Fiche n° 5 : La protection des libertés par le juge ...

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Année 2009-2010 LICENCE III DROIT DES LIBERTÉS FONDAMENTALES Fiche n° 5 : La protection des libertés par le juge administratif DOCUMENTS : A. Le recours pour excès de pouvoir Doc n° 1 : CE, 19 mai 1933, Benjamin. Doc n° 2 : CE, 2 juillet 1993, Milhaud Doc n° 3 : CE, 17 février 1995, Marie Doc n° 4 : CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orges Doc n° 5 : CE, 9 avril 2008, Rogier B. Le référé « liberté fondamentale » Doc. n° 6 : CE, référé, 18 janvier 2001, Commune de Venelles Doc. n° 7 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres Doc. n° 8 : CE, référé, 19 août 2002, Front national et Institut de formation des élus locaux (IFOREL) Doc n° 9 : CE, référé, Mmes Feuillatey Doc n° 10 : G. GLENARD, « Les critères d'identification d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-12 du code de justice administrative », AJDA, 2003, p. 2008. Doc. n° 11 : CE, référé, 8 septembre 2005, M. Michel, note M. LAUDIJOIS, « Le droit à la santé n’est pas une liberté fondamentale », AJDA, 2006 p 376 Doc n° 12 : TA Toulouse, référé, 13 avril 2006, req. n° 0601394, note X. BIOY, « L’occupation des universités et les libertés, AJDA, 2006, p. 1281.

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Année 2009-2010

LICENCE III

DROIT DES LIBERTÉS FONDAMENTALES

Fiche n° 5 :

La protection des libertés par le juge administratif

DOCUMENTS : A. Le recours pour excès de pouvoir Doc n° 1 : CE, 19 mai 1933, Benjamin. Doc n° 2 : CE, 2 juillet 1993, Milhaud Doc n° 3 : CE, 17 février 1995, Marie Doc n° 4 : CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orges Doc n° 5 : CE, 9 avril 2008, Rogier B. Le référé « liberté fondamentale » Doc. n° 6 : CE, référé, 18 janvier 2001, Commune de Venelles Doc. n° 7 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres Doc. n° 8 : CE, référé, 19 août 2002, Front national et Institut de formation des élus locaux (IFOREL) Doc n° 9 : CE, référé, Mmes Feuillatey Doc n° 10 : G. GLENARD, « Les critères d'identification d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-12 du code de justice administrative », AJDA, 2003, p. 2008. Doc. n° 11 : CE, référé, 8 septembre 2005, M. Michel, note M. LAUDIJOIS, « Le droit à la santé n’est pas une liberté fondamentale », AJDA, 2006 p 376 Doc n° 12 : TA Toulouse, référé, 13 avril 2006, req. n° 0601394, note X. BIOY, « L’occupation des universités et les libertés, AJDA, 2006, p. 1281.

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Doc n° 1 : CE, Ass., 19 mai 1933, Benjamin. Vu les requêtes et les mémoires ampliatifs présentés pour le sieur Benjamin Y... , homme de lettres, demeurant ... et pour le Syndicat d'initiative de Nevers Nièvre représenté par son président en exercice, lesdites requêtes et lesdits mémoires enregistrés au Secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 28 avril, 5 mai et 16 décembre 1930 tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler deux arrêtés du maire de Nevers en date des 24 février et 11 mars 1930 interdisant une conférence littéraire ; Vu la requête présentée pour la Société des gens de lettres, représentée par son délégué général agissant au nom du Comité en exercice, tendant aux mêmes fins que les requêtes précédentes par les mêmes moyens ; Vu les lois des 30 juin 1881 et 28 mars 1907 ; Vu la loi du 5 avril 1884 ; Vu les lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 ; Considérant que les requêtes susvisées, dirigées contre deux arrêtés du maire de Nevers interdisant deux conférences, présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ; En ce qui concerne l'intervention de la Société des gens de lettres : Considérant que la Société des gens de lettres a intérêt à l'annulation des arrêtés attaqués ; que, dès lors, son intervention est recevable ; Sur la légalité des décisions attaquées : Considérant que, s'il incombe au maire, en vertu de l'article 97 de la loi du 5 avril 1884, de prendre les mesures qu'exige le maintien de l'ordre, il doit concilier l'exercice de ses pouvoirs

avec le respect de la liberté de réunion garantie par les lois des 30 juin 1881 et 28 mars 1907 ; Considérant que, pour interdire les conférences du sieur René X..., figurant au programme de galas littéraires organisés par le Syndicat d'initiative de Nevers, et qui présentaient toutes deux le caractère de conférences publiques, le maire s'est fondé sur ce que la venue du sieur René X... à Nevers était de nature à troubler l'ordre public ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre ; que, dès lors, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen tiré du détournement de pouvoir, les requérants sont fondés à soutenir que les arrêtés attaqués sont entachés d'excès de pouvoir ; DECIDE : Article 1er : L'intervention de la Société des Gens de Lettres est admise. Article 2 : Les arrêtés susvisés du maire de Nevers sont annulés. Article 3 : La ville de Nevers remboursera au sieur René X..., au Syndicat d'initiative de Nevers et à la Société des Gens de Lettres les frais de timbre par eux exposés s'élevant à 36 francs pour le sieur X... et le Syndicat d'initiative et à 14 francs 40 pour la Société des Gens de Lettres, ainsi que les frais de timbre de la présente décision. Article 4 : Expédition ... Intérieur

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Doc n° 2 : CE, Ass., 2 juillet 1993, Milhaud (…) Sur le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été rendue en audience non publique : Considérant, d’une part, que M. Milhaud ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par la section disciplinaire des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que, par la décision attaquée, la section n’a pas statué en matière pénale ni tranché de contestation sur des droits et obligations de caractère civil ; que, d’autre

part, aucun principe général du droit n’impose la publicité des débats dans le cas où une juridiction statue en matière disciplinaire ; qu’ainsi, M. Milhaud n’est pas fondé à soutenir que la décision de la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des médecins, prise après que les débats ont eu lieu, conformément à l’article 26 du décret du 26 octobre 1948 dans sa rédaction alors en vigueur, en audience non publique, serait intervenue dans des conditions irrégulières ;

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Sur la légalité interne de la décision attaquée : Considérant que, pour confirmer le blâme infligé au Dr Milhaud par le conseil régional de l’ordre des médecins de Picardie, la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des médecins a estimé que l’expérimentation effectuée par le requérant constituait une violation des articles 2, 7 et 19 du décret susvisé du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ; Considérant qu’aux termes de l’article 2 dudit code “le médecin au service de l’individu et de la santé publique exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine” ; qu’aux termes de l’article 7 du même texte “la volonté du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du possible. Lorsque le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, ses proches doivent, sauf urgence ou impossibilité être prévenus et informés” ; qu’enfin aux termes de l’article 19 “l’emploi sur un malade d’une thérapeutique nouvelle ne peut être envisagé qu’après les études biologiques adéquates sous une surveillance stricte et seulement si cette thérapeutique peut présenter pour la personne un intérêt direct” ; que les juges du fond ont estimé ces dispositions applicables au cas de M. Milhaud, qui avait pratiqué une expérimentation sur un sujet maintenu en survie somatique, bien que ledit sujet fût en état de mort cérébrale ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’état du patient dont il s’agit avait fait l’objet d’un ensemble d’examens pratiqués par des médecins autres que le docteur Milhaud, qui avaient procédé à deux artériographies les 1er et 2 février 1988 et à deux électroencéphalogrammes les 31 janvier et 4 février 1988 ; que ces procédés, reconnus valables par le ministre chargé de la santé en application de l’article 21 du décret du 31 mars

1978 susvisé, constituent des modes de preuve dont les résultats concordants permettaient de conclure à la mort de l’intéressé ; que, par suite, en estimant que M. Milhaud avait méconnu les dispositions précitées des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie, qui ne peuvent s’appliquer qu’à des personnes vivantes, la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des médecins a entaché sa décision d’erreur de droit ; Mais considérant que les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas de s’appliquer avec la mort de celui-ci ; qu’en particulier, ces principes font obstacle à ce que, en dehors des prélèvements d’organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976, et régis par celle-ci, il soit procédé à une expérimentation sur un sujet après sa mort, alors que, d’une part, la mort n’a pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui sont définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978 ; que, d’autre part, ladite expérimentation ne répond pas à une nécessité scientifique reconnue, et qu’enfin, l’intéressé n’a pas donné son consentement de son vivant ou que l’accord de ses proches, s’il en existe, n’a pas été obtenu ; Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis à la section disciplinaire que M. Milhaud a procédé à des expérimentations, comme l’ont relevé les juges du fond, sans que toutes ces conditions aient été remplies ; que les faits ainsi retenus à l’encontre de M. Milhaud constituaient un manquement aux principes ci-dessus rappelés et étaient de nature à justifier légalement l’application d’une sanction disciplinaire ; que le requérant n’est, dès lors, pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée

Doc n° 3 : CE, Ass., 17 février 1995, Marie Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai 1988 et 10 juin 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M Pascal Marie, demeurant 1, rue Souham prolongée à Tulle (19000) ; M Marie demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles qui, le 29 février 1988,

a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 juin 1987 par laquelle le directeur de la maison d'arrêt des hommes de Fleury-Mérogis lui a infligé la sanction de la mise en cellule de punition pour une durée de huit jours, avec sursis, ensemble la décision implicite du directeur régional des services penitentiaires rejetant son recours contre ladite sanction ;

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2°) d'annuler ces deux décisions pour excès de pouvoir ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code de procédure pénale ; Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M Philippe Boucher, Conseiller d'Etat, - les conclusions de M Frydman, Commissaire du gouvernement ; Considérant qu'aux termes de l'article D 167 du code de procédure pénale : "La punition de cellule consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'il doit occuper seul ; sa durée ne peut excéder quarante cinq jours " ; que l'article D 169 du même code prévoit que "La mise en cellule de punition entraîne pendant toute sa durée, la privation de cantine et des visites. Elle comporte aussi des restrictions à la correspondance autre que familiale " ; qu'en vertu de l'article 721 du même code, des réductions de peine peuvent être accordées aux condamnés détenus en exécution de peines privatives de liberté "s'ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite" et que les réductions ainsi octroyées peuvent être rapportées "en cas de mauvaise conduite du condamné en détention" ; que, eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ; que M Marie est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté comme non recevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 juin 1987 par laquelle le directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis lui a infligé la sanction de mise en cellule de punition pour une durée de huit jours, avec sursis, ainsi que de la décision implicite du directeur régional des services

pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique contre cette décision ; Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M Marie devant le tribunal administratif de Versailles ; Considérant qu'aux termes de l'article D 262 du code de procédure pénale, "Les détenus peuvent, à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives et judiciaires françaises () Les détenus qui mettraient à profit la faculté qui leur est ainsi accordée soit pour formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà fait l'objet d'une décision de rejet, encourent une sanction disciplinaire, sans préjudice de sanctions pénales éventuelles" ; Considérant que, pour infliger à M Marie la sanction de huit jours, avec sursis, de cellule de punition, le directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis s'est fondé sur ce que la lettre du 4 juin 1987 adressée par ce détenu au chef du service de l'inspection générale des affaires sociales, pour se plaindre du fonctionnement du service médical de l'établissement, avait le caractère d'une réclamation injustifiée ; Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est du reste pas allégué, que cette réclamation, à la supposer injustifiée, ait fait suite à de précédentes plaintes ayant fait l'objet de décisions de rejet ; que si le Garde des sceaux, ministre de la justice soutient que cette réclamation comportait des imputations calomnieuses, un tel grief ne figure pas dans les motifs de la décision attaquée et qu'au surplus, si la lettre de M Marie énonce des critiques dans des termes peu mesurés, elle ne contient ni outrage, ni menace, ni imputation pouvant être qualifiés de calomnieux ; que, dès lors, en prenant la décision attaquée, le directeur de la maison d'arrêt dont la décision a été implicitement confirmée par le directeur régional des services pénitentiaires, s'est fondé sur des faits qui ne sont pas de nature à justifier une sanction ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M Marie est fondé à demander l'annulation de ces décisions ;

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Doc n° 4 : CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orges (…) Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête : Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique" ; Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ; Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ; Considérant que, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 1991 du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le spectacle de "lancer de nains" prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait qu'à supposer même que le spectacle ait porté atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement prononcée en l'absence de circonstances locales particulières ; qu'il résulte de ce qui précède qu'un tel motif est erroné en droit ; Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société Fun

Production et M. Wackenheim tant devant le tribunal administratif que devant le Conseil d'Etat ; Considérant que le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ; Considérant que le maire de Morsang-sur-Orge ayant fondé sa décision sur les dispositions précitées de l'article L. 131-2 du code des communes qui justifiaient, à elles seules, une mesure d'interdiction du spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait trouver sa base légale ni dans l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni dans une circulaire du ministre de l'intérieur, du 27 novembre 1991, est inopérant ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a prononcé l'annulation de l'arrêté du maire de Morsang-sur-Orge en date du 25 octobre 1991 et a condamné la commune de Morsang-sur-Orge à verser aux demandeurs la somme de 10 000 F ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions tendant à l'augmentation du montant de cette indemnité ; Sur les conclusions de la société Fun Production et de M. Wackenheim tendant à ce que la commune de Morsang-sur-Orge soit condamnée à une amende pour recours abusif : Considérant que de telles conclusions ne sont pas recevables ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : Considérant qu'aux termes de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou,

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à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ; Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Morsang-sur-Orge, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la société Fun Production et M. Wackenheim la

somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au profit de la commune de Morsang-sur-Orge et de condamner M. Wackenheim à payer à cette commune la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de condamner la société Fun Production à payer à la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Doc n° 5 : CE, 9 avril 2008, Rogier Vu la requête, enregistrée le 3 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. André Rogier, demeurant [...] ; M. Rogier demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'ordonnance du 19 juillet 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée la suspension de la décision exécutée le 11 juin 2007 par laquelle le ministre de la justice l'a affecté au centre pénitentiaire de Caen, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ; 2°) statuant en référé, d'enjoindre au ministre de le réintégrer provisoirement au sein de l'établissement de Fresnes dans les dix jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu le code de procédure pénale ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Edouard Geffray, auditeur, - les observations de Me Spinosi, avocat de M. André Rogier, - les conclusions de Mme Claire Landais, commissaire du gouvernement ; Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette

décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ; Considérant que M. Rogier demande l'annulation de l'ordonnance du 19 juillet 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la suspension de la décision le transférant de la maison d'arrêt de Fresnes au centre de détention de Caen, au motif qu'une telle décision présentait le caractère d'une mesure d’ordre intérieur et n'était, par suite, pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ; Considérant qu'aux termes de l'article 717 du code de procédure pénale : « Les condamnés purgent leur peine dans un établissement pour peines. / Les condamnés à l'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à un an peuvent, cependant, à titre exceptionnel, être maintenus en maison d'arrêt et incarcérés, dans ce cas, dans un quartier distinct, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le justifient. Peuvent également, dans les mêmes conditions, être affectés, à titre exceptionnel, en maison d'arrêt, les condamnés auxquels il reste à subir une peine d'une durée inférieure à un an » ; qu'aux termes de l'article D. 70 du même code : « Les établissements pour peines, dans lesquels sont reçus les condamnés définitifs, sont les maisons centrales, les centres de détention, les établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs, les centres de semi-liberté et les centres pour peines aménagées [...] » ; qu'aux termes de l'article D. 80 du code : « Le ministre de la justice dispose d'une compétence d'affectation des

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condamnés dans toutes les catégories d'établissement. Sa compétence est exclusive pour les affectations dans les maisons centrales [...] » ; qu'aux termes de l'article D. 82 du code : « L'affectation peut être modifiée soit à la demande du condamné, soit à la demande du chef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine. [...] / L'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau » ; qu'aux termes de l'article D. 82-1 du code : «Que la demande émane du condamné ou du chef d'établissement, ce dernier constitue un dossier qui comprend les éléments permettant d'établir la motivation de la demande. [...]. / La décision de changement d'affectation est prise, sauf urgence, après avis du juge de l'application des peines et du procureur de la République du lieu de détention » ; Considérant que, pour déterminer si une décision relative à un changement d'affectation d'un détenu d'un établissement pénitentiaire à un autre constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation des détenus ; Considérant que le régime de la détention en établissement pour peines, qui constitue normalement le mode de détention des condamnés, se caractérise, par rapport aux maisons d'arrêt, par des modalités d'incarcération différentes et, notamment, par l'organisation d'activités orientées vers la réinsertion ultérieure des personnes concernées et la préparation de leur élargissement ; qu'ainsi, eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de changement d'affectation d'une maison centrale, établissement pour peines, à une maison d'arrêt constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et non une mesure d’ordre intérieur ; que toutefois, il en va autrement des décisions d'affectation consécutives à une condamnation, des décisions de changement d'affectation d'une maison d'arrêt à un établissement pour peines ainsi que des décisions de changement d'affectation entre établissements de même nature, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ;

