François ROUSTANG Savoir Attendre
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FRANOIS ROUSTANG
SAVOIR ATTENDREPOUR QUE LA VIE CHANGE
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SAVOIR ATTENDRE
Pour que la vie change
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DU MME AUTEUR
CHEZODILEJACOB
Comment faire rire un paranoaque, 1996 ; Poches
Odile Jacob , 2000.
La Fin de la plainte, 2000 ; Poches Odile Jacob ,
2001.
Il suffit dun geste, 2003, Poches Odile Jacob , 2004.
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Franois ROUSTANG
SAVOIRATTENDRE
Pour que la vie change
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ODILE JACOB, MARS 200615, RUESOUFFLOT, 75005 PARIS
ISBN : 978-2-7381-8878-6
www.odilejacob.fr
Le Code de la proprit intellectuelle nautorisant, aux termes de larticle L. 122-5,2et 3 a, dune part, que les copies ou reproductions strictement rserves l usagepriv du copiste et non destines une utilisation collective et, dautre part, que lesanalyses et les courtes citations dans un but dexemple et dillustration, toute repr-sentation ou reproduction intgrale ou partielle faite sans le consentement de l auteurou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (art. L. 122-4). Cette reprsentationou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaonsanctionne par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.
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Das ewige Geltenlassen, das Leben undLebenlassen.
GOETHE, Dichtung und Wahrheit, ch. 18, citpar Charles Du Bos dans ses Approximations
qui traduisait ainsi : Lternelle propensionde Goethe laisser chaque chose, chaquetreavoir cours selon sa valeur propre, vivre lui-mme et laisser vivre autrui.
Dazu gehrt dass der Mensch mit Geist, Herzund Gemt, kurz in seiner Ganzheit, sich zurSache verhlt, im Mittelpunkt derselben stehtund sie gewhren lsst.
Il faut que lhomme, avec son esprit, soncur, son me, bref, dans sa totalit, serapporte la chose, se tienne au milieu delleet la laisse faire.
HEGEL,Encyclopdie des sciences philosophiques,
addition au 449.
Lass dich die Bedeutung der Worte von ihrenVerwendungen lehren.
Laisse lemploi des mots tenseigner leursignification.
WITTGENSTEIN, Recherches philosophiques,II, xi.
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Prologue
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Attendre, se rendre attentif ce quifait de lattente un acte neutre, enroul sursoi, serr en cercles dont le plus intrieur etle plus extrieur concident, attention distraiteen attente et retourne jusqu linattendu.Attente, attente qui est le refus de rienattendre, calme tendue droule par lespas.
Maurice BLANCHOT, LAttente, loubli.
Tu peux mexpliquer ton mtier ? Quest-ce qui tarrive ? Tu viens chez moi pendant
les vacances, tu me vois toujours descendre dans mon
bureau. Pourquoi tu me demandes a aujourdhui ?
La professeur de franais nous a expliqu hier
le mot psychologie. propos de Madame Bovary. Elle
nous a dit que cela venait du grec, que c tait ltude delme, de lme humaine. Cest quelque chose comme
a que tu fais ?
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Flaubert ne serait pas trs content que lon
utilise ce mot pour parler de son hrone. Moi, je ne
lemploie pas propos de mon travail, parce que cette
pseudoscience est une invention rcente de notre
culture pour justifier son exaltation de lindividu. Je
crois que le mot psychologie a t cr ou mis en
valeur par Condillac qui voulait remplacer lastrologie
par lanalyse des sentiments.
Alors, tu voudrais rhabiliter lastrologie toi
aussi ?
Oh non ! Je pense juste que la psychologie
nexiste pas parce que lme ou la psych ou le
psychisme nexistent pas. Il ny a pas dme sans corps
et pas de corps sans rapport lespace et lenviron-
nement. Le corps humain est la meilleure image delme humaine. Cest Wittgenstein qui dit cela. Cest
du corps quil faut soccuper, pas du corps vu par la
mdecine scientifique, mais du corps qui parle, qui se
meut, qui smeut.
Mais cest bien quelque chose dtudier ses
penses, ses sentiments, ses motions ? Cest bienquelque chose de les considrer, de les dire, de les
analyser ? La littrature en est pleine.
Tu as raison. Enfin, peut-tre pasComment les
dramaturges et les romanciers nous font-ils entrer dans
les penses et les sentiments de leurs personnages ?
En les formulant. Je ne crois pas. Ils font vivre leurs personnages
sous nos yeux. Ils nous montrent comment ils
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marchent, comment ils causent, comment ils se
comportent. Pense Phdre. Comment nous fait-elle
savoir son trouble intrieur ? Que ces vains orne-
ments, que ces voiles me psent, quelle importune
main Pense Fabrice Waterloo. Tout Stendhal,
cest du cinma, et le plus souvent du cinma muet. Et
linspiration selon Faulkner. Il nous dit que Le Bruit
et la Fureura t crit partir dune image : la petite
culotte de Quentin aperue lorsquelle est monte dans
larbre.
Bon, mais quest-ce que cest que cette histoire
de corps dans ton travail ? Si tu ne veux pas de la
psychologie, par quoi tu la remplaces ?
I l ne sagit pas de la remplacer, mais de faire
tout autre chose. Mais quoi ? Tu ne veux plus toccuper des tats
dme des gens qui viennent te voir ?
Je vais te raconter une petite histoire. Il sagit
dune jeune fille qui a fait une longue thrapie. Elle
sest plainte de ses petits et grands malheurs pendant
des mois, voire des annes. Un jour, elle sest trouvebeaucoup mieux et a dcid de mettre un terme ces
rencontres. Comme la thrapeute lui demandait ce qui,
ses yeux, avait t dcisif pour oprer son change-
ment, elle avait rpondu : Parce que ds l e dbut
vous ne mavez pas coute. Grand tonnement de
la thrapeute qui coute ses patients avec beaucoupdattention et de respect. Ensuite elle a compris :
aucun moment, elle navait pris au srieux les misres
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et les interminables explications de la jeune fille. Elle
attendait autre chose, elle attendait que toutes ces
rcriminations passent la trappe.
Sil suffit de ne pas couter les plaintes, de ne
pas prendre au srieux les peines et les dires, dtre
la limite de la dsinvolture, ce ne doit pas tre un
mtier trop difficile pratiquer. Tu ne me feras pas
croire que cest cela que tu passes des heures et des
journes.
Dtrompe-toi. Il faut un long apprentissage pour
rester attentif quelquun qui sgare dans des propos
inutiles, qui tourne sans se lasser autour des ques-
tions qui empoisonnent son existence pour viter de
les aborder, qui ne peut ou ne veut pas voir ce qui
lui crve les yeux ou qui, layant vu, sempresse de luitourner le dos. Cest comme attendre patiemment que
la tempte se calme pour pouvoir reprendre la mer.
Une faon dcouter et dtre l qui dissout les graisses
de nos propos pour nen laisser subsister que la bonne
chair.
Je ne comprends pas bien ce que tu fais. Il mesemble que tu invites la passivit. Tu parles de rester
attentif, dattendre patiemment, dtre l. Je ne vois
vraiment pas comment cela pourra en quoi que ce soit
aider ceux qui viennent te voir.
Daccord. Cela peut donner une impression de
passivit. Cest vrai que lattente, par exemple celle duspectateur, qui nest nullement impliqu dans le spec-
tacle, est passive. Elle na pas dinfluence sur ce qui se
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passe sur la scne (encore quun parterre dsabus ou
enthousiaste ne puisse pas manquer davoir un effet
sur les acteurs). Mais il y a une autre attente, celle
qui mobilise les forces et les rend disponibles. Marcel
Mauss, le grand ethnologue, que certains croient avoir
dpass, faisait de lattente la clef de la comprhen-
sion de ce quil nommait lhomme complet ou lhomme
total. Lattente tait pour lui aux confins dune multi-
tude de phnomnes physiologiques, psychologiques,
sociaux, conomiques, politiques. Elle les rassemble et
les anime.
Si je comprends bien, par ton attente paisible,
sans rien dire et sans rien faire, tu mobiliserais les
forces du patient et les lui rendrais disponibles, lesmettrais sa disposition. Cest trs beau, mais cest
tout de mme un peu mystrieux.
Quest-ce que tu trouves l de mystrieux ? Cest
ni plus ni moins mystrieux que dautres phno-
mnes humains ; ce nest pas plus mystrieux que
lamour, la haine, la jalousie, etc. La seule diff
rence,cest que nous ne nous y attardons pas, que nous ne
nous y exerons pas. Un ami me disait lautre jour
quattendant le mtro ou le bus il sapprenait
attendre, ne cherchant pas se distraire de lattente en
prenant un journal ou un livre, ne faisant rien dautre
que dattendre. Il s
agit d
une attente sans contenu. Onnattend rien, on attend tout simplement. On devient
attente.
