Fiche nudges lucien dornier MOPP 2014

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1 Fiche de lecture sur l’article « Nudges.gov : Behavioral Economics and Regulation » de Cass R. Sunstein. Lucien Dornier Le concept de « nudge » signifiant « coup de pouce » est une façon d’inciter en douceur les gens à adopter un comportement. Il est fondé sur les travaux en économie comportementale et en psychologie cognitive. Cette notion a émergé dans l’ouvrage Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness écrit par Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein. Ce dernier est égalemen l’auteur de l’article faisant l’objet de cette présentation : Nudges.gov : Behavioral Economics and Regulation. Les nudges s’inscrivent dans ce que ces auteurs nomment le « parternalisme libéral » : une voie intermédiaire entre la régulation et le marché qui incite les gens à se comporter d’une manière qui sert au mieux leurs intérêts et ceux de la collectivité, tout en préservant leur liberté de choix. Sunstein est un juriste et philosophe américain, spécialisé en droit constitutionnel, en droit administratif, en droit de l'environnement et en économie. Il est actuellement administrateur de l'OIRA (Office of Information and Regulatory Affairs) du gouvernement Obama. Il a enseigné pendant de nombreuses années à l'Université de Chicago dont il est toujours professeur invité. Sunstein est également professeur de droit à l'Université Harvard, où il est en détachement pour exercer ses fonctions dans le gouvernement Obama. Au sein de l’OIRA, Sunstein a notamment étudié et développé des nudges comme outils au service des politiques publiques. Dans cet article, l’auteur défend la thèse selon laquelle les nudges peuvent être un moyen efficace et peu coûteux au service des politiques publiques. Sunstein commence tout d’abord par dresser un état de la recherche sur les mécanismes à la base des nudges (I). Celui-ci développe ensuite les implications des nudges en matière de politiques publiques en citant à chaque fois des exemples d’initiatives de l’administration Obama qui ont été menées sur le sujet (II). I] Etat de la recherche sur les mécanismes à la base des nudges Les travaux en recherche comportementale ont permis d’établir qu’un individu ne va pas nécessairement se comporter comme l’agent rationnel décrit par la théorie économique classique. Le comportement d’un individu est influencé par une multitude de facteurs qui agissent comme autant de biais psychologiques et qui expliquent dans une large mesure l’écart entre le comportement attendu selon la théorie classique et le comportement réellement adopté par les individus. Ces recherches ont mis à jour plusieurs mécanismes ayant une influence décisive sur l’adoption d’un comportement particulier par un individu. Ce sont ces mécanismes qui permettent ensuite d’élaborer des nudges. Le premier mécanisme est celui dit « d’inertie et de procrastination ». En vertu de ce mécanisme, les individus ont généralement une nette préférence pour le maintien du statu quo même si celui-ci leur est défavorable par rapport à ce qu’ils obtiendraient en changeant de comportement. Pour que l’on observe un changement de comportement, il faut que le bénéfice soit démesurément élevé. En outre, la procrastination fait que les individus ont tendance à systématiquement adopter des comportements qui procurent des avantages à court terme au détriment de comportements apportant des bénéfices à long terme.

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Fiche de lecture sur l’article « Nudges.gov : Behavioral Economics and Regulation » de Cass R. Sunstein. Lucien Dornier Le concept de « nudge » signifiant « coup de pouce » est une façon d’inciter en douceur les gens à adopter un comportement. Il est fondé sur les travaux en économie comportementale et en psychologie cognitive. Cette notion a émergé dans l’ouvrage Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness écrit par Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein. Ce dernier est égalemen l’auteur de l’article faisant l’objet de cette présentation : Nudges.gov : Behavioral Economics and Regulation. Les nudges s’inscrivent dans ce que ces auteurs nomment le « parternalisme libéral » : une voie intermédiaire entre la régulation et le marché qui incite les gens à se comporter d’une manière qui sert au mieux leurs intérêts et ceux de la collectivité, tout en préservant leur liberté de choix. Sunstein est un juriste et philosophe américain, spécialisé en droit constitutionnel, en droit administratif, en droit de l'environnement et en économie. Il est actuellement administrateur de l'OIRA (Office of Information and Regulatory Affairs) du gouvernement Obama. Il a enseigné pendant de nombreuses années à l'Université de Chicago dont il est toujours professeur invité. Sunstein est également professeur de droit à l'Université Harvard, où il est en détachement pour exercer ses fonctions dans le gouvernement Obama. Au sein de l’OIRA, Sunstein a notamment étudié et développé des nudges comme outils au service des politiques publiques. Dans cet article, l’auteur défend la thèse selon laquelle les nudges peuvent être un moyen efficace et peu coûteux au service des politiques publiques. Sunstein commence tout d’abord par dresser un état de la recherche sur les mécanismes à la base des nudges (I). Celui-ci développe ensuite les implications des nudges en matière de politiques publiques en citant à chaque fois des exemples d’initiatives de l’administration Obama qui ont été menées sur le sujet (II). I] Etat de la recherche sur les mécanismes à la base des nudges Les travaux en recherche comportementale ont permis d’établir qu’un individu ne va pas nécessairement se comporter comme l’agent rationnel décrit par la théorie économique classique. Le comportement d’un individu est influencé par une multitude de facteurs qui agissent comme autant de biais psychologiques et qui expliquent dans une large mesure l’écart entre le comportement attendu selon la théorie classique et le comportement réellement adopté par les individus. Ces recherches ont mis à jour plusieurs mécanismes ayant une influence décisive sur l’adoption d’un comportement particulier par un individu. Ce sont ces mécanismes qui permettent ensuite d’élaborer des nudges. Le premier mécanisme est celui dit « d’inertie et de procrastination ». En vertu de ce mécanisme, les individus ont généralement une nette préférence pour le maintien du statu quo même si celui-ci leur est défavorable par rapport à ce qu’ils obtiendraient en changeant de comportement. Pour que l’on observe un changement de comportement, il faut que le bénéfice soit démesurément élevé. En outre, la procrastination fait que les individus ont tendance à systématiquement adopter des comportements qui procurent des avantages à court terme au détriment de comportements apportant des bénéfices à long terme.

