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1 FORMATIONS ET CADRE D’INTERVENTION SPÉCIALISÉ POUR LES TROUBLES DE PERSONNALITÉ Impacts positifs et défis perçus par des intervenants de première ligne PAQUET, Steve, Ph.D. CSSS de la Vieille Capitale, GRIOSE-SM BOUCHARD, Sébastien, Ph.D. Professeur substitut à la TÉLUQ CLÉMENT, Michèle, Ph.D. CSSS de la Vieille Capitale, GRIOSE-SM Rapport final remis au comité directeur du Consortium en évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé et services sociaux en première ligne – CETMISSS-PL Septembre 2012

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FORMATIONS ET CADRE D’INTERVENTION SPÉCIALISÉ POUR LES TROUBLES DE PERSONNALITÉ

Impacts positifs et défis perçus par des intervenants de première ligne

PAQUET, Steve, Ph.D. CSSS de la Vieille Capitale, GRIOSE-SM

BOUCHARD, Sébastien, Ph.D.

Professeur substitut à la TÉLUQ

CLÉMENT, Michèle, Ph.D. CSSS de la Vieille Capitale, GRIOSE-SM

Rapport final remis au comité directeur du Consortium en évaluation des technologies et des

modes d’intervention en santé et services sociaux en première ligne – CETMISSS-PL

Septembre 2012

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Ce document est uniquement disponible en format électronique à l’adresse suivante : http://www.csssvc.qc.ca/

Dépôt légal : 2012

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

ISBN : 978-2-89680-058-2 (PDF)

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Remerciements

Nos premiers remerciements s’adressent aux participants à la recherche, pour le temps qu’ils ont donné et pour leur confiance exprimée à l’endroit des chercheurs. Merci également à l’ensemble des personnes qui ont figuré à un moment ou à un autre parmi les membres du comité de pilotage. Votre collaboration soutenue et votre enthousiasme pour cette étude ont été une source de motivation constante. Nous tenons également à souligner l’apport du CSSS de la Vieille Capitale, pour son soutien administratif et celui de madame Marie Gervais, professeure au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval pour sa contribution à la planification et au démarrage de cette recherche. Merci enfin aux professionnelles de recherche et aux étudiants qui ont travaillé à cette étude. Nous pensons en particulier à mesdames Geneviève Roberge et Karen Giguère ainsi qu’à monsieur Alexandre Théberge; votre participation a contribué au succès et au bon déroulement de cette recherche.

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Table des matières

RÉSUMÉ ET FAITS SAILLANTS ........................................................................................................................ 5

1. INTRODUCTION ET MISE EN CONTEXTE DE LA DÉMARCHE ...................................................................... 6

2. LE SUIVI EN PREMIÈRE LIGNE DES PERSONNES PRÉSENTANT UN TPL ..................................................... 7

3. PRÉSENTATION DU « CADRE TP » ............................................................................................................. 9

4. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE ...................................................................................................................11

5. CADRE THÉORIQUE ET ÉLÉMENTS DE MÉTHODE .....................................................................................12

5.1 MÉTHODE, CADRE THÉORIQUE ET TECHNIQUE D’ANALYSE ................................................................................12 5.2 POPULATION, SITES À L’ÉTUDE ET STRATÉGIE DE RECRUTEMENT .........................................................................12 5.3 PORTRAIT DES PARTICIPANTS, COLLECTE ET ANALYSE DES DONNÉES ....................................................................13

6. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ...............................................................................................................13

6.1 LES IMPACTS POSITIFS POUR LES PROFESSIONNELS ..........................................................................................14 6.1.1 Sentiment de compétence et de sécurité accru ...........................................................................15 6.1.2 Diminution des interventions en situation de crise .....................................................................15 6.1.3 Impacts positifs sur les attitudes envers les usagers ...................................................................16 6.1.4 Améliorations perçues de la cohérence des interventions et des services ..................................17 6.1.5 Plus grande cohésion et sentiment d’être soutenu par son équipe.............................................17 6.1.6 importance de l’accès à la supervision clinique ..........................................................................18

6.2 LES IMPACTS NÉGATIFS POUR LA CLIENTÈLE....................................................................................................19 6.2.1 l’application rigide du cadre peut entraîner un vécu d’échec et de rejet ....................................19 6.2.2 Le cadre peut servir de justificatif à l’exclusion du système de soins ..........................................20 6.2.3 Un service « parasitaire » financé au détriment d’autres services..............................................20 6.2.4 Un programme victime de son succès à effet entonnoir .............................................................21

6.3 RÉSISTANCES DES INTERVENANTS À L’OBSERVANCE AU PROGRAMME ..................................................................21 6.3.1 Rigidité perçue du programme ...................................................................................................22 6.3.2 Interptétation des règles et phénomènes de tension dans les équipes .......................................23 6.3.3 Offre de service « tout ou rien », sans autre alternative pour la clientèle ..................................24 6.3.4 Préalables de stabilisation de vie des usagers comme prérequis au cadre tp ............................24 6.3.5 Contraintes organisationnelles liées au démarrage des groupes psychoéducatifs .....................25

6.4 JUSTIFICATIONS D’UN USAGE «À LA PIÈCE» DU PROGRAMME TP FACE À DES DEMANDES CONTRADICTOIRES ...............26 6.4.1 Défense de son autonomie professionnelle et de la valeur du jugement clinique ......................27 6.4.2 Établissement d’une alliance thérapeutique précédant le programme ......................................28 6.4.3 Traits, trouble de personnalité et inconvénients au diagnostic comme condition d’accès aux services .................................................................................................................................................28 6.4.4 période de pré-thérapie aux contours imprécis ..........................................................................29

6.4 PISTES DE SOLUTION AVANCÉES PAR LES PROFESSIONNELS ................................................................................30

7. DISCUSSION ET CONCLUSION ...................................................................................................................31

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ................................................................................................................35

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Résumé et faits saillants

Le suivi en première ligne des personnes aux prises avec un trouble de la personnalité (TPL) constitue un défi de taille pour les professionnels des équipes de santé mentale intervenant dans les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) du Québec. Au milieu des années 1990, un cadre de référence et un nouveau programme de traitement pour les personnes présentant un trouble de la personnalité ont été introduits dans les CSSS de la région de Québec. Ce «cadre TP», comme le nomment souvent les intervenants, est principalement constitué d’une combinaison de règles encadrant l’accès et le maintien aux services additionnés d’un programme de psychothérapie de groupe et individuel. Ce programme de traitement basé sur les données probantes s’inscrivait dans une volonté de renouvellement de l’offre de service proposée aux individus présentant un trouble de la personnalité. La présente étude vise à dégager un portrait de l’opinion d’un échantillon de professionnel en santé mentale quant aux impacts qu’a eu sur eux et leurs clients l’implantation d’un modèle d’intervention novateur. Cette étude utilise un devis qualitatif basé sur des entrevues semi-structurées. Principalement, nous nous sommes penchés sur les impacts positifs ainsi que les défis auxquels font face les intervenants impliqués dans ces programmes de formation et d’intervention. Cette démarche nous a conduit à identifier des réticences et obstacles rencontrés dans les milieux de pratique. Les résultats de cette étude soulèvent des enjeux importants, tant cliniques qu’organisationnels, qui viennent entre autres questionner le mandat des CSSS et la finalité des services offerts en première ligne dans leur configuration actuelle. Ceux-ci soulignent le jugement unanime de l’utilité et de la pertinence du changement de pratique qui s’est opéré au CSSS de la Vieille-Capitale en ce qui a trait aux services offerts aux personnes aux prises avec d’un trouble de la personnalité. L’enthousiasme critique et lucide que nous avons constaté sur le terrain s’inscrit dans une mouvance observée au niveau international vers l’amélioration constante des services et des traitements publics offerts aux personnes aux prises avecun trouble de la personnalité.

Mots-clés : Trouble de personnalité; trouble de personnalité limite; approche dialectique-comportementale; données probantes; services de première ligne; CLSC; formation en santé mentale; psychothérapie; traitement; supervision.

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1. Introduction et mise en contexte de la démarche

Le suivi en première ligne des personnes aux prises avec un trouble de la personnalité constitue un défi pour les professionnels des équipes de santé mentale intervenant dans les Centres de santé et de services sociaux du Québec (CSSS; Bouchard, Duval et Julien, 2010; Villeneuve et Lemelin, 2009). Au milieu des années 1990, un cadre de référence et un nouveau programme de traitement pour les personnes présentant un trouble de la personnalité (TP; communément appelé le « cadre TP » par les acteurs du réseau)1 ont été introduits dans les CSSS de la région de Québec. Ce «cadre TP» (constitué d’une combinaison de règles encadrant l’accès et le maintien aux services additionnés d’un programme de psychothérapie de groupe et individuel) visait à renouveler l’offre de service pour le suivi des individus présentant des traits ou un trouble de la personnalité limite (TPL) ou autre type de TP (dépendant, narcissique, évitant, etc.). Une longue démarche de consultation et de concertation a précédé la mise en application de ce cadre d’intervention pour les personnes présentant un TP. Les travaux d’Hélène Busque, psychologue2, ainsi que le volet de soutien au réseau du Centre de traitement le Faubourg St-Jean (CTFSJ) de l’Institut Universitaire en santé mentale de Québec ont tous deux grandement contribué au succès de l’initiative du CSSS de la Vieille-Capitale de tenter d’améliorer la cohérence et la qualité des services aux individus présentant un TPL.

À l’origine, en plus de viser l’amélioration de la cohérence des services offerts, cette démarche avait pour objectif de soutenir les professionnels travaillant auprès de cette clientèle réputée « difficile » (Schafer & Nowlis, 1998 ; Stigler & Quinche, 2001). Pour l’essentiel, le soutien offert aux intervenants de la première ligne s’est fait par l’entremise de deux types de formation : d’une part, celle des cliniciens rattachés au CTFSJ portant sur les TP en général et sur la notion de cadre thérapeutique; et d’autre part, celle donnée par Hélène Busque portant sur l’enseignement du modèle de thérapie dialectique comportementale (TDC). Ce modèle a été développé vers la fin des années 80 par Marsha Linehan à l’Université de Seattle, à Washington (Linehan, 1987) et soulignons que de nombreuses études (Barnicot et Katsakou, 2011; Provencher et

1 Dans la suite du document, bien qu’à l’origine le modèle de traitement dont s’inspire ce projet ait

été conçu spécifiquement pour le trouble de personnalité limite, et non pas pour tous types de

trouble de la personnalité (TP), le TP (plutôt que TPl) sera utilisé afin de rendre compte du fait que

ces deux termes semblent souvent être utilisés indistinctement par les intervenants en santé

mentale.

2 Formatrice et auteur d’un important document visant à vulgariser l’approche dialectique-

comportementale en première ligne.

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Guay, 2007) confirment la pertinence de l’utilisation de cette approche en première ligne. Les différentes formations étaient disponibles pour pratiquement tous les milieux en espérant soutenir un maximum d’intervenants par leur entremise. Ceci dit, ces ateliers n’ont pas touché tout le monde et selon les milieux et les intervenants, les recommandations découlant de ces ateliers ont été suivies avec des degrés d’observance aux principes enseignés de façon très variable3. Dans ce contexte, cette étude vise à dégager un portrait de l’opinion d’un échantillon de professionnel en santé mentale sur les impacts qu’a eu sur eux et sur leurs clientèles l’implantation d’un modèle d’intervention novateur. Outre la confirmation de plusieurs impacts positifs, cette démarche nous a aussi conduits à identifier des réticences et obstacles rencontrés dans les milieux de pratique. Les résultats de cette étude soulèvent des enjeux importants, tant cliniques qu’organisationnels, qui viennent questionner entre autres le mandat des CSSS et la finalité des services offerts en première ligne dans leur configuration actuelle.

