Feminisation vue par Auclert Groult Houdebine-Gravaud

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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres Langues et littératures françaises et romanes ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008 LA FEMINISATION Vue par Hubertine Auclert, Benoîte Groult et Anne-Marie Houdebine-Gravaud GENSTERBLUM Marie NOTEBOOM Melissa Travail réalisé dans le cadre du cours : Grammaire descriptive II (Roma-B-304)

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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres

Langues et littératures françaises et romanes

ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008

LA FEMINISATION

Vue par Hubertine Auclert, Benoîte Groult et Anne-Marie Houdebine-Gravaud

GENSTERBLUM Marie NOTEBOOM Melissa

Travail réalisé dans le cadre du cours : Grammaire descriptive II

(Roma-B-304)

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1. Introduction

Le débat sur la féminisation des noms a traversé l’histoire par

l’intermédiaire des voix de grammairiens, de linguistes. Cependant, il s’agit

essentiellement d’une revendication de femmes. C’est à des époques différentes,

avec des moyens différents, que des femmes, de la linguiste à l’écrivaine, ont

œuvré pour une reconnaissance de leur statut dans la langue.

Dans ce travail, nous allons nous focaliser sur les personnages que sont

Hubertine Auclert, Benoîte Groult et Anne-Marie Houdebine-Gravaud. Nous

tenterons de mettre en évidence leur intérêt pour ce débat, ainsi que leurs actions

afin de souligner ce qui les rapproche et ce qui les éloigne les unes des autres.

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2. Hubertine Auclert

2.1. Biographie

Hubertine Auclert est née le 10 avril 1848 dans une famille dont les

valeurs étaient fondées sur celles des Lumières et de la République. Son milieu

familial éclairé lui a permis de devenir une féministe active dans un siècle où le

rôle des femmes était essentiellement celui de maîtresse de maison (Auba, 2007)1.

« Elle a été une des premières, des plus actives et des plus originales féministes»

(Auba, 2007).

En 1872, elle s’installe à Paris où elle rencontre les dirigeants de

l’Association pour les droits des femmes : Maria Deraismes et Léon Richer. Son

action fut déclenchée la même année par le premier grand meeting pour

l’émancipation des femmes françaises à Paris (Auba, 2007).

Hubertine Auclert a fondé le journal « La Citoyenne », qui parut pour la

première fois le 13 février 1881 et qui fut édité jusqu’en 1891. Dans ce journal,

elle plaide la cause des femmes. Elle est assistée par d’autres importantes

féministes de l’époque telles que Marie Bashkirtseff et Séverine (Daix, 23 janvier

2007).

L’essentiel, pour Hubertine Auclert, est d’obtenir le droit de vote pour les

femmes. En effet, elle estime que la détention de ce droit est la condition

indispensable pour résoudre les problèmes des femmes. Elle réclame également

que la moitié des sièges à la Chambre soit réservée aux femmes, car « aussi

longtemps qu’elles [les femmes] seront absentes de la législature, malheur à elles,

malheur aux femmes : elles seront sacrifiées » (Auclert, 8 mai 1881, cité par

Taïeb, 1982 : 115).

1 Les références des sites web sont notées au sein du texte sous la forme : nom de l'auteur et date

de la mise à jour. Les références complètes se trouvent dans la bibliographie, afin d'alléger la mise en page et de faciliter la lecture.

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Pour faire valoir les droits des femmes, elle a créé plusieurs sociétés: « La

société du droit des femmes » en 1876, qui prendra finalement le nom de

«Suffrage des femmes » en 1883, ainsi que « Le secrétariat des femmes » en 1892

(Auba, 2007).

Elle lutte quotidiennement pour améliorer la condition des femmes (Auba,

2007). Ainsi, elle demande le développement de l’instruction des filles (loi votée

par les Chambres), le régime de la séparation des biens (en 1883, la loi a autorisé

le divorce), l’obligation de mettre des sièges à disposition des vendeuses (adoptée

par le Parlement en 1900), le droit à la retraite pour les ménagères et le droit pour

les femmes d’élire les conseillers prud’hommes (ce qu’elle obtient en 1907 et en

1908 les femmes devinrent éligibles à ce conseil) (Auba, 2007). En 1910, elle se

présente illégalement aux élections législatives et recueille 590 voix sur 10 000

votants (Auba, 2007).

