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12 Les Archives départementales de la Seine-Maritime conservent près de 65 km linéaires d’archives, tant publiques que privées. Ces collec- tions sont réparties physiquement sur trois sites : le pôle des Ar- chives historiques (site de Gram- mont) comprenant les archives anciennes et la majeure partie des séries modernes, le service ico- nographique, les archives privées (hors entreprises et syndicats) et la bibliothèque historique ; le pôle des Archives contemporaines et de la mémoire du quotidien (site de la Tour des Archives) assure la conservation d’une partie des séries modernes, des archives après 1940, de la presse ancienne, d’une biblio- thèque et du service des archives Justine LEDOUX Responsable des archives notariales au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime) Tabellions et notaires : l’état des collections et leur valorisation aux archives départementales de la Seine-Maritime Marie BLAISE-GROULT Responsable du service des collections et du développement scientifique au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime) Vue du pôle des Archives historiques des AD76 ©AD de la Seine-Maritime

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    Les Archives départementales de la Seine-Maritime conservent près de 65 km linéaires d’archives, tant publiques que privées. Ces collec-tions sont réparties physiquement sur trois sites : le pôle des Ar-chives historiques (site de Gram-mont) comprenant les archives anciennes et la majeure partie des séries modernes, le service ico-nographique, les archives privées (hors entreprises et syndicats) et la bibliothèque historique ; le pôle des Archives contemporaines et de la mémoire du quotidien (site de la Tour des Archives) assure la conservation d’une partie des séries modernes, des archives après 1940, de la presse ancienne, d’une biblio-thèque et du service des archives

    Justine LEDOUXResponsable des archives notariales au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime)

    Tabellions et notaires : l’état des collections et leur valorisation aux archives départementales de la Seine-Maritime

    Marie BLAISE-GROULTResponsable du service des collections et du développement scientifique au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime)

    Vue du pôle des Archives historiques des AD76 ©AD de la Seine-Maritime

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    Revue internationale d’histoire du notariat, octobre-décembre 2020, n° 205

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    orales, et enfin le centre des archives du travail et de l’architecture, situé à Darnétal, conserve les archives d’entreprises, de syndicats et d’architectes. Parmi ces collections, les Archives départementales de la Seine-Maritime conservent plus de 5 km linéaires d’archives notariales, représentant plus de 49 000 cotes, registres ou liasses. Le registre le plus ancien, issu du tabellionage de Rouen, date de 1360.

    I. L’état des collectionsIl existe 112 fonds d’études notariales pour le département, classés en sous-série 2 E. Une majorité de ces études notariales existent toujours, bien que certaines aient fusionné ou soient devenues des bureaux annexes à d’autres. Près de la moitié des fonds comportent des minutes collectées jusqu’à 1930, voire jusqu’à 1940. En revanche pour 23 fonds, on ne conserve encore actuellement que des minutes antérieures à 1900. Cette situation est appelée à évoluer dans les mois et années à venir, en fonction des prochaines collectes qui seront programmées. Le métrage collecté chaque année est variable en fonction du nombre d’études concernées et du volume qu’elles conservent. Ainsi, entre 2008 et 2018, c’est près d’1,1 km linéaires de minutes qui ont été collectées. On déplore cependant la disparition de certains fonds en raison de dommages de guerre, comme les deux études de Caudebec-en-Caux et celle de Blangy-sur-Bresle. Dans d’autres cas, le motif de destruction des minutes n’est pas toujours connu avec certitude comme pour l’étude de Fréville. Enfin, certains cas sont spécifiques comme une étude du Havre qui ne conserve aucune minute antérieure à 1894 de même que pour une étude de Neufchâtel qui comporte aussi des lacunes dès la fin du XIXe siècle.Les minutes notariales d’Ancien régime conservées aux Archives départementales de la Seine-Maritime proviennent essentiellement d’offices royaux. Des minutes apostoliques sont exceptionnellement conser-vées pour le comté d’Eu (1695-1729, 2 E 14 / 860-862), pour Montivilliers (1694-1755, 2 E 81/ 302-310) et pour Auffay (1694-1790, 2 E 16/1-11). L’une des spécificités des minutes notariales concerne les registres du tabellionage qui sont parmi les plus anciens des tabellionages normands, et plus généralement du nord de la France. Malgré des lacunes, ils forment un ensemble assez complet et volumineux (275 mètres linéaires en tout). Pour le tabellionage de Rouen, le premier registre conservé remonte à 1360 (cote 2 E 1/150, 1360-1363), sans