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Je ne vois tout de mme pas lintrt dun tel
exercice. Quand on attend sans pouvoir rien faire
dautre, il nous est normal, par exemple, de penser
un projet et de llaborer quelque peu.
Pourquoi pas ? Mais ce nest pas de cela que je
veux parler. Lattente dont je parle est faite pour crer
un tat de disponibilit, pour nous mettre en tat de
souplesse lgard des choses, des personnes ou des
vnements. Plus prcisment, lorsquil sagit dune
attente en prsence dun patient, cest comme si,
force dattendre tout et nimporte quoi, on le dcantait.
Lanecdotique qui lencombre laisse place la clart,
quelque chose de fluide qui lhabite tout entier.
Attends, je vais essayer de faire ce que tu dis.
Tiens, jai dit Attends, a veut dire quoi ? a veut dire au moins que tu m cartes, que tu
veux que je te laisse faire toute seule.
Alors je ne fais rien ? Jattends seulement, mais
je nattends rien ? Comment peut-on attendre sans rien
attendre ?
Pour le savoir, tu devrais te taire cinq minutes ette mettre en suspens, comme si tu tais un oiseau qui
plane ou mme un oiseau qui est arrt dans lair, ne
sachant mme plus sil vole ou ne vole pas, sil est l
ou sil nest pas l. Il ne soccupe plus de savoir ni ce
quil est, ni ce quil veut, ni ce quil fait.
(Aprs quelques minutes de silence) Ah, mais cenest pas mal du tout. Je me sens calme vrai dire,
je ne me sens rien du tout.
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Lautre jour, quelquun ma dit lors dune
sance : Quand on est comme a, on na plus
dhumeur. On ne se proccupe plus de savoir si on
est bien ou pas bien, si on est content ou pas content.
Mais on ne peut pas rester comme a tout le
temps.
Bien sr, mais tout de mme a peut durer
comme si nous tions sans cesse en contact avec un
fond, avec une base. Les agitations de la mer en
surface nempchent pas quil y ait du silence loin en
dessous. Et puis, on saperoit que les choses qui nous
troublaient dans notre existence, qui taient plus ou
moins en dsordre, qui brouillaient notre vue, on
saperoit que ces choses sont mieux en place les unes
par rapport aux autres. Surtout, on est plus disponiblepour prendre dun bon ct les vnements.
Quand on parle avec toi, on a limpression que
tu tintresses beaucoup au thrapeute, que tu exiges
beaucoup de lui, mais que tu ne laides pas beaucoup
en lui disant comment se prsenter son patient,
comment lui parler, que lui proposer. Mais, tu vas medire si cest exact, jai limpression davoir compris
quelque chose en faisant ce petit exercice dattente.
Cest comme si toi, thrapeute, tu te mettais en attente,
tu provoquais ton visiteur se mettre dans la mme
attente.
Tu as tout compris. Oui, mais est-ce que cest a aller mieux ou
gurir de ses troubles ?
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Cest du moins commencer.
Pourquoi commencer ?
Parce que, si tu nes pas la bonne place, ta
place, tu ne peux pas prendre le bon chemin. Cest a,
sintresser au corps qui se meut, mme sil reste
immobile, au corps qui parle, mme sil garde le
silence, un corps qui se situe par rapport lui-mme
et, de ce fait, par rapport tout ce qui le touche ou
latteint.
Oui, mais quest-ce que tu dis tes patients pour
quils trouvent leur place ?
Par exemple, de bien sinstaller, de trouver la
position optimale pour se concilier tous les composants
de leur existence, ou plutt de se laisser la trouver. Car,
lorsquon trouve la bonne position, ou tout simplementquon la laisse venir, le corps, lesprit et lenvironne-
ment ne font quun. On est alors rconcili avec soi-
mme et donc avec beaucoup dautres choses.
Mais comment on peut faire a ?
Cest exactement la question que la plupart du
temps me posent mes visiteurs. Nest-ce pas ce que tuas fait tout lheure. Tu ty es mise, voil tout. Il faut
se contenter de le faire et de le laisser se faire.
Comment ? Mais commea. Quelquun lautre jour ma
fait remarquer que je disais souvent : Allez-y. Si
jexpliquais comment faire, je ne pourrais que mettre
un intermdiaire de plus entre eux et eux-mmes, doncun obstacle de plus. On ne peut pas expliquer un
petit enfant comment marcher, comment courir ; je ne
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peux pas expliquer ce que cest que dattendre sans
attendre. Il y a un moment o il faut sy mettre, il faut
faire le pas. Il faut mme chaque fois oublier comment
on a fait, mme sia fait des annes que lon pratique
ce genre dexercice. Il faudra quon reparle de loubli.
Je pense au titre dun livre de Maurice Blanchot
LAttente, loubli. Avec ces deux ingrdients, il avait
mentionn les deux fils dont ltre humain peut tre
tiss.
L, tu vas un peu vite. Si tu nes pas trop press,
je voudrais revenir en arrire. Tu as dit que lattente
tait une mobilisation de forces. Quest-ce que tu veux
dire par l? Quelles sont ces forces et do
viennent-elles ? Pour te rpondre, il faut que je fasse un dtour.
Se souvenir que nous ne sommes pas des individua-
lits qui tiennent toutes seules. Je te cite Hegel :
Nous sommes un monde de contenu concret la
priphrie infinie, nous avons en nous une multitude
innombrable de relations et de connexions, qui esttoujours en nous, mme si elle nentre pas dans notre
sensation et reprsentation. Les relations et
connexions dont nous sommes faits sont dune
infinie richesse. La plupart du temps, nous ny
pensons pas, nous nen avons pas la proccupation, et
pourtant elles ont form
et elles forment notreindividualit.
Pourquoi parler de forces ?
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Suppose que les fils qui nous lient ces rela-
tions et connexions soient coups, nous allons mourir
dinanition. Si nous voulons retrouver notre vitalit, il
ny a pas dautre moyen que de renouer ces fils. Que
lattente mobilise nos forces, cela revient dire que
nous reprenons le contact avec ces relations et
connexions. Justement parce que nous nattendons
plus rien de particulier, nous ne sommes plus acca-
pars par ce particulier, alors nous sommes ouverts tout ce que nous avons peru et appris au cours de
notre brve ou longue histoire.
Je comprends mieux maintenant. Nous
nutilisons dans le prsent quune trs petite partie de
ce que nous avons engrang au cours de lexistence.
Comme si nous ne disposions aujourdhui que duneseule couleur, et encore dune couleur dilue, pour
peindre notre aujourdhui, alors quil y en a cent ou
mille notre disposition, qui peuvent entrer en corres-
pondance ds le plus jeune ge. Je repense la fin
du Temps retrouv que je viens de lire et qui propose
duser, par rapport la psychologie plane dont onuse dordinaire, dune sorte de psychologie dans
lespace qui caractrise un individu par les positions
prises successivement lgard des autres.
Je ne me souvenais plus de ce passage. Je vois
que tu sais lire. Cette citation me rjouit parce quelle
contredit lopinion selon laquelle Proust serait lechantre de lintime, alors quil nous fait voir une
socit o les rapports sont rgis par des lois qui
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valent pour les plantes. Cest lentourage qui nous fait,
nous dfait et nous restaure. Certes, chacun ragit
aussi sa manire, mais il nexisterait pas sans ce
contexte qui le prcde. Nous sommes ns aprs, nous
sommes arrivs aprs, et cest toujours aprs que nous
sommes. Cest pourquoi la prise de position du corps
dans son environnement est la clef du mieux-tre.
Ne temballe pas. Permets-moi de te dire sans
malice que jai un peu limpression que tulves le ton
pour cacher les difficults. Tu en appelles au corps et
sa position dans lespace. Tu naboutirais pas nier
lintelligence ? Je me mfierais de cet appel au spon-
tan. Pourquoi pas, tant que tu y es, linstinct ?
Tu es terrible, parce quil est vraiment trs diffi-
cile de rpondre cette objection. Tout ce que je peuxdire, cest que, dans ma pratique, cest en faisant taire
le souci de comprendre, en faisant mme steindre la
pense explicite, en se laissant aller la confusion que
lon dcouvre une autre intelligence des tres et des
choses. Ce nest quun passage, mais un passage
renouveler sans cesse. Les gens intelligents qui restentcramponns ce quils ont dj compris finissent par
ne plus rien comprendre rien. Il faut repasser par
lidiotie pour accder lintelligence. Pense
Dostoevski, mais aussi encore Faulkner dans Le
Hameau, par exemple. Cest pour le passionn de la
vache que lhumain na plus de secret. Est-ce quil ny aurait pas un lien entre lidiotie
et loubli ?
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7/24/2019 Franois ROUSTANG Savoir Attendre
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Comment tu verrais cela ?