Considérant que M. Rogier, qui a fait l'objet d'un changement d'affectation d'une maison d'arrêt à un établissement pour peines, soutient que le lieu de détention qui lui est imposé n'est pas adapté à son état de santé et que cette détention constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, il n'est pas contesté que la pathologie dont souffre M. Rogier est, depuis deux ans, en phase de rémission ; qu'en outre, il n'établit pas que le changement d'affectation dont il a fait l'objet aurait pour effet de le priver de l'accès aux soins nécessités par son état de santé, dès lors, notamment, qu'il est constant que le centre hospitalier universitaire de Caen, au sein duquel sera assuré son suivi médical, dispose d'un service adapté à sa pathologie et d'une unité hospitalière de sécurité interrégionale ; que, par suite, en l'absence de mise en cause des droits fondamentaux de l'intéressé, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la décision de réaffecter M. Rogier, alors incarcéré en maison d'arrêt, dans un établissement pour peines, qui avait pour effet de soumettre l'intéressé à un régime de détention correspondant à sa situation pénale, constituait une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours ; que, dès lors, M. Rogier n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ; Sur les conclusions aux fins d'injonction : Considérant que la présente décision n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. Rogier demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; Décide : Art. 1er : La requête de M. Rogier est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. André Rogier et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

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Doc. n° 6 : CE, référé, 18 janvier 2001, Commune de Venelles Vu la requête, présentée pour M. Pierre MORBELLI, agissant tant en sa qualité de maire de la commune de Venelles (Bouches-du-Rhône) qu’en son nom personnel ; il demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler l’ordonnance en date du 4 janvier 2001 par laquelle le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille, statuant en référé sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a fait injonction de convoquer le conseil municipal, pour une séance qui ne saurait être postérieure au 18 janvier 2001, en vue de délibérer sur la désignation des délégués communaux au conseil de la communauté d’agglomération du pays d’Aix ; 2°) de rejeter les demandes présentées au juge des référés du tribunal administratif de Marseille ; Vu les autres pièces du dossier ; la Constitution, notamment son article 72 ; le code général des collectivités territoriales ; le code de justice administrative ; Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures” ; que, selon l’article L. 523-1 du même code : “Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort./ Les décisions rendues en application de l’article L. 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l’article L. 521-4" ; Sur la fin de non-recevoir opposée par les intimés : Considérant qu’il résulte tant de la nature même de l’action en référé ouverte par les dispositions

précitées du code de justice administrative, qui ne peut être intentée qu’en cas d’urgence et ne permet, en vertu de l’article L. 511-1 du même code, que de prendre des mesures présentant un caractère provisoire, que de la brièveté du délai imparti pour saisir le Conseil d’Etat d’une ordonnance rendue en première instance sur le fondement de ces dispositions, que le maire peut se pourvoir au nom de la commune contre une telle ordonnance sans avoir à en demander l’autorisation au conseil municipal ; que par suite, et si M. MORBELLI, maire de la commune de Venelles (Bouches-du-Rhône), n’a pas qualité pour faire appel, en son nom personnel, de l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a enjoint au maire de cette commune, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de convoquer le conseil municipal en vue de délibérer sur la désignation des délégués communaux au conseil de la communauté d’agglomération du pays d’Aix, il est en revanche recevable à contester cette ordonnance au nom de la commune, alors même que la délégation que lui avait consentie le conseil municipal en application du 16° de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales lui avait été retirée et qu’il n’a pas demandé audit conseil l’autorisation d’introduire la présente instance ; que la fin de non-recevoir opposée à la requête de la commune de Venelles doit, dès lors, être écartée ; Au fond : Considérant, en premier lieu, que, si le principe de libre administration des collectivités territoriales, énoncé par l’article 72 de la Constitution, est au nombre des libertés fondamentales auxquelles le législateur a ainsi entendu accorder une protection juridictionnelle particulière, le refus opposé par le maire de Venelles aux demandes qui lui avaient été présentées en vue de convoquer le conseil municipal pour que celui-ci délibère sur l’objet mentionné ci-dessus ne concerne que les rapports internes au sein de la commune et ne peut, par suite, être regardé comme méconnaissant ce principe ; qu’il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a méconnu la portée des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice

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administrative en faisant droit, sur le fondement de ce texte, aux demandes dont il avait été saisi en vue d’enjoindre au maire de convoquer à cette fin le conseil municipal ; Considérant, en second lieu, que le refus de convocation en cause ne porte, contrairement à ce qu’ont soutenu les demandeurs de première instance, aucune atteinte à la liberté d’expression des conseillers municipaux ou au droit d’expression de la démocratie locale, non plus qu’au droit de vote et de représentation ; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Venelles est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ; Considérant que la présente décision ne fait pas obstacle à ce que les intéressés, s’ils s’y croient recevables et fondés, présentent devant le tribunal administratif un recours pour excès de pouvoir contre la décision de refus du maire et saisissent le juge des référés de ce tribunal de conclusions tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à ce qu’il en ordonne la suspension et assortisse le prononcé de cette mesure de l’indication des obligations qui en découleront pour le maire ; Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code

de justice administrative : Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Venelles, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à MM. Saez et autres, à M. Bariguian et à MM. Bouillet et autres les sommes qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; D E C I D E : Article 1er : L’ordonnance susvisée du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille en date du 4 janvier 2001 est annulée. Article 2 : Les demandes présentées au juge des référés du tribunal administratif de Marseille par MM. Saez et autres, par M. Bariguian et par MM. Bouillet et autres sont rejetées. Article 3 : Les conclusions présentées par MM. Saez et autres, par M. Bariguian et par MM. Bouillet et autres sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Venelles, à MM. Saez et autres, à M. Bariguian, à MM. Bouillet et autres et au ministre de l’intérieur

Doc. n° 7 : CE, référé, 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres CONSEIL D’ETAT statuant au contentieux N° 245697 ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN et autres Ordonnance du 3 mai 2002 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LE JUGE DES RÉFÉRES Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 26 avril 2002, présentée par l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN, la MAISON DES DROITS DE L’HOMME, le MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L’AMITIE ENTRE LES PEUPLES, le SECOURS CATHOLIQUE, AMNESTY INTERNATIONAL et COLLECTIF 87 ; les organisations requérantes demandent au juge des référés du Conseil d’Etat : 1°) d’annuler l’ordonnance du 13 avril 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal

administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de la Haute-Vienne de prendre diverses mesures en vue d’assurer, d’une part, le logement immédiat des familles se présentant au centre d’accueil géré par l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN et, d’autre part, le suivi sanitaire et social de ces familles ; 2°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Vienne, sous astreinte, de prendre les mesures mentionnées ci-dessus ; elles soutiennent que, le centre d’accueil géré par l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN n’étant pas habilité à assurer un hébergement de nuit et le centre d’hébergement “l’Abri” n’étant pas autorisé à recevoir des enfants, certaines familles, composées notamment de personnes réfugiées, ne peuvent passer la nuit que dans des abris précaires ou dans des chambres d’hôtel, formule onéreuse pour cette association ; que le

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comportement de l’autorité administrative est manifestement illégal au regard des principes de continuité et d’adaptation du service, public et des exigences de la salubrité publique et de l’ordre public ; que le préfet de la Haute-Vienne méconnaît la teneur de la circulaire du ministre de l’emploi et de la solidarité en date du 30 novembre 2001 relative à l’hébergement d’urgence ; que le droit à un logement décent présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative lorsqu’il est combiné au droit au regroupement familial et au droit de mener une vie familiale normale ; qu’il est garanti par plusieurs conventions internationales ; qu’il y a urgence à mettre fin à une situation manifestement illicite ; Vu l’ordonnance attaquée ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution ; Vu le code de justice administrative ; Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “Saisi d’une demande « i ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale...” ; Considérant qu'au soutien de leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions législatives précitées, les organisations requérantes font valoir que le préfet de la Haute-Vienne s’abstiendrait de prendre les mesures nécessaires, d’une part, pour assurer, notamment en procédant à des réquisitions de locaux inoccupés, en attribuant à l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN les crédits nécessaires au bon accomplissement de sa mission d’accueil et en réservant des chambres de manière permanente dans des établissements hôteliers, l’hébergement des familles, en particulier de celles qui sont composées de personnes réfugiées, se présentant au centre d’accueil géré par cette association et, d’autre part, pour assurer le suivi sanitaire et médical de celles de ces familles dont un enfant présente un signe de primo-infection ; Considérant, d’une part, que, si, dans une décision du 29 juillet 1998, le Conseil

constitutionnel a qualifié d’objectif de valeur constitutionnelle la « possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent », il n’a pas consacré l’existence d’un droit au logement ayant rang de principe constitutionnel ; que les stipulations relatives à l’accès des particuliers au logement qui sont contenues dans certaines conventions internationales ratifiées par la France ne créent d’obligations qu’entre les Etats parties à ces conventions et ne produisent pas d’effet direct à l’égard des personnes privées ; qu’ainsi, les organisations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ou lesdites conventions garantiraient l’exercice d’un droit au logement qui présenterait le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; Considérant, d’autre part, qu’il ne résulte pas de l’instruction que les agissements du préfet de la Haute-Vienne aient pu porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit de mener une vie familiale normale garanti à toute personne ; Considérant, enfin, que les organisations requérantes n’apportent aucune précision au soutien de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de la Haute-Vienne d’assurer un suivi médical et sanitaire des familles dont un enfant présente des signes de primo-infection ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les organisations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; O R D O N N E : Article 1er : La requéte de l’ASSOCIATION DE REINSERTJON SOCIALE DU LIMOUSIN et autres est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN, à la MAISON DES DROITS DE L'HOMME, au MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L’AMITIE ENTRE LES PEUPLES, au SECOURS CATHOLIQUE, à AMNESTY INTERNATIONAL et au COLLECTIF 87.

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Doc. n° 8 : CE, référé, 19 août 2002, Front national et Institut de formation des élus locaux (IFOREL) Vu la requête présentée par le FRONT NATIONAL et par l'INSTITUT DE FORMATION DES ELUS LOCAUX (IFOREL) demandant au juge des référés du Conseil d'Etat : 1° d'annuler l'ordonnance en date du 9 août 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur requête tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension des effets des lettres en date du 29 juillet 2002 par lesquelles le maire d'Annecy et le président de la communauté de l'agglomération annécienne ont indiqué au président du directoire de la société Impérial Palace SA qu'ils refusaient la tenue de l'université d'été du FRONT NATIONAL au centre de congrès de l'Impérial Hôtel ; 2° d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des effets de ces lettres ; 3° d'enjoindre, au besoin sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, au maire d'Annecy et au président de la communauté de l'agglomération annécienne de retirer l'interdiction qu'ils ont faite à la société Impérial Palace d'accepter la tenue dans ses locaux de l'université d'été du FRONT NATIONAL ; 4° de condamner la ville d'Annecy, la communauté de l'agglomération annécienne et la société Impérial Palace à leur payer la somme de 5000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; le FRONT NATIONAL et l'IFOREL soutiennent que les lettres contestées du maire d'Annecy et du président de la communauté de l'agglomération annécienne interdisent au FRONT NATIONAL de tenir à Annecy son université d'été ; que ces décisions d'autorités publiques portent une atteinte grave à trois libertés fondamentales, la liberté pour un parti politique légalement constitué d'exercer son activité, la liberté de réunion et la liberté d'association ; que ces mesures d'interdiction sont manifestement illégales dès lors qu'aucune nécessité d'ordre public ne les justifie et que l'université d'été du FRONT NATIONAL, réservée aux adhérents de ce parti politique, est au nombre des manifestations que le centre de congrès de l'Impérial Hôtel peut accueillir ; que ces

décisions, prises pour des considérations de nature politique, sont en outre entachées de détournement de pouvoir et de détournement de procédure ; qu'il y a urgence à suspendre leurs effets et à prononcer l'injonction sollicitée ; (…) Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution, notamment son article 4 ; Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 2143-3 ; Vu la loi du 30 juin 1881 sur les réunions publiques ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le FRONT NATIONAL et l'INSTITUT DE FORMATION DES ELUS LOCAUX (IFOREL), d'autre part, la ville d'Annecy, la communauté de l'agglomération annécienne, la société Impérial Palace et le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ; Vu le procès verbal de l'audience publique du 19 août 2002 à 16 heures, à laquelle ont été entendus :

M. Ceccaldi, représentant du FRONT NATIONAL,

Me Blondel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la ville d'Annecy et de la communauté de l'agglomération annécienne ; Sur l'appel : Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ; que le deuxième alinéa de l'article R. 522-13 de ce code prévoit que le juge des référés peut décider que son ordonnance sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par contrat d'affermage du 28 octobre 1993, la ville d'Annecy a confié à la société Hôtel Impérial SA,

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devenue la société Impérial Palace, la gestion, pour une période de douze ans, du centre de congrès de l'Impérial Hôtel, dont la ville est propriétaire ; que la communauté de l'agglomération annécienne a succédé à la ville comme partie à ce contrat ; qu'en vue de l'organisation de " l'université d'été " du FRONT NATIONAL, l'INSTITUT DE FORMATION DES ELUS LOCAUX (IFOREL), association liée à ce parti politique, a conclu le 8 juillet 2002 avec la société Impérial Hôtel un contrat réservant le centre de congrès pour la période du 26 au 30 août 2002 et versé des arrhes, d'un montant de 17 340,90 euros, correspondant au tiers du montant de ce contrat ; que toutefois le maire d'Annecy a fait part le 29 juillet 2002 au président du directoire de la société Impérial Hôtel de son " refus de la tenue de l'Université d'Eté du Front National au Centre de Congrès de l'Impérial " ; qu'en sa qualité de président de la communauté de l'agglomération annécienne, il a, par un autre courrier du même jour, mis en demeure la société de se conformer à ce refus, en se référant aux clauses relatives à la résiliation du contrat d'affermage ; que la société Impérial Hôtel, qui avait déjà indiqué à l'IFOREL, le 25 juillet 2002 que la ville d'Annecy lui interdisait de mettre les salles du centre de congrès à la disposition du FRONT NATIONAL, a résilié, le 5 août 2002, le contrat de réservation conclu avec cette association et passé avec elle un autre contrat, relatif à l'accueil, du 25 au 28 août, d'un simple séminaire de formation ; Considérant que les deux lettres en date du 29 juillet 2002 du maire d'Annecy et du président de la communauté de l'agglomération annécienne à la société Impérial Palace, qui expriment le refus de la ville et de la communauté d'agglomération de mettre le centre de congrès à la disposition du FRONT NATIONAL pour la tenue de son université d'été, ont eu pour objet de faire obstacle à l'exécution du contrat de réservation conclu entre cette société et l'IFOREL ; qu'elles sont directement à l'origine de la résiliation de ce contrat ; que, dans ces conditions, et contrairement à ce qu'a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, l'atteinte à une liberté fondamentale dont se prévalent le FRONT NATIONAL et l'IFOREL ne découle pas de la seule décision de résiliation prise par la société Impérial Palace mais d'actes pris par des autorités publiques ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, fondée sur ce motif erroné en droit, et de statuer au titre de la

procédure de référé engagée par le FRONT NATIONAL et par l'IFOREL ; Sur la compétence de la juridiction administrative : Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le litige porté devant le juge des référés est relatif à l'atteinte que des actes pris par des collectivités publiques, dans l'exercice de leurs pouvoirs, auraient portée à une liberté fondamentale ; qu'il appartient dès lors à la juridiction administrative d'en connaître ; Sur les conclusions à fin de non-lieu : Considérant que la résiliation du contrat de réservation initial, dans des conditions qui sont précisément contestées par la présente instance, ne rend pas celle-ci sans objet ; Sur la qualité à agir du Front National : Considérant qu'eu égard à l'objet du litige, qui est relatif à la tenue de son université d'été, le FRONT NATIONAL justifie, alors même que le contrat de réservation litigieux n'a pas été signé par lui mais par une association qui lui est liée, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir en référé ; Sur la demande de référé : Considérant, d'une part, que la liberté de réunion est une liberté fondamentale ; que le caractère de liberté fondamentale s'attache également au droit pour un parti politique légalement constitué de tenir des réunions ; qu'au nombre de ces réunions figurent notamment les universités d'été qu'il est devenu habituel pour les partis politiques d'organiser à la fin de la période de vacances, en général dans des villes ou des stations de caractère touristique ; qu'il appartient, d'autre part, aux communes et à leurs groupements de déterminer dans quelles conditions des locaux dépendant d'eux sont susceptibles d'accueillir des réunions organisées par les partis politiques ; que lorsqu'une telle possibilité est ouverte, un refus ne peut légalement être opposé que pour des motifs tirés des exigences de l'ordre public ou des nécessités de l'administration des propriétés communales ; Considérant que le paragraphe du règlement d'utilisation du centre de congrès d'Annecy intitulé " congrès et réunions à caractère politique, philosophique et religieux " prévoit que : " Pour être autorisés, les congrès et réunions organisés par des partis politiques, des syndicats, des communautés philosophiques ou religieuses, doivent revêtir un caractère privatif de type " Congrès " (congrès régional, national ou international)./ Les réunions publiques de ce type qui font appel à un public extérieur et dont la publicité est faite par des supports tels que la

