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CATHERINE ARBASSETTE Arste Plascienne BENOIT JEANTET Auteur

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CATHERINE ARBASSETTEArtiste Plasticienne

BENOIT JEANTET Auteur

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LIBERTE MONDE PERDU / VOYAGEMELANCOLIE / RECIT / SOLITUDEQUESTIONS / DEPART / JOURNAL INTIMERENCONTRES / SEJOURS / GRISLIBERTE.

FADE TO GREY,C’est l’histoire de quelqu’un qui part. C’est le récit de quelques aventures.C’est l’histoire de son questionnement.C’est le récit des rencontres imparfaites.

Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même. (Confucius)

Un voyageur est une espèce d’historien; son devoir est de raconter fidèlement ce qu’il a vu ou ce qu’il a entendu dire; il ne doit rien inventer, mais aussi il ne doit rien omettre. (Chateaubriand)

Peintures de Catherine Arbassette. Textes de Benoit Jeantet.

Technique: acrylique + encre de chine + glacis sur papierFormat: 30/40 cm, 40/30cm.Textes manuscrits

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Catherine Arbassette :

J’ai pensé il y a quelques temps à ces voyages que je ne fais jamais. Ceux que je transforme en pen-sées ennuyeuses ou mélancoliques. M’incruster dans des voyages que d’autres ont fait (ceux de Clément), poser sur des photos qui m’appartiennent mais qui ne correspondent à aucun voyage. Puis, raconter une histoire, refaire l’histoire, en faire la mienne. Ecrire l’histoire d’un voyage que je n’ai pas fait.

Ces voyages ont besoin de textes, je pense à Benoit. Souvent, je vois passer ses statuts sur un réseau social, et j’aime ce qu’il dit et comment il le dit.Je lui demande si il veut bien participer à ce projet. Sa réponse est si enthousiaste!

Je lui envoie alors les photos des 17 peintures, sans aucune contrainte si ce n’est la longueur des textes, sans aucun indice, sans aucune information, sans aucune indication. Il est libre d’écrire ce qu’il veut.Le résultat est là, il fait partie de la peinture, il est l’histoire.

Benoit Jeantet :

Pourquoi le travail de Catherine Arbassette m’a immédiatement donné envie d’entrer en dialogue avec lui. « Tu sais, les hommes frappent les portes à s’en briser les poings et c’est juste histoire de vous prou-ver qu’ils souffrent, qu’ils ont des scrupules. A présent je me moque un peu de tout ça. Rien que des poses. Du bruit. Du vent. A présent, tu sais, j’ai le visage bouffi et la peau blanche d’un vieux barman de nuit. Comme je regrette de ne pas t’avoir suivie. Oui mais j’ai toujours eu du mal à prendre les choses en mains. J’ai fait des tas de choix similaires avant. Oui mais j’étais plus jeune, avant. Il me faut raconter la suite de cette histoire. »

D’emblée le travail de Catherine Arbassette m’a saisi. Et c’est d’abord et c’est surtout parce qu’il m’apparaissait comme une anatomie sans fard de la mélancolie.

La mélancolie éternelle jadis surgie du gris. Alors j’ai voulu me glisser, modestement, entre les quelques « blancs » qui séparaient encore le monde des vivants, ce monde en sursis, de la noirceur inéluctable menaçant bientôt de tout ensevelir. Les textes qui accompagnent les toiles peuvent être perçus comme des espèces d’espaces qui tentent de faire écho, d’entrer en résonnance avec elles.

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FADE TO GREY

1. 3 novembre.2. 7 décembre.3. Lundi.4. Samedi.La nuit.5. Une zone grise devant un hangar.6. Dimanche.7. Mardi.8. Le destin n’est qu’une ligne tracée.9. 5 janvier.10. Ceci n’est pas censé être un journal.11. Lundi.12. Une autre partie du monde.13. Je ne suis pas folle.14. La terrasse. 6 juin.15. Vendredi.16. Prairie Wind. 6 avril.17. 8 mars.

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« 3 Novembre.

Nuit à peu près calme. L’heure du retour approche. Angoisses. Hier, la ville a fait semblant d’être triste. »

New- York. Oui. J’étais bien à New-York quand c’est arrivé. Je menais une vie solitaire et je crois que la raison à ce choix de vivre, non pas recluse, à l’écart de tout, mais seule avec soi-même et libre, surtout, libre d’avoir le monde entier pour me tenir compagnie et ça seulement quand j’en aurais envie, la raison à ce choix déli-béré et têtu, c’est que j’avais lu quelque part, ou alors entendu quelqu’un dire, que c’était l’ennui et la peur, l’ennui de vivre et la peur de mourir qui jetaient tout à coup les gens hors de leur chambre et les précipitaient les uns contre les autres, pour parler, s’interposer, plaindre le vide, meubler le silence, couvrir de bruits assourdissants ces sanglots qu’on ne parvient plus à étrangler quand le jour baisse.

Oui. J’étais bien à New-York. Voilà. Peu à peu, les choses me reviennent. Je menais une vie solitaire. Il me semble que j’étais heureuse de mener ce genre de vie-là, dans ce genre de ville-là. Il est clair que j’étais encore assez naïve.

Le genre, bien sur, ça n’existe pas. Je suppose qu’il ne reste plus aucune trace de la vie que je pouvais mener à New-York à cette époque-là. Au fond quelle importance.

Revenir jusqu’ici, j’ai fait ça sans réfléchir. J’étais assise au milieu d’un jardin pelé comme une vieille chienne. Et à part ça du vent. De la tristesse. Et cette envie qui revient vous gratter la tête. Et puis je me revois soudain grimper à l’arrière de ce camion. J’étais peut-être saoule. Groggy. Sonnée. Mais ce camion me ressemblait et à nouveau j’ai eu confiance. Ce camion était comme moi, gris de la poussière des routes. Et puis on a roulé. J’ai dormi. Et puis le ciel de New-York s’est mis à me peser sur le crane comme le couvercle gris-fer d’un jour sans soleil.

A quel moment me suis-je réveillée au milieu de cette séquence urbaine ?

Depuis quand suis-je à marcher dans cette ville où mes souvenirs ont sans doute commencé à pourrir ? Est-ce pour leur échapper, eux et leur odeur de pourri, que je baisse la tête ? New-York. Voilà. Ce ne sont pas les mensonges et les tricheries qui partent dans toutes les directions. Seulement des taxis et des voitures de police. Il n’y a aucun mirador. Aucune forteresse menaçante. Justes des édifices bancaires tenus au secret et des Palaces en plastique fondus au noir. J’ai rejoint le trottoir de l’ombre. Le flou a fait place nette. Je remonte le cours des évènements.