2. Le suivi en première ligne des personnes présentant un TPL

Le suivi des personnes aux prises avec un TP constitue un défi important pour les intervenants du réseau travaillant en première ligne auprès de cette clientèle. La nature de ces défis comporte des liens directs avec la symptomatologie et les profils cliniques de ces usagers. Cette situation est tout particulièrement documentée dans le cas des personnes aux prises avec un TPL. En effet, les personnes aux prises avec cette problématique éprouvent un sentiment d’instabilité important sur le plan des relations interpersonnelles (APA, 2000). Cliniquement, cette instabilité se caractérise surtout par l’impulsivité, un sens réduit de l’autocritique, une hypersensibilité à l’abandon et par des fluctuations importantes et rapides de l’humeur (Holmes, 2004). Point à souligner, la présence de ces traits colore et complique de façon particulière les relations thérapeutiques que les professionnels de la première ligne tentent d’établir avec ces personnes. Par exemple, des études récentes indiquent clairement que les individus souffrant d’un TPL démontrent une tendance marquée à surinvestir les relations d’aide

3 Nous référons ici le lecteur à une démarche préparatoire à ce projet réalisée à l’automne 2010 par

Karen Giguère et Geneviève Roberge, alors professionnelles de recherche au CSSS de la Vieille-

Capitale. Ces dernières ont produit les modèles logiques et les grilles d’analyse complémentaires de

la démarche de révision de l’offre de services pour la clientèle présentant des traits ou un trouble de

la personnalité, dans chacun des CSSS à l’étude. Ces informations ont entre autres mis en lumière la

grande diversité de ces milieux, tant sur le plan des ressources humaines et financières, des cultures

organisationnelles et des contraintes imposées par la composition des territoires et des clientèles.

Cela a été une étape significative ayant contribué au bon déroulement de l’étude. Les documents,

élaborés par Mme Giguère et Mme Roberge ne sont pas ici présentés, mais sont disponibles sur

demande auprès des auteurs du présent rapport.

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tissées autour d’elles; relations à la fois revendiquées sous la forme d’un droit et, paradoxalement, critiquées, dans l’expression d’un rejet ou d’une dévalorisation des personnes aidantes (Bessette, 2010; Bateman et Fonagy, 2009; Stone, 2006). Ces situations se traduisent souvent par un « sentiment d’impasse » ressenti par les professionnels (Bouchard, 2010a).

Dans les pays industrialisés, la prévalence du TPL se situe à près de 2 % (Cailhol, 2010). Les personnes aux prises avec ce type de pathologie sont des utilisateurs importants des services de santé. Sur cette question, les données épidémiologiques nous informent que ces personnes ont davantage recours à des soins d’urgence, qu’ils consultent plus massivement que d’autres clientèles les différents professionnels de la santé (médecins généralistes, psychologues, etc.) et que la durée de leurs séjours en hôpital psychiatrique est également plus longue que les personnes ayant reçu un diagnostic de dépression (Bender et al., 2001). Quant au recours accru à ces services, il est d’autre part reconnu que ces individus « naviguent » d’une ressource à l’autre en suivant la plupart du temps une trajectoire de service que certains qualifient de « chaotique » (Fallon, 2003). Typiquement, le profil de cette trajectoire correspond à « une utilisation des services de soins marquée par l’instabilité, peu coordonnée, telle que des hospitalisations itératives dans différents établissements, de nombreux changements de thérapeutes et une absence de responsable de dossier » (Cailhol, op. cit. : 436). Également, le caractère souvent changeant de la demande de soin de ces personnes ainsi que la dimension d’urgence qui accompagne régulièrement cette demande ajoutent à ces difficultés (Comtois et al., 2003).

Pour améliorer la cohérence et l’efficacité des services offerts à cette clientèle, différentes initiatives ont été menées au Québec dans les quinze dernières années. Parmi elles, on doit souligner la création, à Québec en 1996, du premier service surspécialisé de troisième ligne pour les troubles sévères de la personnalité : le Centre de traitement le Faubourg St-Jean (CTFSJ). Ce centre, qui est rattaché administrativement à l’Institut universitaire en santé mentale du Québec offre un programme intensif de traitement pour les personnes présentant un trouble sévère de la personnalité. Depuis les débuts de son fonctionnement, l’équipe de cette clinique a également joué un rôle dans la formation et le soutien des intervenants du réseau de la santé et des services sociaux qui travaillent en première ligne auprès des personnes présentant un TP.

Jusqu’ici, aucune étude québécoise n’a tenté à notre connaissance d’évaluer les effets de ces initiatives visant à encadrer et à superviser la pratique psychothérapeutique de première ligne auprès des personnes aux prises avec un TPL. Quelques données sont certes disponibles (témoignages divers, évaluations subjectives, etc.), mais leur portée s’avère réduite, en raison notamment des différences importantes qui caractérisent les milieux de pratiques quant à la nature des formations reçues et le degré d’observance

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variable associé au cadre de référence présenté plus haut (Bouchard, 2010b). D’autre part, les quelques recherches connues s’approchant de nos préoccupations s’inscrivent presqu’exclusivement dans le champ de l’évaluation de l’efficacité de la psychothérapie et de l’évaluation de la réduction de symptômes-clés (Castonguay, 2010; Lecomte, 2009; Hansen, Lambert et Forman, 2002). Or, dans le cadre de cette étude, nos intérêts se situent dans un autre registre; celui d’une démarche exploratoire centrée sur le point de vue des professionnels. Nous avons en effet cherché à dégager un portrait de l’utilisation de ce cadre de référence, en ressortant des éléments positifs, mais aussi les éléments jugés problématiques par les professionnels en santé mentale. De plus, cette recherche visait à dégager des pistes de réflexion pouvant contribuer à une éventuelle révision de l’offre de service en CSSS pour les personnes aux prises avec un TP.

3. Présentation du « cadre TP »

Dans la composition et l’organisation actuelle du système de santé québécois, les CSSS ont une responsabilité populationnelle d’accueil, d’évaluation, de traitement et d’orientation des personnes à travers un réseau hiérarchisé de services, lesquels varient en fonction de la sévérité des profils cliniques (Delorme, 2005). En soutien à ce mandat, le CTFSJ a mis sur pied, en 1997, des groupes de supervision offerts à des acteurs ciblés œuvrant dans différents CSSS de la région (Bouchard, Duval et Julien, op. cit.). Cette démarche avait pour objectif entre autres de favoriser le transfert des connaissances acquises par des intervenants de la troisième ligne vers les intervenants de la première ligne en vue de répondre aux besoins et aux défis exprimés par les professionnels et les gestionnaires impliqués.

En parallèle de cette première vague de formation, un autre outil fut développé par madame Hélène Busque, alors psychologue au CSSS de Québec-Nord, dans l’objectif d’offrir aux intervenants des possibilités nouvelles en termes d’interventions et de traitements destinés aux clientèles présentant des traits ou un TP. Cet outil, communément appelé le « cadre TP » par les acteurs du réseau, est en fait un cartable, un guide de pratique se basant sur la traduction en français et une vulgarisation habile du modèle de traitement dialectique-comportement, tel que développé par Linehan (Busque, Labonté et Porlier, 1995). S’appuyant sur la théorie dialectique-comportementale du TPL, ce cadre d’intervention couvre plusieurs dimensions du traitement des personnes et interpelle les intervenants dans leur capacité à adopter de nouvelles manières d’être et de faire en accord avec cette approche (Linehan, 1993). En résumé, ce savoir-être est structuré autour de six principes : 1) la responsabilisation des usagers; 2) le respect; 3) la prévisibilité dans les interventions; 4) la stabilité; 5) la cohérence; 6) et la valorisation d’un contact d’adulte à adulte avec le client. Ces principes d’intervention s’incarnent aussi dans une série de règles entourant le

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déroulement des rencontres entre les professionnels et les usagers. Pour donner un exemple concret, soulevons le cas où un client aurait passé à l’acte et aurait commis des gestes de nature suicidaires ou parasuicidaires. Dans ces situations, l’usager est dans l’obligation de compléter et d’analyser avec son intervenant un Protocole d’analyse des comportements nuisibles à la qualité de vie, avant de pouvoir réintégrer son suivi régulier.

La philosophie d’intervention que sous-tend cette approche repose sur la recherche d’un état d’équilibre entre l’acceptation radicale - de soi, des autres, de l’environnement - et le changement - acquérir par exemple de nouvelles habiletés sociales visant à mieux réagir au stress ou aux exigences de la vie en société (Busque, 2010). Ce modèle vise principalement l’amélioration des aspects suivants de la problématique : capacités comportementales et relationnelles; motivation à changer; utilisation de nouvelles compétences; structuration du milieu (pour qu’il soutienne la personne aidée); et soutien des membres de l’équipe soignante (Linehan, traduction libre, 1993). Pour les usagers, le cadre implique aussi la participation à des groupes psychoéducatifs, dont le contenu est divisé en quatre modules : 1) la sagesse interne4; 2) la tolérance à la détresse; 3) la gestion des émotions; 4) la gestion des relations interpersonnelles. À l’origine, ce guide de pratique devait servir à mieux définir les limites et les possibilités d’intervention en lien avec le traitement en première ligne des personnes ayant reçu un diagnostic de TPL. Dans le même esprit, ce cadre offrait aux intervenants une méthode de travail concrète permettant de mieux réagir face à des situations complexes et éprouvantes émotionnellement.

Pour les professionnels de la première ligne, le « cadre TP » est tout à la fois une philosophie, un modèle d’intervention, se justifiant d’un certain nombre de principes directeurs et un ensemble d’outils servant à mieux intervenir avec la clientèle présentant un TP. Pour aborder les différentes dimensions de cette réalité, les professionnels rencontrés ont parfois eu recours à des notions qui, distinctes sur le plan sémantique, renvoient pourtant à une seule et même réalité. Ainsi, le lecteur est invité à prendre comme des synonymes les termes « cadre », « programme » ou « modèle d’intervention », car c'est en évoquant ces concepts que les intervenants ont indistinctement répondus à nos questions. Au-delà de cette confusion apparente, l’équipe de recherche tient à distinguer ces différents niveaux de réalité qui entoure le cadre de référence faisant l’objet de notre étude.

4 Traduction libre de mindfullness. Terme plus couramment traduit par pleine conscience.

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Figure 1. Le cadre d’intervention « TP » et ces différents niveaux de réalité

4. Objectifs de la recherche

Cette étude vise à dresser le portrait de l’utilisation du cadre d’intervention présenté plus haut, à partir du point de vue exprimé par les professionnels de la santé mentale qui interviennent en première ligne auprès des clientèles aux prises avec un trouble de la personnalité. Principalement, nous nous sommes penchés sur les impacts jugés positifs que comporte ce cadre pour les intervenants, depuis le contexte de son implantation et en lien avec les activités de formation et de supervision clinique qui ont découlé de ce dernier. La recherche a aussi pour objectif de décrire les défis actuels que rencontrent les professionnels dans leur pratique auprès de cette clientèle et de recueillir leur point de vue sur ce qui pourrait servir à une éventuelle révision des services permettant de répondre aux besoins et aux demandes des usagers. À ce titre, nous appelons « défi » l’ensemble des situations ou des interactions sociales perçues comme étant problématiques et qui conduit les acteurs à adopter des stratégies dans le but de surmonter cette épreuve. Cette démarche a conduit l’équipe de recherche à identifier un certain nombre de dimensions qui expliquent les résistances rencontrées dans les milieux de pratique face à l’utilité perçue de ce cadre, dans le contexte de son application en première ligne. Plus spécifiquement, les objectifs de notre étude se déclinent de la manière suivante :

a) Décrire les principaux impacts subjectifs (ou « perçus ») exprimés par les intervenants en santé mentale concernant l’implantation d’un programme visant à encadrer l’offre de service pour les clientèles aux prises avec un TP. Ces impacts ont notamment été décrits en fonction de leurs répercussions sur le sentiment de

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compétence des intervenants, de même que sur l’impression de cohésion des équipes interdisciplinaires ainsi que sur la cohérence des interventions.

b) Décrire les défis actuels que rencontrent les professionnels dans leur pratique et recueillir leur point de vue. La description de ces défis servira à documenter les conditions d’observance et de non-observance au cadre d’intervention pour les TP, à partir du point de vue des professionnels.