    Vue d’un des magasins dans lequel sont conservées les minutes notariales.

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  • 14Justine LEDOUX, responsable des archives notariales au pôle des archives historiques et

    Marie BLAISE-GROULT, responsable du service des collections et du développement scientifique au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime)

    que l’on sache avec certitude si les actes étaient enregistrés avant cette date. Il est probable que des registres antérieurs aient existé, sans parvenir jusqu’à nous. Les modifications qui ont eu lieu au cours du temps dans le fonctionnement du tabellionage de Rouen se sont traduites par la tenue de différentes séries de registres, et cela jusqu’à la suppression du tabellionage et la mise en place définitive en 1687 des douze études notariales de Rouen.

    Le classement des minutes reflète cette histoire, avec trois grandes sections principales, les Registres sur parchemin (1360-1587), les Meubles (1ère série, 1522 à 1628, et 2ème série, 1548 à 1648) et les Héritages (1ère série, 1519 à 1628, et 2ème série, 1548 à 1648), suivies à partir du XVIIe siècle par les minutes de plusieurs tabellions identifiés nommément et enfin par celles de la période de régie royale (1677-1687). Cette

    dernière période se distingue des autres seulement par un changement d’administration, dû à la suppression des tabellions par édit royal en juillet 1677 et à la création des 12 études notariales à Rouen. Cela provoqua la résistance des tabellions, entraînant alors le placement du notariat rouennais en régie par le pouvoir royal pendant dix ans.Les Registres sur parchemin couvrent la période de 1360 à 1587, avec quelques lacunes sur certaines années. Il s’agit vraisemblablement de minutes enregistrées après la rédaction des brouillons (non conservés) et pouvant servir ensuite à la délivrance des expéditions. On y trouve seulement des actes d’Héritages. La tenue des registres sur parchemin ayant subsisté jusqu’en 1587, on retrouve donc ces actes en double dans les deux séries suivantes d’Héritages, ce qui peut permettre de combler parfois certaines lacunes d’un côté comme de l’autre. Une série de registres sur parchemin de Meubles a peut-être existé sans toutefois avoir été conservée.

    Vue du folio 40 r° du registre le plus ancien conservé, 2E1/150.©AD de la Seine-Maritime

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    La 1ère série des Meubles et Héritages, constituée de minutes en papier sous forme de main-courantes, est une conséquence d’une ordonnance du Parlement de Rouen de 1519 sur l’organisation du tabellionage : les tabellions sont alors obligés de tenir des registres et non des feuilles volantes. On constate que les actes de la 2ème série des Meubles et Héritages sont diffé-rents de la 1ère série, ne faisant pas double emploi. Ces actes étaient souvent en feuillets reliés a posteriori ce

    qui peut s’expliquer par le fait qu’ils ont été probablement déposés chez le notaire pour enregistrement après leur ré-daction et signature.Les séries Meubles et Héritages se différencient globalement par les types d’actes qu’elles regroupent. La série Héritages concerne plutôt des contrats visant la transmission d’un pa-trimoine, souvent immobilier : ventes, héritages, mariages. La série Meubles rassemble entre autres des actes de prêts, des transactions commerciales, des contrats d’apprentissage. La distinction pourrait donc se faire entre actes perpétuels (conçus pour être valables à perpétuité, tels les contrats de mariage ou ventes) classés en Héritages, et actes non-perpé-tuels (actes dont le terme est déterminé, tels les baux ou obli-gations) classés en Meubles. Néanmoins, cette distinction n’est pas rigoureusement exacte, il existe de nombreuses exceptions, comme on peut le constater dans un premier temps en consultant les réper-toires.