Je ne sais pas trs bien. Par exemple, lidiot est
quelquun qui sait trs bien ce quil fait, mme sil ne le
sait pas du tout et quil serait incapable de lexpliquer.
Il sent les choses. Il les sent dautant mieux quil
nest pas gn par une comprhension plus ou moins
abstraite, plus ou moins limite, plus ou moins
fatigue.
Et loubli alors ?
Je ne sais plus trs bien ce que je voulais dire.
Je navais pas pens ce rapprochement que tu
fais entre lidiotie et loubli. Mais a devrait tre
possible de dvelopper. Ce qui me semble fonda-
mental, cest que lidiot est celui qui soublie lui-mme,
qui oublie de se regarder et qui, comme tu le disais, esttout entier dans le sentir. Il est intelligent, trs intelli-
gent, mais comme un humain qui naurait plus se
justifier aux yeux des autres, qui serait ce quil est tout
simplement, qui naurait plus de distance entre lui et
lui-mme parce quil naurait pas besoin de se regarder
pour savoir quil est bien l. I l naurait mme pasbesoin de soublier comme je pense que lon dit que
les sages doivent faire. Il fonctionne trs mal dans la
socit, mais il est en accord avec tout ce qui se passe.
Loubli, cest quelque chose comme a, un tat dans
lequel on na pas besoin de se souvenir, cest la vraie
mmoire, celle qui garde tout en mmoire et qui nouspermet de vivre sans que nous y prtions attention.
Une mmoire qui ne se rappelle rien, parce quelle est
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le moteur mme de nos mouvements. Enfin ne pas
savoir, aprs avoir cherch si longtemps savoir.
Encore une fois tu minquites. Pourquoi
veux-tu tout le temps renoncer au savoir ? Cest tout de
mme par le savoir que lon est humain.
Tu as encore raison. Je crains tout le temps que
lon rduise le savoir celui du technicien qui mani-
pule des matriaux et qui fabrique des objets. Cest
bien de cette manire que fonctionnent la psycho-
logie et son cortge de techniques, de conseils et de
recommandations. Le savoir est alors celui dun sujet
qui disposerait de moyens pour avoir barre sur la
ralit et y produire des effets. Ce nest pas ce savoir
qui aide
vivre. Il faut inventer un savoir des choseset des tres qui ne soit plus celui du spectateur, mais
un savoir qui se perde sans cesse en ces choses et ces
tres pour les apprhender de lintrieur de leur propre
mouvement. Un savoir qui soit de lordre de la sensi-
bilit ou de la sensorialit, qui vide les explications et
les interpr
tations de la distance quelles veulent main-tenir, qui reconduise le langage au gouffre fcond du
silence, bref, un savoir qui renonce servir quelque
chose.
Je suis un peu perdue. Ce qui me semble vident
et qui minquite un peu pour toi, cest que tu proposes
quelque chose qui va
contre-courant de ce qui int
-resse notre poque. Tu risques fort de ne pas avoir
grand succs.
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Ne tinquite pas. Dabord, les vents ne soufflent
pas toujours dans le mme sens. Et puis, surtout, je
me sens seulement contraint de mexprimer moi-
mme le plus clairement possible ce qui me fait tenir
sur mes deux pattes. Les autres en font bien ce quils
veulent.
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7/24/2019 Franois ROUSTANG Savoir Attendre
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Laisse soprer le changement
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Et dabord : que veut dire changement en psycho-
thrapie ou dans ce que lon nomme ainsi ? Cest une
modification des rapports quun individu entretient
avec lui-mme, avec les autres personnes et les chosesde son environnement. Il sagit donc dune transforma-
tion du complexe relationnel dans lequel se trouve
insr un individu.
La premire question se poser, pour aller plus
loin dans lintelligence du changement, consiste se
demander pourquoi et comment simpose sa ncessit.Un changement est ncessaire lorsque le complexe
relationnel, tel quil est aujourdhui, fait souffrir
dans lun ou dans plusieurs de ses constituants.
Par exemple, quelquun est sujet des angoisses ou
des attaques de panique. Ou bien il est malheureux
davoir des mouvements dhumeur lgard dunenfant. Ou bien il ne supporte plus son conjoint, ses
collgues, ses conditions de travail. Ou encore il a
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perdu son emploi, ou bien les conditions dans
lesquelles il est log le plongent dans le malaise, etc.
Dans toutes ces circonstances, le changement simpose
parce que tel ou tel aspect de l univers relationnel est
ressenti comme intolrable. Nous avons l, il faut y
insister, le point de dpart et le point dancrage de la
possibilit de toute modification. Ce ne sont pas les
lmentsrels, extrieurs, qui sont dcisifs ; cest le
sentiment que trop, cest trop, que ce nest plus
possible.
Si ce point de dpart vient manquer, rien ne
pourra tre effectu. Il arrive, en effet, que des
personnes qui viennent demander de laide supportent
assez bien leur peine et que mme elles lentretien-
nent leur manire. Tel homme, par exemple, vientse plaindre de la dpression de sa femme. Mais,
lentendre, on saperoit que cette dpression lui donne
sur sa femme une autorit qui lui convient et dont il
nest pas prtse dbarrasser. Il en a en quelque sorte
besoin pour soutenir sa pseudo-virilit; il na donc que
mollement envie de trouver en lui ou avec elle lesmoyens dune solution. La plainte, alors, est un peu
une compensation du fait de ne pas vouloir de chan-
gement. Ou bien telle femme qui souffre dinsomnie en
profite pour paresser dans sa maison et pour se faire
dorloter par les siens. Cest ce que Freud a mentionn
joliment par les mots de bnfices secondaires.En un mot, tant que la souffrance na pas atteint
un certain seuil dinsupportable, le cot du changement
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7/24/2019 Franois ROUSTANG Savoir Attendre
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est suprieur la dpense occasionne par le mal.
Cest l un des traits qui expliquent lavortement de
maintes entreprises thrapeutiques. On voulait bien
changer, ou plutt on le disait, mais le prix payer
est trop cher. Avec un thrapeute complaisant, la cure,
ou plutt la pseudo-cure, pourra se prolonger sans
fin dans lexhalaison des plaintes diverses et varies.
Tout le monde, alors, fait semblant dy croire. Si le
thrapeute a quelque estime pour son mtier, au
contraire, il interrompra ce qui na pas commenc et
il proposera que soit attendu le moment o il ne sera
plus possible dviter la confrontation avec le mal
vivre, parce que le risque vaudra la chandelle. Savoir
attendre, dj.
De quoi avez-vous peur ?
De cette premire entrave au changement, voici un
exemple significatif. Une femme tait venue dire son
sentiment dinjustice de ce qui lui tait arriv. Elle necessait dosciller entre un commencement de calme
acquis dans la sance et une colre lgard de son
mari et de son entourage. Mais, quand il fut question
de se dbarrasser de sa colre et quelle vit avec clart
la tche qui lattendait, elle prfra ne pas revenir et
mcrivit un mot trs ferme qui se rsumait de lasorte : entre la fuite et le changement, je prfre la
fuite. Tous les patients ne sont pas dous dune
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semblable lucidit et, on pourrait dire, de ce courage,
mais leur refus davancer est de la mme farine.
Quest-ce que cache ce refus et comment nommer
lobstacle que lon ne veut pas franchir ? Il n est autre
que la peur des consquences du changement
personnel. Pour clairer ce point, voici un autre
exemple. Une femme se dsole davoirt abandonne
par sa mre dans son enfance ; cette premire injus-
tice a gch sa vie. Lors dune premire sance
dhypnose, elle constate que cet abandon quelle a subi
est un prtexte pour jouer lternel enfant et que le
bonheur et la libert sont sa main, si du moins elle
consentait les laisser entrer en elle. Lors dune
seconde sance, elle explique longuement quelle ne
veut pas aller plus loin. Elle a en effet construit sonexistence sur cet abandon premier. Tout son entourage
sait de quoi elle souffre et laccepte volontiers ainsi.
Ses amies sont ses amies, parce quelles la plaignent ;
son compagnon laime parce quelle a t et quelle
reste une petite fille abandonne quil protge et dont
il prend soin. Si elle acceptait le bonheur qui la tente,cest tout son rgime relationnel qui serait menac.
Tout cela est, pour elle, le sel de sa vie. Et puis elle
matrise assez bien ces composants de son existence
moiti faisands. Quant au bonheur quelle sent
sa porte, qui peut lui garantir quil sera durable ?
Il pourrait se drober alors que lensemble de sesrelations aura t boulevers. Comment miser sur
une proie qui ne sera peut-tre quune ombre ?