5. Cadre théorique et éléments de méthode

5.1 Méthode, cadre théorique et technique d’analyse

Il s’agit d’une recherche exploratoire, structurée autour de méthodes d’enquête et d’analyse qualitative. Les modèles développés par les tenants de l’analyse stratégique des pratiques professionnelles nous serviront de supports théoriques (Champagne, Brousselle, Contandriopoulos et Hartz, 2010). L’analyse stratégique ne vise pas à produire une évaluation sur la performance ou la qualité d’une intervention; dans une optique plus restreinte, l’ambition est plutôt de construire un jugement d’utilité sur un objet ou une pratique donnée (Dejours, 2003). En effet, l’analyse stratégique vise à mesurer la pertinence et la représentation d’une intervention ou d’une pratique, par l’étude notamment des « écarts ». On s’intéresse aux écarts entre ce qui est visé et souhaité par les acteurs et ce qui est obtenu comme effet par eux plus tard, une fois un certain résultat obtenu sur le terrain; considérons par exemple les contraintes imposées aux professionnels dans une organisation, les ressources et les moyens mis à leur disposition, etc. (Freidberg, 1993; Bélanger, 1988). Dans cette approche, les initiatives et les stratégies individuelles au sein d’un collectif de travail sont perçues comme pouvant générer des règles ou des pratiques qui peuvent aller à l’encontre ou, au contraire, venir solidifier les cadres administratifs et professionnels qui autrement agissent sur les individus (Crozier et Freidberg, 1977; Kuty, 1975; D’Iribarne, 2005). L’analyse stratégique doit mener à une compréhension des « possibilités réelles d’action des individus, au-delà des structures officielles » qui sont censées encadrer ces actions (Dion, 1993 : 995). Enfin, les analyses qualitatives ont été réalisées suivant la technique d’analyse thématique de contenu (Bardin, 2007; Quivy et Van Campenhoudt, 2006; Paillé et Mucchielli, 2008; Miles et Huberman, 1984). Cette technique vise à ressortir du discours les éléments de contenu qui sont transversaux par rapport à l’ensemble des thèmes de la recherche, de manière à dégager l’essentiel de ces informations dans un exercice où l’enjeu consiste à hiérarchiser ces éléments les uns par rapport aux autres.

5.2 Population, sites à l’étude et stratégie de recrutement

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La population à l’étude est composée de seize intervenants qui interviennent en première ligne auprès des personnes aux prises avec un trouble de la personnalité et qui sont rattachés aux équipes de santé mentale des CSSS de la Vieille-Capitale et de Québec-Nord. Pour être retenus à titre de candidats à la recherche, les intervenants devaient répondre aux trois critères d’inclusion suivants : 1) être à l’emploi d’un des deux CSSS mentionnés plus haut; 2) intervenir (ou être intervenu au cours de la dernière année) auprès d’individus présentant un TP; 3) avoir participé à au moins un atelier de formation en lien avec les activités du CTFSJ ou découlant de l’implantation du « cadre TP ». Pour recruter les professionnels ciblés par la recherche, les gestionnaires et les chefs de programme ont fait circuler dans leurs milieux de travail un feuillet d’information résumant la démarche. La liste des professionnels intéressés par l’étude a été remise à l’équipe des chercheurs. Sur la base des critères d’inclusion décrits plus haut, les intervenants volontaires ont été contactés pour un entretien; lesquels se sont déroulés sur les lieux de travail des intervenants.

5.3 Portrait des participants, collecte et analyse des données

Sur chacun des deux sites à l’étude, des psychologues (n=10), des travailleurs sociaux (n=3) et des éducateurs spécialisés (n=2) ont été rencontrés. Un informateur-clé, non impliqué à titre de clinicien, a aussi été interrogé par l’équipe de recherche, en vue d’obtenir des éléments d’information d’ordre contextuel et historique sur le processus d’implantation du « cadre TP » sur les territoires des sites à l’étude. Au total, 16 entrevues ont donc été menées (d’une durée approximative de 90 minutes), auprès de 4 hommes et de 12 femmes.5 En moyenne, les professionnels interrogés cumulaient 12,3 années d’expérience de travail en CSSS. Dans le contexte et pour les besoins de cette étude, l’âge des participants n’a pas été considéré comme une variable utile aux fins d’analyse.

6. Présentation des résultats

Sans avoir l’intention de dégager une synthèse trop hâtive des résultats obtenus, il convient néanmoins de souligner la vigueur avec laquelle la majorité des participants ont défendu la pertinence du « cadre TP », malgré quelques réserves entourant certaines facettes de son utilisation au quotidien. En substance, l’implantation du

5 Nous référons le lecteur à l’Annexe B pour consulter la grille d’entrevue utilisée dans les entretiens

menés avec les participants.

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« cadre TP » dans les sites à l’étude semble avoir comporté des effets positifs, tant sur la clientèle que sur les professionnels rencontrés.

Parmi ces impacts, notons tout d’abord le sentiment exprimé par les intervenants d’être mieux outillé pour intervenir auprès de la clientèle présentant un TPL. Ce sentiment de compétence accru est accompagné, dans bien des situations, d’une plus grande cohésion dans les équipes de travail. À bien des égards, les intervenants rencontrés sont d’avis qu’ils interviennent plus efficacement auprès des usagers, et qu’ils le font de concert avec leurs collègues. Résolument, l’introduction dans les CSSS à l’étude du « cadre TP » est venue modifier la nature même des pratiques d’intervention dirigées à l’endroit des usagers aux prises avec un trouble de la personnalité. Ne travaillant plus simplement à « éteindre les feux » (pour reprendre une expression utilisée par un participant de l’étude), plusieurs des professionnels rencontrés ont dit avoir retrouvé un réel plaisir à entrer en relation d’aide avec une clientèle pourtant réputée «difficile». Des informations obtenues sur le terrain nous permettent également de croire que l’implantation du « cadre TP » et l’accès pour les intervenants à des activités de formation et de supervision clinique sont corrélés avec une diminution marquée du taux d’absentéisme au travail.

6.1 Les impacts positifs pour les professionnels

L’implantation du « cadre TP » dans leur milieu de pratique semble avoir été un vecteur de changement, fortement positif dans la plupart des cas. Les impacts décrits par les professionnels portent principalement sur six aspects:

a) le sentiment de compétence au travail;

b) une modification dans la nature des pratiques qui se traduit par une diminution remarquée des interventions en situation de crise;

c) les attitudes envers la clientèle aux prises avec un trouble de la personnalité;

d) la correspondance perçue entre les besoins des usagers présentant un trouble de personnalité et l’offre de soin destiné à cette clientèle (la cohérence des services);

e) la cohésion des pratiques au sein des équipes de travail;

f) l’accès à des activités de supervision clinique et de mentorat.

L’introduction du « cadre TP » et les activités de formation et de supervision clinique qui ont découlé de cette introduction sont généralement perçues comme ayant contribué à l’amélioration de ces six dimensions. Dans une grande proportion, les professionnels

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expliquent ce constat en soutenant le fait que le « cadre TP » et la philosophie qui l’entoure conduisent à se sentir davantage en sécurité auprès de la clientèle.

6.1.1 SENTIMENT DE COMPÉTENCE ET DE SÉCURITÉ ACCRU

De plusieurs manières, les professionnels rencontrés ont exprimé dans quelle mesure l’utilisation du « cadre TP » constituait un facteur associé à l’augmentation de leur compétence et de leur sécurité psychologique au travail. Dans les entretiens que nous avons menés, ce sentiment se traduit par le fait de se sentir en sécurité, par exemple dans le cas de plainte ou de litige avec la clientèle; cet impact s’exprime aussi par l’impression d’avoir enfin une justification clinique pour introduire des règles du jeu et des limites claires pour les usagers.

« C’est une clientèle qui fait énormément de plaintes. Les intervenants ont besoin d’avoir un avis légal. Il faut savoir si on est en droit de… parce que certaines conséquences qu’on peut mettre à la clientèle, c’est de ne plus avoir accès aux services. Et ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise d’appliquer ça. Si c’est pas attaché dans les différentes strates de l’organisation, ça peut être le bordel » « Pis y a un cadre légal aussi qui se greffe à tout ça, parce que moi, si on laisse une menace de suicide sur mon répondeur, mais que j’ai fait signer un contrat à mon client (…) tout ça est dit, est nommé, le fait de ne pas répondre à des menaces et de ne pas offrir des services à une personne qui commet des actes autodestructeurs,… ben tout ça, ça me protège » « On a une responsabilité clinique, mais on a une responsabilité de bien faire appliquer le cadre aussi,… si on veut être efficace envers la clientèle. Alors c’est plus facile de démêler les choses à ce moment-là, pis d’en arriver à statuer par exemple en équipe qu’on arrête un suivi, même si l’usager fait une plainte ou je sais pas trop quoi » « Un cadre, le mot le dit : ça empêche un débordement. Comme je pourrais dire ? C’est que ça devient plus facile de mettre nos limites, parce qu’avec cette clientèle-là, y faut s’attendre à ce que leurs demandes soient envahissantes. C’est beaucoup ça qui est aidant »

6.1.2 DIMINUTION DES INTERVENTIONS EN SITUATION DE CRISE

Autre impact positif, l’augmentation marquée du sentiment de compétence et de sécurité au travail semble être en étroite relation avec une diminution des interventions en situation de crise. Tous les professionnels consultés étaient unanimes pour dire que cette diminution du nombre de crises (suicidaire, de colère et autres crises psychosociales) à gérer à modifier radicalement leur climat de travail et leur perception de la clientèle présentant un TP.

« Avec la thérapie de groupe, parce qu’avant cette clientèle-là était toujours en crise, le cadre est venu baliser la crise, et comment gérer aussi la crise, c’est ce qu’on apprend à la

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clientèle dès le début. Ça permet aux intervenants d’être plus structurés sur leur manière d’intervenir dans ces situations de crise là » « Ces gens-là qui arrivaient dans nos services avant, c'est incroyable comment y gobaient de l’énergie… y étaient toujours en crise, pis certains avec des comportements parasuicidaires importants, toujours en menace. On voit de moins en moins ça, ça c'est sûr »

6.1.3 IMPACTS POSITIFS SUR LES ATTITUDES ENVERS LES USAGERS

La possibilité pour les intervenants d’être en contact individuel avec une personne-ressource en matière de cas complexe ou encore de pouvoir participer à des activités de supervision clinique en groupe sont des éléments clés dans leur changement d’attitude envers la clientèle. Cet impact jugé positif semble être en lien avec la possibilité de mieux gérer leurs réactions contre-transférentielles négatives et de maintenir une position de tolérance et d’acception face à cette clientèle hautement instable sur le plan relationnel.