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Presse, les affiches ou les tracts ne sont pas autorisés " ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'université d'été du FRONT NATIONAL est ouverte aux seules personnes inscrites en vue de cette manifestation, qui doivent en principe être adhérents du FRONT NATIONAL, sans qu'aucun appel soit adressé à un public extérieur ; que dans ces conditions, et contrairement à ce que soutiennent la ville d'Annecy et la communauté de l'agglomération annécienne, cette université d'été, même si elle peut s'accompagner d'actions d'information destinées à la presse, est au nombre des congrès organisés par un parti politique dont les dispositions du règlement d'utilisation du centre de congrès d'Annecy permettent la tenue dans les locaux de ce centre ; Considérant que, pour refuser la tenue de l'université d'été du FRONT NATIONAL au centre de congrès d'Annecy, le maire de cette ville et le président de la communauté de l'agglomération annécienne se sont fondés d'une part sur les risques que cette manifestation présentait pour l'ordre public, d'autre part sur le souci de maintenir ouvert au public le parc dans lequel le centre de congrès est situé ; Mais considérant qu'en l'absence de circonstances particulières à la ville d'Annecy, il ne ressort ni des pièces du dossier soumis au juge des référés, ni des indications recueillies au cours de l'audience que la tenue de l'université d'été du FRONT NATIONAL au centre de congrès de cette ville présenterait pour l'ordre public des dangers auxquels les autorités de police ne seraient pas en mesure de faire face par des mesures appropriées ; qu'ainsi, et en l'état de l'instruction, les exigences du maintien de l'ordre public à Annecy ne justifient pas le refus d'accueillir au centre de congrès de cette ville l'université d'été du FRONT NATIONAL ; que, si le souci de maintenir ouvert au public le parc dans lequel ce centre est situé se rattache à la bonne administration des propriétés communales, il résulte de l'instruction que ce parc ne constitue qu'une partie modeste des espaces verts auxquels le public peut accéder à Annecy ; qu'en outre, et en l'état de l'instruction, il ne ressort pas des pièces du dossier que la tenue de l'université d'été du FRONT NATIONAL serait incompatible avec le maintien de son ouverture au public ; que, dès lors, ce second motif n'est pas non plus de nature à justifier le refus exprimé par les lettres du maire d'Annecy et du président de la communauté de l'agglomération annécienne en date du 29 juillet 2002 ; que, dans ces conditions,

l'atteinte grave que ce refus a portée à la liberté fondamentale pour un parti politique d'organiser un réunion paraît, en l'état du dossier, manifestement illégale ; qu'eu égard aux dates prévues de l'université d'été, la condition d'urgence est remplie ; que le FRONT NATIONAL et l'IFOREL sont par suite fondés à demander au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des effets de ces lettres ; Considérant qu'il y a lieu en conséquence, et par application des règles, que rappelle la présente ordonnance, relatives d'une part au droit pour les partis politiques légalement constitués d'organiser des réunions, d'autre part aux motifs, tirés des exigences de l'ordre public ou des nécessités de l'administration des propriétés communales, sur le fondement desquels les communes et leurs groupements peuvent refuser de mettre à la disposition de ces partis, en vue de telles réunions, des locaux qui dépendent d'eux et pour lesquels une telle affectation est prévue, d'ordonner au maire d'Annecy et au président de la communauté de l'agglomération annécienne de ne pas faire obstacle, sauf circonstances de droit ou de fait nouvelles, à l'exécution du contrat de réservation conclu entre l'IFOREL et la société Impérial Palace ; que la circonstance que l'IFOREL n'aurait pas eu qualité pour signer un tel contrat en vue de l'organisation de l'université d'été du FRONT NATIONAL n'a pas d'incidence sur les mesures qu'il appartient au juge des référés d'ordonner en vue de la sauvegarde d'une liberté fondamentale ; qu'il n'y pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir l'injonction prononcée par la présente décision d'une astreinte ; Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le FRONT NATIONAL et l'IFOREL, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes soient condamnés à verser à la société Impérial Palace la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la ville d'Annecy, la communauté de l'agglomération annécienne et la société Impérial Palace à verser au FRONT NATIONAL et à l'IFOREL, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme à ce titre ;

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O R D O N N E : Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble en date du 9 août 2002 est annulée. Article 2 : Les effets des lettres du maire d'Annecy et du président de l'agglomération annécienne en date du 29 juillet 2002 sont suspendus. Article 3 : Il est enjoint au maire d'Annecy et au président de la communauté de l'agglomération

annécienne de ne pas faire obstacle, sauf circonstances de droit ou de fait nouvelles, à l'exécution du contrat de réservation conclu entre l'IFOREL et la société Impérial Palace. Article 4 : La présente ordonnance est exécutoire immédiatement en application du deuxième alinéa de l'article R. 522-13 du code de justice administrative. (…)

Doc n° 9 : CE, référé, 16 août 2002, Mmes Feuillatey Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 août 2002, présentée pour Mme Valérie FEUILLATEY, demeurant la Feuilletière, Tour n° 7, à Villard (42390) et pour Mme Isabelle FEUILLATEY, épouse GATT, demeurant 32, boulevard Pierre Joannon à Saint-Chamond, (42400) ; Mme Valérie FEUILLATEY et Mme Isabelle FEUILLATEY, épouse GATT demandent au juge des référés du Conseil d'Etat : 1° d'annuler l'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en date du 9 août 2002 en tant que cet article indique que l'injonction adressée au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne cessera de s'appliquer si Mme Valérie Feuillatey vient à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ; 2° d'ordonner au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de ne procéder en aucun cas à l'administration forcée d'une transfusion sanguine sur Mme Valérie Feuillatey contre son gré et à son insu ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu le code civil ; Vu le code de la santé publique, et notamment son article L. 1111-4, dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme Valérie Feuillatey et Mme Isabelle Feuillatey et d'autre part, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées,

Vu le procès verbal de l'audience publique du 16 août 2002 à 11 heures 30 à laquelle ont été entendus : - Me Blondel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mmes Valérie Feuillatey et Isabelle Feuillatey, - Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, - le représentant du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme Valérie Feuillatey, hospitalisée le 28 juillet 2002 au service des soins intensifs post-opératoires du centre hospitalier de Saint-Etienne, a fait savoir oralement puis confirmé par écrit qu'en raison des convictions qui sont les siennes comme Témoin de Jéhovah, elle refusait, quelles que soient les circonstances, l'administration de tout produit sanguin ; que les médecins du centre hospitalier, estimant que le recours à une transfusion sanguine s'imposait pour sauvegarder la vie de la patiente, dont l'état évoluait dans des conditions qui présentaient un risque vital à court terme, ont néanmoins pratiqué un tel acte le 5 août 2002 ; que Mme Feuillatey et sa soeur ont alors saisi, le 7 août 2002, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon en lui demandant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre

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hospitalier de ne procéder en aucun cas à l'administration forcée d'une transfusion sanguine sur la personne de l'intéressée ; que, par son ordonnance du 9 août 2002, le juge des référés a enjoint au centre hospitalier de s'abstenir de procéder à des transfusions sanguines sur la personne de Mme Valérie Feuillatey ; qu'il a toutefois précisé que cette injonction cesserait de s'appliquer si la patiente venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ; que les requérantes font appel de cette ordonnance en tant qu'elle comporte une telle réserve ; Considérant que l'article 16-3 du code civil dispose : Il ne peut être porté atteint à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne./ Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ; qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé./ Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de son choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables./ Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ; Considérant que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; que toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu'elle est protégée par les dispositions de l'article 16-3 du code civil et par celles de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que le recours, dans de telles conditions, à un acte de cette

nature n'est pas non plus manifestement incompatible avec les exigences qui découlent de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment de son article 9 ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme Valérie Feuillatey et Mme Isabelle Feuillatey, épouse Gatt ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, à qui il appartenait, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, de déterminer les limites de l'injonction qu'il formulait, a décidé que l'injonction qu'il adressait au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de s'abstenir de procéder à des transfusions sanguines sur la personne de Mme Valérie Feuillatey cesserait de s'appliquer si l'intéressée venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ; qu'il y a lieu toutefois d'ajouter à la réserve mentionnée par le juge des référés qu'il incombe au préalable aux médecins du centre hospitalier d'une part de tout mettre en oeuvre pour convaincre la patiente d'accepter les soins indispensables, d'autre part de s'assurer que le recours à une transfusion soit un acte indispensable à la survie de l'intéressée et proportionné à son état ; O R D O N N E : Article 1er : Avant de recourir, le cas échéant, à une transfusion dans les conditions indiquées à l'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en date du 9 août 2002, il incombe aux médecins du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne d'une part d'avoir tout mis en oeuvre pour convaincre la patiente d'accepter les soins indispensables, d'autre part de s'assurer qu'un tel acte soit proportionné et indispensable à la survie de l'intéressée. Article 2 : L'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en date du 9 août 2002 est réformé dans le sens indiqué à l'article 1er de la présente décision. Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Valérie Feuillatey et de Mme Isabelle Feuillatey, épouse Gatt est rejeté. Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Valérie FEUILLATEY, à Mme Isabelle FEUILLATEY, épouse GATT, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

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Doc n° 10 : G. GLENARD, « Les critères d'identification d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-12 du code de justice administrative », AJDA, 2003, p. 2008. A ce jour, le Conseil d'Etat s'est refusé à donner une définition de la notion de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Autant l'urgence telle qu'elle apparaît dans le cadre de la procédure de référé-suspension a eu l'honneur d'un considérant de principe qui en dessine les contours (CE Sect. 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, RFDA 2001, p. 378, concl. Laurent Touvet ; AJDA 2001, p. 150, chron. Mattias Guyomar et Pierre Collin. Cette définition est applicable au référé-liberté, mais avec certaines spécificités, v. CE ord. 28 février 2003, Commune de Pertuis, AJDA 2003, p. 1171, note Paul Cassia et Antoine Béal), autant l'expression « liberté fondamentale » semble négligée comme si le sujet embarrassait. Une première lecture des différentes décisions rendues laisse d'ailleurs perplexe. D'une part, parce que la plupart ne s'embarrassent pas de justifications et procèdent par simple affirmation. D'autre part, parce que, dans les décisions se livrant à quelques développements, les éléments qui y figurent ne sont pas spontanément compréhensibles et même, dans certains cas, paraissent se contredire. Il ne s'agit cependant que d'une apparence, déroutante certes, mais d'une apparence seulement. Car, à y regarder de plus près, une ligne directrice se dégage. Des critères d'identification de la notion de liberté fondamentale peuvent être mis en exergue.

Le Conseil d'Etat, sans paraître s'appuyer sur une doctrine prédéfinie, n'en affirme pas moins une forte volonté d'autonomie dans ses décisions. Une solution simple aurait pu consister à reprendre la conception des libertés et droits fondamentaux retenue par la doctrine classique (Louis Favoreu et autres, Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 2e éd., 2002, p. 57 et s. ; Jean-Jacques Israel, Droit des libertés fondamentales, LGDJ, 1998, p. 35 et s. ; Jean-François Lachaume, Droits fondamentaux et droit administratif, AJDA 1998, p. 93-94), selon laquelle il s'agit des droits et libertés à l'abri du législateur par opposition aux libertés publiques seulement législativement protégées. Une autre conception s'offrait également à la Haute assemblée : une conception matérielle. Etienne Picard estime qu'une liberté fondamentale ne serait rien d'autre qu'une liberté considérée comme essentielle. La valeur de cette liberté ne résulterait pas de la norme la consacrant mais de son contenu intrinsèque (L'émergence des droits fondamentaux en France, AJDA 1998, p. 6 et s.). Constatant que le Conseil d'Etat n'a jamais, dans le cadre de la procédure de référé-liberté, consacré comme fondamentales d'autres libertés que celles constitutionnellement et souvent, aussi, conventionnellement garanties, une partie de la doctrine en a conclu qu'il avait embrassé la conception classique de la notion (v. Louis Favoreu, La notion de liberté fondamentale devant le juge administratif des référés, D. 2001, Chron. p. 1740 ; Yan Laidié, note sous TA Dijon 2 mars 2001, Association pour adultes et jeunes handicapés de l'Yonne, AJDA 2001, p. 785 ; et Jérôme Trémeau, Le référé-liberté, instrument de protection du droit de propriété, AJDA 2003, p. 654). Une autre partie a opiné au contraire pour une conception matérielle (Gilles Bachelier, Le référé-liberté, RFDA 2002, p. 263 ; et René Chapus, Droit du contentieux administratif, 10e éd., 2002, p. 1288 et s.).

La première conception présente le mérite de permettre une circonscription claire de la notion, mais également l'inconvénient, pour un juge qui aime par-dessus tout le pragmatisme et la plasticité, de fixer des limites rigides. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que la Haute assemblée ait manifestement opté pour la seconde conception. Désireuse de ne pas entraver la marche de la jurisprudence, elle a choisi le flou. Rien n'est dit sur la méthode permettant de traquer la fondamentalité. Aussi, les conclusions des commissaires de gouvernement abordant le sujet apportent des éléments précieux sur la base desquels l'analyse pourra être approfondie.

A l'évidence, durant les premiers mois d'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la plus grande circonspection régnait au Palais Royal. Alors que, pour la première affaire portée devant la Section du contentieux dans le cadre d'une procédure de référé-liberté (CE 18 janvier 2001, Commune de Venelles, AJDA 2001, p. 153 ; RFDA 2001, p. 681, obs. Michel Verpeaux, et p. 378, concl. Laurent Touvet), on pouvait s'attendre à des clarifications sur la définition de la liberté fondamentale, le commissaire du gouvernement Touvet a curieusement éludé la question. Le terrain ne pouvant demeurer en friche, Pascale Fombeur, dans ses conclusions sur l'arrêt Casanovas du 28 février 2001 (AJDA 2001, p. 971 ; RFDA 2001, p. 399), a proposé un double critère. Une liberté fondamentale doit se déterminer « par référence à la fois à son objet et à son rang dans la hiérarchie des normes ». Ou plutôt l'inverse, car c'est dans les règles de valeur constitutionnelle que se nichent les libertés fondamentales. Seulement, dans la mesure où toute règle à valeur constitutionnelle n'est pas « nécessairement » une liberté fondamentale, le critère du rang de la liberté en cause dans la hiérarchie des normes ne suffit pas à la reconnaissance de sa fondamentalité. D'où le second critère de l'objet.

L'office du juge administratif des référés consiste à déterminer, parmi les normes constitutionnelles, le « noyau dur » des libertés. Pascale Fombeur propose de circonscrire ce noyau dur aux droits et libertés qu'un requérant peut directement revendiquer devant une juridiction ordinaire. S'en trouvent par conséquent exclues les normes

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constitutionnelles qui s'imposent au seul législateur. Tous les droits et libertés constitutionnels ne sont pas a priori fondamentaux. La conception matérielle de la notion de liberté fondamentale qu'implique ce critère se trouve donc formellement très limitée. Il existe un cadre formel qui s'impose : les normes constitutionnelles. Puis, parmi celles-ci, au juge de déterminer la matière fondamentale.

Sur l'aspect matériel de sa conception de la notion de liberté fondamentale, Isabelle de Silva, dans ses conclusions sous l'arrêt Tliba, rejoint sa collègue Pascale Fombeur. Elle adopte toutefois une position plus hardie consistant à ne pas enserrer ladite notion dans un quelconque carcan constitutionnel. « Peut être qualifié de fondamental au sens de l'article L. 521-2, soutient-elle, un droit ou une liberté consacré par la Constitution, au premier chef, voire une Convention internationale, une loi ou un principe général du droit ». Il existe bien des limites formelles, mais faiblement contraignantes. A cet égard, la référence à la hiérarchie des normes ne doit pas tromper. Celle-ci n'est rien d'autre qu'un instrument grâce auquel le juge recherche le caractère fondamental d'une liberté d'abord dans le texte revêtu du plus haut rang hiérarchique. Car c'est dans la Constitution que le constituant est censé avoir placé les libertés les plus importantes. C'est donc là que le juge a le plus de chance de trouver des libertés fondamentales sans se tromper sur leur caractère. Si ce texte ne consacre pas la liberté en cause, le juge se penchera vers les conventions internationales, lesquelles peuvent consacrer une liberté fondamentale qui n'aurait pas son pendant dans la Constitution, et ainsi de suite, de la convention à la législation, de la législation au principe général du droit. Seule une liberté consacrée par un texte réglementaire n'est pas susceptible d'être qualifiée de fondamentale.

