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La jurisprudence européenne en matière de châtiments corporels sur mineurs Frapper un animal s’appelle cruauté. Frapper un adulte s’appelle agression. Frapper un enfant s’appelle éducation. Olivier MAUREL, « La fessée, Questions sur la violence éducative » Comme pour la majorité des notions fondamentales, il est difficile de définir les châtiments corporels. Bien que l’interdiction de ces agissements figure dans de grands textes internationaux, aucune définition de ce terme n’est proposée explicitement, ce qui rend son contenu relatif et sujet à interprétation. On peut rapprocher cette notion de celle de sévices ou encore de traitements inhumains ou dégradants qui violent le respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique au sens des textes conventionnels. Malheureusement, les châtiments corporels sont un phénomène planétaire et universel qui touchent toutes les catégories d’individus, quelque soit leur origine sociale, leur 1/39

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La jurisprudence européenne en matière de châtiments corporels

sur mineurs

Frapper un animal s’appelle cruauté.

Frapper un adulte s’appelle agression.

Frapper un enfant s’appelle éducation.

Olivier MAUREL,

« La fessée, Questions sur la violence éducative »

Comme pour la majorité des notions fondamentales, il est difficile de définir les

châtiments corporels. Bien que l’interdiction de ces agissements figure dans de grands textes

internationaux, aucune définition de ce terme n’est proposée explicitement, ce qui rend son

contenu relatif et sujet à interprétation. On peut rapprocher cette notion de celle de sévices ou

encore de traitements inhumains ou dégradants qui violent le respect de la dignité humaine et

de l’intégrité physique au sens des textes conventionnels.

Malheureusement, les châtiments corporels sont un phénomène planétaire et universel

qui touchent toutes les catégories d’individus, quelque soit leur origine sociale, leur

provenance géographique, leur sexe et leur âge. Cependant, dans la présente étude, il ne sera

question que des violences infligées aux mineurs gravement touchés du fait de leur

vulnérabilité. Nous ne traiterons que des châtiments corporels commis au sein des pays

Européens, et dans le cadre institutionnel, scolaire et familial puisqu’il est particulièrement

intéressant de noter que ce sont dans ces lieux que les enfants sont menacés alors qu’ils

devraient y être le plus en sécurité.

Se poser la question de l’évolution de la jurisprudence en matière de châtiments

corporels commis sur des mineurs oblige à penser la place que nos sociétés accordent à la

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violence en tant que procédé éducatif. Pourquoi est-il permis de frapper un enfant alors qu’il

est interdit de frapper un homme adulte, une femme, une personne âgée ? Nos lois ne

permettraient-elles d’agresser que les plus faibles ?

Comme le fait très justement remarqué Olivier Maurel, « les châtiments corporels

infligés aux enfants les perturbent gravement et si personne ne s’en aperçoit, pourtant ceux

qui ont été frappés présentent tous les mêmes séquelles, notamment celle qui consiste à dire

« une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne ». Cette phrase apparemment innocente

revient en fait à dire qu’on a le droit de frapper un plus petit que soi pour l’éduquer et de

faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent, cumulant ainsi leçon de

violence et leçon d’incohérence ».

Cela oblige également à s’interroger sur la place du droit en la matière, droits

nationaux et droit européen. Pourquoi la coutume du droit de correction prime t-elle devant la

loi et les traités internationaux ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le droit conventionnel européen

pour commencer à sanctionner ce qui apparaît aujourd’hui inacceptable ?

Force est de constater que le seul et unique pays européen ayant fait l’objet de condamnations

en la matière est le Royaume Uni. Force est de constater que c’est l’unique pays européen

ayant aussi longtemps institutionnalisé la violence éducative.

Pourtant, les textes internationaux protégeant les enfants des violences physiques et morales

existent :

Signée et ratifiée le 7 août 1990 par la France, la Convention internationale sur

les droits de l’Enfant stipule dans ses articles 19, 28 et 37 que l’Etat doit protéger

l’enfant contre toutes formes de mauvais traitements perpétrés par ses parents ou

par toute autre personne à qui il est confié.

L’ONU a également édicté un ensemble des règles et de recommandations :

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Les châtiments corporels sont expressément interdits pour les mineurs par les

Règles de Beijing (règle 17-3) et par l’ensemble de règles de l’ONU sur la

protection des mineurs privés de liberté (règle 67), et, de manière moins

explicite, par la Convention relative aux droits de l’enfant et par les Règles de

Riyad.