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La présentation et la formulation constituent également un mécanisme ayant une influence significative sur le comportement des individus. Une information saillante et concrète a souvent une influence démesurée sur les individus par rapport à d’autres informations tout aussi importante mais moins mise en valeur. De même, la formulation d’un énoncé a sa part d’importance. Par exemple, un individu adoptera plus facilement un comportement conseillé par un énoncé qui affirme qu’utiliser des ampoules à basse consommation lui évitera de perdre tant d’argent plutôt qu’un énoncé qui déclare qu’il lui en fera gagner autant. Cet exemple souligne par ailleurs le phénomène « d’aversion pour les pertes » : un individu ressentira une émotion négative plus forte en cas de perte de 100€ que l’émotion positive générée par un gain de 100€. L’intensité de l’émotion est plus forte en cas de perte. Le troisième mécanisme est « l’influence sociale ». En vertu de celui-ci, les comportements individuels sont fortement influencés par la perception du comportement des autres. Par exemple, la probabilité qu’un individu évoluant dans un milieu qui comprend un grand nombre de fumeurs se mette à fumer est plus importante que si son milieu ne compte que très peu ou pas du tout de fumeurs. Enfin, le dernier mécanisme mis à jour réside en la difficulté des individus à évaluer correctement les probabilités. En effet, dans de nombreux domaines, les gens se montrent souvent trop optimistes et sous-estiment les risques. Selon Sunstein, un individu a souvent tendance à surpondérer les bonnes nouvelles au détriment des mauvaises nouvelles. De plus l’effet « supérieur à la moyenne » (« above the average ») est assez répandu dans la population. Un individu pense généralement qu’il a moins de risques que les autres d’avoir une mésaventure (accident de voiture, maladie, etc.). Il est également fréquent de surpondérer la probabilité de survenance d’un évènement qui s’est produit il y a peu de temps (qu’il soit négatif ou positif). Pour finir, il arrive également qu’un individu n’accorde qu’une importance mineure à la probabilité de survenance d’un évènement, surtout lorsque de fortes émotions sont en jeu. Après la présentation des différents mécanismes découverts par la recherche expérimentale comme ayant une importance significative sur le comportement, Sunstein précise toutefois que ces derniers n’ont pas un impact uniforme sur toute la population. Il est possible de gagner en efficacité en ciblant plus précisément une catégorie particulière et plus homogène de la population. Par ailleurs, Sunstein ajoute qu’il n’est pas possible de faire des prédictions précises en la matière. Par exemple, s’il y a de fortes chances qu’un énoncé affirmant que l’utilisation d’une ampoule à basse consommation permettra d’éviter de perdre 100€ soit plus suivi d’effet qu’un énoncé qui déclare que cela en fait gagner autant, il n’est en revanche pas possible de déterminer précisément le pourcentage d’individus en plus qui utiliseront des ampoules à basse consommation à la suite du premier énoncé. De même, on ne peut pas dire que ces mécanismes plaident en faveur de plus de régulation, ou de moins de régulation. On peut simplement dire que la compréhension des mécanismes décrits peut aider à la conception et à la formulation des politiques publiques. II] Les implications des nudges en matière de politiques publiques Au sein de l’OIRA, Sunstein a été en mesure d’étudier, concevoir et mettre en œuvre des nudges qui se fondent sur les mécanismes décrits dans la partie I. L’auteur insiste sur le fait que les nudges constituent un moyen efficace et peu coûteux pour rendre les politiques publiques plus performantes. Sunstein affirme en effet que des politiques publiques qui s’appuient sur des nudges peuvent dans certains cas très bien se substituer à celles fondées sur

