie 94

Fig. 4. É

lémen

ts d'ou

verture eu

ropéen

ne d

e la Rou

man

ie (Nicolae P

opa, 2002) 1 - exportations; 2 - im

portations; 3 - valeur du comm

erce extérieur de la Roum

anie avec les principaux pays européens; 4 - circulation transfrontalière aux frontières de la R

oumanie avec les pays voisins (m

ille personnes); 5 - répartition du comm

erce extérieur de la Roum

anie par grandes régions du monde (données 2000).

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Fig. 5. Schéma avec les variantes de partage du plateau continental

entre la Roumanie et la Bulgarie (source : Stamate, 1997)

1 - suivant la paralelle qui passe par la dernière borne de frontière de la terre férme (proposition bulgare); 2 - suivant la perpendiculaire sur la ligne générale du littoral; 3 - suivant la ligne qui va jusqu'au centre géométrique du bassin Ouest de la mer Noire; 4 – suivant la perpendiculaire sur la

ligne du littoral adjacent à la frontière (propositions roumaines).

La frontière maritime avec l’Ukraine est officiellement en litige, compte tenant que l’Ile des Serpents, anciennement roumaine, confisquée en 1940 par l’Union soviétique et transformée en base militaire pour le contrôle des bouches du Danube, revienne maintenant à l’Ukraine, le successeur ici de l’ancienne fédération soviétique. La position de cette île a imposé un tracé de la frontière maritime totalement défavorable à la Roumanie, aussi sur son secteur maritime que sur la partie terminale de la frontière fluviale adjacente. Le traité de bon voisinage conclu en 1997 entre les deux pays prévoit notamment des négociations

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pour délimiter la frontière commune et, en cas de désaccord, de porter se litige devant la Cour internationale de justice de la Hayes.

Le front maritime dont dispose la Roumanie est marqué par plusieurs ports, à savoir Mangalia, Midia, Sulina et, surtout, Constanta. Les deux derniers disposent chacun d'une zone franche récemment instituée et sont, avec Midia aussi, des ports qui s'ouvrent directement sur le bassin du Danube (par le canal de Sulina et, respectivement, les canaux Danube - mer Noire et Poarta Alba - Midia). D'ailleurs, la ville de Constanta (350 mille habitants) possède les installations portuaires les plus complexes du bassin de la mer Noire et réalise le trafic le plus diversifié (Popa, 2002).

Le rôle du front maritime roumain a augmenté cette dernière décennie, grâce à la découverte d'immenses ressources d'hydrocarbures dans le bassin caspien et en Asie centrale, dont l'acheminement vers les pays européens, grands consommateurs, peut être facilité par les installations portuaires de Constanta et de Midia, puis par le réseau de conduites existantes ou projetées (projet TRACECA). En plus, la position géographique de la ville et ses infrastructures lui permettent de coordonner plusieurs relations (Ro-Ro, ferry-boat) vers les ports turques (Istanbul, Trabzon, Samsun) et, depuis 2001, géorgiens (Batumi), pendant que ses bases aériennes (l'aéroport de Mihail Kogalniceanu et le héliport de Tuzla) lui renforcent le rôle stratégique zonale, après l'adhésion récente de la Roumanie à l'OTAN. Ce sont ces raisons celles qui expliquent l'option des autorités roumaines pour l'équipement de la relation Bucarest - Constanta avec une autoroute, qui sera parallèle à la voie ferrée double et électrifiée reliant la capitale au port le plus important de la mer Noire. Au-delà, c'est l'ancienne "route de la soie"…

4. Intégration européenne et avenir du développement des relations transfrontalières de la Roumanie - options stratégiques

L’un des indicateurs les plus pertinents pour apprécier si un pays est prêt à entrer dans l’Union européenne est la normalité de ses relations avec les pays voisins. C’est pour cela que, en vue de consolider sa position régionale et son rapprochement des structures communautaires de l’Europe, la Roumanie participe à toute une série d’actions destinées à diminuer la charge historique des ses frontières. Ce qui engendre en même temps le désenclavement de certaines de ses zones frontalières et le développement des régions transfrontalières.

De ce point de vue, ont été favorisées surtout les régions transfrontalières caractérisées par leur multiculturalité historique (voir Popa, 1999, p. 475-476). D’un part, on a considéré que ces espaces sont plus aptes à développer des relations transfrontalières, grâce aux habitudes multiculturelles des communautés locales. D’autre part, chacun des pays initiateurs a montré un plus d’intérêt pour ce genre de constructions, par volonté de contribuer à la préservation de l’identité ethnique et culturelle des minorités nationales, présentes réciproquement de part et d’autre de leurs frontières.

Ainsi ont été initiées plusieurs eurorégions (11 au total), suivant le modèle développé en Europe occidentale au début des années ‘70 (fig. 6). Leur but principal est de promouvoir des projets communs de développement, de faciliter les relations transfrontalières et d’harmoniser les différents modèles socio-économiques nationaux, comme premier pas vers l’intégration européenne. Malheureusement, la priorité accordée aux intérêts politiques a conduit vers des eurorégions excessivement grandes et

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hétérogènes, à l’intérieur desquelles la coordination et la promotion de projets communs est très difficile.