« C’est certain que depuis que j’ai eu la formation, je suis beaucoup plus tolérante, parce que je comprends mieux les émotions qui peuvent se passer dans la rencontre. Je suis capable de tolérer un certain niveau de critique par exemple, parce que je comprends que c’est dû à la maladie » « Moi, ça m’a fait voir que c’était du monde, et que c’était pas des « bibittes » en bon français. Et ça m’a aidé à avoir autant sinon plus de respect »

Quand ils sont questionnés sur les TP, les professionnels rencontrés semblent désormais aborder avec plus d’empathie la question de la souffrance des personnes aux prises avec un TP. Cette souffrance, souvent exprimée de façon socialement peu acceptable semble-t-il, se traduit parfois par une demande d’aide ayant l’air disproportionnée par rapport aux ressources du milieu ou face à l’urgence «réelle» d’une situation donnée. Ces caractéristiques ne sont pas évoquées d’une manière stigmatisante pour les usagers, bien au contraire :

« C'est sûr que c'est plus cristallisé,… c'est plus rigide je dirais comme problématique. C’est difficile de défaire les schèmes de pensées de cette clientèle-là (…). À la base, c'est des gens très souffrants, qui ont une très grande souffrance et qui ont développé des mécanismes de défense hyper bien structurés qui fait que le fonctionnement laisse à désirer, avec une personnalité trop rigide. C’est une très grosse carapace » (TS, no. 3 VC)

« C’est d’abord des gens souffrants, mais qui savent pas quoi faire avec cette souffrance-là, … C’est une souffrance qui est plus agit, alors y vont déranger plus (…) Y font porter des affaires aux autres et ça dérange, c’est pour ça que c’est plus difficile de voir la souffrance qui est en arrière »

« Je pense que ces personnes-là, leur principale caractéristique c'est de demander de l’aide, beaucoup d’aide, mais de façon je dirais inappropriée, sous forme de crise par

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exemple ou de menace suicidaire,… y ont de la difficulté à bien exprimer leurs besoins d’aide »

6.1.4 AMÉLIORATIONS PERÇUES DE LA COHÉRENCE DES INTERVENTIONS ET DES SERVICES

La prévisibilité, la stabilité et la cohérence sont des éléments de discours que rapportent les intervenants pour expliquer les impacts positifs qu’a eu l’implantation du cadre, autant pour eux que pour les usagers.

« C'est sûr qu’avec le cadre c’est plus facile, parce que d’abord, avant, cette clientèle-là pouvait rester des années dans nos services, pis leur état s’améliorait pas nécessairement (…). Aujourd’hui, on voit plus ça des situations comme ça. Les gens reçoivent de bien meilleurs services » « Y a une stabilité avec le cadre, … et ça c'est quelque chose qui marche bien. Parce que c'est probablement la chose la plus stable dans leur vie, ce cadre-là je vous dirais (…) ça amène une discipline aussi »

6.1.5 PLUS GRANDE COHÉSION ET SENTIMENT D’ÊTRE SOUTENU PAR SON ÉQUIPE

Cette notion de cohésion renvoie aux manières de faire des professionnels, à l’intérieur d’un collectif de travail. Sur le terrain, cette cohésion survient quand les intervenants ont le sentiment de travailler de concert auprès des usagers, quand ils ont l’impression d’adopter les mêmes normes, d’adhérer à une vision commune concernant les services à offrir aux personnes, etc. La cohésion se remarque aussi à la manière dont les intervenants se supportent les uns les autres, quand ils ressentent l’appui de leur organisation; autant de dimensions qui sont présentes dans les prochains extraits d’entrevue. Ces derniers éléments sont importants à souligner, car ils montrent bien que des facteurs organisationnels sont aussi en cause dans ce qui permet aux professionnels d’expliquer les changements positifs qui sont survenus dans leur pratique depuis l’introduction du cadre TP.

« C’est un outil qui me rassure, qui me rassure dans ma pratique; parce que c’est toujours impressionnant d’intervenir auprès de cette clientèle-là. Pis avec le cadre, ben je peux me faire valider auprès des mentors ici. Alors c’est sûr que c’est rassurant (…). C’est un cadre pour la clientèle, mais c’est un cadre pour moi aussi » « C’est rassurant, parce qu’en haut de nous, on sait qu’on va être appuyé. T’sais, c'est un cadre qui a été adopté par le CSSS, alors c’est rassurant de savoir… On est backé » « Les gens depuis le programme, … ça donne de l’eau au moulin. Pis y a un cadre en arrière pour les « backer », pour se sentir plus confortable pis pour se sortir d’impasses. Quand tu es plus outillé pis plus confortable, ben tu te sens plus compétent » « Ici, y faut travailler ensemble. Et c’est pour ça aussi qu’ici, l’atmosphère est bonne. Parce qui si on ne travaille pas en équipe, on ne peut pas passer à travers. Si vous arrivez ici et que

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vous vous enfermez tout seul dans votre bureau, je vous donne pas un an et vous tombez en maladie » « Les collègues ici ont le souci de ne pas se laisser abandonner à soi-même. C’est une force importante ici; de savoir qu’on peut compter les uns sur les autres » « À cause que tout est prévu dans le cadre, le client sait à quoi s’attendre. Pis de cette façon-là, c'est pas toi personnellement qui porte l’odieux par exemple de dire à un usager qu’il a perdu une rencontre parce qu’il a annulé. Tout est écrit, c'est su de part et d’autre. Ça triangule beaucoup la relation » « Y faut tenir le cadre tout le monde ensemble. Ce n'est pas une affaire d’individu. Et ça c'est très important,… qu’à l’interne ici qu’on tienne cette philosophie-là ensemble » « Pour que ça soit harmonieux pis efficace aussi pour la clientèle, y faut absolument un certain niveau de cohésion au sein des équipes, même si c’est pas tout le monde qui maitrise le cadre de la même façon »

Sous un autre angle, cette cohésion des pratiques est perçue comme une dimension importante que les milieux de pratique ont tout intérêt à mettre en place, dans le contexte d’une mobilité croissante des professionnels et des clientèles sur les territoires de services.

« Dans chaque point de service, à quelque part, il faut que le programme soit lancé de manière cohérente. Que les intervenants travaillent avec toutes les mêmes balises. Comme ça, un client peut passer d’un territoire à l’autre et avoir accès à la même offre de services. Pis c'est important aussi depuis la fusion, parce que les intervenants se promènent eux aussi à travers différents points de services (…). C’est très aidant quand les façons de faire sont uniformisées » « Le défi de toutes les organisations, c’est le «in and out» du personnel, du monde qui rentrent dans le programme et qui sortent. Le personnel qui va essayer un poste dans une autre équipe, qui change de CLSC… les départs à la retraite. Pour les nouveaux, c’est « énergivore » comme c’est pas possible, de former ceux qui arrivent, et tout l’encadrement clinique que ça demande aussi »

6.1.6 IMPORTANCE DE L’ACCÈS À LA SUPERVISION CLINIQUE

Parmi les intervenants rencontrés, nombreux sont ceux qui ont identifié les avantages que comportent la participation à des activités de supervision clinique et la possibilité d’être jumelé à une personne-ressource. Ces pratiques découlant du cadre TP mettent en place l’occasion, pour les professionnels, de « ventiler » (pour reprendre leurs termes), de s’exprimer en toute liberté sur les difficultés rencontrées avec les usagers. De l’avis de plusieurs, ces supervisions ouvrent aussi la possibilité de construire un regard critique sur leurs interventions ou encore leurs attitudes envers la clientèle.

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« T’sais, y faut avoir une place pour ventiler toutes les affaires que cette clientèle-là nous fait vivre… c’est dans ce sens-là que pour moi, la supervision clinique c'est à la limite plus aidant que simplement la formation. J’ai une cliente, j’avais un message d’elle en arrivant aujourd’hui, elle m’appelle pour me dire qu’elle est au CHUL parce qu’à s’est automutilée. Ça faisait presque deux ans que je la suivais, elle n’avait pas été hospitalisée… on parlait même d’arrêter le suivi,… pis là elle passe à l’acte comme ça. C’est toff. C'est pour ça que ça prend une place pis des gens avec qui échanger là-dessus » « Moi, j’utilise beaucoup la supervision, parce que j’ai besoin du regard de quelqu’un d’autre quand je vis des affaires plus difficiles avec un client. Pis c’est pas le cadre qui peut m’aider dans ces situations-là, c’est d’aller parler avec un pair, un mentor,… quelqu’un qui peut m’aider à voir plus clair, quelqu’un qui peut avoir un regard extérieur sur moi. C’est pas possible de traiter des TP sans être supervisé » « Ce qui est le plus aidant, pour ma part, c'est quand on a la possibilité d’aller au Faubourg pis recevoir de la supervision clinique. Parce qu’au-delà des formations, du contenu, ce qui est aidant c'est quand je peux échanger autour de cas cliniques plus complexes, avec d’autres qui ont une expertise pointue. Juste de parler des fois, ça arrange les affaires, ça place les choses autrement, en ventilant ce qu’on vit »

6.2 Les impacts négatifs pour la clientèle

Au-delà des dimensions positives que nous venons d’examiner, les professionnels évoquent aussi certaines craintes ou appréhensions décrites ici comme des impacts négatifs découlant de l’implantation du cadre TP, pour les clientèles aux prises avec un TP.

6.2.1 L’APPLICATION RIGIDE DU CADRE PEUT ENTRAÎNER UN VÉCU D’ÉCHEC ET DE REJET

L’une des appréhensions les plus souvent exprimées par les professionnels consiste à craindre qu’une application trop rigide du cadre d’intervention puisse nuire indirectement aux usagers, à certains d’entre eux à tout le moins; les plus sévèrement touchés par la maladie. Quand elle est évoquée, cette crainte se traduit par une peur de « mettre en échec » une clientèle dont le parcours de vie apparaît marqué par l’abandon et le rejet. Pour certains intervenants, l’entrée et la participation soutenue au programme nécessiteraient un investissement de soi que tous les usagers ne sont pas en mesure de présenter.

« T’sais si j’ai une personne qui vient d’entrer dans les services pis qui a été abusée dans son enfance, je vais plutôt commencer par travailler ça avec elle avant de la faire entrer dans le programme, parce que c’est sûr que ça va être trop demandant, pis elle risque de se retirer et de vivre une situation d’échec, qui va être comme une répétition pour elle pis qui va juste renforcer ses symptômes »

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« Je pense qu’à partir du moment où il y a un trouble de personnalité, je sens que mon établissement me demande, me dit : y faut lui proposer le programme… Mais parfois, c’est trop confrontant et je sais que certains ont pas la capacité pour faire le programme » « Le programme comme il est monté présentement, y a quelque chose de très idéaliste avec la réalité de la qualité des services qu’on peut leur offrir. Pis y faut pas négliger les carences que ces gens-là on subit aussi. Pis je pense que ça demande beaucoup d’attention. Là-dessus, le cadre me convient pas, parce que j’ai pas envie de me sentir responsable de traumatiser à nouveau un usager. Je sais qu’y ont besoin d’un cadre pis d’avoir des limites aussi, mais je sais qu’y ont besoin de revivre de l’attachement par ailleurs »

6.2.2 LE CADRE PEUT SERVIR DE JUSTIFICATIF À L’EXCLUSION DU SYSTÈME DE SOINS

Par un autre détour, d’autres professionnels se disent préoccupés de l’effet non-intentionnel que peut comporter le recours systématique au cadre TP, dans les cas précis où l’utilisation du programme servirait de prétexte à exclure du système les usagers aux profils cliniques plus complexes. D’un certain point de vue, cette appréhension trahit une dérive possible du programme, pouvant servir à discriminer les usagers les plus sévèrement touchés par la maladie, sur la base d’une estimation de leur capacité à circuler de manière optimale dans le système de soins.

« Ce programme peut servir à exclure aussi. Parce qu’on sait très bien qu’y a des gens à qui on offre le service qui vont décider de partir d’eux-mêmes, parce que c’est trop demandant et qu’y sont pas rendus là. Alors il faut être vigilant par rapport à ça, en maitrisant bien les effets du contre-transfert, parce que sinon, c’est facile de se débarrasser des clients qui sont énergivores en évoquant des beaux principes, comme le fait qu’ils ne respectent pas le cadre » « Ce programme-là aussi, y faut pas se le cacher, c'est une façon aussi de refuser des clients pour qui on a pas de services efficaces à offrir. Parce que ça créer un entonnoir. Ceux qui arrivent pis qu’y disent : aidez-moi, mais je veux pas de ça [le programme], ben on sait que ces clients-là vont finir par s’en aller d’eux-mêmes… on va finir par les perdre dans la brume »

6.2.3 UN SERVICE « PARASITAIRE » FINANCÉ AU DÉTRIMENT D’AUTRES SERVICES

Dans certaines situations, le programme TP est également décrit comme une offre de service qui aurait comme caractéristique de se déployer sur le dos et au détriment d’autres programmes, « gobant » ainsi une bonne part du temps de travail investi par les professionnels dans le traitement en première ligne des TP. Certains soulèvent des craintes concernant le manque de service fait pour répondre à d’autres problématiques. Pour plusieurs, le programme TP est venu combler de manière efficace un besoin réel, mais son développement se fait au risque d’occulter, au fil du temps, la nécessité de répondre à d’autres situations et à d’autres types de clientèles émergentes.