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« 7 décembre.

Projets de départ sans cesse remis au lendemain. Le temps existe. Il passe soit trop vite, soit trop lentement. Parfois, n’être qu’un emplacement publicitaire à louer. »

New-York.

Maintenant je me souviens. Qu’au début, qu’avant d’atterrir au beau milieu de tout ça, cette ruche bour-donnante de mémoires toutes neuves et de désirs inaboutis- cette décharge d’ambitions à ciel ouvert -cette mêlée de sang, d’acier, de verre et de merde, il y a eu l’envie soudaine-le besoin de tout quitter. Tout quitter-tout plaquer. Quitter ces gens-leur esprit paresseux qui faisaient semblant de ne plus me voir, de ne plus me reconnaitre. N’étant plus tout à fait la même, je devenais beaucoup trop différente.

A peine quelqu’un. Quelque chose comme un envahisseur caché. Tout quitter d’un coup sec. Le déni. Tout plaquer net. Leurs défiances. Quitter cette terre plate sur quoi le vent s’aiguisait comme une langue sadique sur une dent malade. Plaquer cette famille où les bons sentiments n’arrivaient même plus à s’abriter sous la lampe étroite. New-York. J’avais laissé derrière moi les corbeaux s’exciter après celle ou celui qui ferait sous peu une charogne idéale.

Maintenant je me souviens. Qu’au début, je voulais voir les canards. Les canards de Central Park. Que juste avant mon départ, j’avais lu et relu ce livre. Qu’à force j’en savais des extraits par coeur. Que l’extrait de ce livre qu’entre tous je préférais, précisément c’était celui où il était fait mention des canards de Central Park.

Les ai-je seulement aperçus au bout du compte ? Et sinon, avec qui me suis-je promené dans les allées de Central Park ? A moins qu’une fois encore j’ai fait ça toute seule ? Voilà. Je me souviens que si je tenais tant à mon existence solitaire, c’est parce que j’étais convaincue à l’époque- je le suis toujours- que tous les solitaires sont des subversifs. Je marche à coté de mes souvenirs. Suis-je à bonne distance et mes yeux perceront-ils enfin l’épaisse brume qui les entoure? J’en doute. A force de ressasser le passé, j’ai la tête lourde et le souffle me manque.

New-York.

Les contours de la ville recommencent à se tordre. A nouveau mon esprit se brouille. Mes angoisses sont –elles à l’origine de ces nuages noirs qui menacent, juste au dessus de moi ? Je vais continuer de raconter cette histoire. Tant pis si mes souvenirs tentent de m’échapper encore. Tant pis si cette ville m’est devenue tout à fait étrangère.

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« Lundi.

Soirée. Grisailles. Le monde semble assoupi sur sa fin de race. Il y a partout comme une carence d’énergie. Impression de plus en plus nette que ma vie a besoin qu’on la regarde bien en face. »

C’est très étrange, j’avoue, mais oui, je garde tout et tout ça me pèse toujours sur l’estomac- je ne jette rien ou presque des jours qui ont précédé mon premier départ puisque ces jours ont sonné comme une déli-vrance même si. Ma vie n’aura jamais consisté qu’à ça, dans le fond. L’errance. Plus tard, on pourra même en retracer les grandes lignes en posant son index sur une carte routière, un peu comme on s’amuserait à suivre une série de cicatrices sur le visage d’un vieil ami.

Tenir le compte exact des mauvais coups que la vie a infligé à vos proches, et si possible faire ça à leur place-à leur insu, voilà, je pense, la seule définition qui vaille de l’amitié. Mais passons. J’ai toujours vécu seule. Ma solitude, cette solitude-là, j’en ai décidé en pleine connaissance de cause. Parce que je souhaitais vivre libre. J’ai parfois payé cette soif de liberté au prix fort. J’ai été trompée. J’ai trompé à mon tour. Mais je ne regrette rien. Aujourd’hui, je vais la tête basse. Le visage las. Est-ce ça vieillir ? Ne plus faire de projet, employer ses dernières forces à tenter d’élucider les zones d’ombres de sa vie ? Ce visage, mon visage, s’est creusé au fil du temps. Les stigmates de toutes les joies, de toutes les souffrances récoltées ça et là sur la route, y sont inscrits-gravés à tout jamais. Preuve est faite que j’ai été de chaque combat, de chaque rencontre, de chaque aventure, que ma peau s’est frottée à tout ce qui fait le sel de l’existence.

Oui, j’ai saigné.

Ma vie, je la voulais toute éclaboussée d’écarlate et de mille encres vives. Concernant ce que j’ai pu faire-ce que j’ai pu vivre à New-York, il y a bel et bien un grand trou dans ma mémoire. Je garde tout, par contre, je garde tout de cette somme d’aigreurs, je garde ça précieusement, oui, je ne jette rien de cette période, juste avant que je m’en aille, que je parte loin d’ici où je vivais dans le malheur, où je souffrais parmi les ronces et les pierres. Loin du silence des églises. Loin de ce pays de profonde solitude, l’atroce solitude celle-là, qui consiste à vouloir l’amour avant la rencontre. Ce pays, je vais vous dire, c’était tout jonché de mousses sombres, de poussières noires et de détritus. Et sous le ciel couleur de terre, aucun autre choix possible à part ramper là-dessus d’un air coupable, pendant que tout le monde hurlait, crachait, chacun prisonnier de son face à face avec l’ombre.

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« Samedi. La nuit.

J’écris ces lignes comme on lance des chats. Sans savoir s’ils retomberont un jour sur leurs pattes. »

Avec le temps on espère un peu de sagesse. Je n’ai pas compris ou c’est tout comme, je n’ai rien senti ou presque, lorsque tout ça, ce flux bifide, ce fluide bizarre, loin de moi s’écoulait. C’est passé trop vite et puis j’étais tellement pressée de me courir après. Mais, maintenant, au moins je sais. Je sais au moins pour l’ombre sur certains trottoirs. Pour les façades grises où la lézarde vient quand elle veut.

Je sais au moins que la lézarde laisse passer l’ombre entre les bêtes. Toutes les bêtes. Les vivantes. Les bien-tôt mortes.

Je sais comment elle fait ça. Je sais pourquoi elle le fait.