Fig. 6. Eurorégions et coopérations transfrontalières avec la participation de la Roumanie (Nicolae Popa, 2004)

A – eurorégions institutionnalisées : 1- limite de eurorégion ; 2 – Eurorégion « Carpatica » ; 3 – Eurorégion Danube-Cris-Mures-Tisa (DKMT) ; 4 – Eurorégion du Prout supérieur ; 5 – Eurorégion du bas Danube. B – eurorégions développées récemment ou en construction : 6 – limite de département ; 7 – Eurorégion Siret-Prout-Dniestre (du Prout moyen) ; 8 – Eurorégion du Danube moyen (de Portes de Fer) ; 9 – Eurorégion Danube-Dobroudja. C- Autres coopérations transfrontalières : 10 – roumano-ukrainienne (Maramures-Transcarpatia) ; 11 – Interrégio ; 12 – Bihor-Bihar ; 13 – roumano-hongroise ; 14 – Giurgiu-Russe ; 15 – Danube 21 (Calafat-Vidin). 16 – Frontière d’Etat. 17 – Villes de : moins de 100 mille habitants (séléctves) ; 100-400 mille h. ; 0,5-1 million h. 18 – Villes de : 1,0-1,7 million h. ; plus de 2 millions h.

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En Roumanie, les premières initiatives pour constituer des coopérations transfrontalières, arrivées depuis la Hongrie, ont été reçues avec réserve. Ce fût le cas de l’Eurorégion Carpatica, première réalisation transfrontalière de ce type, conçue au début des années 90 par plusieurs géographes des pays du groupe de Visegrad et de la Roumanie, suivant l’ancien modèle de la Communauté Alpes-Adria. Pourtant, même si l’idée a été commune (en Roumanie étant partagée surtout par les représentants de la communauté magyare), la Roumanie n’a pas participé aux rencontres fondateurs de cette eurorégion (Nyiregyhaza-1992, Debrecen-1993). A peine plus tard, les représentants de plusieurs départements du nord et du nord-ouest du pays concluront des protocoles de collaboration et adhéreront, sélectivement, à certains des programmes initiés par cette structure régionale. La plus étendue et controversée parmi toutes, l’Eurorégion Carpatica est, paradoxalement, la plus présente dans la littérature internationale. Ce qui est du aussi à l’important soutien dont elle bénéficie de la part des cercles intéressés des Etats-Unis (Found for the Developement of the Carpathian Euroregion – FDCE). Conséquence à ses dimensions exagérées (environ 220 mille km² et 20 millions d’habitants), à l’intérieur de cette eurorégion se sont constitué d’autres coopérations transfrontalières plus petites, par secteurs de dyades frontalières. Les principaux objectifs visés ont été : le développement rural, l’amélioration des infrastructures, le développement du tourisme, la protection de l’environnement et l’aménagement du territoire. Maintenant, il semble que cette eurorégion est en train de destructuration.

Une certaine résistance a rencontré aussi la mise en scène de l’Eurorégion Danube-Cris-Mures-Tisa (fig. 7). Initiée en 1992 par un protocole de collaboration signé entre les départements de Timis (Roumanie) et de Csongrad (Hongrie), cette eurorégion a fallu attendre cinq ans pour se définir territorialement et fonctionnellement. Au 21 novembre 1997, est signé le protocole de constitution de la « Coopération régionale Danube-Cris-Mures-Tissa ». Disposant d’un bureau permanent à Szeged (à partir de l’an 2000) elle est formée actuellement de 4 départements roumains (Arad, Caras-Severin, Hunedoara et Timis), 3 départements hongrois (Bacs-Kiskun, Bekes et Csongrad) et de la région autonome de Voivodine , de Serbie-Monténégro. Au total, 71.879 km² et 5,2 millions habitants1.

De nombreux programmes ont été ou le sont soumises à l’attention des groups de travail de l’eurorégion : - le Programme de réalisation de la structure régionale de fonctionnement de la DCMT ; - le Programme de coopération administrative du plan stratégique de la DCMT ; - le Programme de réalisation d’un concept stratégique de développement à long terme de

l’Eurorégion DCMT ; - le Programme de communication de l’eurorégion ; - le Programme d’amélioration de la capacité de l’eurorégion à procurer des ressources ; - etc.

Les projets concrets de collaboration ne manquent pas, mais très peu ont dépassé la phase d’intentions ou d’études de pré faisabilité. Une continuité remarquable ont surtout les

1 Du point de vue territorial, le poids le plus important revienne à la partie roumaine (44,5%), puis à la Voivodine (30%), suivie par la partie hongroise (25,5%). Démographiquement, les différence sont moins tranchantes, mais l’ordre est le même : les départements roumains 37,9%, la Voivodine 37,3%, puis les départements hongroises avec à peine 24,8%.

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échanges culturelles et scientifiques, puis les émissions radiophoniques avec des informations sur le territoire entier de l’eurorégion. Nous mentionnons aussi l’ouverture du nouveau passage de frontière de Cenad-Kiszombor, pour lequel les parties roumaine et hongroise de la DCMT ont dépensé pas mal d’efforts.