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« Avec les troubles de personnalité narcissique ou antisocial, on se demande ce qui nous revient à nous. On est en première ligne, je veux bien, mais y a des clientèles avec lesquelles c’est quasiment pas possible d’intervenir (…) pas avec les outils du cadre en tout cas » « C’est sûr qu’un autre défi, c'est la manière dont on peut prendre en charge ici une personne qui présente plus des traits narcissiques par exemple. Par que ces gens-là, par les traits qui présentent, ne peuvent pas participer au groupe psychoéducatif. Pis autrement, on a pas grand-chose d’autre à leur offrir à l’heure actuelle, une façon d’intervenir qui aurait été pensée pour eux » « C’est sûr que l’un de nos plus grands défis, c’est d’en arriver à développer une offre de services pour des clientèles qui ne peuvent pas bénéficier du cadre TP… je pense aux narcissiques par exemple, ou encore pour les personnes qui démontrent plus des traits passif-agressif. Comme c'est là, on a pas grand-chose à offrir à ces personnes-là »

6.2.4 UN PROGRAMME VICTIME DE SON SUCCÈS À EFFET ENTONNOIR

L’introduction du cadre TP dans les milieux de pratique étudiés a permis d’outiller les intervenants pour assurer le suivi et permettre le rétablissement d’une clientèle auparavant réputée « intraitable » en première ligne. Dans les entrevues menées, bien des professionnels mettent en relation cette capacité accrue du « réseau » à soutenir ces clientèles avec un alourdissement remarqué des problématiques rencontrées par les intervenants et la mise en attente toujours plus longue des usagers frappant aux portes du système. Quand il est mentionné par les professionnels, cet autre impact négatif se présente comme découlant de l’effet entonnoir qu’aurait introduit le cadre TP dans la prise en charge en première ligne des personnes aux prises avec un TP.

« On en a de plus en plus… ça, c’est une autre affaire. Plus ? En tout cas, on a plus de gens qui arrivent à un diagnostic (…). Y a une demande de services encore plus grande… Une des hypothèses que j’ai, c’est qu’à partir du moment où on a une lecture plus médicale, … et on est de plus en plus outillé aussi pour déceler ces problèmes-là. Ça a donné des nouvelles lunettes, … et on met pas mal tous la même paire de lunettes aussi. » « Quand on donne de l’information sur c'est quoi un TP, là, tout à coup, les gens les voient. Mais c'est pas parce qu’y étaient pas là avant, mais y consultaient pour d’autres choses. Avec le programme, c'est sûr qu’on les voit plus, ben parce qu’on les voit mieux » J’ai l’impression que de plus en plus, la clientèle est plus profondément atteinte, et présente aussi toutes sortes de problématiques nouvelles, qu’on ne voyait pas avant. Donc c'est plus large et plus profond… Y sont plus hypothéqués et sous plusieurs aspects aussi »

6.3 Résistances des intervenants à l’observance au programme

S’ils ont exprimé des craintes ou des appréhensions sur les effets non souhaités que pouvait comporter une observance trop stricte aux conditions et exigences qu’imposait pour les usagers la participation au cadre TP, les professionnels rencontrés en entrevue

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ont aussi indiqué les raisons qui justifient leur propre résistance à certains aspects de ce cadre et des outils qu’il comporte. Comme nous allons le voir, ces résistances ne remettent pas en cause l’utilité ou encore l’efficacité générale du programme; elles conduisent plutôt à interroger les limites de son application, à l’égard de situations bien définies.

6.3.1 RIGIDITÉ PERÇUE DU PROGRAMME

Dans la section précédente, nous avons vu que dans certaines circonstances, les professionnels exprimaient une série d’inquiétudes quant aux effets du cadre TP que nous pourrions qualifier de « pervers » sur les trajectoires de soins des usagers les plus sévèrement touchés par la maladie : risque d’exclusion, de mise en échec ou encore de stigmatisation des clientèles. Dans bien des cas, les motifs évoqués par les intervenants pour soutenir ces appréhensions ont à voir avec les exigences (jugées trop lourdes) qu’impose, pour les usagers, une pleine participation au programme. Le nombre et le rythme des rencontres individuelles et de groupe, la durée prévue du traitement et les restrictions prévues dans les situations de « bris de contrat » apparaissent pour certains professionnels comme autant de dimensions du suivi qui vont à l’encontre de certaines de leurs valeurs, comme l’importance accordée à la philosophie du « cas par cas ». Dans un même élan, les responsabilités et obligations attribuées aux individus présentant un TP sont perçues comme entrant en contradiction avec d’autres approches visant plutôt le soutien et l’accompagnement. De la sorte, le principe de responsabilisation des usagers (qui constitue une valeur importante du programme) est parfois ressenti comme s’il était imposé de l’extérieur, de façon autoritaire.

« Un côté négatif du cadre à mon sens, c'est sa rigidité. Y aurait un moyen de le rendre plus malléable. Parce que le trajet est tellement bien tracé, qu’y a pas de place à s’écarter.» « Y faut valoriser leur autonomie dans tout ce processus-là. Mais le danger avec le programme, c’est qu’y a tellement de règles à suivre, c’est qu’on en arrive à avoir l’impression qu’on leur dit quoi faire. Pis c’est difficile de développer leur jugement, parce que cette clientèle-là, c’est justement leur problème, un de leurs problèmes… de ne pas se voir aller » « Y en a qui vont moins y croire au cadre, parce que la lecture qu’y en ont, c'est que le cadre permettrait pas d’aider les gens, parce que le cadre fermerait des portes, … pis le cadre nous amène à refuser des choses (…) parce que de travailler avec cette clientèle-là, avec le cadre, les gens ont l’impression de ne pas faire de relation d’aide, parce qu’on les amène à faire des choses par eux autres mêmes, à se responsabiliser,… alors les gens ont plus l’impression d’être des accompagnateurs.» « On début, quand on a développé le programme, on pensait qui fallait tous les entrer là. Mais on a assoupli les choses avec le temps. Et je crois aussi qu’y faut jamais perdre de vue l’importance du cas par cas. Le cadre ne devrait jamais prendre la place du jugement clinique (…). Mais ça, c'est moi ! J’ai ben de la misère à être by the book ».

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6.3.2 INTERPTÉTATION DES RÈGLES ET PHÉNOMÈNES DE TENSION DANS LES ÉQUIPES

Dans d’autres situations décrites par les professionnels rencontrés en entrevue, les tensions qui surviennent entre les membres d’une même équipe de travail concernant la manière d’interpréter certaines dimensions du programme TP contribuent à cette distance que semblent prendre certains intervenants par rapport aux exigences ou à des façons de faire prescrites par le cadre. Dans le même registre, l’appropriation du programme et sa mise à jour par un groupe d’intervenants peuvent être vues comme une lutte de pouvoir risquant de mettre en péril l’aspect autrement cohésif que provoque l’implantation du cadre dans les milieux de travail.

Un autre défi important, c’est d’avoir une compréhension commune du cadre, dans l’équipe ici. J’trouve qu’on a des compréhensions assez variables qui font qu’on a des applications très variées selon les intervenants. Et ça crée des situations assez ambiguës des fois ». « Ce que je trouve aussi, c’est qu’y a en toujours deux ou trois dans une équipe ou sur un territoire qui vont devenir en quelque sorte des leaders dans la manière d’appliquer le cadre,… et ça va créer comme des divisions. Parce que les gens vont se rallier d’un bord ou de l’autre. Et ça c’est difficile, parce qu’on sait plus où se « garocher », pis on sait plus laquelle des méthodes est la meilleure non plus » « Ici, ce qui est arrivé aussi, c’est que le cadre a été travaillé, a été peaufiné par certains mentors ou superviseurs, je sais pas trop… pis moi, j’ignorais qu’on était rendu à une certaine avancé. Moi j’ai nommé ça, j’ai dit : dites-nous le quand y a des affaires qui changent. Parce que nous autres on travaille d’une certaine façon pis après, quand on ramène ça au comité TP on se fait dire : ça marche plus comme ça » « Ici, y a comme deux pôles. Y a certains intervenants qui sont très rigides pis qui disent, on le met toute suite dans le cadre, le cadre est fait comme ça, y faut suivre les règles… pis y a d’autres intervenants dans l’équipe qui n’appliquent pas du tout le cadre, même si la personne a un trouble de personnalité. Alors c’est sûr que c’est plus difficile dans ce temps-là; quand y a des positions extrêmes comme ça. Pis aussi dans le contexte où je viens d’arriver » « Ici, les gens de façon générale, on ne partage pas toujours la même conception de ce qu’est un traitement,… pis là, on parle d’une équipe où il y a des psychologues qui ne sont pas nécessairement de la même école de pensée, où y a des TS, des éducateurs, pis des gens qui sont de la vieille école aussi (…) Alors c’est difficile d’être cohérent avec un client quand on s’entend même pas entre nous »

Pour bien des professionnels interrogés, ces situations sont associées aux divergences qui existent entre les intervenants, selon leur formation ou les écoles de pensées auxquelles ils disent appartenir.

« Dans le programme, y a des psychologues, des travailleurs sociaux, des éducateurs, des infirmières des fois. Pis c’est sûr qu’y a des divergences d’idées, selon les professions. Des fois, c’est sûr que ça ressort et ça peut faire des conflits »

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« On peut aider quelqu’un qui a vécu de la violence ou de l’abus, sans s’attarder nécessairement à son diagnostic. Alors c’est pas simple de mettre le focus strictement sur la maladie, surtout compte tenu de la formation que j’ai, comme travailleur social. Une approche sur la pathologie, c’est pas évident pour nous. Pis dans ce cadre-là, c’est la personne qui est identifiée comme ayant un trouble, un problème. Alors que nous on intervient pas nécessairement sur le problème, mais sur ce qui peut l’entourer (…). Ça, ça créé des dissensions entre nous. Une approche humaniste ça va pas très bien avec une approche cognitivo-comportementale » « J’ai pas le choix de le nommer, mais ici on peut sentir des tensions entre les psychologues et les travailleurs sociaux par exemple. Dans les réunions, dans les rencontres d’équipe on sent ça (…). Par rapport au fonctionnement du cadre, les interprétations sont différentes, on sent que les TS veulent travailler ensemble et c'est la même chose pour les psychologues (…). C’est sûr que les TS voient les problématiques avec une vision plus globale »

6.3.3 OFFRE DE SERVICE « TOUT OU RIEN », SANS AUTRE ALTERNATIVE POUR LA CLIENTÈLE

Pour bon nombre d’intervenants, le cadre TP et les outils d’intervention qu’il comporte représentent une avancée dans la prise en charge en première ligne des personnes aux prises avec un trouble de personnalité. Mais de l’avis de plusieurs, cette avancée aurait apporté sur son passage toute autre possibilité d’action. Si certains milieux tentent actuellement de s’inscrire dans un processus de révision des services offerts aux personnes présentant un trouble de personnalité, il n’existe pour l’heure aucune autre « alternative » reconnue pour répondre aux besoins particuliers de cette clientèle. De la sorte, les professionnels ont le sentiment que le recours au programme TP est l’unique réponse qu’ils sont en mesure d’offrir aux usagers; et cette absence d’alternative se présente dans leur discours comme un obstacle à leur adhésion au programme.