En pratique donc, le juge administratif dispose d'une marge d'appréciation quasiment illimitée. La conception adoptée est essentiellement matérielle, et justifie les deux critères proposés permettant au juge de déceler le caractère fondamental : « la nature du droit ou de la liberté, et la protection qui lui est conférée ». Il faut comprendre par là qu'une liberté est fondamentale « de par l'éminence et la précision de son objet, qui met directement en jeu le statut de l'individu, et de par le niveau de protection élevé dont il bénéficie ». En cela, Isabelle de Silva propose au Conseil d'Etat de s'inspirer de la définition que le commissaire du gouvernement Letourneur a donnée de la liberté de la presse : « cette liberté est, d'une part, une liberté essentielle, d'autre part, une liberté spécialement protégée par la loi. » (concl. sur CE Sect. 23 novembre 1951, Société nouvelle d'imprimerie d'éditions et de publicité, RD publ. 1951, p. 1101).

Le premier critère en réalité se dédouble. L'objet de la liberté doit être important et suffisamment précis pour qu'un requérant puisse s'en prévaloir. Le second critère signifie que la liberté en cause doit se trouver garantie par certaines « normes supérieures » qui ne se réduisent pas, comme on l'a vu, à la Constitution ou aux conventions internationales même si celles-ci forment un vivier de libertés fondamentales. Qui dit vivier ne dit pas en effet source unique. Il existe des « sources complémentaires » et infraconventionnelles mais supradécrétales d'où peut jaillir également une liberté fondamentale. Celles-ci permettent au juge de tenir compte de l'évolution de la société et de faire en conséquence évoluer le niveau de protection juridique (Isabelle de Silva, préc., p. 329). La démarche est donc empirique. Le juge administratif doit demeurer aussi libre que possible.

Un point est sûr, ce dernier conseil a été scrupuleusement suivi par le Conseil d'Etat. Au-delà de cette constatation, en ce qui concerne la question qui nous intéresse, la réponse n'est pas aisée. On l'a dit, la plupart des ordonnances ou arrêts ne fournissent pas d'explication claire sur ce qui conduit le juge ici à retenir la qualification de liberté fondamentale, là à la rejeter. Tout se passe comme si la Haute assemblée avait décidé d'avancer à tâtons, sans doctrine préétablie, et de laisser, par le mouvement naturel des choses, la succession des décisions affiner peu à peu les contours de la notion. La méthode n'est pas nouvelle ; elle a la faveur du Conseil d'Etat. Aussi, après deux ans et demi d'application de la procédure de référé-liberté, la matière jurisprudentielle est suffisamment abondante pour tenter de déterminer quels sont les critères d'identification de la notion de liberté fondamentale. Il apparaît que, pour l'essentiel, l'analyse du commissaire du gouvernement de Silva a été suivie en ce qui concerne la précision et l'éminence de l'objet de la liberté. Pour qu'il y ait liberté fondamentale, il faut que la liberté soit invocable et que son objet soit suffisamment important. Mais un autre critère se dégage de la jurisprudence : celui de la mise en cause d'une liberté. De ces trois critères, il en résulte qu'une définition de la notion de liberté fondamentale peut être proposée : une liberté fondamentale est une liberté prévue par une règle de valeur supraréglementaire invocable (c'est-à-dire suffisamment précise et, lorsque ladite règle est conventionnelle, d'effet direct), et dont l'objet revêt une importance particulière justifiant l'application de la protection juridictionnelle prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

La mise en cause d'une liberté Le premier critère permettant d'identifier une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative semble aller de soi. Au regard des dispositions de ce texte, il faut que se trouve en cause une liberté. Ce point a suscité, dès la promulgation de la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, quelques interrogations (par exemple Roland Vandermeeren, La réforme des procédures d'urgence devant le juge administratif, AJDA 2000, p. 713). La question demeurait cependant ouverte puisque le législateur, en

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s'abstenant de définir la notion de liberté fondamentale, a laissé au juge le soin d'en dessiner les contours (v. Gilles Bachelier, préc., p. 263 ; et Isabelle de Silva, préc., p. 327-328). Aussi, le Conseil d'Etat en a profité pour assimiler à une liberté les droits et les objectifs de valeur constitutionnelle lorsque la protection de ceux-ci conditionne le respect de celle-là. L'application de l'article L. 521-2 est subordonnée à une mise en cause au moins indirecte d'une liberté. Un droit n'est fondamental qu'en tant que sa protection conditionne le respect d'une liberté Un droit entre dans le champ d'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative non pas en tant que tel, mais seulement en ce que sa protection conditionne le respect d'une liberté. Ce point ressort de l'une des toutes premières décisions rendues par le juge des libertés du Conseil d'Etat. L'ordonnance Hyacinthe pose que « la notion de liberté fondamentale [...] englobe, s'agissant des ressortissants étrangers [...], le droit constitutionnel d'asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers » (CE ord. 12 janvier 2001, AJDA 2001, p. 589, note Johann Morri et Serge Slama ; v. aussi CE ord. 25 mars 2003, Sulaimanov, AJDA 2003, p. 1662, note Olivier Lecucq). La Section du contentieux du Conseil d'Etat ne considère pas autrement la chose. Il résulte de son arrêt Tliba du 30 octobre 2001 que « le droit de mener une vie familiale normale constitue une liberté fondamentale » en ce qu'il a pour « objet » de préserver « la liberté qu'à toute personne de vivre avec sa famille (RFDA 2002, p. 324, concl. Isabelle de Silva ; AJDA 2001, p. 1058, chron. Mattias Guyomar et Pierre Collin ; v. aussi CE ord. 5 mars 2002, Fikry, req. n° 243725 ; et CE ord. 27 janvier 2003, Kartbouh, req. n° 253603). Ce n'est donc in fine qu'une liberté et non un droit que le juge des référés entend protéger (1). Il arrive toutefois que certaines décisions semblent envisager indistinctement droit et liberté. Ainsi, l'arrêt du 29 mars 2002, SCI Stephaur (AJDA 2003, p. 345, note Patrick Grosieux ; RFDA 2003, p. 386, obs. Yves Lequette ; v. aussi CE ord. 31 mai 2001, Commune d'Hyères-les-Palmiers, req. n° 234226 ; TA Dijon ord. 2 mars 2001, Association pour adultes et jeunes handicapés, comité de l'Yonne, AJDA 2001, p. 783, note Yan Laidié), énonce que « le droit de propriété a, comme son corollaire qu'est le droit pour le locataire de disposer librement des biens pris à bail, le caractère d'une liberté fondamentale ». Une telle rédaction n'est pas orthodoxe. A propos du droit de propriété, la plupart des décisions préfèrent, à l'instar de la jurisprudence constitutionnelle (Cons. const. 27 décembre 1959, n° 59-1 FNR, Prix des baux à ferme), qualifier de liberté fondamentale « la libre disposition » par un propriétaire de ses biens (CE ord. 23 mars 2001, Société Lidl, req. n° 231559 ; CE ord. 9 avril 2001, Belros, req. n° 232208 ; CE ord. 1er juin 2001, Ploquin, req. n° 234321 ; CE ord. 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840 ; CE ord. 21 novembre 2002, Gaz de France, req. n° 251726 ; CE ord. 27 novembre 2002, SCI Résidence du théâtre, AJDA 2003, p. 457 ; RFDA 2003, p. 386, obs. Yves Lequette) ou bien la « liberté de disposer d'un bien » (CE ord. 3 janvier 2003, Société Kerry, AJDA 2003, p. 342) (2). L'arrêt SCI Stephaur prend ainsi un raccourci regrettable (Thomas Pez remarque également que la rédaction de certaines décisions n'est pas satisfaisante, Le droit de propriété devant le juge administratif du référé-liberté, RFDA 2003, p. 371-372). Le péché demeure néanmoins véniel. D'une part, parce que ces décisions interviennent en général à la suite d'une décision orthodoxe indiquant explicitement la liberté indirectement mise en cause (3) ou, du moins, sont toujours susceptibles de se rattacher à une liberté à laquelle il est fait implicitement référence (v. CE ord. 16 août 2002, Mmes V. et I. F., JCP 2002, II, n° 10184, note Patrick Mistretta ; CE 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n° 236196 ; TA Nantes 2 avril 2001, Syndicat SUD-CRC services santé-sociaux Loire-Atlantique, Dr. adm. 2001, n° 155). D'autre part, parce que cela n'a guère d'incidence en pratique. De deux choses l'une : ou bien le droit n'est le pendant d'aucune liberté, et la décision qui consacrerait le contraire serait entachée d'erreur de droit, ou bien le droit se rattache à une liberté mais sans que la décision ne l'indique explicitement, et elle n'en est pas pour autant, en l'état de la jurisprudence, irrégulière. Ce n'est donc pas l'atteinte à un droit en tant que tel qui permet de justifier l'application de l'article L. 521-2 mais l'atteinte, à travers lui, à une liberté. Directement ou indirectement, il est nécessaire qu'il y ait mise en cause d'une liberté, faute de quoi le juge rejettera la requête (v. par exemple CE ord. 24 janvier 2001, Université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis, req. 229501 ; CE ord. 10 février 2003, Société d'exploitation AOM - Air Liberté, req. n° 254029 ; CE ord. 28 mars 2003, Association et délégation générale de Lomar, req. n° 255415 ; CE ord. 16 avril 2003, Lycée polyvalent du Taaone, req. n° 256002). Et c'est en raison de l'absence de mise en cause d'une liberté que, par analogie, les principes d'égalité des usagers devant le service public et de continuité du service public n'ont pas été assimilés à une liberté fondamentale par l'ordonnance Commune de Saint-Laurent-du-Var du 31 janvier 2001 (req. n° 229644). Tout ce qui précède explique qu'un droit-créance ne soit pas susceptible de bénéficier de la protection juridictionnelle prévue par l'article L. 521-2. L'arrêt Casanovas rendu par la Section du contentieux du Conseil d'Etat le 28 février 2001 (préc.) en est l'illustration. En l'espèce, il convenait de déterminer si le refus de titularisation d'un stagiaire pour cause d'insuffisance professionnelle portait ou pas atteinte à une liberté fondamentale. La Haute assemblée a tranché par la négative. La réponse n'allait pas de soi. Le droit d'obtenir un emploi, garanti à l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946, aurait pu conduire le juge à une autre solution au motif qu'il s'agissait d'un droit

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constitutionnellement garanti et expressément qualifié par le Conseil constitutionnel de droit fondamental (Cons. const. 10 juin 1998, n° 98-401 DC, Loi sur les 35 heures, cons. 3, AJDA 1998, p. 540). Or, le droit d'obtenir un emploi est habituellement présenté comme un droit-créance, un « droit à ». Status positivus, il suppose une action de l'Etat et non une abstention de toute ingérence dans une sphère de liberté individuelle ou collective. L'atteinte à un tel droit ne met en rien indirectement en cause une liberté. En revanche, ce droit peut être protégé par ricochet dans le cadre d'une procédure de référé-liberté. Si le Conseil d'Etat estime que la décision de licenciement d'un agent à la suite d'un refus de titularisation « n'est pas, par son seul objet, de nature à porter atteinte à une liberté fondamentale », il précise que « les motifs sur lesquels se fonde cette décision peuvent, dans certains cas, révéler une telle atteinte » (v. aussi CE ord. 13 mars 2002, Mori, req. n° 243927 ; CE ord. 27 juin 2002, Centre hospitalier de Troyes, AJDA 2002, p. 965, note Erwan Royer). En l'espèce, il est relevé que la décision par laquelle il a été mis fin au stage de M. Casanovas « a été prise non en raison des opinions que l'intéressé a pu manifester en dehors du service mais en raison de son insuffisance professionnelle ; que, dans ses conditions, elle ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale » (Casanovas, préc.). A contrario, si le licenciement du stagiaire était intervenu du fait de ses opinions politiques, il y aurait eu atteinte à une liberté fondamentale, en l'occurrence la liberté d'opinion. Par voie de conséquence, le droit d'obtenir un emploi peut indirectement bénéficier du régime protecteur de l'article L. 521-2. Il n'est dans cette mesure pas inimaginable que le juge administratif assimile, à l'instar du juge judiciaire, le droit d'obtenir un emploi à une liberté fondamentale. Par un arrêt du 11 mars 1985, la cour d'appel de Versailles a en effet annulé « les dispositions d'une convention collective limitant, de façon générale et a priori, les possibilités d'embauche à l'âge de 35 ans, qui est très éloigné de l'âge de la retraite », pour violation du « principe fondamental » énoncé par l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 et des dispositions de l'article L. 311-4 du code du travail (CA Versailles 1re ch. 11 mars 1985, Union locale CGT c/ Compagnie des Eaux de Paris, D. 1985, IR p. 421). Louis Favoreu estime que cet arrêt démontre que des droits-créances peuvent, parfois, être utilement invoqués par des requérants (préc., p. 1742). A notre sens, la cour d'appel n'a fait application du droit d'obtenir un emploi qu'en ce que celui-ci garantit l'impossibilité d'interdire à quiconque d'obtenir un emploi. L'arrêt relève effectivement que « l'autorité constituante et le législateur ont marqué leur volonté que l'âge ne soit pas, d'une façon générale, un obstacle à la recherche d'un emploi par les travailleurs et que, de ce point de vue, soit respectée l'égalité de tous devant les chances d'obtenir un emploi ». Dans une telle hypothèse, le droit d'obtenir un emploi constitue le pendant de la liberté de travailler. Dans de telles circonstances, tout porte à croire que le Conseil d'Etat n'hésiterait pas à voir dans l'atteinte audit droit, une mise en cause d'une liberté fondamentale. Droit et liberté ne constituent pas toujours les deux faces d'une même pièce, mais la plasticité de la jurisprudence tend à ce qu'il n'en soit pas le plus souvent ainsi. Un objectif de valeur constitutionnelle n'est fondamental qu'en tant que son respect conditionne celui d'une liberté

Dans ses conclusions sur l'arrêt Tliba, le commissaire du gouvernement de Silva est demeuré assez évanescent à propos des objectifs de valeur constitutionnelle. Selon elle, il y a lieu de considérer ni qu'ils peuvent être assimilés, à l'instar des droits, à une liberté fondamentale ni qu'ils ne puissent l'être. Quant à la Section du contentieux, elle n'a pas davantage, dans son arrêt Casanovas, donné la moindre indication dans un sens ou dans un autre. En l'espèce, on l'a dit, se trouvait en cause le droit d'obtenir un emploi, droit dont le statut constitutionnel est incertain. Si le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer à ce propos, il l'a fait de manière vague. Dans sa décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi sur les 35 heures, il a jugé qu'il appartient au législateur « de fixer les principes fondamentaux du droit au travail, et notamment de poser les règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi, tout en ouvrant le bénéfice de ce droit au plus grand nombre d'intéressés ».

Le droit d'obtenir un emploi a donc valeur constitutionnelle, mais sans qu'il soit possible de manière certaine de le qualifier d'objectif de valeur constitutionnelle ou de droit à proprement dit (v. Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, p. 645 et s. ; Louis Favoreu et autres, préc., p. 259). Pascale Fombeur n'a d'ailleurs pas, dans ses conclusions, parlé d'objectif de valeur constitutionnelle. En se référant à la jurisprudence constitutionnelle, particulièrement à la décision n° 98-401 DC, elle s'est contentée de relever que le « Conseil constitutionnel [...] a rangé le droit à l'emploi parmi les droits et libertés fondamentaux », et qu'« il ne s'agit que d'une finalité imposée au législateur ». Le terme d'objectif est donc délibérément éludé sans pour autant que, derrière les mots, la notion soit écartée. En réalité, on l'a vu, c'est le défaut d'atteinte indirecte à une liberté fondamentale qui justifie la solution retenue. Il reste que le silence de l'arrêt Casanovas sur le statut constitutionnel du droit d'obtenir un emploi n'est pas sans signification : le Conseil d'Etat n'a rien exclu quant à la façon d'appréhender les objectifs de valeur constitutionnelle au regard des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Comparée à la prudente réserve de la Section du contentieux, l'ordonnance Association de réinsertion sociale du Limousin

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du 3 mai 2002 (AJDA 2002, p. 818, note Emmanuelle Deschamps) paraît bien radicale dans sa motivation. Elle présente néanmoins le mérite d'être explicite : « Considérant [...] que, si, dans la décision du 29 juillet 1998, le Conseil constitutionnel a qualifié d'objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (4), il n'a pas consacré l'existence d'un droit au logement ayant rang de principe constitutionnel ». Par voie de conséquence, le juge des référés en a déduit que ledit droit ne constituait pas une liberté fondamentale. Le raisonnement est contestable en ce qu'il confère à l'arrêt Casanovas une portée qu'il n'a pas. La Section du contentieux n'a en rien enfermé, tant s'en faut, la notion de liberté fondamentale dans un carcan.