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des règlementations ou des incitations parfois coûteuses et à l’efficacité faible. Selon lui, il existe quatre techniques qui peuvent constituer des nudges susceptibles d’accroître significativement la performance des politiques publiques. Pour étayer son propos, celui-ci mentionne à chaque fois des exemples de politiques publiques fondées sur des nudges mises en œuvre sous l’administration Obama. La première technique consiste en la communication d’informations. La simple communication d’informations serait un moyen efficace pour susciter des comportements particuliers. Il faut distinguer la communication partielle, intervenant souvent au moment de l’achat d’un produit et qui présente les informations essentielles, et la communication totale, plus exhaustive et la plupart du temps fournie sur Internet. L’auteur cite l’exemple du « Credit CARD Act de 2009 » qui a eu pour conséquence une meilleure information des utilisateurs de cartes bancaires, notamment par l’obligation faite aux établissements de crédit d’informer les utilisateurs de leurs cartes d’une augmentation des intérêts annuels 45 jours à l’avance ainsi qu’en contraignant ces établissements à mettre à disposition du public, sur leur site Internet, l’intégralité de chaque contrat attaché à chacune de leurs cartes bancaires. D’autres nudges utilisant la même technique ont été mis en œuvre en matière de nutrition et de sante. L’auteur précise que les informations communiquées doivent bien entendu être compréhensibles facilement et suffisamment ostensibles pour que le nudge soit efficace. Celui-ci recommande également de le tester avant de le mettre en œuvre, de façon à apprécier la manière dont le public réagit à cette communication, et si celle-ci peut être améliorée. L’application d’une règle par défaut et la simplification peuvent également être de puissants nudges. La mise en œuvre d’une règle par défaut s’appuie sur le mécanisme d’inertie et de procrastination et fait que les individus soumis à l’application d’une règle par défaut et dont on leur demande expressément s’ils souhaitent en sortir seront bien plus nombreux à adopter cette règle plutôt que des individus nous soumis à l’application automatique d’une règle et dont on leur demande expressément s’ils souhaitent qu’elle leur soit appliquée. L’auteur prend l’exemple des plans d’épargne proposés par les entreprises à leurs salariés. Il apparaît que lorsqu’une entreprise passe à un plan d’épargne par défaut, le nombre de salariés inscrits dans ce plan augmente de manière significative. Pour accroître l’efficacité des nudges fondés sur cette méthode, l’auteur précise qu’il serait intéressant de personnaliser les règles par défaut en fonction des informations recueillies sur telle ou telle personne, ou sur tel ou tel groupe. Cependant, lorsque les autorités publiques ne disposent que de très peu d’informations, il est préférable de ne pas imposer de règle par défaut et de s’en remettre aux « choix actif » (« active choice ») de la personne, tout en veillant à ce que ce choix s’effectue dans les conditions les plus simples possibles. Dans le cas contraire, l’autorité publique s’expose à un nudge inefficace voire contreproductif. La visibilité ou « saillance » (« salience ») permet aussi d’élaborer des nudges intéressants. Cette technique consiste simplement à rendre une information plus visible, ou du moins plus marquante afin d’attirer l’attention du public pour que ce dernier en tienne davantage compte. Ainsi, la consommation d’alcool diminue lorsqu’une taxe sur les alcools s’applique au moment du passage en caisse plutôt que si celle-ci est déjà incluse dans le prix. De même, les gens ont tendance à davantage équiper leur habitation avec des produits efficients sur le plan énergétique s’ils peuvent suivre leur consommation d’électricité en direct plutôt que s’ils ne la mesurent que mensuellement ou trimestriellement. Enfin, la norme sociale est également présentée par Sunstein comme permettant la constitution de nudges efficaces. Il s’agit notamment de faciliter et d’encourager la

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comparaison avec d’autres individus dans certains domaines. A ce titre, l’entreprise américaine Opower est un exemple intéressant. Cette dernière offre en effet aux individus la possibilité de comparer leur consommation d’électricité chez eux avec celles d’autres personnes. Désormais, plus de quatre millions de personnes utilisent les services de cette société qui leur a permis d’économiser des centaines de millions de dollars. En conclusion, Sunstein déclare que les nudges peuvent donc être très utiles pour les politiques publiques. La communication d’information, la visibilité de celle-ci, l’application de règles par défaut ou encore les normes sociales peuvent constituer de puissants nudges trouvant à s’appliquer dans tous les domaines (lutte contre l’obésité, le tabac, économie d’énergie, etc.). Ainsi, ce sont de bons moyens venant en complément ou en substitution des outils classiques (réglementation notamment). Les nudges sont d’autant plus intéressants qu’ils sont souvent plus efficaces et bien moins coûteux que des subventions publiques.