Je sais aussi qu’elle sait. Qu’elle sait ménager l’intervalle pour que les murs sales, souillés d’anthracite et de suie, ces murs au pied de quoi les gueux rallongent leur journée pour eux toujours trop brève en pissant au long cours, pour que ces murs et leur odeur de voute, de cave, d’urine et de bois pourri, succèdent aux porches cossus, aux immeubles pur sang, pur sucre, pure souche et Saint Fiacre.

Je sais au moins pourquoi ces rues serpentent en pure perte, jusqu’au sommet du désespoir. Comment elles sont devenues bâtardes, comme on le dit des chiens, et comme on évoque ces filles perdues, ces chipies de poche pour moitié innocentes et à demi vampires, dont les petits pieds délicats reviennent mar-teler le monde sitôt qu’il fasse faim et pour peu qu’elles aient soif. Soif de sang tourné. D’un sang trop épais. Lourd de rancunes. D’un sang aigri. Acide comme un vinaigre.

Je sais au moins pourquoi ces filles ont appris par endroit à se glisser dans de plus amples façons de tragé-dienne.

Je sais, je le sais de source sure puisque moi aussi j’ai bu à même leurs gorges claires un peu de ce sang-là, je sais que la vie est pleine de lycée technique de garçons où quelques philosophes de cours privé vous enseignent beaucoup de choses totalement inutiles.

Je sais au moins comment elles s’y prennent, ces filles, pour faire croire aux plus désespérés, qu’il n’y a qu’un coup de langue-une main aux fesses, des bas fonds de l’Alfama jusqu’à la reconnaissance mondiale. Avec le temps on espère un peu de sagesse.

Je sais, c’est déjà ça, qu’une solitude plus une autre solitude, ça débouche presque toujours sur la somme de rien. Sauf si, dans un élan de soudaine inspiration, l’une des deux se décide enfin à tomber le masque. Ensuite seulement on commencerait à se parler.

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« Une zone grise devant un hangar. Un homme est en faction. Un autre vient à lui. »

- Et si on parlait un peu de la solitude…- Comment ça, la solitude ? - Oui. Justement. La solitude. Nous atteindrons bientôt l’âge limite, alors je me suis dit… - Dit quoi ?- Que ça fait longtemps que le toit de ce hangar doit fuir. Qu’en plus de ça, l’eau de pluie qui tombe sur ma tête, à force, ça me brûle. Les cheveux, le visage, les yeux, tout quoi. Que je n’en peux plus de ployer sous cette pluie. Et donc…- Par ici, vous savez, ne tombe que des pluies acides. On a du vous le dire et vous n’écoutiez pas. Personne n’écoute. Et puis si peu qu’on écoute, de toute manière, il reste toujours cet écart entre la fiction et le réel. Cet écart, aussi infime soit-il, cet écart aux parois quand bien même plus fines qu’une membrane, cet écart même pas une paroi, mais cet écart quand même quoi. Alors, de vous à moi, mieux vaut faire la sourde oreille. Oui, ça vaut mieux parfois. - Ah…- Vous n’êtes pas d’ici. Ça se voit tout de suite. - Personne n’est vraiment d’ici, il me semble. Ici c’est quoi, au juste, ça ressemble…- A une espèce de camp ? Voilà ce que vous vous dites. - Oui. Mais je n’osais pas parler de ça. On ne peut pas parler de ça. En tout cas pas comme ça. Pas aussi librement, c’est barbare. Je crois que parler de la barbarie…juste au sortir de la barbarie…c’est barbare. Jus-tement…- Nous n’en sommes pas encore sorti. Enfin, je parle pour moi. - Et la solitude donc…- Et quoi la solitude ? De quelle façon, d’abord, la solitude ? La solitude pourquoi ? A cause de qui ? Et d’ail-leurs, comment ça a commencé pour vous, cette affaire-là ?- J’ignore comment et même quand. Et si ça a même commencé. - La solitude, si vous voulez vraiment savoir, au départ, alors on pourrait croire que c’est le véhicule idéal pour les idées romantiques. - Alors qu’en définitive…- Allez donc vous chercher un masque et une tenue un peu plus adéquate. La solitude, c’est assez toxique, vous allez vite vous en rendre compte. Et puis on ne peut pas jouer si on ne joue pas.

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« Dimanche.

Un dimanche où c’est soudain devenu plus facile de venir à bout des opinions. »

Déclic ? Révélation ? Quoi d’autre ?

Je ne connais pas le nom exact que l’on donne à ça, mais j’aime. J’aime surtout l’effet immédiat– la chose inédite-le sentiment nouveau, tout ça qui se cache juste derrière le nom, tout ça, ces trois trucs, couplet-contrepoint-refrain, ces trois trucs qui tour à tour se reniflent, s’associent puis finalement se repoussent, ce déclic-cette révélation- cet on ne sait quoi, tapis dans son trou de bête, ou alors en arrêt-les muscles figés nets, comme un chien au pied de la lettre, et quelque fois, aussi, embusqué à l’abri de la dernière syllabe, tout ça attendant que le gros de la troupe à vue d’œil s’amenuise et tant pis les heures que ça prendra, tant pis le temps que ça va mettre.

Tant pis. Tant pis.

Le sens, depuis qu’avec le jour qui baisse des mains obscures poussent leurs drôles de pierres afin de fortifier les derniers bastions de la nuit, le sens, par-dessus tout, ça sait attendre. C’est un animal craintif, le sens. C’est cet animal qui a coutume de sortir de l’ombre une fois dissipées une par une les dernières impatiences.

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« Mardi.

Le froid est âpre et je suis transie. Mon cœur déborde pourtant d’une joie toute neuve. Envie de célébrer cette journée qui s’avance comme s’il s’agissait déjà d’un évènement important dans ma vie. »

Il suffit de peu de choses. Toi, ma fille, il t’aura suffit d’une pièce de théâtre. Un truc simple, au fond, le théâtre. Un truc simple qui s’adresse à des cœurs simples. Tu parles. Je te réponds. Il suffit de peu de chose. La rumeur de la pluie sur un trottoir où vous n’aviez jamais marché comme ça, aupa-ravant. Le cri d’une femme ou celui d’un enfant. Le cri des faibles, peu importe qui, de quelqu’un qui sait, avant même de naitre, ce que souffrir en silence signifie. Un cri à peine audible. Tellement que les autres ne l’entendent jamais ou presque. Prêter tant soit peu l’oreille à des cris semblables, de toute manière, vous n’y pensez pas. Il n’en est pas question. Ne soyez pas sotte, voyons, mademoiselle. Et puisque vous ne semblez plus pouvoir tenir en place, alors partez ! De grâce, maintenant, partez ! Et cessez donc de fixer ce hangar !