Cela est d'autant plus frappant que, quelques jours à peine avant cet arrêt, l'ordonnance Tiberi (CE ord. 24 février 2001, RFDA 2001, p. 648, note Bertrand Maligner ; D. 2001, Jur. p. 1748, note Richard Ghevontian) qualifiait de liberté fondamentale le principe du « caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion ». Le Conseil constitutionnel a eu, à maintes reprises, l'occasion de préciser que le principe du « pluralisme des courants d'expression socioculturels » était un objectif de valeur constitutionnelle dont le « respect est l'une des conditions de la démocratie ». Cette valeur insigne s'explique par le fait que ledit principe permet d'assurer l'effectivité de la « libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » (Cons. const. 18 septembre 1986, n° 86-217 DC, Liberté de communication, cons. 8, 11 ; Cons. const. 27 juillet 1982, n° 82-141 DC, Liberté de communication audiovisuelle, cons. 5 ; Cons. const. 21 janvier 1994, n° 93-333 DC, Liberté de communication, cons. 3 ; Cons. const. 27 juillet 2000, n° 2000-433 DC, Loi modifiant la loi relative à la liberté de communication, cons. 3, D. 2001, Somm. p. 1838, obs. Nathalie Jacquinot). La doctrine en a déduit que le juge administratif s'autorisait à tirer d'un objectif de valeur constitutionnelle une liberté fondamentale (v. Louis Favoreu, préc., p. 1741 ; Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, préc., p. 431 ; Richard Ghevontian, note préc.). A supposer que ce soit vrai - ce qui ne nous semble pas être le cas comme on le verra plus loin -, la Section du contentieux aurait réagi à l'occasion de l'arrêt Casanovas si elle avait désapprouvé la démarche. Il n'en a rien été.

Cela ne signifie pas pour autant que les formations collégiales du Conseil d'Etat soient prêtes à considérer tout objectif de valeur constitutionnelle comme susceptible de consacrer une liberté fondamentale. Le silence de l'arrêt Casanovas sur la question le montre. Or, il peut raisonnablement en être inféré que l'ordonnance Association de réinsertion sociale du Limousin, par la généralité de sa formulation, va trop loin. Que le droit au logement puisse ne pas être considéré comme une liberté fondamentale est une chose, justifier cela par le seul motif que ce droit soit un simple objectif de valeur constitutionnelle en est une autre. Et de fait, dans son arrêt du 22 mai 2002, Fofana (req. n° 242193), le Conseil d'Etat, tout en confirmant que le droit au logement n'est pas une liberté fondamentale, n'a pas repris la motivation de l'ordonnance. Il en résulte qu'un objectif de valeur constitutionnelle est susceptible d'être assimilé, tout comme un droit, à une liberté fondamentale. Il le sera lorsqu'il tend à renforcer une liberté, et que l'atteinte à celui-ci met en cause indirectement celle-là. La logique est exactement la même que pour un droit. La qualification de liberté fondamentale du principe du pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion par l'ordonnance Tiberi ne doit pas induire en erreur sur le raisonnement suivi par le juge administratif. Il ne s'agit là que d'une facilité de langage déjà rencontrée dans certaines décisions. La jurisprudence constitutionnelle, que le juge des référés ne peut ignorer, est très claire. Elle a insisté sur l'importance de ce principe au regard de l'effectivité de la liberté de communication et donc de la démocratie. C'est cette circonstance particulière, et seulement elle, qui justifie la qualification de liberté fondamentale. L'objectif de valeur constitutionnelle n'équivaut à une liberté fondamentale qu'en ce qu'il se rattache à la liberté de communication (v. Louis Favoreu, préc., p. 1741 et 1743). Au contraire, l'atteinte au droit au logement ne mettant en cause aucune liberté, le juge des référés ne pouvait que lui refuser le label de liberté fondamentale. Mais c'est pour ce seul motif, et non parce qu'il s'agirait d'un objectif de valeur constitutionnelle, qu'une telle solution pouvait être retenue. Il y a donc lieu pour le juge du référé-liberté, lorsque se trouve en cause un objectif de valeur constitutionnelle, de vérifier si l'atteinte à cet objectif met ou pas indirectement en cause une liberté.

Cela confirme le bien-fondé de la distinction opérée par la doctrine constitutionnelle entre les objectifs de valeur constitutionnelle : certains servent seulement à limiter le pouvoir du législateur ou à servir de norme de conciliation, d'autres à renforcer une liberté ou un droit constitutionnel (Georges Burdeau, Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, 27e éd., 2001, p. 736). C'est dans cette seconde catégorie que le juge administratif pourra extraire une liberté fondamentale.

L'invocabilité de la liberté en cause Une fois qu'une liberté est mise en cause soit directement soit indirectement, il convient encore pour le juge de s'assurer que celle-ci ou, par extension, le droit ou l'objectif de valeur constitutionnelle, est invocable par le requérant. A lui de rechercher si la liberté invoquée requiert une précision suffisante pour être directement applicable à une personne autre que l'Etat. Dans ses conclusions sur l'arrêt Tliba, Isabelle de Silva a invité le Conseil d'Etat à prendre en compte ce critère : « C'est notamment en fonction de la formulation de la règle que vous pourrez vous déterminer. Lorsque le droit est formulé en termes très généraux, ou implique une obligation de l'Etat dont on cerne

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difficilement les contours ou encore s'apparente à une déclaration d'intention [...], il est fort improbable que vous puissiez reconnaître l'existence d'une atteinte grave et personnelle à celui-ci ». Sur ce point, Isabelle de Silva est à l'unisson de Pascale Fombeur. Quelques mois plus tôt, cette dernière observait qu'au regard de la jurisprudence constitutionnelle, le droit d'obtenir un emploi est une « finalité imposée au législateur ». Il ne s'agit pas « à l'évidence [...] d'un droit dont on pourrait revendiquer directement le bénéfice devant une juridiction ordinaire ». Et de conclure : « a fortiori, vous n'y verrez pas une liberté fondamentale pour l'application de l'article L. 521-2 ». Cette analyse est, semble-t-il, largement partagée au Conseil d'Etat. Selon Guy Braibant et Bernard Stirn, les principes contenus dans le Préambule de la Constitution « n'ont pas tous la même précision. Leurs effets en droit positif dépendent de leur formulation. Certains sont des déclarations d'intention plus que des règles de droit ». Et de prendre l'exemple justement du droit d'obtenir un emploi qui est un « principe de lutte contre le chômage » insusceptible d'être invoqué par un chômeur pour exiger qu'on lui donne un emploi. « En revanche, d'autres dispositions du Préambule, parce qu'elles sont plus précises et parce qu'elles sont immédiatement applicables, sont considérées comme ayant une valeur juridique et comme faisant partie du droit positif qui peut être invoqué directement par les particuliers contre l'administration » (Le droit administratif français, PFNSP et Dalloz, 4e éd., 1997, p. 212). Sans la contredire, le Conseil d'Etat n'a cependant pas suivi Pascale Fombeur. L'arrêt Casanovas refuse de reconnaître le caractère fondamental du droit d'obtenir un emploi, non pas parce qu'il ne serait pas invocable par un requérant, mais parce qu'il ne se rattache, en tant qu'il est entendu comme droit d'obtenir effectivement un emploi, à aucune liberté. Dès lors qu'en l'espèce aucune liberté n'était en cause compte tenu du motif du licenciement dont le requérant avait été victime, il n'y avait pas lieu pour le juge d'aller plus loin et de statuer sur la question de l'invocabilité (5). Il est peu probable que l'application du critère de l'invocabilité puisse aboutir à un refus d'application de l'article L. 521-2 lorsqu'une liberté se trouve directement en cause. En effet, une liberté est a priori formulée de manière suffisamment précise au regard de l'abstention requise de toute personne publique d'y porter atteinte. Ce n'est, finalement, que lorsque la norme consacrant la liberté en cause se trouve dépourvue d'effet direct au profit des particuliers qu'elle ne peut être invoquée. C'est ce que préconise Isabelle de Silva dans la droite ligne de l'arrêt GISTI du 23 avril 1997 (Lebon p. 142 ; v. aussi, AJDA 1997, p. 482 ; D. 1998, Jur. p. 15, concl. Ronny Abraham), aux termes duquel les stipulations conventionnelles (non communautaires), « qui ne produisent pas d'effets directs à l'égard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'une décision individuelle ou réglementaire ». Ainsi que le fit valoir Ronny Abraham dans ses conclusions sur cet arrêt, une stipulation conventionnelle est dépourvue d'effet direct dans deux séries d'hypothèses. D'une part, « lorsque l'objet même de la norme conventionnelle est de régler exclusivement les relations entre les Etats parties et non pas de garantir des droits au bénéfice des particuliers », lesquels ne sont donc pas les destinataires de la règle. D'autre part, lorsque l'objet de la convention est bien de garantir des droits aux individus, mais que ces droits « sont formulés dans des termes trop généraux » pour que la stipulation se suffise à elle-même et « pour être susceptibles d'une application immédiate à des cas particuliers ». Dans ce cas, l'applicabilité dépend de l'édiction d'une législation nationale propre à conférer à la stipulation un « caractère opérationnel » (concl. sur l'arrêt GISTI, préc.). Le juge des référés du Conseil d'Etat a choisi logiquement d'appliquer la logique de l'arrêt GISTI. L'ordonnance Association de réinsertion sociale du Limousin du 3 mai 2002 présente une motivation dépourvue d'équivoque à cet égard. Le droit au logement, garanti par certaines conventions, ne présente pas le caractère d'une liberté fondamentale parce que « les stipulations relatives à l'accès des particuliers au logement qui sont contenues dans [ces] conventions internationales ratifiées par la France ne créent d'obligations qu'entre les Etats parties à ces conventions et ne produisent pas d'effet direct à l'égard des personnes privées » (6). Ainsi, faute d'effet direct, une liberté conventionnellement établie n'est pas protégée en droit interne. Elle ne peut, dans cette mesure, être utilement invoquée. Seul le constituant ou le législateur peut prévoir une telle protection et consacrer par là l'éminence de la liberté en question. Et de fait, c'est cette éminence qui lui donne, in fine, son caractère fondamental. L'éminence de la liberté en cause Première décision rendue par la Section du contentieux du Conseil d'Etat dans le cadre d'une procédure de référé-liberté, l'arrêt Commune de Venelles a été particulièrement remarqué. Il érige le « principe de libre administration des collectivités locales énoncé à l'article 72 de la Constitution » au rang de liberté fondamentale, démentant par là même l'idée classique selon laquelle les personnes publiques ne sont pas destinataires des libertés et droits fondamentaux et, par voie de conséquence, démontrant l'autonomie du régime de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par rapport à celui de la voie de fait (René Chapus, Droit du contentieux administratif, p. 1288, et Droit administratif général, Montchrestien, 2001, 15e éd., tome 1, p. 868 et s.). Louis Favoreu en a conclu que le Conseil d'Etat avait opté pour une « conception moderne » des libertés fondamentales allant bien au-delà de la notion de liberté publique laquelle ne profite qu'aux seuls individus. Pour cette raison, les libertés fondamentales se définiraient désormais comme « les

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libertés qui sont à l'abri du législateur, quelle que soit leur fondamentalité » (Louis Favoreu, préc., p. 1740 et 1741 ; v. aussi, Jérôme Trémeau, préc., p. 654). Il n'y aurait donc de liberté fondamentale qui ne soit protégée par une norme supralégislative ni de liberté bénéficiant d'une telle garantie qui ne soit fondamentale. Cette conception formelle présente le mérite de la clarté. Il est aisé de déterminer le caractère fondamental d'une liberté en se reportant au bloc de constitutionnalité et aux conventions internationales liant la France.

(1) V. aussi, CE ord. 15 octobre 2001, Hamani, req. n° 238934 ; CE ord. 20 décembre 2001, Chikh, req. n° 241154 ; v. aussi, CE ord. 9 janvier 2001, Deperthes, req. n° 228928 ; CE ord. 7 février 2001, Commune de Pointe-à-Pitre, req. n° 229921 ; CE ord. 8 mars 2001, Ricque, req. n° 231086 ; CE 3 avril 2001, Soriano, req. n° 232025 ; CE ord. 18 mai 2001, Meyet et Bouget, AJDA 2001, p. 642 ; CE ord. 28 mai 2001, Raut, req. n° 230888 ; CE ord. 27 juillet 2001, Haddad, req. n° 231889 ; CE ord. 9 août 2001, Aït-Taleb, req. n° 237005 ; CE ord. 12 septembre 2001, Langard, req. n° 238106 ; CE ord. 19 septembre 2001, Hartmann, req. n° 238292 ; CE ord. 5 octobre 2001, Ministre de l'Education nationale, req. n° 238676 ; CE ord. 19 août 2002, Front national et IFOREL, AJDA 2002, p. 1017. (2) D'autres décisions ne se prononcent ni dans un sens ni dans l'autre, v. CE ord. 6 avril 2001, SARL Le Vivier, req. n° 232124 ; CE ord. 11 octobre 2001, Commune de Saint-Bauzille-de-Putois, req. n° 238869. (3) Outre la jurisprudence relative au droit de propriété, cela est également vrai relativement au droit d'asile. Si l'ordonnance Hyacinthe se réfère à une liberté, tel n'est pas le cas d'autres décisions, CE ord. 2 mai 2001, Dziri, req. n° 232997 ; CE 12 juillet 2002, Oulai Doué, req. n° 245141 ; CE ord. 28 août 2002, Koudjil, req. n° 249828. (4) Il s'agit de la décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, Lutte contre les exclusions (cons. 3 et 6, AJDA 1998, p. 739), laquelle reprend le considérant 7 de la décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Diversité de l'habitat (AJDA 1995, p. 455). (5) En tout état de cause, en ce qu'ils sont des normes de conciliation ou d'orientation du travail du législateur, les objectifs de valeur constitutionnelle ne sont pas a priori directement invocables par un particulier devant un juge, Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, préc., p. 276-277. (6) A notre sens, pour les même raisons que celles indiquées au sujet de l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement, le juge des référés aurait dû, en toute rigueur, pour rejeter la requête, se contenter de relever que l'atteinte au droit au logement ne met en cause aucune liberté. (7) N° 93-325 DC (cons. 3, 19, 20, 23, 29, 55, 57 et 71), D. 1994, Somm. p. 111, obs. Dominique Maillard Desgrées du Loû ; v. aussi Cons. const. 22 avril 1997, n° 97-389 DC, Diverses dispositions relatives à l'immigration, cons. 36, 38, 39, 44 (le considérant 45 cependant évoque le « droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale »), AJDA 1997, p. 524, note François Julien-Laferrière ; D. 1999, Somm. p. 237, obs. Ferdinand Mélin-Soucramanien. (8) La référence par les parties à telle ou telle norme s'effectue de deux manières. D'une part, elles peuvent se référer formellement à un texte qui est alors explicitement mentionné. D'autre part, elles se contentent parfois d'une mention matérielle, en se reportant au contenu d'un texte dont elles reprennent les termes sans nécessairement - autant que les décisions permettent d'en juger - désigner explicitement le texte en question ; v., par exemple, CE ord. 3 janvier 2003, Société Kerry, préc. (9) Ainsi, l'arrêt précité, Communes de Fauillet, Montpouillan et Sainte-Marthe, affirme que la libre administration des collectivités locales est une liberté fondamentale alors que n'est visé que le code général des collectivités territoriales. Cela est d'autant plus remarquable que l'arrêt Commune de Venelles (préc.) visait l'article 72 de la Constitution ; v. aussi CE ord. 30 mai 2002, Communes de Saint-Gely-du-Fesc et autres, req. n° 247273 ; Commune de Pointe-à-Pitre, préc. ; Deperthes, préc. ; CE ord. 2 avril 2001, Marcel, req. n° 231965 ; CE ord. 12 novembre 2001, Bechar, req. n° 239794 ; CE 7 mai 2003, Boumaiza, req. n° 250002 ; Commune de Hyères-les-Palmiers, préc. ; SCI Stephaur, préc. ; CE ord. 12 juin 2002, SARL Barlive, req. n° 247683 ; Gaz de France, préc. ; SCI Résidence du théâtre, préc. ; CE ord. 25 avril 2002, Société Saria Industries, req. n° 245414 ; CE ord. 14 mars 2003, Commune d'Evry, req. n° 254827 ; CE ord. 5 février 2003, Matelly, req. n° 253871. (10) Aff. Fikry, préc. et Koudjil, préc., lesquelles mentionnent l'ordonnance du 2 novembre 1945. Cette dernière, matériellement du moins, renvoie au droit de mener une vie familiale normale. (11) V. les articles 1er et 3 de la loi du 30 septembre 2003 qui posent des principes au nombre desquels, relève l'ordonnance, figure celui de « l'expression du pluralisme des courants de pensée et d'opinions ».