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7/24/2019 Franois ROUSTANG Savoir Attendre
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Dcidment, se lancer dans cette aventure ne vaut pas
la peine. Elle dcide donc de ne plus revenir.
travers cet exemple, on voit sesquisser les traits
principaux de la peur du changement. Elle est peur
dune nouvelle configuration relationnelle et donc de la
tche difficile de rinventer son existence dans toutes
les directions o elle stend. Cette femme a compris
quelle ne pourrait rien prserver de son ancien monde
ou du moins de la place quelle y occupait. De proche
en proche, le virus du changement risquerait de conta-
miner lensemble de ses rapports elle-mme et aux
autres. Elle ne reconnatrait plus son image ni proba-
blement celle de ses proches.
Ce quelle redoute aussi, cest la perte de la
matrise. Elle se demande comment elle va pouvoir sereprer et manuvrer dans ce nouvel univers. Mais ce
qui est plus grave et quelle souponne, cest que le
changement ne va pas sarrter et quelle na aucune
garantie de la stabilit du systme relationnel nouveau
qui va tre instaur. Elle a raison : accepter le change-
ment, cest accepter quil soit permanent, que plus rienne soit fig, sinon la vie qui a recommenc prolifrer
retournera la pourriture. Bien plus, cest admettre de
ne pastre le centre; cest plutt entrer dans un mouve-
ment qui nous donne une place, laquelle se modi-
fiera sans cesse en fonction du temps, des
circonstances et des personnes. Changer, cest doncpeu ou prou se laisser faire par une mobilit sans
relche.
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Lorsquun thrapeute consquent reoit une
personne, il lui signale ds labord que ce qui se passe
entre les sances est bien plus important que celles-
ci ; ce qui compte, cest la modification de lexistence
et non pas la comprhension de soi ou la dtente que
peut procurer la prsence dune oreille attentive. De
mme, lorsquun thrapeute qui utilise lhypnose
propose des exercices ou des tches accomplir,
pendant le temps qui spare une sance de lautre, il
indique par l que le patient doit prendre en charge
sa propre transformation et que le soutien quil peut
recevoir du thrapeute ne doit durer que le temps dun
apprentissage. Ce dernier commence pendant la cure,
mais il doit ensuite se poursuivre comme le moyen de
maintenir la souplesse et la vigueur ncessaires prendre la vie sa charge. La rencontre de limprvu
est le lot de tout humain, qui doit donc s y prparer
sans cesse.
Au contraire, il arrive que des patients, satisfaits
des rsultats obtenus au cours dune ou plusieurs
sances se laissent aller la tentation du repos. Alorsil ne faut pas longtemps pour que les bienfaits obtenus
se dlitent et que les rigidits et les troitesses ant-
rieures rapparaissent.
Il est donc comprhensible que lexigence dune
modification ininterrompue fasse peur et que, sa
vue, certains, peut-tre nombreux, avec lucidit ousans trop le savoir, renoncent lentreprise. Le renon-
cement porte sur la plonge dcisive dans un univers
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qui ne cesse de se mouvoir et qui intime la personne
de sy mouvoir elle-mme. Cest probablement l un
des aspects de ce lon nomme le lcher-prise. Si se
lcher est craindre, cest que pointe le risque de
dcouvrir des repres que lon ne se donne pas, mais
que lon reoit sans pouvoir les apprhender au pra-
lable, sans savoir ce quils nous imposeront et o ils
nous conduiront. Par le lcher-prise, sans doute
perdons-nous la matrise. Ce qui est plus inquitant,
cest que, l o nous tombons, il y aura moins encore
de matrise. Ou, alors, la seule matrise qui nous sera
rserve sera celle octroye par le mouvement des
tres, des choses et des vnements que nous devrons
apprendre pouser sans pouvoir nous arrter. Il ny
aura de matrise que dans son abandon au profit dela confiance que nous apportera un surcrot de clair-
voyance et de force. Car celles-ci viendront coup sr,
si nous laissons au vestiaire nos crispations et nos
ides prconues. Mais, de la venue de cette clair-
voyance et de cette force, nous ne savons rien par
avance. Lassurance ne peut venir au jour que par laperte des rassurances que nous nous donnons
nous-mmes et la recherche desquelles nous nous
puisons.
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Basculement ou levier
Il est possible dsormais de faire un pas de plus
sur le chemin de lintelligence du changement. Nous
avons vu que les peurs conduisaient le refuser. Mais
de quoi est fait ce moment du refus qui peut, dans
dautres cas, tre le moment de lacceptation ? En
dautres termes, comment se construit ce temps du
non ou du oui ? Comment la thrapie en arrive-t-elle
cet instant o un choix est possible, o il devient
invitable ? Ce temps ou cet instant, qui est le mme
dans le refus ou dans lacceptation, comporte deux
faces distinctes : le levier et le point dappui. Pour quil
y ait choix ou dcision, il faut une force qui y pousse etun lieu dimpact o cette force puisse sexercer bon
escient. Pour le dire tout de suite, la force est donne
dans et par ltat dhypnose, le point dappui, par la
perspicacit du thrapeute ou du patient.
Dans le second cas voqu plus haut, la patiente a
pu pressentir que le bonheur et la libert taient samain, parce quelle avait, peut-tre grce linduction
hypnotique, laiss de ct ses peurs ou, pour le dire
autrement, parce quelle avait fait en acte lhypothse
que son problme pouvait tre rsolu. Dj, elle stait
place dans lau-del de ses plaintes, en un lieu o
celles-ci navaient plus de raison dtre. Elle avaitouvert un nouveau champ dexprience et avait laiss
venir, pour quelques minutes, la perspective dune
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transformation. Ce quelle avait prouv alors, ctait
une nouvelle existence et un nouveau systme rela-
tionnel. Mais, cela, elle ne se ltait pas encore appro-
pri. Elle avait surmont un instant la peur du
lcher-prise et avait pu en souponner les effets bn-
fiques ; mais une autre peur lavait fait reculer lorsque,
de cet abandon, elle avait mieux saisi les consquences
moyen et long terme, cest--dire le bouleverse-
ment qui aurait atteint son statut parmi les autres et
qui laurait dstabilise.
Ce cas nous montre que lon peut faire, grce
lhypnose ( moins que lhypnose ne se rduise cela),
lexprience de ce que serait leffet du changement.
Linduction a pour vis
e la destruction de notresystme de coordonnes fig ou restreint et, par le fait
mme, de nous ouvrir, ft-ce quelques instants, un
nouveau complexe relationnel souple et ample. La
force qui est alors ressentie nat du fait que nous ne
disposons plus seulement de nos propres forces, mais
de toutes celles qui nous sont octroy
es par le r
seaumultiforme dans lequel nous sommes placs et par
lequel nous acceptons dtre faonns. La force ou la
faiblesse dun vivant humain est une fonction relation-
nelle. Si les liens aux autres et au monde sont limits
en nombre et en qualit, ou bien sils reproduisent
toujours les m
mes formes, nous demeurons ext
nu
s,au bord de la dpression ; si, au contraire, ces liens
sont innombrables et toujours prts sadapter aux
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fluctuations de lenvironnement, alors la puissance est
notre porte.
Le lcher-prise que suscite linduction, dans une
cure qui utilise lhypnose, a prcisment pour effet
douvrir les portes et les fentres de notre demeure pour y
laisser pntrer le souffle porteur de toutes les formes
dautres vies. On saisit par l que lhypnose induite, ce
que lon nomme aussi ltat de transe, est trs loin de
se rduire une agrable relaxation ; elle est par
nature lexprimentation dune tonicit gnrale. La
dtente sidentifie au laisser-venir de lextrieur tout ce
quoi nous nous opposions par notre pseudo-matrise,
qui ntait quune fermeture. En revanche, la tonicit
nest rien dautre que limmersion dans les courants
multiples auxquels est soumis un vivant dans sonrapport avec tous les vivants. L rside le secret de sa
force.
Cette femme avait senti, du moins quelques
instants, qutaient possibles pour elle le bonheur et la
libert. Mais cette manire dtre au monde, il restait
y adhrer. Ltre humain est tel quil dispose de cepouvoir extraordinaire de refuser ou daccepter le flot
de la vie qui lui est propos, cest--dire de continuer
vgter avec les maigres ressources qui lui sont
alloues ou crotre en courant le risque de se perdre
dans la surabondance des possibilits quil peut rece-
voir, mais jamais se donner. Il ne peut pas sempcherde penser et de ressentir que le changement se paie au
prix fort de laventure.
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Des deux faces que comporte le moment de la
dcision, la premire, celle que jai nomme le levier,
est dsormais assez claire : cest louverture sans pra-
lable tout ce qui pourrait advenir, cest la disponi-
bilit qui permettra demprunter tout chemin
profitable, cest la flexibilit ncessaire pour adopter
les comportements quimpose la situation. Cela ne
suffit pourtant pas pour quun changement soit opr.
