Former Des Managers, Une Utopie

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LES JOURNÉES DE L’ÉCONOMIE-GESTION 4 ème édition ACTES DU COLLOQUE FORMER DES MANAGERS : UNE UTOPIE ? Textes réunis par Pierre Célier ENSET de Mohammedia Vendredi 09 mai 2008 Faculté SJES de Rabat-Agdal Samedi 10 mai 2008

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LES JOURNÉES DE L’ÉCONOMIE-GESTION

4 ème édition

ACTES DU COLLOQUE

FORMER DES MANAGERS : UNE UTOPIE ?

Textes réunis par Pierre Célier

ENSET de Mohammedia Vendredi 09 mai 2008 Faculté SJES de Rabat-Agdal Samedi 10 mai 2008

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JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Cet ouvrage a été publié avec le concours du

Service de Coopération et d'Action Culturelle

de l'Ambassade de France au Maroc

Dépôt légal :

Impression :

: 2008 - 2358

: Seguan Co Service - Rabat

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Ces actes rassemblent les communications prononcées lors du colloque "Former des managers : une utopie ?" qui s'est tenu à l'École Normale Supérieure de l'En-seignement Technique (ENSET) de Mohammedia et à la Faculté des Sciences Ju-ridiques, Économiques et Sociales (FJES) de Rabat-Agdal, les 09 et 10 mai 2008, dans le cadre de la quatrième édition des Journées de l'Économie-Gestion. Ce colloque a été organisé par l'École Normale Supérieure l'Enseignement Techni-que (ENSET) de Mohammedia, en partenariat avec la Faculté des Sciences Juridi-ques, Économiques et Sociales (FJES) de Rabat Agdal, le Service de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC) de l'Ambassade de France au Maroc et l'École Nor-male Supérieure (ENS) de Cachan. Les contributions des différents intervenants sont regroupées selon les thémati-ques abordées successivement au cours de ce colloque et classées selon leur or-dre de présentation au public. Nous prions les lecteurs de nous excuser de l'absence de l'une des communica-tions réalisée au cours de ce colloque. Elle ne nous était pas parvenu au moment de l'impression du présent fascicule mais, dès que possible, elle sera insérée dans la version "pdf" de ces Actes, accessible au bas de la page web suivante :

http://www.enset-media.ac.ma/cpa/jeg4_former_des_managers.htm Par ailleurs, pour des raisons techniques, les débats organisés à l'issue de cha-cune des séances de ce colloque n'ont pas pu être retranscrits dans cet ouvrage, malgré leur richesse et leur intérêt.

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PROGRAMME

Vendredi 09 mai 2008 ENSET de Mohammedia

OUVERTURE DU COLLOQUE Allocution d'ouverture des 4° Journées de l'Économie-Gestion

Bachir Salhi, directeur de l'ENSET de Mohammedia Yves Kergall, attaché de coopération du SCAC de l'Ambassade de France

Allocutions d'ouverture du colloque "Former des managers : une utopie ?" Lhacen Oulhaj, doyen de la FSJES de l'université Mohammed V de Rabat-Agdal Jean-Claude Billiet, inspecteur général de l'éducation nationale

MATINÉE : POURQUOI FORMER DES MANAGERS ? Président de séance : Lhacen Oulhaj (doyen de la faculté de Rabat-Agdal)

Évolution des attentes réciproques entre l'entreprise et ses managers : Ja-mal Belahrach (manager general des filiales extérieures de Manpower) Quel profil pour le manager de demain ? : Jamal Eddine Tebâa (directeur de l'ESG, Maroc)

Pratiques managériales des entreprises et formation en gestion: Rachid M'Rabet (directeur de l'ISCAE)

Faut-il former les managers ? : Éric Godelier (professeur des universités, président de département à l'école Polytechnique)

Débat : Quels sont les besoins du Maroc en matière de managers ? APRÈS-MIDI : COMMENT FORMER DES MANAGERS ? Président de séance : Mohamed Aboutahir (chef de département à l'ENSET)

Quelles compétences développer pour quels rôles des managers ? : Moham-med Guedira (responsable d'UFR à l'université Mohamed V Souissi)

Devenir manager : une formation ou des cursus ? : Éric Savattero (Directeur de la formation de l'ENS Cachan)

Quels types de managers pour une bonne gouvernance ? : Bouchaïb Serhani (DG de Gesper Services) Débat : Comment former les managers de demain ?

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Samedi 10 mai 2008 : FSJES de Rabat-Agdal

MATINÉE : QUEL MANAGER POUR LE SERVICE PUBLIC ? Président de séance : Afifa Hakam (chef de département de la FSJES)

Le manager public aux prises avec le Statut Général de la Fonction Publi-que" : Khalid Ben Osmane (Directeur du cabinet EFORH Consulting, professeur à l'ENA et l'ISA)

Recruter et former des managers dans le cadre de la Fonction Publique : Alain Henriet (Inspecteur Général du ministère de l'Éducation Nationale)

Le rôle de l'encadrement intermédiaire dans la mobilisation des ressources humaines dans l'administration publique : Hassan Chraïbi (consultant et ensei-gnant universitaire) Débat : Quel manager pour le service public ? APRÈS-MIDI : COMMENT ORGANISER LA FORMATION DES MANA-GERS ? Président de séance : Pierre Célier (professeur de l'ENSET de Mohammedia)

Vers une internationalisation de la formation des managers : Mohamed El Moueffak (directeur des études de l'ISCAE) Le manager : héro ou apprenti ? Quelles leçons tirer des résultats sur la prise de décision : Laurent Dehouck (ENS Cachan) Débat : Comment organiser la formation des managers au Maroc ? CLÔTURE DU COLLOQUE Allocution de clôture du colloque "Former des managers : une utopie ?" : Jean-Claude Billiet (inspecteur général de l'éducation nationale)

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COMITÉ D'ORGANISATION DES JEG4 M. KERGALL Yves Attaché de coopération au SCAC - Ambassade de France

M. SALHI Bachir Directeur de l’ENSET de Mohammedia

M. OULHAJ Lahcen Doyen FSJES Rabat-Agdal, pdt agrégation EG marocaine

M. BILLIET Jean-Claude Inspecteur Général de l'Éducation Nationale

M. CÉLIER Pierre Professeur de l’ENSET de Mohammedia

M. BOUATTANE Omar Directeur adjoint de l’ENSET de Mohammedia

Mme EL MAHDATI Latifa Vice-doyenne de la FSJES de Rabat-Agdal

M. ABOUTAHIR Mohamed Chef de département de l’ENSET de Mohammedia

Mme BAKKOURY Jamila

Coordinatrice de la cellule formation continue de l'ENSET

Mlle OUAHMI Fatima Professeur de l’ENSET de Mohammedia

M. HANOUN Tahar Secrétaire général de l’ENSET de Mohammedia

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LISTE DES CONFÉRENCIERS (par ordre alphabétique)

M. BELAHRACH Jamal Manager Général des filiales extérieures de Manpower France

M. BEN OSMANE Khalid Directeur de EFORH Consulting, professeur ENA et ISA.

M. CHRAÏBI Hassan Consultant et enseignant universitaire

M. DEHOUCK Laurent Professeur à l'E.N.S. de Cachan

M. EL MOUEFFAK Mohammed Directeur des études de l'ISCAE

M. GODELIER Éric Professeur des Universités, École Polytechnique (France)

M. GUEDIRA Mohammed Responsable d'UFR à l'université Mohammed V – Souissi

M. HENRIET Alain Inspecteur Général, ministère de l'éducation nationale

M. M'RABET Rachid Directeur de l'ISCAE

M. SAVATTERO Éric Directeur de la formation de l'E.N.S. de Cachan

M. SERHANI Bouchaïb Directeur Général de Gesper Services

M. TEBBÂA Jamal Eddine Administrateur Directeur général groupe ESG-Maroc

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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE DU COLLOQUE

Allocution d'ouverture des Journées de l'Économie-Gestion, 4° édition M. Bachir SALHI Directeur de l'ENSET de Mohammedia

M. Yves KERGALL Attaché de coopération au SCAC de l'Ambassade de France au Maroc

Allocution d'ouverture du colloque Former des managers : une utopie ? Lahcen OULHAJ Doyen de la faculté de droit de l'université Mohammed V de Rabat Agdal

Jean-Claude BILLIET Inspecteur général de l'éducation nationale

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PREMIÈRE ALLOCUTION D'OUVERTURE DE LA 4°

ÉDITION DES JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE GESTION M. Bachir SALHI Directeur de l'ENSET de Mohammedia Mesdames et Messieurs, C'est avec un grand plaisir que j'ouvre cette 4° édition des Journées de l'Économie-Gestion. Ces journées que nous avons lancées ensemble avec Monsieur l'Inspecteur Général Jean-Claude Billiet en 2005 sont, depuis leur origine, activement soutenues par le Ser-vice de Coopération et d'Action Culturelle de l'Ambassade de France à Rabat, à travers ses conseillers culturel adjoints successifs (Monsieur Appriou et Monsieur Neuville). En tant que Directeur de l'ENSET, berceau historique de ces Journées de l'Économie-Gestion, je me réjouis du succès grandissant de cette manifestation annuelle qui a su, à chacune de ses nouvelles éditions, se renouveler tout en capitalisant sur ses acquis. Notre école a pu ainsi attirer des institutions aussi prestigieuses que la Faculté de Sciences Juridiques, Économiques et Sociales de Rabat-Agdal et l'École Normale Supé-rieure de Cachan qui sont désormais des partenaires à part entière de cet événement. Au cours de ces différentes éditions, les Journées de l'Économie-Gestion sont progres-sivement devenues un rendez-vous incontournables à la fois pour les agrégatifs d'économie-gestion mais également pour de nombreux étudiants, professeurs et pra-ticiens d’horizons différents. C'est l'occasion pour ces derniers de se retrouver afin d’échanger entre eux et, sur-tout, d'actualiser ou approfondir leurs connaissances académiques et d’étalonner leurs pratiques managériales sur les cas présentés par des théoriciens et praticiens de re-nom qui nous font l'honneur de participer à nos travaux. J'en profite pour les remercier chaleureusement de nous faire l'honneur de participer à nos travaux malgré leurs obligations professionnelles. L’ENSET, consciente de ses obligations et de sa mission, s’inscrit activement dans le chantier national de la mise à niveau de notre système d’éducation et de formation.

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C’est ainsi que notre cycle de préparation à l’agrégation d'Économie et Gestion, en plus de ses enseignements académiques et préparatoires au concours national, ne manque pas d’être ouvert sur le monde de l’entreprise dont certains de ses illustres acteurs nous font l’honneur d’animer régulièrement des conférences au sein de notre école et d’encadrer nos agrégatifs dans leurs entreprises. Nous aspirons, également, à travers ces Journées de l'Économie-Gestion à favoriser et développer les échanges entre universitaires et professeurs agrégés, entre étudiants et agrégatifs dans la perspective d'un enrichissement mutuel tant sur le plan acadé-mique que pédagogique. Cela concrétise les relations que le Cycle de Préparation à l'Agrégation de l'ENSET de Mohammedia entretient avec la Faculté des sciences juridiques, économiques et socia-les de Rabat-Agdal dont le doyen, Mr Oulhaj, est également le président du jury de l'agrégation d'économie-gestion. Ce rapprochement avec le milieu universitaire ne fait d'ailleurs qu'anticiper, tout en en démontrant le bien-fondé, la dynamique induite par le projet de réforme du statut des Écoles Normales Supérieures. Le thème retenu pour cette 4° édition des Journées de l'Économie-Gestion : "Former des managers : une utopie ?" se veut, bien entendu, un clin d'œil aux fameuses inter-rogations de Henry Mintzberg sur la possibilité de "former des managers sur les bancs des grandes écoles" et sur la tendance actuelle à former des managers trop "céré-braux" et "mécanistes" vis-à-vis des nouveaux défis qu'ils doivent affronter. Ce questionnement trouve un écho tout particulier dans le contexte marocain où la mise à niveau des entreprises s'accompagne d'un important besoin de managers qua-lifiés et opérationnels auquel le système actuel de formation semble, de l'avis des pro-fessionnels concernés, avoir les plus grandes difficultés à répondre. Ainsi, cette année encore, le thème choisi répond parfaitement aux objectifs que se sont assignés les Journées de l'Économie-Gestion, à savoir aborder des thèmes pré-sentant un intérêt particulier au regard de la situation socio-économique marocaine. Ce colloque vise non seulement à apporter des pistes de réflexion aux étudiants sur les nouveaux contours et exigences du métier de "manager" mais, au-delà, à interpel-ler les formateurs (ou futurs formateurs) et responsables d'unités de formation sur les nouvelles qualités et compétences qu'ils doivent désormais prendre en charge et éva-luer dans la pratique de leur enseignement. Pour terminer je voudrais exprimer, une nouvelle fois, ma gratitude aux conférenciers : enseignants-chercheurs, cadres d'entreprise ou de la fonction publique qui ont ac-cepté de partager avec nous leurs connaissances et expériences pratiques sur ce thème. Je remercie le comité d'organisation qui n'a pas épargné ses efforts pour assurer la réussite de cette 4° édition des Journées de l'Économie-Gestion. Je voudrais également remercier tous nos invités qui nous honorent de leur présence, ainsi que les élèves-professeurs et étudiants pour leur fidélité à cette rencontre an-

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nuelle. Enfin, j'exprime mes remerciements à nos partenaires : le Service de Coopération et d'Action Culturelle de l'Ambassade de France au Maroc, l’Inspection Générale du mi-nistère français de l’Éducation Nationale, la Faculté des Sciences Juridiques, économi-que et Sociales de Rabat-Agdal et L’École Normale Supérieure de Cachan pour leur contribution à la réussite de cette manifestation. J'espère que ces deux journées répondront à vos attentes et vous apporteront matière à alimenter et à approfondir votre réflexion personnelle sur ce thème de la formation des managers de demain.

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SECONDE ALLOCUTION D'OUVERTURE DE LA 4°

ÉDITION DES JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE GESTION Yves KERGALL Attaché de coopération du SCAC de l'Ambassade de France au Maroc

Monsieur le directeur de l'ENSET, Monsieur le doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et socia-les de Rabat-Agdal, Monsieur l’inspecteur général, Mesdames et Messieurs les conférenciers, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdemoiselles et Messieurs les étudiants,

C’est toujours avec plaisir que je participe à l’ouverture d'un colloque qui me permet, en tant qu’universitaire, de retrouver la communauté à laquelle j’appartiens. Les Journées de l'Économie et Gestion (JEG) sont nées d'une initiative de M. Jean-Claude Billiet, Inspecteur Général chargé du suivi du Centre de Préparation à l’Agrégation marocaine d'économie et de gestion de l'ENSET de Mohammedia et an-cien vice-président du jury de l'agrégation marocaine d’économie gestion. Cette initia-tive a été soutenue par M. Salhi, Directeur de l'ENSET de Mohammedia. Je le remercie pour son soutien sans lequel les Journées de l'Économie Gestion n'auraient pu voir le jour et connaître le rayonnement qui est le leur aujourd'hui. Je le remercie de nous accueillir, aujourd'hui, dans son établissement pour le lancement de cette 4° édition des Journées de l'Économie Gestion. Les Journées de l’Économie et Gestion s'inscrivent dans le prolongement du dispositif de soutien aux Classes Préparatoires aux Grandes Écoles et aux Centre de Préparation à l’Agrégation. Les CPGE et les CPA font l’objet d’une active coopération entre le Mi-nistère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique et le Service de Coopération et d’Action Cultu-relle de l’Ambassade de France. Raison pour laquelle le SCAC assure la prise en charge du déplacement des conférenciers français qui nous font le plaisir d’être pré-sents parmi nous aujourd’hui. En matière d’enseignement supérieur, les liens sont très étroits entre le Maroc et la

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France et, outre le dossier agrégation, nous gérons le projet ARESM (Appui à la Ré-forme de l’Enseignement Supérieur au Maroc) dans ses trois composantes, gouver-nance, ingénierie pédagogique et recherche, les partenariats en médecine, avec les ENSA (Écoles nationales des sciences appliquées, les ENCG (Ecoles Nationales de Commerce et de Gestion), les bourses pour étudiants des CPGE, ainsi que divers dos-siers de recherche regroupés sous le terme "Partenariats Hubert Currien". Sans oublier CampusFrance qui gère toutes les poursuites d’études supérieures en France des étudiants marocains. Environ 35.000 étudiants marocains sont en France cette année.

Dans un domaine aussi évolutif que l'économie-gestion, il est important que les an-ciens étudiants des CPGE, ayant intégrés le CPA et devenus professeurs agrégés, ain-si que les nouveaux étudiants qui préparent activement l’agrégation puissent mettre à jour leurs connaissances et rester à l'écoute des nouvelles théories et pratiques dans leur discipline. L'objet de ces Journées est justement d'offrir à chacun les moyens d'une actualisation permanente de leurs savoirs et savoir-faire dans le domaine de l'économie-gestion. Nous constatons avec plaisir l'essor pris par ces JEG et la qualité des partenariats que l'ENSET de Mohammedia a su nouer pour les développer. Depuis l'année dernière, la Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales de l'université Mohamed V de Rabat, dont le Doyen, Lahcen Oulhaj est président du jury de l'agrégation d'éco-nomie gestion, en est co-organisatrice. Je salue la présence de Monsieur le Doyen. La nouveauté cette année réside en un partenariat avec l'École Normale Supérieure de Cachan, partenariat qui a pu s’établir grâce à la médiation de M. BILLIET. Nous som-mes persuadés que ce partenariat sera profitable à l'avenir des Journées d'Economie Gestion. Je remercie vivement les enseignants-chercheurs, responsables et cadres d'entrepri-ses privées ou publiques qui, malgré leurs lourdes obligations professionnelles, ont ac-cepté d'intervenir lors de ces Journées afin de partager leurs connaissances et expé-riences et de débattre sur leurs pratiques professionnelles. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite deux riches journées de travaux et de rencontres, aujourd’hui à Mohammedia et demain à Rabat.

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ALLOCUTION D'OUVERTURE DU COLLOQUE :

FORMER DES MANAGERS : UNE UTOPIE ? Lahcen OULHAJ Doyen de la faculté de droit de l'université Mohammed V de Rabat Agdal Mesdames et Messieurs, Je voudrais tout d’abord exprimer mes vifs remerciements à l’équipe dirigée par le professeur Célier qui a organisé cette 4° édition des Journées de l’Économie et Ges-tion. Mes remerciements vont aussi à l’Inspecteur Général Jean-Claude Billiet qui a eu l’idée de ces Journées, à l’Inspecteur Général Alain Henriet pour sa participation à cette édi-tion, au SCAC pour son soutien, à l’ENS de Cachan pour sa participation et à notre partenaire l’ENSET de Mohammedia pour l’organisation de ces Journées. "Former des Managers : une utopie ?" La réponse donnée par le programme de ces deux journées d’aujourd’hui à l’ENSET et, demain, à la faculté de droit et des sciences économiques de Rabat-Agdal est, comme on peut s’y attendre, négative. En ce sens que la formation des managers n’est pas une utopie, mais une réalité. Les questions posées par les différentes séances sont par conséquent : "Pourquoi former des managers ?", "Comment former des managers ?", "Quel manager pour le secteur public ?" et "Outils et méthodes pour répondre aux besoins de formation des managers". Pourtant, la question se pose dans l’absolu : "Peut-on former des managers ?". Elle se pose avec acuité dans le cas de l’agrégation d’économie et gestion. Dans l’absolu, peut-on former un manager ? Le dictionnaire Robert nous apprend que "manager" signifie chef, dirigeant d’une entreprise, cadre, décideur, gestionnaire. La question qui se pose est de savoir si les qualités d’un manager peuvent s’acquérir. Ne naît-on pas manager ? Notre réponse vitale, comme vous pouvez vous y attendre est de dire que tout s’apprend. Nous n’allons pas nous saborder, nous autres enseignants ! Mais, mis à part nos intérêts corporatifs, le management est un ensemble de connais-

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sances qui peuvent être enseignées et acquises. Il est vrai que c’est aussi un art, mais l’art sans connaissances ne mène nulle part. Ces connaissances sans la touche artistique, me diriez-vous peuvent aussi se casser les dents, car manager c’est aussi prédire et la prédiction n’est pas le point fort du trai-tement du comportement humain. La question qui nous intéresse directement est néanmoins relative au C.P.A et aux C.P.G.E. commerciales. Si, pour ces dernières, il n’est presque pas légitime de s’interroger sur la formation des managers, dans la mesure où ces C.P.G.E mènent vers les grandes écoles de commerce qui forment précisément des managers, pour le C.P.A, la question se pose sérieusement. Forme-t-on, doit-on former des managers au C.P.A ? Dans ce cycle on est censé former des formateurs de haut niveau, des professeurs agrégés en économie et gestion. Ces formateurs agrégés auront pour charge de for-mer dans les C.P.G.E., les BTS, etc. Pourront-ils former de futurs managers sans être managers ? En tout cas, dans le CPA, l’ensemble des connaissances qui constituent le manage-ment sont enseignées. Et, au concours de l’agrégation, l’épreuve écrite d’étude de cas comptable et financière ou commerciale est une épreuve de management ou de ges-tion. C’est l’épreuve qui a à l’écrit le coefficient le plus élevé. … Voilà qui justifie amplement la problématique de cette quatrième édition des Jour-nées de l'Économie et Gestion ! Dans la première édition des Journées de l'Économie et Gestion, la problématique a été purement économique, sur les marchés financiers. La deuxième édition a porté sur l’entreprise et sur sa gestion. La troisième sur le droit de l’entreprise. On n’est donc jamais sorti du cadre formel du C.P.A d’économie et gestion. Cette année, la formation des professeurs agrégés est saisie d’une manière globale et transversale dans la mesure où la formation des managers est une formation écono-mique, juridique, sociale, comptable, financière et même psychologique et culturelle. Elle est saisie à partir d’un haut point de vue au sens étymologique du terme, à une distance donnée et avec un certain recul. Je souhaite à cette quatrième édition un grand succès et je vous remercie de votre at-tention.

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ALLOCUTION D'OUVERTURE DES TRAVAUX

Jean-Claude BILLIET Inspecteur général de l'éducation nationale Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Amis, C’est, comme toujours, un grand plaisir d’être parmi vous. J’espère d’ailleurs que vous mesurez le sacrifice consenti par la délégation française, dans la mesure où nous sommes théoriquement en vacances en France et qu’il nous a fallu braver le vent et la pluie ici à Rabat, alors qu’il fait grand beau à Paris. Mais, pour rien au monde nous n’aurions voulu manquer ce rendez-vous, désormais annuel. Je me souviens que, lorsque nous avions ouvert les JEG2, avec mes complices de tou-jours que sont Bachir Salhi, Directeur de l’ENSET de Mohammedia et Lahcen Oulhaj, Doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat Agdal, nous avions annoncé que ces JEG2 ne seraient pas les secondes Journées de l’Économie-Gestion, mais les deuxièmes, tant nous étions persuadés que d’autres sui-vraient. C’est donc à un pari réussi que nous vous convions aujourd’hui, pour cette quatrième édition des Journées de l’Économie-Gestion. Le caractère durable des JEG est tout d’abord certainement dû à l’intérêt que suscitent ces journées, aussi bien auprès des jeunes agrégatifs, à qui nous souhaitons d’ores et déjà bonne chance au regard des échéances qui attendent certains d’entre eux dans quelques semaines, qu’auprès de tous les acteurs économiques locaux qui nous ont fait l’honneur de nous rejoindre. Mais cette durée est également le fruit d’un travail efficace de tous les organisateurs de ces journées et c’est pourquoi je tiens à les remercier tout particulièrement. Qu’il s’agisse de l’ENSET, de la faculté de Rabat Agdal, de l’ENS Cachan, du Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France au Maroc, et en tout pre-mier lieu, de notre ami Pierre Célier, entouré de ses collaborateurs, je mesure ce qu’il a fallu de volonté, de courage et de patience pour parvenir à cette mise en oeuvre sans faille dont nous avons eu un aperçu ce matin, lors de l’accueil des participants, ici à Mohammedia. Soyez-en tous remerciés, de tout cœur. Sans vous, rien n’était possible et je tenais absolument à vous rendre cet hommage public.

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En choisissant le thème des JEG4 :"Former des managers, une utopie ?" nous avons souhaité placer ces journées sous le double signe du débat et de la provocation. Quand je dis cela, je sais que nous allons rester dans les limites du raisonnable et que les différents orateurs, brillants et ardents défenseurs de leurs idées, n’en viendront pas aux mains ; mais je n’ignore pas que les points de vue peuvent être très différents sur cette question. Je fais confiance aux animateurs des tables rondes pour favoriser l’expression de toutes ces sensibilités. Les JEG2 avaient déjà effleuré le sujet, sous l’angle nettement moins polémique de la PME. Cette fois, il s’agit de focaliser sur celui qui, selon les cas, est l’incarnation du bien ou le responsable de tous les maux, j’ai cité le manager ! La problématique est au cœur des préoccupations actuelles, en France comme au Ma-roc. Les économistes classiques considéraient qu’il n’y avait que deux forces en pré-sence : le capital et le travail. Il a fallu attendre la seconde moitié du vingtième siècle et, plus précisément l’apport des chercheurs en sciences humaines, pour voir se des-siner les contours d’un troisième pouvoir, celui du manager, pilote emblématique de cet attelage bicéphale capital/travail. Aujourd’hui apparaît un quatrième pouvoir, qui semble détenir les clés de la gouvernance des entreprises, je veux bien entendu parler de l’actionnaire, dont le pouvoir semble se substituer progressivement à celui du ma-nager. Qu’en est-il réellement ? Qui sont ces hommes et ces femmes qui dirigent les organi-sations ? D’où viennent-ils et quelles sont leurs forces et leurs faiblesses dans la com-pétition internationale, avec quels moyens exercent-ils leur action ? Telles sont, Mesdames et Messieurs, quelques unes des questions auxquelles nous al-lons tenter de répondre durant ces deux journées. Dans un article assez récent, Henry Mintzberg dénonçait les travers des grandes éco-les de managers, notamment HEC, consistant à spécialiser la formation des futurs managers sur la dimension technique et, plus particulièrement, mathématique et mo-délisante du métier. Le manager serait-il alors cet individu fermé et calculateur, formé dans les plus grandes écoles et dont la froideur n’aurait d’égal que son goût pour le pouvoir et pour son inséparable instrument : l’argent ? Au contraire, est-il avant tout un être humain et, dans cette hypothèse, est-il néces-saire de le former puisque, en définitive, ce seraient ses qualités personnelles qui constitueraient ses véritables atouts, bien plus que son aptitude technique ou opéra-tionnelle ? Et plus encore, au lieu d’UN manager, n’y aurait-il pas plutôt DES managers ? Un pour les petites entreprises et un autre pour les grandes entreprises, ce dernier étant nécessairement hypermoderne ? Un pour les entreprises privées, paré de toutes les qualités et un autre pour le secteur public, poussiéreux et fonctionnarisé ? Enfin, un manager de grande valeur pour les entreprises françaises ou européennes et un autre, marqué par son amateurisme, pour les entreprises marocaines ? Je vous avais bien dit que nous placerions ces journées sous le signe de la provocation…

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La vérité est qu’il faut tordre définitivement le cou à ces clichés. Pour ce faire, j’ai de-mandé à d’éminents spécialistes français de venir me prêter main forte afin d’apporter toute la lumière sur ces questions et d’en débattre avec leurs homologues marocains. Par ordre d’apparition à l’image, si vous permettez cette référence cinématographique, vous entendrez Éric Godelier, professeur à l’École Polytechnique, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Ensuite, viendra le tour d’Éric Savattero, Directeur de la forma-tion à l’ENS Cachan, dont le point de vue est particulièrement intéressant car il vient du monde industriel où la compétence technique est souvent mise en avant. Vous écouterez Alain Henriet, Inspecteur général de l’éducation nationale, dont les travaux de recherche universitaire ont porté sur le management public. Enfin, last but not least, Laurent Dehoucq, professeur à l’ENS Cachan, s’interrogera sur ce manager, hé-ros ou apprenti des temps modernes. Ces quatre conférenciers seront rejoints par une dizaine d’éminents spécialistes maro-cains, issus du monde universitaire ou de celui des entreprises et des organisations, que je remercie par avance de leur précieuse collaboration. C’est dire, Mesdames et Messieurs, qu’il s’agit d’un plateau de tout premier choix et que je n’ai aucun doute quant à la qualité des interventions et des débats auxquels nous allons assister. Je vous remercie de votre attention.

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POURQUOI FORMER DES MANAGERS ?

Évolution des attentes réciproques entre l'entreprise et ses managers Jamal Belahrach Manager general des filiales extérieures de Manpower Quel profil pour le manager de demain ? Jamal Eddine Tebâa Administrateur Directeur général groupe ESG-Maroc Pratiques managériales des entreprises et formation en gestion Rachid M'Rabet Directeur de l'ISCAE Faut-il former les managers ? Éric Godelier Professeur des universités, président de département à Polytechnique (France)

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ÉVOLUTION DES ATTENTES RÉCIPROQUES ENTRE L'ENTREPRISE ET SES MANAGERS

Jamal BELAHRACH Manager général des filiales extérieures de Manpower France

[Transcription de la communication de M. Jamal Belahrach réalisée par P. Célier] Je vous remercie de me donner l'occasion d'ouvrir les travaux de votre colloque sur la formation des managers. En effet, je considère que, lorsqu'elle le peut, l'entreprise doit répondre favorablement aux propositions qui lui sont faites d'exprimer ses atten-tes et ses remarques. À défaut, on aurait du mal à comprendre qu'elle puisse ensuite se plaindre de l'inadéquation entre l'offre et la demande de formation. En découvrant le titre de votre colloque, je me suis posé un certain nombre de ques-tions et je ne viens pas ici vous parler en tant qu'expert mais, simplement, en tant qu'homme d'expérience, un homme qui a maintenant onze années d'expérience au Maroc après avoir travaillé préalablement en France D'abord et même si cela peut paraître polémique (mais je suis aussi connu pour ça !), je dirais que je ne pense pas que l'école en général soit le lieu où l'on forme des ma-nagers. Il me semble, et la différence est de taille, que c'est davantage un lieu où l'on développe les connaissances, le savoir et les compétences clés pour devenir un ma-nager. C'est dans l'entreprise où on est amené à prendre des responsabilités et à dé-ployer son énergie et son potentiel que l'on devient manager. C'est pourquoi, avant de lister les attentes des entreprises vis-à-vis de leurs mana-gers, telles que moi je les perçois, il me semble nécessaire d'analyser d'abord l'envi-ronnement de l'entreprise pour ensuite définir les conditions de succès d'un bon ma-nager et, notamment, la réponse qu'en attend l'entreprise. J'ai donc structuré mon propos en quatre parties : l'entreprise face à ses défis actuels (1), les acteurs de l'environnement de l'entreprise (2), l'entreprise marocaine et ses démons (3) et, enfin, ce que j'ai appelé les quatre dimensions du manager (4). I. L'ENTREPRISE FACE À SES DÉFIS ACTUELS Dans la mesure où nous sommes dans une école avec des étudiants qui, demain, se-ront soit aux avant-postes au sein de l'entreprise, soit formateurs de managers, il m'a semblé important de commencer par prendre un peu de recul afin d'identifier les évo-

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lutions majeures que connaît actuellement le monde et, donc, l'environnement des en-treprises. Parmi les facteurs clés auxquels l'entreprise est confrontée, on peut citer un certain nombre de facteurs déjà largement abordés par la littérature économique :

- la mondialisation (ou "globalisation" suivant de quel côté de la mer on se trouve) qui nous impose son rythme et ses problématiques, - le développement du savoir qui devient une véritable arme aujourd'hui pour la compétitivité, - le développement de l'accès à l'information et les nouvelles technologies, - les nouvelles problématiques qui se posent aujourd'hui aux salariés et, notam-ment, la fin de l'emploi à vie, - la notion du contrat de travail qui aujourd'hui se pose, à savoir est-ce que le contrat de travail tel que nous le connaissions va rester tel qu'il est, - la formation tout au long de la vie, qui est un élément important à prendre en compte, - cette fameuse orientation client qui aujourd'hui devient vitale pour la survie de l'entreprise. Nous évoquions précédemment les différents pouvoirs en intégrant no-tamment le manager et le capital. Je pense que le client est devenu également, au-jourd'hui, un pouvoir qu'il ne faut pas oublier, - et, enfin, la transformation des organisations et des modes de management qui s'impose aujourd'hui parce que tous les éléments que je viens de citer sont imbri-qués les uns dans les autres et que, justement, en tant que manager et chef d'en-treprise on est obligé d'en tenir compte.

Pour faire un bref rappel schématique de l'économie de marché dans laquelle nous vi-vons aujourd'hui, remarquons que jusqu'à récemment encore nos entreprises produi-saient et vendaient leur production. Nous étions dans ce qu'on peut appeler une "éco-nomie de production". Aujourd'hui la démarche est complètement inversée. Le consommateur dit ce qu'il a envie de consommer et l'entreprise produit en fonction des besoins exprimés. Cela si-gnifie qu'en terme de paradigme les choses ont évolué et il est indispensable que les managers ou futurs cadres d'entreprise intègrent cette nouvelle donne. Souvent je suis confrontés à des jeunes qui me disent vouloir créer leur affaire. À ceux-ci, la première question que je pose est : "Est-ce qu'il y a un marché ?". C'est seulement à cette condition que cela vaut la peine d'entreprendre ! Cette dualité entre ce qui se passait avant et ce qui se passe maintenant est majeure pour la compréhension des attentes de l'entreprise vis-à-vis de ses cadres et, notam-ment, sur leur capacité à s'adapter à l'environnement et aux évolutions des consom-mateurs. En même temps, le corollaire de cela, sa conséquence, c'est que le mode de d'organi-sation et de management de l'entreprise change. Hier les organisations étaient tota-lement bureaucratiques, aujourd'hui elles sont organiques. Hier le travail était stable, aujourd'hui il devient de plus en plus flexible. Hier, le comportement était basé sur l'obéissance, aujourd'hui il l'est davantage sur l'implication.

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Il faut donc bien comprendre que la vision de l'entreprise et ses relations avec ses ca-dres et dirigeants ont radicalement évoluées. L'approche contemporaine doit privilé-gier le "penser global" mais aussi "l'agir global". Il convient d'adopter une approche systémique qui fait que, par exemple, lorsqu'on est dans la zone industrielle de Mo-hammedia on doit raisonner par rapport au bassin d'emploi de Mohammedia, mais aussi à la ville de Mohammedia, à la région de Mohammedia, au Maroc et, plus globa-lement, au monde. Dans la petite zone industrielle là haut il y a certainement quelqu'un qui travaille et qui commerce directement avec le japon ou la Chine ou l'Australie. Donc il n'est plus dépendant de son seul environnement local. Gardez cela en tête pour bien compren-dre les attentes des entreprises vis-à-vis de leurs managers. "Penser global et agir global", cela signifie que nous ne sommes plus dans la "micro-économie" ou la "micro-entreprise" mais dans une approche permettant de compren-dre le monde tel qu'il fonctionne, tous les jours, tout le temps. Toute entreprise fait face à un certain nombre d'environnements. D'abord son mar-ché, bien sûr, c'est-à-dire ses clients, mais il y a aussi son environnement direct et in-direct. Son environnement direct ce sont ses partenaires, ceux qu'on appelle "parties prenantes" en général. Son environnement indirect englobe tout ce qui est "vie so-ciale" et, plus globalement, ce qu'on appelle maintenant la RSE (la Responsabilité So-ciale de l'Entreprise). L'entreprise ne doit surtout pas s'enfermer sur elle-même mais, bien évidemment, s'intéresser à tout ce qui se passe autour d'elle. Le manager de demain ne doit donc pas seulement penser en terme de business mais aussi, c'est tout au moins ma conviction, en terme de développement durable. Et puis, bien entendu, il y a les capitaux. On peut distinguer deux types de capitaux, selon leur nature : bien entendu, le capital financier sans lequel rien ne peut se faire, mais également le capital humain qui me semble majeur et prioritaire. En effet, sans celui-ci rien ne peut se faire dans l'entreprise. Sous la notion de capital humain j'intègre, bien sûr, les salariés mais également, au sein des salariés, les partenaires sociaux. En particulier dans le contexte national, j'in-siste beaucoup sur le fait que le manager doit intégrer dans sa réflexion et dans son approche l'implication des partenaires sociaux. Penser qu'on peut réussir sans les par-tenaires sociaux de l'entreprise est une hérésie, sinon une faute. Même si dans le contexte marocain, avec l'histoire syndicale que nous connaissons, cela peut paraître difficile, les partenaires sociaux demeurent une clé importante pour la performance de l'entreprise, et une relation saine doit être entretenu avec ceux-ci. Ceci étant posé, il est possible de raisonner en terme d'objectifs : objectif pour l'en-treprise, objectif aussi pour les managers que nous sommes censés accompagner, nous, en tant que chef d'entreprise. D'abord l'objectif n° 1 de l'entreprise et il faut que ce soit clair pour tous, c’est faire faire du profit. Le chef d'entreprise veut un retour sur investissement, donc satisfaire

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les actionnaires, optimiser l'outil de production, répartir la croissance aussi auprès des compétences humaines, développer des compétences nouvelles, optimiser la satisfac-tion des clients qui ne sont pas qu'accessoires. Le deuxième objectif majeur, me semble-t-il, c'est de donner du sens. Donner du sens, c'est le rôle essentiel du chef d'entreprise ou du manager, à savoir : dire où on va, comment on y va, avec qui on y va. Une entreprise n'a pas vocation simplement à se positionner comme un générateur de croissance seulement mais doit aussi intégrer cette dimension nécessaire qui est de montrer la voie en donnant du sens, en deve-nant une référence également dans son environnement. C'est seulement ainsi qu'elle pourra assurer sa pérennité. Mais cela elle ne pourra le faire que dans le respect des hommes et des valeurs de l'entreprise et en développant la transparence nécessaire. Le manager d'aujourd'hui doit être conscient de l'ensemble de ces objectifs et les gé-rer en permanence même si, parfois, ils peuvent apparaître comme contradictoires. LES ACTEURS DE L'ENVIRONNEMENT DE L'ENTREPRISE J'évoquais précédemment la notion de développement des compétences et des colla-borateurs. Celle-ci est fondamentale et conditionne la pérennité d'une entreprise. Un chef d'entreprise ou un manager doit être capable d'anticiper l'avenir. Il y a néces-sairement une notion de prédiction dans la notion de manager : manager c'est pré-voir, organiser, piloter, etc. C'est anticiper l'avenir. Or, anticiper l'avenir, l'entreprise seule ne pas le faire et, donc, le rôle du manager aujourd'hui c'est d'être en capacité de s'adapter en permanence. Cela veut dire être informé non seulement de son sec-teur d'activité mais aussi de tout ce qui se passe autour de cet environnement. L'entreprise doit également comprendre qu'elle doit actionner tous les leviers qui sont à sa disposition et, le premier d'entre eux, est de créer une véritable relation avec l'État qui n'est pas là pour décréter ce que doit faire ou ne pas faire l'entreprise mais qui est simplement là pour créer les conditions d'une bonne régulation du marché et du business. Ce n'est pas l'État qui créé la croissance, c'est l'entreprise. Donc il ne faut rien attendre d'autre de l'État que son rôle principal, à savoir de créer les conditions de bonnes pratiques, de bonne gouvernance et de bonne concurrence. En ce qui concerne les partenaires sociaux, les managers, surtout ceux qui vont arri-ver sur le marché demain, doivent adopter un nouveau comportement. Il est nécessaire qu'ils aient une conception de l'entreprise comme d'un système vi-vant, où chacun a un rôle à jouer. Les partenaires sociaux y jouent naturellement un rôle majeur, même s'il convient parfois de leur rappeler qu'ils ne sont pas les proprié-taires de l'entreprise et qu'ils n'ont pas à dicter leur loi dans l'entreprise. En revanche, il est nécessaire de créer les conditions d'un dialogue permanent afin de construire ensemble l'avenir de l'entreprise et, in fine, assurer sa pérennité. Le rôle du manager c'est d'être dans cette dimension là en permanence, parce que, jusqu'à maintenant, on n'a jamais créé ce pont de communication entre les partenai-

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res sociaux, le chef d'entreprise et les managers. Pour aujourd'hui comme pour de-main, la formation des cadres qui vont alimenter le monde du travail me semble donc une donnée majeure. Bien évidemment l'opérateur économique, l'entreprise dans laquelle nous évoluons et celle où vous évoluerez peut-être demain, est un véritable moteur du progrès social. Mais le progrès social est également un moteur pour l'entreprise, il n'y a pas d'opposi-tion entre les deux, comme il n'y a pas de honte à gagner de l'argent. La question c'est comment l'entreprise le redistribue, ce qu'elle en fait. Alors, comme nous l'évoquions précédemment, former des managers est-ce une uto-pie ? Quand j'ai vu ce titre, je me suis dit qu'il était sans doute un peu prétentieux pour une École de prétendre former des managers. En effet, personnellement, en tant que re-cruteur, si demain je vois des jeunes diplômés qui arrivent d'une école avec un CV sur lequel il est écrit en haut : "je suis manager", je m'inquièterai et je m'interrogerai, à moins qu'ils n'aient passé sur leur durée d'étude au moins 90 % de leur temps en en-treprise. Par contre, ce que j'attends, c'est que le processus qu'ils ont suivi ait créé les condi-tions de révélation de leur énergie et de leur potentiel. En effet, selon moi, une École doit être là, avant toute chose, non seulement pour donner du savoir, de la connais-sance et les outils nécessaires pour comprendre le monde de l'entreprise ainsi que le monde en général, mais aussi et surtout pour permettre à chacun de développer ses projets personnels. Ensuite, il me semble que c'est en entrant dans une entreprise que l'individu aura la possibilité de déployer ses compétences pour acquérir les com-pétences supplémentaires de manager. L'utopie, me semble-t-il, n'est pas de former des managers, mais de penser que l'on ne pourra jamais le devenir. Tout le monde a la possibilité de devenir un manager à condition, me semble-t-il qu'il y ait un "matching" entre son projet de vie et son projet professionnel. Mais, pour cela, le jeune qui rentre dans une entreprise ne doit pas fuir la prise de responsabilités. Sur la base de mon expérience de 11 ans, après avoir effectué un cer-tain nombre de recrutement et subi quelques déceptions, j'ai en effet malheureuse-ment pu constater que, trop souvent, les jeunes visent la fonction de manager parce que le titre et le salaire sont sympathiques, mais cherchent à éviter les responsabilités qui vont avec ! Aujourd'hui, l'organisation attend du manager qui travaille en son sein qu'il soit capa-ble de comprendre les enjeux de l'entreprise, les enjeux de son marché, les enjeux des besoins de ses propres collaborateurs pour les accompagner. Souvent je dis à mes collaborateurs, ou à mes clients, ou aux cadres que je recrute que, de manière basique, un bon manager doit savoir faire aux autres ce qu'il aimerait qu'on lui fasse. Souvent on a envie d'un plan de carrière, on a envie d'être écouté, on a envie d'être "boosté", on a envie d'être coaché, on a envie de prendre des respon-

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sabilités. Or, il n'est pas rare que lorsqu'il devient manager, l'individu interdise tout ce-la à ceux qu'il dirige… Cela pose question : Pourquoi ? Une autre qualité essentielle d'un bon manager c'est l'humilité. Un manager ce n'est pas celui qui sait tout, il a aussi le droit de ne pas savoir. L'ENTREPRISE MAROCAINE ET SES DÉMONS Ceci m'amène, maintenant, à aborder le contexte national de l'entreprise marocaine tel que je le perçois après onze années de pratique. Le tissu économique marocain est composé à 90 % de PME-PMI principalement fami-liales. La formation des responsables de ces entreprises est principalement basée sur l'empirique et s'est faite sur le terrain. Souvent dans ces entreprises on ne respecte pas la valeur humaine, l'individu étant considéré comme un outil de production au service du capital. C'est malheureusement une réalité dans les PME marocaines d'au-jourd'hui, cela existe encore, même dans la zone industrielle de Aïn Sbaâ ! Ainsi, parmi les caractéristiques de ces entreprises, on peut citer :

- le manque de motivation et d'implication des collaborateurs, - un pourcentage de collaborateurs analphabètes relativement important, même si le programme d'alphabétisation qui a été mis en œuvre commence à produire un certain nombre de résultats. - un faible niveau de compétence, aussi bien sur le plan technique que sur le plan managérial, - le non respect de la législation, - une faible relation entre compétence, emploi et salaire - les problématiques d'employabilité qui ne sont pas assurées, ni assumées par les chefs d'entreprise.