    II. La mise à disposition de ces archivesAfin d’aider les lecteurs à retrouver les actes notariés recherchés, des instruments de recherche sont à leur disposition, en salle de lecture et en ligne sur le site Internet. Pour faciliter les recherches, un index alphabétique des noms de notaires et des lieux d’exercice a été

    Vue du premier folio d’un registre sur parchemin, 2E1/181.©AD de la Seine-Maritime

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    mis en place. Il renvoie pour chaque entrée aux cotes correspondantes dans les fonds des études notariales. Sa consultation est donc un préalable nécessaire pour bon nombre de lecteurs, particuliers comme profes-sionnels. En outre, il existe un inventaire pour chaque étude notariale (de 2 E 2 à 2 E 112), détaillant chro-nologiquement les minutes et répertoires conservés, avec leurs cotes. Le tabellionage de Rouen (2 E 1) dispose d’un inventaire particulier, de même que les tabellionages extérieurs à Rouen qui ont été regrou-pés sous la cote 2 E 14.En tête de chaque instrument de recherche, une synthèse permet de connaître la date du dernier versement réalisé, ainsi que la composition du fonds, minutes et répertoires avec les dates extrêmes. Une filiation des notaires de l’étude est ensuite présentée avant le détail, cote par cote. Des indications supplémentaires comme l’état physique de certains documents ou bien certaines lacunes sont également apportées.

    III. La valorisation de ces fondsUn travail de restauration et de numérisation est entrepris depuis plusieurs années maintenant avec un double objectif : permettre d’une part une conservation optimale des collections et d’autre part, garantir leur accès à distance. Une première phase a été réalisée entre 2012 et 2016 dans le cadre d’un programme de coopération européenne avec les Archives anglaises de l’East Sussex. Les archives notariales antérieures à 1600 ont ainsi été ciblées et ont bénéficié d’un large programme de restauration et de numérisation. Une seconde phase concernant les minutes des études du Havre et de ses environs pour les années 1687-1850 a été lancée à compter de 2016 jusqu’à cette année. Le cadre du marché actuel a permis d’initier le même travail pour les études de Rouen, pour les années 1800 à 1850 dans un premier temps. Enfin, l’ensemble des répertoires,

    toutes études et toutes périodes confondues, ont été restaurés si nécessaire et numérisés.Préalablement à ces différentes phases, un état des lieux précis des collections concernées est réalisé en amont. Outre un bilan physique, des compléments d’informations sont collectés lors des séances de travail. Cela permet dans certains cas d’affiner notre connaissance du fonctionnement des tabellions et notaires et peut amener à modifier les instruments de recherche. Les documents nécessitant des interventions sont restaurés, soit en interne, soit par des ateliers extérieurs. Les interventions sont volontairement minimalistes, visant à renforcer les

    Exemple d’une restauration permettant la manipulation du folio pour la numérisation, 2E1/150.