La force a t rveille, mais encore faut-il quelle
sapplique quelque part. Un nouveau monde est
lhorizon ; il faut savoir de quel ct et sous quel angle
il est opportun de laborder. Impossible de rester dans
le vague dune bance tous azimuts. La transe serait
alors le seuil dun tat fumeux qui ferait le lit dune
complaisance. Il est question de changer la vie, non engnral, mais dans ce quelle a de plus dtermin et
de plus limit. En dautres termes, pour reprendre la
comparaison propose plus haut : nous disposons du
levier, mais o se trouve le point dappui ?
Point dappui
Un homme tait venu me voir parce quil souf-
frait dangoisses persistantes dont il ne souponnait
pas les raisons. Aprs une premire sance o je lui
avais propos de ne pas rsister ses angoisses, maisde les laisser se rpandre dans son corps, il avait t
quelque peu soulag. Mais, aprs la deuxime, o
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pourtant il avait, aprs un long temps, desserr ses
mains en signe daccueil, les angoissestaient revenues
comme auparavant. Je mtais tromp. Ces angoisses
ntaient pas le bon point dappui susceptible doprer
un changement profond et durable. Il fallait repartir
de zro. Au cours dune conversation sans but,
soutenue par mes nombreux silences, un fond de
ressentiment avait fait surface. Il en voulait sa
femme et son entourage. Il avait la certitude de
ntre pas reconnu sa valeur. Finalement limpres-
sion dinjustice de lexistence stait reporte sur les
parents qui ne lavaient pas aim comme il laurait
attendu. Effondrement de tristesse dans un abme de
regret. Il a suffi alors que cet homme habite sa peine
et la quitte au mme instant comme drisoire et vainepour quil accde quelque srnit.
L tait le point dappui, cest--dire le point par
lequel tous les traits du mal-tre tenaient ensemble et
sur lequel il fallait faire pression pour que soit modifi
tout le paysage. Quand on veut soulever, pour le
dplacer, un bloc de rocher avec un madrier, il fauttourner un moment autour du bloc avant de trouver
lespace convenable pour glisser le madrier. Ainsi en
est-il en thrapie. Il faut tourner autour du patient ou
quil se tourne et retourne lui-mme pour dcouvrir la
plage de souffrance secrte, labcs qui ne cesse de
produire le pus qui empoisonne tout le corps et toutela vie. Cest ce point que lon doit sarrter, aprs
avoir parfois ttonn pour le trouver. Cest ce point
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que lon doit trancher pour crever labcs. Lopration
se fera sans dommage si le scalpel est aiguis, cest-
-dire si la disponibilitacquise par la transe est son
optimum.
Le chat qui se repose
Nous disposons donc maintenant des deux
facteurs ncessaires la dcision du changement : le
levier qui est la transe elle-mme et le point dappui
qui se prsente comme le lieu gomtrique de tous les
ennuis. Ce point stratgique est dcouvert par un
travail conjoint du patient et du thrapeute. Mais cette
dcouverte ne peut avoir lieu que si lun et lautre latrouvent sans chercher. Il sagit dune dmarche
conjointe sur fond de dcouragement, car les tenta-
tives prcdentes se sont soldes par des checs. Dans
le cas cit plus haut, les angoisses taient revenues,
et ni le patient ni le thrapeute nen souponnaient la
raison. Lun et lautre donnaient leur langue au chatet avaient abandonn la recherche. Ce qui avait t
accompli jusqualors avait t sans effet. On pouvait
le regretter, mais on ny pouvait rien. Cest dans ce
climat rsign et quelque peu dbonnaire que latten-
tion se dplace et l, et en mme temps saiguise.
On nest plus en qute, mais on ne perd de vue aucundes dtails qui flottent au hasard. Un peu comme le
chat qui se repose, fait semblant de dormir, somnole
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mme et cependant reste attentif aux moindres indices
qui pourraient le renseigner sur lapproche de sa proie.
Donc vigilance aussi diffuse que prcise, aussi dcon-
tracte que concentre.
Un homme est boulevers depuis des annes par
tout contact avec la femme qui la quitt, contacts
rendus ncessaires par le soin des enfants. Il spuise
en conjectures sur les raisons de ce dpart, dans un
mlange de jalousie et de rancur. Il parle sans rime
ni raison, dcrivant une tristesse dont il pense quelle
ne pourra labandonner. Sans lui prter plus dimpor-
tance quau reste de son rcit, il met cette phrase :
Et pourtant, aujourdhui, je me sens dtach; je ne la
voudrais mme pas comme une amie quelconque. Le
thrapeute trs prsent et toutefois dtendu ne laissepas passer ces mots. Il sait coup sr que, sur eux,
on va pouvoir faire fond. L est le point dappui qui
va permettre le changement. Il demande alors son
interlocuteur de rpter cette phrase, en prenant son
temps pour sy investir tout entier. Que le patient
rpte encore une fois et mme plusieurs cette courtesquence en y inscrivant son corps, son cur et son
esprit, quil y jette en mme temps sa jalousie et ses
rancurs. Cet homme est brusquement dlivr, et les
semaines qui suivent confirment cette modification.
La dcision de changer na pas eu besoin dtre
isole dans un moment particulier. Le patient se savaitdisponible pour un changementventuel, mais il igno-
rait quand et comment ce dernier pouvait advenir. De
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son ct, le thrapeute na pas song recourir une
quelconque stratgie pour amener le patient sortir
du mauvais pas o il stait engag. Le hasard et la
chance font trs bien les choses dans la mesure olun
et lautre des protagonistes sont prts saisir leur
chance et transformer le hasard en rigueur. Il suffi-
sait de laisser le patient balayer son aire relationnelle
dans toutes les directions et toutes les profondeurs
et que le thrapeute sautorise tre sans intention et
sans prtention dimaginer ou de suggrer une solu-
tion. Cest au sein du dsarroi de lun et de lautre que
le moment de la dcision du changement pouvait seul
merger. Il tait ncessaire que ft dfait larroi, cet
quipage et cet appareil dont on croit utile daccompa-
gner la cure.Ce mlange de dcontraction et de prcision, qui
fait tout lart du thrapeute, est rendu possible par une
qualit dattention qui prend tout en compte la fois.
Le chat qui est lafft tient en veil tous ses sens
qui captent, comme autant de radars, les moindres
signes. Mais ces signes demeurent dans une indtermi-nation gnralise, dans lattente quils se cristallisent
deux-mmes en un lieu et sous une forme particuliers.
Le thrapeute est comme le joueur qui lance les ds
toute vitesse un nombre infini de fois et qui est sr
un moment ou un autre de voir sortir le double
six. Sa stratgie est de surtout ne pas en avoir, deparcourir tous les possibles et toutes les hypothses
sans sarrter aucune. Cest au sein de cette agitation
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7/24/2019 Franois ROUSTANG Savoir Attendre
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tranquille que la chance pourra ventuellement lui
sourire. Il tente la fois toutes les chances, cest-
-dire quil laisse aller leur guise toutes les
connexions. Par l il offre la situation mise en
mouvement le pouvoir de se stabiliser, lorsquune
configuration aura tenu compte de tous les lments
en prsence et quelle pourratre saisie tout entire en
un point.
Mais pourquoi, partir dun seul point, la modifi-
cation de lensemble est-elle possible ? Ici la petite
phrase : Et pourtant, aujourdhui, je me sens
dtach; je ne la voudrais mme pas comme une amie
quelconque. Cette phrase est dite en passant, comme
avec ngligence. Elle marque un tat rel, mais qui na
pas t pris en compte. Cet tat exprime la rupturedcisive qui est recherche, mais il est recouvert par
une srie de sentiments qui sont lpourviter le chan-
gement. Il faut donc le mettre en pleine lumire et sen
servir comme point dappui pour y appliquer le levier.
Tout le reste de lexistence en sera modifi.
quoi sert lhypnose
Le levier de lhypnose est donc utilis deux
moments distincts. Il y a dune part celui qui prcde
la dcouverte du point dappui. Il est ncessaire pourbaliser le champ o ce point dappui serait susceptible
dtre dcouvert. Il y a dautre part un levier qui suit la
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dcouverte du point dappui et qui permet dinvestir
de sa force la dcision qui simpose. En dautres
termes, linduction place quelquun dans un tat de
disponibilit qui permet de flotter autour du problme
rsoudre ou qui permet de mener une recherche
laveugle. Quand le point nvralgique est trouv,
lhypnose devient une attention extrme ce point et
un engagement qui va produire la modification.
Un autre cas permettra de mieux voir encore le
processus luvre et comment un lment en appa-
rence secondaire entrane la possibilitdu changement
de lensemble de lexistence. Une femme tait venue
me voir il y a quelques mois pour une seule sance.