Tout ce que ça vous rappelle, ce sont vos jeux d’enfants, vos cachettes de jeunes gens avides mais encore timides rien qu’à l’idée de s’étendre sur l’herbe des nuits en charmant l’ombre et les fleurs de ruines. Partez ! Ici, nous haïssons votre satanée jeunesse. Bonne qu’à ça : jouer aux petites mortes en secret en fermant les yeux au vent de la nostalgie. Propre à rien d’autre à part trôner au royaume des affects. Partez ! Ici, on vous maudit. Comme on maudit ce hangar-votre cher hangar, qui, de toute façon, est promis à une démolition prochaine. Pas trop tôt. Il était temps. Ici, mademoiselle, nous voulons oublier. Tout oublier. Oublier qu’il n’y a pas si longtemps, peut-être l’ignorez-vous, oui vous l’ignorez sans doute, trop occupée à entretenir le feu de votre belle et si importante jeunesse, oui, oublier que ce maudit hangar a été le théâtre, oui le théâtre, justement, des pires horreurs, des pires tortures, des pires trafics et des pires exactions. Oh mais allez-y ! Fixez-le bien, mademoiselle. Bientôt il ne se dressera plus entre nous et notre culpabilité. Oui. Bientôt…

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Le destin n’est qu’une ligne tracée Dans le premier regard Et parfois dans ce regard la nuit s’attarde Alors la nuit est tiède et elle sent le feuillage Alors la nuit a l’air fragile il fait froid et ses osFont un poids léger sur la neige Alors le vent se lève depuis l’est vers la mer Le vent secoue les torches Le vent n’en finit pas d’accompagner les feuilles Il claque dans les voiles comme un reproche Pèse le pour pèse le contre Et surtout il prend soin de mettre la colère et la haine dans la balance Oui mais toi Tu as peur Tandis qu’un cirque passe Paresseux il s’écoule dans le fil de brume Et l’eau sombre de la nuit Oui mais toi tu dirais une péniche Repartie pour nulle part S’échouer en cale sèche Oui mais toi tu sais que C’est mal de regarder le monde Derrière les vitres de l’abribus Oui mais toi / Tu voudrais tant tu as envie De t’échapper d’ici en profitant du vent A la faveur du cirque Oui mais toi On t’a surtout dit que Qui couche avec des chiens risque d’attraper des puces Et puis il y a cette fille et à son bras un oiseau s’impatiente Mi colombe mi charognard Et tu sais que cet oiseau-cette fille Reviendront un soir Cogner du bout de l’aile Et qu’après ça toi aussi tu voleras à leur suite Puisque c’est la nuit parait-il qu’il faut croire Croire à la lumièreCroire à l’oiseau bleu et à la belle aux cheveux d’or Y croire au moins jusqu’à l’autoroute.

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« 5 janvier.

L’amitié est un pèlerinage. M’ont manqué hier, par ordre de grandeur : 1) la caresse du vent dans les herbes. 2)Le bruissement des cascades. Je reste seule. Mystérieuse. Secrète. Sans doute un peu trop pudique. »

Il y a quelques années de cela, la moindre envie de fugue était somme toute assez facile à satisfaire. Suffisait qu’un cirque passe. Ou bien des trimardeurs, de ces hobos comme on dit, vous savez, ces clochards célestes à l’errance chevillée pour toujours à leur cœur de ferroviaire. Ou, plus simplement, n’importe quel être jeté sur les routes par la nécessité de survivre, le hasard de la vie ou le gout de l’aventure. Ou du reste pour tout autre motif avouable ou non. Et voilà qu’alors on trouvait moyen de quitter son enfance, comme ça, ni vu ni connu, à la sauvette. Qu’à l’appel tendre de la route on saisissait enfin la chance de courir après soi. Il y a quelques années de cela, les choses en la matière paraissaient beaucoup plus simples.

Aujourd’hui, personne ou presque ne passe plus nulle part. Les gens, importants ou pas, les villes, grandes ou moyennes, les vies, minuscules ou bien, tout ça n’aime pas trop qu’on le traverse. Alors c’est partout-pour tout le monde à peu près pareil l’habitude prise d’étouffer nos vieilles pulsions nomades sous ces souhaits un peu ridicules de petits propriétaires. Et pourtant. Un brasier tout soudain a déchiré mon cœur. Et moi qui me croyais bien à l’abri des brumes fades et de mon confort trop tranquille, un jour alors j’ai pris le sac et la cendre. J’ai serré mes lacets. J’ai mis ma maison en vente.

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« Ceci n’est pas censé être un journal et je doute fort que ça te parvienne un jour, mais je l’écris quand même puisque il me faut raconter cette histoire. »

Dans ma mémoire embrouillée flottent des lambeaux du passé. Le passé, vous savez, c’est cette vieille connaissance qu’on a fini par perdre de vue. C’est comme si les mois et les jours s’étaient écoulés et qu’on ait bientôt plus eu aucune nouvelle. Alors le souvenir de cette vieille connaissance a fini par se dissiper. Par se diluer. Tout ou presque est soluble dans l’oubli. Le passé ça peut aussi revenir vous tourmenter à la façon des fantômes. Un jour, bien des années après, on tombe sur une vieille valise au fond d’un placard.

Que fait-elle ici ? A qui appartient-elle, d’abord, puisqu’on ne la reconnait pas ? Et aussi quand et, surtout, qui a bien pu la mettre là ? Et puis pourquoi ? Comment ?

Cette valise alors on l’ouvre. On l’ouvre, comme ça, sans hésiter, d’un coup sec. Le passé ne tarde pas à vous sauter à la gorge. La valise, peu à peu, ça y est, les souvenirs remontent du plus loin de l’oubli, c’est cette fille qui me l’avait confiée. Oui c’est fille, cette fille que j’avais aperçue, un peu hébétée au milieu des voyageurs et des badauds de cir-constances égarée dans le labyrinthe de la salle des pas perdus. Cette fille qui marchait avec l’air paniqué de ceux qui cherchent à échapper à une menace qu’ils sentent constamment sur leurs talons. Oui c’est bien cette fille qui me l’a confiée, cette valise. Un peu à la va vite, du reste. Et même que tout ça a eu lieu sur le quai de l’ancienne gare aujourd’hui à l’abandon. Et même que ça ressemblait à la scène d’un vieux film d’espionnage en noir et blanc. Mais oui.