Elle meurt en 1914 sans avoir vu l’aboutissement de toutes ses luttes : la

loi autorisant les femmes à voter, à l’égal des hommes. « Jusqu’au bout elle aura

lutté pour que la femme soit élevée à la dignité de citoyenne » (Auba, 2007).

2.2. La féminisation

Dans le cadre de ses réclamations féministes, Hubertine Auclert appelle à

des changements dans la langue pour que la femme devienne, dans ce domaine

aussi, l’égale de l’homme. Ainsi elle estime que « la féminisation des noms de

notre langue importe plus que la réforme de l’orthographe » (Niedzwiecki, 2000 :

47). Elle ne se plaint pas uniquement du fait que les noms ne possèdent pas de

forme féminine, elle proteste aussi contre cette tradition qui veut que les femmes

portent le nom de leur mari et elle s’insurge contre « cette ridicule distinction

entre madame et mademoiselle» (Auba, 2007).

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Hubertine Auclert exprime à travers ses articles le fait que

« l’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée» (Auclert, 18 avril

1898, cité par Taïeb, 1982 : 16). En effet, « la féminisation de la langue est

urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la

femme, il n’y a pas de mots» (Auclert, 18 avril 1898, cité par Taïeb, 1982 : 16).

Les mœurs évoluent de telle manière que les fonctions, jusque là exercées par des

hommes, deviennent accessibles aux femmes, et il n’existe pas de mot pour les

désigner. « On ne sait pas si l’on doit dire : "une témoin ? Une électeure ou une

électrice ? Une avocat ou une avocate ? […]" En mettant au point la langue, on

rectifierait les usages, dans le sens de l’égalité des deux sexes» (Auclert, 18 avril

1898, cité par Taïeb 1982 : 17).

Elle invite les usagers à adopter la forme de leur choix pour féminiser un

mot qui n’avait, jusqu’alors, pas de féminin, pour l’ancrer dans la langue à force

de répétitions (Auclert, 18 avril 1898, cité par Taïeb, 1982 : 16).

Quand on lui propose de créer une Académie française des femmes,

Hubertine Auclert réplique que « mieux vaut pour les femmes forcer les portes de

l’Académie masculine que de créer une Académie rivale» (Auclert, 18 avril 1898,

cité par Taïeb, 1982 : 15).

« Une élite féminine pourrait […] constituer une Assemblée pour féminiser les mots de notre langue, rectifier et compléter le dictionnaire, faire enfin que le genre masculin ne soit plus regardé, dans la grammaire, comme le genre le plus noble »

(Auclert 18 avril 1898, cité par Taïeb 1982 : 16).

Étant donné que son combat est essentiellement axé sur les droits des

femmes, elle s’élève contre l’emploi essentiel du masculin dans le dictionnaire

parce que « l’omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu’on ne

croit à l’omission du féminin dans le code (côté des droits)» (Auclert, 18 avril

1898, cité par Taïeb, 1982 : 16).

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Nous remarquons ainsi que cette féministe de la fin du XIXe siècle fut une

des premières à proposer la féminisation de la langue avec, pour but, l’égalité des

sexes. Ses propositions et réclamations quant à la féminisation ne seront étudiées

qu’à partir de 1960 par des linguistes féministes (Niedzwiecki, 2000 : 74).

2.3. Concrètement

Hubertine Auclert a proposé de nouveaux mots, soit pour mettre hommes

et femmes sur un pied d’égalité, soit pour accuser la domination masculine. Elle

invente le mot gunéphage, créé sur antropophage : les hommes sont des mangeurs

de femmes (Auba 2007) et le terme composé « hommes-filles », désignant les

hommes qui occupent dans la société un métier qu’une femme pourrait exercer

(Auclert, 06 août, 3 septembre 1882, cité par Taïeb, 1982 : 53).

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3. Benoîte Groult

3.1. Biographie

Née à Paris en 1920, Benoîte Groult grandit dans un milieu bourgeois et

artistique : ses parents fréquentent des peintres et des écrivains tels que Picasso,

ou Paul Morand. Après des études classiques puis une Licence ès Lettres, latin,

grec et philologie, elle enseigne pendant trois ans avant de se tourner vers le

journalisme (ELLE, Marie-Claire) et l’écriture. En 1958, elle publie son premier

roman (Journal à quatre mains publié chez Grasset) en collaboration avec sa sœur

Flora (Annuaire au féminin mai 2007).