De plus, dans une résolution adoptée en avril 2000, la Commission des droits de l’homme des

Nations Unies estime que " les châtiments corporels, infligés aux enfants notamment, peuvent

être assimilés à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes, voire à la torture ".

Le rapporteur spécial du Comité sur la torture de l’O.N.U. a déclaré que l’usage des

châtiments corporels était contraire à l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements

cruels, inhumains ou dégradants. Les lieux où les châtiments corporels à l’égard des mineurs

sont les plus fréquents sont la famille et l’école.

Cependant, il est à noter que le Comité est assez nuancé en considérant que les châtiments

corporels dans les établissements scolaires peuvent parfois ne pas constituer une forme de

torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant, mais qu’ils sont cependant

" incompatibles " avec la Convention relative aux droits de l’enfant, même si elle n’interdit

pas expressément les châtiments corporels.

Le Comité recommande l’extension à la sphère familiale de l’interdiction des châtiments

corporels. Nombreux sont les États qui autorisent les châtiments corporels ou les " corrections

administrées avec discernement " au sein de la famille, pratique que condamne le Comité,

constatant notamment : " S'agissant des châtiments corporels, peu de pays ont des lois claires

sur la question. Certains États parties ont essayé de faire la distinction entre le fait de

corriger un enfant et la violence excessive. Dans la réalité, la ligne de démarcation entre les

deux est artificielle. Il est très facile de passer d'un stade à l'autre. C'est aussi une question de

principe. S'il est interdit de battre un adulte, pourquoi n'en serait-il pas de même pour

l'enfant ? "

Par ailleurs, dans un communiqué de presse en date du 28 novembre 2003, la troisième

commission sociale de l’ONU recommandait d’éliminer les châtiments corporels dans les

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établissements scolaires et pénitentiaires mais décidait de ne pas se prononcer sur le texte

concernant le rôle des parents dans la prise en charge et le développement des enfants.

Au niveau européen, plusieurs dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) présentent un intérêt particulier

pour la protection des enfants : il s’agit de l’article 3 interdisant les tortures et traitement

inhumains et dégradants. En matière de violences familiale et éducative, on oppose

généralement l’article 8 qui protège le respect de la vie privée et familiale. Ces articles

peuvent être invoqués dans les cas de maltraitance physique ou psychologique, voire d'abus

sexuels.

D’autres organisations internationales, gouvernementales ou non, se préoccupent également

du sort des enfants et prohibent les châtiments corporels à leur encontre.

Ainsi, en 2002, Amnesty international, notait que « Les châtiments corporels constituent

une autre question complexe, tant sur le plan législatif que dans leur application envers

les enfants. Dans de nombreux pays, la loi autorise les châtiments corporels des enfants, à

l’école comme à la maison. Cette attitude est essentiellement motivée par la conviction

qu'il est acceptable de châtier les enfants " avec discernement ". Dans un grand nombre

d’États, le châtiment corporel des enfants est d’ailleurs la seule forme de violence entre

individus avalisée par la loi, alors que la moindre agression commise contre un adulte y

est fermement sanctionnée .»

En novembre 2002, l’OMS dénonçait la violence éducative comme source de la violence

des adultes dans un rapport mondial sur la violence et la santé, en notant que l’idée de la

violence comme problème de santé publique était totalement nouvelle, et que seule la

formation des parents à d’autres techniques éducatives pouvait éradiquer durablement la

violence en tant que phénomène social.

Dans son essai « C’est pour ton bien », Alice Miller dénonçait cette « pédagogie noire »,

cette pédagogie traditionnelle qui a pour objectif de briser la volonté de l’enfant pour en faire

un être docile, et dont les conséquences sociales sont tragiques, car les schémas de violence

ainsi inculqués ressurgissent inévitablement à chaque génération.

Dans ce contexte international de prise de conscience de la gravité du phénomène que

constituent les châtiments corporels sur les mineurs, et alors que les mentalités n’ont pas

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encore forcément évolué en ce qui concerne la valeur éducative de la violence, nous nous

sommes attachées à rechercher au sein de la jurisprudence européenne ce qui était considéré

par la CEDH comme tolérable ou pas en la matière.