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« Lundi.

Une nuit avec un gout sucré de pomme sauvage. J’ai regardé par la fenêtre. Peut-être que tout était dit. Peut-être que tout était là. »

Le jour où j’ai décidé de partir, d’abord tu dormais. La neige a fondu en larmes. Et puis quand tu as rouvert les yeux, il y a eu ce parfum de fleurs tombées.

Le jour où j’ai décidé de partir, c’était un lundi. La veille, tu as voulu me confier un secret- ta dernière décou-verte. La veille, tu m’as dit qu’il suffisait d’arriver sain et sauf jusqu’au Mardi pour que la semaine passe plus vite.

Le jour où j’ai décidé de partir, nous étions comme deux frères. Non. Comme deux sœurs. Non. Nous étions presque comme mari et femme. Non. Nous étions tellement plus que ça.

Le jour où j’ai décidé de partir, j’ai voulu revoir le seul endroit d’ici que j’ai jamais aimé. Le seul endroit d’ici que j’ai même aimé d’un amour tendre. La foret de bois noirs qui borde les quartiers de l’ouest. Oui. J’ai tou-jours éprouvé une forme de soulagement en face de cette foret. Cette foret de bois noirs où les autres avaient trop peur de s’enfoncer. Parce qu’ils lui trouvaient un air lugubre et des façons très hostiles. Moi, j’ai toujours aimé que ce soit une foret hérissée de ronces, justement. Une foret, justement, qui puisse me servir d’abri. Me servir d’abri à chaque fois qu’il me fallait échapper à leur chasse sauvage. Qui puisse, oui justement, se dresser entre moi et les violences masculines- cette soif éternelle de conquête qui leur vient parfois au cœur parce que l’ennui les pousse à cet acte qui va trop vite-ce geste rapide et excitant de prendre qui gouverne leur vie-cette maladie mortelle qui les tue sans réfléchir. J’ai toujours aimé-j’ai toujours apprécié de pouvoir trouver refuge sous ces arbres. De m’étendre auprès de leurs racines amères. De découvrir que mon ennui était unique.

Et que je pouvais, moi aussi, retirer des jouissances solitaires de cet ennui unique.

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« Une autre partie du monde. Deux sortes d’hommes peuplent cette partie-là du monde. Ceux qui se demandent encore pourquoi. Ceux qui répondent toujours parce que. »

-On m’a dit de m’adresser à vous, Monsieur. Vous comprenez. Que vous étiez même la seule personne capable de me renseigner. Monsieur ?

- Qui vous l’a dit ? Ne voyez-vous pas que nous sommes seuls, ici. Oui. Tout seuls. Et puis vous renseigner à propos de quoi, d’abord ?

-Et bien à propos de cette autoroute. Où conduit-t-elle, pour commencer ?

-Dans ce cas la fin est le commencement. Cette autoroute, c’est terminé. Elle est au bout de la ligne, vous comprenez, cette autoroute. Elle ne mène à rien. Nous sommes au milieu d’un grand nulle part.

-Enfin, Monsieur…C’est assez dur à croire….surtout qu’elle n’a pas l’air habituel des choses qui ne servent plus.

-C’est parce qu’on me paye pour la maintenir en état. C’est tout. L’entretenir juste ce qu’il faut, le temps qu’il faut. Pour les visites, enfin vous savez bien. Quand il y en a.

- Des visites ? Beaucoup ?

-Vous êtes le premier visiteur depuis six mois.

-Et depuis quand ça se visite, les autoroutes ?-Pas les autoroutes. Cette autoroute.

-Et qu’est-ce qu’elle a de tellement remarquable ?

-lL y a bien des années de cela, c’était même il y a fort-fort longtemps, à l’époque où les gens se sont mis à construire des autoroutes pour faciliter l’invasion de leurs voisins, il y avait deux églises-deux grands par-tis-deux courants de pensées, deux blocs tellement opposés qu’ils en sont venus à se faire une guerre sans merci. Ah oui, dernière chose. Cette autoroute servait de frontière entre les deux blocs. Et sachez que deux immenses fosses communes, deux fosses communes de près de 400 km chacune, longent cette autoroute, mon autoroute.

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Je ne suis pas folle Mais non C’est juste que je me trompe beaucoup La vie est un petit luxe triste Mais non je ne veux pas je refuse d’entrer Dans cet hôpital Parce que c’est comme si soudain la vie doutait de vous Je n’ai pas mal Pas au point de laisser aller mes larmes A toutes les eaux du mondeJe refuse qu’on m’interne avec les Vieux les parias de la république invisible les fousQui veulent vous apprendre à faire danser les raisins secs Et ça s’entend d’ici leurs sentences monotonesLa vie, c’est du saut d’obstacle T’as beau prendre ton élan pour mieux sauter c’est souvent que Tu buttes sur la barrière Le manque de quelqu’un De quelque chose le manque Qu’on ne peut pas comblerAu moins ça aide Ça aide à se construire de beaux souvenirs L’important dans la vie, c’est ce qui manqueMême si on s’arrache le foie Même quand on voudrait s’éclater la rate Même quand la vie c’est rien que du bruit dont on se détourne Même quand on est triste et qu’on se dit Décidemment je ne fais rien comme il fautNon Je refuse je n’irai pas dans cet hôpital Leurs blessures de soldat de plomb, ça casse l’ambianceQu’on me laisse vivre avec mes crises d’angoisse.

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« Je sais que tu as pris plaisir à ton voyage. Du moins je l’espère. Souvent les choses se passent comme ça quand sur un coup de tête on décide de partir juste pour l’aventure et les sensations. Je me demande dans quelles mains ces pages finiront par tomber. Au fond, peu importe. Je vais continuer à raconter cette histoire. »

La terrasse. 6 juin .

Avons-nous engagé la conversation en terrasse de ce café qui assurait un service continu ? Y était-elle déjà pour quelque chose si je me suis mis en colère après ce type et son gros cigare. Toujours est-il que je me revois encore lui dire: « Enfin. Ne lui faites pas respirer votre fumée. » Il me semble qu’elle aussi sortait de l’hôpital. Moi je venais de passer mon après-midi aux urgences. C’était à la suite d’une nouvelle crise d’angoisse.

Quelle heure pouvait-il être ? 22 ? Plus tard qui sait ?