Elle en avait tir
profit. Elle revient parce quil luisemble que sa vie est arrte. Elle tourne en rond sans
aboutir. Un exemple : elle cherche un appartement et,
aprs une srie de recherches vaines, elle se trouve
dans lappartement quavaient habit ses parents dans
sa petite enfance, le seul disponible dans un secteur
o
les prix sont pour elle abordables. Retour en arri
remarquant la stagnation qui la trouble. De mme, elle
circule dans son travail entre trois lieux qui circonscri-
vent en triangle les diffrentes habitations des
membres de sa famille la plus proche. Tous ces
priples raconts ne nous conduisent rien. Je ne
saisis pas ce que lon peut en tirer, si ce n
est que,dimprvus en imprvus, elle manifeste un art des pres-
sentiments. Incontestable finesse de perceptions.
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Puis elle passe sa vie sentimentale qui est une
srie de rencontres finalement avortes. Au cours de
son rcit, elle parle dun homme quelle a mis dehors
cause de son inconstance, et elle ajoute : Sil reve-
nait, je ne sais pas si je refuserais ou accepterais de
reprendre des relations avec lui. Je larrte pour lui
indiquer ce qui nest pas trs sorcier dcouvrir
quelle est encore lie cet homme, de telle faon
quelle nest pas libre de son choix et que, peu impor-
tent son refus ou son acceptation ventuels, lun et
lautre la conduiraient un nouvel chec. Cest l le
point dappui ou le point nvralgique. Pour en tenir
compte, elle veut bien utiliser le levier que serait
lpreuve de ne plus se poser la question, car la ques-
tion elle seule est un venin. Immdiatement, elle sesent dlivre de son immobilisme et nprouve pas le
besoin de revenir.
Ce cas montre clairement que lon ne peut dcider
que dans lindpendance lgard des deux termes
ouverts au choix, que dans lindiffrence lgard de
lun et lautre. Ce qui se traduisait pour elle en cestermes : cela mest gal quil revienne ou quil ne
revienne pas, donc je ne lattends plus, je suis libre
de ce lien. Pour effectuer cette indpendance, il faut
recourir lhypnose, qui est la disponibilit tout et
en particulier lgard des contraires qui se prsen-
tent. Sans cette indpendance, cest la fermeture enlaquelle on tourne en rond.
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Indiffrence la gurison ?
Une dernire question doit tre souleve mainte-
nant, bien quelle soit reprise dans les pages qui
suivent. Pendant tout le temps de la recherche du
point dappui, le thrapeute doit abandonner tout
souci de la recherche du point dappui, du lieu partir
de quoi lexistence tout entire pour aujourdhui va
pouvoir pivoter sur elle-mme et ouvrir une voie
nouvelle. Il doit pousser lindiffrence plus loin
encore : il doit tre indiffrent au rsultat et sattendre
tout aussi bien un chec qu un succs de la cure.
Sinon, il tlescoperait le moment du choix, qui est
dcisif ; il prendrait la place du patient et se livrerait un forage irrespectueux et inefficace. On la vu, le
patient doit toujours pouvoir renoncer gurir de son
mal-tre si cela lui chante. Mais alors comment lindif-
frence du thrapeute lgard du rsultat est-elle
compatible avec le dsir de gurir, car sans ce dsir
le thrapeute devrait faire un autre mtier. Commentpuis-je la fois vouloir russir pour que mon mtier
ait un sens et tre indiffrent cette russite ?
Je pense quen ces termes le problme est mal
pos. La thrapie que nous pratiquons ne me semble
pas avoir pour but premier de faire disparatre chez
nos visiteurs leur mal vivre ; elle a pour vise desusciter chez lhumain qui nous rencontre le plus haut
de lhumanit, cest--dire son pouvoir lgard de sa
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vie et de sa mort. Il y a de nombreux humains qui se
laissent mourir et dautres qui se laissent vivre. Ce qui
nous passionne, cest damener quelques-uns avec la
plus grande lucidit et le plus grand courage possibles
dcider de leur vie et de leur mort. Et il importe peu,
pourquoi ne pas le dire crment, que ce soit la mort
qui soit dcide. Je sais bien quun mdecin doit
vouloir maintenir son patient en vie et quil doit sy
employer. Je sais bien galement que la loi nous
impose lassistance personne en danger. Mais cela,
cest le devoir de tout humain ; cela ne dit rien de la
spcificit de notre travail de thrapeute. Soutenir
quelquun pendant le temps qui est ncessaire, ce nest
pas encore toucher au plus haut de lhumain, qui est
galement le plus lmentaire.Quand nous avons conduit quelquun au seuil du
choix dcisif, notre tche est accomplie. Quil choi-
sisse la vie ou la mort, ce nest pas de notre ressort.
Impossible de se substituer lui. Nous devons
demeurer au seuil de sa maison sans y pntrer.
Demeurer au seuil de lautre, exactement comme nousdevons nous tablir chaque jour au seuil de nous-
mme, et attendre quil dcide sil veut aller lorient
de sa vie ou son couchant mortel. Alors il ny a pas
de diffrence entre se tenir dans un tat dindiff-
rence au rsultat et se tenir prt recueillir un refus
ou une acceptation. Nous ne voulons pas gurir, nousne voulons pas que linterlocuteur se tourne vers la vie,
vers le renouvellement de son existence, donc vers le
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changement favorable. Nous voulons seulement quil
en dcide. Et cest pourquoi nous ne pourrons jamais
nous prvaloir de la bonne issue dune cure, cest lui
qui la opre. Nous naurons pas davantage nous
dsoler de nos revers qui ne sont pas notre fait, si du
moins notre prsence, notre intelligence et notre dter-
mination ont pouss notre visiteur la croise des
chemins.
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Indiffrence au succs
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Pourquoi faudrait-il considrer lindiffrence au
succs comme lun des moteurs les plus puissants
dune thrapie ? Ny a-t-il pas l une manire curieuse
denvisager cette tche ? Si un patient vient consulter,
cest bien pour que son mal soit apais ou guri.
Comment le thrapeute pourrait-il ne pas souhaiter
rpondre la demande qui lui est adresse ? Oui, mais,
dans ce que lon nomme psychothrapie, on ne se
trouve pas, comme en mdecine, dans un rapport de
soin o le praticien propose des remdes que le
malade accepte en les subissant ou en se les appli-
quant. On pourrait penser que cest cependant la
mme chose : le psychothrapeute dispose de tech-
niques appropries quil offre au patient de mettre en
pratique. Les techniques, on y reviendra tout lheure,
ont bien pour vise de produire un rsultat, et ce
rsultat sera bien le succs de lentreprise. Inutile donc
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de faire croire que le thrapeute pourrait et, bien plus
encore, devrait tre indiffrent au succs.
Quest-ce quune psychothrapie ?
En psychothrapie, quelle que soit sa forme, il se
prsente une difficult majeure que nul ne peut
ignorer : il nest pas certain que le patient veuille ce
quil demande. Les cas sont nombreux o il en est
ainsi. Si, par exemple, un homme est pouss par sa
femme, ou linverse une femme par son mari,
entreprendre une thrapie, parce quil ou elle aspire
une modification de leurs rapports, il ou elle se prteau jeu, mais ne fait rien pour changer. Sa thrapie lui
sert dalibi pour laisser la situation en ltat. Il a
accompli la dmarche et prouv par l sa bonne
volont. Que peut-on lui demander de plus ? Combien
dautres utilisent le cabinet du psy pour dvider inlas-
sablement leur plainte, mais nullement pour allermieux ? Ou, encore, on rencontre des personnes pour
lesquelles a t formul le diagnostic de douleur chro-
nique ; elles souffrent rellement, parfoisla limite du
supportable. Elles se prtent volontiers aux exercices
qui devraient les soulager. Elles en sont mme souvent
trs satisfaites, mais elles gardent, en apparenceprcieusement, leurs maux. Ce clivage leur convient, et
elles nont aucun souci dy mettre un terme.
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De tels propos, qui jettent la suspicion sur la
sincrit des patients ou du moins sur lauthenticit
de leur demande, peuvent paratre manquer du plus
lmentaire respect. Ce serait oublier que les humains
tiennent plus leurs souffrances qu leur bonheur et
quils sont capables des plus subtiles inventions pour
les entretenir. Si les humains cherchaient le bonheur,
il y a longtemps que cela se saurait. Sans doute
veulent-ils prserver ce quils connaissent fort bien et
ne pas courir le risque immense de recevoir ce qui ne
dpendra pas deux en totalit. Pourquoi le thra-
peute devrait-il vouloir des succs auxquels ses
patients ne tiennent gure ? Son indiffrence au succs
semble donc justifie sous cette premire forme. Elle
nous conduit en envisager une seconde.Dans les cas prcdents, lambigut de la
demande tait implicite, et il ny avait pas la lever
plus que ne le souhaitaient les patients. Il en est
dautres cependant o elle se formule avec une
merveilleuse clart. Jai mentionn, au chapitre prc-
dent, le cas exemplaire dune femme abandonne parsa mre la naissance qui se disait incapable de
bonheur cause de ce commencement dsastreux,
bien quelle aitt leve par une famille adoptive avec
toute laffection et lintelligence possibles. Elle avait
pourtant accept, au cours dune premire sance,
dimaginer son existence sous des couleurs moinssombres. Revenue quelques semaines plus tard, elle
avait expliqu quelle avait bien expriment alors la
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possibilit dune vie heureuse. Mais cela lui aurait
demand de changer tant de choses dans sa vie quelle
prfrait renoncer. Son compagnon lentourait comme
une petite fille perdue, ses amis lcoutaient volon-
tiers ressasser son histoire. Quallait-elle devenir si elle
devait modifier toutes ces relations ? Elle ne voulait
toucher rien et puis, me disait-elle, pouvais-je lui
garantir que le bonheur entrevu serait durable ? Elle
avait donc pris cong.