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Doc. n° 11 : CE, référé, 8 septembre 2005, M. Michel, note M. LAUDIJOIS, « Le droit à la santé n’est pas une liberté fondamentale », AJDA, 2006 p 376 Vu, enregistré le 6 septembre 2005, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le recours présenté par le garde des Sceaux, ministre de la Justice tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat annule l'ordonnance en date du 24 août 2005 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi par M. X. sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de soustraire ce dernier au tabagisme, au besoin en le plaçant dans une cellule avec des détenus non fumeurs, sans que ce changement d'affectation ait pour effet de le priver de son travail aux cuisines ; il soutient, à titre principal, que la décision du premier juge repose sur une erreur de fait en ce qu'elle affirme que M. X. aurait été changé de cellule ce qui aurait eu pour conséquence de le priver de son emploi aux cuisines de la maison d'arrêt des hommes de Nantes, alors que l'intéressé n'a jamais été privé de cet emploi ; qu'en outre, M. X. avait manifesté son souhait de rester dans sa cellule ; que le juge des référés a ainsi prescrit une mesure de déplacement qui n'avait pas été sollicitée ; qu'à titre subsidiaire, il y a lieu de relever que les conditions mises à l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne sont pas remplies ; que d'une part, il n'y a pas urgence au motif que, depuis son infarctus du myocarde du 30 juillet 2004, M. X. est suivi médicalement et que son état général est stable ; que d'autre part, il y a absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans la mesure où le droit à la santé de M. X. n'est pas mis en cause ; qu'en effet, il ne subit en aucun cas le tabagisme de ses co-détenus car ces derniers ne fument pas en cellule ; que son état de santé est compatible avec le maintien en détention ; qu'il fait l'objet d'un suivi médical régulier ; Vu l'ordonnance attaquée ; Vu, enregistré le 8 septembre 2005, le mémoire en défense présenté par M. X. qui conclut au rejet du recours ; il soutient que le moyen présenté à titre principal n'est pas fondé ; qu'en effet, l'exposant lorsqu'il a saisi le juge des référés partageait la cellule D.109 avec trois détenus fumeurs ; que, postérieurement à l'introduction de sa requête, deux non-fumeurs ont intégré sa cellule à la place de deux détenus fumeurs ; que le changement de cellule qui lui a été proposé le 23 août 2005 avec transfert dans un autre étage à la cellule C.106 a été refusé par

lui au motif qu'il entraînait la perte de son emploi aux cuisines ; que présentement, il reste soumis au tabagisme passif de l'un de ses codétenus, qui est également chef de cuisine ; que c'est à juste titre que l'ordonnance attaquée par le garde des sceaux a considéré que le refus d'être soumis au tabagisme est une composante du droit à la santé garanti par la loi ; que ce droit se rattache aux textes nationaux et internationaux qui consacrent le droit à la vie ; que l'article D. 347 du code de procédure pénale et la note de l'administration pénitentiaire du 7 janvier 1993 invitent les chefs d'établissements à réserver quelques cellules aux non-fumeurs ; qu'il y a violation des dispositions de l'article 717-2 du code de procédure pénale dès lors que l'exposant, bien qu'étant placé dans une maison d'arrêt, ne bénéficie pas d'un emprisonnement individuel ; qu'est également méconnu l'article D. 189 du même code qui prescrit au service pénitentiaire d'assurer le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; qu'enfin, il est satisfait à la condition d'urgence dès lors que la décision d'encellulement collectif de l'exposant avec un détenu fumeur et dans un environnement non protégé, sans garantie qu'il ne soit pas à nouveau placé avec d'autres fumeurs, est génératrice d'une situation préjudiciable ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution, notamment son Préambule ; Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention ; Vu la loi n° 80-461 du 25 juin 1980 autorisant la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ensemble le décret n° 81-77 du 29 janvier 1981 qui en porte publication ; Vu la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 ; Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 717-2, D. 189 et D. 347 ; Vu le code de la santé publique, notamment ses articles L. 1110-1, L. 3511-7 et R. 3511-1 ;

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Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2, L. 523-1 et L. 761-1 ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, d'autre part, le représentant de M. X. ; Vu le procès-verbal de l'audience publique du 8 septembre 2005 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus : - les représentants du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; - Maître Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. X. ; Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public [...] aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale [...] » ; qu'en vertu de l'article L. 523-1 du même code, hors le cas où la requête a été rejetée sans instruction par application de l'article L. 522-3, une ordonnance intervenue sur le fondement de l'article L. 521-2 peut être déférée au Conseil d'Etat par la voie de l'appel ; Considérant que M. X. a été placé en détention à la maison d'arrêt de Nantes, suite à un mandat de dépôt, à compter du 4 juillet 2002 ; qu'il a été maintenu dans cet établissement postérieurement à sa condamnation par un arrêt de la cour d'assises de Loire-Atlantique du 20 mai 2005 à une peine de réclusion criminelle de 14 ans ; qu'en raison d'une affection cardiaque, qui s'est manifestée en particulier par la survenance le 30 juillet 2004 d'un infarctus du myocarde, l'intéressé a sollicité du juge de l'application des peines une suspension de peine ; que l'expert commis au titre de l'instruction de cette demande, tout en diagnostiquant une maladie coronaire et en regrettant que l'intéressé qui a décidé de cesser de fumer se trouve malheureusement exposé à un tabagisme passif, a estimé cependant que son état de santé était parfaitement compatible avec son maintien en détention ; que M. X. a alors demandé à la direction de la maison d'arrêt son transfert vers un centre de détention, à défaut, le bénéfice d'une cellule individuelle, et subsidiairement son affectation dans une cellule non fumeur ;

Considérant que le garde des Sceaux, ministre de la Justice relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes lui a enjoint de mettre en oeuvre, dans un délai d'un mois, les mesures appropriées afin de soustraire M. X. au tabagisme ou en cas d'impossibilité absolue liée aux contraintes de l'organisation carcérale, de l'affecter dans une cellule où l'exposition au tabagisme sera limitée, sans que ces mesures puissent avoir pour conséquence de priver l'intéressé de son emploi aux cuisines ; Considérant que si en raison du renvoi fait par le préambule de la Constitution de 1958 au préambule de la Constitution de 1946, la protection de la santé publique constitue un principe de valeur constitutionnelle, il n'en résulte pas, contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge que le droit à la santé soit au nombre des libertés fondamentales auxquelles s'applique l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que toutefois, entrent notamment dans le champ des prévisions de cet article le consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués ainsi que le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ; qu'en outre, s'agissant des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, leur situation est nécessairement tributaire des sujétions inhérentes à leur détention ; Considérant qu'ainsi que l'audience de référé devant le Conseil d'Etat l'a mis en évidence, l'administration pénitentiaire, avant même l'intervention du juge du premier degré, tout en maintenant l'affectation de M. X., conformément à son souhait, au service des cuisines, a tiré profit des libérations de détenus consécutives aux mesures de grâce décidées par le président de la République à l'occasion de la fête nationale pour s'efforcer d'éviter, qu'en raison de son état de santé, l'intéressé se trouve dans la même cellule en présence de détenus fumeurs ; qu'il résulte de l'instruction que deux des codétenus partageant la cellule de M. X. ne sont pas fumeurs et que le troisième, bien que fumeur, s'efforce de ne pas fumer en cellule par égard pour ses voisins ; qu'en outre, la volonté de M. X. de rester affecté au service des cuisines limite, pour des raisons tenant à l'organisation du

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service, le choix des cellules disponibles ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments et alors même que tout risque de tabagisme passif n'est pas totalement dissipé, il n'est pas établi que l'administration ait porté, aussi bien à la date de l'ordonnance du premier juge qu'au jour de la présente décision, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu'il suit de là et sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le point de savoir si la condition d'urgence est ou non remplie, que le garde des Sceaux, ministre de la Justice est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance

attaquée et le rejet corrélatif des conclusions présentées par M. X. devant le premier juge ; Ordonne : Art. 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes en date du 24 août 2005 est annulée. Art. 2 : La requête présentée par M. X. devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes est rejetée. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Michel et au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Note : Un détenu non fumeur, souffrant d'une maladie coronarienne chronique, peut-il demander en référé à l'administration pénitentiaire son déplacement en cellule non-fumeur, sur le fondement du « droit à la santé » ? Le tribunal administratif de Nantes avait estimé, dans son ordonnance du 24 août 2005, qu'il devait être fait droit à cette demande, en reconnaissant l'existence d'une « atteinte grave et manifestement illégale [au] droit à la santé » du requérant (req. n° 054305, AJDA 2005 p. 1653), considéré comme liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Injonction avait donc été délivrée à l'administration de déplacer le requérant dans une cellule où il ne serait pas exposé au tabagisme de ses codétenus, sans pour autant le priver de son emploi aux cuisines de la maison d'arrêt. Le juge des référés du Conseil d'Etat, saisi en appel par le garde des Sceaux, annule cette ordonnance le 8 septembre 2005 et exclut du champ des « libertés fondamentales » protégées par la procédure de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le « droit à la santé ».

Le refus du juge des référés du Conseil d'Etat de consacrer, le « droit à la santé » comme liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut surprendre, mais également se justifier dans le souci de rationalisation du « bloc de fondamentalité » (F. Brenet, Vers l'émergence d'un droit administratif des libertés fondamentales ?, RD publ. 2004, n° 1,p. 212). Le statut juridique du droit à la santé reste en effet, en dépit d'un nombre croissant de textes y faisant référence, tant en droit international qu'interne, difficile à cerner. Mais au-delà de cet enseignement global, l'ordonnance du 8 septembre 2005 s'attache à résoudre très concrètement une situation particulière, qui met en cause les droits des personnes privées de liberté dans le cadre du référé liberté, un contentieux délicat et en pleine expansion. Le juge des référés du Conseil d'Etat adopte en l'espèce une attitude équilibrée, qui masque toutefois une tendance globalement portée vers la sévérité, lors de la revendication par ces personnes de leurs droits.

Le refus du juge des référés du Conseil d'Etat de consacrer le « droit à la santé » comme liberté fondamentale Ce refus s'appuie sur le statut juridique complexe du « droit à la santé », qui s'oppose à la consécration d'un véritable droit subjectif. On peut toutefois s'étonner de la réticence du juge des référés du Conseil d'Etat à s'appuyer sur le « droit à la protection de la santé », aux assises constitutionnelles pourtant mieux établies. Le juge opte ainsi pour la reconnaissance de deux autres droits, « le consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux » et « le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle... », afin d'apporter une solution au cas d'espèce. La valeur juridique complexe du « droit à la santé » L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « La Nation [...] garantit à tous [...] la protection de la santé ». Le juge des référés du Conseil d'Etat ne refuse pas de considérer la valeur constitutionnelle avérée de cet alinéa, du fait du « renvoi fait par le préambule de la Constitution de 1958 au préambule de la Constitution de 1946 » et en citant dans les visas la décision du Conseil constitutionnel n° 90-283 du 8 janvier 1991, consacrant le « principe constitutionnel de protection de la santé publique ». Mais il s'agit, dans l'ordonnance en cause, de savoir si ce principe constitutionnel peut être assimilé à un véritable « droit à la santé », dont chacun serait titulaire en propre.

elon le professeur Jean Rivero, le « droit à la santé » relèverait d'une catégorie de « droits à », correspondant plutôt à des objectifs programmatiques qu'à de véritables droits subjectifs, dont le justiciable peut se prévaloir. Le « droit à la

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santé » ne peut impliquer d'obligation de résultat, à la charge de la collectivité publique, mais une simple [et réelle] obligation de moyens. C'est le sens de l'alinéa 11 du préambule de 1946, qui évite cet écueil, en consacrant la « protection de la santé », et non un « droit à la santé ». Ainsi le Conseil d'Etat, dans l'ordonnance qui nous intéresse, ne refuse-t-il pas d'intégrer au « bloc de fondamentalité » un principe de valeur constitutionnelle. Il refuse de reconnaître qu'un « droit à la santé » découlerait de ces dispositions constitutionnelles et, plus surprenant peut-être, il refuse de « créer » un « droit à la protection de la santé » dans le seul cadre de l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En effet, suivant l'analyse du professeur Lise Casaux-Labrunée, « le droit à la santé [...] n'existe pas. Le «droit à la protection de la santé» est évidemment la formule la plus juste » (L. Casaux-Labrunée, Le droit à la santé in R. Cabrillac, A.-M. Frison-Roche, T. Revet, Libertés et droits fondamentaux 2005 : notions et sources, l'être, le citoyen, le justiciable, l'acteur économique et social, Dalloz, 2005, 11e éd., p. 755).

Or, cette attitude, au regard de la jurisprudence passée portant sur cinq années d'application de la procédure de référé liberté, est sans doute l'élément le plus étonnant de cette décision. La volonté d'autonomie des juridictions administratives vis-à-vis du seul bloc de référence constitutionnel, dans le cadre du référé liberté s'inscrit dans la continuité de l'étude, concernant l'émergence de la catégorie des droits fondamentaux, du professeur Etienne Picard dès 1998. Selon cet auteur, la catégorie des droits fondamentaux est indépendante des catégories déjà existantes (bloc de constitutionnalité, libertés publiques, droits de l'homme...) et le juge, pour reconnaître ces droits s'appuie plus volontiers sur la substance de ces droits que sur une référence à leur place dans la hiérarchie des normes. Ainsi, dans le cas du « droit à la protection de la santé », rien n'interdirait au juge, de consacrer, dans le seul cadre de l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une liberté fondamentale dont le statut s'avère différent des libertés consacrées, par exemple, au niveau constitutionnel : c'est le sens de l'expression « bloc de fondamentalité », qui souligne la spécificité de la procédure de référé liberté. Le risque serait d'autant moins grand d'une utilisation désordonnée de ce « droit à la protection de la santé », si d'aventure il était reconnu par le juge administratif dans le cadre d'un référé liberté, qu'il est possible d'envisager, par la voix du professeur Etienne Picard, que les droits dits « fondamentaux » le soient dans certains cas et pas dans d'autres, en fonction des nécessités posées par les circonstances. Malgré ces précautions, le Conseil d'Etat a tranché : le « droit à la santé » ou, plus légitimement, le « droit à la protection de la santé » n'est pas « au nombre des libertés fondamentales auxquelles s'applique l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». Si une telle attitude ne peut s'expliquer pour des raisons tenant à la théorie du droit, quelles autres considérations ont pu motiver le refus du juge d'appel ?

D'un « droit à » à deux « libertés fondamentales » Le refus de consacrer le droit à la santé comme liberté fondamentale a certes une portée générale, mais prend sa source dans les circonstances particulières du cas d'espèce : la demande d'un détenu d'être transféré dans une cellule non-fumeur, du fait de son état de santé, en l'occurrence les suites d'un infarctus et une maladie coronarienne chronique. Ce transfert, enjoint au garde des Sceaux, via l'administration pénitentiaire, par le tribunal administratif de Nantes, a été annulé en appel par le Conseil d'Etat. Le juge suprême a en effet estimé que l'administration n'avait pas porté, en l'espèce, « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Or cette formulation, à la lecture de l'ordonnance, apparaît très ambiguë.

Il a été établi nettement par le juge que le « droit à la santé » ne peut être considéré comme une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; toute considération relative à la santé n'est cependant pas absente de l'ordonnance du juge des référés. Celui-ci affirme en effet que « le consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont prodigués ainsi que le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui [...] entrent notamment dans le champ de prévisions de cet article ». L'ordonnance, tout en éliminant une liberté fondamentale potentielle (le « droit à la protection de la santé »), réaffirme néanmoins la valeur du consentement aux soins, déjà reconnu comme liberté fondamentale dans le cadre du référé liberté, en dépit de sa simple valeur législative (CE 16 août 2002, Mme V. Feuillatey et Mme I. Feuillatey, req. n° 249552, les textes de référence sont l'article 16-3 du code civil et l'article L. 1111-4 du code de la santé publique).

L'analyse du second droit reconnu par le juge comporte un intérêt plus direct, car il permet d'expliquer la solution de l'ordonnance qui sert de fondement à cette réflexion : « le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent le respect de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ». Outre la complexité de sa formulation, ce droit est nanti d'une précision, qui revêt une grande importance : « s'agissant des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, leur situation est nécessairement tributaire des sujétions inhérentes à leur situation ». La liberté ainsi définie sera d'emblée relativisée par cette précision, qui laisse pressentir un traitement particulier de la revendication des droits et libertés, dans le cadre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, concernant les personnes privées de liberté. Cette analyse est déjà présente dans l'ordonnance du premier juge, qui estime que « le refus d'être exposé au tabagisme doit

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nécessairement être concilié avec les contraintes propres au milieu carcéral tenant à l'affectation des prisonniers dans les cellules ».