Pourtant dans mon souvenir, ce n’est pas vraiment la nuit. Ou alors une nuit qui achèverait de se vider les poches. Ce n’est pas vraiment le jour, non plus. Ou bien c’est le jour quand il s’est lancé comme un perdu dans la mauvaise direction. Non. Dans mon souvenir, voilà, c’est l’aube. Oui. L’aube. Lorsque la vie s’annonce à la lisière de l’horizon. Et qu’après avoir connu la mort dans les nuages, l’horizon s’est retrouvé derrière la mer, éparpillé pire qu’une poignée de seigle.

D’ailleurs n’était-ce pas plutôt sur la lande, la première fois que nous nous sommes parlé? Mais oui. Je la revois qui marche sous le vent. Et sa façon de tourner le dos à la mer. Elle était sortie de la brume. En lambeaux. Tel un fantôme. Jusqu’ici j’avais vécu une existence morne et ennuyeuse et ce que j’avais pu faire d’intéressant, je ne voulais pas en parler. Et il aura fallu que cette fille se soulève un peu de terre comme une brume, juste avant le silence des landes quand les chasseurs sont dessus. Il aura suffit que je tombe sur cette fille comme on croise la route d’une balle perdue. Oui. Voilà. C’était sur la lande.

Quand ça n’allait pas, quand ça cafouillait un peu à la direction, peut-être qu’elle allait, elle-aussi, marcher sans but sur la lande. Qu’elle y allait à l’heure où l’aurore porte son joli voile de brume. Cette heure où il est encore possible de tourner le dos à la mer.

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« Vendredi. Vers 9h. L’air pince rudement. Il fait très froid. Repensé toute la nuit à cette phrase : en voulant effacer ses traces, on les multiplie souvent. »

Quand je suis montée dans ce train, je l’ai fait comme on décide de prendre un marteau pour se taper sur les doigts. J’avais tiré une enveloppe au hasard et je me demandais si elle allait contenir la bonne aventure. Rien. Ni personne. Même pas ça à fuir. Seulement envie de faire avec mon ombre de grandes images chan-geantes sur la terre des chemins. En montant dans ce train, j’avoue, je souhaitais me perdre dans l’anonymat d’un idéal simplifié. Me perdre dans les méandres de ces villages peuplés de mobil home, tu sais, lorsqu’on accepte de partager sa vie avec son désespoir et que chaque soir on s’en revient à la maison en trainant la savate après lui. Et qu’il y a comme une fatalité érotique dans l’air. Tout ça qui fait qu’on commence à pétrir sa vie comme une pate molle.

Quand je suis montée dans ce train, j’ignorais que j’allais croiser tous ces gens. Tous ces gens à la fois bizarres et merveilleux. J’ignorais jusqu’à quel point les voyages vous défont. Vous détricotent. Et, finalement, vous rhabillent avec des fringues un peu plus adéquates, des vêtements « d’avantage faits pour par là. » Au contact de ces voyageurs qui savaient tous qu’avant de commencer à vivre, il faut déjà avoir appris à mourir, au bout d’un moment, j’ai fini par comprendre pourquoi j’avais eu raison de partir et aussi, et surtout, dans quelle mesure, si j’étais restée là-bas à attendre que mes angoisses se dissipent, à regarder passer ma vie en vidant des caisses de bière, j’aurais fini éclaboussée à mon tour par le scandale de ma solitude.

Quand je suis montée dans ce train, j’ignorais que c’était un train qui marchait encore à la vapeur. Le genre de trains qui s’arrêtaient de temps à autre pour s’alimenter en eau. J’ignorais que j’allais choisir de descendre au cours d’un de ces arrêts. Et que cet arrêt était le dernier avant-poste avant l’inconnu.

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« Tu sais, les hommes frappent les portes à s’en briser les poings et c’est juste histoire de vous prouver qu’ils souffrent, qu’ils ont des scrupules. A présent je me moque un peu de tout ça. Rien que des poses. Du bruit. Du vent. A présent, tu sais, j’ai le visage bouffi et la peau blanche d’un vieux barman de nuit. Comme je regrette de ne pas t’avoir suivie. Oui mais j’ai toujours eu du mal à prendre les choses en mains. J’ai fait des tas de choix similaires avant. Oui mais j’étais plus jeune, avant. Il me faut raconter la suite de cette histoire. »

Prairie Wind. 6 Avril.

C’était il n’y a pas si longtemps. C’était juste avant de quitter les sentiers salissants mais un peu trop faciles de la jeunesse. Juste avant de rebattre la carte du tendre. C’était juste en sortant du vestiaire de l’enfance. C’était à une époque où tout ce qui importait, voilà, c’était ça : jouer. Juste ça. Jouer et rien d’autre. N’im-porte où. N’importe comment. Jouer. Nous déporter vers la première aire de jeu disponible. N’importe quel terrain de sport. Oui. C’était il n’y a pas si longtemps. Voilà.

Chaque matin s’annonçait à peu près comme suit. D’un coté Dieu ouvrait la fenêtre. Le diable la refermait de l’autre. Chaque matin s’annonçait en cinémascope. A cette époque, le matin respirait encore après que le réveil ait fini de sonner. Le matin s’amenait même en courant. C’était pour lui la seule façon de ne pas perdre l’équilibre. Et c’est mollement que l’adolescence s’étirait les viandes au soleil. Et c’est alors que, sans qu’on s’en rende vraiment compte, le soleil s’est mis à déteindre. Et c’est alors que, nées au creux de nos estomacs, remontant avec patience comme une bile, de drôles de questions ont soudain agité nos lèvres.

Pourquoi étions-nous des enfants si gras ?Pourquoi jamais personne n’exprimait la vérité toute entière ?Pourquoi avions-nous l’impression que la vie ça avait toujours consisté à se balader la braguette ouverte ?Pourquoi la nuit risquait-elle de se faire violer à toute heure du jour ?Pourquoi les filles du quartier semblaient toutes avoir traversé leur saloperie d’enfance avec une peluche à la tête déchiquetée par le souffle d’une roquette ?