Je traiterai dans une première partie de l’interprétation de l’article 3 de la C.E.S.D.H. telle

qu’elle se dégage de la jurisprudence de la Cour et des limites que cela peut induit en matière

de sanction des châtiments corporels sur les mineurs. Anne-Sophie s’attachera, dans une

seconde partie à évoquer la prise en compte relative des châtiments corporels sur les mineurs,

en développant les conséquences néfastes de ces comportements.

1ère partie – Une interprétation de l’article 3 de la C.E.S.D.H. limitant la

sanction des châtiments corporels infligés aux mineurs.

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Lorsqu’on examine la jurisprudence de la C.E.D.H. en matière de châtiments corporels

infligés à des mineurs, l’article 3 de la C.E.S.D.H. apparaît comme celui dont la violation est

systématiquement alléguée par les requérants, l’article 8 n’étant que rarement invoqué. Aussi

essaierai-je dans une première sous partie de comprendre l’évolution de l’interprétation de la

Cour en la matière, et ce de manière générale, (A) afin d’éclairer, dans une seconde sous

partie, en quoi cette évolution limite les constats de violation en matière de châtiments

corporels infligés à des mineurs (B).

A/- L’article 3 de la C.E.S.D.H. et son interprétation.

L’article 3 est, avec l’article 6, l’article le plus invoqué devant la Cour de Strasbourg. Les

châtiments corporels sur mineurs, tant en terme de saisine que de constat de violation, ne sont

qu’une infime partie des affaires portées devant cette juridiction. Il apparaît donc intéressant

de mettre en perspective les critères d’interprétation de la Cour lorsqu’elle se trouve

confrontée à des violences selon que ce sont ou ne sont pas des châtiments corporels sur

mineurs.

1)- Les critères d’interprétation du constat de violation de l’article 3 de la C.E.S.D.H.

par la Cour de Strasbourg.

La C.E.D.H. n’a cessé, de façon permanente et répétée, de classer l’article 3 (interdiction de la

torture et des traitements inhumains) aux côtés de l’article 2 (droit à la vie), comme l’un des

droits les plus fondamentaux protégés par la Convention, dont l’objectif essentiel est de

protéger tant la dignité que l’intégrité physique des personnes.

Contrairement à d’autres articles de la C.E.S.D.H., l’article 3 est libellé en termes absolus et

sans aucune réserve. Il ne comporte pas de deuxième paragraphe indiquant les circonstances

dans lesquelles il serait acceptable d’infliger la torture ou des peines ou traitements inhumains

ou dégradants. Cette disposition ne supporte donc aucune restriction légale.

Le terme « sans réserves » de l’article 3 signifient qu’il ne peut y avoir, à aucun titre, en

vertu de la Convention ou du droit international, de justification pour des actes qui

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enfreindraient cet article. En d’autres termes, il ne peut y avoir de facteurs qu’un système

juridique national serait autorisé à considérer comme une justification pour recourir à un

comportement interdit : ni le comportement de la victime, ni la pression exercée sur l’auteur

de l’acte, ni aucune circonstance extérieures, ni aucun autre facteur. La Cour rappelle sans

cesse aux États que la conduite de la victime ne peut jamais être considérée comme une

justification pour recourir à un comportement interdit par la C.E.S.D.H.

Selon la Cour, la Convention doit être abordée sous l’angle de « son objet et de son but »,

celui-ci consistant à protéger les êtres humains par la protection des valeurs d’une société

démocratique, ce qui signifie que ses dispositions doivent toujours être interprétées et

appliquées de façon à rendre ses garanties efficaces. Ce principe d’efficacité a des

conséquences très concrètes concernant l’application de l’article 3 de la Convention.

Autre caractéristique essentielle de la Convention : son interprétation dynamique. Elle reflète

les changements de normes, de moeurs et d’attentes de la société. C’est dans une affaire

portant sur l’article 3, et plus précisément un constat de violation à l’occasion de châtiments

corporels sur mineurs, que la Cour a affirmé que la Convention est un instrument vivant qui

doit être interprété au regard des conditions de vie actuelles. (Arrêt Tyrer c/ Royaume- Uni du

25 avril 1978, A. 26.)