« Même quand les gens ont été évalués, qu’y ont été vu en psychiatrie pis qu’y arrivent dans nos services, avant de leur proposer le cadre, je pense que ça prend un certain lien aussi. Sinon, c’est comme si on leur disait qu’on n’a rien d’autre à offrir » « Le principal défi pour moi, c'est d’essayer de trouver des manières d’intervenir auprès de quelqu’un qui présente un trait ou un trouble, mais qui peut pas intégrer le programme (…). J’ai l’impression que la manière dont ça fonctionne des fois, c’est tout ou rien ! » « Ici, en CLSC, le problème qu’on a aussi c’est qu’on a une responsabilité, je veux dire une obligation de traitement. Mais la seule réponse qu’on peut offrir à un TP qui présente des traits forts, c’est le programme ou rien; un suivi ou pas de suivi… moi j’ai un problème avec ça »

6.3.4 PRÉALABLES DE STABILISATION DE VIE DES USAGERS COMME PRÉREQUIS AU CADRE TP

Quand ils soulèvent leurs réticences face au cadre TP, nombreux sont les professionnels qui pointent du doigt la plus grande « vulnérabilité » de certains usagers qui ne présenteraient pas les acquis nécessaires pour bénéficier d’une manière optimale du programme. Cette réserve cache une préoccupation que partagent bien des

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intervenants : la nécessité que soit établie dans les parcours de vie des personnes une certaine « stabilité » sur le plan psychosocial. Pour exprimer cette même réserve, d’autres ont insisté sur ce fait que ce ne sont pas tous les usagers qui sont prêts, au moment de leur arrivée dans le système de soins, à entrer dans le programme. Ultimement, cette façon de voir des professionnels semble traduire un constat : l’évaluation diagnostique des personnes ne doit pas être le seul critère d’admission au cadre TP. Une prise en compte et une juste appréciation des conditions de vie plus générales de vie des personnes doivent aussi peser dans la balance.

« Y a encore des clientèles qu’on ne peut tout simplement pas intégrer dans le cadre, parce qu’y ont par exemple des comportements dommageables, ou qui consomment, ou qui n’ont même pas de budget pour couvrir les frais de déplacement,… des choses comme ça, y en a encore beaucoup, (…) t’sais quand les éléments de bases sont mêmes pas installés, comme l’hébergement, des choses très quotidiennes, très concrètes… Pis y faut installer un lien aussi, parce qu’on a fait de grandes erreurs au début, en embarquant dans le cadre des gens qui n’étaient pas prêts et avec qui on avait même pas pris le temps de créer un lien » « Les ajustements qu’on a eu à faire, ça été d’introduire des usagers pour qui… y étaient pas prêts à travailler leur trouble de personnalité; par exemple, quand y sont dans une situation de violence conjugale. T’sais, quand tu te fais taper dessus, c’est pas le temps de développer des habiletés » « C’est sûr que quand les personnes présentent un problème de consommation, c’est pas le temps de les intégrer au programme. Il faut les envoyer se faire traiter avant. On a essayé de faire des groupes mixtes ou de suivre des gens qui étaient traités par exemple en même temps au CRUV [Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve], mais les gens avaient pas les mêmes approches au sujet de la problématique des troubles de la personnalité » . « Quand y a un problème de toxicomanie, majeur, c’est pas facile non plus. J’peux pas les embarquer dans le cadre parce que les autres problématiques prennent trop de place, c’est plus chaotique comme démarche. Ou quand les gens ont des plans suicidaires ben arrêtés, c’est pas le moment ». « J’ai une mère de famille à laquelle je pense, avec elle j’utilise je dirais une version édulcorée du cadre, entre autres parce que c'est difficile pour elle de se déplacer. C’est une mère monoparentale, qui a été longtemps sans emploi, et là, elle vient de se trouver un nouveau travail. C’est sûr qu’elle présente des traits plus légers, mais je pense que ce ne sera pas lui venir en aide de la faire déplacer plusieurs fois par semaine, et de l’obliger à participer au groupe. À cause de son nouveau travail, justement. Alors je préfère renforcir cet aspect-là pis j’utilise certains outils de cadre, mais de façon adaptée à sa situation de vie ».

6.3.5 CONTRAINTES ORGANISATIONNELLES LIÉES AU DÉMARRAGE DES GROUPES PSYCHOÉDUCATIFS

Dans un autre ordre idée, d’autres professionnels se disent réticents à proposer l’entrée dans le programme TP à leur clientèle, car ce programme prévoit la participation à des rencontres de groupe dont le démarrage est difficile dans la plupart des milieux étudiés.

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Les raisons à ces difficultés sont multiples, mais elles concernent dans la majorité des cas des aspects de l’organisation du travail sur lesquels les intervenants n’ont que peu de prise: contraintes administratives, manque de ressource et de personnel se portant volontaire pour prendre en charge l’animation des ateliers, faible taux de participation des usagers à certaines périodes de l’année, etc.

« J’ai une cliente, elle venait de se trouver un nouvel emploi alors elle devait quitter le groupe de jour et s’inscrire dans les groupes qui sont offerts le soir. Mais ces cours-là débutaient je pense deux mois après. Alors qu’est-ce qu’on fait dans ce temps-là. Est-ce que la personne est en bris de cadre ? Mais ça, c'est pour une personne, mais ça arrive souvent que le « timing » est bon,… qu’une personne est prête ou on la sent prête à la faire entrer dans le programme, mais avant qu’à puisse commencer dans un groupe, y peut se passer beaucoup de temps ». « Moi ce que j’entends beaucoup, c'est qu’y a un gros problème avec le fait que quand les gens sont évalués, y peuvent attendre jusqu’à un an avant d’entrer dans le programme… Y a un gros problème avec toute la question de l’organisation des groupes, parce qu’y en démarrent pas assez souvent par année ».

6.4 Justifications d’un usage «à la pièce» du programme TP face à des demandes contradictoires

Pour faire face aux obstacles rencontrés dans leur milieu de pratique et pour rendre compte de leur utilisation au quotidien du cadre TP, les professionnels de la première ligne ont recours à toute une série de stratégies qui constituent autant de réponses aux injonctions parfois contradictoires avec lesquelles ils ont à « négocier » comme intervenants. Indiquons au passage que cette notion d’injonction contradictoire (ou paradoxale) renvoie à cette idée d’une rencontre ou plus précisément d’une superposition de deux demandes oppressantes qui se contredisent dans ce qu’elles exigent d’une personne. Ce principe de la double contrainte (« double bind ») a notamment été étudié par l’anthropologue Gregory Bateson au tournant les années 40 (Bateson, 1977).

À plusieurs niveaux, les professionnels de la première ligne assurant le suivi de personnes aux prises avec un TP sont confrontés, quand ils ont recours au cadre TP, à un certain nombre d’impasses que nous pourrions attribuer à des messages contradictoires auxquels ils font face. Parmi ces impasses, nous pourrions retenir: 1) la présence d’une tension entre les finalités du programme visant l’accessibilité aux services et l’inclusion sociale et d’autre part, des mécanismes d’accès au cadre qui peuvent être vus comme contribuant à la stigmatisation; 2) la présence d’une tension également entre une philosophie d’intervention visant « l’empowerment » (ou la réappropriation du pouvoir d’agir des usagers) et l’imposition d’exigences aux allures « paternalistes » ou à tout le moins rigides que doivent respecter les usagers s’ils souhaitent profiter du programme; 3) une tension, enfin, entre la valorisation du jugement clinique des intervenants et une demande des établissements qui tend à limiter cette autonomie professionnelle (en

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imposant par exemple l’utilisation d’un guide pratique qui peut donner l’impression d’un travail mené « à la chaîne »). Cette dernière zone de tension sera examinée plus loin, car c’est autour d’une certaine valeur accordée à l’autonomie et au jugement en forme de « cas par cas » que bien des participants à la recherche ont justifié les manières bien singulières qu’ils ont d’utiliser le cadre TP, dans la quotidienneté de leur pratique.

La notion de stratégie est importante, car elle est au centre de l’approche théorique utilisée dans le cadre de cette étude. Comme nous l’avons indiqué plus haut dans ce texte, l’analyse stratégique doit mener à une compréhension des possibilités réelles d’action des individus, au-delà des structures officielles qui sont censées encadrer ces actions. En substance, l’ensemble des stratégies mises de l’avant par les professionnels force un constat : nous assistons en réalité à un usage à la pièce des principes qui sont censés uniformiser et structurer l’offre de services. Cet usage « bricolé », à géométrie variable, du programme TP s’explique en partie par un processus d’appropriation, au fil du temps, de ce qu’on «prend» et «ne prend pas toujours» du cadre TP.

6.4.1 DÉFENSE DE SON AUTONOMIE PROFESSIONNELLE ET DE LA VALEUR DU JUGEMENT CLINIQUE

Avec fermeté, la plupart des professionnels interrogés dans le cadre de cette étude ont soutenu l’importance d’exercer librement leur jugement clinique et de conserver leur autonomie professionnelle. Poussée à l’extrême, cette forme « singularisée » d’intervention entre en contradiction avec ce que prévoit le cadre TP; c’est-à-dire une manière uniforme d’entrer en relation avec les utilisateurs du système de soins. Dans les propos rapportés ici, le cadre TP agit comme une toile de fond générale des décisions qu’ont à prendre les professionnels quand ils ont à juger de la pertinence ou de l’efficacité attendue du programme, pour un client en particulier.

« C’est sûr qui faut y aller en fonction des clients et en fonction de ce que j’évalue aussi comme étant prioritaire. C’est sûr que si j’ai à intervenir auprès d’une jeune mère de famille, qui viendrait par exemple d’avoir un deuxième enfant, je vais pas la faire entrer dans le cadre, parce que c’est très exigeant; je vais plutôt privilégier le lien d’attachement avec son enfant, pis je vais travailler là-dessus ». « T’sais, la manière que je vois ça, le cadre c’est comme un protocole, des règles établies pis tout ça. Mais c’est à l’intervenant de regarder tout ça, pis d’utiliser son jugement pour décider de la manière qu’il l’applique ». « Dans ce cadre-là, c’est le jugement des intervenants qui doit primer aussi, de mon point de vue. Oui, on a des règles, y a un cadre et tout ça… mais ce n’est pas l’armée non plus. On ne va pas se dénaturer comme intervenant ». « T’sais, le cadre, c'est comme une grande philosophie. Des principes de bases : responsabiliser les clients, échanger d’adulte à adulte, pis tout ça. Mais après, comment on l’applique, je pense que chacun a un peu développé leurs propres façon de faire ».

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« Y a des situations aussi qu’on voit,… mettons qu’un intervenant reçoit une demande pour faire le suivi d’un usager qui a été évalué par les gens au guichet et qui ont écrit une note au dossier : envisager l’intégration au programme TP… Ben y en a qui reçoivent ça pis qui se disent : ben là, y a pas personne qui va me dire comment faire ma job ».

6.4.2 ÉTABLISSEMENT D’UNE ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE PRÉCÉDANT LE PROGRAMME

Avec la même intensité, nombreux sont les professionnels qui ont d’autre part réclamé un assouplissement du programme, car une application rigide des règles actuelles laisserait à leur avis trop peu de place au développement d’une alliance thérapeutique avec les usagers, décrite comme une condition essentielle à toutes autres formes d’intervention.