Pourquoi avait-on l’étrange pressentiment que bientôt, très bientôt, on nous enverrait au sous-sol pour subir le tourment de tout un tas d’appareils de torture aux mécanismes très complexes ?Pourquoi savions-nous déjà que la vie allait filer de plus en plus vite en nous confrontant à des choses de plus en plus graves ?Pourquoi devrait-on économiser les dix ans de maintenant en prévision des dix ans à venir ? Pourquoi les garçons trichaient-ils ?Pourquoi les filles avaient-elles appris à faire semblant ?Pourquoi la rapidité de la première relation sexuelle avait-elle un impact sur la manière dont on allait, long-temps après, percevoir la qualité du couple ?Pourquoi certains et pas d’autres se sentiraient-ils très tôt l’obligation de tenir certaines promesses, comme celle d’éparpiller les cendres de leurs ex juste au-dessus du puits que leur perte avait commencé de creuser comme un acide dans leurs âmes ?Pourquoi les cafés de la jeunesse perdue étaient-ils, tous plus ou moins, des nids d’espions déguisés en boite de fruits confits ? Pourquoi les grenouilles étaient-elles satisfaites de se partager tous les nénuphars de l’étang, tandis que, sous l’eau, une inquiétante créature frayait avec nos fantasmes les plus troubles ?Pourquoi, alors qu’on était tellement hardi au pays du vent, oui pourquoi se mettait-on, du jour au lende-main, à discuter politique avec nos lauriers sauce ?Pourquoi faudrait-il absolument qu’on mette sur pied notre petite tour de France en cornet de glace ?Pourquoi la vie et tout son fourbi élastique finirait-elle par nous péter à la gueule ?

Oui. Voilà. C’était il n’y a pas si longtemps. C’était juste avant de quitter les sentiers salissants mais un peu trop faciles de la jeunesse. Juste avant de rebattre la carte du tendre. C’était juste en sortant du vestiaire de l’enfance. C’était à une époque où tout ce qui importait, voilà, c’était ça : jouer. Là que tout à coup une pré-sence a fait tache dans le tableau. Et c’est là qu’on a aperçu cette fille qui errait sur tous les terrains de sport de notre jeunesse. Elle ressemblait à un fantôme. Et là, tout à coup, les couleurs du jour se sont enfoncées dans la profondeur de la nuit. Alors il a bien fallu commencer à rendre des comptes.

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« 8 Mars. Journée claire dans l’ensemble. Le soleil a mis du temps à percer mais maintenant il perce. Le soleil perce les nuages de part en part. Je lève les yeux au ciel. Le soleil sèche la terre. Sensation de marcher sur un tapis de nuages. Je sèche mes larmes. Le monde est toujours du coté de ceux qui vont debout. Lassitude. J’ai envie de me reposer un peu. »

Combien de litres d’eau faut-il au juste pour remplir le ciel?

Pendant que j’étais sur les routes, je me suis souvent posée cette question. Et là je sens bien que j’arrive au bout. Au bout de ma route. Et je sais que cette question va devoir rester sans réponse. Parce qu’il y a des questions qui doivent rester des questions, sans quoi plus rien n’avance. Je crois que la vérité, ça marche quand c’est un peu la fable de tout le monde. Et que sous l’habit de l’astuce, il vaut toujours mieux se taire que de chercher à avoir raison, comme ça, absolument. Oui se taire et tacher de faire d’un triste repas une expérience mémorable. Je crois que si j’ai tellement eu envie de partir, c’est que personne, je dis bien per-sonne, ne peut vivre trop longtemps dans l’attente.

Je crois, j’en suis sûre, qu’en bougeant tant soit peu les lignes, alors on remet nos vies dans le sens d’une voie autrement plus royale. Je crois que, je m’avance peut-être mais je m’avance désormais en pleine connais-sance de cause, oui, je crois que quitter un monde devenu tranquille à mourir, monter dans le premier train sans même savoir vaguement où il va, je crois que, descendre de ce train à l’endroit le plus inhospitalier possible, à l’endroit où nous sommes sans doute en présence d’une nouvelle définition du mot solitude, je crois au fond que c’est exactement ça, vivre. Vivre ça doit être comme de lancer des chats. Comme croire en la majesté du vice.

On est jamais là où on devrait être. Au terme de ma route, au moins ai-je appris ça. Et aussi que nous ne sommes que des gouttes d’eau, des gouttelettes ridicules déversées ça et là au hasard de ce monde. Une goutte d’eau, pour peu qu’elle se mette en mouvement, ça finit toujours par retrouver la rivière. La route m’a beaucoup coutée. A de multiples reprises, j’ai été contrainte de puiser encore plus loin que le simple au-delà de mes forces. Mais tout cela me parait si loin. Et à présent je suis assise. Je fais face à l’horizon. Les ruines d’une ville dansent une dernière fois avant de se perdre dans le néant et le passé le plus flou. Je sens bien que la dernière chose d’extraordinaire qui pourrait m’arriver, c’est mourir.

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PRESENTATION DES OEUVRES

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Catherine Arbassette / Artiste Plasticienne

J’aime fumer des cigarettes, ou j’arrive pas à arrêter, au choix. J’aime boire du champagne bien frais, du bon champagne, mais le champagne ne m’aime pas. J’ai découvert le Cosmo il y a peu et c’est top.Non diplômée d’une grande école d’art, j’ai construit mon projet de vie autour de la création artistique, en prenant les chemins qui étaient devant moi.J’aime faire la sieste, j’aime danser un peu ivre sur de la musique new-wave.

1992, je quitte la région bordelaise et m’installe à paris, je réalise déjà que ma vie professionnelle va être compliquée, je sais qu’elle ne se trouve pas là où elle devrait être.J’aime le soleil, la canicule, j’aime pas l’hiver, j’aime pas avoir froid, j’aime pas la pluie. Des années parisiennes intenses, vives, drôles, tristes, créatives, alcoolisées, dures, joyeuses, horribles, gé-niales. Un travail alimentaire, une ou deux expos par an, un équilibre certain, une frustration certaine. Moitié salarié, moitié artiste, une moitié de trop ?J’aime le bruit de la mer, l’odeur de la mer, j’aime mon chien, j’aime manger des gâteaux et boire du coca. J’aime pas le porto, le gin, la suze, le sirop d’orgeat, les fruits confits.

2001, retour à bordeaux pour quelques mois, j’y suis encore. Quelques années de doutes, d’errance, d’ana-lyse. Qu’est ce que je veux, ou plutôt qu’est ce que je ne veux plus. : Perdre mon temps sur des projets qui ne sont pas les miens, m’ennuyer sur des projets qui ne sont pas les miens, supporter les autres sur des projets qui ne sont pas les miens.J’aime les terrasses de bar, le matin, le soir quand il fait chaud. J’aime me faire masser, je n’aime pas masser. J’aime jouer à la pétanque.