Pour reprendre l’expression récurrente de la Cour européenne des Droits de l’Homme,

« l’article 3 consacre l’une des valeurs les plus fondamentales d’une société démocratique, »

puisqu’il déclare que :  « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements

inhumains ou dégradants. »

Les trois grands domaines d’interdiction contenus dans l’article 3 sont à la fois distincts et

liés. D’après la Commission européenne des Droits de l’Homme, dans l’  « Affaire grecque »

: « Il est clair qu’il peut y avoir des traitements auxquels tous ces qualificatifs s’appliquent,

car toute torture ne peut être qu’un traitement inhumain et dégradant » (1969, Annuaire de la

Convention européenne des droits de l’homme, n°12).

La distinction entre la torture et les peines ou les traitements inhumains ou dégradants est

fondée en premier lieu sur la gravité plutôt que sur l’acte. Jusqu’à un certain seuil de gravité,

les traitements dégradants peuvent être qualifiés de traitements inhumains et les traitements

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inhumains particulièrement graves sont assimilables à la torture. Le critère du seuil de gravité

a été repris et suivi dans des décisions de la Cour et de la Commission

2- Les critères d’interprétation du seuil de gravité de l’article 3 CESDH par la Cour de

Strasbourg

La gravité ou l’intensité des souffrances infligées doivent être considérés au regard de

différents facteurs: la durée, les effets physiques et mentaux, le sexe, l’âge et l’état de santé de

la victime, le mode d’exécution. Les éléments subjectifs de ces critères – le sexe, l’âge et

l’état de santé de la victime – sont pertinents pour évaluer l’intensité d’un traitement.

La règle « de minimis » implique que tous les traitements éprouvants n’entrent pas dans le

champ d’application de l’article 3. Dès ses premières décisions, la Cour a expressément

déclaré que les mauvais traitements devaient atteindre un niveau minimal de gravité pour

pouvoir constituer une violation de l’article 3. Il a cependant été admis qu’il pouvait être

difficile de déterminer où se situe la frontière entre, d’un côté un traitement éprouvant, et de

l’autre, une violation de l’article 3 (Mc Callum c/ Royaume- Uni, rapport du 4 mai 1989,

série A. no 183 p. 29.).

Dans Irlande c/ Royaume-Uni (18 janvier 1978, série A no 25. 10 Ibid, § 162), , la Cour a

indiqué que l’évaluation du niveau minimal de gravité est toujours relative : elle dépend de

l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement, de ses effets

physiques ou mentaux, et dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la

victime.

Ces mots ne cessent de revenir dans la jurisprudence de la Cour (Voir entre autres Irlande c/

Royaume-Uni, p. 65 et plus récemment Tekin c/ Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-

IV, § 52, Keenan c/ Royaume- Uni, arrêt du 3 avril 2001, § 20, Valašinas c/ Lituanie, arrêt

du 24 juillet 2001, § 120 et, en relation directe avec la torture, Labita c/ Italie, arrêt du 6 avril

2000, CEDH 2000-IV, § 120).

Dans Soering c/ Royaume-Uni, la Cour a ajouté que la gravité dépendait « de l’ensemble des

données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine

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ainsi que de ses modalités d’exécution », ainsi que des facteurs ci-dessus (Soering c/

Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, § 100).

Dans le domaine des mauvais traitements et de la protection accordée par l’article 3, il est

évident que la convergence croissante des normes et pratiques mène à une objectivité

beaucoup plus grande en matière d’appréciation du seuil minimal.

Cependant, d’autres critères que les normes et les pratiques juridiques amènent à une

application restrictive de l’article 3 en matière de châtiments corporels sur mineurs. Il me

semble que l’on touche là davantage à l’évolution des mentalités qu’à celle de la norme

juridique applicable, et ceci n’est pas sans conséquence sur les critères d’interprétation de la

C.E.D.H.

B/- Les conséquences négatives de l’interprétation de la C.E.S.D.H. en

matière de châtiments sur mineurs.

1)- La détermination des critères du seuil de gravité en matière de châtiments corporels

sur les mineurs.

En matière de châtiments corporels sur des mineurs, la violation de l’article 3 consiste le plus

souvent en peine ou traitements dégradants. Comme toutes les évaluations au titre de l’article

3, l’évaluation de ce minimum est relative.