On peut donc légitiment s'interroger sur la capacité de l'entreprise marocaine, ou tout au moins de la grande majorité de celles qui composent le tissu économique local, à intégrer le manager de demain, celui qui aura été révélé dans le cadre de son proces-sus universitaire et scolaire. En effet, il paraît peu probable que celui-ci y trouve une place à sa mesure. Toutefois, il convient de souligner que les 10 % d'entreprises qui représentent les grands groupes et les grandes entreprises du tissu économique, sont en quête de managers capables de les accompagner. LES QUATRE DIMENSIONS DU MANAGER Lorsque l'on recrute des potentiels, dès lors qu'ils viennent des grandes écoles on sait qu'ils ont la connaissance, le savoir. Aussi, lors des entretiens de sélection, on passe davantage de temps à étudier leurs "capacité à", leur niveau de réflexion.

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Par rapport à cela j'ai défini 4 dimensions du manager :

- la dimension stratégique, - la dimension opérationnelle, - la dimension d'encadrement, - la dimension éthique.

Dimension stratégique : on attend d'un bon manager qu'il ait une capacité à réflé-chir sur une problématique, à proposer un certain nombre d'objectifs, à mettre en face la stratégie nécessaire, à définir des objectifs et, bien sûr, à déployer un plan d'actions. Dimension opérationnelle : le manager doit non seulement avoir un "savoir faire" mais également un "savoir faire faire". Il doit savoir dimensionner les ressources et mettre en place ou déployer tous les processus nécessaires pour atteindre la perfor-mance que l'entreprise attend. Dimension d'encadrement : il s'agit de la capacité à fédérer les équipes, à créer de la cohésion, à développer les compétences de ses propres équipes pour que demain elles deviennent meilleures face à un environnement concurrentiel. Cette dimension est vitale car, compte tenu du niveau technologique atteint, il est de plus en plus rare qu'une entreprise puisse se différencier sur la qualité technique de ses produits. La différence se fait donc, de plus en plus, sur la qualité des équipes, leur capacité à mieux vendre l'entreprise et à bien argumenter. Dimension éthique : dans le monde dans lequel nous évoluons l'éthique devient également vitale, majeure. En effet, l'intégrité, l'exemplarité, les valeurs portées par l'entreprise peuvent faire la différence en terme de mix produit. Il s'agit d'être capable d'avoir un comportement éthique dans l'entreprise, mais aussi à l'extérieur de celle-ci. CONCLUSION : FORMER DES MANAGERS EST-CE UNE UTOPIE ? L'entreprise Maroc, je l'ai souvent dit au plus haut niveau, n'a pas un problème de marché, de produit ou de stratégie. Elle a un véritable problème et un déficit d'enca-drement et de pilotage des hommes… Et ça, c'est le rôle des managers. Le Maroc, aujourd'hui, a toutes les potentialités d'un pays pour réussir sa mutation définitive et son intégration dans la mondialisation et dans l'économie de marché. Ce n'est pas former les managers qui est une utopie. Aujourd'hui il est important de créer les conditions de développement des compétences parce que cela devient une nécessité pour construire un pays d'entreprises performantes, de telle sorte que la li-béralisation du potentiel de l'individu assure l'intérêt général.

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Un manager est donc un guide dont l'humilité force le respect et dont la compétence conduit au changement et au succès durable Former des hommes et des femmes capables d'appréhender les enjeux du futur c'est l'affaire de tous et je suis convaincu que c'est parce que l'on peut rêver, parce que l'on est parfois un peu utopiste, que l'on arrive à réussir des choses.

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QUEL PROFIL POUR LE MANAGER DE DEMAIN ?

Jamal Eddine TEBÂA Administrateur Directeur Général groupe ESG-Maroc HYPOTHÈSE Face à la mutation des marchés, les organisations, publiques et privées, sont contrain-tes de faire évoluer leurs stratégies et leurs modes de management. Or, stratégies et modes de management se bâtissent à travers la dynamique compor-tementale d’un manager d’un autre type : un manager pluriel. Ce nouveau type de manager, ne marque t-il pas la fin des cloisons, au niveau profil du dirigeant ? La réponse à cette question fondamentale pour tout formateur, s’articulera autour de trois réflexions :

Quelles sont les nouvelles tendances du système productif ?

Quelles qualités et compétences recherchées en termes de profil managérial ?

Quels attitudes et comportements du formateur face aux nouveaux challenges ? I. NOUVELLES TENDANCES DU SYSTÈME PRODUCTIF Les nouvelles tendances du système productif peuvent apparaître à travers plusieurs constats : I.1. l’environnement qu’il soit technique, juridique, politique ou démogra-phique, se complexifie

� mondialisation des économies ; � maturation voire saturation de nombreux marchés dans les pays riches ; � émergence très rapide de nouvelles technologies ; � pressions écologiques et éthiques ; � pouvoirs de plus en plus importants de la grande distribution ; � développement rapide des plates formes d’échange international ;

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� rôle de plus en plus accru des consommateurs ; � importance grandissante des organes de communication.

L’environnement doit être de plus en plus surveillé ⇒⇒⇒⇒ veille concurrentielle.

Il doit également être continuellement intégré à la réflexion et à la démarche managé-riale ⇒⇒⇒⇒ nécessité d'un comportement proactif du manager. I.2. Les fondements de la concurrence nationale et internationale changent avec notamment

� l’émergence de nouveaux entrants et de nouveaux concurrents sur les mar-chés � la réduction de situations de rentes règlementaires, logistiques, techniques, financières,

I.3. Le cycle de vie des produits et services se réduit de plus en plus

Ceci nécessite de la part du management : adaptabilité, réactivité et innovation cons-tante. I.4. Produire et vendre ne suffit plus

Les entreprises doivent à présent, adopter de nouvelles logiques et ambitions et savoir mobiliser l’intelligence collective. I.5. Autrefois cloisonnés, les différents métiers au sein de l’entreprise, doi-vent apprendre à :

� Travailler en réseau � Partager les mêmes outils � parler le même vocabulaire

Le manager se doit de fédérer l’ensemble des métiers indispensables au bon fonc-tionnement de l’organisation ⇒⇒⇒⇒ la transversalité des métiers engendre la multi-disciplinarité du manager. I.6. Les relations de travail sont affectées par les TIC

De plus en plus, des personnes travaillant sur un même projet, peuvent constituer un "espace électronique" temporaire leur permettant d’échanger de l’information, de tra-vailler en collaboration (exemple : l’Oréal). En contrepartie, le contrôle des collaborateurs devient permanent et indolore, ce qui

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affecte les relations de pouvoir. Le travail d’équipe se développe au détriment des re-lations hiérarchiques classiques ⇒⇒⇒⇒ La capacité de travailler en équipe, sur la base du partage de l’information devient une nécessité pour le manager. II. FACE À CES CHANGEMENTS : QUELLES QUALITÉS ET COMPÉTENCES POUR LE FUTUR MANAGER ? Nous essaierons de répondre à cette question à deux niveaux

- en premier lieu, quelle est la perception des entreprises face à la formation supé-rieure ? - en second lieu, quelles sont les aptitudes, les qualités nécessaires ou recherchées chez un futur cadre managérial ?

C’est à la lumière d’une enquête réalisée auprès de 1025 entreprises et organismes que nous tenterons d’étudier ces deux points (cette enquête a eu lieu en 2003). II.1. Une perception très mitigée de la formation des futurs managers Pour relativiser nos constats statistiques, précisons d’abord que la répartition secto-rielle des réponses révélait une prédominance des entreprises dans les secteurs ter-tiaires (commerce, banques, assurances, etc.).

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Les directeurs généraux et les DRH représentaient plus de 42% des interviewés :

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La majorité des interviewés sont diplômés des écoles de commerce et gestion :

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… Les principaux résultats de cette étude sont les suivants : II.1.A. Au niveau de la perception des établissements supérieurs

- Les études supérieures semblent nécessaires pour occuper des fonctions de cadre manager (selon 75 % des personnes enquêtées) :

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- Par rapport à l’encadrement, plus de 6 entreprises sur 10 sont insatisfaites de l’enseignement supérieur actuel :

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- Plus de 8 entreprises sur 10 estiment que la collaboration établissement de forma-tion / monde des affaires n’est guère développée :

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- Ceci semble s’expliquer pour les entreprises par le manque d’effort d’ouverture de la part des établissements de formation :

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- Mais la quasi-totalité des entreprises expriment leur entière disposition à collaborer avec les établissements de formation :

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II.1.B. Au niveau des critères de performance - La présence de professionnel est une condition indispensable pour une meilleure adaptabilité : 95 % des personnes interrogées y attachent de l'importance :

(… voir tableau page suivante)

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et le taux d'insatisfaction est de 66 % à ce sujet :

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- Un effort continuel d’adaptabilité des programmes aux besoins du marché de l’emploi est nécessaire : 96 % des personnes interrogées y attachent de l'importance :

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et le taux d'insatisfaction est de 43 % à ce sujet :

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- La pratique et la maîtrise des stages sont des conditions essentielles à l’adaptabilité des futurs managers : 95 % des personnes interrogées y attachent de l'importance :

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et le taux d'insatisfaction est de 48 % à ce sujet :

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II.1.C. Au niveau des aptitudes et des savoirs faire recherchés

II.2. Les 10 principales qualités qu’un cadre doit avoir, par ordre d’importance 1. Conscience professionnelle 2. Maîtrise du français 3. Confiance en soi 4. Capacité d’analyse et esprit de synthèse 5. Rigueur et méthode

6. Dynamisme 7. Esprit de groupe 8. Capacité de négociation 9. Élocution 10. Présentation

Face aux nouveaux enjeux de la compétitivité et de la performance, les entreprises représentant le système productif, semblent privilégier les qualités humaines et com-

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Culture généraleConscienceprofessionnelle Capacité d'analyseet esprit desynthèse Esprit de groupeRigueur et méthode SociabilitéDynamismeImagination etcréativitéConnaissancestechniquesCapacité denégociationConfiance en soiCapacité demobiliser et demener des hommesPolyvalence AmbitionSens du challengeet du défiDiscrétion etréserveGoût du risque Présentation ElocutionMaîtrise desnouvellestechnologies del'information et dela communication(N.T.I.C)Maîtrise de l'arabe Maîtrise dufrançaisMaîtrise de l'anglais

indispensable souhaitable sans importance

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portementales aux simples connaissances acquises. III. QUELLES ATTITUDES ET QUELS COMPORTEMENTS DU SYSTÈME DE FORMATION, FACE À CES IMPÉRATIFS MANAGÉRIAUX. Compte tenu des observations précédentes, nous pouvons formuler quelques pistes de réflexion pour la mise en place d’un système de formation apte à promouvoir et à produire des diplômés à fort potentiel managérial :

- La trilogie : Pédagogie active

Adaptabilité Encadrement professionnalisé

est la clef de voûte d’un système de formation permanent

- La responsabilisation passe par un système de formation où l’apprenant est impli-qué.

- Le développement de l’esprit managérial repose sur le dépassement de la simple transmission des connaissances et la promotion des activités culturelles sportives et associatives.

- Grâce aux nouvelles technologies, le formateur est amené à devenir plus un anima-teur d’équipe, favorisant l’auto-apprentissage.

- Tout futur diplômé, doit, dés son arrivée dans le supérieur, être initié au projet pro-fessionnel, afin qu’il devienne progressivement porteur de son propre projet profes-sionnel.

- Tout en maintenant la spécialisation progressive, la multidisciplinarité doit être en-couragée afin de réduire le cloisonnement d’esprit (exemple : la biologie introduite à HEC).

- La maîtrise linguistique et les méthodes de communication écrite et orale doivent devenir l’épine dorsale des formations supérieurs et être adossées à un élargissement de l’horizon culturel de l’apprenant.

- Les pratiques pédagogiques de mises en situation, sur la base d’un travail collectif, pouvant initier progressivement l’apprenant à gérer un éventail d’activités et de situa-tions variées.

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Cependant, ces orientations, ne sont nullement la recette miracle. Bien au contraire, ce chalenge pour former le manager pluriel suppose et impose des conditions essen-tielles dont notamment :

- l’implication et la mobilisation des véritables acteurs : s’il est facile de résoudre l’équation des facteurs (moyens), il est plus complexe de résoudre celles des logi-ques des multiples acteurs. - la formation des formateurs aux nouvelles techniques d’apprentissage pour adultes ainsi qu’aux méthodes de management pédagogique est indispensable.

- la création du statut de "professeur-associé" (qui est d’une actualité brûlante au Maroc) afin de favoriser réellement la participation des professionnels aux cycles de formation. - la mise en place de "Départements des stages" dotés de personnes ressources et de moyen adaptés est plus que nécessaire. - l’évaluation des performances des institutions de formation et des formateurs sur la base de critères professionnels est indispensable pour renforcer la culture de res-ponsabilisation et d’obligation de résultats.

CONCLUSION Au-delà de ce diagnostic et de ces propositions de bon sens, deux questions nous in-terpellent :

1) Comment promouvoir des outputs performants (diplômés) alors que les inputs (lycées) sont inadéquats. Certaines qualités et aptitudes humaines se développent dés le préscolaire, encore inexistant dans une large partie du pays.

2) Comment relever ce défi, sans recevoir le système de gouvernance du processus de formation supérieure ?

Je vous rapporte la réflexion d’un étudiant à un conseil d’Université, suite à la mise en place de la nouvelle réforme dans les facultés : "Messieurs, je me considérais à l’issue de mon diplôme de licence, diplômé dans les introductions de cours". Cette réflexion sur les introductions sera ma conclusion !

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PRATIQUE MANAGÉRIALE DES ENTREPRISES

ET FORMATION EN GESTION Rachid M’RABET Directeur de l’ISCAE Le management est à la fois un référentiel technique, une pratique et un art1. Le réfé-rentiel technique est ce qui est enseigné dans les écoles de commerce et les facultés : un ensemble de méthodes, de procédures et de techniques de nature à permettre à ceux qui les maîtrisent de gérer les biens, le capital et les ressources humaines, en plus d’atteindre les résultats escomptés par les différents acteurs. La pratique en matière de management est, quant à elle, une condition nécessaire que tout manager doit remplir. Pour s’en convaincre utilisons la métaphore de la nata-tion : il n’est pas possible de nager en mer ou dans une piscine si on a appris à nager en classe ou en regardant des cassettes vidéo. À l’instar de la natation, le manage-ment est avant tout une pratique qui s’apprend sur le tas. C’est ce qui explique no-tamment l’introduction des stages dans les cursus de formation et l’encouragement à l’immersion, la plus longue possible, dans le monde de l’entreprise. Outre ces deux vo-lets, connaissances techniques et pratiques sur le terrain, le management présente aussi une dimension "artistique". Cette dernière est peut être celle qui fait la diffé-rence entre un manager performant et un autre. Entre celui qui a de l’intuition, de l’audace et de l’imagination et celui qui n’en a pas ou peu. C’est autour de ces trois dimensions du management (technique, pratique et "artisti-que") que s’articulent les meilleurs programmes de management dans les grandes écoles de gestion. La dimension technique étant la plus simple à transmettre, ce sont les deux autres dimensions qui font la différence entre les bonnes écoles de gestion et les autres. En effet, il ne suffit pas d’envoyer un étudiant en stage pour considérer le volet pratique atteint ; il y a tout un travail de préparation, d’orientation et d’encadrement pédagogique et professionnel à réussir. De même, l’implication de l’entreprise, dans cette phase d’apprentissage, est plus que nécessaire. Quand au volet "art du management", plusieurs facteurs y interviennent et rendent la relation de cause à effet entre les actions entreprises et l’accomplissement du mana-ger à ce niveau excessivement difficile. Néanmoins des expériences tentées, ici et ail-leurs, ont montré que l’organisation d’activités parascolaires par les étudiants, leur participation à la gestion de leur établissement au travers d’associations corporatistes ou d’animations pédagogiques et culturelles, des activités de théâtre ou de musique et, surtout, les activités sportives contribuent au développement personnel et mettent

1 R. M’Rrabet, Les clés de la gestion, Presses du savoir, 2007.

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en face quelques ingrédients à même de favoriser l’émergence du leadership du futur manager. En effet, ces activités donnent à ce dernier confiance dans ses possibilités, en aiguisant son sens de l’initiative, son goût de l’effort et son dynamisme. Les modes managériales, qui sont à la base de cette conception du management et de la manière de l’enseigner, se suivent et se ressemblent. Elles sont véhiculées par les consultants, les enseignants, les chercheurs et les livres ou articles de presse. Mal-gré leur apparente diversité, ces modes managériales s’appuient sur un même para-digme. Ce dernier met en jeu plusieurs éléments : l’existence d’une science du mana-gement ("universelle"), la référence à l’acquisition de connaissances (les solutions), le découpage fonctionnel de responsabilités (générateur d’économies d’échelle), la for-mation élitiste (formation très sélective), la dissociation entre l’idée et la mise en œu-vre, et l’ignorance des concepts de régulation. Les sciences « molles » (communica-tion, comportements, capacité à se remettre en cause, subversion constructive) ne sont pas ou peu présentes. Ces modes managériales se succèdent à un rythme effréné (quasi annuel) : certifica-tion qualité, qualité totale, management des connaissances, relation client, manage-ment des risques, management par processus, ERP, chaîne logistique, coaching, déve-loppement durable. Ces modes s’appuient sur le même paradigme et les enseignants, consultants et entreprises, ne font que reproduire les mêmes choses, sans jamais re-mettre en cause les postulats à l’origine du paradigme. Cela empêche les entreprises d’agir sur les causes premières des dysfonctionnements qui les guettent. Pendant ce temps, des entreprises performantes, à contre-courant des modes, relè-guent au second plan les concepts fondamentaux du management et pratiquent un mode managérial qu’on pourrait qualifier d’informel car rarement rendu public et ja-mais enseigné. Quels sont les principaux traits de cette pratique managériale qui semble caractériser certaines entreprises performantes ? Peut-elle remettre en question les fondamentaux du management? L’enseignement du management doit-il être revu ? I. DU MANAGEMENT INFORMEL : PRINCIPAUX TRAITS. Le vécu des entreprises n’est plus le même ; il a changé, ce qui les a poussées à la pratique d’un management qu’on pourrait qualifier d’informel, multiforme et pragma-tique. Six principaux traits caractérisent ce management sous-terrain. I.1. Le contexte prévaut sur le modèle C’est la compréhension des problèmes, l’identification des difficultés et de leurs contextes, qui font la performance. Ce qui importe le plus c’est la recherche des cau-

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ses premières des dysfonctionnements, alors qu’on attache beaucoup d’importance aux solutions. Dans son livre "Citoyen du monde", Carlos Ghosn, dirigeant de Renault, explicite ses méthodes de management à travers son parcours professionnel1 et dit ceci : "Je pars des faits et vais ensuite vers le concept (de management) et non l’inverse". De même, la finalité prévaut sur la méthode. La règle, la procédure, l’organisation sont de plus en plus choisies en fonction de l’objectif à atteindre et de son contexte. Ceci est nouveau, car le courant dominant dans les organisations est basé, depuis fort longtemps, sur l’uniformisation par les règles, procédures, processus et progiciels de gestion intégrés! La prééminence du contexte sur le concept conduit à faire évoluer le système de ma-nagement de l’entreprise. Pourtant, cette prééminence n’est pas très répandue dans les entreprises, puisque la majorité suivent, souvent, les modes managériales sans re-chercher les causes premières de leurs problèmes. Cela les conduit à répéter leurs er-reurs et à ne pas faire évoluer leur système de management. De même, nous continuons à véhiculer des concepts et des méthodes de manage-ment "décontextualisés". I.2. Le management devient interactif Très souvent, la distance hiérarchique et humaine est très grande entre celui qui est confronté au problème ou celui qui possède l’information et celui qui a le pouvoir de décision. Dans le mode interactif, le système relationnel entre la direction de l’entreprise et la base qui perçoit les problèmes devient interactif car seule la base connaît l’implication des décisions. Le management devient interactif, également, entre l’entreprise et son environne-ment. I.3. L’entreprise est décloisonnée Depuis cinquante ans, les entreprises en grossissant ont procédé à un "sur-découpage fonctionnel" générateur de bureaucratie. Or de nos jours, avec les formes multifonc-tionnelles on arrive à des "organisations objet", c’est-à-dire ayant une finalité centrée sur le produit ou le service au client. Par ailleurs, les responsabilités ne sont plus diluées, elles sont individualisées. Respon-sabilités et pouvoirs vont désormais de pair. La façon d’opérer n’est plus imposée, les

1 Au Brésil et aux USA chez Michelin, chez Renault, puis chez Nissan.

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délégations de pouvoir sont du type « tout est autorisé sauf… », et non l’inverse. I.4. La capacité à mettre en œuvre devient déterminante La prise de décision ne s’opère qu’après projection de la mise en œuvre (évaluation des moyens et des implications, choix des indicateurs de performance, etc.). Ensuite, le débat d’idées n’est plus de mise, la rapidité d’action prévaut. Le pragmatisme re-vient en force. Priorité au bon sens et humilité devant les faits. L’idée contribue à 10 % du succès. C’est la maîtrise de la mise en œuvre qui fait l’essentiel de la performance. L’action et la prise de risque calculée priment sur l’attentisme. I.5. Les facteurs humains sont privilégiés Le style de management basé sur le contrôle et la méfiance est contre-productif. L’autocontrôle remplace le contrôle. L’initiative est encouragée. La hiérarchie soutient plus qu’elle ne contrôle. L’exemplarité des chefs sert de référence. Le discours externe et la communication interne sont cohérents. Le parlé vrai est la règle, les dysfonctionnements et erreurs ne sont pas escamotés. Ils servent de points d’appui pour progresser. I.6. Priorité au marché et au client Beaucoup d’entreprises émettent des règles et procédures, créent des outils de ges-tion pour maîtriser les "déviants" au lieu de responsabiliser la base devant le client ou sur des objectifs "produit". Comme on peut le remarquer, les principaux traits qui caractérisent le management informel, ne font pas partie des concepts de base en management enseignés dans les écoles de gestion. Dès lors, le contenu de l’enseignement de la gestion doit-il être modifié et intégrer ces nouvelles pratiques managériales?

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II. L’ENSEIGNEMENT DE GESTION À REVOIR L’une des caractéristiques principales de l’enseignement de la gestion est qu’il est res-té crispé sur des concepts "universels" déconnectés des réalités. L’autre est qu’il re-flète également des idées dominantes. Alors que les pratiques émergentes de management sont influencées par l’environnement, ont un caractère pragmatique, l’enseignement de la gestion reste fondé sur l’hypothèse d’une science dont les concepts seraient universels. Et la concurrence à laquelle se livrent les business schools en les poussant au mimétisme renforce encore les écarts entre enseignement de la gestion et la vie des entreprises. II.1. Un enseignement centré sur des concepts scientifiques Ce qui est dominant dans les entreprises c’est le déploiement d’apports standardisés de solutions plus ou moins à la mode (ISO, ERP, etc.), alors que les contraintes de l’environnement (demande et pression concurrentielle) exigeraient à la fois une com-préhension heuristique de situations concrètes souvent au cas par cas, et la proposi-tion de solutions adéquates. Une question se pose alors, comment se fait-il que, malgré les analyses des scientifi-ques, des professionnels et les constats récurrents depuis de longues années, aussi peu de choses aient changé ? Au contraire, il semble que les grands dogmes managé-riaux standardisateurs ont la vie dure et que grâce à Internet ils ont pu être réactivés. II.2. Un écart considérable entre l’enseignement et la vraie vie en entre-prise L’enseignement est principalement fondé sur l’apprentissage des "sciences dures". Or, vu le degré de spécialisation et du rythme du progrès, il est évident que ce qui est en-seigné est obligatoirement incomplet et très vite obsolète. Il est donc indispensable "d’apprendre à apprendre" plutôt que d’enseigner des solu-tions qui ne peuvent qu’être inadaptées aux vrais problèmes. De plus, la sélection et le système d’évaluation pendant les études sont basés sur des critères qui n’ont rien à voir avec les critères de sélection et d’évaluation de la "vraie vie" en entreprise. Ce que les entreprises recherchent ce sont des compétences spécifiques de nature à répondre à leurs nouveaux besoins. Des profils qui savent utiliser les "sciences mol-les", manager les paradoxes, manager l’invisible et éviter les pièges des tendances na-turelles. Les "sciences molles" sont justement celles qui ne sont pas enseignées ou très peu. Il s’agit de la communication, bien sûr, mais aussi, du développement de réseaux et d’alliances, de la pro-activité (dynamisme, initiative, etc.), de la prise de risque, de la

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capacité à se remettre en cause, de prendre de la distance par rapport à la dictature de la pensée unique (le droit à l’erreur, le devoir de désobéissance, etc.). De fait, l’abus de discipline nuit gravement à l’intelligence ! De même, prendre cons-cience que tout est dans le comportement est essentiel : d’une part, les gens ont le comportement de leur management : cloisonneurs ou globaux, preneurs de risques ou timorés, etc. D’autre part, le culturel influe sur le comportement. Manager les paradoxes, c’est ne pas manager seulement les situations binaires ou sectorielles (théoriques). C’est aussi, savoir manager des vases communicants entre métiers, entre secteurs, dans le temps, entre projets, etc. Manager l’invisible, c’est s’occuper du non mesurable. Ce qui est important dans les chiffres, c’est ce qui n’est pas dedans : la satisfaction client, le management des pro-jets, le reste à faire, l’innovation, les risques, la sécurité, la motivation du personnel, le savoir-faire. Le manager que les entreprises recherchent doit, également, éviter les pièges des tendances naturelles et surtout les six pêchés capitaux des entreprises : l’inertie, le cloisonnement, le panurgisme, le management par le visible, l’attentisme, la confusion entre décision et application. II.3. Des business schools en compétition mondiale Le champ de la formation à la gestion est placé dans un système concurrentiel inédit, régulé il y a encore peu par la proximité (le pays), il est devenu mondial. Le système concurrentiel mondial a nécessité des signaux de repérage normés don-nant lieu à des classements et à des labels (EQUIS, AACSB, AMBA). La matrice com-mune à ces signaux : la valeur scientifique. Son évaluation repose prioritairement sur des critères académiques objectifs et facilement disponibles : nombre de profs-docteurs (PHD), nombre d’articles dans des revues à comité de lecture elles-mêmes classées selon la difficulté d’y publier (formulation mathématique, langage universel), nombre de chaires, etc. La valorisation d’une carrière d’un enseignant est surtout fonction de ses capacités à publier des recherches à haut niveau de formalisation, notamment mathématique (et moins de ses qualités de pédagogue ou de sa connaissance du monde professionnel, éléments difficilement mesurables et subjectifs). Les indicateurs objectifs et académi-ques permettent d’établir des classements publiés par des revues professionnelles ou grand public (Financial Times, etc.). Cette compétition mondiale conduit les écoles de management à se mesurer entre el-les, ce qui par effet de mimétisme, tend à les éloigner de leurs "clients" : les entrepri-ses. Résultat pour le moins paradoxal ! Cela provoque, chez beaucoup d’étudiants, une déception entre ce qu’ils ont appris et ce qui est attendu par l’employeur.

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CONCLUSION En conclusion, il semble que pour toutes les raisons évoquées précédemment, la for-mation des dirigeants et managers, aujourd’hui, ne prend pas en compte l’évolution de la pratique du management. Que faire ? Remplacer le contenu de ce qui est enseigné par un autre contenu et remplacer la pédagogie par une autre pédagogie. Mais, c’est classique ; même début d’idées qui va aboutir… au statu quo ! Il paraît illusoire de concevoir un nouveau modèle d’enseignement, car celui-ci est ap-pelé à devenir lui-même contingent et multiforme. En revanche, il est possible de mettre en place un système de régulation entre l’établissement d’enseignement et l’entreprise (son client). Celui-ci pourrait conduire à une véritable relation client-fournisseur, des enquêtes auprès des anciens élèves, des échanges à propos des problèmes de l’entreprise, des contacts réguliers entre le diri-geant de l’entreprise et le dirigeant de l’école. Cela suppose une flexibilité de l’enseignement (formats, enseignants, pédagogie, etc.), afin qu’il puisse y avoir ajustement mutuel entre la formation et l’entreprise. La régulation pourrait se faire avec les entreprises qui incarnent le plus le nouveau ma-nagement. Avec le système de régulation devraient être écartés les effets de mimé-tisme entre écoles de management : focalisation sur l’image de l’école, surproduction de managers stéréotypes, dégradation du rapport qualité/coût, inadéquation entre l’offre et la demande, poids disproportionné de la formation préalable vis-à-vis de la formation continue, concurrence croissante des nouveaux modes d’apprentissage et excès de centrage sur la formation de "managers gestionnaires" (au lieu de manager-leader). La formation de nouveaux profils devrait être intégrée : celle du manager intégrateur (chef de projet, architecte, patron de business unit ou dirigeant de PME) ; celle de l’expert-explorateur-formateur ; ou encore celle de l’acteur spécialisé. Le système de régulation pourrait faire émerger de nouveaux modes d’apprentissage tels que : � L’apprentissage par les pairs (effet de miroir) ;

� L’apprentissage par l’écart : on projette, on mesure l’écart entre le projeté et le réalisé, on capitalise. Le poids des simulateurs pédagogiques (simulateurs d’erreurs et créateurs des réflexes) peut devenir prédominant. Les erreurs et dys-fonctionnements ne seront plus occultés. Le sommet de la connaissance n’est pas la solution, mais savoir ce qui ne marche pas est primordial.

� L’apprentissage par immersion, en formation-action : les "coach-professeurs" ac-compagnent l’équipe sous les angles : comportements, management, produit (fi-nalité du projet). Cet apprentissage par immersion en formation-action, de par le stress et les enjeux du projet, va bien au-delà de l’apprentissage par stage en en-

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treprise ou par mission confiée à un groupe d’étudiants. Si ces nouveaux modes d’apprentissage sont performants, il faut que les écoles de management puissent les adopter. Il ne s’agit pas de faire "plus de la même chose". Les établissements d’enseignement qui seront les premiers à faire fonctionner le sys-tème de régulation seront les gagnants.

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FAUT-IL FORMER LES MANAGERS ?

Éric GODELIER Professeur des universités, président de département à l'école Polytechnique

[Transcription de la communication de M. Éric Godelier réalisée par P. Célier] En guise de préambule, il faut bien préciser ce que les mots veulent dire. De ce point de vue, le terme "management" est souvent un peu délicat à délimiter. Pour illustrer cela, je prendrai un exemple personnel. Lorsque j'ai été recruté à l'école Polytechni-que on m'a dit "Tu es professeur de management, tu vas dans une école dont sont is-sus 30 % des dirigeants des plus grands groupes français. Il faut leur apprendre à manager des entreprises et à gérer". Le management, pris ici au sens de la conduite de grandes organisations, apparaît dans ce discours comme légitime et susceptible d’être enseigné. Pour autant, certains de mes interlocuteurs ingénieurs considéraient que la gestion et le management pou-vaient être appris dans la pratique dès lors que les élèves possèdent des têtes bien faites. Bref, pour certains managers ou observateurs de la vie des entreprises, quel-ques grilles d’analyses voire des "trucs" et un peu d’expérience devaient suffire pour former des managers. On voit bien ici que la question "faut-il former les managers" apparaît comme in-congrue, voire inutile. Un peu par provocation, j'ai pris l'habitude de me présenter comme "professeur de vraie vie" à l'école polytechnique car certains polytechniciens ont la réputation d'être de bons scientifiques, formés de la meilleure façon que ce soit dans les sciences dures mais parfois moins à l’aise avec les contingences du réel, la prise en compte d’autres points de vue ou l’écoute des autres. Une autre remarque revient souvent lorsqu’on enseigne le management : "Mais de quel droit pouvez-vous enseigner le management ou la connaissance de l'entreprise car vous n’y avez jamais travaillé, ni même vécu !". En parallèle, certains expliquent aux étudiants de gestion ou de management qu’ils perdent leur temps sur les bancs des écoles ou des universités puisque que le management doit s’apprendre sur le tas et par la pratique. Nous reviendrons sur ce point mais le fait est que, là encore, il paraît illégitime d’enseigner et de former les managers si on ne l’a pas été soi même. Bien évidemment, cette posture intellectuelle et pratique doit être contestée, et c’est un des enjeux de cette intervention. Une première réponse consiste à utiliser la méta-phore du docteur, que cite souvent un collègue de l’école des Mines de Paris, Claude Riveline : "Est-ce qu'il faut avoir le cancer pour être cancérologue ? Faut-il avoir été malade pour être un bon docteur ? Par-delà cette réponse, se boutade pose la ques-tion bien plus grave de la relation entre la théorie ou l’enseignement et la pratique.

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En accord avec Jean-Claude Billiet, cette communication – on pourrait dire cette di-gression – se veut volontairement provocatrice. Elle vise à répondre à une question simple. Un des orateurs du monde des entreprises se demandait un peu plus tôt dans ce col-loque : "Au fond, on ne forme pas bien dans les écoles". Compte tenu des commen-taires et des postures de certains managers, résumés à l’instant, voire de certaines écoles ou enseignants de management et si on pousse la logique un peu plus loin on peut s'interroger: "Après tout est-ce qu'il faut former les managers ?". D’abord un bref retour sur le passé va permettre de voir d’une part que cette question est fréquemment posée, y compris au sein des écoles de commerce et, d’autre part, qu’elle est très ancienne. Un point de méthode mérite d’être souligné ici : je suis his-torien de formation et beaucoup des choses dont on débat aujourd'hui semblent très modernes, alors que dès la fin du XIX° siècle on disait à peu près la même chose avec des mots différents. Dans un second temps, je proposerai évidemment quelques pistes pour répondre à la question parce que, je vous rassure dès maintenant, il faut évidemment former les managers ! I. FAUT-IL FORMER DES MANAGERS ? Pour commencer, la question est-elle aussi saugrenue que cela ? Pour aller plus loin, il est possible de donner 3 exemples : la métaphore de la banane, l'exemple du garage et troisièmement, la vision de certains chefs d'entreprise ou pra-ticiens qui disent "Au fond il n'y a de bons managers que des gens autodidactes, qui ont commencé en bas de l'échelle, qui n'ont pas de formation ou qui sont issus d'une vieille famille de commerçants, par exemple dans la tradition arabe". Concernant le second point, il faut en effet remarquer que la plupart des chefs d'en-treprise les plus connus dans le monde ou les plus riches ont commencé dans un ga-rage. Si on pousse plus loin, on peut se demander s’il ne faut pas arrêter la formation au management et apprendre aux élèves à acheter des garages. Enfin, sur le troisième point, la remarque n’est pas si ridicule puisque la tradition du commerce arabe ou méditerranéen a permis d’enrichir beaucoup d'émirats et de sul-tanats depuis le XIV-XV° siècle… Donc, après tout, pourquoi ne pas arrêter ici aussi la formation et se limiter à des transferts d’expérience et de traditions culturelles ? Premier exemple, la métaphore de la banane et du bananier. C'est une métaphore dont l'origine est prêtée au fondateur d'une école de commerce très célèbre en France qui s'appelle l'INSEAD qui était le général Doriot, un Français qui avait fait une longue partie de sa carrière aux États-unis. Il disait "Au fond une école de commerce ou une formation à la gestion ce sont deux choses : d'abord une bonne sélection, ce qui nécessite la mise en place de ce qu'il ap-pelait un bureau de sélection (un concours ou autre) et à la fin de la scolarité il faut un bureau de placement pour aider les élèves à trouver un emploi. Entre-temps ils

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mûrissent parce qu'ils ont 20-21-22 ans. Néanmoins, pour les aider à mûrir comme dans un banane dans un navire de transport, il faut les exposer à un certain nombre de choses : un peu de vie dans l'entreprise, un peu d'expérience, quelques éléments de pratique, des stages et puis comme le management c'est quand même quelque chose qui relève d'une forme de mise en pratique et de réseau, ce qui est très impor-tant c'est la vie associative et sociale. Cela peut paraître un peu désuet ou ridicule, pourtant force est de constater que beaucoup de DRH en France, et peut être au Ma-roc, ont tendance dans les CV des étudiants à regarder le "bas", notamment les activi-tés extra-scolaires. Sont valorisées les activités de gestionnaire de bar, d’organisateur de soirées, etc. Et certaines écoles vont jusqu’à se demander comment valoriser ces éléments extra-pédagogiques dans le cursus. Des pistes ont été échafaudées pour donner des points ou des crédits aux étudiants qui montent des soirées, qui organisent l'achat d'alcools, etc. Deuxième exemple, les fameux garages. Voici la photo du garage de Louis Renault en 1898 où il a commencé à travailler sa première voiture (il faut savoir qu'il était fils d'une famille de commerçants, donc de la bourgeoisie).