La position ambiguë du juge des référés du Conseil d'Etat, face à un requérant privé de liberté Le juge des référés du Conseil d'Etat effectue un contrôle de proportionnalité entre le droit reconnu au requérant « au respect de sa liberté personnelle » et les contraintes du service pénitentiaire, qui doit retenir l'attention. En effet la détention doit rester une peine prévue pour sanctionner la commission d'une infraction, non le prétexte à une minoration des droits des personnes privées de liberté. A cet égard, l'absence d'examen de la condition d'urgence par le juge des référés semble révélatrice d'une prise en compte variable de celle-ci dans le cas de requérants détenus, voués, par leur statut même, à l'attente. « Le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle... » Le raisonnement suivi par le Conseil d'Etat revient à un contrôle de proportionnalité, qui se retrouve dans la formulation très précise du « droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent le respect de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ». Il s'agit de maintenir un équilibre délicat, sous le contrôle du juge européen, entre la sauvegarde de la dignité de la personne incarcérée et les « sujétions inhérentes à [la] détention » (pour un exemple de l'intérêt accru porté par la Cour Européenne des Droits de l'Homme à la protection de la santé des personnes privées de liberté, CEDH 14 novembre 2002, Mouisel c/ France, req. n° 67263/01). Le requérant avait en effet sollicité une suspension de peine, qui ne lui a pas été accordée. Le maintien en détention ayant été confirmé par le juge de l'application des peines et l'expert désigné pour évaluer l'état de santé du requérant, il s'agissait de déterminer si ce maintien en détention n'était pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant, c'est-à-dire d'une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Le juge opère, sur ce point, un contrôle très minutieux des faits : il constate la bonne volonté de l'administration pénitentiaire, qui a pris en compte l'état de santé de M. X., tout comme les contraintes liées à l'organisation du service, afin de le placer en cellule avec deux non-fumeurs et un fumeur s'abstenant de fumer en sa présence.

Il est ici à signaler que ce changement est intervenu entre les deux décisions de justice, car l'ordonnance de référé de première instance souligne que « M. X. est toujours exposé au tabagisme des trois autres détenus qui partagent sa cellule et fument, chacun, près d'un paquet de cigarettes par jour ». Ne subsiste donc plus, à la date de l'ordonnance, qu'un « risque de tabagisme passif », qui n'est « pas totalement dissipé ». le juge estime donc, dans son contrôle de proportionnalité, que ce risque est suffisamment faible pour ne pas entraîner de changement de cellule du requérant. Ainsi les deux aspects de la « liberté fondamentale » consacrée par le juge se retrouvent-ils dans son raisonnement : M. X. est fondé à demander, au titre du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, dans le cadre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à changer de cellule pour ne pas être exposé, pour raisons de santé, au tabagisme de ses codétenus. Mais ce droit se heurte à la situation particulière des personnes privées de liberté et à l'importance du risque présenté pour la santé du requérant, considéré comme relatif et aléatoire. Ce contrôle de proportionnalité conduit à constater l'absence d'« atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale. Dans une espèce proche, le tribunal administratif de Caen avait adopté une approche encore plus restrictive, en estimant que la mauvaise application de la loi « Evin » au sein du service public pénitentiaire n'était pas constitutive d'une faute, et n'emportait donc pas la responsabilité de l'Etat (F. Fournie et E. Massat, Prison et liberté de fumer. Ou comment la loi Evin ne s'applique pas au service public pénitentiaire, note sous TA Caen 21 décembre 2004, M. Laurent X., D. 2005, p. 2134).

Restait toutefois à examiner la condition d'urgence, considérée comme remplie par le premier juge, mais très rapidement évacuée par le juge d'appel.

Privation de liberté et urgence La personne détenue serait-elle d'emblée considérée comme un requérant abusif, réclamant le respect de ses droits, alors qu'elle a elle-même commis des actes répréhensibles ? L'absence de l'examen de la condition d'urgence est fréquemment présente dans le contentieux relatif aux droits des personnes détenues (par exemple, CE 19 janvier 2005, M. Laurent X., req. n° 276562 ; AJDA 2005, p. 793 ; TA Caen 29 décembre 2004, M. V., req. n° 0402639, AJDA 2005, p. 911), comme c'est le cas en l'espèce. Suivant une jurisprudence bien établie par l'arrêt de section du Conseil d'Etat du 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres (Lebon p. 29; AJDA 2001, p. 150, chron. M. Guyomar et P. Collin ; RFDA 2001, p. 378, concl. Laurent Touvet), la condition d'urgence est considérée comme remplie (pour le référé suspension comme pour le référé liberté) « lorsque la décision administrative contestée préjudicie [...] à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il prétend défendre ». En l'espèce, le requérant a fait valoir cette condition, en indiquant dans son mémoire qu'« il est satisfait à la condition d'urgence dès lors que la décision d'encellulement collectif l'exposant avec un détenu fumeur et dans un environnement non protégé, sans garantie qu'il ne soit pas à nouveau

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placé avec d'autres fumeurs, est génératrice d'une situation préjudiciable ». Les conditions traditionnelles de l'existence du préjudice sont donc réunies : un préjudice considéré par le requérant comme « suffisamment grave » (car il est exposé à un risque de tabagisme passif, nocif pour son état de santé) et « immédiat » (car le préjudice résulte de son type d'encellulement, qui se poursuit dans le temps du recours). Le juge n'a pas souhaité suivre ce raisonnement et, après avoir dénié l'existence d'« une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », rejette le recours « sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le point de savoir si la condition d'urgence est remplie ». Si cette attitude correspond à l'évolution de l'application par le juge des référés de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il y a lieu de s'interroger sur le bien-fondé de ce rejet laconique de l'examen de cette condition, dans le cas d'espèce. On a vu que le simple « risque de tabagisme passif », auquel est exposé le requérant, ne justifie pas d'une atteinte telle à son état de santé, que son changement de cellule doive être imposé d'urgence à l'administration pénitentiaire. S'agirait-il d'une « mise au pas » des tribunaux administratifs par le Conseil d'Etat ? En effet, avant le tribunal administratif de Nantes, d'autres tribunaux administratifs avaient pris en compte l'existence d'un risque pesant sur l'état de santé des requérants en situation de faiblesse (des étrangers devant justifier d'un titre de séjour) pour considérer comme remplie la condition d'urgence (TA Versailles 16 octobre 2001, Mme S.-B., AJFP 2002, p. 55, obs. F. Berguin ; TA Marseille 21 janvier 2002, M. Ousmane Sow, AJDA 2002, p. 362, note P. Blacher; Dr. adm. 2002, n° 70). Le contrôle de proportionnalité effectué nous semble néanmoins avoir fait une juste appréciation des efforts déployés par l'administration pénitentiaire pour réduire au maximum le risque d'exposition au tabagisme passif du requérant. Il est cependant tentant pour le juge de ne pas même examiner la condition d'urgence, dès lors que l'atteinte à une liberté fondamentale n'est pas établie. Le risque latent, inhérent à cette attitude du juge des référés, serait de considérer l'urgence comme une notion toute relative pour un requérant détenu, voué, par son statut même, à l'attente.

Doc n° 12 : TA Toulouse, référé, 13 avril 2006, req. n° 0601394, note X. BIOY, « L’occupation des universités et les libertés, AJDA, 2006, p. 1281. l. Vu la requête, enregistrée le 4 mars 2006, présentée par M. Thibaut Wenger, Thibaut Wenger porte plainte contre le président de l'université Toulouse 2 Le Mirail ; demande au juge des référés de trouver une solution pour que les étudiants qui ont envie de reprendre leurs cours et réussir leurs examens puissent le faire dans les plus brefs délais et les meilleures conditions ; il soutient que : le blocage de locaux universitaires le pénalise dans la préparation des examens et dans la rédaction de son mémoire de recherche ; sa formation étant financée par les ASSEDIC celle-ci sera perdue si elle n'est pas convenablement menée à terme avant le mois de juin 2006, date à laquelle il perdra ses droits ASSEDIC; le risque de devoir rembourser le coût de sa formation interrompue est sérieux ; II. Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2006, présentée pour M. Thibaut Wenger, M. Cédric Strebler, Mlle Claire ogrodowki, Mlle Celia Oulabsir, M. Daniel Eckert, Thibaut Wenger et autres demandent au juge des référés: D'enjoindre au président de l'université Toulouse le Mirail de faire libérer les locaux de l'université ; D'enjoindre à cette même autorité de faire assurer un accès normal aux enseignements universitaires; De lui enjoindre de mettre en oeuvre les procédures disciplinaires à

l'encontre des étudiants dont les actions portent atteinte à la tenue des enseignements et à l'ordre public; De fixer un délai de vingt quatre heures pour exécuter les injonctions ci-dessus sous astreinte de 200 euros par jour de retard; De condamner le défendeur à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que le blocage des locaux universitaires porte atteinte au droit à la formation ; à la liberté personnelle telle qu'elle est définie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; à la liberté d'aller et de venir ; au droit à la sécurité tel qu'il est protégé par l'article 1er de la loi du 15 novembre 2001 ; ces atteintes ont des conséquences graves sur leur situation; l'urgence à statuer résulte des conséquences du blocage des locaux sur leur situation personnelle au regard des examens; Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2006, présenté par l'université Toulouse le Mirail tendant au rejet de la requête laquelle est mal fondée dès lors que: la gestion de la situation de blocage des locaux universitaires a tenu compte des nécessités de dialogue ; Le recours à la force publique ne doit être

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envisagé qu'en dernière extrémité; que des mesures ont été prises pour palier les conséquences du dit blocage par l'organisation d'autres normes d'enseignement que présenciel; le blocage présente les caractères d'un événement de force majeure; un démarrage des activités pédagogiques est envisagé à compter du 18 avril 2006; Vu les pièces jointes à la requête ; Vu le code de justice administrative ; Vu le code de l'éducation ; Vu la décision, en date du 2 janvier 2006, par laquelle le président du tribunal administratif a donné délégation à M. Jean Raymond, vice-président, pour exercer les compétences définies au livre V du code de justice administrative, par application de son article L. 511-2, à l'exception de celles visées au titre III de ce livre ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir donné lecture de son rapport au cours de l'audience publique du 12 avril 2006 et entendu les observations orales de : - Maître Magrini, avocat des requérants ; - M. Dupuy et de M. le président Pech, représentant l'Université de Toulouse le Mirail ; Lesquels ont confirmé les écritures présentées ; Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ; Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;

Considérant qu'en adoptant les dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le législateur a entendu permettre aux personnes dont une liberté fondamentale viendrait à être méconnue de façon grave et manifestement illégale par l'administration, d'obtenir du juge des référés, lorsque l'urgence le justifie, le prononcé de mesures susceptibles de mettre fin à la situation ainsi créée ; Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au président de l'université Toulouse le Mirail de mettre en oeuvre les procédures disciplinaires prévues à l'encontre des étudiants qui empêchent la tenue des enseignements et qui portent atteinte à l'ordre public : Considérant que les requérants ne justifient pas, en leur seule qualité d'étudiants, que l'absence de poursuites disciplinaires à l'encontre des étudiants à l'origine des perturbations dans le fonctionnement normal de l'université causerait directement et personnellement atteinte aux libertés dont ils se prévalent et fondées sur le droit à l'éducation, sur la liberté d'aller et de venir, et sur le droit à la sécurité; que, par suite, les conclusions susvisées ne peuvent qu'être rejetées ; Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au président de l'université Toulouse le Mirail de faire libérer les locaux de l'université et de faire assurer un accès normal aux enseignements universitaires : Considérant qu'entre notamment dans le champ des prévisions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative précité le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ; Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que, dans la gestion de la situation qui prévaut à l'université de Toulouse le Mirail depuis l'occupation et le blocage des accès aux locaux, le président de cette université, alors même qu'il a mis en oeuvre les moyens de poursuivre des enseignements destinés à des catégories particulières d'étudiants et développer pour les autres des modes alternatifs d'acquisition des connaissances, n'a pas utilisé l'ensemble des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 712-2 du code de l'éducation ; qu'il a ainsi illégalement méconnu l'étendue de ses pouvoirs ; qu'il n'est pas établi que la sauvegarde de l'ordre public et le respect des droits d'autrui auraient justifié qu'il

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s'abstienne d'exercer l'ensemble desdits pouvoirs ; Considérant qu'il est constant que M. Wenger poursuit des études dans le cadre d'un projet professionnel financé par les ASSEDIC, que ses droits à ce type de financement viendront à échéance à la fin du mois de juin 2006 et que le défaut de réussite aux examens l'exposerait au risque de devoir rembourser les frais ainsi avancés par cette association; que les autres requérants courraient le risque de perdre le bénéfice de bourses universitaires ; qu'ainsi l'abstention sus-analysée du président de l'université porte une atteinte manifestement illégale à leur droit au respect de leur liberté personnelle sans que la sauvegarde de l'ordre public justifie, en l'espèce, les contraintes qui pèsent sur la poursuite de leur année universitaire ; Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre au président de l'université de prendre toutes mesures utiles particulièrement à la poursuite de l'ensemble des enseignements dans les conditions propices à une préparation efficace des examens ; Considérant qu'il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'assortir les injonctions ci-dessus d'une astreinte;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative: Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ; Considérant qu'il convient de mettre à la charge de l'université de Toulouse le Mirail, laquelle est en l'espèce la partie perdante, une somme de 1 000 (mille) euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens. Statuant en référé ordonne : Art. 1er : Il est enjoint au président de l'université de Toulouse le Mirail de prendre toutes mesures utiles particulièrement à la poursuite de l'ensemble des enseignements dans les conditions propices à une préparation efficace des examens

Note : « La faculté bloquée face à la faculté de débloquer », tel pourrait être le résumé de l'ordonnance par laquelle le tribunal administratif de Toulouse a tranché en faveur des étudiants « non grévistes » le conflit qui les opposait aux collectifs bloquant l'accès à l'Université de Toulouse II - Le Mirail, haut lieu de la contestation du contrat première embauche (CPE). L'université avait été partiellement bloquée depuis début mars avant de l'être totalement depuis plusieurs semaines aggravant chaque jour un peu plus le sentiment d'impuissance des étudiants désireux de poursuivre leurs études.

Plusieurs tribunaux à travers la France ont été saisis de référés « sauvegarde » ou « conservatoire ». Leurs sentences ont révélé un certain désordre, soit qu'elles déboutent, faute d'intérêt à agir des étudiants pour défendre l'accès au domaine public ou faute de pouvoir établir la nature de la liberté atteinte, soit qu'elles enjoignent le respect du droit à l'éducation, de la liberté d'aller et venir, avec ou sans astreinte. La présente ordonnance montre une réelle originalité en recourant à la liberté personnelle.

Deux requêtes avaient été déposées, diversifiant l'intérêt à agir. L'une émanait d'un étudiant dont la scolarité, financée par les ASSEDIC, s'intégrait à une formation professionnelle ; l'autre fédérait les étudiants en formation initiale. Au titre du référé sauvegarde les requêtes, finalement jugées ensemble, invoquaient différentes libertés, lesquelles n'ont pas rencontré l'assentiment du juge, faute de s'adapter parfaitement aux particularités de l'espèce. La solution retenue apporte alors une nouvelle et heureuse utilisation de la « liberté personnelle » : « Considérant qu'entre notamment dans le champ des prévisions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ».

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Cette notion, remarquée à la fin des années 1980 dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et présente dans une dizaine de décisions (A. Pariente, La liberté personnelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Mélanges Lavroff, Dalloz, 2005, p. 260 ; B. Mathieu, Droit constitutionnel civil, J.-Cl. adm., fasc. n° 1449, p. 15 ; X. Bioy, Le libre développement de la personnalité en droit constitutionnel, essai de comparaison, RIDC 2003, p. 123 ; Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, 2003, p. 610 et s. ; A. Pena-Gaïa : Les rapports entre la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Thèse Droit Aix, 1998 ; P. Pereon, La protection constitutionnelle de la liberté personnelle, Thèse Droit, Toulon, 2001), demeure encore exceptionnelle sous la plume du juge administratif (X. Bioy, Le tabagisme est un domaine propice au développement de nouveaux principes relatifs aux libertés, note sous CE ord. réf. 8 septembre 2005, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, D. 2006, Jur. p. 124). Elle s'adapte ici, subsidiairement, à une situation complexe où l'inaction des instances administratives laisse subsister une entrave aux libertés des usagers du service public causée par d'autres particuliers, ce qui s'analyse en une demande « d'effet horizontal » des droits fondamentaux (L. Favoreu, La notion de liberté fondamentale devant le juge administratif des référés, D. 2001, chron. p. 1739 ; D. Ribes, L'Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux entre personnes privées, Thèse Droit Aix, 2005), en une obligation positive de l'Etat. Celle-ci n'est pas sans rappeler les conditions du refus de concours de la force publique (CE Ass. 2 juin 1938, Société La cartonnerie et l'imprimerie Saint-Charles, Lebon p. 521). Il n'est pas fréquent de rencontrer un référé sauvegarde dont l'objet réel n'est pas le fait de l'administration. Les abstentions en matière de police demeurent une question délicate pour le juge (1), particulièrement dans le cadre universitaire. C'est bien ce contexte particulier qui explique la difficulté de spécifier une des libertés couramment reconnues en référé et qui ouvre la voie subsidiaire d'une liberté générique et essentielle.