Un traitement dégradant est celui dont il est dit qu’il suscite chez sa victime des sentiments de

peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier et à l’avilir. La Cour a également estimé

qu’il suffit que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas aux yeux

des autres.

Au regard des éléments développés par la Cour aux fins d’apprécier le constat de violation de

l’article 3, à savoir le sexe, l’âge, l’intensité, etc, il apparaît que c’est la combinaison de ces

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éléments objectifs qui permet l’établissement d’une échelle de gravité des traitements

allégués.

Néanmoins, et c’est là que l’on touche à l’évolution des mentalités, en matière de châtiments

sur mineurs, des critères supplémentaires s’ajoutent, celui du contexte familial, et par voie de

conséquences, celui du contexte scolaire, en tant que délégataire auprès du mineur du « droit

de correction paternel », celui de la tradition, mais aussi celui de la publicité du châtiment.

A la lecture de la jurisprudence de la Cour, on n’est pas très éloigné de l’argumentaire

développé par l’Attorney General dans l’affaire « Laskey, Jaggard et Brown (Queen's Bench

1980, p. 715) », dans lequel Lord Lane déclara devant la Cour d'Appel : "Il est contraire à

l'intérêt général que des individus tentent de se porter ou se portent effectivement des coups et

blessures sans raison valable. … [mais des ] exceptions apparentes peuvent se justifier par

l'exercice d'un droit dans le cas des châtiments ou corrections et, dans les autres cas, par leur

caractère nécessaire à l'intérêt général."

Et il semble que les juges de Strasbourg, de par l’adjonction de cet élément spécifique, qu’est

le contexte familial ou scolaire, procèdent à un rehaussement du seuil de constat de violation

au égard à ces contexte particuliers.

Il s’avère donc qu’un élément, qu’on ne peut considérer que comme aggravant au regard des

études menées par les psychologues et spécialistes de l’enfance, puisque émanant de

personnes détentrices à la fois d’autorité et de pouvoir, devienne, pour la juridiction

européenne, un facteur, sinon d’exonération, du moins de mansuétude.

Ceci est d’autant plus extraordinaire qu’une autre institution européenne, le Parlement, dans

une Recommandation 1666 (2004) indiquait qu’il convenait que tous les châtiments corporels

infligés aux enfants soient prohibés, et ce quelque soit le cadre dans lequel ils s’exerçaient. Le

Parlement s’inquiétait de constater que seule une minorité d’Etats membres l’avaient

effectivement inscrit dans leur législation lorsque ces châtiments s’exerçaient au sein de la

famille.

Les propositions émises visaient pour l’essentiel à sensibiliser enfants et parents à la violence

domestique, à fournir une aide de prévention aux parents maltraitants, et à sanctionner leur

comportement.

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Un autre critère spécifique à l’appréciation du constat de violation de l’article 3 en la matière

est celui de la tradition. Ceci sera développé dans le deuxième paragraphe, mais il me semble

intéressant, à titre liminaire, de constater qu’il ne viendrait à l’idée de personne de justifier de

l’usage de la torture dans les commissariats ou de la peine de mort au regard de la seule

tradition. Comme le disait très simplement et très justement une militante africaine engagée

dans la lutte contre l’excision : « Quand une tradition est mauvaise, il faut en changer. »

2)- Le refus de constat de violation en matière de châtiments corporels sur mineurs.

Le critère du seuil de gravité amène donc la Cour a avoir une vision large et quelque peu

ambiguë des traitements inhumains, qui s’appuie sur des conceptions discutables.

Ceci peut être illustré par l’Affaire « Campbell et Cosans c/R.U. » (25 février 1982, req.

7511/76 et 7743/76, A, série 48). Cette affaire concernait une menace de châtiments corporels

sur deux écoliers. Or, même si les châtiments n’ont pas eu lieu, la Cour a estimé que « le

risque d’agissements prohibés par l’article 3 peut se heurter lui-même à ce texte s’il est

suffisamment réel et immédiat. Ainsi, menacer quelqu’un de le torturer pourrait, dans des

circonstances données, constituer pour le moins un traitement inhumain ». Malgré cette

déclaration, de l’avis de la Cour, les peines en question n’étaient pas suffisamment graves

pour être qualifiées de tortures ou de traitements inhumains.