Plus près de l’époque actuelle, un autre garage très célèbre, celui de Hewlett et Pac-kard :

(voir photo page suivante)

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Il s'agit à chaque fois de garages en bois... Donc si le futur manager veut réussir il semble qu’il soit préférable d’acheter plutôt des garages en bois ! Il ne s’agit pas d’une anecdote puisque le garage d'Hewlett Packard vient d'être classé comme monument historique par l’État de Californie. Il est visité en tant que début et symbole de la silicon Valley. Pourquoi une telle insistance du management et des théoriciens ou praticiens du ma-nagement pour ces garages ? Autrement dit, pourquoi le garage semble un tel mythe dans le management et, indirectement, quel message cela indique-t-il sur la formation des managers et les compétences en management ? Quels points communs y a-t-il entre Louis Renault, Hewlett Packard, Steve Jobs, Bill Gates, et d’autres encore ? En général on explique que ces futurs leaders industriels sont des gens souvent pau-vres ou issus de classes populaires, solitaires, mais dotés d'une force de caractère qui leur a permis de dépasser de nombreuses contraintes. Ils sont présentés comme au-todidactes, mauvais étudiants ou comme des étudiants exclus du système universi-taire parce qu'ils n'avaient pas de bons résultats, ou qu’ils avaient échoué à leur di-plôme, ou encore parce qu’ils avaient un comportement inadapté. Ce dernier point est lourd de sous-entendus : ce n'est pas l'étudiant qui pose problème puisqu’une fois dans la vie professionnelle il a particulièrement bien réussi. C’est bien l'institution uni-versitaire ou la formation au management qui n'ont pas les bons critères ou les mé-thodes adaptées pour des personnalités qui, par ailleurs, vont être reconnus par le système capitaliste comme des leaders. Il est possible de trouver nombre d’autres exemples. Un dernier qui est assez révélateur. L’École Polytechnique a reçu le prési-dent de Microsoft, Steve Balmer il y a quelques temps. Il a commencé par dire aux élèves et à l’assistance en substance : "Je ne devrais pas dire ça à vos élèves mais je suis un étudiant qui a raté ses études"… Étonnement dans la salle ! Il ajoute : "Quand je suis sorti de mon "bachelor", ma licence de Harvard (cela fait curieux pour quelqu'un qui a raté ses études et qui était isolé, sachant qu’il ajoute que ses études ont été payées par son père, qui était cadre supérieur chez Ford)"j'ai

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commencé un MBA à Stanford, mais je n'ai pas terminé mon MBA, car Bill (Bill Gates) m'a appelé pour fonder Microsoft". Et il termine : "il me restait 2 crédits pour avoir mon MBA, j'ai hésité, mais Bill m'a dit : "Nous allons changer le monde, viens avec moi, tu ne vas pas passer un MBA, ça c'est plus sexy que de faire un MBA" et donc je n'ai pas passé mon MBA de Stanford et j'ai raté mes études". Certes, Steve Balmer n’a pas été diplômé du MBA de Stanford. Toutefois, avec 80 % d'un diplôme, il n’est pas l’autodidacte qu’il prétend être et que présentent les commentateurs du management. Il serait facile, une fois encore, de trouver d’autres exemples allant dans le même sens. Pourquoi donc cette volonté de dévaloriser son début de carrière et de vie ? Indirec-tement il s’agit évidemment de valoriser le parcours et les choix du managers, ses ré-ussites et sa vision incarnées dans l’entreprise au jour d’aujourd’hui. D’autres élé-ments interviennent ici mais qui s’éloignent de la question de la formation des mana-gers. Faut-il former les managers suppose aussi une réponse qui tienne compte du contexte actuel de la mondialisation du management et des systèmes de formation. II; L'IMPACT DE LA MONDIALISATION SUR LE MANAGEMENT Actuellement les entreprises, les étudiants des écoles de commerce ou des universités comme les managers en activité évoluent dans un contexte particulier : celui de la mondialisation qui touche aussi bien le Maroc la France mais aussi les États-unis… Qu'est ce que cela pose comme problème, notamment pour la formation des mana-gers ? D’abord, il faut constater que les modèles économiques, les modèles capitalistes na-tionaux, sont de moins en moins nationaux et de plus en plus mondialisés. Il faut remarquer au passage qu’il serait sans doute utile de préciser ce que recouvre le terme ou le concept "mondialisé". Du point de vue du management et de la forma-tion au business, qu'est-ce que cela veut dire ? Faut-il entendre par "mondialisé", "américanisé" ? Faut-il entendre l’adoption par tous les pays du Monde de méthodes de management occidentalisées ? En matière managériale, comme ailleurs, est-ce que l'occidentalisation signifie forcément la modernité ? Ces questions importantes sont peu traitées. Or il serait nécessaire d’y prêter un peu plus attention pour réfléchir à l’utilité d’une formation au management, en particulier qui tiennent compte des spécificités économiques et culturelles locales. Mais ces ques-tions touchent aussi un autre aspect : le recrutement et la formation des élites mana-gériales tant à l’échelle d’un pays que du Monde. À ce propos, l’exemple du système d’accréditation des écoles de management, l’AACSB, est intéressant. Il s’agit, à l’origine, d’un mécanisme d'accréditation national venant des États-unis. Or petit à petit, les méthodes, les critères et les objets de ce système ont été utilisés par d’autres pays comme la France. Un exemple de ce que

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cela peut entraîner comme dérive est intéressant. En France, une des nombreuses pe-tites écoles françaises de commerce qui demandait son accréditation se l'est vue refu-ser par des collègues, au prétexte qu'elle n'était pas assez internationalisée. Or cette école avait développé une politique systématique de formation en terme de contenu et d'organisation pour aider les managers qui se destinaient à vendre ou à produire dans les pays hispanophones et lusitanophones. Simplement, aux yeux de ces "ex-perts", l'internationalisation ne pouvait signifier qu’une chose : l’orientation vers le monde anglo-saxon et l’adoption des références du système AACSB (the Association to Advance Collegiate Schools of Business). Cette démarche est d’autant plus étrange que certains experts et dirigeants d’école de commerce en France font parfois dire un peu ce qu’ils veulent aux experts de l’AACSB dont les opinions sont plus variées. Par ailleurs, le modèle américain est beaucoup plus complexe et hétérogène en matières de formation au management que l’image qui en est véhiculée de ce côté-ci de l’Atlantique. La globalisation des systèmes de formation qui semble se dessiner renvoie évidem-ment à celle des systèmes économiques et financiers. Lorsqu’on évoque l’interpénétration des systèmes financiers et productifs, ce n'est pas seulement pour parler de l'actionnaire national mais de plus en plus l'actionnaire américain, japonais, etc. De ce point de vue, on peut effectivement constater une convergence des objec-tifs et des méthodes de management dans le monde. Celle-ci est évidemment symbo-lisée par ce qu’on appelle communément la financiarisation des stratégies et des ob-jectifs managériaux. Ainsi, il existe une tendance à beaucoup critiquer les fonds de pension et à accuser l’égoïsme du retraité californien, que tout le monde imagine avec beaucoup de surcharge pondérale, une chemise à fleurs et qui demande un taux de rendement de 15 % ou 13 % en valeur nette des capitaux investis. S’il a évidemment son mot à dire sur la stratégie de son gestionnaire de fonds, cette critique n’est toute-fois pas totalement justifiée. Il y a donc sans doute plus de marges pour former au management qu’on veut bien le dire. Il faut donc s’arrêter sur un point évoqué plus haut dans cette mondialisation du ma-nagement. Lorsqu’on se demande : "Faut-il former des managers ?", se profile un problème essentiel qui celui de la formation des élites économiques et sociales d'un pays. L’exemple des femmes managers qui sont à la tête des grandes entreprises est révélateur. Il y a effectivement, en France, des femmes dirigeantes. Toutefois, en mettant en re-gard le poids démographique des femmes qui représentent en France 55 % de la po-pulation totale et le nombre d'entre elles parmi les grands patrons, le pourcentage ob-tenu est ridiculement faible. Une sélection s’est clairement opérée qui renvoie au sys-tème de reproduction des élites en général. En définitive, il est impossible de se de-mander s’il faut former des managers sans regarder la façon dont un pays se dote de moyens pour sélectionner des élites qui vont ensuite permettre le développement d'investissements et d'innovations économique, social ou politique. En portant l’attention sur les pays du Sud, il apparaît vite que la sélection et la forma-tion de leurs élites économiques ne peuvent être détachées de ce que les dirigeants

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politiques et sociaux veulent comme croissance et comme développement économi-que. Cela consiste par exemple à se demander si elle doit être "exocentrée" ou éven-tuellement autocentrée. C’est un débat ancien. Par exemple, aujourd’hui on parle beaucoup de développement durable, or, certains débats vifs qui l’accompagnent rap-pellent étrangement ceux autour de la "révolution verte" ou d’autres choses qui sem-blent démodées, mais qui mériteraient parfois une relecture plus attentive, pour clari-fier les rapports d’un pays avec son environnement économique. … Mais au fait, le management est-il un métier qui peut s’apprendre ? III. LE MANAGEMENT : UN MÉTIER ? Il faut prendre garde à l’origine et à l’usage de ce mot anglais. Ce mot, d’origine fran-çaise rappelons-le, renvoie à beaucoup de réalités extrêmement différentes qui, par exemple, en français seraient traduites par sans doute au moins quatre termes. Premièrement, un manager est-il un patrons ou, plus exactement, un dirigeants ou, au contraire, un subordonné des propriétaires et des actionnaires ? Un article très cé-lèbre écrit dans les années 1930 de Bearle et Means concluait qu’il s’agissait de deux groupes différents. Il expliquait que les patrons de l'entreprise (entendons les mana-gers) et les propriétaires n'avaient pas les mêmes objectifs. Le manager est ici un ex-pert de l’organisation et du bon fonctionnement de l’entreprise. D’un autre côté, au-jourd’hui la théorie de l'agence par exemple explique que ce sont les actionnaires qui contrôlent ou doivent contrôler les managers. Donc le manager serait maintenant un représentant des propriétaires. Est-ce là un métier ou une fonction ? Deuxièmement, un manager signifie en français un cadre autonome comme cela est présenté dans de nombreuses conventions collectives professionnelles. "Cadre" au sens français, représente une personne qui va être valorisé par son leadership. Par le fait aussi que dans son statut social (il ne s’agit pas ici de grosse voiture, de la mise à disposition d’une secrétaire ou d’un téléphone portable) il va devoir prendre des déci-sions de façon autonome. Par le fait, enfin, que son rôle consiste à exprimer les ques-tions du management, à mettre les problèmes en mots. J. Girin, un collègue de l’école polytechnique trop vite disparu, disait que c'est peut-être cela l'essence même du mé-tier de manager, c'est celui qui a la responsabilité de traduire en mots les problèmes, qui exprime les problèmes. Du coup ce n'est pas toujours agréable pour tout le monde que quelqu'un vous dise, un peu comme Cassandre : "si l’entreprise continue dans cette direction, nous allons avoir un problème". Troisièmement, un manager est-il un expert de l'administration et de l'organisation ? Souvent les élèves demandent à leur enseignant de management : "Est-ce que vous êtes capables de gérer une entreprise ?". À titre personnel, je réponds "Non, je ne suis pas capable d'être, par exemple, Carlos Ghosn. Je ne suis pas capable d'être im-médiatement un manager. Par contre, je pense qu'avec ce que j'ai appris ou ce qu'on apprend dans les écoles, les concepts, j'éviterai peut-être certaines bêtises, j'appren-drai peut-être plus vite un certain nombre de choses". À l’évidence, le PDG d'un très grand groupe industriel qui a plusieurs centaines de milliers de personnes à gérer pos-

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sède une indéniable expertise et un savoir faire qui s'apprennent. Pour finir, faut-il retenir l’idée exprimée en anglais que le manager est aussi un enca-drant, sachant que cela peut être à différents niveaux depuis le chef d'équipe jusqu'à l’agent de maîtrise en passant par le contremaître. Ceci ne facilite pas la traduction en français. D'ailleurs, même en anglais, il existe plusieurs termes pour parler du mana-ger : "top manager", "middle manager" et "floor manager" c'est-à-dire le contremaî-tre. Un manager d'équipe va être, par exemple, dans une banque en back office avec 2 ou 3 vendeurs ou commerciaux sous sa responsabilité. Il est donc possible de se demander s’il faut former de la même façon en termes de méthodes ou de contenus les personnes qui se destinent à ces différentes approches du métier de manager. Car le métier de manager est bien un métier. D’abord, c'est un métier parce que c'est un ensemble de savoirs et de comportements qui s'apprennent et non pas qui s'héritent. On retrouve ici un débat permanent et ré-current en management sur le poids respectif dans le métier de manager des compé-tences qu'on apprend et des qualités personnelles. Elle s’exprime par des constata-tions souvent triviales du genre : « Vous savez, tout petit quand il était dans la cour d'école c'était lui qui organisait la partie de football… C'est un manager ! Et elle qui organisait les concours de beauté quand elle avait 14 ans… C'est donc une mana-ger! ». Cela voudrait dire que vous naîtriez manager… Eh bien non, pour paraphraser Simone de Beauvoir : on ne naît pas manager, mais on le devient ! Cette idée a été contestée depuis longtemps. Un des premiers, un des grands innova-teurs qui a critiqué cela s’appelait Henri Fayol. Il faut rappeler qu’il a vécu entre 1841 et 1925. Le premier, il a théorisé ce concept de "manager" en disant que c'est un mé-tier qui s'apprend. Il a (lisez les textes fondamentaux, H. Fayol c'est encore génial !) établi une liste des compétences qu'un manager doit avoir : compétences techniques, administratives, de personnel, de leadership. Toutefois, lui-même est déjà ambigu car s’il dit que cela s'apprend, dans son livre il souligne aussi l’importance des qualités personnelles du futur manager. Mais son analyse a fait faire des progrès considérables dans la compréhension et la formation des managers. Ensuite, le management est un métier qui s’apprend car :

- c'est un domaine de compétence et, j'insiste sur le mot, d'expertise profession-nelle. L’exemple de l’organisation d'un déménagement entre copains est très révéla-teur. C'est un des plus beaux exemples d'apprentissage de l'expérience de mana-gement. Dans le groupe, il y a toujours quelqu'un qui vous dit "Il faut faire ça", tou-jours une autre personne qui dit "mais personne ne t'a dit d'être chef, pourquoi tu veux tout organiser" et le troisième qui vous dit "Bon vous vous calmez parce que dans une demi-heure on rend le camion". Parfois, une personne s’impose lorsqu’elle démontre son expérience et sa capacité d’organisation. Cette dernière provenant souvent d’une ancienne expérience de déménagement.

- c'est un métier où il y a des savoirs et des relations. Le management est un métier de relations. Certains vont jusqu’à dire que c'est que cela qui le définit. C’est d’ailleurs une dimension que les managers n’apprécient pas toujours. Dans un tra-vail de recherche déjà ancien, j’avais rencontré un cadre dirigeant d’une usine sidé-

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rurgique qui m’expliquait à propos de son métier d’ingénieur et de cadre : "Ce serait très bien les entreprises s'il n'y avait pas les hommes, qu'est ce que c'est compliqué les hommes : ça râle tout le temps, ça ne fait pas ce qu'on dit". Dans la bouche de certains managers ou certains formateurs au management, le terme "humain" prend une connotation irrationnelle ou péjorative. Ceci est étonnant car l'entreprise c'est tout de même, avant tout, un ensemble d'hommes et de femmes ! La question devient ici comment forme-t-on des managers qui soient susceptibles de comprendre les questions de psychologie individuelle et de sociologie des grou-pes, bref qui soient plus ouverts sur leur entourage "humain" et social ? - et puis, un dernier point absolument fondamental, le management est un phéno-mène culturel qui se déroule dans des contextes très variés. Il est évident qu’on ne gère pas au Maroc, comme on gère en Algérie, au Gabon, en Chine ou au Japon. Malgré tout, il ne faut pas tomber dans le relativisme absolu car il y a des éléments communs. Néanmoins, lorsque vous mettez un Français, un Marocain et un Alle-mand ensemble, de temps en temps ils disent "On ne comprend pas, eux ils arrivent à l'heure, ils nous disent d'arriver à telle heure mais ça n'est pas la même chose. Nous on leur a demandé de faire ça, c'est comme ça qu'on fait chez nous, ils ne font pas pareil"… Donc le management est un phénomène où il y a de la culture !.

Reste encore à savoir s'il est possible de former les futurs managers à ces enjeux et, dans l’affirmative, comment cela doit se faire ? IV. QUELLE FORMATION POUR LES MANAGERS ? Compte tenu de la longueur réduite de cette communication, il ne s’agit pas ici de proposer un programme ou des réponses définitives ou systématiques, mais d’esquisser quelques pistes de réflexion sur un certain nombre de points communs qui reviennent, encore une fois, depuis très longtemps dans le monde de la formation au management. À titre d’exemple, on retrouve des interrogations du même type dès les premières années de la Business school de Harvard vers 1905. Première chose, la validation et la légitimité de la formation des managers repose souvent sur l’évaluation de la relation que les cours et les enseignants entretiennent avec le réel. Pour le dire différemment il s’agit de savoir comment enseigner la réalité que vivent les personnes et les groupes dans cette chose qu'on appelle l'entreprise ou les organisations. Lorsque, en tant qu’enseignant, on fait de la formation aux mana-gers, cela se traduit concrètement par une question simple : comment faire rentrer le réel dans la classe ? Comment faire entrer l'empirique dans la classe ou devant des élèves ? Les réponses à cette question ont été et restent encore variées. En voici quelques-unes qui sont plus ou moins organisées ou formalisées systématiquement.

- Une des formes la plus fréquente, c'est l'intervention des praticiens et/ou la mise en contact des étudiants avec des acteurs de terrain (via des stages par exemple). Bref on invite des praticiens.

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L’idée est séduisante sur le principe par sa simplicité et sa rapidité. Qui peut a priori parler le mieux du management que les praticiens, eux-mêmes impliqués dans l’action ? C'est une solution intéressante mais qui peu parfois se révéler ambiguë, en particulier lorsque n’est pas clarifié le statut que l’on donne à la forme et au fond du discours que tiennent les "témoins-praticiens". Il faut effectivement respecter l’expérience, les compétences voire l’expertise qu’ils ont pu acquérir dans leur activité quotidienne. Le problème est de savoir à quel titre ils interviennent : en tant que témoin, en tant qu’expert de la pratique quotidienne, en tant qu’enseignant de concepts. Souvent il y a une sorte de confusion où la pra-tique et les concepts sont simplement validés par la présence et l’expérience du pra-ticien et jamais discutés. Sans oublier parfois, que certains praticiens expliquent clai-rement que la théorie ou les concepts ne servent à rien en management ou pour être efficace. En revanche, si leur témoignage est mis en perspective et généralisé grâce à des cadres théoriques ou des concepts, la démarche devient intéressante. De même s’ils contribuent à expliquer les difficultés du passage entre la théorie et la pratique ou les limites des concepts dans certaines situations, là encore cela devient un levier pédagogique pertinent. On pourrait donner d’autres exemples où les praticiens per-mettent d’expliquer des choses très importantes. Par exemple, lorsqu’on apprend la comptabilité, il faut certes maîtriser le compte en T et les règles comptables. Pour-tant les apprentis comptables réalisent rapidement lorsqu’ils sont lancés dans la pra-tique que les enregistrements qu’ils ont appris sont parfois très éloignés des modali-tés d’écriture au quotidien. Un praticien peut alors leur faire gagner du temps dans cet apprentissage. Néanmoins, il n'en reste pas moins que les étudiants doivent avoir en tête les principes et concepts fondamentaux de comptabilité.

- Un second point qui doit être pris en compte dans la formation des managers, c'est le choix d'une méthode d’apprentissage qui se ramène à une alterna-tive fondamentale : faut-il recourir à une démarche inductive ou déductive ? Le système français de formation générale et sans doute aussi le système marocain, restent principalement fondés sur un apprentissage déductif : hypothèses ⇒ valida-tions empiriques ⇒ écarts ⇒ nouvelle hypothèse ⇒ validations empiriques, etc. Du coup on commence par enseigner les théories, les concepts ou les éléments géné-raux et la réalité apparaît ensuite comme élément de validation ou de discussion. La démarche reste sans doute bien adaptée en sciences ou pour des matières dites générales (littérature, philosophie, etc.) mais elle se révèle plus délicate lorsqu’il s’agit d’aborder la connaissance de l'entreprise. Il ne s’agit pas de revenir à une formation purement pratique où l’étudiant se débrouille avec une accumulation de faits mais bien de savoir quand les concepts et la théorie interviennent dans le pro-cessus. Il faut donc innover pédagogiquement en imaginant un rapport au réel plus inductif. L’intérêt est d’amener l’étudiant à se poser des questions, voire à le mettre dans une impasse intellectuelle face à la complexité qu’il rencontre pour ensuite lui montrer l’importance des concepts et des théories dans l’interprétation du réel. Un des problèmes quotidiens des managers est de disposer de grilles d’analyse et de synthèse pour comprendre et agir sur le réel. Il s’agit de synthétiser des situa-tions complexes. Pour autant, il faut prendre garde à ne pas confondre synthèse et

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simplification car, en allant trop loin ou trop vite dans la simplification, apparaît un risque de décalage vis-à-vis du réel observé.

- Troisième point important dans la formation du manager : quel support pédagogi-que utiliser ? Un support de référence dans l’enseignement en management c’est l’étude de cas. Il existe un fantasme chez beaucoup de professeur de gestion qui est l'étude de cas "à la Harvard". Par ailleurs, de manière plus générale, la méthode des cas est pré-sentée comme l’outil pédagogique idéal qui offre la possibilité de combiner connais-sance du réel, maîtrise des concepts et apprentissage des bons comportements et modes de pensée managériaux. Ce qui est intéressant c’est que relativement peu de personnes ont eu entre les mains un cas de Harvard ou connaissent l’extrême com-plexité du processus et de la logistique pédagogique qui sont mis en œuvre pour la formation. À ce titre, quelques éclaircissements sont nécessaires. Un cas à Harvard est très déstabilisant. Chaque étudiant de MBA reçoit plusieurs cas par semaine qu’il doit préparer seul ou en groupe, le plus souvent du jour au len-demain ou dans la semaine. Le document fait 80 pages de données brutes, quel-ques textes et rien d’autres. Surtout il n'y a pas une question. L'objectif consiste à amener les élèves à poser la question. Il s’agit d’une démarche déroutante pour de nombreux enseignants, français par exemple, qui voit plutôt un cas comme un exer-cice d’application d’un enseignement théorique. Ce que les étudiants proposent en définitive est une synthèse. Pour parvenir à ce résultat, une très grande attention est portée à la composition démographique du groupe. Il doit y avoir des ingé-nieurs, des commerciaux, des financiers, des RH, etc. Leur âge, leur nationalité, le secteur d’activité où ils ont débuté est pris en compte afin qu’ils soient confrontés à d’autres types d’expérience. Les étudiants travaillent énormément. Vient ensuite le déroulement de la séance. Il y a deux enseignants dans la salle de cours. Un qui anime la séance et l’autre qui observe et note les interventions à la fois sur leur pertinence, sur le fond et leur bonne insertion dans le processus collec-tif. Tout débute par une première question sollicitée par le professeur au hasard : le "cold call". Il faut poser la question qui va être évaluée en fonction de son "intelli-gence" et de la capacité d’analyse du cas de la personne interrogée. L’étudiant doit répondre rapidement puis vient une question à un second étudiant : le "warm call", autrement dit la 2° intervention. C’est à ce moment que tout commence. S’il redit la même chose que le premier ou fait une intervention hors sujet, il va être sanctionné et cela compte dans le classement pour le diplôme. Chaque année des étudiants de MBA sont ainsi exclus du programme. Par ailleurs, chaque semaine, un petit concours est organisé entre étudiants pour récompenser la meilleure intervention et se moquer gentiment de la plus mauvaise. Pour finir, le professeur qui anime inter-vient relativement peu, si ce n’est pour relancer la discussion. Il ne fait pas à pro-prement parler un cours. Il peut donner des concepts ici ou là, mais le savoir collec-tif est porté et généré par les étudiants eux-mêmes. Lorsqu’ils doivent apprendre des théories, ils ont l'obligation de lire ce qu’on leur indique. … Voilà c'est ça un cas à Harvard ! La démarche est donc inductive et collective. Il s’agit bien de créer de façon accélérée des comportements et des façons de penser par l’échange et la réflexion. Il s’agit d’amener les étudiants à penser le problème

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managérial et à le résoudre. Cela n’a que peu de rapport avec un enseignement de gestion à la française. Mais cette méthode pédagogique n’est pas exempte de critique, comme l’a souligné H. Mintzberg. Malgré sa sophistication, cette méthode aboutit selon lui à créer des réflexes conditionnés chez les futurs managers au lieu de les amener à réfléchir par eux-mêmes. Il ne critique pas la totalité de la pédagogie des MBA ou des écoles de commerce mais le fait que, dans les MBA, on apprend surtout à penser selon une séquence automatique : "problème ⇒ solution", "problème ⇒ solution", en oubliant un peu que la difficulté consiste à poser le problème, en particulier à trouver de l’information, bref à constituer le cas qui est fourni aux étudiants.

- La quatrième piste de réflexion sur la formation des managers, porte sur les mé-thodes d'observation du terrain. Dans de nombreuses situations de management, il est important d’observer les objets, les acteurs, le contexte où se déroule le proces-sus de gestion. Dans ces conditions, il serait logique que la formation des managers prenne en compte la nécessité de leur donner un minimum de formation aux mé-thodes d'observation du terrain. Or, on ne peut que constater l’absence de forma-tion à l'ethnographie ou à l'observation sociologique dans l’immense majorité des formations au management ou au sein des écoles de commerce. Regarder une si-tuation de travail, c’est quelque chose qui s'apprend. Poser de bonnes questions dans un entretien aussi. Peut-on croire que discuter avec un ouvrier lors d’un entre-tien d’évaluation ne nécessite pas un certain savoir-faire que ce soit pour adapter son habillement, son attitude ou ses propos, ne serait-ce que pour éviter les situa-tions du type où une personne en costume-cravate demande à un ouvrier "Vous n'étes pas bien dans cette entreprise ? Votre chef il est méchant ?" !

Pour finir il faut se demander quelle doit être la relation au concept ou, pour le dire de façon différente, que recouvre le terme "management" ? Il s’agit ici plutôt de se s’intéresser aux managers de grands groupes multinationaux. Au fond, on demande à ces managers de maîtriser 3 éléments sous une forme ou une autre : connaître, décrire et comprendre le monde des affaires et de l'entreprise. Il s’agit bien d’avoir une forme de culture du monde des affaires : comment fonc-tionne ce marché ou les relations économiques de cette région ? Que pensent les clients en général et pas seulement en termes d’acheteur ? Bref comment fonctionne un business. Pour former à cela, il faut évidemment chercher à construire une culture générale non seulement sur le monde économique mais, plus généralement, sur la société en général. Cela peut s'apprendre dans les livres mais cela signifie aussi avoir une appétence ou une ouverture d’esprit vis-à-vis de l’histoire d’un métier, d’une communauté professionnelle par exemple. Nous évoquions tout à l’heure la vieille tradition du commerce dans le monde arabe, il paraît indispensable qu’un manager qui prétend travailler dans cette zone géographi-que et culturelle soit un peu au courant de ces choses. Ce qui suppose de passer du temps sur le terrain afin de rencontrer les gens qui savent, qui connaissent le client parce qu'il y a 3, 4, 5 générations qui ont appris ce que c'était que tel ou tel client. En Chine on pourrait avoir le même raisonnement. Il y a certes des apprentissages scolai-res mais il y a aussi des communautés et des traditions de métier qui sont capables

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de dire "Ça, ça va marcher" et faire en sorte de mobiliser les bonnes personnes et les bons savoirs relationnels ou techniques. Comment arriver à former les managers dans toutes ces directions ? Il faut accepter quelques principes de base dans l’organisation et le contenu des enseignements et des savoirs à connaître, voire à maîtriser.

- D’abord, il faut défendre l'idée que pour faire un bon manager il faut avoir, sous une forme ou une autre, une connaissance pluridisciplinaire. Parce que le monde dans lequel et sur lequel il va travailler est un ensemble complexe et qu'aucune dis-cipline scientifique ou champ intellectuel n'explique à elle seule la totalité des choses qu’il va devoir prendre en compte dans son activité, y compris au passage les scien-ces dures.

- Ensuite, cela veut dire qu'il faut faire des sciences de gestion… Des bonnes scien-ces de gestion et, plus généralement, des bonnes sciences, car il y a aussi beaucoup de mauvaises sciences de gestion ! Cela veut dire évidemment qu’il faut aussi faire des sciences sociales. J'ai rencontré un grand patron qui m'a expliqué que cela ne servait à rien d'apprendre des modèles économiques, qu'il valait mieux lire, Marx et faire de l'histoire économique, parce que, dans son métier, l’histoire et la pensée économique (notamment critique) lui permettaient de comprendre le monde en proposant des faits économiques et des grilles pour les analyser. Cela lui permettait de voir au jour le jour, comment les gens font de l'économie, comment ils négo-cient, quelles sont les relations. Ce type d’approche permet de dépasser l’ethnocentrisme de certaines représentations dont voici un exemple très simple. On parle souvent de développement durable et de micro-crédit. J'ai rencontré des ban-quiers en Occident qui voient l’intérêt commercial du micro-crédit mais n’en perçoi-vent pas toujours la complexité. Ainsi, l'un d'eux m'a expliqué qu'il voulait donner un ordinateur portable à ses commerciaux en Mauritanie afin d'aller dans les villages avec un tableau Excel pour remplir des cases qui permettrait de donner l'autorisa-tion du micro-crédit. On perçoit ici la méconnaissance totale des réalités locales car il est bien connu qu’en Mauritanie il y a de l'électricité partout, il n'y a pas de sable et qu’un ordinateur portable fonctionne très bien dans ces conditions. Par ailleurs, comment établir un profil de risque avec les mêmes critères qu’en France. On ima-gine le commercial en question devant un paysan au fin fond d'un village, qui de-manderait : "Quel est votre actif pour garantir le prêt ?"… Bref, les managers des banques du Nord ne comprennent pas toujours les logiques des gens du Sud car les mécanismes managériaux comme la logique du micro-crédit s'appuient sur des logi-ques sociales, religieuses, des communautés qui vont servir de garantie. Pour par-venir à comprendre cela il faut avoir fait un peu de sociologie et de psychologie.

- Enfin, il faut aussi connaître les concepts, au sens théorique, les résultats qu’il est possible d’en tirer mais également et surtout leurs LIMITES. Il n'y a pas de modèle qui n'ait pas de limite. En sciences dures, on est très mo-deste devant les faits, car les faits valident mais souvent détruisent une théorie. En économie ce serait bien que, de temps en temps, les chercheurs ou les praticiens disent que, par exemple, la théorie de l'agence ou le marché de la concurrence pure

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et parfaite ça n'existe pas, sauf dans des conditions historiques et locales très parti-culières. Or c’est plutôt l’inverse qui se produit et on frise parfois le scientisme. Cela ne veut pas dire que le modèle n'est pas intéressant. Le problème vient de ce qu’on cherche à en faire une théorie générale alors même qu’elle est contredite par les faits. Cela devrait susciter chez les chercheurs plus de précautions scientifiques et non certaines prises de position de nature apparemment idéologique.

Connaissances pluridisciplinaires, culture du monde des affaires, connaissance de l'ac-tualité bien évidemment et des logiques institutionnelles ou socio-politiques locales Et bien évidemment, connaître aussi les méthodologies de sciences sociales. De fait voici une sorte de trame de programme pour former les managers. CONCLUSION Pour terminer, un programme de formation des managers suppose des techniques formelles (comptabilité, finance, gestion de production, etc.) mais aussi des techni-ques que j'appellerai "informelles". Il y a des "trucs", de l'expérience qu'on apprend sur le terrain. Il y a des cultures pro-fessionnelles, des choses qu'on ne dit pas ou qu'on ne doit pas dire dans certains do-maines ou certains métiers. Et un "truc", ça ne s'apprend pas, ça se regarde. Donc il faut physiquement être à côté de la personne qui le connaît, comme un métier d'arti-san. Si vous n'êtes pas en présence de la personne qui le fait, on aura beau dire tout ce qu'on veut, vous n'arriverez pas à comprendre. Je suis sûr que vous avez déjà eu des problèmes en informatique, par exemple que vous n'arriviez pas à mettre en page une feuille de Excel ou autre et que vous avez téléphoné à un ami qui vous a dit "C'est simple tu vas dans le menu "menu" tu cliques et tu fais "changer", tu choisis "option" et tu appliques, c'est super simple". Au bout de 5 mn en général vous rappelez en disant "J'ai fait tout ce que tu m'as dit et ça ne marche pas". Je vous passe les détails mais au bout de plusieurs appels votre ami rentre en furie dans votre bureau et fait la manipulation devant vous. C'est vrai que vous avez l'air un peu penaud parce qu'il l'a fait et que c'est simple… Mais si vous ne l'aviez pas vu faire, vous seriez incapable de le refaire. Alors, pour terminer, quelle formation ? … Au fond on s'aperçoit qu’en fonction du ni-veau du manager, en fonction du secteur, du pays, on retrouve toujours 3 éléments à des degrés divers :

- D'abord c'est une formation à l'entreprise et à l'organisation. Cela veut dire ap-prendre à connaître le contexte. Je dis bien le contexte. Beaucoup de gens pensent que les problèmes que l'on a sont des problèmes psy-chologiques ou individuels dans une entreprise. Ce n'est pas vrai, l'organisation donne des opportunités mais crée beaucoup de contraintes. Ce sont ces contraintes qu’il faut savoir utiliser, voire s'y opposer.

- Connaître l'entreprise comme contexte d'action et comme mise en œuvre de sa-

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voirs. Cela veut dire apprendre une forme de pensée des problèmes par le management. Par exemple penser l'action collective comme un projet. C'est une forme de pensée des problèmes. On pourrait penser les entreprises comme étant des lieux d'innova-tion ou des lieux de compétences. Donc cela veut dire que le management vous donne des grilles pour comprendre et diagnostiquer un certain nombre de chose. Cela donne aussi des grilles sur la façon de verbaliser les choses pour agir sur elle dans une logique managériale.

- Former à la gestion. Cela veut dire, pour terminer, que dans le management il y a toujours peu ou prou des outils et des technologies de gestion à mettre en œuvre. Par exemple, pour citer quelques éléments très simples : construire un indicateur de performance, construire des procédures de suivi ou de contrôle et puis avoir des domaines d'expertise par exemple dans la comptabilité, la finance, le marketing, ou la gestion de production. Croyez moi, probablement ici comme ailleurs, le nombre de PME qui ont coulé parce qu'elles avaient soit un mauvais comptable, soit un vo-leur comme comptable est très important. Il vaut mieux avoir un très bon compta-ble ou être un bon expert de la comptabilité à minima, pour pouvoir gérer une en-treprise.

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COMMENT FORMER DES MANAGERS ? Quelles compétences développer pour quels rôles des managers ? Mohammed Guedira Responsable d'UFR à l'université Mohamed V Souissi Devenir manager : une formation ou des cursus ? Éric Savattero Directeur de la formation de l'ENS Cachan Quels types de managers pour une bonne gouvernance ? Témoignage Bouchaïb Serhani Directeur général de Gesper Services

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QUELLES COMPÉTENCES DÉVELOPPER POUR QUELS RÔLES DE MANAGERS ?

Mohammed GUEDIRA Responsable d'UFR à l'université Mohamed V Souissi Les compétences techniques, tout comme celles relatives aux outils du management vieillissent vite, vu la rapidité des évolutions et le développement au sein des organi-sations de phénomènes nouveaux et de situations complexes. L’acquisition de ces compétences au cours d’une formation de base ne suffit pas à exercer, plusieurs années durant, l’activité concernée avec la même efficacité. La formation continue, au sens d’apprendre toute au long de la vie, se révèle alors in-dispensable. Les compétences périmées sont, en effet, encore plus nocives que celles qui sont absentes car elles entravent sérieusement la créativité et la capacité à l’innovation au sein de l’organisation. I. QUI EST MANAGER ? Aujourd’hui la dynamique croissante de notre société, de même que les fluctuations d’objectifs et des conditions de l’environnement, rendent de plus en plus caduque, au sein de toute organisation, la répartition fixe et à long terme des tâches managériales entre un petit groupe déterminé de personnes. Au contraire, elles incitent bien plus à une redistribution flexible, évolutive des mis-sions dirigeantes, entre les personnes appropriées. D’où l’image d’un management flexible, de par la réunion de managers et de spécialistes, autour de projets bien pré-cis, image qui laisse percer en arrière plan celle d’une hiérarchie très structurée.En ef-fet, la situation hiérarchique n’est pas supprimée par la création du système, mais elle résulte bien plus des rapports de suprématie entre processus qu’entre humains. Les cadres managers ne sont donc pas ceux qui occupent les cases positionnées tout en haut de la pyramide mais, ceux capables d’anticiper les évolutions des situations au fil du temps dans l’exercice des fonctions dirigeantes compliquées à l’intérieur d’équipes formées pour prendre des décisions dans une démarche de créativité, grou-pes à l’effectif interchangeable. Avant, les exigences envers les managers du niveau moyen de la hiérarchie devaient d’abord concerner un savoir et un savoir faire spécialisés, c'est-à-dire la maîtrise des

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tâches liées directement au domaine d’activité de l’institution (un financier comme manager de banque, un médecin comme manager d’hôpital, un avocat comme mana-ger d’un cabinet, etc.). Si ces correspondances se conçoivent clairement à l’échelon des managers subalter-nes, leur application pour les managers de niveau supérieur reste quelque peu diffuse. En réalité il leur est impossible de maîtriser toutes les spécialisations nécessaires ; cela ne leur serait d’ailleurs en rien utile puisqu’il n’est pas de leur ressort de faire ce que leurs subordonnées accomplissent déjà eux-mêmes. Il est certain que les compétences nécessaires à un manager de haut niveau ne peu-vent s’acquérir par une simple addition de spécialisations. Ce manager ne connaît pas tous les détails nécessaires à un champ d’action, mais il en comprend l’ensemble ; il est capable de faire bon usage du savoir spécialisé d’autres personnes pour y repérer, rassembler et interpréter ce qui, dans son contexte, s’intègre à l’organisation qui l’intéresse. Cette compétence ne s’apprendra jamais par accumulation de savoir et sa-voir faire même après une longue expérience dans les organisations. Les compétences d’un "bon manager" nécessitent un autre type d’habiletés que l’on peut nommer "le savoir-faire du manager". Il s’agit, surtout, de compétences qui fe-ront réussir le manager à atteindre ses objectifs au moindre coût. Ces compétences sont indispensables au trois catégories de rôles des managers dis-tinguées par Mintzberg1. L’instrumentation moderne de gestion et la démarche centrée sur le comportement organisationnel nécessaires au manager ne peuvent être introduites et continuelle-ment améliorés dans les organisations si les personnes censées modeler et diriger ces systèmes ne possèdent aucune compétences à ce sujet. Nombre de déboires des en-treprises portent clairement la trace de cet amateurisme. Le savoir technique est certes important mais non suffisant pour être un "bon mana-ger". Si nous retournons à la définition classique du mot diriger (superviser et travail-ler en équipe) cela nécessite d’autres compétences plus élaborées, c'est-à-dire celles liées au comportement humain tel qu’il apparaît dans un processus de travail de groupe. Chaque individu, sans exception, pratique l’étude et l’analyse des comportements. Dès son jeune âge l’Homme observe les actions des autres et tente de les interpréter en fonction de son système de valeurs, de ses opinions et de sa culture. Que nous en ayons conscience ou pas, nous nous attachons depuis notre enfance à "décoder" les paroles, les gestes, la mimique et la proxémique des autres en nous ef-forçant d’en comprendre les raisons. Nous essayons de prévoir ce qu’ils feraient dans des situations différentes. Parfois, lorsqu’on a la possibilité d’infléchir leurs comporte-ments dans un sens où un autre, nous le faisons souvent consciemment. Cette démarche s’appuie, surtout, sur une façon intuitive mais non systématique. Lorsqu’elle est appliquée par les managers, cette démarche nécessite des compéten-

1 Les rôles interpersonnels, informationnels et décisionnels.

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ces et des aptitudes que seule la formation initiale et continue en comportement or-ganisationnel1 peut développer et que l’expérience peut renforcer. L’idée qui sous tend la démarche systématique est que le comportement de tout indi-vidu n’est pas aléatoire et conditionné par des constantes qui peuvent être repérées puis modifiées afin de refléter les particularités individuelles. Ce qui est peut être moins évident c’est que l’environnement agit sur le comportement et que chaque environnement possède ses propres règles2. II. DE NOUVELLES COMPÉTENCES POUR LES GRANDS DÉFIS DE LA MON-DIALISATION De nos jours les managers rencontrent plusieurs défis et opportunités qui justifient l’application d’un nouveau comportement organisationnel qui aidera à comprendre et analyser comment devrait se comporter un manager qui affronte des problèmes criti-ques. Parmi ces défis nous pouvons notamment citer : II.1. Prendre le train de la mondialisation sans grands dégâts C’est le premier défi car les organisations ne sont plus soumises aux frontières natio-nales et ceci se manifeste à travers deux éléments

- l’intégration de la variable interculturelle : un manager a plus de chance d’être af-fecté à l’étranger ou à être redéployé dans une nouvelle filiale étrangère dans son propre pays. L’effectif à gérer diffère par ses besoins, ses aspirations, ses attitudes face au travail, sa manière de communiquer et ses valeurs socioéconomiques. - l’intégration de la variable délocalisation : les managers d’aujourd’hui doivent gérer d’une manière efficace les délocalisations et les transferts des postes de travail vers les pays où la main d’œuvre est bon marché

II.2. Développer la qualité totale et améliorer la productivité Aujourd’hui presque tous les secteurs souffrent d’une surabondance de l’offre qui se manifeste par "une intensification de la concurrence, qui à son tour oblige les mana-gers à réduire les coûts tout en améliorant la productivité et la qualité des produits et

1 Le comportement organisationnel se définit comme une science comportementale appliquée, alimentée par une contribution d’un certain nombre d’autres disciplines des sciences humaines dans les plus prépondérantes sont : la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et les sciences politiques. 2 Dans un restaurant, une clinique, un bus, un cinéma, un amphithéâtre, etc. Les comporte-ments des gens sont anticipés par tout le monde

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services proposés. Pour y parvenir les managers mettent en œuvre des programmes de la gestion de la qualité et de réingénierie des procédés, qui exigent une large im-plication du personnel"1. II.3. Gérer la rareté des compétences Un marché de travail étroit où les employeurs ont du mal à trouver des candidats qua-lifiés pour occuper les postes vacants gêne les managers. Même avec des propositions de salaire élevés et beaucoup d’avantages sociaux les managers ne trouvent pas de cadres pour occuper le poste ou pour les retenir les an-ciens à rester dans leur place. II.4. Satisfaire d’abord les clients Toute organisation ne vaut rien sans ses clients. Cette vérité pousse le manager à faire constamment plus d’effort afin d’amener le personnel à maximiser la satisfaction des clients. "Le management énergétique" donne les outils nécessaires au manager pour analyser le comportement de son personnel dans l’optique d’instaurer, à long terme, une culture orientée vers le client. II.5. Déléguer du pouvoir Un manager cherche surtout à faire faire les tâches par les membres de son équipe en vue d’obtenir un résultat donné. Ni son temps, ni son savoir ne sont illimités. Un manager efficace doit donc apprendre à déléguer. Bien qu’elle confère à l’employé le pouvoir de prendre des décisions, cette délégation ne doit pas être confondue avec la participation. C'est ce qu’on appelle aussi "responsabilisation" II.6. Respecter et gérer la diversité Aujourd’hui plus que jamais l’un des défis les plus énormes que les organisations doi-vent relever consiste à s’adapter à différentes populations. Si la mondialisation se concentre sur les différences entre les personnes originaires de différents pays, la di-versité des effectifs concerne les différences au sein d’un pays donné. Le manager cherchera à gérer cette diversité des effectifs, c'est-à-dire l’hétérogénéité en terme d’âge, de nationalité, d’appartenance ethnique, de sexe, etc. Aujourd’hui le "melting-pot" a laissé la place à l’acceptation et la mise en valeur des différences. Les managers sont amenés à changer leur démarche afin de retenir leurs

1 S. Robins, Comportements organisationnels, page 21

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cadres et accroître la productivité en faisant attention à toute discrimination. II.7. Renforcer l’éthique dans le management Aujourd’hui les responsables des organisations se trouvent confrontés, à chaque mo-ment, à un grand nombre de dilemmes éthiques. Des problèmes qui leur imposent de choisir entre une conduite correcte et une autre incorrecte. Que faire ? La délimitation précise d’un comportement éthique n’a jamais été certaine. Encore plus dans ces dernières années, la limite entre le bien et le mal n’a cessé de s’effacer et la frontière entre le légal et l’illégal s’est brouillée. Les cadres et les employés constatent tout autour d’eux les pratiques illicites les plus condamnables : des ministres et des responsables politiques improbes, des élus incar-cérés pour des pots de vin ou des falsifications, des dirigeants d’entreprises qui gon-flent leur profit pour assurer de confortables bénéfices, des chefs d’établissements publics qui se comportent en seigneurs sans tenir compte de la déontologie des rela-tions humaines. Il n’est pas surprenant de constater parfois que la confiance s’est estompée entre les managers et leurs collaborateurs. C’est que le doute s’est installé et le personnel des organisations est devenu presque incapable d’orienter son comportement vers un mo-dèle de valeurs partagées afin d’atteindre les objectifs individuels et organisationnels. III. RÔLES ET COMPÉTENCES DES NOUVEAUX MANAGERS Le temps des "super managers" est-il bien arrivé ? À l’intersection de l’organisation, de la technologie, du temps, et des mutations du marché, le rôle de l’encadrement est devenu complexe et multiforme. Les attentes des salariés et des dirigeants sont encore plus exigeantes. La concur-rence est devenue plus intense, la prospective et la démarche anticipative sont de plus en plus recherchées chez les futurs managers. L’action managériale est devenue de plus en plus complexe et le pilotage des organi-sations est devenu transnational. "Un nouveau partage des processus de production s’opère auquel s’ajoute une gestion plus complexe du temps de travail1".