Peu après la révolution de 68, où « chaque femme s’était mise à espérer

que l’égalité allait enfin s’inscrire au quotidien […] » (Groult, novembre 2007),

elle prend conscience de la situation de la femme. Elle publie alors, en 1975, Ainsi

soit-elle, un essai sur la condition féminine, qui rencontre un immense succès et

sera traduit dans plusieurs langues. Son engagement se manifeste également par la

co-fondation, en 1978, d’un magazine féministe : F-Magazine et par la rédaction

de deux ouvrages retraçant les vies des féministes Olympe de Gouge (1985) et

Pauline Roland (1990) (Annuaire au féminin, mai 2007).

3.2. La féminisation

Nous sommes en 1984, lorsque Yvette Roudy, alors ministre des Droits de

la Femme, crée une commission de Terminologie chargée de la féminisation des

noms de métier, de titres et de fonctions. Benoîte Groult en sera la présidente

jusque 1986 (Ministère, 1998).

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Selon les termes du décret de 1984, cette commission a pour objectif, dans

le cadre de la féminisation, « d’apporter une légitimation des fonctions sociales et

des professions exercées par les femmes » (Ministère, 1998). La commission et

son travail furent vivement attaqués, notamment par l’Académie française, qui

empêcha l’adoption de ses recommandations (Dawes, 2003 : 197), mais aussi par

diverses personnalités de la vie culturelle. Il y eut ainsi des réactions telles que

celle de Dumézil, philologue et membre de l’Académie, s’exclamant : « à quand

Madame Mitterrande, Madame Fabia » (Le Nouvel Observateur, 7 septembre

1984, cité par Houdebine-Gravaud, 1999 : 45) ; ou plus récemment celle de

Beigbeder, écrivain et chroniqueur du magazine Lire, qui écrit « Je ne supporte

pas les "écrivaines", c'est physique. J'attrape une éruption cutanée dès que je lis ce

terme immonde qui envahit tranquillement toute la presse littéraire. » (Lire,

février 2005). En réponse à ces remarques, elle réplique :

On est consterné par l’ignorance ou la mauvaise foi de ceux (et celles) qui feignent de croire que cette "commission de précieuses ridicules" créée par la "cheftaine Roudy" (le Quotidien de Paris) pour "enjuponner le vocabulaire" (le Figaro-Magazine) va faire assaut de "clitocartie" (France-Soir) et susciter des mots absurdes tels que chefesse d’État,députrice ou majordame (Alain Gillot-Pétré dans Libération)

(Groult, Réponse à quarante messieurs-dames, cité par Dawes, 2003 : 201).

Au niveau de la langue, Benoîte Groult espère un changement dans la

position qu’occupe le féminin, et surtout elle prône une évolution des mentalités,

en particulier celles des femmes elles-mêmes : « Aucune institution, aucune loi,

aucun homme n’aideront les femmes à changer l’état de fait actuel. C’est à

chacune de celles qui se sentent concernées d’oser dire "Je suis une

écrivaine…une juge…une avocate"» (Groult, avril 1984). À elle d’ajouter que le

blocage ne se trouve pas dans les mots mais dans la tête des femmes qui

« semblent avoir intégré la notion d’infériorité congénitale de leur sexe » et qui

refusent de ne pas féminiser leur titre « pour ne pas ternir le prestige de la

profession » (Audet, mars 2001).

D’un point de vue pratique, elle souligne son penchant pour des mots

phonétiquement proches du masculin (écrivain-écrivaine), ils auront en effet

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moins de chance d’être dénigrés : docteure et non docteuse ou doctoresse, ou

auteure et non auteuse ou autrice. Elle constate malheureusement la

« dévalorisation qui frappe systématiquement le féminin, en occurrence le suffixe

en –esse. Les mots en –esse sont vaguement ridicules » (Groult, avril 1984). Il en

est de même avec les suffixes en –euse qui ne sont pas non plus valorisants et

rappellent des mots comme menteuse ou voleuse.