Le thrapeute peut bien dans ces cas tre indiff-
rent au succs, car lchec oriente les projecteurs sur
un moment capital de toute thrapie, celui du choix
solitaire. Lindiffrence au succs en devient la condi-
tion n
cessaire. Tant que le th
rapeute veut soutenirle patient, la bquille quil lui propose ne fait que
diffrer le temps o celui-ci devra marcher seul, ce qui
inclut le risque de tomber. quoi se rsume, en effet,
le succs dune thrapie si ce nest, pour le patient,
la possiblit de transformer la passivit lgard de
ce qui lui arrive en d
termination et en initiative ? Orla relation daide risque sans cesse de retarder cet
instant de retournement, celui, toujours le mme, du
petit enfant osant quitter les bras qui le portent ou la
main qui le guide et se confier ses propres jambes.
Ces bras et cette main qui scartent courent le risque
de voir tomber et que se fasse mal celui qui
tait venupourviter cette chute. Une recrudescence de ses souf-
frances peut avoir lieu.
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La question se pose alors de savoir si le thra-
peute doit attendre le moment favorable pour faire
jouer son indiffrence au succs et donc ne prendre
jamais quun risque mesur. Il y aurait ainsi un temps
o laide serait premire, et la prise de risque seconde.
Puis un temps o le risque serait port un degr
maximal. La prudence la plus lmentaire rclame de
rpondre positivement cette question : on ne laisse
pas un enfant saventurer dans des actions qui dpas-
sent ses capacits, et, pas davantage, on ne doit aban-
donner un patient une solitude prmature. Mais
cette rponse positive recle une ambigut. Quadvien-
drait-ilun enfant si les parents ne voulaient pas dj,
ds la naissance, quil puisse un jour marcher et sen
aller ? Le cas nest pas chimrique de pre ou de mrequi compromettent lavenir de leur enfant par une
surprotection ininterrompue. Il en est de mme pour
les thrapeutes incapables dimaginer la fin, cest-
-dire le commencement de leur inutilit. Or cette
inutilit commence ds l e dbut. Toute aide qui ne
serait pas sous-tendue, au principe, par ce que jenomme lindiffrence au succs ne ferait en appa-
rence courir aucun risque ; elle ne pourrait cepen-
dant, sans risque, quassurer lchec parce quelle
rendrait laide indfiniment ncessaire. Au contraire,
poser dentre de jeu, comme dj ralise dans sa
potentialit, la fin, cest--dire la sparation et la soli-tude, cest sans doute mettre le patient face au risque
maximal, risque qui pourra dans la pratique tre
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nuanc en fonction des personnes et des circons-
tances, mais cest galement respecter ce que, comme
tre humain, il a de plus prcieux.
Ce plus prcieux est apparu lorsquil a t ques-
tion de cette femme qui ne voulait pas dun bonheur
quelle entrevoyait et qui tait susceptible de boule-
verser son existence sans pour autant durer. Elle avait
t conduite au seuil dune dcision qui pouvait la
situer de faon tout autre lgard de son pass, mais
qui lui ouvrait un futur risque, car rien ni personne
ne pouvait lui garantir que son inconfort vivre dispa-
ratrait jamais. Arriv ce point, le patient ne peut
pas ne pas avoir peur, ne pas tre pris dangoisse. Le
thrapeute est alors tent dattnuer la crudit du
dilemme (reculer et senfuir ou bien sauter et risquerde se casser le cou), ou de proposer son soutien lors du
passage. Il peut lui sembler quil respecte le patient :
comment ne pas faire quelque chose pour quelquun
qui a peur ou qui est angoiss? En ralit, cest lui
qui a peur et qui ne supporte pas le vertige de la
libert. La dcision est une folie, disait Kierke-gaard. Qui nen a pas senti le risque ne saurait tenir
ferme lorsquun autre sous ses yeux laffronte.
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Exercice de limpuissance
Lindiffrence au succs va devoir prendre mainte-
nant la forme de limpuissance. Lorsquon a t en
intense relation avec quelquun ce qui na pas besoin
dun long temps , on pense quil ne faut pas le lcher
lheure o il risque sa vie. Cest l se draper dans
les bons sentiments et sagiter dans sa propre crainte
en invoquant des paroles consolatrices.Facela libert
qui va peut-tre sexercer, le seul respect convenable se
traduit dans le renoncement tout pouvoir. Le pouvoir
que le patient mavait octroy en esprant par l viter
le risque, je dois le lui rendre et nen faire aucun usage.
Je ne peux pas ne pas souhaiter qu il fasse le pas, carcest lintrt et la passion de mon mtier ; et, cepen-
dant, je dois me tenir ici la fois prsent et lcart,
minstaller tranquille dans mon incapacit radicale. La
relation du thrapeute au patient nest pas inter-
rompue ; elle ne peut pas avoir au contraire plus de
densit, mais elle sabstient de peser en quoi que cesoit, de prendre quelque peu la place de lautre et
mme de le comprendre. Le patient est seul sans tre
isol, puisque jattends quil prenne le risque. Lindiff-
rence au succs nest donc pas une absence.
Cette indiffrence devient le corrlatif du pouvoir
de dcision du patient. Elle contribue le mener loptimum de la puissance. Plus laide tend vers zro,
plus elle est efficiente, ou bien plus le risque est couru,
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moins il a lieu dtre. Il est normal que le thrapeute
pense justifier ses propres yeux son rle en multi-
pliant les suggestions, en proposant des solutions, en
expliquant les tenants et aboutissants de la situation,
en cherchant nommer un sens des vnements. Sil
coute les propos du patient, ce doit bien tre, pense-
t-il, pour en faire quelque chose. Il ne pourrait, lui
semble-t-il, sinstaller dans limpuissance, dont il vient
dtre parl, sans risquer de faire surgir de part et
dautre langoisse du silence. Et pourtant, ds le dbut,
ds le premier contact, cest dj la ncessit de la
dcision du patient qui doit tre mise en jeu et la
ncessit pour le thrapeute de ne jamais usurper la
place du patient. Il sagit de crer un espace de risque
dans lequel le patient naura nul besoin du thrapeute,et le thrapeute de son ct encore moins besoin du
patient pour se donner croire son importance. Mais
comment cela est-il possible puisque lu n e t lautre,
chacun sa manire, ont besoin de linterlocuteur ?
Il faut dabord considrer que toute psychoth-
rapie est facultative. Des tudes ont t menes selonles mthodes en vigueur dans les laboratoires de
psychologie. Elles montrent que, dans un nombre de
cas non ngligeable, labsence de thrapie, par exemple
pour raison de liste dattente ou de dfaut de finance-
ment, donnait daussi bons rsultats que les thrapies
elles-mmes. Comment rendre compte de ce phno-mne ? Ce qui est commun ceux qui ne font pas de
thrapie et ceux qui en font, cest laspiration au
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changement. Cest l le moteur indispensable. Cest
donc bien lui quil sagit dactiver. Sil est absent,
aucune modification nest possible, sil est prsent, la
rencontre avec un thrapeute peut ne pas tre nces-
saire. Alors pourquoi une thrapie ? Jai remarqu que
parfois ou mme souvent, ce que viennent chercher les
patients, cest lautorisation de transformer leur exis-
tence. Ils nosent pas prendre le risque dun abandon
de leurs habitudes, abandon qui nest pas sans provo-
quer des troubles sur leur environnement ou sur leur
entourage. Ils viennent demander sils ont raison
demprunter des chemins qui simposent eux, mais
qui ne sont pas sans risques. Une femme est venue
me voir un jour pour me dire les difficults de sa vie et
mexposer les solutions quelle avait mises en uvre.Aprs quelques quarts dheure, elle stait inter-
rompue : elle avait compris quelle mavait demand
un rendez-vous pour valider sa transformation. Seule,
elle avait dj pris des risques, mais il lui fallait le dire
quelquun pour sapercevoir quelle navait besoin de
personne pour poursuivre. Le thrapeute ne serait pasplus quun notaire qui enregistrerait un contrat dj
sign et dj en vigueur, et qui aurait seulement y
apposer son sceau. Cette femme devait rencontrer
quelquun qui socialiserait ses dcisions. Comment,
sous cette forme encore, le thrapeute ne serait-il pas
indiffrent au succs puisquil ny a pris aucune part ?Il faut maintenant se demander ce qui est exig
du thrapeute pour quil puisse se tenir au seuil de la
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libert du patient et considrer le risque extrme quil
doit prendre pour lui-mme. Comment peut-il tre l
dans la plus grande acuit dune prsence tout en ne
faisant rien parce que faire quelque chose serait
toujours exercer un pouvoir ? Cela est sans doute une
limite, mais de quoi est-elle faite ? On peut le dire d un
mot : pour que soit possible le surgissement de lautre
dans sa libert, le thrapeute doit atteindre limper-
sonnalit. Travail de soustraction jamais achev.