Les chasseurs de tête ne cherchent plus des normes et des qualités humaines mais des "super managers" avec des aptitudes et des capacités hors du commun. Le manager d’aujourd’hui doit-il cumuler "des super compétences" ? En réalité les recruteurs cherchent peut être aujourd’hui des "supermen" avec :

- un super recul : intégrer un capital expérience dans différents théâtres et chan-

1 Luis Petiet, cité dans Le Figaro du 09 janvier 2006

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tiers d’opérations - un super dynamisme : capacité à se mouvoir dans la majorité des activités et des opérations de l’entreprise et un esprit d’anticipation - un super modèle : une attitude d’exemplarité corollaire de la discipline et l’exigen-ce attendues du groupe et des équipes de travail - un super sens de la décision : qui crée la différence, l’originalité, mais surtout créatrice de valeur. - une super compréhension : une vision panoramique avec une pensée globale.

Aujourd’hui les compétences recherchées se situent beaucoup plus dans une logique de la conquête du futur et la conduite constante du changement que dans les adapta-tions brutales qui risqueraient de nuire à la santé des organisations. Il est peut être nécessaire de revoir à la baisse ces ambitions car malgré les trans-formations générées par la globalisation la complexité des tâches n’a pas trop aug-menté. Ceci étant, nous pouvons énumérer les huit rôles majeurs des futurs managers et les compétences qui les sous-tendent : III.1. Le manager fait faire dans la performance Il guide, communique, dirige, conseille, corrige, valorise, évalue, facilite et supervise. Le bon manager c’est celui qui sait reconnaître et mettre en valeur les talents des membres de son équipe. Il sait mobiliser ses troupes en favorisant l’émergence de "l’intelligence collective" de son équipe. Le manager cherchera toujours à avoir un changement dans trois domaines :

- faire évoluer la culture organisationnelle de l’organisation ; - développer le potentiel des travailleurs; - changer l’état d’esprit du personnel.

L’objectif terminal du manager est de transformer le travail d’autrui en performances collectives et durables. "Cette transformation n’est pas la même d’un niveau hiérarchi-que à l’autre, les managers ne font non plus tous la même chose : le pilotage se fait à tel niveau, l’animation des équipes à tel autre. La division du travail de management est double. Elle est horizontale (entre opérationnels et fonctionnels) mais aussi verti-cale (entre managers d’une même ligne hiérarchique)1". Ce constat a une conséquence directe sur les compétences des managers et par conséquent sur la formation en management. Il ne suffit pas de diffuser des normes de comportement à travers des livres et des chartes pour former de bons managers. Il s’agit surtout de développer des compétences individuelles et collectives en prenant en considération non seulement les caractéristiques universelles mais les particularités du contexte et du moment.

1 E. Delavallée, Le manager idéal n’existe pas, page 19.

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Par conséquent, de telles formations ne peuvent plus être ces "prêt à agir" culpabili-sant pour les managers de la "vraie vie", que sont encore nombre de cours ayant la prétention d’enseigner le modèle du "super manager". Souvent les manuels de ma-nagement enseignent aux futurs managers des choses qu'ils n’appliqueront jamais. Le manager est aussi celui qui réalise son travail en faisant travailler les autres. La démarche ne s’arrête pas là. Le cadre n’est manager que parce qu’il est responsa-ble des résultats obtenus par ses équipiers. Il transforme leur travail en performance. Donc faire faire et performance sont les mots clés qui caractérisent le management. Mais ce n’est pas tout. Le manager rempli d’autres fonctions implicites. C’est une surface projective comme disent les psychologues, il est souvent l’objet de tout les reproches et généralement un bouc émissaire bien commode dans les pauses café du personnel sur lequel chacun peu projeter ce qu’il n’arrive pas à se reprocher à lui-même. III.2. Le manager est celui qui résout les problèmes efficacement. Il doit simplifier et aider son personnel à résoudre les problèmes liés aux éléments suivants :

- prendre des décisions dans l’incertitude; - arbitrer entre les objectifs des différents acteurs; - manager le temps (qui reste une ressource rare) d’une manière efficiente pour ne pas tomber dans les pathologies de la gestion du temps ; - obtenir la performance dans la dépendance à ses collaborateurs.

III.3. Le manager travaille dans la prospective Dans ce sens il se situe d’avantage dans une perspective de mobilisation du potentiel que dans une perspective d’une gestion de la main d’œuvre. Il doit favoriser la recon-naissance de l’autonomie et accorder un pouvoir de décision à chacune des équipes de travail. Il passera alors d’une logique de poste à une logique de compétence. Cette logique peut être déclinée comme suit :

- passer de l’autorité à l’accompagnement ; - changer la stabilité par la mouvance ; - développer la culture de la coopération à la place de la compétition et de l’indivi-dualisme ; - éviter le jugement et encourager la relation d’aide ; - inventer la façon de faire en évitant la reproduction des modèles tout fait ; - interroger, écouter, et donner du sens au lieu de donner des ordres ; - responsabiliser et déléguer au lieu de punir et sanctionner ; - encourager l’innovation et la créativité.

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III.4. Le manager doit informer et communiquer Pour cela il doit d’abord instaurer un climat de confiance et de partage. Les premiers éléments à communiquer sont la stratégie, les objectifs et la vision de l’organisation. C’est donc donner du sens à des éléments formulés parfois dans un langage abstrait et orienter les membres de l’équipe dans la même direction. Les compétences de la communication interpersonnelle représentent un atout essen-tiel pour tout manager qui désire mettre son équipage au diapason. Le phénomène central de la communication d’équipe est l’interaction, c'est-à-dire le jeu d’action et de rétroaction. Or le contexte en communication n’est pas un simple environnement, un "décor" dans lequel se situe les rencontres entre les protagonistes. C’est un cadre symbolique qui est porteur de normes, de modèles et des rituels d’interaction. III.5. Le manager doit faciliter le travail À ce niveau, il aide les collaborateurs à se responsabiliser par rapport à l’atteinte des objectifs et la réalisation des performances en reconnaissant le fait que les collabora-teurs sont les acteurs du changement. Faciliter une action c’est, avant tout, créer un climat favorable de travail et pouvoir bâtir une équipe complémentaire. Il ne s’agit pas d’effectuer un simple regroupement d’individu mais de faire reconnaître le potentiel de chacun par tout les membres de l’équipe afin d’obtenir une synergie et des performances. Un facilitateur est donc une personne professionnellement disponible, qui se situe dans la relation d’aide, pose les bonnes questions au bon moment, prend des risques pour son équipe et maintien l’équilibre des forces internes du groupe. C’est un rôle déterminant dans la performance de l’équipe. Ce rôle consiste à veiller au développement personnel de ses équipiers tant au niveau psychologique qu’au ni-veau des capacités et habilités au travail. Le manager encourage la formation et l’apprentissage de façon positive et tolère le droit à l’erreur. Son devoir est de repérer et analyser régulièrement les besoins de ses collaborateurs. III.6. Le manager est un pilote d’une ou de plusieurs unités Piloter c’est concevoir un dispositif de suivi de travail permettant d’analyser les écarts pour prendre des dispositions et des mesures de correction. Le dispositif joue le rôle de tableau de bord qui permettra de faire le point, d’une façon régulière, de la situa-tion de l’organisation. Piloter c’est prévoir et anticiper. En localisant les écarts entre les résultats attendus et ceux réalisés, le manager motive l’équipe à prendre conscience de la situation, à réflé-chir sur les alternatives et à déclencher son potentiel collectif pour générer et choisir

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la plus optimale. Planifier et contrôler sont les deux actions clés du pilotage. La première regroupe les opérations qui visent à décomposer une mission en objectifs opérationnels et spécifier l’agencement des activités nécessaires à leur atteinte. La seconde vise l’élaboration des standards de performance donc des indicateurs de référence. Cependant le manager doit rester conscient qu’il ne pilote pas une machine mais une organisation composée d'êtres humains avec tout leur degré de complexité. III.7. Le manager est un évaluateur d’Hommes et de situations À ce niveau il vérifie les activités et les actions de ses collaborateurs au niveau de la qualité, de l’autonomie, des délais, et de la productivité. La finalité est de vérifier l’atteinte des résultats demandés à l’équipe. L’évaluation doit répondre à plusieurs questions : "Qui évaluer ?", "Quoi évaluer ?", et "Comment évaluer ?". CONCLUSION Des différents rôles précités, nous pouvons énumérer les compétences clés à déve-lopper chez les futurs managers : résoudre les problèmes ; gérer les équipes de tra-vail ; innover ; anticiper ; développer des stratégies ; mobiliser le potentiel ; moti-ver ; former ; gérer les conflits ; prendre des décisions ; donner du sens ; négocier ; déléguer ; valoriser les collaborateurs et, enfin, communiquer avec beaucoup de tact en développant des "algorithmes spécifiques de communication" pour chaque compé-tence, chaque rôle et chaque situation. _____________ Bibliographie :

- A. Mennechet, Le capital compétence, AFNOR, 2004. - F. Bournois, J. Rojo et J.L. Scaringella, Les meilleures pratiques des entreprises du CAC 40 : synthèse et fiches pratiques, Éditions d’organisation, 2003.

- J. Whitmore, Le guide du Coaching, Édition Maxima, 2004. - S. Robbins, T. Judge, Comportement organisationnel, Pearson Education, 2006.

- E. Delavallée, Le manager idéal n’existe pas, Éditions d’organisation, 2004. - C. Boumrar et O. Gilson, Le management des hauts potentiels, Dunod, 2004.

- Le Figaro du 09 janvier 2006.

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DEVENIR MANAGER :

UNE FORMATION OU DES CURSUS ? Éric SAVATTERO Directeur de la formation de l’ENS de Cachan En premier lieu, revenons un instant sur l’étymologie du mot "Manager". Contraire-ment à une idée reçue l’origine de ce mot n’est absolument pas anglo-saxone, mais bien latine. En effet, nous pouvons associer aux origines de ce terme les verbes fran-çais "ménager", qui signifie faire le ménage, ranger, puis par extension "organiser" ; et italien "manegiarre", voulant dire faire tourner au sens d’un manège, guider. Étymologie que nous retrouvons dans la définition actuelle du "management" : en-semble de technique d’organisation et de gestion de l’entreprise permettant sa conduite et son pilotage au travers des actions des individus qui la composent. Dans cette définition, nous voyons émerger deux dimensions nous permettant de ré-aliser une première approche de la fonction du "Manager" et, pour ce qui nous inté-resse directement en qualité de formateur, les compétences requises pour assumer ces fonctions :

- des techniques de gestion, d’organisation et de conduite de l’entreprise, - un aspect relationnel, puisque le pilotage de l’entreprise se fait au travers de ses acteurs.

Au quotidien, les actions du "Manager" reflètent ces deux composantes et les déci-sions qui lui incombent ne sont que des compromis permanents :

- efficience économique et financière / éthique sociale, - baisse des coûts / augmentation de la qualité, - pérennité de la structure / flexibilité de l’organisation, - diversité, polyvalence mobilité des acteurs / culture de groupe, convergence des comportements.

Ainsi, il apparaît clairement que la performance d’une entreprise est intimement liée à la performance de ses salariés. Le rôle du Manager est donc de mettre en place une synergie au niveau des acteurs de l’entreprise permettant la réalisation d’objectifs dé-finis. Bien sûr, ceci n’est possible qu’avec l’adhésion des différents acteurs de l’entreprise, ce qui implique que ces derniers doivent y retrouver un intérêt individuel. La motivation des employés de l’entreprise passe par la capacité du Manager à favori-ser le développement personnel de chacun. Au bilan, le Manager doit posséder des compétences dans le domaine des techniques de gestion puisqu’il doit être capable de gérer et d’organiser des ressources matériel-les et humaines, comme dans le domaine relationnel où il doit se montrer apte à ani-mer et conduire les actions des individus en les faisant adhérer aux objectifs définis

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pour l’entreprise. Ces deux axes de compétences permettent d’ébaucher un premier modèle de forma-tion basé sur une approche duale "Techniques de Gestion / Capacité Relationnelle" déclinable en termes d’outils à maîtriser et de domaines d’application. Ainsi sur le premier volet "Technique de Gestion", des objectifs simples comme l’optimisation des ventes ou la minimisation des coûts, se déclinent sur les domaines que sont les gestions de produits, des process, des flux financiers, de la communica-tion, du potentiel humain, etc. d’où la maîtrise nécessaire des outils et techniques comme la comptabilité, les études de marché, les ratios financiers, les indicateurs et tableaux de bord, statistiques, etc. Cette déclinaison montre également que le Mana-ger doit avoir une capacité d’analyse relevant du niveau stratégique sur le position-nement de l’entreprise au sein du milieu économique, tout en conservant des compé-tences opérationnelles. Par ailleurs, si certains domaines de gestion relèvent d’aspects matériels assez facile-ment quantifiables au travers d’indicateurs objectifs, d’autres au contraire font appel à des notions beaucoup plus subjectives, pour ne pas dire affectives, ce qui est un clas-sique lorsque l’on passe du domaine "matériel" à celui de "l’humain". Ceci nous permet de faire la transition vers le second volet "Capacité Relationnelle" pour lequel nous pouvons renouveler notre approche "Objectifs --> Domaines d’application --> Outils et techniques". Nous avons insisté précédemment sur le fait que le potentiel humain constituait le vé-ritable capital de l’entreprise, tant au niveau du savoir faire que sur celui de l’implication individuelle, de l’adhésion à un objectif collectif. La mobilisation des éner-gies qui constitue le potentiel humain est le challenge permanent du Manager. Parmi les domaines impactés par cet objectif nous citerons la gestion des compéten-ces et des ressources (GPEC), de la motivation, de l’implication, du climat social, etc. Ce qui implique la maîtrise d’outils liés au recrutement, à l’affectation (la bonne per-sonne à la bonne place), à la formation – et si l’on admet qu’une personne recrutée dans l’entreprise y tiendra nécessairement plusieurs fonctions au cours de sa carrière, l’on voit poindre inévitablement la problématique de la formation tout au long de la vie professionnelle, point sur lequel nous reviendrons plus loin ans cet exposé – à l’information (cette fois interne à l’entreprise) et la communication, à la dynamique de groupes, à la stimulation, à la négociation, à l’intéressement, etc. Comme pour le volet "Techniques de Gestion", l’axe "Capacité Relationnelle" impose également au Manager une vue stratégique comme des capacités opérationnelles, ces dernières se situant au niveau sociologique pour ce second volet. Ce modèle de formation de Manager basé sur la double compétence technique et hu-maine, voire sociologique est à la base de nombreux cursus d’Écoles de Management comme d’Universités. Parmi les remarques immédiates que nous pouvons formuler, la première se situe au niveau de la séparation des compétences dans l’entreprise. En effet, comment faire en sorte que l’ingénierie et le management travaillent ensemble puisque dès la formation,

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ces deux mondes s’ignorent totalement. Pourtant il est évident que ce premier cloi-sonnement est tout aussi artificiel que néfaste à la performance globale de l’entreprise. D’ailleurs, les formations d’ingénieurs ont intégré cela depuis plusieurs décennies en introduisant, certes à dose homéopathique avec généralement une fina-lité de simple sensibilisation, des modules de sciences humaines et d’autres de techni-ques de gestion dans leurs cursus. La seconde remarque porte sur la place et la connaissance des milieux économiques et industriels dans la formation. Ce second cloisonnement entre vie professionnelle et formation initiale est également surprenant : Le savoir nécessaire à l’accomplissement d’une vie professionnelle serait-il acquis à vingt et quelques années au sortir de l’École ou de l’Université ? Ce savoir est-il immuable ? Le monde économique est-il si statique qu’il n’implique aucune remise en cause ? … Non bien sûr ! Et les stages brefs en cours de formation, comme les rarissimes injections de formation continue au cours de la carrière ne sont que des pansements sur un mal plus profond qui relève bien du concept même attaché à ce premier modèle formation. Pour le pédagogue, cela renvoie aux deux interrogations majeures qui sont :

- Que faut-il enseigner en formation initiale ? - Quel est le niveau de compétence du jeune diplômé ?

Ainsi qu’aux corollaires : - Ce qui ne sera pas enseigné en formation initiale devra être acquis au travers de l’expérience, - La compétence de l’individu croit au fur et à mesure de son parcours profession-nel, des postes qu’il occupe, et de sa maturité.

Sur la première question, et en se limitant aux deux volets du premier modèle de for-mation, l’apprentissage des techniques de gestion peut facilement faire intervenir une première étape de la connaissance des milieux économiques au travers des techni-ques d’apprentissage. À ce titre, la complémentarité entre concepts permettant à la construction de la connaissance et études de cas ou mini-projets est couramment pratiquée. Par contre, sur le volet relationnel, les choses sont moins simples. Comment enseigner ce qui relève du subjectif, de l’émotionnel ? Une approche par les neurosciences peut tenter d’apporter des réponses, mais nous savons tous que le comportement humain est beaucoup plus complexe, faisant appel à la psychologie, aux aspects sociétaux et culturels, etc. L’une des difficultés majeures de ces apprentissages réside dans le fait que la perception même de la problématique nécessite souvent une prise de conscience liée à sa propre expérience. Sur ces deux questions, Peter Drucker, Michel Crozier, Chris Argyris, Henry Mintzberg1

1 Peter Drucker, La nouvelle pratique de la direction des entreprises, Éditions d’organisation, 1975 ; Michel Crozier, L’acteur et le système, Éditions du Seuil, 1977 ; Chris Argyris, L’apprentissage organisationnel, Paris Inter-éditions, 1995 ; Henry Mintzberg, Le management, voyage au centre des organisations, 2ème édition, Éd. d’organisation, 2003 & Des managers des vrais, pas des MBA, Éd. Lavoisiers, 2005.

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proposent des réflexions et éléments de réponse. Pour ma part, je reprendrai 3 idées qui me paraissent majeures : ���� Le lien nécessaire entre théorie et pratique, entre le modèle et le réel, le terrain : sur ce plan, Carlos Ghosn1 dit "Je pars des faits et vais vers les concepts, et non l’inverse". La démarche est strictement scientifique, de l’expérience, on met en forme une modélisation s’appuyant sur des concepts. Un processus itératif per-mettra d’affiner la modélisation et la pertinence des concepts utilisés. Au bilan, la décision et l’action du manager sont guidées par une réflexion construite sur l’expérience, les études de cas, et les concepts. ���� La notion de groupe : la réflexion doit se pratiquer seul mais aussi collective-ment. Deux individus isolés auront chacun une idée, ensemble ils confronteront leurs points de vue et de là naîtra une troisième idée, nécessairement plus aboutie. Cette pratique de la réflexion, seul dans un premier temps pour mettre en place sa propre analyse, puis collective dans un second temps est à transmettre dès la for-mation initiale. Elle sera d’autant plus facilement acceptée et jugée naturelle en ac-tivité professionnelle. ���� Le processus d’apprentissage est permanent et collectif, il est dit organi-sationnel (cf. Revans2 : "le management s’apprend par l’échange social") : toute expérience est source de connaissance. Se pose alors le problème de la place, en termes quantitatif et de disponibilité du processus d’apprentissage, du compromis entre expérience professionnelle suffisante et disponibilité satisfaisante. Ceci néces-site l’implication de la direction de l’entreprise vis-à-vis du management, comme l’implication du management vis-à-vis des personnels.

… et qui participent à une démarche scientifique, itérative :

Élargissons maintenant le propos de la formation initiale à partir d’un regard sur les cursus de certains managers. Voici donc deux curriculum vitae de managers exerçant l’un dans le secteur de l’aéronautique, l’autre dans celui de l’automobile. Pour le premier, sa formation initiale est constituée d’un diplôme d’ingénieur obtenu à Sup’Aéro en 1972, suivi d’un doctorat de mécanique des structures en 1976. C’est donc ce qu’il est convenu d’appeler un scientifique. Il débute sa carrière chez Aérospa- 1 Carlos Gohsn, PDG de Renault depuis avril 2005, est entré chez le constructeur automobile français en 1996. Après avoir été Vice-Président exécutif en charge du management du groupe il est délégué chez Nissan suite à la prise de participation de Renault dans cette société pour re-lancer la firme japonaise. En 2002-2003, il était considéré comme l’un des 10 meilleurs diri-geants d’entreprise au monde. 2 Reg W. Revans, Professeur britannique né en 1903, auteur de l’Apprentissage par l’action ("Action learning")

Problème

Analyse

Solution

Évaluation Correction

itération

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tiale Avions, à Toulouse, en 1973, en tant qu’ingénieur recherche en structures aéro-nautiques. C’est au cours ces premières années de vie professionnelle qu’il effectuera ses travaux de recherche lui permettant de soutenir son doctorat. Il poursuit ensuite sa carrière au travers une succession de postes à vocation scientifique, qui lui permet-tent d’une part d’approfondir sa connaissance du milieu industriel dans lequel il évolue (structures, aérodynamique, méthodes de calcul, …) et d’autre part de progresser en termes de responsabilités au sein de son entreprise. En 1989, il rejoint pour la pre-mière fois la direction générale de l’entreprise, en qualité de directeur des program-mes hypersoniques. Il reviendra sur Toulouse en 1991 pour diriger le programme A318/A320/A321, puis occupera les fonctions de Directeur des études, de Directeur Technique et Industriel avant de devenir en 2000 Senior Vice-President Indus-try/research & Technologie/Quality d’EADS Corporate. À partir de 2002, il se concen-tre sur Airbus, l’une des entité d’EADS, sur les postes de Secrétaire Général Airbus France, puis de Président (General Manager), depuis 2005 il ajoute à ses fonctions la direction de l’établissement de Toulouse et est actuellement, à 59 ans, Président Dé-légué - Directeur Général d’Airbus France, et toujours directeur de l’établissement de Toulouse. Je passe rapidement sur diverses responsabilités collectives au sein d’organisations professionnelles, associations, écoles, ou collectivités régionales. L’une des plus importante actuellement étant la présidence du pôle de compétitivité "Aeros-pace Valley". Le second est également ingénieur de formation initiale, diplômé en 1980 de l’ENSI de Chimie de Strasbourg. Il débute sa carrière en entrant chez IBM en 1981, en qualité d’ingénieur développement. Rapidement il prendra la responsabilité d’un service, puis d’une unité de production de composants électroniques en région parisienne. En 1988, il occupe les fonctions de "Program Manager" et fait partie de l’équipe du Vice Presi-dent Manufacturing IBM Europe. Il poursuit son cursus chez IBM en devenant en 1990 Directeur du site de Corbeil en région parisienne. En 1995 il quitte IBM pour Frama-tome Connectors International ou il occupe les fonctions de Directeur Industriel. Paral-lèlement il complète sa formation à HEC ("CPA" intra). Il devient Directeur de Division en 1996, puis dirige la branche "Connecteurs" de Framatome de 1997 à 1999. En 1999 il change à nouveau d’entreprise pour un poste de Vice-President Manufacturing & Quality chez Thomson Multimedia. Il poursuit dans cette entreprise au travers les fonctions de Vice-President Profit Center, puis de membre du Directoire d’Elcobrandt, tutelle du groupe industriel. Enfin, en 2005 il rejoint le secteur automobile en accep-tant le poste de Directeur de la division "Mécanismes et sièges" de Faurécia, l’un des grands sous-traitant des fabricants automobiles, et occupe actuellement, à 51 ans, les fonctions d’Executive Vice President - Membre du Directoire de cette entreprise. … Quels enseignements tirer de ces deux parcours particulièrement brillants ? À l’évidence, ce sont deux personnes issues de formations techniques et scientifiques. Tous deux ont construit leur progression sur une connaissance approfondie du milieu industriel dans lequel ils évoluaient. Connaissance des produits, des process, du fonc-tionnement interne de l’entreprise. Leur schéma de compétence comporte donc trois volets :

� scientifique et technique, issu de leur formation initiale,

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� techniques de gestion, acquis par leur expérience professionnelle et complété par la formation continue, � aspects sociétaux de l’entreprise, principalement issu de leur expérience profes-sionnelle et de la réflexion continue sur cette dernière.

Ma première remarque portera sur le poids et l’importance d’un troisième volet consa-cré aux aspects scientifiques et techniques permettant la maîtrise, la compréhension et la connaissance de tout ce qui renvoie au produit et au process, en complément des deux volets initiaux du premier modèle de formation des Managers… Ceci suscite bien sûr d’autres questionnements et observations :

• Est-il préférable d’apporter à des ingénieurs des compétences en gestion, ou à des gestionnaires des compétences en ingénierie ? Sur ce plan, je vous laisse ima-giner ma propre conviction de vue compte tenu de mon parcours personnel et de ma formation initiale1 !

• Pour l’entreprise, la complémentarité que constitue la diversité des cultures de ses managers n’est-elle pas une richesse ? On rejoint ici l’un des premier points évoqués "le capital de l’entreprise est celui de son potentiel humain". • Si l’on admet que l’on ne peut pas tout faire en formation initiale, et que ce n’est d’ailleurs pas souhaitable, ne peut-on mixer ces cultures au sein de structures de formation mixtes ? Ceci renvoi aux expériences menées avec succès par des établis-sements comme l’INT d’Evry, aujourd’hui Télécom & Management Sud Paris qui in-tègre sur un même site deux entités de formations travaillant en osmose, l’une d’ingénieurs scientifique et technique, l’autre managériale au sens traditionnel, ceci dans le domaine spécifique des télécoms et réseaux. Les élèves des deux entités ayant des projets à mener ensemble au cours de leur formation.

Ma seconde remarque portera sur l’importance de la remise en cause, de la mobilité au cours du parcours professionnel, de la place de l’apprentissage organisationnel que nous avons développé plus haut. L’aboutissement de la démarche étant la nécessité ressentie par l’une de ces deux personnes de compléter sa formation initiale au cours de sa vie professionnelle par une formation complémentaire au sein d’HEC. D’une façon plus générale, cela illustre la potentialité du processus d’Apprentissage avec un "A majuscule" mixant formation initiale et pratique professionnelle, le décloi-sonnement entre formation initiale et vie professionnelle. Si ces pratiques sont courantes au sein des cursus de formation des Corps Techniques de l’État Français. Malheureusement elles restent marginales dans le système de for-mation initiale français. En conclusion, plutôt que de tenter de définir un modèle idéal de formation de Mana-gers, je préfère parler de modes de formation, faisant intervenir les notions soulevées ci-dessus comme :

• L’interaction entre formation initiale et vie professionnelle, la place de l’appren-

1 J’admets ne pas être totalement impartial !

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tissage, • L’intérêt de la complémentarité culturelle des Managers pour une entreprise,

• La nécessité pour tous les managers d’avoir au minimum quelques points de re-père sur les spécificités techniques de leur l’entreprise,

• L’importance du cursus professionnel visant à élargir les points de vue et le spec-tre des compétences, mais aussi et surtout la perception de phénomènes insoup-çonnables au sortir de la formation initiale, principalement dans le domaine des fac-teurs humains,

• La place de la formation "au long de la vie professionnelle", basée non seulement sur l’apprentissage de techniques nouvelles, mais surtout sur l’échange d’expé-riences.

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QUELS TYPES DE MANAGERS POUR UNE BONNE GOUVERNANCE D'ENTREPRISE - TÉMOIGNAGE

Bouchaïb SERHANI Directeur général du Cabinet GESPER Services INTRODUCTION :

COMMENT PRÉPARER ET DONC FORMER DE FUTURS MANAGERS ? Avant de parler de formation il serait utile, pour ne pas dire primordial, de définir d'abord le manager et l'environnement dans lequel il évolue ou évoluera.

- Quel manager pour quelle entreprise ? S'agira t-il d'un top manager, d'un middle manager ou d'un manager de 1er niveau ? S'agira t-il de managers opérationnels ou de managers dirigeants ? - Pour quelle entreprise ? S'agira t-il d'une PME locale, d'une filiale d'un groupe local ou filiale d'une multinationale ?

En fonction de l'environnement et du niveau de la fonction, les besoins en préparation du futur manager ne seront pas les mêmes. De plus le délai projeté pour la prise de fonction de ce futur manager permettra une planification aisée ou serrée pour cette préparation à une telle responsabilité. Essayons donc de décrire le manager idoine capable d'assurer ou de participer à une bonne gouvernance d'entreprise. Pourquoi parle t-on de gouvernance aujourd'hui ? C'est vers les années 70 et à partir du secteur privé que la notion de gouvernance a réapparu pour devenir un leitmotiv permettant un mode de gestion des entreprises fondé sur une articulation entre le pouvoir des actionnaires et celui de la direction. Il s'agit alors de désigner et clarifier les limites des responsabilités de chaque type d'acteurs impliqués dans la prise de dé-cision au sein de l'entreprise et de leur mode d'interaction, c'est en sorte une défini-tion de délégation de pouvoir de chaque type d'acteur. C'est dans cette optique qu'il est devenu normal pour toute entreprise de préparer ses managers quel que soit leur niveau de responsabilité pour une bonne gouvernance d'entreprise. Une bonne gouvernance d'entreprise suppose donc de disposer de managers au fait de leurs responsabilités et des attentes des acteurs impliqués dans les résultats de leur entreprise. Dans cette pratique ils prennent en compte l'implication de toutes les parties prenan-tes internes à l'entreprise comme le personnel, cadres, maîtrises et employés pour

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une meilleure atteinte des objectifs. Les objectifs ne doivent pas se limiter à l'atteinte d'un chiffre d'affaires, d'une plus va-lue ou d'une marge opérationnelle qui sont bien entendu pris en considération, mais à l'implication de tous y compris les acteurs externes à l'entreprise comme les fournis-seurs et les clients dans le respect d'un environnement de façon durable, du respect des lois dans le cadre d'une responsabilité sociale et sociétale. Qu'attendons-nous des managers ? Quand on parle de bonne gouvernance d'entreprise, on s'attend à trouver dans cette dernière des managers disposant d'un savoir faire imprégné d'un certain nombre de qualités nécessaires à l'application de ce qui est attendu. Parmi ces qualités nous trouvons quelques unes résumées comme suit (à titre indica-tif). Le manager doit :

- disposer d'une personnalité humaine correcte emprunte d'une certaine ascendance sur son entourage et bénéficiant d'une certaine "sympathie" naturelle afin d'être adopté par tous. - disposer d'une conviction quant à la nécessité d'appliquer et de respecter les rouages d'une responsabilité pleine et sans marchandage. - disposer d'une vision à long terme dans la pratique de sa fonction - disposer de l'art de former une équipe performante - disposer de l'art et la manière de la manager, la piloter, la motiver - disposer de l'art de négociateur et du courage managérial - savoir bien communiquer avec les membres de son équipe - savoir tirer le meilleur de ses collaborateurs - savoir gérer les priorités, le temps, innover - savoir manager la diversité - savoir déléguer efficacement - savoir fournir les informations essentielles - savoir prendre des décisions délicates et les assumer - savoir manager des jeunes, les motiver pour bien les intégrer - savoir gérer les personnalités difficiles - savoir anticiper les conflits - disposer de l'art d'évaluer ses équipes - savoir recruter ses collaborateurs - savoir gérer ses responsabilités vis-à-vis de l'extérieur - respecter et faire respecter par son équipe les engagements pris, ….. - etc.

Lister tous ces profils, et bien d'autres, peut nous donner l'impression de rechercher l'oiseau rare. Il n'en est rien car la fonction de manager, opérationnel quel que soit le niveau dans la hiérarchie ou dirigeant, exige plus ou moins ces profils, peut être pas tous immédiatement, mais à terme, ce terme étant court ou moyen.

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C'est dans une projection d'atteinte de cet objectif que l'entreprise orientera son choix dans le type et le style de programmation des formations adaptées à un environne-ment donné et à une ou des fonctions données. Former un groupe de managers sur un thème donné ne donnera pas les mêmes ré-sultats pour tous car tous ne disposent pas du même environnement de travail, de la même personnalité humaine, ni même des ambitions identiques. Comment préparer les futurs managers ? Plusieurs profils de managers existent au sein des entreprises. Essayons de les lister pour mieux apprécier ce qui se passe au sein de la plupart des entreprises au Maroc et de sélectionner le ou les niveau (x) de ceux qui seront pris en considération dans cette étude.

Exemple d'organisation, pyramidale, la plus rencontrée au Maroc :

Comme nous le voyons sur ce schéma, cette organisation est articulée autour de qua-tre niveaux de management.

- le 1er est celui des chefs de groupe qui ont une responsabilité de gestion d'une équipe d'agent de maîtrise, de collaborateurs et de simples exécutants. - le 2ème est celui des chefs de département ou service qui supervisent trois groupes ou plus par département ou service. - le 3ème niveau est celui des directeurs qui ont deux départements, services ou plus

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qui leur sont rattachés. - le 4ème et dernier niveau, est celui du top management confié à un DG ou PDG.

En fonction de l'importance des entreprises, certaines d'entre elles, peuvent se limiter, à partir du top management, à deux ou trois niveaux de management ou plus de qua-tre. Les flèches indiquent les sources logiques "d'approvisionnement" en managers pour combler le manque immédiat et futur. La préparation d'un futur manager pour assumer la responsabilité de l'un de ces qua-tre niveaux peut ne pas obéir à une démarche identique pour tous ces niveaux. Ainsi il est constaté sur le terrain que pour les niveaux 3 et 4 certaines entreprises ont recours à des embauches externes. Quand on leur pose la question, "Que faites vous de votre politique de gestion du par-cours professionnel de vos cadres ?", ils vous répondent que le choix qu'ils ont pris réduit les départs de ceux qui ne sont pas sélectionnés à presque zéro. Explication : si le poste du DG/PDG est à pourvoir, le choix le plus logique serait de prendre un directeur du niveau 3. Mais si un directeur de niveau 3 est retenu, ceux du même niveau et qui ne l'ont pas été deviennent des démissionnaires potentiels. Le même constat est observé parfois au niveau 2 vis-à-vis du 3, mais cela ne présente pas de complication majeure. Préparation du futur manager Le cas de vacance subite d'un poste ne rentre pas dans cette étude car l'entreprise va palier à cette vacance par, soit le transfert immédiat de la responsabilité du poste de-venu vacant à un titulaire de poste de même niveau, qui va cumuler les responsabili-tés de deux postes, soit à un titulaire de poste inférieur qui sera promu en attendant la prise de décision du comment faire. Il y a lieu de noter que dans certaines des entreprises structurées, les titulaires du ni-veau "Top-1", reçoivent régulièrement des formations continues, hors formations "techniques", leur permettant d'assurer convenablement leurs tâches dans leur poste, dans un poste de même niveau et même dans le poste de niveau supérieur pour les cas de vacances et donc "d'intérim" avec des délégations de pouvoir bien définies à l'avance. Cette fonction d'intérim est d'ailleurs une manière de former ces managers (déjà ma-nagers) au développement de leur savoir-faire. Nous traiterons ici de préparation, donc de planification, c'est-à-dire dans le cas où le poste à pourvoir est connu à l'avance. Deux choix s'offrent à l'entreprise :

a) embauche d'un jeune cadre débutant sans aucune expérience, à préparer b) prendre un cadre opérationnel dans l'entreprise et le préparer pour de futures responsabilités en management.

Les thèmes qui seront pris en considération sont ceux devant aboutir à l'atteinte des

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objectifs en vue de disposer de profils répondant aux qualités exigées et listées ci-dessus. Pour l'obtention de ces qualités, plusieurs types de formations sont à prévoir et obéis-sent à une méthode utilisée pratiquement par toutes les entreprises, la différence en-tre l'une et l'autre de ces entreprises réside d'abord dans la conviction de ces entre-prises de la nécessité d'une telle démarche et dans les moyens mis à disposition pour la réussite de celle-ci. I. MÉTHODES I.1. Méthode Standard La formation dont il sera question ici est une formation orientée "management", les formations dites techniques ne seront pas prises en considération.

- Formations théoriques de courtes durées1, dont les thèmes seront compati-bles avec la fonction de manager. À titre d'exemple, on trouvera des thèmes de management comme : - Dynamique du dialogue (TP-PC) - Négociation face à face (TP-PC) - Management d'équipe (TP-PC) - Conduite de réunion (TP) - Entretien individuel (TP) - Management Qualité (TP-PC) - Objectifs et Performances (TP) - Gestion du temps (TP-PC) - Initiation Financière (TP-HF) - Vendre une solution x (TP-PC) - Culture Informatique (TP) - Etc.

- Application des acquis théoriques sur le terrain en faisant bénéficier le futur manager de responsabilités terrain supervisées par un tuteur disposant d'une bonne expérience en management. Le futur manager sera l'ombre du tuteur, lui-même manager. Le tuteur fera bénéfi-cier le futur manager de responsabilité de management de l'équipe qu'il dirige. Le futur manager assurera son activité comme un "intérim" du tuteur. Le tuteur organisera des réunions périodiques avec le futur manager pour lui faire "toucher du doigt" ce qui doit être amélioré et comment et pourquoi.