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    feuillets pour permettre leur manipulation lors de la numérisation. Ainsi, les reliures d’origine restent en place et seuls les registres nécessitant des interventions plus poussées sont déreliés. Dans ce cas, les éléments de l’ancienne reliure sont conservés car ils reflètent l’histoire du document et sont parfois constitués de morceaux de parchemin provenant d’autres registres. Les registres déreliés qui avaient une couvrure parchemin sont en général reliés à nouveau par le biais d’une reliure dite de conservation. Afin d’être numérisés, les registres sont tous examinés un à un, avant d’intégrer un lot pour envoi chez un prestataire. Il s’agit de vérifier que chaque document s’ouvre correctement, sans perte d’information liée à une reliure trop serrée, qu’aucun élément ne posera problème lors de la numérisation, et des mesures sont également réalisées. En effet, certains registres sont parfois trop volumineux et leur poids ne permet pas leur passage sur des stations de numérisation. Ainsi, deux documents du tabellionnage de Rouen dont l’épaisseur est supérieure à 30 cm sont en attente de prise de vue via un appareil sur statif. La prise de mesure permet également la réalisation de conditionnements adaptés. Plusieurs registres anciens du tabellionnage de Rouen ont été de la sorte replacés dans des boîtes sur mesure répondant aux normes de conservation en vigueur et spécifiques. L’ensemble de ces opérations monopolise les collections pendant plusieurs mois, rendant leur communication impossible. Les lecteurs sont donc informés des cotes concernées par les différents lots. Une fois la numérisation achevée et après le contrôle des vues, est mis au point le fichier d’indexation, indispensable pour les mettre en ligne et alimenter le moteur de recherche. Ces étapes nécessitent un travail de longue haleine. Une fois les images chargées sur les serveurs et les mises à jour effectuées, les registres sont accessibles sur Internet et sur le portail en salle de lecture (l’ensemble

    des documents numérisés, tous fonds confondus, sont en effet accessibles depuis le portail en salle de lecture alors que seuls des ensembles conséquents de documents de même nature, tels les registres paroissiaux et d’état-civil, ou les registres matricules, sont mis à disposition sur Internet. Dans le cas des notaires, les mêmes lots d’images sont disponibles tant sur Internet que sur le portail). Les documents originaux ne sont alors plus communiqués. En septembre 2019, le nombre d’images mises en ligne pour les notaires s’élevaient à 2 471 997 vues. Cela correspond à l’ensemble des registres de notaires antérieurs à 1600, aux minutes des notaires du Havre et de ses environs, pour la période 1687 à 1850, ainsi qu’aux répertoires.Deux moteurs de recherche permettent d’accéder aux vues numérisées à partir de notre site Internet (http://www.archivesdepartementales76.net) selon leur pro-venance. Il est possible de renseigner plusieurs champs comme le nom du notaire, le lieu de l’étude ou par période.

    Capture d’écran du site internet des AD76 permettant d’accéder aux vues numérisées.

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    Enfin, depuis deux ans maintenant, les minutes et répertoires peuvent être annotés par les internautes. Ce travail d’annotation collaborative permet d’alimenter une base nominative. Ainsi, le lecteur peut sélectionner la zone qu’il souhaite annoter et un formulaire dédié apparaît à l’écran avec les différents champs qu’il est possible de renseigner. La plateforme d’annotation des Archives départementales de la Seine-Maritime est conçue en interne par le service informatique du Département, et les formulaires sont adaptés selon la nature du document. Ainsi, pour un acte notarial concernant plusieurs personnes, il est possible de les renseigner une à une, sans restriction de nombre. Trois jours après leur saisie, les informations sont consultables sur le moteur de recherche et permettent ainsi de formuler une requête selon plusieurs critères. Le moteur recherche également les informations présentes dans les autres fonds ouverts à l’annotation, à savoir l’état-civil et les registres matricules. Malgré un travail engagé depuis plusieurs années maintenant, il reste encore beaucoup à faire pour traiter l’ensemble des archives notariales conservées en Seine-Maritime. Le développement des pratiques liées au numérique a permis d’engager un programme ambitieux de numérisation et de mise à disposition des images sur notre site. On ne peut que souhaiter que les actions se poursuivent dans les années à venir afin de pouvoir proposer un accès encore plus large aux actes notariés.

    Capture d’écran du moteur de recherche dédié aux notaires. ©AD de la Seine-Maritime

    Capture d’écran du masque de saisie pour l’annotation collaborative, exemple de l’annotation d’un répertoire.

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    Justine LEDOUX, responsable des archives notariales au pôle des archives historiques et Marie BLAISE-GROULT, responsable du service des collections et du développement scientifique

    au pôle des archives historiques (Archives départementales de la Seine-Maritime)