Le contexte du recours à la liberté personnelle Si l'université est un service public, les requérants n'en exigeaient pas ici l'accès en tant que tel, faute d'être reconnu comme étant une liberté fondamentale. En revanche, ils demandaient au tribunal de rétablir l'ouverture des locaux qui permet à l'individu d'exercer les libertés liées à l'université de manière autonome. Le recours à un référé sauvegarde n'allait pas de soi, d'abord quant à ses conditions procédurales et ses effets escomptés, ensuite dans la détermination de la liberté en cause. Un référé liberté dans un contexte universitaire en crise Les conditions du référé sauvegarde n'ont pas même été explicitement vérifiées tant elles paraissent réunies. L'intérêt à agir des étudiants « ordinaires », en formation initiale pouvait être discuté dans la mesure où l'administration avait tenté de substituer aux cours en présence des étudiants des supports en ligne et où le problème des examens était encore en suspens, ce qui n'hypothéquait pas l'année. Cependant le juge des référés n'a pas soulevé de difficulté, estimant, semble-t-il, que la qualité d'usager suffisait à pouvoir protester. Le cas du requérant principal, menant des études financées en vue de son insertion professionnelle, posait moins de difficultés encore, tant l'absence d'accès l'empêchait spécifiquement d'initier toute démarche administrative relative à son contrat de travail, alors qu'il lui était fait obligation par les ASSEDIC de disposer d'un stage. La menace d'un remboursement des aides perçues accusait encore la gravité de la situation. L'urgence ne posait pas non plus de difficulté, s'agissant d'une situation déjà ancienne appelée à durer et dont chaque jour aggrave les conséquences pour les étudiants empêchés même d'accéder à la bibliothèque pour y préparer examens et travaux de recherche. Les effets de l'ordonnance souffrent en revanche du contexte dans lequel elle intervient. Faute du prononcé d'une astreinte et de la précision des mesures à prendre, la présidence de l'université disposait encore d'une réelle marge d'action... ou d'inaction. Un référé conservatoire (dit aussi « mesures utiles »), selon l'article L. 521-3, tendant à libérer le domaine public de ses occupants sans titre, aurait eu somme toute le même effet tout en n'abandonnant pas à la présidence de l'université le soin d'appeler la force publique. La décision n'en souligne pas moins fortement le manquement dont a fait preuve le président en s'abstenant d'utiliser toutes ses prérogatives. S'il refuse d'enjoindre la prise de sanction à l'encontre des occupants du domaine universitaire et s'il ne fixe pas de délai à l'injonction de rétablir les conditions de la reprise des enseignements, le juge a su ici rappeler le droit sans prendre le risque d'enflammer une situation déjà bien complexe entre franchises universitaires, mouvement national de contestation et libertés individuelles. Des droits et libertés mal adaptés Le juge des référés écarte implicitement trois prétendus droits et libertés préférant se fonder directement sur la liberté personnelle. On peut d'abord interroger cette fragilité présumée des libertés invoquées. Le droit à la formation est d'abord écarté. En tant qu'étudiants, les requérants arguaient d'un droit général à l'éducation prévu à l'article L. 111-1 du code de l'éducation et constitutionnellement reconnu par le préambule de la Constitution de 1946 (CE 11 février 2005, M. Sacodou, req. n° 270686). Tirant toutes les conséquences de cette

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décision, le tribunal de Versailles dans une ordonnance du 18 mars 2006 a ainsi jugé que le droit à l'éducation était au nombre des libertés fondamentales et que la fermeture des locaux de l'université Paris X Nanterre pour une durée indéterminée portait une atteinte grave au droit à l'éducation des requérants (TA Versailles 18 mars 2006, X. c/ Université Paris X Nanterre, req. n° 0602618). Plus encore, l'article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme précise que nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. Ces arguments n'emportent pourtant pas totalement la conviction dans le cadre de la procédure de référé. D'une part, le droit à l'instruction, dans le code, ne concerne, dans son interprétation stricte, que le mineur. D'autre part, le juge de l'urgence ne se fonde guère, tout au moins explicitement, sur les sources conventionnelles. L'interdiction d'accès aux locaux était ensuite conçue comme une forme d'atteinte à la liberté d'aller et venir. La spécificité du lieu joue ici un rôle dans le débat. L'accès aux locaux représente le sésame d'autres libertés (J. Mourgeon, De quelques rapports entre les libertés et la domanialité publique, Mélanges offerts à Paul Couzinet, Presses Universitaires de Toulouse, 1974, p. 607). L'université a toujours été un lieu de débat et d'expression, de libertés et de franchises. Aux termes du code de l'éducation (art. L. 111-1), étudiants et enseignants forment une communauté de dialogue et de formation. De plus, le Conseil d'Etat a consacré la liberté d'aller et venir comme étant une liberté fondamentale, certes dans le cadre du droit des étrangers (CE 9 janvier 2001, Deperthes, préc.). Dans cette optique, dans le cadre du même contentieux du blocage des universités, le tribunal administratif de Pau, dans deux ordonnances du 24 mars 2006, insiste sur le fait que la liberté d'aller et venir doit s'exercer pleinement dans la mesure où le domaine public universitaire est normalement ouvert au public pour l'accès au service public de l'enseignement (TA Pau ord. 24 mars 2006, M. Ledain, req. n° 0600533 et M. Ricou, req. n° 0600531). Enfin le juge a écarté également l'argument du droit à la sécurité, restant ainsi fidèle à la jurisprudence du Conseil (CE 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-La Napoule, cité in L. Burgogue-Larsen, Libertés fondamentales, Montchrestien, 2003, p. 22 ; Lebon p. 388). La loi du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne, proclame pourtant à son article premier que « la sécurité est un droit fondamental. Elle est une condition de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités ». En l'espèce, le comportement des étudiants des deux bords, et d'abord l'entrave que constitue le blocage, a suscité des situations d'affrontements parfois violents. Les requérants reprochaient alors à l'administration de ne pas prévenir ce risque en imposant la levée des barrages. L'obligation qui pèse sur l'Etat à ce titre est nette, mais le problème se présentait différemment pour l'université qui n'a d'autres moyens que de fermer officiellement les locaux pour éviter les violences, c'est-à-dire, pour les requérants, de faire le jeu de la partie adverse. Exiger un déblocage par la force publique aurait été pour le juge une façon paradoxale de faire cesser le risque de violence. La solution de la liberté personnelle est alors apparue comme subsidiaire mais adaptée. Le recours subsidiaire à la liberté personnelle L'action des étudiants grévistes jointe à l'inaction de l'administration constitue un état de fait préjudiciable dans la mesure où l'occupation illégale des locaux permet à des particuliers d'attenter au libre choix d'agir ou de ne pas participer au mouvement de contestation d'autres individus. L'obligation positive de l'administration d'assurer le respect des droits et libertés entre usagers se trouve ainsi bafouée, mettant en cause les droits de la personne. L'utilisation, encore inhabituelle sous la plume du juge administratif, de la liberté personnelle, peut pourtant se fonder sur une source constitutionnelle dont la généralité laisse une grande liberté à l'interprète. La mention audacieuse de la liberté personnelle Dans la jurisprudence administrative, encore toute récente, la référence à la liberté personnelle demeure embryonnaire. Elle a trouvé dans le référé sauvegarde l'unique terrain de sa consécration et dans le domaine du droit des étrangers son domaine de prédilection (CE ord. réf. 27 mars 2001, Ministre de l'Intérieur c/ Djalout, Lebon p. 158), en particulier dans l'hypothèse de l'incapacité de la personne à prouver son identité en raison de la rétention ou de l'incomplétude de documents administratifs, sans que la liberté d'aller et venir ne soit en cause (CE ord. réf. 2 avril 2001, Ministre de l'Intérieur c/ Consorts Marcel, Lebon p. 167). Dès le 27 mars 2001, le Conseil d'Etat excipe de la liberté personnelle pour annuler un retrait des pièces d'identité. Le requérant avait en effet été privé de carte d'identité et de passeport à la suite de l'émission d'un nouvel acte de naissance qui portait un doute sur sa nationalité. Le juge estime « qu'en procédant à ce retrait l'administration a porté une atteinte grave à la liberté personnelle et à la liberté d'aller et venir des intéressés ». La liberté personnelle intervient aussi pour apprécier le caractère dilatoire d'une procédure de vérification de la nationalité d'un demandeur de carte d'identité (CE ord. réf. 25 février 2004, Mlle Salima X., req. n° 264949) ; elle se trouve gravement violée lors d'un refus de remise de carte d'identité (CE ord. réf. 26 avril 2005, Ministre de l'Intérieur c/ M. Said A., req. n° 279842, à paraître aux tables du Lebon). Le fait d'opposer à une demande d'inscription d'enfants sur un passeport une condition manifestement illégale entrave encore la liberté personnelle du demandeur (CE ord. réf. 4 décembre 2002, M. Gonzague Y., Lebon tables p. 874 ; D. 2003, IR p. 313 ; AJ famille 2003, p. 103). Cette liberté joue enfin pour encadrer le choix du pays de destination dans le cadre de l'exécution d'une interdiction du territoire, encore, semble-t-il, lorsqu'il peut être tenu compte des choix de l'intéressé relativement à sa sécurité (CE ord. réf. 15 octobre 2001, Ministre de l'Intérieur c/ Hamani, Lebon p. 466 ; CE 14 janvier 2005, Bondo, à

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paraître aux tables du Lebon ; AJDA 2005, p. 1360, note O. Lecucq ; CE ord. réf. 20 décembre 2001, Chikh, req. n° 241154). C'est par une ordonnance du 8 septembre 2005 relative à un détenu malade subissant le tabagisme de ses codétenus que le Conseil d'Etat a saisi l'occasion d'étendre le champ de la liberté personnelle hors de son domaine de naissance, indiquant ainsi toute l'étendue possible de son champ d'application (Garde des Sceaux, ministre de la Justice, préc. ; AJDA 2006, p. 376, note M. Laudijois ; C. Clément, La santé et référé administratif « liberté fondamentale », Petites affiches 16 novembre 2005, n° 228, p. 6 à 14). C'est faute de ne pouvoir reconnaître la protection de la santé comme une liberté pouvant s'adapter aux conditions du référé, que le juge a, encore subsidiairement, invoqué la liberté personnelle. Le choix de vie du requérant, tenant à ne pas fumer pour préserver sa santé, était nié par les conditions d'organisation du service. L'administration l'ayant devancé, le juge n'a pas eu besoin d'enjoindre les mesures permettant de soustraire le requérant à cette contrainte, mais le mécanisme en était posé. La référence aux sources constitutionnelles La mention de la source constitutionnelle demeure peu habituelle sous la plume du juge des référés. Soucieux de l'autonomie de la notion administrative de liberté fondamentale, les juges ayant précédemment eu recours à la liberté personnelle n'en ont pas indiqué le fondement. En l'espèce, la mention des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen résulte de la requête elle-même sans que le juge ne la reprenne à son compte. La liberté personnelle paraît pourtant bien se situer dans le prolongement de la jurisprudence constitutionnelle au sein de laquelle elle a connu trois phases (v. l'intervention d'O. Dutheillet de Lamotte in H. Roussillon et X. Bioy (dir.), La liberté personnelle, une autre conception de la liberté ?, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, juin 2006) : la première, celle de l'ébauche, s'ouvre en droit social, avec la décision sur la loi portant amnistie (Cons. const. 20 juillet 1988, n° 88-244 DC) qui pose la nécessité de ne pas faire peser sur l'employeur et ses salariés de contrainte excessive en obligeant à la réintégration de salariés licenciés pour faute lourde. La notion, confirmée par la décision du 25 juillet 1989 qui évoque la liberté personnelle du salarié, est étendue par deux décisions de 1991 sur les accords de Schengen et de 1993 sur la loi relative à la prévention de la corruption qui parlent également de la liberté personnelle en matière de données personnelles. Guidée par le souci de ne pas priver le juge administratif de sa compétence dans ses domaines, la jurisprudence constitutionnelle n'en dégage pas moins un usage direct et effectif des dispositions les plus générales de la Déclaration des droits. Lors de la deuxième phase, le Conseil constitutionnel intègre les différentes composantes de la liberté personnelle à la liberté individuelle (décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration) avant d'inverser le processus en 1999 en fondant la liberté personnelle sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et en lui rattachant certains droits comme la liberté du mariage (Cons. const. 20 novembre 2003, n° 2003-484 DC, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, AJDA 2004, p. 599, note O. Lecucq ; D. 2004, p. 1405, note O. Lecucq et p. 1278, obs. L. Domingo). La signification de cette jurisprudence demeure difficile à établir. Notion subsidiaire, la liberté personnelle ne joue qu'en l'absence de notion plus précise et tend à prendre en compte la vie privée de la personne dans sa double dimension d'intimité et de choix de vie susceptible d'affecter la sphère publique. Séparée de la liberté individuelle, elle serait plus une liberté d'être qu'une liberté d'agir (distinction évoquée par M. Verpeaux in La liberté personnelle, une autre conception de la liberté ?, préc.). Le droit de ne pas subir de contrainte excessive L'esprit de la liberté personnelle se prêtait fort bien aux faits en cause. Plus encore que la reprise des cours, les étudiants requérants demandaient que cesse une situation qui les voyait, de fait, contraints à participer à un mouvement de contestation en entravant leur liberté d'action à l'université. Le blocage des locaux avait en effet pour but d'obliger les étudiants à devenir des grévistes contraints. Or, le droit administratif aménage à toute liberté la liberté inverse. A celle de se syndiquer, la liberté de n'adhérer à aucun syndicat, au droit de grève, celui de poursuivre le travail, etc. La logique ainsi initiée conduit à arguer de la liberté de choisir son action sans la contrainte physique d'un barrage, sans la « contrainte excessive des droits d'autrui ». Cela revient pour le juge à apprécier finement le poids de cette contrainte. Le barrage eût été filtrant, simplement militant car ménageant le choix personnel, la solution eût été peut-être différente. Le juge ne peut que se rabattre sur un contrôle in concreto mettant en balance tous les éléments de la situation. A commencer par les pouvoirs dont le président de l'université dispose pour mener à bien la mission que lui impose l'article L. 712-2 du code de l'éducation. Alors que l'ordonnance du 8 septembre 2005 sur le tabagisme mentionne que doivent être écartées les contraintes excédant le strict nécessaire au maintien de l'ordre public, la présente rédaction s'attache à relever la trop grande inertie à faire cesser une situation qui trouble cet ordre public. En l'occurrence, pour apprécier le caractère grave et manifestement illégal de l'atteinte à la liberté personnelle, il fallait mettre en balance les risques liés à une intervention des forces de l'ordre face à l'autonomie des étudiants refusant le blocage. Le juge revient ainsi à une analyse sous

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l'angle d'une conciliation entre choix individuels et contraintes collectives. Se plaçant dans la perspective de l'article L. 712-2 du code de l'éducation, il apprécie la mesure dans laquelle le président de l'université a négligé d'utiliser certaines possibilités de poursuivre les cours pour les étudiants les plus menacés. Dans l'espace laissé vacant par la mise à l'écart des différentes libertés, la liberté personnelle offre l'intérêt de poser la question en termes d'autonomie de l'individu tout en demeurant sur le terrain de la personnalité, des concessions faites aux contraintes inhérentes à son milieu. Il ne s'agit pas de la liberté d'agir, mais de la liberté de déterminer le seuil de tolérance aux agressions. Le concept de liberté personnelle semble appeler à tenir compte de façon privilégiée de la façon dont l'intéressé vit la situation. Il invite à s'en remettre à la subjectivité d'un individu qui détermine les frontières de sa personnalité et de ce qu'il accepte de son environnement, le juge appréciant ce qui demeure objectivement acceptable au regard des contraintes publiques. Toute la difficulté pour le juge reposait sur la conciliation complexe d'exigences multiples. La formulation constitutionnelle, et désormais administrative, de la liberté personnelle, entend équilibrer les choix de la personne avec les exigences de l'ordre public et les droits d'autrui. Dans le cas présent la difficulté tient à l'ambiguïté de l'ordre public, à la fois bafoué par les grévistes et invoqué a contrario pour justifier le refus du président de l'université de recourir à la force publique. Paradoxalement, c'est donc bien des justifications d'ordre public que les requérants souffrent. Les droits d'autrui, bien présents également, s'analysent dans la liberté de manifester des grévistes (même si l'on peut s'interroger sur les formes de son exercice dans des locaux universitaires). Le caractère excessif de la contrainte, évolutif du fait de la durée de l'occupation, est ainsi lié à l'illégitimité de l'occupation des locaux. Finalement, à la liberté personnelle de l'étudiant répond, du côté de l'université, non la simple faculté de débloquer mais l'obligation de rééquilibrer les libertés en présence.