1 TP = Tous Profils PC = Particulièrement Commerciaux HF = Hors Finance

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Bien entendu ce processus se répétera autant de fois que nécessaire et en fonction de l'importance des thèmes. Quand sur un thème donné, le tuteur estime que le futur manager a bien assimilé la pratique du thème sur lequel il a été formé, il est alors possible de prévoir la forma-tion théorique sur un autre thème et de continuer par la pratique comme pour le pré-cédent thème et ainsi de suite jusqu'à la fin du cycle planifié pour cette formation. Compte tenu de la durée de la préparation du futur manager, il est vivement recom-mandé de prévoir des changements de tuteur en fonction des thèmes enseignés, choisir le tuteur qui maîtrise le mieux le thème donné. De plus cela fera bénéficier le futur manager de la richesse des diverses "méthodes" utilisées par chacun des managers titulaires Ce processus peut exiger jusqu'à une année de formation théorique alternée avec la pratique sur le terrain. Cet exemple de préparation standard, qui répond à la majorité des besoins des entre-prises, n'est malheureusement pas suivi comme proposé, par certaines de ces derniè-res. I.2. Méthode étendue Cette méthode étendue, complémentaire de la méthode standard, est suggérée pour les entreprises disposant de moyens, particulièrement des sociétés de groupes natio-naux ou multinationaux. Il leur est proposé de procéder à une "immersion" du futur manager, après la réalisa-tion de la méthode standard, à l'extérieur de "son entreprise" mais auprès de l'une des filiales ou société du groupe, donc toujours dans la même culture et le "même environnement". Il sera confié au futur manager une fonction de management identique à celle qu'il aura à assumer au sein de "son entreprise". Parallèlement à cette responsabilité, le futur manager sera coaché par un manager, soit de la société d'accueil soit par un coach externe. Le choix de coach interne ou externe est laissé à l'initiative de la future hiérarchie du futur manager qui souhaiterait probablement développer telle ou telle connaissance adaptée au poste qui sera occupé. La durée de cette immersion est de l'ordre de deux ans et des fois plus L'avantage de cette méthode étendue est que le futur manager étant en dehors de "son" entreprise, il voudra exceller et prouver de sa capacité à assumer. Souhaitant prouver à sa hiérarchie qu'elle a fait le bon choix en le désignant à cette fonction, il redoublera d'effort et, par conséquent, optimisera ses chances de réussite.

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II. ORGANISMES DE FORMATION Les organismes de formation qui seront sollicités pour ces formations théoriques se-ront à chercher auprès des :

- consultants exerçant sur le marché local et organisant des séminaires en inter en-treprises - consultants en provenance d'établissements spécialisés en formation continue eu-ropéens et organisant des séminaires en inter entreprises à l'occasion des dépla-cements de leurs animateurs au Maroc. - écoles supérieures publiques et/ou privées organisant des formations courtes sous forme de séminaires, de cycles et/ou des formations diplômantes exclusivement dé-diées au management. - organismes européens de formation continue ou formations spécifiques - centres privés de formation interne (multinationales et grands groupes) notam-ment dans le cas d'une décentralisation au Maroc par des groupes multinationaux de la formation du personnel des filiales étrangères ou dans le cas d'une autoforma-tion dispensée généralement au sein des filiales des Groupes multinationaux pour le personnels de ces dernières (e-learning).

III. AVANTAGES ET FAIBLESSES DE CES SYSTÉMES DE FORMATION : Les avantages et/ou faiblesses de ces types de formation pour tous profils, managers et autres, résident d'abord dans la qualité des participants avant celle de l'animateur et dans la durée. III.1. Séminaires Si les participants sont tous des "jeunes" dans le domaine du management, l'échange que l'animateur aura à provoquer sera de consistance faible. Au contraire, lorsque la majorité des participants a déjà un acquis en management, ceux qui n'en disposent pas profiteront de l'échange qui ne peut être que riche. La principale faiblesse des séminaires réside dans leur durée, généralement de une à deux journées. Les écoles et consultants sont confrontés à un problème de disponibilité des partici-pants, ce qui les pousse à proposer des durées faibles pour pouvoir disposer d'une di-zaine de participants ou plus à chaque cours. Des séminaires sont ainsi organisés sur une journée et demi entre le vendredi après midi et le samedi toute la journée, afin de limiter l'absence du personnel en entreprise. De plus si les entreprises au Maroc sont totalement convaincues de la nécessité de procéder à des formations continues afin de maintenir intacte l'employabilité de leur

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personnel, certaines d'entre elles ne font pas l'effort nécessaire. Les formations dispensées sont pratiquement plus orientées métier qu'orientées mé-tier et management. Un responsable planifiera ainsi plus facilement l'envoi d'agents en formation sur un type de produit mais rarement sur une formation liée au savoir faire dans le manage-ment de la fonction comme : "Un service clients efficace", "L'éducation Assurance-Qualité", "Développement d'une approche commerciale", etc. III.2. Formations diplômantes Ce type de formation a vu le jour au Maroc il y a une quinzaine d'années. Des univer-sités, d'abord canadiennes puis françaises, y ont délocalisé des formations diplôman-tes, type DESS puis Master. Cette délocalisation a intéressé un nombre non négligeable de marocains aussi bien jeunes que, pour la plupart, moins jeunes qui n'avaient pas pu poursuivre de forma-tion supérieure à l'étranger. La plupart des participants à ce type de formation sont là pour enrichir leur CV et non uniquement leur savoir et savoir-faire. Ils espèrent avec un CV bien garni pouvoir sol-liciter des postes de management plus lucratifs même s'ils ne disposent pas du profil requis. Comme pour les séminaires, la qualité des profils des participants contribuera ou pas à développer un acquis aux futurs managers. La durée de ce type de formation est, en général, d'une année, la formation étant planifiée à raison d'une journée et demi par semaine ou par quinzaine avec, à de ra-res occasions une séance de trois jours dans une semaine. Cette organisation entraîne une impression, au sein de l'équipe des participants, de déjà vu et, par là, une assi-duité très moyenne. À la longue la présence à ce type de formation devient une cor-vée et non un plaisir d'acquisition d'un savoir et savoir faire. Quelques rares entreprises participent au coût de ce type de formation. III.3. Cycles de formation Des cycles de formation sont organisés par des écoles supérieures publiques et pri-vées, concernant essentiellement le management. Ces cycles sont organisés en cours du soir et tous les participants sont généralement motivés. Les jeunes managers inscrits à ce type de formation bénéficient d'un savoir et savoir faire plus important que celui qu'ils pourraient acquérir lors de formations di-plômantes. Certaines Universités se sont mises, tout récemment, à organiser des formations adaptées aux besoins de l'entreprise (hors formations techniques, ces dernières exis-tant déjà depuis un moment).

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III.4. Formations terrain Ainsi que nous l'avons dit précédemment la formation terrain est considérée comme très importante par le fait qu'elle permet de mettre en pratique les acquis théoriques et de parfaire son expérience. Certaines entreprises utilisent donc ce type de formation et l'intègrent dans leurs pro-cédures de préparation de managers pour tel ou tel poste. Ainsi par exemple, pour accéder au poste de type 3, il faut au préalable avoir pratiqué durant au minimum 2 ans au niveau du poste type 2. CONCLUSION Les entreprises marocaines les plus "étoffées" pratiquent régulièrement des forma-tions internes et y réservent un budget non négligeable qui va pratiquement de 2 à 8 % de leur masse salariale. Elles prévoient généralement un fort pourcentage des effectifs devant suivre au moins une formation par an, ce pourcentage étant au minimum de 40 % pour certaines d'entre elles. Dans leur démarche de formation interne, ces entreprises font profiter leurs cadres moyen ou supérieurs comme leurs employés et leurs managers de ces formations qui sont orientées métiers et aides au management. Pour les banques, par exemple, la préparation d'un manager pour un poste donné obéit à une procédure qui permet de le préparer par étape en lui donnant des respon-sabilités terrain limitées au départ pour les rendre de plus en plus importante en fonc-tion de ses qualités d'assimilation. La préparation de futurs managers au Maroc n'est pas assez développée par certaines entreprises, ces dernières privilégiant généralement l'embauche d'un manager depuis l'extérieur au lieu de procéder à une gestion de carrière interne. Ces entreprises justifient leur démarche en mettant en avant le faible nombre d'orga-nismes de formation capables de préparer les cadres et cadres moyens de l'entreprise pour en faire de futurs managers, malgré l'avantage dont ils disposent du fait de leur connaissance de la culture de leur entreprise. L'embauche depuis l'extérieur est préférée à la préparation, car la nouvelle recrue ar-rive avec un certain "bagage" et avec un "œil neuf", qui sont des avantages plus im-portants que la maîtrise de la culture de l'entreprise. Par ailleurs, lors de discussions informelles, les entreprises soulignent souvent que former un manager pour le voir partir ailleurs leur coûterait trop cher. Ce risque est probablement particulièrement dissuasif pour nombre d'entre elles.

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QUEL MANAGER POUR LE SERVICE PUBLIC ? Le manager public aux prises avec le "Statut Général de la Fonction Publi-que" (SGFP) Khalid Ben Osmane Directeur du cabinet EFORH Consulting, professeur à l'ENA et l'ISA Recruter et former des managers dans le cadre de la Fonction Publique : la fin d'une utopie ? Alain Henriet Inspecteur Général du ministère de l'Éducation Nationale

Le rôle de l'encadrement intermédiaire dans la mobilisation des ressources humaines dans l'administration publique Hassan Chraïbi Consultant et enseignant universitaire

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RECRUTER ET FORMER DES MANAGERS DANS

LE CADRE DE LA FONCTION PUBLIQUE : LA FIN D'UNE UTOPIE ?

Alain HENRIET Inspecteur Général du ministère de l'Éducation Nationale I. UNE DOCTRINE DU SERVICE PUBLIC EN ÉVOLUTION I.1 Les principes fondamentaux Dès le milieu du dix-neuvième siècle, l’industrialisation et la concentration des moyens de production, la paupérisation et l’apparition de nouveaux besoins, la percée du mo-dèle "social-républicain" selon l’expression de P. Rosanvallon, amènent l’État à s’engager plus activement dans la vie sociale. Tout en conservant la tradition tutélaire qui a marqué l’histoire de France, l’État de-vient interventionniste : mise en place d’infrastructures nécessaires à l’essor de la production et des échanges (réseaux de transport, électrification, équipements collec-tifs) ; lois scolaires du début de la troisième République qui débouchent sur la cons-truction du système éducatif national ; prise en charge d’une multitude de services de proximité par les collectivités locales, etc. Cet élargissement du rôle de l’État conduit à une évolution jurisprudentielle et doctrinale significative au début du vingtième siècle. Prolongeant la "loi de service" posée par Léon Duguit qui donne à l’administré des droits à faire valoir vis-à-vis de l’État, le juriste Louis Rolland met en exergue dans les années 20 quelques principes fondamentaux concernant la délivrance du service pu-blic :

- principe de continuité : ce principe exige une délivrance régulière et continue de la prestation sans interruptions autres que celles prévues par la réglementation en vigueur ou en cas de force majeure. L’application de ce principe soulève la ques-tion des limites à l’exercice du droit de grève pour les agents publics et corollaire-ment l’instauration d’un « service minimum » ;

- principe d’égalité : ce principe découle du principe d’égalité juridique devant la loi et les règlements posé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il exige l’absence de discrimination entre tous ceux qui entrent à un titre quelconque en relation avec le service ; il vaut pour l’égalité de traitement dans l’accès au service mais aussi pour l’égal accès aux emplois de ce service. A noter que l’égalité ne se confond pas avec l’uniformité : ce principe n’exige pas un traite-ment identique pour toutes les catégories de personnes dans toutes les circonstan-

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ces et quels que soient les objectifs poursuivis ; comme l’indiquent, à peu près de la même façon, toutes les hautes juridictions (nationales et communautaires), le prin-cipe d’égalité implique seulement que les personnes placées dans la même situation soient traitées de la même façon et donc qu’à des situations non semblables puis-sent être appliquées des règles différentes. La différenciation peut porter sur la mise à disposition du service (par exemple une segmentation des usagers en fonction de leurs caractéristiques physiques comme les places réservées dans les transports en commun pour les handicapés ou les femmes enceintes) mais plus souvent, la diffé-renciation s’opère sur la tarification en se référant à des critères géographiques ou sociaux (égalité d’accès au service pour tous ne signifie donc pas gratuité du service pour tous) ; - principe de mutabilité : ce principe implique que l’offre de service public doit pouvoir être adaptée à l’évolution des besoins collectifs, aux exigences de l’intérêt général, voire aux modifications des conditions de production. A noter que l’apparition de substituts à un service public donné peut conduire la personne publi-que à le supprimer : par exemple les bains-douches et les lavoirs municipaux ont disparu avec le développement des salles de bains et des machines à laver.

II.2 L’élargissement des principes Le mythe du service public a continué à s’épanouir au cours des "trente glorieuses" puis s’est étiolé dans les deux dernières décennies du vingtième siècle. Des courants idéologiques variés ont contesté l’opportunité d’une intervention omni-présente de l’État. Pour certains, la consommation de biens publics tend à amplifier les inégalités sociales et culturelles et non à les réduire ; par exemple, Alain Minc af-firme que la machine égalitaire fonctionne à rebours dans la mesure où les services publics gratuits ou quasi-gratuits profitent d’abord aux plus aisés ; J. Illitch voit dans les services publics un instrument de surchauffe et de manipulation de la demande par la création de besoins artificiels : incapables de satisfaire des besoins réels, ces services sont voués à la contre-productivité. Dans le même temps, des sociologues et des théoriciens de l’organisation (R. K. Mer-ton, P. Selznick, A.W. Gouldner, M. Crozier, etc.) ou les tenants d’un courant d’analyse économique initié par W.J. Niskanen dénoncent les effets pervers du carcan bureau-cratique. Les censeurs de la puissance publique ont d’autant plus d’arguments à faire valoir que la vague expansionniste a fait reculer très loin les frontières du service pu-blic dans les pays développés. Les dirigeants politiques anglo-saxons (États-unis, Australie et Royaume-Uni en parti-culier) ont été les premiers à intégrer cette remise en cause en prônant la dérégula-tion et la privatisation. Si la coalition de gauche arrivée au pouvoir en France en 1981 s’est délibérément inscrite à contre-courant de cette tendance, la confrontation avec les réalités du terrain et la succession d’alternances politiques et de cohabitations ont rapidement contribué à vider le débat de son contenu dogmatique. Le pragmatisme l’emporte sous les coups de boutoirs de deux évolutions majeures :

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- la mutation socio-technique d’une part : les nouvelles technologies boulever-sent les processus de production et la nature des produits. La possibilité de répon-dre à un besoin donné à un prix relativement proche par des moyens différents va aiguiser la concurrence entre activités monopolistiques : transport ferroviaire à grande vitesse versus transport aérien ; courrier versus télécopie, puis minitel et in-ternet, etc. La maîtrise de technologies performantes va inciter les opérateurs na-tionaux ou internationaux à prendre pied sur des marchés devenus contestables. Dans le même temps, le comportement des utilisateurs des services publics change : ils admettent de moins en moins que les prestations des opérateurs pu-blics ne s’alignent pas sur celles proposées par les opérateurs privés. En se servant des médias comme caisse de résonnance, les usagers manifestent contre les len-teurs ou les insuffisances des administrations et entreprises publiques ;

- le second élément qui a pesé sur la doctrine du service public est l’évolution de la position des instances européennes ; la relative indifférence de ces derniè-res sur le sujet jusque dans les années 80 s’explique par la « connivence tacite » entre les Etats selon l’expression de L. Monnier. L’attitude britannique a brisé le consensus et a conduit la Commission ou la Cour de justice à préciser les limites et le contenu du service public en Europe, en particulier par référence au droit de la concurrence. R. Denoix de Saint-Marc1 souligne que si le droit français est parti de la puissance publique comme garante des solidarités et libertés fondamentales et cherche des accommodements avec le principe de liberté du commerce et de l’industrie, le droit communautaire a adopté une démarche inverse.

La circulaire de février 1989 sur le "renouveau du service public" du Premier ministre M. Rocard s’articule autour de quatre axes : une évolution des politiques publiques, le développement des responsabilités, une gestion plus dynamique des personnels et une amélioration du service rendu aux usagers. Même si les résultats tangibles de cette circulaire semblent limités, elle a contribué à modifier l’état d’esprit dans les rela-tions service "public-usager" et à déculpabiliser les services de l’État ou des collectivi-tés territoriales pionniers dans les méthodes de recherche de la performance. Il en est de même avec la circulaire de juillet 1995 du Premier ministre A. Juppé sur la « ré-forme de l’État et des services publics » qui vise à mieux prendre en compte les be-soins et attentes du citoyen, à réorganiser la prise de décision au sein de l’État en pri-vilégiant la délégation de responsabilité, à modifier les relations sociales à l’intérieur de l’administration. Cette transfiguration du service public "à la française" génère un élargissement des principes. Dans son rapport de 1995, le Conseil d’État ajoute aux principes fondamen-taux précités :

- le principe de neutralité : ce principe était implicite dans l’affirmation du prin-cipe d’égalité mais il est apparu opportun de l’exposer explicitement à un moment où la question de la laïcité s’est posée de façon récurrente ;

1 R. Denoix de Saint-Marc, Le service public (collection rapports officiels), La Documentation française, 1996.

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- le principe de transparence qui remet en cause la "sacro-sainte règle du secret administratif derrière laquelle s’abritait souvent l’administration pour expliquer aux administrés qu’elle faisait leur bonheur presque à leur insu" 1. Il impose aux autori-tés publiques de fournir à tout usager actuel ou potentiel l’ensemble des conditions de délivrance d’une prestation publique mais aussi de justifier les décisions indivi-duelles prises à leur égard et de tenir à disposition les documents permettant d’apprécier les conditions de fonctionnement du service ;

- le principe de participation qui transcende l’objectif d’information en associant plus ou moins étroitement les intéressés à la décision publique. Selon P. Brachet2, il existe un continuum de possibilités qui vont de la simple consultation au partenariat.

Ce changement de paradigme s’est concrétisé au tournant des années 2000 par l’adoption de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF - août 2001) qui a pour ambition de faire passer l’intervention publique d’une logique de moyens à une logique de résultats (d’où la nécessité de définir des objectifs et des indicateurs de mesure des résultats) accompagnée par la mise en place en 2003 d’une "stratégie mi-nistérielle de réformes" (SMR) et d’une revue générale des politiques publiques (RGPP) en 2007. Notons au passage que le basculement vers la logique de résultats nécessite d’identifier des indicateurs de mesure de l’action. Les indicateurs de profitabilité ou de rentabilité sur lesquels se focalisent les acteurs privés n’ont guère de sens dans la production de services non marchands ; le système d’évaluation de l’action publique est fondé sur le couple efficacité – efficience (c’est-à-dire degré d’atteinte des objec-tifs fixés - optimisation du rapport résultats/coûts). On constate que l’évolution récente de la notion de service public permet de donner du sens à la notion de manager public en mettant en exergue la nécessité de ré-pondre à un besoin défini par l’usager (voire le client) pour un agent (ou une catégo-rie d’agents) disposant de responsabilités et de marges de manœuvre tout en respec-tant une contrainte budgétaire. La question posée est de savoir si le cadre statutaire en vigueur pour la fonction pu-blique permet de suivre cette évolution. II. UN STATUT DE LA FONCTION PUBLIQUE QUI DOIT ÊTRE EN ADÉQUA-TION AVEC L’ÉVOLUTION DU CONCEPT DE SERVICE PUBLIC II.1 Les bases du statut de la fonction publique

1 J. F. Lachaume, L’administration communale, LGDJ, 1997 p. 125. 2 P. Brachet, Problématique du partenariat de service public, Politiques et management public, vol. 13 - mars 1995.

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En France, le statut général édicté en octobre 1946 sert toujours de référence à l’ensemble des 5,1 millions de fonctionnaires répartis à hauteur d’environ 50 % dans la fonction publique d’État, 30 % dans la fonction publique territoriale et 20 % dans la fonction publique hospitalière. Les fonctionnaires français représentent 20 % de la population active, taux relative-ment élevé si on le compare au taux constaté dans les principaux pays européens : 18 % au Royaume-Uni, 12 % en Allemagne, en Italie, en Grèce ou au Portugal, 10 % en Espagne. On relève cependant un taux de 26 % aux Pays-Bas ou de 27 % en Fin-lande. La création de ce statut spécifique au sortir de la Seconde guerre mondiale traduit la volonté des gouvernants d’accorder aux agents de l’État la reconnaissance de certains droits (égalité d’accès à l’emploi, garantie de carrière et de retraite, indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, liberté d’opinion et d’exercice du droit syndical) en contre-partie des spécificités d’exercice de missions de service public. Ce cadre statutaire a été remanié à plusieurs reprises, notamment en 1983 et en 1986, mais les caractéristiques structurelles demeurent, à savoir une répartition dans plus de 450 corps (ou cadres d’emploi pour la fonction publique territoriale), eux-mêmes ventilés en plusieurs grades stratifiés en catégories. La catégorie A (29 % des emplois) regroupe les agents d’encadrement, la catégorie B (22 % des emplois) les agents de maîtrise et la catégorie C (49 % des emplois) les agents d’exécution. A chaque grade de chaque corps sont associés : une grille de progression indiciaire, un régime indemnitaire, des prestations accessoires et surtout un corpus de procédures pour faire fonctionner le dispositif ; ces corpus se sont étoffés au fil du temps avec la multiplication des lois, décrets, règlements et surtout des pratiques, adoptés pour ré-pondre à une situation nouvelle ou à un dysfonctionnement local, sans remettre en cause l’architecture du système. Le concours demeure la pierre angulaire de l’entrée dans un des corps de fonction-naires : comme l’a confirmé la loi du 13 juillet 1983, "les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogations prévues par la loi". Ces dérogations ont concerné 5 000 personnes en 2005 sur 67 000 "recrutements" de fonctionnaires : il s’agit essentielle-ment de recrutement direct en catégorie C ou la titularisation de contractuels. Le terme de "recrutement" doit être mis entre guillemets car l’analyse des données1 montrent que sur les 67 000 lauréats de 2005, 34 000 seulement sont des candidats extérieurs à la fonction publique ; en effet, en dehors des lauréats des concours inter-nes qui sont, par définition, agents titulaires dans la fonction publique, une part signi-ficative des reçus aux concours externes le sont également. Il ne s’agit donc pas de recrutement mais de promotion. Par ailleurs, les épreuves des concours privilégient la dimension académique au dé-triment de la dimension professionnelle. Les épreuves d’admissibilité des concours, en particulier de catégorie A, sont essentiellement composées : 1 C. Desforges et J-G. de Chalvron, Rapport de la mission préparatoire au réexamen général du contenu des concours d’accès à la fonction publique de l’État, janvier 2008.

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- d’une composition de "culture générale". Que valide cette épreuve ? Des savoirs académiques et une capacité à poser une problématique, qui caractérisent certes "l’honnête homme", mais sont souvent assez éloignés des compétences nécessaires pour encadrer, voire manager, une équipe ; - d’épreuves de spécialité (composition ou commentaire de textes relevant du droit public, de la science économique, des sciences politiques et administratives, de l’histoire-géographie, problèmes de mathématiques ou de statistiques, version ou thème en langues vivantes) qui permettent de tester la palette de connaissances mais offrent peu d’intérêt du point de vue de l’employabilité.

Les épreuves d’admission sont centrées sur "l’entretien avec le jury", épreuve souvent mal définie (elle est censée tester à la fois des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être), dont la conduite et l’évaluation sont laissées à la libre appréciation du jury, voire, ce qui est plus inquiétant d’un point de vue de l’équité, de l’appréciation de la commission de jury. L’absence fréquente de grille d’évaluation fondée sur les compé-tences attendues de l’impétrant pour exercer la fonction pour laquelle il est recruté conduit la commission à adopter des critères subjectifs dont le premier défaut est de favoriser une reproduction sociale manifeste1. Les modalités des concours de la fonction publique ne correspondent donc pas à un processus de recrutement mais à un processus de sélection. Même s’il existe une grande disparité entre les concours, on note qu’au niveau global, moins d’un candidat sur 10 est reçu aux concours de la fonction publique française. Certes on peut arguer que le recrutement, dans un certain nombre de cas seulement, est suivi d’une période de formation, en particulier pour les fonctionnaires de catégo-rie A. En ce qui concerne la fonction publique d’État, la formation se déroule en école et a pour objectif de délivrer une formation dite professionnelle, sur une durée relative-ment courte de 6 mois à 1 an (complétée par des stages de terrain). Le contenu est plus pointu pour l’École nationale des impôts que pour un IRA2 mais deux objectifs sont repérables dans tous les cas de figure : essayer de donner une culture commune de base à des profils disciplinaires hétérogènes et mettre en place des dispositifs d’évaluation qui aboutissent à un classement à la sortie de la formation. C’est un en-jeu crucial pour les élèves-fonctionnaires car leur première affectation, qui conditionne bien souvent la suite de leur carrière, dépend de ce classement à la fois en termes de localisation géographique et en termes de rattachement ministériel. Sauf cas particu-lier, l’administration ou le service d’accueil du néo-fonctionnaire n’a aucun pouvoir de décision : le poste vacant est pourvu par la personne affectée en fonction de son clas- 1 Au concours des Instituts régionaux d’administration (IRA) 2006, les enfants de fonctionnaires représentent 41 % des admis (rapport Desforges-de Chalvron précité, page 19). 2 Les cinq instituts régionaux d’administration (IRA) recrutent 700 à 800 attachés d’administra-tion par an au concours "généralistes" et seulement quelques dizaines sur des concours à profil (en particulier des informaticiens). D’après le site de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, "les attachés sont chargés de missions variées : gestion des ressources humaines, financières et matérielles, études dans des domaines juridiques, économiques ou so-ciaux, encadrement et animation d’équipes, conduite de projets, etc." ; ils sont susceptibles d’être affectés dans pratiquement tous les ministères.

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sement indépendamment des caractéristiques professionnelles de l’emploi. Dans la fonction publique territoriale, nous sommes plus proches d’un recrutement puisque le lauréat du concours de catégorie A est en principe inscrit sur une liste d’aptitude nationale (attachés territoriaux, administrateurs territoriaux, ingénieurs subdivisionnaires…) et dispose d’un certain délai (un an avec possibilité de renouvel-lement) pour se faire recruter par une collectivité territoriale d’accueil. Les collectivités territoriales établissent des profils de postes qu’elles diffusent dans les bourses d’emploi, par des annonces dans les journaux locaux ou spécialisés (La gazette des communes, La lettre du cadre territorial…), mais elles étudient aussi les candidatures spontanées ou font appel à des cabinets de recrutement ; les lauréats inscrits sur la liste d’aptitude entrent « en concurrence » avec les titulaires qui souhaitent muter et doivent mettre en exergue leurs compétences distinctives par rapport aux exigences de leur futur employeur. Le processus de recrutement passe généralement par une phase de sélection sur dossiers puis par un ou plusieurs entretiens d’embauche. La modalité adoptée dans la fonction publique territoriale a l’avantage de mieux faire coïncider les exigences professionnelles des parties prenantes mais il subsiste un écart significatif entre les aptitudes testées au concours et la demande en termes d’employabilité des collectivités d’accueil. D’autant plus que la formation profession-nelle d’application a lieu, de façon étalée dans le temps, après le recrutement du lau-réat du concours (qui a dans un premier temps le statut de stagiaire). Comme le coût de la formation est imputé à la collectivité qui recrute, cette dernière préfère retenir un candidat qui a déjà un acquis professionnel avéré et est opérationnel immédiate-ment. D’autre part les définitions actuelles des épreuves des concours ont tendance à privi-légier les diplômes les plus élevés, indépendamment de la qualification souhaitée pour le poste. Ainsi, 81% des lauréats des concours de catégorie B en 2005 avait un di-plôme supérieur à celui requis pour passer le concours (baccalauréat) ou seulement 7 % des reçus au concours externe des IRA en 2006 n’avaient que la licence1. Ce phé-nomène est pervers dans la mesure où il bloque de fait le recrutement de candidats qui ont les aptitudes professionnelles attendues pour l’emploi visé mais n’entrent pas dans les schémas académiques du concours ; en outre, il provoque chez les lauréats un sentiment de frustration lié à un classement indiciaire et à l’accomplissement de tâches qu’ils estiment ne pas correspondre à leur cursus et capacités intellectuelles. II.2 La contestation du statut de la fonction publique Ce statut fait l’objet de nombreuses critiques tant de la part des décideurs politiques que des usagers, voire des agents eux-mêmes. Les différentes parties prenantes se plaignent de la lourdeur, de la complexité et de l’opacité du système. Cette dénoncia-tion n’est pas propre au cas français ; dans la plupart des autres pays européens la

1 Rapport Desforges – De Chalvron, précité.

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question est posée depuis deux décennies (voir infra). Au Maroc, un projet de modernisation de l’administration marocaine est lancé depuis quelques années1. Par ailleurs, fin février 2008, les syndicats marocains (FDT, ODT et UMT) ont organisé une manifestation pour appeler à la refonte du statut de la fonc-tion publique marocaine (qui n’a pas évolué depuis 1958). Mohamed Hakech de l’UMT déclare que "le statut général de la fonction publique hérité de la France comporte beaucoup de contradictions et de chevauchements. Il faut se poser la question si on a les mêmes exigences que celles de 1958, en prenant en considération l’évolution éco-nomique, sociale et politique. Le débat doit être lancé pour une refonte totale" 2. La refondation du statut pour introduire plus de flexibilité peut s’opérer de différentes façons. Une première piste conduit à rénover le statut de l’intérieur en fixant de nouvelles rè-gles sans remettre en cause les principes initiaux auxquels les syndicats restent très attachés. La revue générale des politiques publiques (RGPP) lancée après l’élection du président N. Sarkozy en 2007 et l’installation d’un Conseil de la modernisation des po-litiques publiques ont permis de dégager les grands axes de cette refondation :

- passage d’une fonction publique de corps à une fonction publique de métiers ; - prise en compte plus marquée de la performance dans les modalités de détermina-tion de la rémunération des agents ; - mobilité renforcée entre les différentes « cases » où sont rangés les agents ; - révision des modalités de recrutement et de promotion des fonctionnaires avec des objectifs économiques (amélioration de l’efficacité et de l’efficience des procé-dures) et sociaux (accroître la diversification des recrutements).

Une autre piste, qui peut être explorée parallèlement à la précédente, vise à mettre sous tension le système public par l’introduction de la concurrence. D’une part, en au-torisant ou en facilitant le transfert partiel ou total d’activités relevant du secteur pu-blic vers des tiers ; les formules d’impartition se sont considérablement enrichies de-puis une vingtaine d’années :

- la concession, formule qui avait permis à l’Etat depuis l’Ancien régime d’utiliser l’ingéniosité des inventeurs privés et quelquefois leurs capitaux pour créer et exploi-ter des infrastructures publiques, a été déclinée en affermage, régie intéressée, bail emphytéotique, gérance, etc. L’ensemble de ces modalités a été regroupé et orga-nisé sous le vocable de délégation de service public ; - le "faire-faire" a pris de l’ampleur avec la codification récente des procédures de marché public ; - le "faire-avec" a trouvé de nouvelles possibilités d’impartition avec la multiplication des associations, des types d’établissements publics de coopération, les sociétés d’économie mixte, les groupements d’intérêt public, etc.

1 Sous la direction de Ali Sedjari, "Administration, gouvernance et décision publique", L’Harmattan-GRET, 2004. En particulier la troisième partie intitulée "Gouvernance administrative et processus décisionnel dans un contexte de transition" 2 Cité par Sarah Touahri, Maghrebia, Rabat, 27 février 2008

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Le recours à l’externalisation pour la production de services publics locaux ou natio-naux conduit de fait à un allégement de la structure publique concernée ; ce "downsi-zing" facilite la gestion managériale du personnel restant. Mais nous avons pu consta-ter que l’apparition d’une possibilité d’impartition conduisait dans certains cas à lever rapidement des rigidités organisationnelles dans la structure publique1. Une autre forme de mise sous tension de l’organisation publique passe par la recon-naissance des contrats de droit privé pour exercer un emploi dans le cadre de la tu-telle publique. Le président de la République, Nicolas Sarkozy a d’ailleurs souhaité, dans un discours tenu à Nantes le 19 septembre 2007, que "pour certains emplois de la fonction publique, les nouveaux entrants puissent choisir entre le statut de fonc-tionnaire ou un contrat de droit privé négocié de gré à gré". On peut d’ailleurs souligner qu’au niveau européen le statut de droit public tend à s’estomper : l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique ont glissé dans les décennies 80/90 vers un statut mixte entre droit privé et droit public ; l’Italie a instauré en 2003 la soumission des personnels travaillant au service de l’État au droit privé à l’image de ce qui est fait en Suède, en Finlande et aux Pays-Bas. Notons que ces actions endogènes et exogènes ne sont pas mutuellement exclusives ; elles peuvent donner lieu à des complémentarités susceptibles de faire évoluer rapi-dement les caractéristiques de l’emploi public. Dans un dernier point, nous allons essayer de préciser en quoi ou sous quelles condi-tions la mise en œuvre de deux des axes de rénovation précités sont de nature à fa-voriser l’intégration de managers dans la fonction publique : le basculement vers une structuration par métiers et la révision des modalités de recrutement et d’évolution de carrière. III. REFONDATION DU STATUT ET LOGIQUE MANAGÉRIALE III.1 L’introduction d’une approche "métier" Le terme de corps est issu des corporations de métiers qui régissaient la formation et l’organisation du monde du travail sous l’ancien régime2. À partir du milieu du XVIII° siècle, les gouvernants ont repris ce concept pour fonder des écoles destinées à for-mer des professionnels de haut niveau pour piloter et contrôler les projets de la nation dans un domaine bien défini (par exemple l’École des Ponts et Chaussées en 1747,

1 A. Henriet, Le concept d’impartition en management public local, Thèse de sciences de ges-tion, Université Paris X Nanterre. 2 Gilles Jeannot, La progressive émergence de la notion de métier dans la fonction publique d’Etat en France, Revue française d’administration publique n° 116, 2005.

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puis l’École des Mines, etc.). Mais le lien entre le corps et des savoirs ou savoir-faire spécifiés s’est dissous au fil du temps. J-C Thoenig1 souligne que les "grands corps" se sont efforcés d’étendre leurs prérogatives en revendiquant une position de généralistes détachée de leurs objets initiaux ; par effet de mimétisme, les corps subalternes se sont engagés dans la même voie. Comme par ailleurs, la multitude de corps d’exécution centrés sur un sa-voir faire très précis pose des problèmes de gestion, la tendance a été de les regrou-per, gommant plus ou moins leurs spécificités professionnelles. On en est arrivé ainsi à une définition tautologique du corps : "groupe de fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux mêmes grades". La réintroduction de la notion de métier dans la fonction publique française s’est d’abord faite dans la fonction publique hospitalière (FPH) au début des années 90 puis dans la fonction publique territoriale (FPT) quelques années après, probablement parce qu’elles étaient plus jeunes, plus sensibles aux contraintes environnementales et impliquant un nombre de ministères moindres que la fonction publique étatique2. La question de l’approche emétiere dans la FPE n’a été réellement prise en compte qu’à partir des années 2000. Cette approche passe d’abord par l’identification des métiers de la fonction publi-que et la construction d’un répertoire des métiers à l’image de celui qui a été construit pour les activités privées (répertoire ROME). La définition du métier qui a été retenue par les initiateurs (FPH) et qui a été reprise peu ou prou par la FPT et la FPE, est la suivante : ensemble d’activités professionnel-les pour lesquelles il existe une identité ou une forte proximité de compétences. En corollaire, il est précisé que les salariés pratiquant le même métier sont interchangea-bles dans un délai court alors qu’il faut un délai de plusieurs mois, voire de plusieurs années pour passer d’un métier à un autre. Le répertoire présenté en 2006 pour la FPE, appelé RIME (répertoire interministériel des métiers de l’Etat) regroupe plus de 230 fiches de 1 à 2 pages présentant les em-plois-références (par exemple : consul, démineur, directeur de la communication, ges-tionnaire logistique, etc.) couvrant 23 domaines fonctionnels ; elles sont structurées de la façon suivante : définition synthétique de l’emploi-référence, description des ac-tivités principales, savoir-faire et connaissance associées, conditions particulières d’exercice et tendances d’évolution3. Ces descriptions peuvent ensuite être affinées par ministère (en tout cas pour certains métiers) mais la conception a été volontairement interministérielle pour faciliter la mobilité entre ministères. Les fiches métiers des répertoires établis par la FPH et la

1 J-C Thoenig, L’ère des technocrates, L’Harmattan, 1987. 2 Une opération de même nature a été conduite dans un court délai dans les entreprises publi-ques qui ont été privatisées : par exemple France Telecom. 3 Le répertoire peut être consulté sur le site suivant : http://www.fonction-publique.gouv.fr/IMG/rime15_11_06.pdf

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FPT (sous l’égide du CNFPT, voir site) sont plus détaillées mais les modalités de cons-truction sont proches. Ce travail de grande ampleur présente un triple intérêt du point de vue managérial :

- constituer une base d’informations cohérente et intelligible pour savoir ce que font les fonctionnaires, répondant ainsi à la demande des agents et des déci-deurs publics mais aussi le citoyen (application du principe de transparence) ;

- faciliter le recrutement et la formation, en mettant en phase la description des emplois de la fonction publique avec ceux du marché du travail et corollaire-ment les dispositifs de formation (initiale et continue) ;

- initier une démarche de gestion des ressources humaines fondée sur la gestion par les compétences, en particulier pour identifier, idéalement préventi-vement, les compétences "critiques" (celles qui font le plus défaut)1 afin de mettre en place des plans de formation idoines (en mutualisant les moyens disponibles dans plusieurs ministères) ou trouver des ressources externes (soit dans un autre ministère, soit sur le « marché ») ou à l’inverse celles qui se trouvent en excès pour prévoir à temps les reconversions ;

- aider l’agent à se construire un parcours professionnel, en prenant éven-tuellement en compte la validation des acquis de l’expérience.

Remarquons que les compétences sont actuellement décrites en termes de connais-sances et de savoir-faire ; il sera certainement nécessaire d’enrichir la description lorsque les référentiels professionnels européens seront adoptés (EQF) car l’approche est triple : "Knowledge" (connaissances), "Skills" (savoir-faire de spécialité) et "Com-petencies" (capacité à gérer les éléments contingents dans une situation donnée, par exemple être capable de faire preuve de discrétion lorsque la situation l’exige ou de sourire pour ne pas rompre une négociation alors que l’on est en profond désaccord). Une mutation aboutie exige que l’on aille jusqu’au bout de la logique à savoir, fonder la carrière du fonctionnaire sur l’évolution de ses compétences en adéquation avec les besoins de l’employeur d’une part et sur les résultats obtenus dans les missions qui lui sont confiées d’autre part, et non plus seulement sur le diplôme et l’ancienneté. III.2. La révision des modalités de recrutement et d’évolution de carrière Le point de départ consiste à définir une véritable politique de recrutement avec une planification à moyen terme des recrutements tant au niveau quantitatif qu’au niveau qualitatif (profils, compétences attendues)2 et à la faire connaître lar-

1 Plusieurs pays qui ont engagé la même démarche ont plutôt focalisé sur ce point (au détri-ment de l’exhaustivité) : Italie, Belgique, Royaume-Uni, Australie (voir publication de l’Institut de gestion publique et du développement économique n°26 d’avril 2008). 2 Autrement dit, mettre en place une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compéten-ces), voire une GPEEC (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences).

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gement pour que les candidats potentiels puissent être attirés par l’un des nombreux métiers de la fonction publique et puissent se préparer dans de bonnes conditions. Nous avons souligné supra la proportion significative de cadres dans la fonction publi-que : la formation des infirmières ou des médecins, des ingénieurs, des enseignants, etc. s’inscrit dans un cycle minimum de trois ou quatre ans après le baccalauréat mais peut atteindre plus de dix ans dans certains cas ; il est vital que les structures d’orientation et de formation soient informées au plus tôt des infléchissements de la politique de recrutement dans la fonction publique pour adapter leurs dispositifs aux évolutions attendues. Sur le recrutement proprement dit, il serait opportun de :

- dissocier nettement le recrutement de la promotion car ces deux volets de la gestion des ressources humaines obéissent à des logiques nettement différen-ciées ;

- autoriser, voire faciliter, les transferts entre les trois fonctions publiques mais aussi entre la sphère publique et la sphère privée. Quelques disposi-tions anciennes permettent de réaliser un transfert temporaire d’un ministère à un autre ou d’une catégorie de fonction publique à une autre (détachement, mise à disposition) mais elles n’ont pas rencontré un large succès en raison de contraintes pesantes en terme administratif ; des dispositions plus récentes liées à la SMR et à la RGPP introduisent plus de fluidité dans le dispositif. D’autre part la mise en place d’un référentiel métiers est de nature à faciliter l’opérationnalisation de ces échan-ges, y compris du public vers le privé. En ce qui concerne le parcours inverse (recru-tement dans la fonction publique de personnel ayant acquis une expérience signifi-cative dans le privé), il est impératif d’assurer une reconnaissance statutaire du re-cruté en phase avec ses diplômes et son expérience professionnelle : or, dans la si-tuation actuelle, un cadre expérimenté de l’industrie ou des services de 50 ans, lau-réat du concours de l’agrégation, sera classé au 1er échelon comme le lauréat sor-tant d’une maîtrise ou d’un master universitaire ;

- faire évoluer les épreuves des concours ; les épreuves qui visent à évaluer des compétences validées par le diplôme universitaire ou professionnel de l’impétrant peuvent être supprimées ; il en est de même de celles qui cherchent à évaluer des compétences qui ne sont pas exigées pour le métier visé. En revanche, il serait pertinent de diversifier les épreuves de recrutement pour mieux évaluer les compétences S et C précisées supra : l’utilisation d’un QCM (questionnaire à choix multiples) permet de tester, au-delà des savoirs, la capacité de réaction et de maî-trise du temps tout en permettant le traitement d’une grande masse d’information par procédure automatisée ; le QRC (questionnaire à réponse courte) offre la possi-bilité d’évaluer les capacités rédactionnelles et de structuration des idées comme la dissertation tout en permettant de diversifier les sujets. Le cadre idoine pour le test des aptitudes managériales est la mise en situation professionnelle, soit sur la base d’une étude de cas, soit par l’observation d’une expérience in vivo ; à noter cepen-dant que certaines procédures de recrutement de la fonction publique prévoient une phase de stage (et d’évaluation du stage) avant la titularisation définitive ;

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- faire évoluer les modalités d’affectation, à l’image de ce qui se fait pour les cadres territoriaux (cf. point II.1) ou certains corps de la fonction publique d’État (par exemple, les maîtres de conférences). Les personnes lauréates d’un concours national sont placées pendant un temps déterminé (en mois ou en années) sur une liste d’aptitude ; elles doivent, dans le temps imparti, se faire recruter par une entité qui est à la recherche d’un profil correspondant à celui du lauréat. L’avantage de cette modalité, certes plus longue et plus coûteuse que l’affectation par barème, est de mieux satisfaire les parties prenantes en vérifiant une adéquation minimale entre les aptitudes et les centres d’intérêt de l’impétrant et les attentes de l’employeur.