Sur le plan de l’expression, Benoîte Groult estime que la féminisation

simplifie la syntaxe, « tout est facile quand on emploie le féminin » (Groult, 1997-

1998, cité par Guilloton, 2007).

Un peu plus de dix ans après la première circulaire datant de 1986, elle

constate qu’en dépit des travaux de la commission, il existe un certain désordre

dans la féminisation des noms notamment au niveau des journaux. Certains

acceptent cette féminisation, d’autres restent plus conservateurs (Houssin, 1er

février 1997). Elle relève dans le Petit Larousse de 1995, qu’apparaissent pour la

première fois les termes la juge, la ministre et la sculptrice mais cela reste tout de

même très prudent. Par exemple, à la fin de l’article du mot ministre, nous

pouvons lire entre crochets : « s’emploie parfois au féminin dans la langue

familière : la ministre » (Houssin, 1er février 1997).

3.3. Concrètement

Après avoir travaillé pour la commission de féminisation des noms de

métiers, titres et fonctions, Benoîte Groult continue son combat en faveur du

féminisme et de la féminisation. Elle a notamment rédigé les préfaces des œuvres

de plusieurs linguistes (dont Patricia Niedzwiecki) et a appliqué les règles parues

dans la circulaire de 1986 dans ses propres écrits. Ainsi, elle publia l’article « Je

suis une écrivaine » paru dans Médias et langages (no. 19/20, avril 1984)

(Laubier, 1990 : 106-107). De même, elle participe à des émissions

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radiophoniques portant sur ce sujet (par exemple sur Radio-Canada, le 27

décembre 2006).

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4. Anne-Marie Houdebine-Gravaud

4.1. Biographie

Anne-Marie Houdebine-Gravaud, docteur ès Lettres et Sciences

Humaines, enseigne la linguistique générale et la sémiologie à l’Université Paris

Descartes, faculté des sciences humaines et sociales de la Sorbonne. Elle dirige

une équipe de recherche et un laboratoire. Elle anime donc un groupe d'une

quinzaine de doctorantes. Elle est également psychanalyste.2

C’est une des linguistes qui a travaillé en tant que telle pour la commission

de féminisation des noms de métiers, titres et fonctions avec Michèle Bourgoin,

Nina Catach, Edwige Khaznadar, André Martinet, Josette Rey-Debove et Jackie

Schön (Houdebine, 1998 : 12).

Elle est une des premières linguistes en France à s’être préoccupée de la

féminisation des noms de métiers (Houdebine, 1998 : 11). Cet intérêt pour la

féminisation a été déclenché lorsqu’en 1981 elle se voit adressée une carte où on

la nomme « professeure en visite », au Québec (Houdebine, 1992 : 153).

4.2. La féminisation

Avant de travailler pour la commission de féminisation des noms de

métiers, titres et fonctions, Anne-Marie Houdebine-Gravaud œuvrait déjà pour la

féminisation des noms du français. Elle proposait, pour conclure son rapport

d’une table ronde sur le sexisme et la langue (qui eut lieu le 6 mars 1983 à

Beaubourg), une stratégie de résistance à « l’occultation des femmes sous le genre

masculin » et de lutte contre « le sexisme des représentations véhiculées par les

2 Communication personnelle d’Anne-Marie Houdebine-Gravaud (courrier électronique)

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images et les discours » : l’emploi du féminin générique (Houdebine, 1992 : 154).

Quelques mois plus tard, Yvette Roudy, présente lors de l’exposé de ce

rapport, créait la commission de féminisation des noms de métiers, titres et

fonctions qu’allait présider Benoîte Groult (Houdebine, 1992 : 154).

Cette linguiste estime que le français est une langue vivante et que, dès

lors, il doit s’adapter aux évolutions des mœurs. Le fait de féminiser des noms fait

partie de ce travail d’actualisation du français. « C’est un droit des femmes (qu’on

leur récuse), que celui de se faire désigner comme le permet la langue »

(Houdebine, février 1999 : 11).

Aux détracteurs de la commission, qui souvent prônent l’immuabilité du

français, Anne-Marie Houdebine-Gravaud répond que le français est une koïné : il

s’est construit sur différentes langues, par différents emprunts et il n’est dès lors

pas un bien intouchable, mais une matière en mouvement qui doit s’enrichir et se

développer en permanence (Houdebine, 1998 : 12).