« Quand on a des résistances, c'est peut-être aussi parce que le lien a pas été créé. Pis peut-être aussi qu’y faut prendre en considération qui se passent des affaires ponctuelles dans la vie de la personne qui fait qu’est pas prête à s’embarquer là-dedans. Parce que c'est très impliquant pour la clientèle, alors que peut-être que y a des choses à travailler avec la personne avant de l’embarquer dans le programme, pour qu’à soit ouverte un peu plus. Y a un défrichage à faire et y faut que la base soit installée. ». « T’sais c'est important l’alliance thérapeutique, parce que sans cette alliance-là, tu fais quoi avec un client ? Alors il faut s’assurer de mettre certaines choses en place avant d’inscrire un usager dans un groupe ».

6.4.3 TRAITS, TROUBLE DE PERSONNALITÉ ET INCONVÉNIENTS AU DIAGNOSTIC COMME CONDITION D’ACCÈS

AUX SERVICES

Il existe dans le discours des professionnels rencontrés dans le cadre de cette étude tout un espace de négociations et de revendications entourant l’usage au quotidien du cadre TP. Dans les propos qu’ils ont tenus, cet espace est souvent comblé par le thème entourant l’exigence d’un diagnostic clair servant à départager les usagers pouvant bénéficier du programme et ceux qui en seraient exclus. Une confusion semble entourer l’usage des termes de traits et de trouble de la personnalité. En théorie, le cadre TP a été introduit dans les CSSS pour répondre aux besoins des usagers arrivant dans le système de soins avec un plein trouble de la personnalité dument diagnostiqué. Mais il semble bien que ce critère se soit assoupli avec les années. En effet, pour bien des professionnels rencontrés, le simple soupçon de « traits » de personnalité problématique suffit trop souvent à suggérer le programme comme seule possibilité de service; et dans le discours des participants, cet « assouplissement » des critères réglant l’accès ou non au cadre TP est une lame à double tranchant.

« La plupart du temps, ils ne sont pas diagnostiqués… et ça, c’est un problème (…). En théorie, les gens qui arrivent dans le programme devraient avoir reçu un diagnostic, mais ça, c’est en théorie; parce que dans la réalité, ce n’est pas appliqué comme ça. Pis c’est rare

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qu’on a des contacts avec les médecins ou les psychiatres, et c’est une grosse lacune de ce point de vue là » « Quand les personnes ont pas reçu de diagnostic clair, c’est compliqué. On sait pas comment les aligner. On les voit aller pis on sait bien qu’y a un trouble, mais c’est plus facile de les faire entrer dans le programme quand y a pas un trouble de bien identifié. Et dans ces cas-là aussi, c’est qu’y faut appeler à l’Institut pour demander que les personnes soient évaluées, et c’est pas évident de ce côté-là non plus » « Moi, ça me questionne, je dirais que ça me cause même des problèmes, de faire entrer quelqu’un dans le programme qui n’a pas de trouble en tant que tel, et qui présente juste des « traits », … parce qu’on connait pas toujours la force des traits (…). Et on offre la même affaire à tout le monde; le même programme avec les mêmes conséquences, pour des gens qui vivent pas nécessairement les mêmes affaires (…) pis si y refusent, ça veut dire qu’on les voit juste aux six semaines, j’ai un malaise avec ça » « Pis c'est sûr aussi que tant qu’on a pas de diagnostic clair, un intervenant n’est pas, si on veut être by the book, obligé de faire entrer un client dans le programme (…). T’sais, quand c'est pas la majeure, c'est pas dit nulle part qu’y faut les envoyer dans ce programme-là »

6.4.4 PÉRIODE DE PRÉ-THÉRAPIE AUX CONTOURS IMPRÉCIS

Bien des professionnels ont exprimé une certaine réserve face l’obligation devant laquelle ils sont parfois placés de travailler avec le cadre TP, quand ils ont à intervenir auprès de personnes aux prises avec, par exemple, d’autres besoins psychosociaux importants (autre que le besoin de psychothérapie). L’organisation actuelle des services de première ligne en santé mentale permet de retarder l’entrée des usagers dans le cadre TP. En effet, à son arrivée dans le programme, un client peut bénéficier d’une période qualifiée de pré-thérapie servant en théorie à la définition des besoins des usagers et à l’établissement d’un plan de services. Mais dans les faits, l’utilisation de cette période, fixée à environ six séances, peut perdurer dans le temps et se transformer, au fil du temps, en une forme de « suivi individuel déguisé », pour reprendre les termes d’un participant.

« Ce qu’on se rend compte aussi, c’est qu’on introduisait au début notre clientèle trop rapidement dans cette structure-là, avant que les personnes sachent vraiment dans quoi elles s’embarquaient (…). Y faut s’investir beaucoup (…). Et c’est pas tout le monde qui veut se niveau de développement-là (…) Alors, moi, je les garde dans mon caseload en pré-thérapie, pour évaluer plus à fond » « J’ai est une cliente, que je vois depuis quelque temps. Je sais que c'est un trouble de personnalité pis qu’y faudrait que je la fasse entrer dans le cadre. Mais elle est comme pas prête. C’est comme si le « timing » était pas là. Pis c'est une personne qui boit beaucoup aussi. Alors c’est sûr que participer à un groupe par exemple, dans des situations comme ça, c'est pas évident. Alors je la garde avec moi, mais j’attends. J’essaie de la voir en individuel

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pendant quelque temps, pour voir comment les choses vont évoluer. Pis je travaille d’autres choses en attendant, en axant plus sur son anxiété pis ses symptômes dépressifs » « On sait qu’y a des intervenants qui gardent des clients TP en dehors du programme, qu’y les voient en individuel et qui le disent pas (…). En justifiant aussi qu’y font de la pré-thérapie. Mais c'est parce qu’y ont l’impression que si leur client ne rentre pas dans le cadre, ben y pensent qu’y ont rien d’autre à offrir. Pis c’est dur aussi d’accepter de laisser tomber un suivi qui donne pas de résultat; t’sais, le syndrome du sauveur, on l’a tous un peu… pis je fais pas exception à la règle (…). Le principal problème qu’on a à gérer, c'est le malaise des intervenants, quand y faut mettre fin à des suivis qui donnent rien »

6.4 Pistes de solution avancées par les professionnels

Dans les entrevues réalisées, les professionnels ont indiqué différentes pistes de solutions aux problèmes qu’ils ont observés et aux réticences qu’ils ont manifestées face à l’application souvent jugée trop rigide du cadre d’intervention auprès des personnes présentant un TP. Il est intéressant d’observer que la majorité des personnes interviewées, après avoir mentionné les points forts et les inconvénients du programme d’intervention tel qu’il est appliqué dans leur réalité, souhaitait que l’on s’assure de la pérennité de ce programme de traitement, dans l’intérêt de tous. De plus, dans la mesure du possible, les intervenants souhaitaient aussi être consultés et faire partie de l’implantation des solutions proposées pour améliorer l’offre de services offerts aux personnes présentant un TP. Nous présentons ici une synthèse des propositions de solutions et avenues d’amélioration du «cadre TP» tel que l’envisagent les professionnels interviewés.

Systématiser la mise en place d’un intervenant qui assurerait des fonctions de superviseur clinique ou de mentor sur chacun des territoires des CLSC;

En raison d’une mobilité grandissante du personnel, assurer un meilleur encadrement et une formation appropriée à tous les nouveaux employés;

Mettre en place une méthode d’évaluation continue des besoins des usagers, après chacun des modules des groupes psychoéducatifs, afin de mieux « séquencer » l’épisode de soin en fonction des résultats de ces évaluations répétées;

S’assurer d’une meilleure adéquation entre les formations données par les établissements et les besoins réels des intervenants;

Systématiser l’orientation des clientèles qui ne sont pas en mesure d’être admises dans le programme vers les ressources alternatives ou communautaires susceptibles de répondre à leurs besoins;

Étendre les activités de formation entourant le cadre TP aux professionnels rattachés aux programmes Soins à domicile et Famille-enfance-jeunesse.

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7. Discussion et conclusion

Le suivi en première ligne des personnes aux prises avec un trouble de la personnalité constitue un défi de taille tant pour les professionnels des équipes de santé mentale que pour les gestionnaires des Centres de santé et de services sociaux du Québec. Le début des années quatre-vingt-dix a donné lieu à un foisonnement de recherche sur le TPL et son traitement. Entre autres, le modèle d’intervention mis sur pied par Marsha Linehan, l’approche dialectique-comportementale a permis de bien démontrer que le TPL est un trouble pour lequel il y a beaucoup plus d’espoir de traitement que ce qui était généralement reconnu à l’époque. Face à ce regain d’espoir pour cette clientèle réputée difficile et devant les nombreuses limites des services de première ligne disponibles pour cette clientèle, diverses tentatives d’amélioration des services ont été tentées à travers le Québec. À partir du milieu des années quatre-vingt-dix, le CSSS de la Vieille-Capitale a procédé à l’implantation progressive d’un programme de traitement des troubles de la personnalité et de soutien aux intervenants. D’importantes ressources humaines et financières ont été investies dans ce projet.

Bien que plusieurs indications portaient à croire que ce «cadre TP», comme le nomment les intervenants, était arrivé à rencontrer plusieurs de ses objectifs initiaux, aucune étude n’avait encore permis d’évaluer l’effet qu’a eu ce programme sur les perceptions des intervenants face à leur pratique clinique. En se basant sur une méthodologie qualitative axée sur l’analyse stratégique d’entrevues semi-structurées, cette étude avait pour principal objectif de brosser un portrait de l’opinion d’un échantillon de professionnel en santé mentale touché par ces changements de pratique. Nous souhaitions principalement connaître l’impression des professionnels quant aux impacts qu’a eu sur eux et leurs clientèles ce processus d’appropriation et d’implantation d’un modèle d’intervention novateur spécialisé pour les personnes présentant un trouble de la personnalité. En cours d’expérimentation, cette démarche nous a par ailleurs conduits à identifier certaines résistances et obstacles rencontrés dans l’application du «cadre TP». Enfin, les entrevues avec les acteurs-clés de ce processus de changement de pratique ont aussi permis d’entendre les suggestions de pistes de solutions aux problèmes rencontrés par les intervenants.

Dans les entretiens que nous avons menés, il ressort clairement que l’introduction de ce cadre d’intervention et les outils thérapeutiques qu’il comporte ont agi positivement sur différents aspects de la réalité des intervenants de première ligne impliqués : sentiment de compétence accru, possibilité de s’investir dans une relation d’aide sur le long terme, augmentation des attitudes positives exprimées à l’endroit des personnes aux prises avec un TP, amélioration de la cohérence des services, plus grande cohésion à l’intérieur des équipes de travail et grande appréciation des activités de formation et de supervision clinique. En lien avec les transformations jugées positives par les intervenants, nous devons attirer l’attention du lecteur sur le fait que les changements

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survenus au niveau organisationnel sont aussi en fait un indicateur généralement associé, dans la littérature, à une plus grande efficacité sur plan thérapeutique; l’un étant indissociable de l’autre. En effet, la symptomatologie des personnes aux prises avec un TP se traduit dans bien des cas par une utilisation « désorganisée » des services de santé. Aussi, la cohérence améliorée des services offerts à cette clientèle doit être considérée à la fois comme un indicateur de changement organisationnel et comme un indicateur d’efficacité clinique, une sorte d’ingrédient thérapeutique systémique contribuant ultimement au mieux-être des usagers comme des professionnels œuvrant auprès d’eux.

Cette étude a aussi permis de dégager un certain nombre de limites et inconvénients associés à l’implantation du cadre d’intervention pour la clientèle présentant un TP. Ces réserves se sont traduites sous la forme de doutes ou d’appréhensions touchants les possibilités réelles des usagers de profiter de manière optimale du programme d’intervention que suppose le cadre TP. Dans bien des situations décrites, c’est la peur de « mettre en échec les usagers » qui semble être en jeu pour les professionnels rencontrés. On nous a aussi communiqué l’impression qu’une application trop rigide du cadre risque parfois de conduire à exclure du système de soins les usagers les plus sévèrement touchés par la maladie. Par ailleurs, certains intervenants ont manifesté la crainte que le développement de pratiques d’interventions structurées pour répondre aux besoins des usagers aux prises avec un trouble de la personnalité se fasse aux dépens d’autres clientèles tout aussi en besoin. On aurait remarqué d’ailleurs une «explosion» des demandes de services que les établissements concernés ne seraient plus en mesure de contenir.