Par ailleurs, la prise en compte récente des acquis de l’expérience élargit la base de recrutement et ouvre de nouvelles possibilités dans la politique de promotion et de gestion des carrières. La procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE), essentiellement issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et des décrets d’application pris en avril de la même année, permet à toute personne, quels que soient son âge, son ni-veau d'études, son statut, de faire valider les acquis de son expérience professionnelle (en tant que salarié ou non) pour obtenir partiellement ou totalement un diplôme, un titre ou un certificat de qualification inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles. Cette disposition atténue la barrière à l’entrée que constitue la dé-tention d’un certificat ou d’un diplôme pour l’accès à un concours ou à un emploi1. On notera que cette évolution amène à analyser les compétences d’un individu, non seulement intrinsèquement, mais aussi à la lumière d’un cadre organisationnel défini, ce qui est une caractéristique fondamentale de l’approche managériale. Les modalités de délivrance des services publics nationaux ou locaux se modifient pro-fondément depuis une vingtaine d’années en France comme dans de nombreux pays développés ou en voie de développement. Le statut des fonctionnaires, construit au sortir de la seconde guerre mondiale et peaufiné dans la seconde moitié du vingtième siècle, en est fortement ébranlé. Les conditions sont en train d’être réunies pour passer d’une logique d’administration des agents publics à une logique de management des ressources humaines et des emplois publics : le pouvoir politique, les usagers, les agents considèrent cette évolu-tion comme inéluctable. Des dispositions législatives et réglementaires sont prises dans ce sens, des outils et des procédures sont déployés, autant d’indices qui tendent à prouver que le manager aura un rôle à jouer dans une fonction publique rénovée (même s’il reste du chemin à parcourir !).

1 Une mesure complémentaire spécifique à la fonction publique a été prise en 2007 au travers de l’adoption de la RAEP (reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle).

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LE MANAGER PUBLIC AUX PRISES AVEC LE STATUT GÉNÉRAL DE LA FONCTION PUBLIQUE

Khalid BEN OSMANE Directeur de EFORH Consulting, professeur ENA et ISA. Peut-on parler de management dans le secteur public ? Si l’on se réfère à Henri Fayol, souvent considéré comme le pionnier du management moderne, la fonction d’administration dans les organisations est bien proche de celle du management ac-tuel. En effet, administrer, manager en terme d’aujourd’hui, signifie pour lui : planifier, organiser, commander (mobiliser), coordonner et contrôler (évaluer). Si le vocabulaire a changé, il n’en reste pas moins que ces principes restent encore d’actualité. Toutes les organisations ont besoin d’actions de planification, d’organisation, de commandement, de coordination et de contrôle. Par ailleurs, si on considère que le management est un ensemble de processus transversaux, alors toutes les formes d’organisation ont recours au management. Le secteur public aussi, puisqu’il agit sur des processus complexes intégrant plusieurs composantes et stratégies de l’État. Un environnement difficile pour le manager public Il faut d’abord souligner que le management dans le secteur public revêt certaines particularités :

- Les processus administratifs s’exercent dans un contexte spécifique pris dans un arsenal juridique et institutionnel. La proximité de l’acteur politique, propre au sec-teur public, conduit à ce que l’action publique soit encadrée par un foisonnement de dispositifs juridiques et réglementaires. - Les agents du secteur public peinent par des contraintes de temps souvent contradictoires. Le temps long de l’action publique ne permet pas d’avoir une visibi-lité sur les actions engagées ni de disposer des moyens pour réagir aux injonctions d’immédiateté.

- Le manager public jouit d’une légitimité institutionnelle conséquente à sa nomi-nation. Il tire sa source de pouvoir de bases légales et juridiques. De même que ses sources d’action résident principalement dans l’organisation hiérarchique et les stratégies définies précédemment dont il est le relais désigné. Son action se fonde donc sur le respect des normes et des procédures.

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Des contraintes liées à la gestion administrative du personnel (GAP) Dans ce contexte, l’action du manager public, se trouve cantonnée à une dimension sociotechnique, c’est-à-dire à l’interaction des hommes et des moyens, souvent bien loin des logiques d’économie et d’optimisation de moyens. En matière de ressources humaines, le manager public se trouve bien en difficulté de management. Il agit dans un environnement administratif, or cet environnement obéit à une logique de grade et donc de carrière qui ne lui permet aucune souplesse ni flexibilité. Le manager public n'a pas une totale emprise sur le personnel de l'administration pu-blique. Par exemple, devant la difficulté de recourir avec flexibilité au marché externe de l’emploi, comment peut-il disposer des compétences dont il a besoin et mobiliser ses collaborateurs, alors que le personnel obéit à un régime de gestion administrative du personnel ? Les vicissitudes de la gestion administrative du personnel Le statut général de la fonction publique établit les fondements de la gestion des res-sources humaines de l’État. Après cinquante ans d’existence, le statut général de la fonction publique a subi une douzaine de modifications et réformes en vue de moder-niser l’administration publique et améliorer son fonctionnement. Nous pouvons citer les dispositions relatives à la formation, à la notation du person-nel, au redéploiement et harmonisation de la durée du congé de maternité avec le code du travail et les conventions internationales, à la réglementation de la mise à disposition syndicale, etc. Parallèlement à ces modifications sporadiques, un nouveau projet de loi visant la ré-forme du Statut général de la Fonction Publique a été validé dernièrement par la chambre des représentants, il est actuellement déposé à la deuxième chambre du parlement. Il vise, entre autres, l’instauration d’un référentiel des emplois et des compétences, la mise en œuvre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et l’amélioration de plusieurs volets touchant la gestion des ressources humaines tels l’évaluation du personnel, la formation continue, les mouvements du personnel, etc. Toutefois, malgré cela, l’administration publique souffre toujours de maints problèmes et dysfonctionnements et reste sujette à de nombreuses critiques tant de la part des fonctionnaires eux-mêmes, que de la part des chercheurs et universitaires s’intéressant à cette question voire de tous les citoyens marocains. Des critiques tou-chant, entre autres, à sa gestion, à son fonctionnement, à son rendement, etc. Le présent papier se veut une lecture critique du statut général de la fonction publi-que au Maroc depuis son existence. L’analyse se fera à travers une approche de ges-tion, tout en mettant l’accent sur la gestion des ressources humaines. Le but étant de

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voir si le Statut Général de la Fonction Publique répond aux exigences de l’administra-tion et aux aspirations du personnel. Il s’agira aussi de présenter des indices pouvant améliorer le rendement de l’administration publique au Maroc et favorisant l’augmentation de son efficacité. L’analyse du statut général de la fonction publique fait ressortir deux constats ma-jeurs. D’abord, il établit une organisation fondée sur une logique de carrière et non pas une logique d’emploi (I), ensuite il favorise un fonctionnement reposant sur une pure gestion administrative du personnel, en discordance avec la logique de gestion des ressources humaines (II). I. LE STATUT GÉNÉRAL A ÉTABLI UNE ORGANISATION FONDÉE SUR LA LO-GIQUE DE LA CARRIÈRE I.1. Une structure formée de corps, cadres et grades La lecture du Statut général de la fonction publique, depuis sa promulgation en 1958, montre qu’il a établi dès le départ une structure formée de corps, cadres et grades (voir figure 1). Le corps étant défini par l’existence d'un statut particulier qui précise ses règles de gestion : fonctions, recrutement, etc. Le cadre, quant à lui, est constitué de l’ensemble des emplois soumis aux mêmes conditions de recrutement et de carrière par le statut particulier. Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui correspondent.

Figure 1 : Structure d’organisation des Corps, Cadres et Grades.

Source : Nomenclature des types de postes budgétaires Le schéma ci-dessus montre l’existence d’une architecture constituée de corps, cadres et grades. Toutefois, nous relevons l’existence de :

- structures avec des corps ayant des cadres, puis des grades ;

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- structures avec des corps sans cadres directement liés aux grades ; - structures avec des cadres et des grades, mais sans corps ; - structures avec uniquement des grades, sans ni corps, ni cadres.

À l'intérieur de chaque cadre peuvent exister divers grades : ils ont une qualification, une rémunération et une carrière différente et correspondent à des fonctions différen-tes. Par exemple : le cadre sans corps des administrateurs adjoints qui comprend le seul grade d’administrateur adjoint et le cadre sans corps des administrateurs qui comprend deux grades : administrateur et administrateur principal. Certains corps peuvent ne pas avoir de cadres avec un ou plusieurs grades. Par exemple : le corps de l’inspection générale des finances comprend trois grades mais pas de cadres. Le Corps Interministériel des Ingénieurs et des Architectes contient plusieurs cadres avec un nombre de grades variant entre un et deux. Une telle structure est très incohérente et présente un champ fertile à l’existence et au développement de plusieurs dysfonctionnements. Nous pouvons citer trois anoma-lies majeures : d’abord, l’accès à un grade se fait sur la base du titre et correspond à un niveau de recrutement ; ensuite le traitement et la carrière d'un fonctionnaire ne dépendent pas de l'emploi qu'il occupe mais de son grade et de son niveau de recru-tement. Autrement dit, un fonctionnaire n’est pas recruté pour réaliser un travail déterminé ou occuper un emploi précis, mais plutôt pour se situer dans une position, c’est à dire un grade ; enfin s’est installée une logique de carrière détachée complètement de l’emploi, axée sur des échelles et des échelons. Un tel système a de nombreuses conséquences négatives :

- un cloisonnement de tous les fonctionnaires dans une même grille établie par le Statut ; - une mobilité d’un statut à un autre très difficile voire impossible. Ceci émane de la multitude de statuts particuliers dont le nombre a atteint 68 statuts, et plus de 530 cadres et grades ;

- une évolution de carrière aléatoire et linéaire, ne permettant que l’évolution d’échelle à échelle ou de grade à grade ou à la rigueur une évolution dans la struc-ture hiérarchique. Cette dernière, grâce à la promotion, reste le seul moyen d’évolution réelle dans le parcours de carrière. C’est ce qui explique la bousculade des cadres pour l’accession aux postes de responsabilité.

- une perte de vue de l’emploi et donc des objectifs. @ l’exception de quelques cas particuliers, rares sont les fonctionnaires qui connaissent dès leur embauche la fonction pour laquelle l’administration les a-t-elle recrutés. Le recrutement ne se fo-calise donc pas sur l’emploi, ce qui cause dans certains cas des situations où l’on perd les objectifs de l’emploi.

- une inadéquation Poste/Profil et une perte de compétences. À force de ne pas oc-cuper l’emploi auquel il aurait dû être destiné, le fonctionnaire finit par perdre ses compétences ce qui crée un problème d’inadéquation Poste/Profil.

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- une motivation liée à la rémunération. À l’exception des avantages pécuniaires, nous relevons une absence totale de tout autre facteur de motivation du personnel de l’administration publique.

- une escalade des salaires. L’étude du cycle d’augmentation des traitements dans l’administration publique (médecins, enseignants, ingénieurs, administrateurs, ar-chitectes, etc.) montre que celui-ci varie dans la plupart des cas de dix à douze ans. Tout corps pourra donc facilement connaître avec plus ou moins de précision quand pourra-t-il prétendre à une augmentation.

I.2. Une logique de carrière et non d’emploi. Nous pouvons en conclure que le Statut général de la fonction publique obéit à une logique de carrière, non pas d’emploi. Cette logique de carrière est caractérisée par :

- une conception budgétaire du poste. Ainsi, lorsque le fonctionnaire occupe un poste, il s’agit d’un poste budgétaire et pas de poste au sens de la gestion des res-sources humaines qui est un ensemble d’activités et de tâches;

- une conception statutaire illustrée par la notion de grade qui caractérise un indivi-du et qui lui est attribuée. Chaque fonctionnaire dispose d’une situation statutaire. - une conception purement corporatiste. Des rivalités par rapport au statut et ses conséquences sont nées du fait du développement d’un corporatisme à l’intérieur de l’administration publique (corps des ingénieurs, corps des architectes, corps des magistrats, etc.). Il serait plus raisonnable et opportun de raisonner en termes de métiers.

- une absence d’analyse, de description et d’évaluation des emplois. Ce n’est que dernièrement que les ministères se sont lancés dans des processus d’établissement de référentiels d’emploi et de compétences. Ce retard se trouve justifié du fait que l’administration publique marocaine n’avait pas besoin d’outils méthodologiques pour la formation ou la notation par exemple, vu que la formation était presque inexistante et que la notation reposait sur des critères très subjectifs, au moment où elle devait reposer sur le mérite et le travail ; - une base de la rémunération déterminée par la situation statutaire, ne tenant presque pas compte du mérite et de la compétence. Résultat inéluctable des carac-téristiques précédentes.

À l’opposé, la logique de l’emploi est caractérisée par :

- une conception "activités et tâches" du poste où la réflexion ne repose pas sur le poste budgétisé mais se fait plutôt en termes de poste constitutif d’un ensemble de tâches ou d’activités ; - une conception d’organisation des activités et emplois se détachant des person-nes qui les occupent ;

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- une réflexion en termes de métier et donc de compétences et d’habilité à occuper un poste, pas en termes de situation dans un statut ; - une base de rémunération qui repose donc sur les emplois et les compétences.

L’adoption d’une logique d’emploi, évitant d’attribuer une rémunération se focalisant sur le statut avec toutes les conséquences négatives corporatistes qu’elle induit, ne fe-rait que développer la manière dont l’administration marocaine rend le service public. Le raisonnement en fonction dans une logique de métiers s’insérant dans des familles professionnelles (voir figure 2), ne va que développer le professionnalisme de l’administration publique marocaine.

Figure 2 : Ensemble des situations de travail

I.3. Les réformes engagées. Certes, un remaniement du statut général de la fonction publique marocaine a été lancé. Il concerne divers aspects que nous avons déjà cités ci-dessus. Cependant, quel que soit le nombre de modifications envisagées, l’esprit statutaire et clairsemé reste prédominant. Dans la lignée de cela, une question se pose : pourquoi ne pas engager aussi une ré-forme totale de tout le statut général de la fonction publique, sans pour autant balan-cer vers l’extrémité ? La réflexion devrait s’opérer vers le passage d’un statut caractérisé par un fonction-nement reposant sur une pure gestion administrative du personnel, vers un statut se fondant sur une logique de gestion des ressources humaines. II. LE STATUT GÉNÉRAL FAVORISE UN FONCTIONNEMENT REPOSANT SUR UNE PURE GESTION ADMINISTRATIVE DU PERSONNEL.

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II.1. Une logique de gestion administrative du personnel, au détriment d'une GRH Le caractère corporatiste de l’organisation statutaire a produit un fonctionnement re-posant sur la logique de la gestion administrative du personnel, au moment où elle doit être axée sur la gestion des ressources humaines. Essayons de voir comment s’articule cette gestion. D’abord, dans chacune des composantes de la gestion du personnel, nous trouvons une vision cloisonnée et fragmentaire des composantes de la GRH : le recrutement entraîne une situation sur la grille indiciaire, la notation a une influence sur la grille in-diciaire et tout a une incidence sur la rémunération. Par contre, la formation la promo-tion et la mutation évoluent de manière indépendante (voir figure 3).

Figure 3 : Approche de la gestion administrative du personnel

II.2. La logique de la gestion administrative du personnel (GAP) L’approche basée sur la gestion administrative du personnel a de nombreuses consé-quences négatives, non seulement sur les différentes composantes de la GRH dans leur globalité, mais aussi au niveau de chaque composante. Ainsi, la vision des com-posantes des RH se trouve fragmentée et cloisonnée. Prenons, par exemple, la formation. À moins qu’elle ne soit guidée par une motivation purement personnelle, le fonctionnaire peut poursuivre maintes cessions de formation sans que cela ne se traduise par des gains perceptibles au niveau de son évolution de carrière. En outre, la vision de chaque composante est devenue étroite :

- le recrutement est purement juridique, établi selon des règles de la loi, les be-

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soins réels de l’administration ne priment pas toujours ; - la formation répond à des besoins spécifiques, sporadiques d’autant plus qu’on ne lui accorde pas les ressources nécessaires ;

- la notation et l’évaluation restent - malgré les réformes - entachée par des subjec-tivités ;

- la mobilité en termes de mutation a une connotation négative. Elle est souvent considérée comme une sanction, chose qui ne favorise pas la création de synergie et la modernisation dont l’administration a besoin.

Logiquement, cette gestion administrative du personnel empêche toute velléité de dy-namisation, rendant le développent des compétences et la mise en place des systè-mes de mérite extrêmement difficiles. L’évolution des carrières est donc soit basculée vers le grade, soit vers la hiérarchie. Quant à la mobilité géographique professionnelle, qui est aussi difficilement réalisable, elle empêche le développement de la profession dans le cadre du métier. Le passage d’une gestion administrative à une gestion des ressources humaines d’avère donc in-dispensable. II.3. La logique gestion des ressources humaines (GRH) La GRH repose sur une approche systémique. C'est-à-dire une interaction entre les différentes composantes (voir figure 4)

Figure 4 : Approche de la GRH

Le schéma ci-dessus montre que l’approche GRH s’articule autour des mêmes compo-santes que celle de la gestion administrative du personnel, mais en l’absence des dys-fonctionnements de cette dernière.

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Ainsi, contrairement à la gestion administrative actuelle, favorisée par le Sta-tut général, l’approche GRH comporte :

- un système d’arrimage entre chacune des composantes : on se forme pour une finalité qui peut être pouvoir être promu, être mieux rétribué (la formation, comme le recrutement et la mobilité servent de base de recrutement). - le recrutement, la formation et la mobilité, l’évaluation ainsi que les autres com-posantes de la gestion du personnel sont pris dans leur sens large. L’évaluation prend en considération toute la contribution du salarié, et non pas de l’évaluation dans son sens notation pour gagner en échelon ou en échelle, récompensant ainsi le mérite. La mobilité, quant à elle, est prise dans une appréhension plus large et n’a pas une connotation péjorative. Elle se veut une mobilité de développement professionnel, et n’a pas comme objectif la sanction. - au lieu d’avoir une grille indiciaire, l’approche GRH s’assoie sur une évaluation et une classification des emplois. L’évaluation à son tour repose sur une analyse des emplois, grâce à des outils dont le plus important est le référentiel des emplois et des compétences (voir figure 5).

Figure 5 : les fondement de la GRH

Le référentiel des emplois et des compétences n’est donc que la face visible de l’iceberg. Derrière, il y a tout un processus d’analyse des emplois. Cette analyse prend comme point de départ une analyse de l’organisation en définis-sant d’abord ses missions, en cherchant ensuite comment les atteindre avant de les décliner en fonctions. Une dernière étape consisterait à décliner les fonctions en emplois et postes couvrant l’ensemble des activités. Une fois les emplois sont déterminés, vient l’étape de défini-tion des compétences en matière de "savoir", "savoir-faire" et "savoir-être", en déter-minant aussi les savoirs spécifiques à chaque emploi. Ce processus ramène enfin vers une évaluation des emplois pour les mesurer les uns

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par rapport aux autres, ce qui conduirait à une nouvelle classification des emplois sur la base du professionnalisme, et non pas sur la base du corporatisme ou de la situa-tion statutaire. CONCLUSION En guise de conclusion, le projet de réaménagement du Statut général de la fonction publique gagnerait à s’engager plus résolument vers une refonte du système de ré-glementation et de gestion du personnel de l’État. Il gagnerait à être établi sur une structure s’articulant autour du processus analyse, évaluation et classification des em-plois. Il gagnerait aussi en s’articulant dans sa structure sur des fondements systémi-ques pour créer un édifice plus cohérent. Au niveau de son fonctionnement, la réforme devra se traduire par une refonte glo-bale du système de gestion du personnel en favorisant l’arrimage des différents sous-systèmes de gestion des ressources humaines : un recrutement à partir de l’évaluation des emplois et des exigences (et non pas à partir d’une exigence statu-taire), une évaluation du rendement (et non pas du comportement, pour dépasser la subjectivité), une formation entretenue et basée sur l’ingénierie de formation, favori-sant les parcours de carrière. Une fois ces ingrédients réunis, la promotion pourra s'inscrire dans une conception beaucoup plus large que le simple fait de grimper les échelles et les postes hiérarchi-ques. Elle s’articulera beaucoup plus sur des itinéraires de carrière reposant sur la compétence et évoluant dans les métiers et les familles professionnelles. La mobilité, à son tour, sera axée sur la contractualisation et posera comme règle le développe-ment des compétences. Enfin, la rémunération rétribuera la nature des emplois, les contributions et, donc, favorisera l’équité.

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LE RÔLE DE L’ENCADREMENT INTERMÉDIAIRE DANS LA MOBILISATION DES RESSOURCES HUMAINES

DANS L’ADMINISTRATION PUBLIQUE Hassan CHRAÏBI Consultant et enseignant universitaire Ces dernières années, le concept de mobilisation a eu un succès considérable, à la fois auprès des managers qu’auprès des chercheurs en gestion des ressources humaines. Un succès qui s’explique en grande partie par la perspective d’un nouveau concept qui pourrait constituer un dépassement aux concepts voisins de motivation, d’implication et d’engagement et qui ne semblent pas suffisamment convaincre au-delà de la sphère académique. Dans l’administration publique en particulier, ces concepts paraissent à la fois frus-trants et impertinents au regard des contraintes statutaires et du mode de gestion col-lective et impersonnel des ressources humaines. Cependant, la construction du concept de mobilisation comme alternative méthodologique reste à l’ordre du jour. En effet, depuis l’article pionnier de T. Wils et Alii1, il nous semble que la communauté des chercheurs en gestion des ressources humaines a trop rapidement accepté le concept, tel que défini et a cherché à imposer son universalité. De nombreux travaux se sont lancés, depuis dans la mesure des comportements mo-bilisés, dans la démonstration des corrélations entre la mobilisation du personnel et la performance des organisations, etc. Nous n’avons pas choisi une telle posture. Recon-naissant la spécificité du contexte de l’administration publique, nous nous sommes engagés dans une tentative de refonte du concept de mobilisation. C’est donc une nouvelle grille de lecture et de décodage de la mobilisation des res-sources humaines que nous présentons en premier (section 1). Puis, en lien avec le thème de ce colloque, nous allons essayer de vous démontrer les logiques de mobilisation des ressources humaines dans l’administration publique et la place qu’y occupe l’encadrement intermédiaire. Et ce en deux temps : l’identification des profils motivationnels de l’administration publique (section 2), puis la mobilisation de ces profils motivationnels par l’encadrement intermédiaire (section 3)

1 M. Wils, T. Labelle, C. Guérin, G. et Tremblay, Qu’est ce que la mobilisation des employés ?, Gestion, volume 23, n° 2, 1998, été, pp 30 à 39.

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I. POUR UN NOUVEAU MODÈLE DE LA MOBILISATION DES RESSOURCES HUMAINES Telle qu’elle apparaît dans la définition de Wils et Alii1, la mobilisation est une arbores-cence de concepts reliés par des liens de conditionnement :

- le comportement mobilisé, défini comme un état individuel ou collectif, où le tra-vail est caractérisé par l’amélioration continue de la qualité, l’alignement stratégique sur les priorités de l’Organisation et la spontanéité de l’effort de coordination. Ce comportement est conditionné par l’engagement à la mobilisation. - l’engagement à la mobilisation : un état d’esprit chez l’individu où interagissent tous les mécanismes situationnels et affectifs qui le mènent au comportement mobi-lisé de manière discrétionnaire. Il peut prendre la forme d’un engagement au sens d’une implication intrinsèque, d’un engagement au sens de transaction ou d’un en-gagement au sens contraignant. Cet engagement à la mobilisation est à son tour conditionné, au moins en partie, par la motivation à se mobiliser. - la motivation à se mobiliser : définie comme la réaction affective (en terme de sa-tisfaction ou d’insatisfaction) de l’individu ou du groupe par rapport aux mécanismes et pratiques de mobilisation et de gestion des ressources humaines dans l’organi-sation.

(voir tableau, page suivante)

1 Depuis cette date la définition de T. Wils semble avoir évoluée. La mobilisation se définit selon lui davantage comme un continuum de stades de motivation. Cf. M. Tremblay et T. Wils,La mobilisation des ressources humaines : une stratégie de rassem-blement des énergies de chacun pour le bien de tous, in Gestion, Volume 30, n° 2, été 2005, pp. 37 à 49.

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Travail de qualité

Travail avec valeur ajoutée

Travaild’équipe

Le comportement mobilisé

L’engagement à la mobilisation

L’engagement au sens d’implication intrinsèque

L’engagement au sens d’échange

L’engagement au sens de contrainte

Engagement dans le travail

Engagement stratégique

Engagementcollectif

Lienaffectif

La motivation à se mobiliser

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Donner des raisons et offrir des possibilitésd’améliorer la qualité

de son travail

Donner des raisons etoffrir des

possibilités des’aligner sur les priorités

Donner des raisons et offrir

despossibilités de se coordonneret de coopérer

Ne pas hésiter à donner de

la reconnaissanceet des

gratifications

Travail de qualité

Travail avec valeur ajoutée

Travaild’équipe

Travail de qualité

Travail avec valeur ajoutée

Travaild’équipe

Le comportement mobilisé

L’engagement à la mobilisation

L’engagement au sens d’implication intrinsèque

L’engagement au sens d’échange

L’engagement au sens de contrainte

Engagement dans le travail

Engagement stratégique

Engagementcollectif

Lienaffectif

Engagement dans le travail

Engagement stratégique

Engagementcollectif

Lienaffectif

La motivation à se mobiliser

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Donner des raisons et offrir des possibilitésd’améliorer la qualité

de son travail

Donner des raisons etoffrir des

possibilités des’aligner sur les priorités

Donner des raisons et offrir

despossibilités de se coordonneret de coopérer

Ne pas hésiter à donner de

la reconnaissanceet des

gratifications

Donner des raisons et offrir des possibilitésd’améliorer la qualité

de son travail

Donner des raisons etoffrir des

possibilités des’aligner sur les priorités

Donner des raisons et offrir

despossibilités de se coordonneret de coopérer

Ne pas hésiter à donner de

la reconnaissanceet des

gratifications

Figure 6 : l’arborescence des concepts de mobilisation

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Pour dépasser la construction analytique qui caractérise l’arborescence du concept de la mobilisation, nous nous basons sur le systémisme qui démontre que les relations qui unissent des parties pour former un tout ont autant d’importance sur le compor-tement du tout que leur composition1. Ainsi, une modélisation systémique de la mobi-lisation ne peut se suffire d’une interprétation positiviste de ses facteurs (du type : la satisfaction est un facteur de mobilisation), mais comprend au contraire certaines in-déterminations liées aux relations circulaires (les pratiques de mobilisation aurait un impact sur la satisfaction qui, à son tour, conditionne ces pratiques) et aux phénomè-nes sociologiques (le pouvoir notamment comme étant essence et objet des interac-tions et des jeux d’acteurs). Dans l’administration publique en particulier, l’approche systémique s’impose pour au moins trois raisons :

- elle permet d’abord de tenir compte des spécificités du contexte : ses contraintes statutaires, ses ressources réglementaires et surtout ses profils motivationnels qui sont le plus souvent subies compte tenu de décisions subies par le management en matière de gestion de carrières, de rémunération, etc. La motivation à la mobilisa-tion n’est ainsi pas considérée comme une composante de la mobilisation mais comme une ressource, un facteur de conditionnement. - elle rend compte de la complexité des rapports entre les composants de l’organisation. Dans une démarche qui se veut explicative, et non prescriptive, la mobilisation apparaît comme des constructions sociales non totalement prédictibles, parce qu’il existe toujours des zones d’incertitude et une marge de liberté pour les acteurs du système2. Cette non prédictibilité a nécessairement un impact sur les ré-sultats du système qui se manifeste par des "effets pervers" 3. - elle admet le postulat de base selon lequel les relations d’engagement à la mobili-sation (comme une variante, un type des relations d’engagement) se forment, s’entretiennent et évoluent autour du concept de pouvoir4.

Ainsi, l’approche systémique permet d'étudier la mobilisation dans le cadre de sa complexité organisationnelle. Dans cette logique, elle n'est plus considérée comme un ensemble de relations linéaires, mais comme un réseau de facteurs agissant en inte-ractivité. Dans le cas de l’administration publique, nous définissons le système de mobilisation comme un système social constitué d’une structure sociale5 et animé par des prati-

1 B. Lussato, Introduction critique aux théories d’organisation, Paris, Dunod, 1992. 2 M. Crozier et E. Fridberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Éditions du seuil, Paris, 1977. 3 Idem. 4 A. Etzioni, L’analyse des organisations, Duculot, Bruxelles, 1971. 5 A. Giddens, La constitution de la société : éléments de la théorie de la structuration, Paris, Presses universitaires de France, 1987. Édition originale en langue anglaise : The constitution of society : outline of the theory of struc-turation, Berkeley, University of California Press, 1984.

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ques sociales : - la structure sociale renvoie aux ressources du contexte du système de mobilisa-tion. La première de ces ressources est la motivation des acteurs à la mobilisation (responsables hiérarchiques et "sujets" de la mobilisation notamment). La seconde renvoie aux règles structurantes du système qui, dans le cas de l’administration pu-blique, fait référence aux lois, aux statuts, aux procédures et autres référentiels plus ou moins formels de l’organisation. - les pratiques sociales se définissent, d’une part, par les jeux d’influences récipro-ques entre acteurs (notamment les responsables hiérarchiques et leurs collabora-teurs) dans le cadre d’une dynamique d’engagement à la mobilisation ; et d’autre part, par leurs effets rétroactifs sur les comportements organisationnels, que ces derniers soient définis comme des comportements mobilisés ou comme des compor-tements dysfonctionnels.

(voir schéma page suivante)

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JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Système de mobilisation

Acteur Acteur

Acteur

Acteur

Interactions d’influence mutuelle dans des relations

d’engagement à la mobilisation

Les comportements mobilisés

Travail d’équipe

Travail de qualité

Travail à valeur ajoutée

Contexte Système de transformation Outputs

Les comportements dysfonctionnels

Absentéisme

Non qualité

Effets de rétroaction

Pouvoir

Pouvoir

Pouvoir

Pouvoir

La motivation à la mobilisation

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Les règles structurantes et leur interprétation

L’organisation

Les lois, statuts …

Les procédures, descriptions de

postes …

Structure sociale Pratiques sociales

Système de mobilisation

Acteur Acteur

Acteur

Acteur

Interactions d’influence mutuelle dans des relations

d’engagement à la mobilisation

Les comportements mobilisés

Travail d’équipe

Travail de qualité

Travail à valeur ajoutée

Contexte Système de transformation Outputs

Les comportements dysfonctionnels

Absentéisme

Non qualité

Effets de rétroaction

Pouvoir

Pouvoir

Pouvoir

Pouvoir

La motivation à la mobilisation

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Les règles structurantes et leur interprétation

L’organisation

Les lois, statuts …

Les procédures, descriptions de

postes …

La motivation à la mobilisation

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Les règles structurantes et leur interprétation

L’organisation

Les lois, statuts …

Les procédures, descriptions de

postes …

La motivation à la mobilisation

La satisfaction

La non insatisfaction

L’équité organisationnelle

Les règles structurantes et leur interprétation

L’organisation

Les lois, statuts …

Les procédures, descriptions de

postes …

Structure sociale Pratiques sociales

Figure 7 : modèle de la mobilisation du personnel dans l’administration publique

Dans cet article, nous ferons l’économie de la présentation des règles structurantes de la mobilisation dans l’administration publique. Le lecteur intéressé, peut se référer à notre travail de thèse sur ce sujet1. II. LES PROFILS MOTIVATIONNELS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE Suite à une étude quantitative sur un échantillon de 1145 fonctionnaires d’une admi-nistration publique, nous avons identifié les profils motivationnels chez les collabora-teurs et chez les responsables hiérarchiques. II.1. Les profils motivationnels des collaborateurs Nous avons identifié 4 profils motivationnels chez les collaborateurs

- la première classe est formée de fonctionnaires peu satisfaits des avantages qu’ils ont tirés du système de gestion des ressources humaines et qui ressentent en

1 H. Chraïbi, "La mobilisation des ressources humaines dans l’administration publique maro-caine : une approche systèmique – Étude de cas de la trésorerie générale du royaume", thèse sous l’encadrement de A. Louitri, Université Cadi Ayad, Marrakech, 2005.

Page 121: Former Des Managers, Une Utopie

121

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

même temps un pessimisme affirmé vis-à-vis de leurs perspectives de carrière. Nous les appelons : les désillusionnés du système. - la deuxième classe est constituée de fonctionnaires non satisfaits des avantages ti-rés du système de gestion des ressources humaines de leur institution, mais qui gardent un minimum d’espoir vis-à-vis de leurs perspectives de carrières. Nous les qualifions d’expectatifs protestataires. - la troisième classe compte des fonctionnaires peu satisfaits des avantages tirés du système de gestion des ressources humaines de la TGR et moyennement optimistes par rapport à leurs perspectives de carrières. Nous les désignons comme des ex-pectatifs indifférents. - la quatrième classe est formée de fonctionnaires très satisfaits des avantages du système, mais peu optimistes par rapport à leurs perspectives de carrières. Nous les appelons : les expectatifs attachés au système.

Fonctions discriminantes canoniques

Avantages tirés du système

86420-2-4-6-8

Pes

sim

ism

e pa

r ra

ppor

t aux

per

spec

tives

de

carr

ière

s

6

4

2

0

-2

-4

-6

Classe d'affectation

Barycentres

Observations non cla

ssées

4

3

2

1

43

2

1

Fonctions discriminantes canoniques

Avantages tirés du système

86420-2-4-6-8

Pes

sim

ism

e pa

r ra

ppor

t aux

per

spec

tives

de

carr

ière

s

6

4

2

0

-2

-4

-6

Classe d'affectation

Barycentres

Observations non cla

ssées

4

3

2

1

43

2

1

Figure 8 : Les 4 profils motivationnels des fonctionnaires/collaborateurs

de l’administration publique

Page 122: Former Des Managers, Une Utopie

122

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

II.1.A. Les désillusionnés du système

Il s’agit de fonctionnaires peu satisfaits des avantages offerts par la TGR en matière de gestion des ressources humaines et qui ne perçoivent pas de perspectives positives de carrière. Ce qui caractérise cette catégorie du personnel, c’est la propension importante des agents anciens : plus de 50,2 % ont plus de 21 ans d’ancienneté. Une caractéristique qui démontre la faillite du modèle de la fonction publique basée sur la carrière à l’ancienneté.

Ancienneté

11 4,9 5,0 5,0

18 8,1 8,2 13,2

20 9,0 9,1 22,4

31 13,9 14,2 36,5

29 13,0 13,2 49,8

110 49,3 50,2 100,0

219 98,2 100,0

4 1,8

223 100,0

1 - 3 ans

4 - 5 ans

6 - 10 ans

11 - 15 ans

16 - 20 ans

21 ans et +

Total

Valide

Système manquantManquante

Total

Fréquence Pour centPourcentage

validePourcentage

cumulé

Tableau 1 : Répartition de la population des désillusionnés du système par ancienneté

Les raisons de cette faillite sont à rechercher d’abord dans le passé, une certaine poli-tique inadéquate de l’emploi dans l’administration publique fait qu’aujourd’hui, elle hé-rite d’une situation où une importante partie de son personnel est affectée à des fonc-tions en dehors du cœur du métier de l’institution. En effet, 57,4 % des désillusionnés sont dans des fonctions "annexes"1 de l’organisation et doivent se résigner à travailler dans une structure qui ne leur offre que peu d’avantages et pratiquement aucune perspective réelle de carrière. Un autre fait saillant, est la propension importante (18,2 %) de jeunes avec une an-cienneté inférieure à 5 ans. Une situation qui peut s’expliquer doublement :

- d’abord, la conjoncture défavorable du marché de l’emploi et le taux de chômage important, obligent les jeunes à accepter d’intégrer des structures vis-à-vis des quelles ils n’attendent aucune perspective (ou devons-nous dire illusion) de déve-loppement. - ensuite, nous pouvons aussi supposer un attachement de ces jeunes à la culture non marchande de la fonction publique et qui leur fait supporter une situation pour-tant frustrante, quitte à refuser des situations plus favorables dans le secteur privé.

1 P. Louart, La GRH à l'heure des segmentations et des particularismes, RFG, Mars-Avril-Mai, Paris, 1994.

Page 123: Former Des Managers, Une Utopie

123

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Enfin, une partie importante de cette population est formée d’agents de maîtrise (48,9%). Une situation qui s’explique aussi par le verrouillage dans la fonction publi-que de la promotion interne qui va dans le sens de l’accès de cette catégorie au grade de cadre. La disponibilité de cadres diplômés (bac+4 et plus) au sein de l’administration publique marocaine en général, limite indéniablement les possibilités de promotions pour les agents de maîtrise.

Réservé - Catégorie d'enquête

64 28,7 28,7 28,7

109 48,9 48,9 77,6

38 17,0 17,0 94,6

12 5,4 5,4 100,0

223 100,0 100,0

Exécution

Maîtrise

Cadre

Responsable

Total

ValideFréquence Pour cent

Pourcentagevalide

Pourcentagecumulé

Tableau 2 : Répartition de la population des désillusionnés du système par catégories

II.1.B. Les expectatifs protestataires

Il s’agit de fonctionnaires non satisfaits des avantages offerts par leur institution, mais qui gardent un minimum d’espoir vis-à-vis de leurs perspectives de carrière. L’étude de la répartition par âge de cette classe, montre que la protestation par rap-port aux avantages du système s’affirme davantage chez les catégories médianes, en-tre 31 et 50 ans. Elle reste par contre très faible chez les plus jeunes et chez les fonc-tionnaires qui s’approchent de la retraite.

Age du répondant

6 2,0 2,0 2,0

29 9,7 9,9 11,9

47 15,7 16,0 28,0

57 19,0 19,5 47,4

55 18,3 18,8 66,2

45 15,0 15,4 81,6

40 13,3 13,7 95,2

14 4,7 4,8 100,0

293 97,7 100,0

7 2,3

300 100,0

20 - 25 ans

26 - 30 ans

31 - 35 ans

36 - 40 ans

41 - 45 ans

46 - 50 ans

51 - 55 ans

56 ans et +

Total

Valide

Système manquantManquante

Total

Fréquence Pour centPourcentage

validePourcentage

cumulé

Tableau 3 : Répartition des expectatifs protestataires par âge

Page 124: Former Des Managers, Une Utopie

124

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Cette répartition montre que le système de la fonction publique est problématique dans la mesure où la tranche d’âge supposée représenter la maturité de la compé-tence (et donc forcément positionnée dans la phase de maîtrise de l’emploi1) est celle qui est en même temps la plus désavantagée dans le système. Dans le secteur privé caractérisé par la culture marchande, une telle situation aurait certainement entraîné un fort taux de turn-over. Mais au sein de l’administration pu-blique, cette situation semble légèrement atténuée dans ses effets par une certaine expectation vis-à-vis des perspectives de carrière, ce qui est encore une spécificité du modèle de la fonction publique : les flux d’entrées et de départs restent, et sauf cas exceptionnels, très limités2. Il est aussi remarquable que cet état de protestation s’applique davantage aux cadres et aux responsables (44,3 %). Ce qui renforce encore notre induction que le système de la fonction publique est incapable de reconnaître, dans le présent, la compétence. Il peut, au mieux, permettre sa reconnaissance dans le futur en se basant sur l’ancienneté.