2006, ça y est, je suis une artiste. Enfin je décide que je suis une artiste. Numéro de siret, numéro d’ordre à la maison des artistes. Je ne travaillerai que pour moi, moi, moi. Mon métier : artiste ! J’aime Nan Goldin, j’aime pleurer dans ma tête devant une œuvre de Modigliani, j’aime un livre de Roland Barthes un autre de Boris Vian. J’aime lire voici dans un transat ou vautrée dans un canapé. Je n’aime pas les esprits aux nœuds trop serrés, les égos mal garés, les fous dangereux, les personnes dépourvues d’humour.

2007, je fonde avec d’autres artistes l’association point barre et intègre la fabrique pola.J’essaie dans mon travail de partager avec le lecteur la force d’un regard, une phrase dans un cerveau, la poé-sie d’une couleur, la douceur d’une lumière noire, mon ennui blanc, mes souvenirs gris, mes peurs bleues, mes envies transparentes, mes espoirs mouchetés…J’aime m’acheter des chaussures, consommer, je trie mes déchets enfin presque, j’aime exposer mon travail et j’aime le vendre. Lire ma peinture, c’est me connaître.

2014, suis encore là.

Je travaille actuellement sur plusieurs thématiques:Les portraits : photographie au pinceau d’un instant, celui, où le regard me parle, parce qu’il me raconte à quel point derrière l’œil il y a la vie. (Technique : acrylique+encre sur toile ou papier, divers formats)L’urbain : photographie au pinceau d’un instant, celui, où l’endroit me parle, parce qu’il me raconte à quel point derrière l’objet il y a la vie. (technique acrylique+encre sur toile ou papier, divers formats)La boite crânienne : couper un crâne en deux et en sortir une pensée. (Diverses techniques sur papier , for-mat 24/24cm ou 50/50cm)

Je suis Catherine arbassette, je suis artiste plasticienne, je vis et je travaille à bordeaux. Née le 30 novembre 1968 à 17h40, 3,250 kg.

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EXPOSITIONS

2013, Bordeaux, Exposition individuelle, Iboat2013, Bordeaux, Exposition individuelle, Bonne Mer2013, Bordeaux, Exposition individuelle, Les 4 saisons 2013, Bordeaux, Exposition individuelle, La Cagette

2012, Bordeaux, super marché de noël, Iboat2012, Mont de marsan, petit marché de l’art, centre d’art Raymond Farbos2012, Mont de marsan, résidence melting Point, centre d’art Raymond Farbos2012, Bordeaux, Opus Bohême, Exposition collective, journées du patrimoine2012, Bordeaux, Opus Bohême, Exposition collective, le Pearl2012, Bordeaux, Exposition individuelle, Les 4 saisons2012, Bordeaux, Exposition individuelle, Cour Mably 2012, Bordeaux, Exposition collective, Opus bohême, l’Epicure2012, Bordeaux, Exposition collective, Cahiers bohêmes, le Pearl

2011, Bordeaux, Exposition individuelle, Artynite 2011, Bordeaux, Exposition individuelle, Vinexpo 2011, Bordeaux, Exposition collective, cahiers bohêmes, Musée du vin

2010, Bordeaux, Arts Chartrons, Exposition collective, Garage Moderne (2010, Paris, Exposition individuelle, Concept store Eden park

2009, Bordeaux, Exposition individuelle, Oxyform 2009, Mont de Marsan, , Exposition collective, Mutations d’office 2009, Bordeaux, Exposition collective, Inauguration Pola 2009, Paris, vente aux enchères Aides, Exposition collective, Galerie Yvon Lambert 2009, Paris, Swisslife, Art sweet art, Exposition collective2009, Paris, salon artshopping, Art sweet Art Exposition collective2009, Paris, Art sweet Art, Exposition individuelle

2008, Bordeaux, Exposition collective, Artshop Pola

2007, Toulouse, Exposition individuelle, Boutique Les saisons de Julie 2007, Bordeaux, Exposition individuelle, Boutique In’utile

2006, Bordeaux, Exposition individuelle, Boutique La Rose des Vins

2005, Angers, Exposition individuelle, Château de La Roulerie 2005, Bordeaux, Exposition individuelle, Galerie Triptyque

2002, Bordeaux, Exposition individuelle, Boutique Histoire de Fleurs

2001, Paris, Exposition individuelle, Restaurant/bar la Petite Porte

2000, Paris, Exposition individuelle, Restaurant/bar Opus café)1999, Paris, Exposition individuelle, Café de la Liberté 1998, Paris, Exposition individuelle, Bar Wait and see 1997, Paris, Exposition individuelle, Café de la Liberté 1996, Paris, Exposition individuelle, Restaurant Canard d’Avril 1996, Paris, Exposition individuelle, Café de la Liberté 1995, Paris, Exposition individuelle, Boite de nuit les Bains Douches

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Benoit Jeantet / Auteur

Je n’ai pas toujours été ce que je suis. Au commencement, alors, je suis né. Je suis né un 15 novembre et c’était en 1970.Ensuite, alors, j’ai été un enfant. Un enfant tout d’abord élevé à l’ombre des contreforts pyrénéens. Et puis grandi sur le versant ouest de la butte Montmartre. La butte Montmartre, bien sûr, c’est à Paris. C’est aussi à Paris qu’un peu plus tard, juste après une crise d’adolescence « normale », un deug d’Histoire tout bête et une licence de lettres classiques, je suis devenu pigiste pour plusieurs magazines « culturels ». Ces diverses expériences m’ont permis d’écrire sur les musiques populaires et électrifiées, le roman contem-porain et même sur le sport. Aujourd’hui je ne vis plus à Paris. Aujourd’hui je me consacre presque exclusivement à l’écriture (Roman, nouvelles et scenarii) avec une préférence pour les fragments.

On peut me lire ou me retrouver ici:

Mes ouvrages. Short stories. (Nouvelles.) Atlantica-Séguier. 2007.Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire. (Récit.) Atlantica-Séguier. 2010.Dictionnaire du désir de lire. Cent romans contemporains du monde entier (Avec Richard Escot). Honoré Champion. 2011.

Mes participations:

Revue Brèves. N 79. Spécial Nouvelle-Zélande. (Littérature- nouvelle) octobre 2006. Rugby, une passion. (Collectif. (Sous la direction de Richard Escot)Editions la Martinière. 2010. Sur le net.Hors-Sol. (Revue numérique) Fragments (mai 2013)Remue.net. (Revue numérique) Je jure de dire la vérité. (Texte court) Février 2014. Le jour dénudé (site). Quatre textes courts. Février 2014.

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Merci à Clément Darrasse pour les photos 6/9/10/13/15/17.

CONTACT:

Catherine Arbassette06 62 72 07 80

[email protected]

www.arbassette.com