Face à certaines limites et inconvénients associés à l’implantation du cadre d’intervention pour les individus présentant un TP, les intervenants ont exprimé un certain nombre de résistances à la façon dont on leur a demandé d’appliquer les règles et utiliser les divers outils thérapeutiques associés au cadre d’intervention proposé. Force est d’admettre que dans les milieux qui ont fait l’objet de l’étude, l’observance stricte aux principes généraux que sous-tend l’approche dialectique-comportementale voisine paradoxalement avec une application «sur mesure et au besoin» de ces mêmes règles et outils. Il est difficile de préciser exactement ce à quoi les professionnels adhèrent ou pas. Loin d’être seulement un problème, ces écarts d’observance sont bien souvent aussi des sources créatives de solutions aménagées à la réalité de chaque individu. En effet, dans certains milieux, ces actions singulières et bricolées sur mesure ont conduit à l’adoption de nouvelles règles générales qui, questionnant un système en place, a permis de le réinventer et de l’améliorer. Nous avons observé ces mouvements dans au moins deux milieux de travail et plusieurs étaient d’ailleurs affairés à réviser l’offre de services offerts aux usagers présentant un TP, dans certains cas, à la lumière de ce qui était justement perçu comme un écart non souhaitable.

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Les résultats de cette recherche soulèvent d’autre part des enjeux importants, au regard de la mission et des responsabilités que doivent assumer les établissements qui offrent des services de première ligne en santé mentale. L’un de ces enjeux soulève des questions d’ordre éthique et organisationnel. Dans les entretiens que nous avons recueillis, des participants se questionnent sur la nécessité réelle d’offrir aux usagers des CSSS un traitement requérant une telle intensité de service6 en première ligne. Sans remettre en doute ses bienfaits pour les usagers, des professionnels se demandent s’il n’est pas possible d’arriver à des résultats comparables (en termes d’efficacité thérapeutique), mais en utilisant une version que nous pourrions qualifier « d’allégée » du programme. Au final, ces interrogations semblent porter un regard critique sur les finalités que devraient poursuivre les organisations de première ligne; faut-il valoriser et mettre en place des moyens assurant le traitement des pathologies de la personnalité alors que cela devrait être le mandat de la deuxième et troisième ligne de soin? Ne serait-il pas plus « juste » d’inscrire les pratiques d’intervention dans une logique de réduction des méfaits? Comment concilier accessibilité et qualité des services offerts aux usagers? Plusieurs de ces questions demeurent en suspens et sans réponse satisfaisante pour certains des professionnels interviewés.

Cette étude comporte des forces indéniables, mais aussi certaines limites. D'abord, son originalité est à souligner. À notre connaissance, aucune étude structurée n’avait encore tenté de recenser les impacts qu’on eu sur les intervenants l’implantation de formations et de programmes d’intervention auprès des personnes présentant un TP. Cette originalité va de pair avec l’utilité des résultats obtenus. En effet, les CSSS en sont à un point où la gestion des établissements se doit de repenser et de restructurer certains services offerts à la clientèle présentant des troubles sévères et persistants. La possibilité pour les décideurs d’avoir un accès privilégié au vécu de ceux qui ont été et demeurent les pierres d’assise de ces programmes d’intervention est une précieuse source d’information qui, nous l’espérons, viendra enrichir leurs réflexions et les processus décisionnels en jeu. Enfin, la validité écologique des résultats est à souligner. La quasi-totalité des recherches portant sur le TPL nous vient des États-Unis et de l’Europe. Le fait d’avoir pu recueillir directement sur le terrain la parole des acteurs concernés, sans contrainte importante de format d’entrevue ou de temps alloué, donne une saveur très locale aux résultats obtenus; ce qui était souhaité dès le départ. Cependant, malgré ses forces, nous nous devons aussi de dégager certaines limites à cette étude. Premièrement, le devis qualitatif rétrospectif de notre démarche de recherche comporte des inconvénients. En absence de niveaux de base quantitatifs

6 Intensité se concrétisant par une rencontre de groupe aux quinze jours, une rencontre individuelle

aux quinze jours (ou aux semaines, au besoin), la possibilité de rendez-vous de crise et des

rencontres de discussion hebdomadaire en intervenant.

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saisis dans les milieux avant que les programmes soient implantés, il est difficile de connaître avec exactitude l’ampleur des changements de pratique et des changements d’attitude que nous souhaitions mesurer. De plus, le nombre limité de participants invite à une certaine réserve quant aux possibilités de généralisation des résultats à tous les intervenants du CSSS en question. Enfin, il est possible que notre recrutement ait été affecté par un certain biais de sélection compte tenu que certains intervenants en désaccord avec les choix de l’administration ont pu préférer s’abstenir de témoigner de leur expérience par peur de représailles ou en guise de protestation.

En conclusion, les auteurs de cette étude tiennent à remercier toutes les personnes qui y ont contribué de près ou de loin. La collaboration de diverses instances administratives et l’enthousiasme communicatif de plusieurs des professionnels ayant accepté de témoigner de leur expérience nous auront permis de mener à terme un projet qui a dû faire face à de nombreux défis méthodologiques et logistiques. La fierté avec laquelle les intervenants nous ont témoigné de leurs réussites témoigne de la qualité de leur compétence. La franchise propre aux échanges sur les difficultés rencontrées sur le terrain dans l’application du cadre de traitement montre bien que tout n’est pas idéal, mais que les professionnels de la première ligne sont tenaces face à l’épreuve et intéressés à améliorer leur pratique. Enfin, les nombreuses préoccupations quant à l’accessibilité des services et au risque de stigmatisation de personnes déjà susceptibles d’être marginalisées dans plusieurs sphères de leur vie fait foi du respect qu’on les professionnels interviewés pour leurs clients. Ceci dit, la performance du réseau de soins en santé mentale dépend, pour une large part, de la qualité des conditions de travail et des moyens mis à la disposition des professionnels pour atteindre leurs objectifs et respecter leur mandat. Il est donc important de souligner l’importance du travail des cadres et des gestionnaires en place qui ont su rendre possible l’implantation d’un nouveau programme d’intervention et faciliter les changements de pratique souhaités par les personnes présentant un TP et leur proche depuis longtemps. L’enthousiasme critique et lucide que nous avons constaté sur le terrain est le reflet d’une mouvance générale vers l’amélioration des services et des traitements publics offerts aux personnes aux prises avec d’un trouble de la personnalité. Parce qu’au bout du compte, ce sont eux, les personnes atteintes de problèmes de santé mentale et les proches, qui bénéficient le plus des avantages des changements de pratique dont nous avons tenté de rendre compte dans cette recherche.

FIN

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ANNEXE A

PREMIÈRE PARTIE : LES IMPACTS SUBJECTIFS DU CADRE D’INTERVENTION

Introduction et mise en contexte

� Parlez-moi de ce que vous savez au sujet de l’implantation d’un cadre de référence entourant le suivi en première ligne pour les individus diagnostiqué avec un trouble de la personnalité; la manière dont ce cadre a été introduit ici, dans votre milieu de pratique.

� Avez-vous reçu des formations en lien avec ce cadre de référence? � Pourriez-vous me décrire la nature et le contenu de ces formations ? � Avec le recul, quelle est votre impression générale face à cette expérience? � Avez-vous reçu de la supervision de groupe en lien avec ce cadre de référence? Quelle

en est votre impression générale?

Thème 2

Les dimensions du cadre positives, néfastes et/ou à revoir, pour la clientèle

� Pourriez-vous me dire quelques mots sur les aspects ou les dimensions du cadre qui vous apparaissent positifs pour la clientèle; pourriez-vous donner un exemple, en parlant d’un usager que vous avez suivi ?

� D’autre part, ce cadre comporte-t-il des effets qui seraient négatifs ? � Indicateurs servant à animer la discussion, si ces points ne sont pas rapportés par le

répondant : o Accueil et évaluation des motifs de la demande d’aide. o Triage et orientation vers le professionnel approprié de votre CLSC o Référence vers d’autres ressources en santé mentale de Québec (vers la 2e et la

3e ligne de soin par exemple)

� De votre point de vue, ce cadre a-t-il eu des effets sur la manière dont les usagers sont

accueillis dans le système, et sur la manière dont ils circulent dans ce système également ?

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� Avez-vous l’impression que les usagers qui sont aux prises avec un trouble de la personnalité reçoivent actuellement les bons services, quand ils s’adressent aux institutions de première ligne ?

Thème 3

Le sentiment de compétence des intervenants

� Parlez-moi de vos forces et de vos limites comme intervenant(e) auprès des usagers qui présentent un trouble de la personnalité limite.

� Parmi vos forces que vous venez de décrire, laquelle vous est la plus profitable pour intervenir de manière efficace auprès des TP?

� Parmi vos limites, laquelle pourrait être identifiée comme étant celle qui pourrait expliquer les difficultés que vous rencontrez dans vos interventions auprès des TP… Pourriez-vous illustrer vos propos, à partir d’un exemple concret ?

� Ces forces et ces limites ont-elles changé depuis votre participation aux activités de formations mentionnées tout à l’heure? En quoi?

� Y a-t-il d’autres facteurs qui peuvent selon vous expliquer ces changements?

Thème 4

Les attitudes entretenues à l’endroit des usagers présentant un TP

� Si je vous demandais de décrire très rapidement, à l’aide de quelques images, ce qui caractérise les personnes aux prises avec un TP, quels termes utiliseriez-vous?

� Quelles sont selon vous les plus grandes difficultés que rencontrent les intervenants qui travaillent avec cette clientèle?

� Avez-vous l’impression que vos attitudes à l’endroit du TP ont changés depuis votre participation aux activités de formation et de supervision discutées précédemment? En quoi?

� Avez-vous l’impression que les attitudes de votre équipe de travail à l’endroit des TP ont changés depuis sa participation à certaines des activités de formation et de supervision discutées précédemment? En quoi?

� Y a-t-il d’autres facteurs qui peuvent selon vous expliquer ces changements?

DEUXIÈME PARTIE : DÉFIS ET PERSPECTIVE

Thème 1 : Parlez-moi maintenant des défis que vous rencontrez actuellement, dans les rapports avec les clientèles ayant reçu un diagnostic de trouble de la personnalité.

Thème 2 : Pourriez-vous me dire quelques mots que les défis qui traversent les relations de travail que vous entretenez avec vos collègues (ceux des équipes de santé mentale, mais les autres également – soutien à domicile, famille-enfance-jeunesse);

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… Sentez-vous qu’il existe une certaine cohésion, une adhérence commune par exemple aux protocoles actuellement en place, au sein de votre milieu de travail, sur la manière d’intervenir auprès des personnes souffrant d’un trouble de la personnalité ?

Thème 3 : Enfin, parlez-moi des défis que vous devez (ou non) surmonter dans les liens que vous avez ici, à l’interne, avec les gestionnaires du programme ou avec la « culture » de la direction autour de ce thème des services à offrir aux personnes souffrant d’un TP.

… Y a-t-il des normes ou des règles de pratique qui sont en vigueur ici qui ne seraient pas en accord avec la manière, par exemple, dont vous percevez les besoins de cette clientèle ?

Conclusion et ouverture

� Quelles pistes de solutions aimeriez-vous mettre en place pour surmonter les

problématiques discutées au cours de l’entretien

… Si je vous donnais une baguette magique, que changeriez-vous dans votre milieu de pratique, toujours en lien avec cette question de la prise en charge en première ligne des personnes aux prises avec un TP?

� Auriez-vous autre chose à ajouter?

Fin de l’entretien

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