Réservé - Catégorie d'enquête

44 14,7 14,7 14,7

123 41,0 41,0 55,7

106 35,3 35,3 91,0

27 9,0 9,0 100,0

300 100,0 100,0

Exécution

Maîtrise

Cadre

Responsable

Total

ValideFréquence Pour cent

Pourcentagevalide

Pourcentagecumulé

Tableau 4 : Répartition des expectatifs protestataires par catégories

II.1.C. Les expectatifs indifférents

Il s’agit de fonctionnaires peu satisfaits des avantages tirés du système de gestion des ressources humaines de l’administration publique et qui perçoivent des perspectives légèrement positives de carrière. La répartition de cette classe par ancienneté, montre que l’indifférence commence à se développer à partir du seuil de 10 ans. Et elle continue crescendo, ce qui montre que le système basé sur l’ancienneté finit par récompenser (même faiblement) les plus fidèles à l’institution.

(voir tableau, page suivante)

1 C. Batal, La gestion des ressources humaines dans le secteur public. L’analyse des métiers, des emplois et des compétences, Éditions d’organisation, Paris, 1997. 2 Idem.

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125

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Ancienneté

2 ,5 ,5 ,5

10 2,4 2,5 3,0

30 7,3 7,4 10,4

56 13,6 13,9 24,3

96 23,4 23,8 48,1

53 12,9 13,2 61,3

156 38,0 38,7 100,0

403 98,1 100,0

8 1,9

411 100,0

- 1 an

1 - 3 ans

4 - 5 ans

6 - 10 ans

11 - 15 ans

16 - 20 ans

21 ans et +

Total

Valide

Système manquantManquante

Total

Fréquence Pour centPourcentage

validePourcentage

cumulé

Tableau 5 : Répartition des expectatifs indifférents par ancienneté

Une telle tendance peut très probablement favoriser des comportements opportunis-tes basés sur une stratégie d’anonymat. Ce qui peut se justifier, si nous confrontons cette tendance aux résultats précédents de la mesure de la motivation à la mobilisa-tion. En effet, dans un système fortement centralisateur, peu favorable à l’initiative et susceptible à l’erreur, la stratégie de l’anonymat basée sur le cantonnement dans le rôle de l’exécution et l’attente de perspectives de carrière à saisir devient particuliè-rement rationnelle. Et il semble qu’une telle stratégie est particulièrement portée par les cadres et les res-ponsables (50,9 %). Ce qui est indéniablement problématique pour la performance et la qualité des prestations de l’Administration Publique.

Réservé - Catégorie d'enquête

74 18,0 18,0 18,0

128 31,1 31,1 49,1

117 28,5 28,5 77,6

92 22,4 22,4 100,0

411 100,0 100,0

Exécution

Maîtrise

Cadre

Responsable

Total

ValideFréquence Pour cent

Pourcentagevalide

Pourcentagecumulé

Tableau 6 : Répartition des expectatifs indifférents par catégories

II.1.D. Les expectatifs attachés au système

Il s’agit de fonctionnaires très satisfaits des avantages du système, mais peu optimis-tes par rapport à leurs perspectives de carrière.

Page 126: Former Des Managers, Une Utopie

126

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Il sont d’abord les plus anciens de la structure (52 % ont plus de 21 ans d’expérience), ce qui est parfaitement logique dans la fonction publique qui valorise l’ancienneté. Contrairement aux plus jeunes (moins de 5 ans d’ancienneté) qui ne cumulent même pas 10 % de l’effectif de cette classe. Ancienneté

Fréquence % %age valide

%age cumulé

Valide - 1 an 1 0,5 0,5 0,5

1 - 3 ans 4 1,9 1,9 2,4

4 - 5 ans 14 6,6 6,8 9,2

6 - 10 ans 26 12,3 12,6 21,8

11 - 15 ans 28 13,3 13,6 35,4

16 - 20 ans 22 10,4 10,7 46,1

21 ans et + 111 52,6 53,9 100,0

Total 206 97,6 100,0

Manquante Système manquant 5 2,4

Total 211 100,0

Tableau 7 : Répartition des attachés au système par ancienneté Par ailleurs, ces attachés au système sont essentiellement affectés à des fonctions au cœur du métier (60 %). Ce qui rend toute perspective de changement fortement hy-pothétique. Car une résistance au changement qui s’exprime de l’intérieur du métier gagne indéniablement en légitimité. Cependant, nous devons souligner que l’administration centrale compte plus d’attachés au système (28 %) que les services déconcentrés (18 %). Ce qui montre que le changement, s’il doit avoir lieu, passe indéniablement par un inversement de la pyramide et une déconcentration affirmée de l’organisation. Enfin, cet attachement s’affirme légèrement plus chez les non cadres (53,6 %) que chez les cadres et les responsables (46,4 %). Mais quand nous analysons de manière horizontale la répartition des différentes caté-gories sur les 4 profils motivationnels, nous remarquons que les agents d’exécutions sont davantage portés vers la désillusion (28 %) et l’indifférence (33 %). Tandis que les agents de maîtrise sont plus alignés sur l’expectation, qu’elle soit protestataire (29 %) ou indifférente (30 %), de la même manière que les cadres (respectivement 35 % et 39 %). Enfin, les responsables semblent partagés entre l’expectation indifférente (49 %) et l’attachement au système (30 %).

Page 127: Former Des Managers, Une Utopie

127

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Effectif % Effectif % Effectif % Effectif %Exécution 226 64 28% 44 19% 74 33% 44 19%Maîtrise 429 109 25% 123 29% 128 30% 69 16%Cadres 303 38 13% 106 35% 117 39% 42 14%Responsables 187 12 6% 27 14% 92 49% 56 30%Total 1145 223 19% 300 26% 411 36% 211 18%

CaractéristiquesTotal des

observations Groupe a Groupe b Groupe c Groupe d

Tableau 8 : Poids des 4 profils dans les différentes

catégories du personnel de la TGR1. Et nous remarquons qu’en général, c’est l’expectation, dans ses trois variantes, pro-testataire, indifférente et attachée au système, qui domine (80 %). Le personnel de la TGR est ainsi, majoritairement, en "salle d’attente". Nous remarquons ainsi que les différents profils motivationnels que nous identifions peuvent expliquer, sans certainement prédire, des stratégies d’acteurs variés, qu’ils soient individus ou groupes, en les mettant devant des alternatives structurelles chan-geantes en passant d’un profil à un autre. Cependant, ces profils motivationnels mesurent la prédisposition du personnel à s’engager dans des rapports d’influence dont l’objet est sa propre mobilisation. Mais les relations d’engagement constituent des pratiques sociales, un construit collectif. Pour l’analyser dans ses différentes dimensions, il importe aussi d’analyser la motiva-tion des responsables hiérarchiques à jouer leur rôle d’encadrement et d’engagement à la mobilisation. II.2. Les profils motivationnels des responsables hiérarchiques Pour identifier les profils motivationnels de la catégorie des responsables hiérarchi-ques, dans leur rôle d’encadrement, nous avons réintégré deux variables de motiva-tion spécifiques aux responsables hiérarchiques. Il s’agit notamment de l’agrément au rôle d’encadrement et de l’assurance de la hiérarchie. Nous nous sommes basés ensuite sur la méthode factorielle pour identifier les facteurs sous-jacents de la motivation à la mobilisation dans le cadre du rôle d’encadrement. Pour identifier la signification de ces deux facteurs, nous nous sommes référés aux taux de corrélation qu’ils présentent avec les différentes variables, et ce comme pré-senté dans le tableau suivant.

1 Groupe a : les désillusionnés ;

groupe b : les expectatifs protestataires ; groupe c : les expectatifs indifférents ; groupe d : les expectatifs attachés au système.

Page 128: Former Des Managers, Une Utopie

128

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Matrice des composantes après rotation a,b

,451 ,518

,681 ,187

,709 ,452

,713 ,224

,432 ,592

,247 ,749

,537 ,592

,751 ,427

,780 ,147

,740 ,337

,793 ,087

,850 ,074

-,131 ,776

Assurance

Conditions de travail

Rapports hiérarchiques/Relationsprofessionnelles

Accomplissement etdéveloppementprofessionnel

Agrément à l'institution

Agrément au groupe

Agrément au travail

Participation

Reconnaissance

Gestion de carrières etmobilité géographique

Evaluation etrémunération incitative

Assurance de lahiérarchie

Agrément au rôled'encadrement

1 2

Composante

Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales. Méthode de rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.

Tableau 9 : corrélation des variables avec les facteurs de motivation des responsables hiérarchiques

Nous remarquons que le premier facteur est positivement corrélé essentiellement aux variables d’assurance de la hiérarchie, d’évaluation et de rémunération incitative, de la reconnaissance, de la participation, de la gestion de carrières et mobilité géographi-que et de l’accomplissement et développement professionnel. Nous pensons déceler ici une sensibilité des responsables hiérarchiques par rapport à un effort, non d’individualisation compte tenu de la culture d’intérêt général de la fonction publique qui laisse peu de place à l’individualisme, mais du moins de distinc-tion de leur groupe par rapport au reste du corps social. De ce fait, les responsables hiérarchiques de l’administration publique veulent être distingués, dans les avantages qu’ils tirent du système, du reste du personnel compte tenu de leur rôle d’encadrement. Ainsi, nous appelons ce facteur : particularisation. En face, le deuxième facteur semble corrélé à la fois à l’agrément au rôle d’encadre-

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129

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

ment et à l’agrément au groupe. Nous y décelons une prédisposition à la coopération. Celle-ci, signifie dans un contexte organisationnel, une action collective finalisée. Elle est en effet liée à une motivation individuelle : "Parce qu’elle est une construction empirique finalisée, elle (la coopération) nécessite, au niveau de l’individu, de parta-ger consciemment une tâche commune dans des relations de réciprocité avec les au-tres individus au sein d’un groupe donné"1. De ce fait, dans le cadre d’une deuxième dimension, les responsables hiérarchiques de l’administration publique peuvent être classés en fonction de leur prédisposition à la coopération. La vérification de la dispersion des responsables hiérarchiques en fonction de ces deux facteurs, laisse apparaître deux profils motivationnels chez la hiérarchie par rapport à son rôle d’encadrement :

Particularisation

Coopération

Figure 9 : Dispersion des responsables hiérarchiques en fonction

des facteurs de particularisation et de coopération

1 S. Dameron, Les deux conceptions du développement de relations coopératives dans l’organi-sation, Communication à la 10ème Conférence de l’Association Internationale de Management Stratégique, Laval, 2001.

Page 130: Former Des Managers, Une Utopie

130

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Le premier groupe montre peu de disposition à la coopération et, donc, à jouer son rôle d’encadrement. En même temps, il perçoit que le système de gestion des res-sources humaines ne lui apporte pas une reconnaissance différentielle, liée à sa posi-tion hiérarchique, par rapport au reste du personnel. Nous appelons ce groupe : les solitaires. Le second groupe montre une prédisposition à la coopération, notamment en prenant ses responsabilités d’encadrement, et considère que l’organisation reconnaît l’importance de son rôle en tant que responsable hiérarchique. Nous les nommons : les leaders. Dans ce qui suit, nous chercherons à définir les stratégies d’acteurs poursuivis par ces deux profils motivationnels des responsables hiérarchiques vis-à-vis des quatre autres profils motivationnels du personnel en nous basant sur l’étude qualitative des prati-ques sociales d’engagement à la mobilisation dans l’administration publique. III. LE RÔLE DES RESPONSABLES HIÉRARCHIQUES DANS LA MOBILISA-TION DES RESSOURCES HUMAINES Notre modèle systémique définit la motivation comme une ressource du système de mobilisation du personnel qu’il utilise et transforme dans le cadre des pratiques socia-les d’engagement à la mobilisation. À ce titre, les profils motivationnels que nous avons identifiés par la méthode quantitative, conditionnent ces pratiques sociales. Mais aussi, et conformément au principe systémique de dualité et aux préceptes de la théorie de la structuration1, ces mêmes pratiques sociales permettent de mieux cerner la signification et l’interprétation que fait le corps social de ces profils motivationnels. Chaque facteur est ainsi, à la fois, structuré et structurant2, informé et informant3. Ainsi, parmi les profils motivationnels identifiés, les désillusionnés du système attirent en premier chef l’attention des acteurs. Ils expliquent une telle situation comme étant la conséquence "normale" du niveau faible des compétences de ces fonctionnaires. Cette dépréciation trouve son explication dans deux facteurs principaux :

- une politique laxiste de recrutement qui a alimenté l’administration publique, du-rant des années, de profils inadaptés. - un effort faible en matière de formation continue et de développement des poten-tiels.

Devant une telle situation, il semble que les responsables hiérarchiques, qui ont hérité

1 A. Giddens, 1987, op.cit. 2 S. Daraut, et M. Kechidi, "La théorie de la structuration : une application à l’analyse des orga-nisations et au changement organisationnel", Cahiers du GRES, Toulouse, 2004 3 N. Gunia, "La fonction ressources humaines face aux transformations organisationnelles des entreprises Impacts des nouvelles technologies d’information et de communication", Thèse sous l’encadrement de P. Louart, Université de Toulouse I, 2002.

Page 131: Former Des Managers, Une Utopie

131

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

de ces profils, entretiennent cette partie du personnel dans un cercle vicieux de désil-lusion. Des pratiques basées sur un dosage "subtile" d’exclusion et de faible exigence qui entretiennent l’incompétence de ces agents. En effet, l’exclusion de ces agents se manifeste sous plusieurs formes. Certains res-ponsables des services déconcentrés les affectent à des fonctions à la marge du mé-tier de base. Et souvent, toutes ces fonctions ont un contenu de missions et d’attributions à très forte composante exécutive, y compris pour des cadres diplômés1. D’autres les mettent explicitement en dehors des circuits de fonctionnement et de prestations de services, sans missions claires, sans projets et sans dossiers. De même, nous remarquons de la part des responsables hiérarchiques, plus de tolé-rance vis-à-vis de cette population en cas de comportements dysfonctionnels ou de manquement à la discipline, surtout en matière d’absentéisme et de retards. La tran-saction qui semble dominer dans ce cas, entre le fonctionnaire et son supérieur hié-rarchique, est celle d’une cohabitation froide : à une faible reconnaissance correspond une faible exigence. C’est ce que nous pouvons appeler le non engagement calcu-lé. De telles pratiques maintiennent ces fonctionnaires dans le cercle vicieux de la dé-sillusion.

La désillusion du fonctionnaire

Exclusion

Faible exigence

Dépréciation des compétences du

fonctionnaire

La désillusion du fonctionnaire

Exclusion

Faible exigence

Dépréciation des compétences du

fonctionnaire

Figure 10 : Le cercle vicieux de la désillusion du fonctionnaire

En réalité, les fonctionnaires désillusionnés ne sont pas véritablement des victimes d’une telle situation puisqu’ils s’en accommodent. Une accommodation qui s’explique par le risque fort d’un engagement dans le cadre de missions chargées de risques pro-fessionnels vis-à-vis desquels ils ne se sentent pas suffisamment armés, compte tenu de leurs niveaux de compétences. Mais ces désillusionnés du système ont, comme nous allons le voir à travers le profil

1 Selon la définition statutaire du cadre, c’est à dire un fonctionnaire à l’échelle 10 ou plus.

Page 132: Former Des Managers, Une Utopie

132

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

motivationnel suivant, une autre fonction : celle d’épouvantail. En effet, la protestation qui caractérise le deuxième profil, celui des expectatifs pro-testataires, semble de deux types :

- la première est explicite : elle concerne les mécanismes de gestion des ressources humaines, en particulier en matière de gestion de carrières et de formation, et d’allocation des moyens matériels. Tous ces volets semblent remettre en cause les services centraux ou les textes statutaires. À ce titre, ce type de protestation paraît sans risque majeur pour celui qui le clame, d’abord parce qu’il n’est orienté contre personne en particulier (dans le cas de la cri-tique du statut de la fonction publique) et ensuite parce qu’il remet en cause davan-tage un mode de fonctionnement (et non des personnes) comme c’est le cas de la centralisation qu’un discours consensuel ambiant, y compris dans les services cen-traux, a pris l’habitude de critiquer. Cette protestation ne donne ainsi lieu à aucun conflit majeur et correspond davantage à une certaine langue de bois partagée même par les responsables hiérarchiques. - la seconde est muette : elle remet en cause le style de management du responsa-ble hiérarchique. Si elle s’est exprimée dans notre étude quantitative, elle est rare-ment étalée au quotidien. Car ce type de protestation comporte un risque majeur, celui du conflit avec le supérieur hiérarchique immédiat. Les rares cas de protesta-tion déclarée que nous avons rencontrés ont tous reçu l’exclusion comme réplique de la part des responsables hiérarchiques. En effet, la confiance est, chez les responsables hiérarchiques, surtout pour les fonctions à haut risque, une condition pour l’engagement à la mobilisation de leurs collaborateurs. En cas de conflit personnel direct avec un collaborateur, cette confiance lui est retirée par son supérieur hiérarchique qui l’exclut des activités les plus importantes de sa structure. Et quand cette exclusion dure longtemps, elle peut entraîner une dépréciation des compétences du fonctionnaire protestataire et le transformer en désillusionné du système à son tour. C’est à ce titre que les désillusionnés semblent des épouvantails dont le cas typique montre ce qui peut arriver à un fonctionnaire qui choisit un mode de protestation qui dépasse les frontières socialement tolérées.

(voir tableau, page suivante)

Page 133: Former Des Managers, Une Utopie

133

JEG4 - Former des managers : une utopie ?

Insatisfaction du fonctionnaire

Protestation contre le système

Protestation contre la hiérarchie

ou

Risque faible: confiance du responsable sauvegardée

Possibilités d’engagement à la mobilisation sauvegardées

ouMuette Explicite

Risque élevé: perte de la confiance du responsable

Possibilités d’engagement à la mobilisation quasi-anéanties

Insatisfaction du fonctionnaire

Protestation contre le système

Protestation contre la hiérarchie

ou

Risque faible: confiance du responsable sauvegardée

Possibilités d’engagement à la mobilisation sauvegardées

ouMuette Explicite

Risque élevé: perte de la confiance du responsable

Possibilités d’engagement à la mobilisation quasi-anéanties

Figure 11 : Les trajectoires de la contestation au sein de l’administration publique

Le troisième profil est celui des expectatifs indifférents. Nous avons déjà fait remar-quer dans le chapitre précédent que cette indifférence peut être à l’origine d’une stra-tégie d’anonymat chez les acteurs. Une telle stratégie peut s’expliquer compte tenu du niveau général des compétences : l’administration ayant fait peu d’efforts pour le dé-veloppement des potentiels des fonctionnaires, certains parmi eux réagissent en veil-lant à une bonne exécution des tâches actuelles sans chercher à démontrer une capa-cité (dont ils ne disposent souvent pas) à prendre en charge de nouvelles responsabi-lités. Ils comptent sur l’ancienneté pour les avancements, et la fidélité au supérieur hiérarchique pour éviter tout risque de désaveu. Un tel comportement chez les collaborateurs est particulièrement apprécié par les res-ponsables solitaires dont le management centralisateur réduit les cadres à de simples exécutants. Et ce management centralisateur confirme le potentiel limité des agents et offre ainsi une légitimation à la stratégie isolationniste de la hiérarchie solitaire. Mais en même temps, il arrange les expectatifs indifférents du moment que ça leur évite des risques professionnels, liés à certaines missions à risque et dont ils ne maî-trisent pas nécessairement les exigences de compétences. Le système de notation et de prime ne permettant aucune discrimination, ces fonc-tionnaires considèrent que le mode de management ne leur demande explicitement aucune prise d’initiative. De même que la réaction négative de la hiérarchie et, à tra-vers elle, de l’institution à l’erreur rend le fonctionnaire davantage guidé par l’objectif du respect des consignes et des procédures que par un quelconque objectif de quali-

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té, de création de valeur ou de travail d’équipe1. Ce qui laisse apparaître un nouvel équilibre "bureaucratique"2, entre la hiérarchie et les collaborateurs, où chaque fac-teur se nourrit de ses conséquences, et qui limite les possibilités d’engagement à la mobilisation comme nous le schématisons ci-après.

Mauvaise réaction àl’erreur

Mangement centralisateur

Potentiel limité de l’agent

Anonymat et accommodation au rôle d’exécutant

Mauvaise réaction àl’erreur

Mangement centralisateur

Potentiel limité de l’agent

Anonymat et accommodation au rôle d’exécutant

Figure 12 : L’équilibre bureaucratique du non engagement à la mobilisation

Enfin, le dernier profil, celui des expectatifs satisfaits, semble être le seul qui s’apprête à un engagement à la mobilisation ; mais à la condition sine qua none qu’ils soient sous l’encadrement des responsables hiérarchiques leaders. Cependant, le style de management de ces derniers ne remet pas en cause le modèle de l’exclusion que nous avons expliqué plus haut ; au contraire, il s’en nourrit. En effet, les responsables hiérarchiques leaders, semblent tous se baser sur une population restreinte parmi leurs collaborateurs et qui répond à deux conditions : la confiance et la compétence reconnue3. À défaut de ces deux conditions, l’agent court, au minimum, le risque d’être cantonné dans un travail d’exécution et à faible valeur ajoutée. Et au pire, il ris-que l’exclusion et la désillusion au sein de la structure. Ainsi, la mobilisation au sein de l’administration publique est élitiste et compte tenu des résultats de notre étude quan-titative, elle n’a qu’un potentiel de 20 % du personnel de l’administration.

1 Qui sont les trois caractéristiques du comportement mobilisé selon T. Wils et Alii, 1998, op.cit. 2 M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, Seuil, Paris, 1964. 3 Ces deux conditions ne sont d’ailleurs pas indépendantes. En effet, la compétence du collabo-rateur conditionne la confiance dont il bénéficie auprès du responsable hiérarchique. De même que cette confiance, entraînant des pratiques de management qui vont dans le sens de la res-ponsabilisation du collaborateur, va dans le sens de l’apprentissage et du développement des compétences.

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Confiance Compétence

Sélection dans le groupe restreint destiné à la mobilisation

Caractère coopératif du responsable hiérarchique

Confiance Compétence

Sélection dans le groupe restreint destiné à la mobilisation

Caractère coopératif du responsable hiérarchique

Figure 13 : les préalables à l’engagement à la mobilisation au sein de

l’administration À défaut de moyens de reconnaissance entre les mains de la hiérarchie coopérative, lui permettant d’activer les mécanismes de l’engagement calculé, celle-ci fait appel aux mécanismes de l’engagement affectif : proximité exclusive, marge de manœuvre accrue et reconnaissance vis-à-vis des pairs.

• La proximité exclusive renvoie à une réduction de la distance hiérarchique avec un nombre limité des collaborateurs, qui bénéficient ainsi de la part de leurs supé-rieurs hiérarchiques d’une primauté de l’information et d’une implication dans les projets à forte valeur ajoutée1 et qui offrent des occasions d’apprentissage profes-sionnel.

• La marge de manœuvre accrue est l’expression d’une confiance exceptionnelle au sein de l’administration. Elle est fortement conditionnée par la compétence du col-laborateur et quand nous la rencontrons dans une structure des services dé-concentrée en particulier, elle constitue l’exception qui confirme la règle du mana-gement centralisateur et à forte obsession de contrôle qui caractérise les prati-ques d’encadrement des responsables hiérarchiques.

• La reconnaissance vis-à-vis des pairs est l’un des principaux leviers de l’engagement affectif qu’utilise le responsable hiérarchique pour mobiliser un col-laborateur compétent. Cette appréciation positive de la compétence, à défaut d’être rémunérée, est déclarée et rendue publique par le responsable hiérarchi-que, d’abord à l’intérieur de la structure dont il a la charge, ensuite aux services centraux, principaux décideurs en matière de promotion et de gestion de carriè-res.

1 Il s’agit notamment d’une implication dans des projets de mise en place d’un centre de forma-tion régional, de l’informatisation de procédures, de négociation de nouveaux délais avec des partenaires, etc.

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Tous ces leviers de management, utilisés par les responsables hiérarchiques pour s’assurer de l’engagement à la mobilisation de leurs collaborateurs, peuvent être clas-sées comme des pratiques d’individualisation de la gestion des ressources humaines. Ils constituent à ce titre, une démonstration de la faillite du modèle de la gestion sta-tutaire collective du personnel de l’État et le peu de crédit dont elle bénéficie auprès des managers. Ces derniers, quand ils sont leaders, ont besoin de faire sortir leurs meilleurs collabo-rateurs de l’anonymat pour pouvoir les mobiliser. Et du moment qu’ils ne disposent pas de marge de manœuvre suffisante en matière d’engagement normatif ou calculé, ils se basent sur des mécanismes d’engagement affectif. Une telle démarche a cepen-dant une portée très limitée :

- d’abord, parce qu’elle ne peut pas être exhaustive, ni même majoritaire. Nous avons vu qu’elle a besoin d’entretenir l’exclusion d’une partie du personnel, dont elle se sert d’épouvantail contre les éventuels comportements dysfonctionnels, et le can-tonnement d’une autre partie dans un rôle d’exécution. Car c’est une démarche qui se nourrit, dans sa logique globale, de l’élitisme et de la différenciation et qui pré-sente la mobilisation, non seulement comme un objectif, mais aussi comme une re-connaissance en soi et donc comme un moyen de motivation. - ensuite, parce qu’en l’absence d’impact sur la carrière et sur la rémunération, cet engagement affectif sur lequel compte les responsables hiérarchiques leaders peut s’essouffler et s’apparenter à une démarche manipulatrice plutôt que mobilisatrice. Leur stratégie mobilisatrice peut alors s’essouffler et leur autorité (ou leur influence) sur leurs collaborateurs risque de se discréditer. - enfin, et surtout, compte tenu du caractère à la fois subjectif, discrétionnaire et arbitraire du principal facteur qui conditionne le déclenchement de cette dynamique mobilisatrice : à savoir la décision personnelle du responsable hiérarchique de coo-pérer ou pas dans un processus d’influence et d’engagement à la mobilisation de ses collaborateurs.

CONCLUSION : QUELLES IMPLICATIONS POUR LA GESTION DES RESSOUR-CES HUMAINES DANS L’ADMINISTRATION PUBLIQUE ? Nous pensons pouvoir déduire des résultats de notre travail certaines implications sur la politique de gestion des ressources humaines dans l’administration publique :

- d’abord, la caducité du statut de la fonction publique ; ou du moins de son carac-tère collectif et non discriminant. La hiérarchie semble provoquer des mécanismes d’individualisation qui remettent en cause le caractère supposé impersonnel de la gestion publique des ressources humaines ; et ce même si leur portée reste limitée. A ce titre, nous pouvons affirmer que toute réforme de la fonction publique ne peut aboutir que si des dispositifs de reconnaissance de la performance et de l’effort in-dividuels sont mis en place permettant d’ouvrir la perspective à tout fonctionnaire compétent de sortir de l’anonymat.

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- ensuite, la confirmation que la compétence reste au centre de la mobilisation du personnel et un préalable à toute synergie dans le cadre d’une action collective, du moment qu’elle conditionne la confiance entre les individus. Le développement de cette compétence, le renforcement des exigences au recrutement et l’investissement en matière de formation continue restent ainsi des enjeux stratégi-ques pour la mobilisation des potentiels de l’administration publique. - de même, l’équilibre bureaucratique du désengagement n’est possible que parce que des sur effectifs caractérisent encore les services de l’administration publique. La première mesure nécessaire pour le briser consiste à assurer une affectation plus rationnelle des effectifs qui soit compatible avec la charge réelle de travail. - enfin, le renforcement du rôle de la hiérarchie directe, certes en s’appuyant sur des préalables de sécurisation du corps social1, reste une condition sine qua none à la mobilisation effective du corps social. Des dispositifs de contractualisation de-vraient aider à engager chaque responsable sur des objectifs en fonction des moyens dont il dispose, y compris des moyens humains.

Dans un contexte de rareté des compétences, accentué par la vague des départs vo-lontaires, la mobilisation des ressources humaines est un enjeu qui s’impose au-jourd’hui à toutes les structures publiques. _____________ Bibliographie :

- C. Batal, La gestion des ressources humaines dans le secteur public. L’analyse des métiers, des emplois et des compétences, Éditions d’organisation, Paris, 1997.

- H. Chraïbi, La mobilisation des ressources humaines dans l’administration publique marocaine : une approche systèmique - Étude de cas de la trésorerie générale du royaume, Thèse sous l’encadrement de A. Louitri, Univ. Cadi Ayad, Marrakech, 2005.

- M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, Seuil, Paris, 1964. - M. Crozier et E. Fridberg, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collec-tive, Éditions du seuil, Paris, 1967.

- S. Dameron, Les deux conceptions du développement de relations coopératives dans l’organisation, Communication à la 10ème Conférence de l’Association Internationale de Management Stratégique, Laval, 2001. - S. Daraut et M. Kechidi, La théorie de la structuration : une application à l’analyse des organisations et au changement organisationnel, Cahiers du GRES, Toulouse, 2004.

- A. Etzioni, "L’analyse des organisations", Duculot, Bruxelles, 1971.

1 Parmi ces conditions de sécurisation figure encore le développement des compétences des responsables hiérarchiques en management.

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- A. Giddens, La constitution de la société : éléments de la théorie de la structuration, Paris, Presses universitaires de France, 1987. Édition originale en langue anglaise : The constitution of society: outline of the theory of structuration, Berkeley, University of California Press, 1984. - N. Gunia, La fonction ressources humaines face aux transformations organisation-nelles des entreprises - Impacts des nouvelles technologies d’information et de com-munication, Thèse sous l’encadrement de P. Louart, Université de Toulouse I, 2002.

- P. Louart, La GRH à l'heure des segmentations et des particularismes, RFG, Mars-Avril-Mai, Paris, 1994. - B. Lussato, Introduction critique aux théories d’organisation, Paris, Dunod, 1992.

- M. Tremblay et T. Wils, La mobilisation des ressources humaines : une stratégie de rassemblement des énergies de chacun pour le bien de tous, Gestion, Volume 30, n° 2, été 2005, pp. 37 à 49. - T. Wils, T. Labelle, C. Guérin, G. et M. Tremblay, Qu’est ce que la mobilisation des employés ?, in Gestion, volume 23, n° 2, été 1998, pp 30 à 39.

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COMMENT ORGANISER LA FORMATION DES MANAGERS ?

Vers une internationalisation de la formation des managers Mohamed El Moueffak Directeur des études de l'ISCAE Le manager : héro ou apprenti ? Quelles leçons tirer des résultats sur la prise de décision Laurent Dehouck École Normale Supérieure de Cachan

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VERS UNE INTERNATIONALISATION DE LA FORMATION DES MANAGERS

Mohamed EL MOUEFFAK Directeur des études de l'ISCAE La communication de M. El Moueffak ne nous étant pas parvenu à la date d'impres-sion du présent fascicule, nous invitons les lecteurs à la retrouver dans la version "pdf" de ces Actes, accessible au bas de la page web suivante :

http://www.enset-media.ac.ma/cpa/jeg4_former_des_managers.htm

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LE MANAGER : HÉRO OU APPRENTI ?

QUELLES LEÇONS TIRER DES RÉSULTATS SUR LA PRISE DE DÉCISION

Laurent DEHOUCK École Normale Supérieure de Cachan INTRODUCTION Ces vingt dernières années, la littérature anglo-saxonne sur le management s’est étio-lée au profit de celle qui privilégie le thème du leadership. Barley et Kunda (1992), qui ont travaillé sur la pensée managériale durant tout le XXème siècle datent cette transi-tion des années 1980. La première période, qu’ils dénomment l’ère du rationalisme systémique, se caracté-rise par une description de comportements managériaux rationnels établis sous l’égide de techniques telles que la simulation informatique, la gestion de portefeuille, la prévi-sion, la planification, etc. Dans cette période, le charisme, le leadership sont considé-rés comme des reliques d’un passé révolu. Cette idéologie managériale, disent ces auteurs, a été peu à peu érodée par l’intérêt explosif des chercheurs et des praticiens dans le leadership, à savoir l’idée que les ca-dres de niveau élevé devaient assumer au premier chef des rôles de leader. Ils sont censés communiquer des visions et transformer radicalement les organisations à me-sure que l’environnement devient plus chaotique. L’un des articles les plus importants dans cette transition est celui de Zaleznick (1977) qui oppose des managers attachés au statut quo aux leaders qui mettent en œuvre des changements radicaux. Les publications ensuite se multiplient (Bass, 1990 ; Kou-zes & Posner, 2003 ; Burns, 1978, Conger, 1989 ; Bryman, 1992 ; etc.). Cette "nouvelle" perspective (rhé)théorique du management est associée à l’émergence d’une organisation post bureaucratique, identifiée par la flexibilité, l’absence de hiérarchie, des valeurs partagées entre les membres. Mais le critère dé-terminant de différenciation semble être la pratique généralisée de comportements de résolution de problème par le dialogue confiant, par opposition à l’administration de règles formelles étroites de contrôle (Drucker, 1988 ; Peters, 1989 ; Morgan, 1993 par exemple). Les études empiriques ne tranchent pourtant pas en faveur de cette hypothèse d’une nouvelle nature des comportements managériaux. Hales (2002) notamment ne dé-couvre pas une telle transformation dans ses nombreuses études sur les comporte-ments des managers. Selon lui, la principale raison de la stabilité des comportements

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managériaux tient à la responsabilité personnelle des managers sur les résultats de leurs unités. Ils sont, par conséquent, peu enclins à laisser leurs collaborateurs auto-nomes et maintiennent en général un strict contrôle sur leur performance. On retrouve ainsi la tradition de Mintzberg (1973, 1994, 1998, 2004 ; Kurke & Aldrich 1983) qui plaide également l’absence de révolution dans les comportements managé-riaux en raison des contraintes structurelles associées à l’exercice de la direction d’une organisation. Pour aller vite, la complexité et la multiplicité des comportements de son modèle de 1973 des managers conduit à bien d’autres aspects que le leadership : la conception, la planification, le contrôle, la coordination, la représentation, et surtout la décision !!!

Tengblatt (2006) dans un article récent conteste, mais en partie seulement, ce modèle bien connu sur un échantillon de managers suédois. Il note des différences, comme des équipes plus large, une orientation des communications plus tournées vers les su-bordonnés dans des réunions, une plus grande importance accordée à la diffusion d’information, moins de formalisme administratif et une moindre fragmentation du temps. Il demeure cependant encore de très nombreuses similarités qui indiquent l’exagération des tenants d’une radicale nouveauté des activités. Parmi les 13 proposi-tions initiales formulées par Mintzberg, 8 se trouvent confirmées :

P1 : le travail managérial est intensif et conduit à une vitesse élevée. P4 : le travail de management est orienté dans et par l’action directe. P5 : les managers préfèrent utiliser la conversation verbale comme média de com-munication. P6 : ils répondent rapidement aux sollicitations. P7 : le téléphone et les réunions imprévues sont utilisés principalement pour de brefs contacts entre personnes connues. P8 : les réunions programmées consomment plus de temps de travail que tous les autres média. P9 : les visites permettent bien d’acquérir des informations valables mais les mana-gers n’y passent pas beaucoup de temps. P12 : les managers passent peu de temps avec leurs supérieurs hiérarchiques.

Rôles de contact 1. Représenter 2. Diriger 3. Assurer les liaisons

Rôles d'information 1. Guider 2. Diffuser 3. Etre un porte-parole

Rôles de décision 1. Entreprendre 2. Corriger 3. Allouer des ressources 4. Négocier

Autorité formelle et position

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Deux propositions seulement sont infirmées dans la nouvelle étude : P2 : les managers sont sans cesse interrompus et leur travail est fragmenté. P3 : ils aiment cette brièveté et ces interruptions.

Les deux dernières propositions du travail original de Mintzberg apparaissent moins apparentes :

P10 : les contacts extérieurs prennent entre 30 % et 50 % du temps de travail P11 : les subordonnés prennent 33 % à 50 % du temps de travail du cadre.

En matière de prise de décision, au sens strict, les différences entre l’étude Mintzberg et celle de Tengblad sont peu significatives : le temps de décision, proprement dit, re-présente respectivement 5,4 h/semaine et 6,6 h/semaine, soit entre 10 % et 20 % du temps de travail des personnes étudiées. Dans les deux études, la recherche d’information, dans toutes ses modalités, occupe la majeure partie du temps de travail. Ainsi, même s’il n’existe pas de consensus théo-rique sur les contenus du management et, par conséquent, sur les formations à cons-truire pour s’y préparer, ou améliorer les pratiques, l’un des points de consensus gé-néral1 est la place que prend l’information et la décision dans les activités managéria-les (de 70 à 80 % du temps de travail). Dès lors, envisager la question de la formation initiale ou continue des managers im-plique de s’intéresser aux résultats expérimentaux récents sur l’ensemble du proces-sus de prise de décision : de la reconnaissance d’un problème à sa résolution en pra-tique. Approfondir la question de l’apprentissage et de l’amélioration de la prise de décision apparaît un point d’ancrage difficile à contester, dans toutes les perspectives de formation au management. Il faut bien cependant insister. Cette problématique s’inscrit résolument à contre cou-rant des travaux qui fondent le "nouveau management" sur le caractère héroïque ou charismatique d’un leader sans défaut, dont la vision révélée par son incomparable génie, suscite enthousiasme, motivation et naturellement des résultats financiers au delà des espérances. Pourtant, dans cette perspective, il est bien difficile de former au leadership, puisqu’il tient pour l’essentiel dans la confiance des suiveurs2. Or cette dernière se construit, en situation, dans l’interaction singulière entretenue entre les acteurs. Dans ces conditions, les qualités personnelles, psychologiques et comportementales, qui fondent le leadership, ne sont plus indépendantes des situations de gestion. On perçoit donc mal comment former au leadership, en général. Si l’étendue des offres en la matière montre bien l’existence d’une large demande de "formation au leaders-hip", leur efficacité reste à démontrer.

1 Que les théories s’inscrivent dans une problématique normative (théorie de la décision à la Raïffa par exemple, cinq impératifs de Fayol : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler) ou descriptive comme les propositions de Simon ou de Mintzberg. 2 Comme le remarquait déjà au début du siècle Max Weber, la légitimité de l’autorité charisma-tique repose sur les propriétés conférés par les suiveurs au héro ; elles sont donc peu stable ; elles sont souvent associées à des situations exceptionnelles ; elles sont construites dans cha-que interaction singulière leader/suiveur.

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Dans la perspective défendue dans cet article, l’apprentissage se construit à partir deux principes :

1. La reconnaissance d’erreurs, à savoir de performances en deçà des attentes (Ar-gyris, 1982 ; Argyris & Schön, 1995). Le processus d’apprentissage ne peut donc commencer que lorsque la mise en œuvre d’une décision a produit ses résultats, qu’une nouvelle situation émerge. 2. La volonté de changer cette situation, à savoir d’améliorer la performance. La question du changement et de sa gestion est donc indissolublement reliée à celle de l’apprentissage du manager.

Ces deux propositions expliquent que la focalisation sur le contenu des fonctions (marketing, production, etc.) des formations des Business School et la résolution de cas (Harvard) soient tant critiqués par Mintzberg (2004). En effet, en l’absence de mise en œuvre et donc d’expérience, comment apprendre ? La méthode pédagogique des cas et les contenus fonctionnelles permettent simplement (mais c’est déjà beau-coup à mon sens) à partir d’une description situationnelle simplifiée (parfois abusive-ment) de réfléchir à un diagnostic et de concevoir des remèdes. On peut ainsi apprendre une large panoplie de techniques spécifiques plus ou moins formalisées en production, marketing, RH, financière, etc. De nombreux écueils hélas sont associés à cette démarche : simplification outrancière, cadrage fonctionnel, ab-sence d’aléas, absence de l’inévitable caractère collectif de la mise en œuvre et sur-tout de son adaptation aux contingences imprévues. Ce modèle de formation implique aussi souvent un déterminisme excessif et la focalisation analytique sur le bon mo-dèle, la solution. On propose ici de se focaliser sur un autre domaine d’apprentissage managérial, plus transversal, entremêlant problématiques procédurales et de contenus : la prise de dé-cision. Il s’agit de présenter quelques résultats génériques sur la manière dont s‘exerce indi-viduellement, ou dans un cadre collectif, la prise de décision au sens large, c’est-à-dire, y compris la recherche d’information. Rien ne permet de supposer, en effet, l’absence d’erreurs en la matière. Bien au contraire, on observe dans des situations simplifiées de nombreux écarts par rapport à des principes très simples d’efficacité. Alors, à fortiori dans des situations plus complexes, il semble fort probable qu’il existe de très nombreuses sources d’amélioration des pratiques. On se situe ainsi à l’opposé de la démarche qui consiste à définir une solution parfaite et à tenter ensuite de la mettre en œuvre, à l’instar de la plupart des cours dit "d’analyse de la décision". On s’inscrit en revanche dans une démarche qui tente d’apprendre à partir des erreurs commises, c’est-à-dire de la reconnaissance d’un écart entre les attentes (la situation désirée, le problème résolu) et les résultats obtenus (la situation réelle). La problématique de formation, ici, consiste à l’instar d’un entraîneur sportif, de met-tre en lumière des erreurs communes sur certains aspects du processus de décision, qui ont un effet important sur les résultats. À cet égard, on dispose de nombreux résultats expérimentaux et de très nombreuses avancées ont été obtenues ces vingt dernières années. Après avoir présenté dans une première partie la forme d’un processus de décision, on développera quelques diffi-

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cultés communes à chacune de ses étapes dans une deuxième partie. La troisième partie se consacre à exposer les difficultés liées à l’amélioration de la prise de déci-sion. Nous conclurons en suggérant quelques recommandations. I. LA PRISE DE DÉCISION : DES EXEMPLES D’ERREURS COMMUNES, QUEL-QUES RECOMMANDATIONS Il est commun, comme le montre le graphique ci-dessous, d’identifier trois phases dans un processus de décision : le cadrage, la recherche d’information, le choix.