Toujours dans le cadre de la commission, Anne-Marie Houdebine-

Gravaud a adopté une méthode à la fois synchronique et diachronique : elle a

étudié les pratiques des usagers ainsi que celles des dictionnaires de différentes

époques et de romans historiques (Houdebine, 1998 : 12).

« L’entreprise de la commission constituait donc moins une transgression linguistique, qu’une prise en compte des usages et des possibilités du système de la langue française ainsi que de l’état de la société »

(Houdebine, 1992 : 156).

Elle remarque que la féminisation est possible grâce à la structure même

du français qui possède deux genres porteurs du trait sexe pour les animés et que

cette féminisation a été pratiquée à d’autres époques (Houdebine janvier 1987) et

« puisque ces genres existent structuralement, et qu’ils fonctionnent pour les animaux […], rien ne s’oppose […] à leur utilisation dans la féminisation des noms de métiers, qui permettra de faire apparaître […] les nouvelles fonctions des femmes […] dans la société contemporaine »

(Houdebine, janvier 1987).

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La place des femmes dans la société contemporaine est un des facteurs qui

poussent Anne-Marie Houdebine-Gravaud à travailler pour la féminisation. Ainsi,

elle déclare :

Au lieu de les masquer sous le masculin, la féminisation des noms de métiers fait apparaître les femmes comme êtres sociaux à part entière, et permet aux petites filles (comme aux grandes) de rêver à de nouvelles professions en entendant ces noms dans les paroles quotidiennes. Elle montre aussi que notre langue peut témoigner dans ses règles, dans son système et dans ses usages, de nouvelles réalités sociales. Et peut-être de nouvelles mentalités.

(Houdebine, 1998 : 15)

4.3. Concrètement

Les travaux de la commission ont finalement aboutis à une circulaire qui

parut en mars 1986, et non à un arrêté comme c’était prévu en février 1984. La

circulaire étant une proposition sans aucune réglementation juridique, les

linguistes n’ont fait qu’observer les changements dans l’usage sans contraindre les

usagers à les utiliser (Houdebine, 1998 : 25).

Anne-Marie Houdebine-Gravaud recommande d’éviter les formules telles

que « Madame le … » qui sont absurdes et propose, dans le cadre de la

commission, plusieurs règles (Houdebine, 1998 : 32).

On peut féminiser les noms de métiers :

· Règle 1 : De la manière la plus simple possible : en mettant l’article au

féminin devant le terme existant au masculin.

· Règle 2a : En utilisant un terme dérivé connu.

· Règle 2b : En utilisant un terme attesté.

· Règle 2c : En utilisant un terme aisément dérivable.

· Règle 2d : Pour les termes en –eur ou –teur : une féminisation minimale

avec usage du déterminant et forme stable,

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· Règle 2e : Pour les termes en –eur ou –teur : l’emploi de la dérivation à

partir du verbe de base si elle existe ou est simple à effectuer ou

l’utilisation d’un affixe qui entre dans une série reconnaissable (-eur / -

euse, -teur / -trice, etc.).

Dix ans après, elle remarque que « on relève toujours dans les usages

comme dans les attitudes, les incertitudes des sujets parlants » (Houdebine, 1998 :

33). Cependant, « la féminisation est constamment majoritaire […] » et

« l’ensemble des témoins, tous âges et milieux sociaux confondus, favorisent

l’épicénie, c'est-à-dire la stabilité des formes (règles 1, 2a) un ou une ministre,

journaliste, professeur ou la féminisation attestée, ou attestable par dérivation

(conductrice, règle 2b, 2c) (Houdebine, 1998 : 33).

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5. Conclusion

Après l’étude de ces trois figures importantes de la féminisation des noms,

on peut observer l’existence de liens entre elles. En effet, Hubertine Auclert est

citée par Benoîte Groult et par Anne-Marie Houdebine-Gravaud. Ces dernières

ont travaillé ensemble dans le cadre de la commission de féminisation des noms

de métiers, titres et fonctions.