Impersonnalit
Il doit dabord renoncer faire un diagnostic. Car
il enfermerait le patient dans des gnralits, alors quecette personne qui est en face de lui ne ressemble
aucune autre. Il ne peut sans doute pas sempcher,
surtout au dbut de sa pratique, de situer le patient
dans le cadre des donnes psychopathologiques quil a
apprises durant ses tudes de psychiatre et de psycho-
logue. Mais il doit se rendre compte que cet exerciceest fait pour le protger. Le patient qui entre dans son
bureau ou dans son cabinet est fatalement un intrus
qui rclame attention et qui le sort de ses proccupa-
tions. Impossible pour lui de ne pas se mfier et de ne
pas fourbir les armes dont il dispose. Comme thra-
peute, il me faut tout de suite imposer un cadre quele patient devra respecter, et le diagnostic est un
bon moyen de dresser des barrires. Oui, mais comme
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cette personne est singulire et quelle veut dployer ici
cette singularit, je linhibe en laffublant de vtements
ready made qui ne lui vont qu moiti ou pas du tout.
Il va falloir galement renoncer aux techniques
apprises. En tant quelles sont le rsultat ou la codifi-
cation dexpriences effectues antrieurement par
dautres, on ne saurait les ngliger. Mais ce que lon
omet justement de reconnatre, cest quelles ont t
mises au jour et inventes dans des circonstances
particulires par quelquun de particulier pour
rpondre des demandes particulires. Cest alors
quelles taient efficaces, car elles taient produites en
fonction des personnes, des lieux et des temps.
Ctaient non pas des techniques, mais des ractions
appropries de tel thrapeute au sein de telle interre-lation. Que se passe-t-il si on les gnralise et les utilise
en dehors du contexte o elles ont t cres ? Sans
doute le thrapeute est-il rassur. Il ne prend pas de
risque en proposant une procdure qui a fait ses
preuves et qui a t recommande par des matres.
Mais, en ne prenant pas de risque, en rptant la leonapprise, le thrapeute court un risque plus grand, celui
doffrir une formule qui, justement parce qu elle vient
dailleurs, ne convient pasce patient ce moment-l.
Que lon sinitie diverses techniques dans une cole
ou une association, ou que lon passe de lune
lautre pour largir son horizon ou pour assouplir etcomplexifier ses modes de raction, ce peut tre
prcieux. Mais une cure ne peut produire de vritables
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effets qu la condition doublier tout ce dont on a fait
lapprentissage, afin que les restes de cet oubli puis-
sent servir faire natre des propos et des attitudes
en adquation aux personnes et aux circonstances. Cet
oubli carte lutilisation de ces techniques pour viter
lincertitude ; il ouvre en revanche la voie une
richesse dinvention.
Prcisment, face au patient, chaque sance,
tout est recommencer, parce que nous devons nous
placer dans le risque au principe de linventivit. Ayant
renonc au diagnostic et aux techniques ou les ayant
fondus dans loubli, le thrapeute se tient ferme, au
bord dun risque plus grand, celui du renoncement
son exprience acquise ou son ventuelle comp-
tence. Aujourdhui il ne sait plus rien, car tout savoirpralable serait un obstacle la rception de ce qui
aujourdhui importe : laisser ce patient exister dans sa
singularit. Sans doute le thrapeute qui a travers
lchec et la russite, la haine et lamour, la peine et
la joie sait-il quelque chose de ce qui est le lot des
humains. Mais il doit maintenant nen savoir plus rien.Il risquerait de dchiffrer avec les codes qui ont pu
lui convenir ce qui a eu lieu pour lautre dans des
contextes diffrents. Encore une fois, cest dans loubli
de ce quil est et de ce quil a pu vivre que le thrapeute
pourra fairecho ce que lautre lui prsente de spci-
fique, de nouveau et dimprvu.
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Je ne suis que ce que je sens
quel lieu conduit ce triple renoncement au
diagnostic, aux techniques et lexprience ou la
comptence ? celui du risque extrme, celui de
limpersonnalit, cest--dire la perte du moi, l o
lindiffrence au succs est son comble parce que
cette question ne se pose plus. Mais que signifient
impersonnalit et perte du moi ? ce stade, le thra-
peute sest dpouillde ses savoirs et de ses jugements,
son intelligence a t mise en suspens de mme que
sa volont daboutir quelque rsultat. Il ne poursuit
aucun but et na aucune intention. Que reste-t-il ? Il
ne flotte tout de mme pas dans lair. Non, il est seule-ment rduit la sensorialit. Mais de quelle sensoria-
lit sagit-il ? Certainement pas de la sensorialit
ordinaire, qui permet de percevoir les choses et les
tres et de se situer dans le monde, de devenir un sujet
en face dobjets, de saisir les connexions, les causes
et les effets. Il en existe une autre qui est imperson-nelle parce que le moi y disparat. Je ne suis que ce
que je sens, cest--dire que je ne suis plus que par le
sentir, que mon intriorit ne se distingue pas de mon
extriorit, et, linverse, que lextrieur mest int-
rieur. Toutes les diffrences imposes par lespace et le
temps sont abolies.Ltrangetde telles affirmations est accentue par
lorientation dune culture qui tend dlguer des
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machines ce qui tait dvolu aux sens. Les humains
daujourdhui estiment spontanment que lindividu est
un sujet parfaitement distinct des objets qui lenviron-
nent. Il est impensable pour lui que sujet et objet
soient en quelque manire mlangs. Or, dune part,
pour ceux que nous avons nomms des primitifs il ny
a nulle contradiction penser que nous sommes des
humains, mais tout aussi bien des animaux et des
plantes, que nous sommes ici et en mme temps
l-bas. Dautre part, pour des Asiatiques, par exemple
pour des tireurs larc japonais, il va de soi que la
flche, avant davoir quitt larc, est dj au centre de
la cible, quil ny a pas vraiment de distance entre lun
et lautre, sinon il serait impossible de tirer et
datteindre le but les yeux ferms. Dans tous ces cas,cest le type autre de sensorialit qui est mis en jeu, ce
qui suppose labandon de toute intentionnalit, la perte
dun moi qui vise et dirige lopration, bref, une imper-
sonnalit qui participe au mouvement, qui est le geste
accompli et qui ne peut sen distinguer.
Alors le thrapeute serait-il invit effectuer cettergression, cette chute dans le sensoriel spar de ce
que lon nomme les facults suprieures, cet abandon
de ce qui fait sa personnalit et sa subjectivit, son
intriorit inalinable ? Ne serait-ce pas lui ouvrir la
voie de la folie et dun risque extrme ? Il faut noter
tout dabord que nous faisons chaque nuit ce genrede retombe, lorsque nous acceptons le sommeil et que
nous nous en trouvons fort bien. Mais il nest pas
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question ici de sommeil ; le thrapeute ne sendort pas,
il est en tat de veille. Or, dans la veille, la sensorialitautre dont il est parl ici existe-t-elle ? Non seule-
ment elle peut exister, mais elle est constamment
prsente. Elle constitue la plage continue sur laquelle
la perception ordinaire dcoupe certains lments
pour les penser et les rendre utilisables au sujet qui va
en faire des objets.
Il y aurait folie si cette sensorialit autre, qui est
en ralit premire, sabstrayait non plus par exercice
et par jeu, mais srieusement et dfinitivement du
reste de lindividu. Il faut comprendre au passage
lintrt de cette distinction entre deux types de senso-
rialit ou de perception. Nombreuses sont les
personnes aujourdhui, que lon catalogue commetats
limites et quil vaudrait mieux nommer frontaliers, qui
ont avec la ralit un rapport incertain. Elles ston-
nent et sinquitent dtre envahies de sensations ou
de perceptions quelles ne peuvent pas dire et partageravec dautres sous peine dtre taxes de folie ou dali-
nation. Si elles sont au contraire entendues comme
porteuses dun don ignor de la plupart, don qui peut
rendre leurs relations aux autres plus avises et aux
choses mieux adaptes, elles peuvent sapaiser et avoir
mo