Les trois phases de la décision :

Processus

de décision

Cadrage 1

Recherche d'informations

2 Choix

3

L’étape de cadrage consiste à donner une forme à un problème d’amélioration de la performance. Elle crée la structure mentale simplifiée de la situation à partir de la-quelle on va raisonner. Elle spécifie notamment les options à envisager, le nombre de critère, leur importance, les arbitrages éventuels entre eux, la manière de mesurer les résultats obtenus, etc. C’est l’angle de vue ou les perspectives retenues pour apprécier les options. Elle délimite l’espace d’action en fixant implicitement ou explicitement les variables d’actions (le contenu du problème) et les contraintes d’environnement (les données externes). Elle établit des priorités entre les variables d’action. Cette étape, naturellement, est déterminante pour tout le processus, car bien souvent, la manière de définir le problème conditionne directement la solution. L’étape de recherche d’information consiste, à partir du cadrage retenu, à rechercher toutes les informations pertinentes nécessaire à l’exercice du raisonnement. Elles peu-vent être quantitatives, qualitatives, objectives ou subjectives, précises ou ambiguës, etc. Il convient d’être particulièrement attentif à la conduite de cette recherche, car elle est susceptible éventuellement par rétroaction de mettre en cause le cadrage ini-tial, de renverser les priorités ou d’ajouter des critères, ou des options nouvelles. L’étape de choix proprement dite consiste à se déterminer, à retenir une résolution,

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en appréciant naturellement les effets de toutes les options possibles. À cet égard les pratiques de choix en groupe méritent une attention particulière, car elles sont tou-chées par des effets spécifiques d’escalade et d’engagement qui peuvent aisément conduire au désastre (Janis, 1972). Paradoxalement, il ne va pas de soit, bien au contraire, que rassembler les personnes les plus compétentes dans un groupe de dé-cision, suffise à prendre de bonnes décisions. Il va de soit que toutes ces étapes sont interconnectées comme le montre le graphique ci-dessus. Une information particulière obtenue lors de la phase de recherche d’information peut mettre en cause le cadrage initial, et de ce fait imposer une révision du choix, etc … Simon (1978) utilise l’expression "d’engrenages d’engrenages" pour décrire le caractère itératif de la réso-lution d’un problème de décision. D’emblée on peut mettre en évidence la nécessité d’un arbitrage intelligent entre les trois phases repérées ici. Russo et Schoemaker (1990) qui inspirent ce travail notent une divergence sensible entre l’idéal et la réalité des pratiques. Lorsqu’on interroge un large échantillon de managers sur le temps idéal à consacrer à ces trois phases et leurs pratiques, on obtient le résultat ci-dessous :

Test individuel

� Quel temps consacrez vous à chaque étape ? � Comment pensez vous répartir ce temps à l’avenir ?

Réalité Idéal

Cadrage 5 % 20 %

Recherche 45 % 35 %

Choix 40 % 25 %

REX 10 % 20 % z

Il est particulièrement intéressant de noter l’importance attachée dans le discours de ces managers à l’apprentissage sur la pratique décisionnelle (retour d’expérience : REX). Une première leçon s’impose : se donner les moyens de cet apprentissage. On y reviendra plus longuement par la suite. Mais surtout, il est crucial de s’imposer un temps de réflexion stratégique global, avant toute entreprise. Répondre aux cinq questions suivantes permet de structurer cette réflexion et souvent de limiter les ris-ques d’erreurs :

- Quels temps consacrer à chacune des phases ? - Comment prendre ce type de décision en général ? - Qui doit décider ? Quelle est l’urgence ? - Quel est le point-clé dans ces phases ? - Quelles sont les expériences dans le passé qui se rapprochent le plus de la situa-tion affrontée et comment se sont elles déroulées ?

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II. QUELQUES EXEMPLES D’ERREURS COMMUNES ET DE RECOMMANDA-TIONS SIMPLES POUR LES ÉVITER II.1. L’erreur de cadrage : un exemple Dans un film de "Western", on peut illustrer cette erreur par l’expression du héros qui déclare "je tire d’abord et j’interroge les morts après". Cette pratique s’observe aisé-ment dans de très nombreuses situations de gestion. Les managers foncent dans l’action, sans avoir pensé suffisamment à la question qu’ils affrontent, et plus encore à la manière de résoudre ce type particulier de questions. Ils engagent souvent ainsi, leur organisation et ses moyens dans la résolution d’un faux problème. Ils échouent dans la définition des véritables enjeux et priorités à af-fronter. Ainsi, on observe aisément que les structures organisationnelles prédétermi-nent les cadrages et les solutions envisagées de manière implicite. Selon sa position managériale dans la fonction marketing, production, logistique ou finance, les cadra-ges sont d’ores et déjà très largement prédéterminés. Pourtant aucune situation af-frontée réelle n’est en pratique exclusivement associée à l’un de ces cadrages fonc-tionnels. De manière analogue, les métaphores utilisées pour caractériser une situation ne sont pas sans influence : la guerre ou la sélection naturelle, le match de tennis ou celui de rugby, la coordination par le plan ou par le marché ? Pour approfondir cette question du cadrage, il est important de présenter de manière plus approfondie la notion de biais de cadrage présentée à l’origine par Kahnemant & Tversky (1974). Illustrons ce biais par l’exemple suivant tiré de Bazerman (2005). Supposons qu’une firme du secteur automobile affronte des difficultés économiques (des pertes financières). Son conseil d’administration s’interroge sur la fermeture de 3 usines conduisant au licenciement de 6000 employés. Le directeur de production n’arrive pas à s’y résoudre et développe deux plans A et B (évidemment). Il estime avec certitude que la mise en œuvre du plan A permettrait de sauver une usine et donc 2000 emplois. Le plan B est plus risqué. Il estime à 1/3 la chance de sauver les 3 usines, mais par conséquent à 2/3 la possibilité qu’aucune des trois usines ne survive. Notre manager se demande comment présenter ses plans au conseil d’administration, car les mêmes options peuvent être respectivement présentées en termes néga-tifs, par les options C et D suivantes. La mis en œuvre du plan C, estime t’il, a pour conséquence certaine la perte de 2 des trois usines et de 4000 emplois. Le plan D est plus incertain, il conduit à une probabilité de 2/3 de tout perdre (6000 emplois) et donc à 1/3 la survie des 3 sites. Si on regarde précisément ces options, A et C sont strictement équivalentes, tout comme B et D. Pourtant 80 % des individus interrogés choisissent A dans le première présentation et B dans la seconde. Les indidivus ne traitent pas de la même manière l’incertitude concernant les gains et l’incertitude concernant les pertes. Selon la ma-nière de cadrer ce problème on observe un renversement des décisions. C’est la rai-son pour laquelle Kahneman & Tversky ont développé la théorie des perspectives

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(1979). Celle ci suggère que les gains et les pertes sont évalués par rapport à un point neutre de référence (le cadrage). Les résultats potentiels sont exprimés comme des gains ou des pertes par rapport à ce point. Les choix des agents sont formés sur la base d’une courbe en S par rapport à ce point de référence. Ils sont enclins au risque en pertes et averse au risque en gain.1 Dans notre exemple, lorsque le problème est cadré en termes de pertes d’emplois et d’usine (Plans C & D), la position de référence est celle qui correspond à la situation actuelle. L’évaluation est faite en termes de per-tes et on se situe dans la partie gauche de la courbe, dans une attitude de recherche de risque. La perte des 3 usines est évaluée comme étant inférieure à trois fois la perte d’une usine. Lorsque le problème est cadré en termes positifs de manière à sauver des emplois et des usines (plans A & B), le désastre potentiel est devenu le point de référence (l’ancrage de l’évaluation). Les choix sont perçus du côté droit de la courbe et un comportement averse au risque en résulte. Le gain de sauver les 3 usines est appré-ciée comme valant moins que trois fois le gain d’une usine. Ainsi le résultat le plus important de cette théorie est d’identifier des biais systémati-que de comportement liés à la manière de cadrer le problème, et dont aucun modèle normatif ne tient compte, car un principe évident de rationalité pose que la décision ne devrait pas dépendre de la manière dont le problème est présenté. Pour éviter les erreurs de cadrage, Russo & Schoemaker (1990) proposent une série de pistes :

- Prendre conscience du cadrage que l’on utilise et tout particulièrement aux méta-phores dont on use le plus souvent. - Choisir attentivement le cadrage retenu et en changer lorsqu’il est inapproprié (avocat du diable) - Examiner la situation à l’aune de plusieurs cadrages ; attention aux modes - Adaptez vos cadrages à la personne que vous devez convaincre

II.2. Les erreurs dans la recherche de l’information et le choix Le tableau ci-dessous résume les principales erreurs et les recommandations que l'on peut suggérer pour éviter, si faire se peut, les plus communes des erreurs en matière de recherche d’information :

(voir tableau page suivante)

1 Ces comportements sont incompatibles avec la théorie normative de la décision (utilité espé-rée).

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� Les erreurs de recherche à surmonter � Excès de confiance : on surestime nos savoirs � Réfuter plutôt que confirmer � Biais de disponibilité

� Actualité � Les expériences marquantes � L’ajustement insuffisant de l’ancrage initial

� 5 méthodes pour améliorer la recherche � Formaliser les estimations � Raffiner les estimations par le feed back � Réfuter systématiquement les hypothèses � Découvrir les sources de problèmes futurs � Se limiter aux informations traitables

Il est très fréquent, pour résumer, de suspendre trop rapidement le processus de re-cherche d’information, par excès de confiance et en raison d’une tendance générale de l’esprit à confirmer les intuitions préalables plutôt que de tenter systématiquement de les mettre en cause. La confirmation par les faits construite à l’issue d’une recher-che studieuse et approfondie suscite une récompense psychologique très forte. Le moindre élément favorable semble dire " … tu avais raison … tu es le plus fort … ". En revanche, la réfutation par des faits découverts dans les mêmes conditions est très douloureuse psychologiquement. "… tu est le plus nul…".1 Nombreux sont ceux, par conséquent, qui, à l’opposé des recommandations méthodo-logiques en matière scientifique du fameux philosophe Karl Popper, privilégient massi-vement dans leurs recherches toutes les informations qui renforcent leurs convictions et qui excluent délibérément ou non toutes les informations qui les réfutent. Il n’est pas inutile de rappeler le critère de démarcation (la falsification) qui caractérise selon Popper la pensée scientifique : "énoncer ses propositions de telle sorte qu’elles puis-sent être réfutées". Les managers majoritairement détestent cette valorisation du doute et de la réfution systématique des hypothèses, sous prétexte que la confiance en soi est indispensable pour la réalisation des objectifs. Le doute, ajoutent-ils, inhibe l’action. Une réponse simple existe à ce curieux paradoxe en distinguant formellement prise de décision et mise en œuvre. La mise en cause systématique et le doute qui caractérise la prise de décision devrait une fois qu’une résolution est adoptée renforcer la confiance dans sa mise en œuvre. De manière plus précise, le travail de Kahneman & Tversky montre qu’une des raisons principales de ces difficultés dans la recherche d’information tient à l’utilisa-tion d’heuristique. Une heuristique, dans ce contexte, décrit un raccourci mental, une règle simplificatrice indispensable en pratique, car il est tout simplement impossible de pe-

1 Dès les années 50, Festinger (1957) dans sa théorie de la dissonance cognitive mettait l’ac-cent sur ce point pour mettre en cause les modèles normatifs de décision et mettre l’accent sur les difficultés de l’apprentissage expérimental.

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ser longuement et de manière réfléchie toutes les options envisageables. Les heuristi-ques sont construites dans l’action, sélectionnées par essais et erreurs et conduisent le plus souvent à des résultats heureux, mais dans certains cas, elles peuvent s’avérer particulièrement contre-productives. Kahenman & Tversky mettent en exergue les trois heuristiques suivantes : la disponibilité, la représentativité, l’ancrage et l’ajustement. Elles peuvent jouer en même temps. L’heuristique d’ancrage et d’ajustement est un des raccourcis mentaux les plus utili-sés. Elle se caractérise par l’idée que les informations aisément disponibles (intuition) sont les plus pertinentes et qu’elles suffisent à décider. Le manager ajuste à la marge la situation qu’il affronte à une situation de référence qui lui a été fournie ou bien dont il dispose en mémoire, ou encore qui est le résultat d’une expérience marquante. Par exemple, il est courant lors de l’établissement des budgets de se caler sur l’exercice précédent et d’ajuster l’estimation en partant de cette base. Cette procédure conduit pourtant à des biais systématiques. Le tableau ci-dessous montre aisément l’insuffisant ajustement effectuée par les ré-pondants par rapport à un niveau arbitraire explicité dans la question et qui sert impli-citement de base aux répondants.

3 groupes : Quel est le taux d’intérêt dans 6 mois de la zone euro ? (3 %)

100 personnes 1er groupe

Moyenne : 3,5 %

2ème groupe : 2 ques-tions pour influencer

1. Pensez vous que le taux sera sup ou inf à 2 % ? 2. Quel est le taux : 2,9 %

3ème groupe : 2 ques-tions pour influencer

1. Pensez vous que le taux sera sup ou inf à 4 % ? 2. Quel est le taux : 3,7%

s On retrouve le même type d’effets lors d’expériences marquantes, ou en raison de la médiatisation (saillance) de certains évènements. Le nombre de morts par cancer de l’estomacs est il plus important que celui des décès par accidents de la route ? Le rapport est d’environ 2 pour 1 aux États-unis, pourtant la majorité des personnes pensent que le nombre de morts par accidents de la route est le plus important. II.3. Un exemple d’erreur dans le choix De nombreuses études montrent que l’étape du choix est particulièrement touchée par des erreurs. L’une des plus notables concerne la prise de décision collective avec le phénomène de pensée de groupe ou "groupthink" (Janis, 1972), qui fait prévaloir le consensus et la conformité à la rigueur de la critique constructive de la décision. Les expériences bien connues d’Asch (1956), par exemple, montrent l’effet extrêmement puissant du conformisme. Sans développer cet aspect, rapportons deux expériences

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qui permettent de réfléchir aux erreurs de décision "naturelles", en l’occurrence ici des erreurs de diagnostic en matière médicale (Russo, Schoemaker, 1990). Dans une première étude, on présente 96 radios de l’estomac à des spécialistes en leur demandant d’établir un estimation de la probabilité d’un ulcère. Une semaine plus tard sur le même échantillon de médecins, les mêmes radios classées différemment leurs sont à nouveau présentées. La corrélation statistique entre les deux estimations s’établit entre 0,6 et 0,9 selon les médecins.1 Dans une autre étude sur l’amygdalectomie du New England Journal of medicine, on observe les résultats sui-vants. Un premier groupe de médecins établit que sur une cohorte de 389 garçons, 45% devraient se faire opérer. Les cas de tous les garçons jugés sains par ce premier groupe de médecins sont alors soumis à un deuxième groupe de médecins. Leur re-commandation est d’opérer 46% de ces patients. Enfin, un troisième groupe de mé-decin examine les 116 garçons jugés sains simultanément par les deux premiers groupes. Le résultat des recommandations est d’en opérer 44 %. Établissant leur dia-gnostic, en aveugle, sans savoir les résultats précédents sélectionnant dans l’échantillon les seules personnes saines, les deux derniers groupes de médecins conservent implicitement un ratio de 45% de personnes pour lesquels l’opération est recommandable. Ces deux études montrent explicitement que lorsqu’on laisse la décision s’exercer avec le seul recours de l’intuition individuelle, on se repose sur toutes les informations dis-ponibles à l’esprit et on laisse la fatigue, l’ennui, la distraction, … jouer. Pour conclure, on peut également citer le résultat de la comparaison effectuée par Russo et Schoemaker entre différentes méthodes de prédiction :

Comparaison de la corrélation entre la modélisation et les résultats réels

Jugement à faire Recours à l’intuition

Modèle subjectif

Modèle statistique

Perf. des étudiants 0,19 0,25 0,54

Espérance de vie cancer -0,01 0,13 0,35

Fluctuation du prix des actions 0,23 0,29 0,8

Perf d’un vendeur d’assurance vie 0,13 0,14 0,43

Test psy sur maladie mentale 0,28 0,31 0,46

e Bien loin de l’imaginaire du manager héroïque, tous ces résultats incitent à l’humilité quant à la performance managériale en matière de prise de décision. Cette humilité est encore plus importante lorsqu’on pose quelques bases de réflexion sur l’apprentis-

1 Rappelons que le coefficient de corrélation peut prendre des valeurs allant de –1 (corrélations parfaitement négatives entre les deux séries de données) à 1 (corrélation positive parfaite entre les deux séries de données). Un coefficient de corrélation de 0 signifiant l’absence de corréla-tion entre les deux séries de données.

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sage en matière de décision. III. LA DIFFICULTÉ D’APPRENDRE À AMÉLIORER LES PROCESSUS DE DÉCI-SION Apprendre à décider lorsqu’on s’inscrit dans la perspective traditionnelle augurée par Argyris et Schön suppose que le processus commence par la reconnaissance d’une er-reur : un résultat inférieur aux attentes. D’où l’expression plus courante aujourd’hui de retour d’expérience. D’emblée s’impose une difficulté particulière en matière de prise de décision car l’incertitude affecte l’ensemble du processus. Les situations concrètes sont des situations d’information incomplète, qui mettent en cause la pertinence du retour d’expérience. Le graphique ci-dessous met en évidence la difficulté de l’exercice :

Apprendre à décider :

Pilotage de la mise en oeuvre

Ce graphique permet de cadrer avec rigueur l’apprentissage comme un retour d’expérience qui débute une fois les résultats d’une décision obtenue, c’est-à-dire une fois le processus de décision et sa mise en œuvre effectuée. Il va de soit que si l’ensemble de cette démarche, et notamment la prise en compte des aléas, demeure implicite, personnelle, cachée dans l’esprit des managers en formation, il n’y a pas ou très peu d’apprentissage possible. S’il n’y a pas de traces et de mémorisation de l’ensemble de la démarche, il n’y a pas ou très peu d’apprentissage possible. Par conséquent, s'il n’y a pas de lieu de mise en question des décisions, des aléas, des ré-sultats obtenus, un véritable pilotage organisée des retours d’expériences, il n’y a pas ou très peu d’apprentissage possible. On observera en pratique que dans la plupart des organisations, sinon toutes, le re-tour d’expérience est peu effectif en raison de l’absence de données. Ainsi, on ne peut pas savoir les résultats qu’auraient obtenus des candidats à un poste que l’on a rejeté. On ne peut éventuellement apprécier que les résultats de ceux qui sont retenus !

Processus de décision

Aléas Pilotage du retour

d'expérience

Résultats

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L’acquisition de ces données est en effet rendu complexe par le caractère dynamique des interactions entre décision – mise en œuvre – résultats afin d’affronter les contin-gences multiples. Une décision, en pratique, dans les organisations, n’est jamais uni-que et interagit avec celles des collègues. De plus, les résultats sont influencés par des mesures correctrices prises à mesure que se déroule la mise en oeuvre. Enfin, jouent ensemble des facteurs ignorés, des indicateurs difficiles à mesurer, des résul-tats ambigus, l’effet des jugements auto-réalisateurs, etc. Le plus souvent, cependant, l’absence de retour d’expérience tient à la pression constante que l’action exerce sur les managers qui ne leur permet pas d’utiliser l’information disponible ni de structurer un retour d’expérience par manque de temps. On peut résumer par conséquent la problématique très simplement : qui et où pilote-t-on les retours d’expériences individuels et collectifs ? À titre d’exemple nous allons développer deux expériences qui présentent des échecs en matière de retour d’expérience et qui suggèrent les limites de ce qu’on pourrait appeler l’idéologie managériale. III.1. Le modèle 1 de théorie en usage Ce modèle d’Argyris (1988) a été proposé à la suite d’une étude approfondie des comportements consistant pour un supérieur hiérarchique à communiquer à son su-bordonné que sa performance est insuffisante, qu’elle doit changer, et qu’il est prêt à l’aider à changer. Le protocole expérimental consiste à fournir à un échantillon de 1000 répondants des scripts de l’interaction. Les répondants sont chargés d’apprécier leur efficacité et d’en proposer de meilleurs. Le résultat peut être le plus fondamental est la très faible variance des résultats. Cela signifie le caractère général et social de l’interprétation de cette interaction particulière en organisation : la communication d’un résultat individuel insuffisant et la nécessité de l’améliorer. Les conclusions principales qu’Argyris tire de l’enquête sont résumées ci-dessous :

- Tous les répondants évaluent l'impact du supérieur sur son subordonné comme négatif et inefficace. Ils ne croient pas que les conditions de l'apprentissage, et d’un changement de comportement du subordonné soient crées par le supérieur hiérar-chique. - Si le supérieur se comporte de manière non sensible, juge, intimide, alors le su-bordonné ressentira probablement de l’incompréhension, des préjugés en sa défa-veur et en conséquence, réagira défensivement. - Si le supérieur continue de se comporter ainsi, les deux acteurs, ressentiront la si-tuation comme non influençable. L’unique espoir des deux interlocuteurs est la poursuite de la civilité. La seule solution pour le supérieur est de fixer une limite de progression au subordonné ; et de s’y tenir avec la plus grande rigueur.

L’ancrage social et général de cette interprétation conduit à supposer que dans la si-tuation du supérieur hiérarchique, les répondants se comporteraient de manière simi-

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laire à celui dont ils jugent le comportement inefficace. Confrontés à cette contradic-tion, les répondants préconisent une démarche de facilitation tentant par des ques-tions successives au subordonné de lui faire comprendre la situation - à savoir l’obligation pour lui de changer de comportement et d’améliorer sa performance. Or, parmi les scripts soumis aux répondants, ce script de la facilitation est jugé de ma-nière aussi négative que le script initial. En définitive, Argyris résume les comportements des deux protagonistes par les 4 propositions suivantes :

1. Les individus n'expliquent pas leurs évaluations ou attributions quant à la per-formance. 2. Ils ne testent pas publiquement la validité de leurs évaluations. Ils agissent comme si leurs évaluations étaient concrètes et évidentes. 3. Ils conçoivent des approches de facilitation pour circonvenir des réactions de défense du subordonné (cela produit souvent des réactions de défense non ex-primées) 4. L’insuffisance de feedback ne permet pas l’apprentissage des protagonistes de leur impact sur les autres.

Naturellement l’enchaînement de ces caractéristiques conduit à des erreurs en cas-cade, de la défiance et, in fine, de mauvais résultats. Argyris généralise ce résultat à ce qu’il nomme le modèle 1 de théorie en usage qui, selon lui, influence les diagnostics et les cadres d’action élaborés par les individus dans les organisations. Ce modèle déterminé par la socialisation ne permet pas l’efficacité de l’entretien d’évaluation, qu’on utilise le script de communication directe ou indirecte (facilitation). Pour lever l’obstacle, Argyris propose de rompre le lien hié-rarchique pour y substituer un rapport de subordination se renversant régulièrement à échéance régulière : le subordonné prenant la place du supérieur et ainsi de suite. Cette solution ne semble pas se généraliser en pratique.

Quatre variables de gouvernement : 1. S'efforcer d'être non contrôlé 2. Minimiser les pertes et maximiser les gains 3. Minimiser l'expression de sentiments négatifs 4. Être rationnel

Deux stratégies de comportement : 1. Défendre ses vues sans encourager l'enquête afin de conserver son autonomie personnelle et espérer gagner. 2. Sauver la face (pour soi et pour les autres).

Tableau 10 : Le modèle 1 de théorie en usage

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III.2. L’hypothèse de l’incertitude sur les résultats et les croyances des ma-nagers sur leur capacité de gestion Parmi les éléments qui jouent sur l’attribution des mauvais résultats suscitant les ef-fets contre-productifs du modèle 1, on peut faire l’hypothèse qu’un des aspects les plus importants est l’absence de prise en compte de l’incertitude : le manager serait responsable en toute situation des résultats, même s’il ne contrôle pas toutes les va-riables les produisant. Pour s’en convaincre, il est particulièrement intéressant de rapporter l’expérience me-née par Schoemaker et Russo (1989) sur les contradictions que l’on observe en la ma-tière. On demande à un groupe de manager expérimenté de choisir entre deux pièces de monnaie permettant de gagner 1 M€ si la pièce de monnaie choisie tombe sur pile. La première pièce (A), non biaisée a une probabilité de 1/2 de succès. La seconde pièce (B), biaisée a 60% de chance de succès. Naturellement tous choisis-sent la pièce B. Mais à présent, supposons que les deux pièces soient lancées, A tombe sur pile et B sur face. Le manager a-t-il pris, malgré le mauvais résultat, la bonne décision ? Lorsqu’on interroge les managers, en leur demandant de noter la décision de 1 à 7, la note moyenne du groupe n’est alors seulement que de 5,1. La même expérience contextualisée dans une problématique de lancement d’une in-novation renforce la contradiction. Supposons que l’on estime que deux nouveaux produits ont l’un a 50 % de chance de succès (A) et l’autre 60 % (B). Dans les deux cas, le bénéfice potentiel en cas de succès est de 1M€ et de zéro en cas d’échec. B est naturellement choisi par tous les managers du groupe. Mais ex post, informé que la décision de commercialiser B se solde par un échec, la moyenne de l’appréciation de la décision sur une échelle de 1 à 7, par un groupe de décideur, se fixe seulement à 4,4. On observe ainsi, même dans cette situation très simplifiée, un hiatus lié à la prise en compte de l’échec dans l’appréciation de l’action managériale et cela même si la déci-sion prise, en toute logique, était la seule possible. Cela revient à considérer que le management est responsable des aléas non contrôla-bles, contre tout bon sens. Ce phénomène de mauvaise conception du hasard est très commun et mis en évidence à de nombreuses reprises dans des contextes expérimen-taux en laboratoire (Kahneman & Tversky, 1974). Il est probablement relié à l’idéologie managériale comme le montrent les travaux de March et Shapira (1987).

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CONCLUSION : QUELQUES RECOMMANDATIONS POUR AMÉLIORER SA PRISE DE DÉCISION Rappelons en premier lieu le fait central de l’activité managériale : 70 % à 80 % du temps de travail est consacré à l’échange d’information et à la prise de décision. Or, les recherches en laboratoire dans des conditions simplifiées et contrôlées mon-trent que les personnes commettent des erreurs. C’est le cas dans des contextes ex-périmentaux qui testent les individus comme les groupes. Dès lors, il n’est pas possi-ble de supposer que, dans les conditions plus complexes qui caractérisent les l’activités managériales dans les organisations, aucune erreur ne survienne. S’en prémunir exige de créer les conditions organisationnelles qui permettent l’apprentissage. Il s’agit de bâtir, d’organiser et de structurer le retour d’expérience. Ces conditions, on l’a montré dans la dernière partie ne semblent pas encore de mise dans le contexte idéologique managérial actuel marqué par la permanence de l’appréciation des managers sur leurs résultats financiers tant domine actuellement le pouvoir du cadrage de la création de valeur pour l’actionnaire. Pourtant, dans un contexte marqué à la fois par un niveau d’incertitude sans cesse plus important et des ruptures extrêmement rapides de l’environnement, il est tout simplement inconséquent d’attribuer aux managers des résultats collectifs sans une appréciation fine des aléas favorables ou défavorables qui les ont impactés. Cette ap-préciation fine, base de toute politique d’apprentissage, porte inévitablement à la fois sur les contenus (les modèles tenus pour avérés par les managers), les processus de décision (cadrage, recherche d’information choix), et leur mise en oeuvre. Notons juste que les systèmes d’appréciation actuels (entretien d’évaluation, 360°, etc.) en sont très loin. Cette situation explique la position radicale de Mintzberg (2004) contre les MBA (Mas-ter of Business Administration) car, selon lui, on ne peut enseigner le management en formation initiale sans expérience. Il propose ainsi de structurer dans un milieu aca-démique un forum d’échange critique sur les pratiques professionnelles et leur amélio-ration. Cette position peut sembler excessive, car elle semble minorer l’importance de la ré-flexion critique a priori au profit d’une expérience dont on a montrée qu’elle est sou-vent marquée de nombreux biais (rétrospection notamment). Ainsi, par exemple, la grille d’audit de sa pratique décisionnelle (Russo et Schoemaker, 1990), me semble pertinente tant en formation initiale qu’en formation continue. Au fond, pourquoi l’apprentissage du management différerait-il de tous les autres ? D’un point de vue méthodologique, n’est-il pas identique à la maïeutique socratique traditionnelle : accepter par la discussion critique et la confrontation aux faits de met-tre en cause ses modèles mentaux pour en construire de nouveaux.

(voir tableau page suivante)

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Audit personnel ou collectif

� Quel est notre cadrage habituel ? � Quelles sont mes heuristiques habituelles ? � Quelles méthodes de choix ? � Quels obstacles à mon apprentissage ? � Quelle phase est pour moi la plus doulou-

reuse ?

� Quels sont mes principaux pièges ? � Que dois je changer réellement ? � Puis le faire seul ou avec qui ? � Se noter sur le processus et deman-

der à quelqu’un d’autre de vous no-ter.

e _____________ Bibliographie :

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ALLOCUTION DE CLÔTURE DU COLLOQUE

Allocution de clôture des travaux des JEG4 Jean-Claude BILLIET Inspecteur général de l'éducation nationale

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JEG4 - Former des managers : une utopie ?

ALLOCUTION DE CLÔTURE DE LA 4° ÉDITION

DES JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE-GESTION Jean-Claude BILLIET Inspecteur général de l'éducation nationale Mesdames, Messieurs, Chers Collègues, Nous sommes désormais au terme de notre séminaire. Je tiens, une fois encore, à remercier les organisateurs pour le professionnalisme avec lequel ils nous ont pris en charge au cours de ces deux journées. Je souhaite également féliciter les conféren-ciers, tant marocains que français, pour la qualité de leurs interventions et l’intérêt des communications qu’ils nous ont proposées. C’est un redoutable privilège que celui de clore une telle manifestation. La densité des propos tenus lors des différentes interventions ainsi que leur hauteur de vue, incite à une extrême modestie. Il serait d’une grande vanité de ma part que de tenter une synthèse, rendue d’ailleurs impossible par le caractère parfois opposé des prises de position des uns et des au-tres. C’est d’ailleurs là toute la richesse d’un tel colloque. En outre, il est toujours très imprudent de disposer de la parole finale, car avoir le dernier mot ne signifie pas né-cessairement que l’on ait raison. Une première question se pose à ce stade : avons-nous atteint nos objectifs ? Rappe-lons que le titre des quatrièmes journées de l’économie et gestion était libellé sous une forme interrogative : former des managers, une utopie ? Je crois que nous pouvons d’ores et déjà considérer que nous avons répondu à cette interrogation : ce n’est pas une utopie de former des managers, c’est même indispen-sable… Mais… Je vais tenter d’éclairer ce "mais" et, pour cela, je me propose d’organiser mon propos autour de trois idées, s’adressant aux différentes personnes ici présentes :

- tout d’abord, en m’adressant au monde de l’entreprise, sur la question du ma-nager marocain, - ensuite, en questionnant les formateurs et plus particulièrement l’université ma-rocaine quant à son aptitude à former des managers,

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- enfin, j’interpellerai les agrégatifs qui deviendront demain des professeurs agré-gés d’économie et gestion chargés de former les jeunes qui constituent le vivier de futurs managers marocains.

Premier sujet de débat. Vous avez insisté, les uns et les autres sur le fait que le ma-nager était soumis à une forte pression, en raison notamment du système complexe d’injonctions paradoxales, aussi bien internes qu’externes, auxquelles il doit donner des réponses. L’un d’entre vous a même fait remarquer, reprenant le vieil adage qui faisait tant plaisir à Georges Brassens, que le talent n’était rien sans la technique et que cela s’appliquait pertinemment aux managers. Quels sont donc les talents et, par voie de conséquence, les faiblesses des managers marocains ? Les deux atouts majeurs des managers marocains sont très certainement le sens de l’ouverture ainsi que leur très forte adaptabilité et leur réactivité. En contrepartie, j’identifie deux faiblesses, dont les racines sont très probablement à rechercher dans les tréfonds de ce qui constitue aujourd’hui l’identité marocaine. Vous avez dit que manager c’est prévoir et bien c’est justement ce sens de l’anticipation qui fait parfois défaut au manager marocain. Seconde faiblesse que vous connaissez bien : le rapport particulier que vous entretenez avec le temps et avec la durée. Or la gestion du temps constitue une variable fondamentale du management des organisa-tions. Bien évidemment, l’analyse à laquelle je me livre n’engage que moi, mais je suis persuadé que ces deux composantes que sont la gestion du temps immédiat et la dif-ficulté de se projeter dans le futur, pèsent lourdement sur l’efficacité du manager ma-rocain et je pourrais citer de nombreux exemples tirés du management opérationnel qui illustreraient mes propos. Reste à savoir si cela peut se soigner ou si le poids culturel est trop fort pour pouvoir dépasser ce double handicap. Une chose est certaine, le manager marocain de demain devra se montrer capable de porter son regard loin, sur le long terme et gérer les contraintes spatiotemporelles im-posées par la mondialisation. Vous en êtes très certainement capables. Deuxième axe de réflexion, interrogeons-nous sur la formation des cadres marocains. D’excellents exemples nous ont été proposés en matière de développement des gran-des écoles de gestion au Maroc et tout porte à croire qu’il convient d’encourager cette initiative. Reste que de nombreuses critiques ont été adressées au modèle de forma-tion universitaire qui caractérise l’enseignement supérieur marocain. Je crois qu’au-delà de la critique, toujours facile à porter, il nous faut approfondir la question, certains intervenants au cours de ces journées ayant d’ailleurs mis le doigt sur des problèmes de méthode pédagogique, inductive ou déductive, ainsi que sur les modalités de présentation des savoirs : magistrale ou participative. Première remarque, vous utilisez, majoritairement, des modèles didactiques et péda-gogiques hérités des grecs et des romains et que la France vous a transmis, je veux parler du modèle hypothético-déductif. Ce modèle est issu de la démarche expérimen-tale qui convient bien aux sciences dites exactes et que j’appellerai, si vous le voulez bien, le syndrome de Galilée, en référence à son invention de la lunette astronomique à partir d’hypothèses qu’il avait formulées sur le système planétaire.

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Cette démarche ne convient pas au manager ou à l’apprenti manager. Je reprendrai volontiers à mon compte les idées de Carlos Ghosn, déjà abondamment citées au cours de ces deux journées : la démarche du manager consiste bien, partant du réel, à remonter vers les concepts. C’est donc bien au défi de revisiter rapidement les méthodes d’enseignement dans les formations supérieures de gestion, que l’université marocaine est confrontée ou, si vous préférez, à l’impérieuse nécessité d’opérer une révolution culturelle dans l’enseignement universitaire que vous êtes tous conviés. Le chemin sera long et diffi-cile, mais c’est à ce prix que la formation des managers marocains pourra se mettre au niveau des exigences de l’internationalisation des activités économiques. Troisième et dernier point, qui s’adresse plus particulièrement aux agrégatifs de l’ENSET de Mohammedia qui nous ont accompagnés tout au long de ces deux jour-nées et dont la qualité du questionnement est prometteuse d’un avenir que le concours de l’agrégation marocaine d’économie et gestion devrait récompenser pro-chainement. Vous porterez bientôt la lourde responsabilité de former des jeunes qui, pour une part, deviendront les managers de demain. C’est une mission de première importance, car j’ai toujours pensé que le problème du Maroc ce n’était pas la fuite des cerveaux ou la formation des élites du monde de l’entreprise, mais avant tout cette difficulté de fabriquer l’encadrement intermédiaire dont les PME marocaines ont tant besoin. Nous avons abordé ce sujet il y a deux ans à l’occasion des JEG2, mais je remarque que rien n’a changé depuis, il faut de toute urgence mettre en place, ici au Maroc, les formations technologiques et professionnelles à bac + 2, pour lesquelles, vous profes-seurs agrégés avez été recrutés. Vous avez désormais bien compris que l’on attend de vous que vous mettiez en œuvre des méthodes pédagogiques actives, afin de permettre aux étudiants qui vous seront confiés, de participer à l’appropriation de leur savoir dans les domaines de l’économie, du management et de la gestion. Mais on vous en demande encore plus, Il faut aller plus loin : c’est à vous qu’il revient de développer chez le jeunes marocains l’esprit d’entreprise. Agir aujourd’hui, pour qu’ils aient envie demain d’être managers, de créer leur entreprise, de prendre leur place, toute la place qui leur revient, dans le mouvement mondial qui affecte les échanges de biens et de services. Le défi est à la hauteur des ambitions de votre pays et je suis personnellement convaincu que vous êtes capables de le relever. En définitive, la question fondamentale soulevée par ces quatrièmes Journées de l’Économie-Gestion est la suivante : que souhaitez-vous demain pour votre économie et pour votre pays ? Préférez-vous voir s’installer au Maroc des managers venus de pays étrangers, qu’ils soient d’Europe ou d’ailleurs, pilotant des entreprises dont le capital mondialisé sera entre les mains d’autres pays, y compris des pays voisins riches de leur pétrodollars ou préférez-vous accompagner le développement de l’économie marocaine, avec des managers marocains efficaces et entreprenants, formés aux méthodes modernes de

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management et disposant de ressources financières tirées des richesses que votre pays est tout à fait à même de produire ? Personnellement, je suis persuadé que tout l’enjeu de la réussite économique de votre beau pays réside dans cette question et j’espère que ces journées ont ouvert votre esprit et votre soif de réussir ce pari : faire du Maroc un acteur reconnu du dévelop-pement économique mondial. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention.

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SOMMAIRE

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SOMMAIRE

Avant propos p. 3

Programme du colloque "Former des managers : une utopie ?" p. 4

Liste des conférenciers p. 6

Comité d'organisation du colloque p. 7

Allocutions d'ouverture du colloque p. 9

Première allocution d'ouverture de la 4° édition des Journées de l'Éco-nomie-Gestion (Bachir Salhi) p. 10

Seconde allocution d'ouverture des JEG 4 (Yves Kergall) p. 13

Allocution d'ouverture du colloque "Former des managers : une utopie ?" (Lahcen Oulhaj) p. 15

Allocution d'ouverture des travaux (Jean-Claude Billiet) p. 17

Pourquoi former des managers ? p. 21

Évolution des attentes réciproques entre l'entreprise et ses managers (Jamal Belahrach)

p. 22

Quel profil pour le manager de demain ? (Jamal Eddine Tebâa) p. 30

Pratiques managériales des entreprises et formation en gestion (Rachid M'Rabet)

p. 41

Faut-il former les managers ? (Éric Godelier) p. 49

Comment former des managers ? p. 65

Quelles compétences développer pour quels rôles des managers ? (Mo-hammed Guedira)

p. 66

Devenir manager : une formation ou des cursus ? (Éric Savattero) p. 75

Quels types de manager pour une bonne gouvernance ? (Bouchaïb Serhani)

p. 82

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Quel manager pour le service public ? p. 91

Le manager public aux prises avec le Statut Général de la Fonction Pu-blique (Khalid Ben Osmane)

p. 92

Recruter et former des managers dans le cadre de la fonction publique : la fin d'une utopie (Alain Henriet)

p. 105

Le rôle de l'encadrement intermédiaire dans la mobilisation des ressour-ces humaines dans l'administration publique (Hassan Chraïbi)

p. 115

Comment organiser la formation des managers ? p. 139

Vers une internationalisation de la formation des managers (Mohamed El Moueffak)

p. 140

Le manager : héro ou apprenti ? Quelles leçons tirer des résultats sur la prise de décision (Laurent Dehouck)

p. 141

Allocution de clôture du colloque p. 159

Allocution de clôture de la 4° édition des Journées de l'Économie-Gestion (Jean-Claude Billiet) p. 160

Sommaire p. 165

Remerciements p. 168

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REMERCIEMENTS :

M. Jean-Claude Billiet inspecteur général de l'Éducation Nationale

Mme Élisabeth Gay attachée de coopération au SCAC de l'Ambassade de France au Maroc

M. Bachir Salhi directeur de l'ENSET de Mohammedia

M. Lahcen Oulhaj doyen de la FSJES de Rabat-Agdal

M. Pierre Célier professeur de l'ENSET de Mohammedia

M. Omar Bouattane directeur-adjoint de l'ENSET de Mohammedia

M. Mohamed Aboutahir chef de département à l'ENSET de Mohammedia

Mme Jamila Bakkoury cellule formation continue de l'ENSET de Mohammedia

Mme Fatima Ouahmi professeur de l'ENSET de Mohammedia

M. Tahar Hanoun Secrétaire général de l'ENSET de Mohammedia

M. Mohamed Rafik professeur de l'ENSET de Mohammedia

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