Chacune a œuvré avec les moyens de son époque dans le but commun

d’établir une égalité entre l’homme et la femme au niveau de la reconnaissance

sociale. Hubertine Auclert a traité de la féminisation au travers des journaux

féministes dans un siècle où la femme n’avait pas de pouvoir dans la société.

Benoîte Groult a travaillé sur ce sujet via ses romans féministes, puis à travers la

commission de féminisation en supportant les insultes proférées par les esprits

conservateurs du français. Anne-Marie Houdebine-Gravaud a également apporté

sa contribution au débat par la commission de féminisation et par divers ouvrages.

Leurs approches sont cependant différentes : tandis qu’Hubertine Auclert

et Benoîte Groult font clairement ressentir l’enjeu féministe de la féminisation des

noms, c'est à travers ses yeux de linguiste qu'Anne-Marie Houdebine-Gravaud

examine cette lacune du langage.

Aujourd’hui, la féminisation de la langue est toujours un sujet sensible

mais les usagers du français ne se laissent plus dicter leur façon de parler par les

institutions qui régissent la langue et on entend de plus en plus « Madame La

ministre » ou « une avocate ».

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Bibliographie

Sources primaires

Monographies

AUCLERT Hubertine, 1982 (dép. légal), La citoyenne 1848-1914, préf. et notes d’Edith Taïeb, Paris, Syros (Coll. « Mémoire des femmes »), 134 p.

HOUDEBINE-GRAVAUD Anne-Marie, 1998, La féminisation des noms de métiers en français et dans d'autres langues, Paris, L'Harmattan, 198 p.

NIEDZWIECKI Patricia, 2000, Le langage au féminin. Les mots pour la dire, préf. de Benoîte Groult, Bruxelles, Labor, (Coll. « La Noria »), 189 p.

Articles

HOUDEBINE-GRAVAUD Anne-Marie, 1987, « Le français au féminin », La linguistique, 23/1, p. 13-34.

HOUDEBINE-GRAVAUD Anne-Marie, 1992, « Sur la féminisation des noms de métiers en français contemporain - Etat des lieux après la circulaire », Recherches Féministes, 5/1, p. 153-159.

HOUDEBINE-GRAVAUD Anne-Marie, 1999, « Sexisme et linguistique », Nouvelles Questions féministes, février 1999, p. 23-52.

Sources secondaires

Monographie

LAUBIER Claire, 1990, The condition of woman in France, 1945 to the present. A documentary anthology, London, J.E. Flower (Coll. Twentieth Century French texts), 200 p.

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Articles

BEIGBEDER Frédéric, 2005, « Mon premier article réac », Lire : Magazine des livres, 332 (février 2005), p. 10.

DAWES Elizabeth, 2003, « La féminisation des titres et fonctions dans la Francophonie, de la morphologie à l’idéologie », Ethnologies. Langue et culture, 25/2, p. 195-207.

Sites web

COSSIGNEUL Brigitte, Benoîte Groult, écrivaine, mai 2007 http://www.annuaire-au-feminin.net/bioGROULTbenoite.html, consulté le 16/12/2007.

AUBA Jean, Hubertine AUCLERT : Une féministe bourbonnaise, 2004, http://canalacademie.com/Hubertine-Auclert-une-féministe.html, consulté le 13/12/2007.

DAIX Elza, Femmes remarquables...Hubertine Auclert: Hubertine Auclert, une suffragette française, 23/01/2007, http://www.rosadoc.be/site/mainfr/nouveau/Pretacroquer/spot/auclert.htm, consulté le 13/12/2007.

GROULT Benoîte, 2007, Premiers chapitres : Ainsi soient-elles au XXIe siècle, novembre 2007, http://www.edition-grasset.fr/chapitres/ch_groult.htm, consulté le 16/12/2007.

GROULT Benoîte, Infolangue, hiver 1997-1998, cité par Noëlle Guilloton, « Ainsi est-elle », Dossier linguistique - Entrevue avec Benoîte Groult, 2007, http://www.olf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dossiers_linguistiques/entrevues/groult_nguilloton.html, consulté le 16/12/2007.

Ministère de la culture et de la communication de la République française, 1998, Le cadrage : esquisse historique et pratiques francophones, octobre 1998, http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/cogeter/feminisation/3cadrage.html, consulté le 14/12/2007