Le potentiel de collaboration et de développement de l’espace eurorégional est remarquable, mais d’éléments de difficulté ne manquent pas. Ils tiennent aux disparités spécifiques existantes entre les secteurs nationaux des 3 pays, disparités de nature culturelle, juridique, organisationnelle, économique et même démographique (fig. 7). S’ajoute aussi la stabilisation éphémère de la frontière externe de l’UE entre la Roumanie et la Hongrie et, plus récemment, l’introduction du régime de visa entre la Roumanie et la Serbie- Monténégro.

Dans le cas des eurorégions proposées aux frontière avec la république de Moldova et l’Ukraine (fig. 6), aux obstacles évoqués viennent s’ajouter des dimensions internationales particulières. La frontière Nord et Est deviendra prochainement (à partir de 2007) un des segments de la frontière externe durable de l’Union européenne, ce qui la place sous un régime spécial. Même si du point de vue culturel et socio-économique il y a des compatibilités transfrontalières remarquables, elles sont obstruées par la nécessité, pour l’Union européenne et l’OTAN, de consolider le rôle de cette frontière comme filtre contre la migration illégale et des trafics illicites depuis l’espace ex-soviétique et asiatique, vers l’Occident. Dans ces conditions, les mesures prises pour sécuriser la frontière et durcir les contrôles sur les divers types de flux réduisent de beaucoup l’intensité possible des relations transfrontalières. Voilà pourquoi, ces dernières années, ces initiatives transfrontalières sont entrées dans l’ombre, par contraste avec les nouveaux projets promus entre la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie-Monténégro.

Une fois de plus, les régions occidentales de la Roumanie apparaissent comme ayant une plus grande vocation d’ouverture européenne. Si une politique régionale cohérente et constructive sait être menée, ce genre de développements transfrontalières est à attendre aussi pour le sud de la Roumanie, en collaboration avec la Bulgarie, la Grèce, la Turquie et la Serbie-Monténégro.

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Fig. 7. L’Eurorégion Danube-Criş-Mureş-Tisa – DKMT : Villes et disparités démographiques (Nicolae Popa, 2003)

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En ce qui concerne les régions orientales, au-delà des futures contraintes imposées par la frontière externe de l’Union européenne, la Roumanie a de profonds intérêts historiques et culturels transfrontaliers. Pour les cultiver, elle doit développer des mécanismes politiques, culturels et économiques modernes et très flexibles. Les relations spéciales avec les citoyens de la République de Moldova sont trop importantes pour qu’elles soient sacrifiées à des situations conjoncturelles. De même, les liens avec l’Ukraine et la Russie ont une importante connotation économique et géopolitique. De la même manière est regardée aussi la perspective du renforcement des échanges commerciaux de la Roumanie avec les pays du Caucase et de l’Asie centrale. Le très disputé projet TRACECA, de drainage d’une partie des hydrocarbures de ces pays vers l’Europe occidentale, en utilisant les infrastructures des corridors transeuropéens IV, VII et IX, qui traversent le territoire de la Roumanie, est considéré par Bucarest comme une opportunité qui ne doit pas être négligée, à présent comme à l’avenir.

Les récentes tensions entre la Roumanie et l’Ukraine concernant les travaux faites par la partie ukrainienne dans le delta du Danube (sans consulter la partie roumaine), pour améliorer les conditions de navigation sur le canal de Bistroe, sont issues en partie des mêmes enjeux.

Le phénomène transfrontalier continuera à jouer un rôle très contrasté pour la Roumanie, du fait de sa position marginale, du type marche de frontière: transparence à l'Ouest et au Sud (si la Roumanie intègre prochainement les structures unitaires européennes) et opacité à l'Est et au Nord. C'est ici que, en dépit de d’intérêts historiques et économiques non-négligeables, la Roumanie sera obligée de renforcer l'étanchéité et le contrôle de ses frontières, pour réduire les trafics illégaux de personnes et de marchandises. Ce sont des exigences européennes dont l'application a déjà commencé à faire apparaître des inconvénients. L'introduction des passeports pour les citoyens de la République de Moldova n'est qu'un exemple. D'autres viendront s'ajouter (prochainement les visas). Mais on calcule aussi les futurs avantages, en termes de développement et de modernisation de la société roumaine, que l'adhésion à l'espace de l'Union européenne pourra apporter.

Cette dichotomie introduira sûrement des disparités notables entre les diverses zones de frontière du pays. Plus encore, les équilibres du développement régional de la Roumanie subiront des restructurations. Alors que la croissance démographique du pays a tendance à déplacer son centre de gravité, lentement, vers le sud-est (Groza, 2001), le dynamisme économique et les infrastructures afférentes s'ordonnent, en décroissance, à partir de l'ouest de la Roumanie (Popa, 1994). Existera-t-il des mécanismes de régulation interne, de solidarité et d'assistance inter-provinciale, en mesure d'atténuer ces tendances contradictoire? Quelles seront les possibilités de réussir une articulation cohérente entre les politiques internes de développement régional et la politique européenne en la matière?

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