La nature et le contexte de la peine, ainsi que ses modalités d’exécution sont au cœur de

l’approche de la Cour. Ainsi, dans cette même affaire, la Cour à cherché à établir si elle

pouvait être qualifiée de dégradante. Elle a conclu que pour « dégrader, un traitement doit lui

aussi causer à l’intéressé – aux yeux d’autrui ou aux siens – une humiliation ou un

avilissement atteignant un minimum de gravité ». La Cour a dès lors estimé que les deux

écoliers n’avaient pas soufferts d’effets néfastes et que leurs sentiments d’appréhension

n’étaient pas suffisamment graves pour que l’article 3 entre en jeu.

Le considérant le plus intéressant de cet arrêt est le considérant 29, car il permet de conclure à

l’absence de constat de violation :

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« Les châtiments corporels correspondent à une tradition dans les écoles écossaises et une

forte majorité des parents y semble d'ailleurs favorable (paragraphe 18 ci-dessus). En soi,

cela ne résout pas la question à trancher par la Cour: la menace d'une mesure donnée ne sort

pas de la catégorie du "dégradant", au sens de l'article 3 (art. 3), par cela seul qu'il s'agit

d'une mesure consacrée par un long usage, voire en général approuvée (voir, mutatis

mutandis, l'arrêt Tyrer précité, p. 15, par. 31).

Toutefois, eu égard notamment à la situation existant ainsi en Ecosse, il n'apparaît pas établi

que les élèves d'une école où l'on recourt à de telles punitions soient, en raison du simple

risque d'en subir une, humiliés ou avilis aux yeux d'autrui au degré voulu ou à un degré

quelconque. »

La Cour estime donc que, compte tenu du fait que les châtiments corporels font partie de la

tradition, ceux qui en sont victimes ne peuvent se sentir humiliés, car ils ne font, en quelque

sorte, que vivre ce que tout un chacun, au sein de cette culture, est susceptible de vivre … Ce

que nous dit la Cour, c’est que la tradition de la « punition éducative » implique que celui qui

la subit ne permet pas de remplir l’une des conditions permettant la qualification de ce

traitement en traitement inhumain et dégradant.

Dans une autre affaire « Costello-Roberts c. R.U.» (25 mars 1993, req. 13134/87), la Cour

développe un autre aspect également lié à l’importance du critère de la publicité du châtiment,

et partant, de l’humiliation ressentie par celui qui la subit. Elle examine les circonstances de la

cause au regard de sa propre jurisprudence, et en conclut que la gravité du châtiment en lui-

même ne pouvant être retenu, il convient de s’attacher au déroulement des faits. En l’espèce,

M. Costello-Roberts avait reçu, en punition, trois coups de chaussures de gymnastique sur les

fesses, par-dessus son short, et en l’absence de tout témoin. La punition avait été infligée par

le directeur de l’établissement scolaire. La Cour en conclut donc que ni l’intensité du

châtiment, ni les circonstances dans lesquels il a été appliqué, ne permettent de constater une

quelconque violation de l’article 3.

Au regard de cette jurisprudence, on peut donc estimer que la Cour ne considère pas les

châtiments corporels infligés aux mineurs comme systématiquement prohibés, mais qu’il lui

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faut examiner les circonstances de l’espèce pour déterminer si ceux-ci entrent ou non dans le

cadre de l’article 3 de la C.E.S.D.H.

La juridiction européenne ne prend donc en compte ni la Convention internationale sur les

droits des enfants, ni la Recommandation 1666 (2004) du Parlement européen, ni les rapports

des O.N.G. qui considèrent les châtiments corporels envers les mineurs comme étant

systématiquement négatifs.

En acceptant d’examiner le degré d’intensité ou les circonstances dans lesquels les châtiments

ont été infligés, la C.E.D.H. accrédite l’idée qu’il y a des châtiments corporels acceptables, en

tant qu’ils sont issus de la tradition, scolaire ou familiale, ou ne présentent pas de

circonstances particulières, telles que la publicité.

Et cependant, la condamnation des Etats par la C.E.D.H., même si elle est imparfaite, permet

de faire évoluer les législations, à défaut des mentalités. C’est ce qui sera développé dans la

seconde partie de l’exposé.

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2ème partie – Une prise en compte relative des châtiments corporels infligés

aux mineurs, et sanctionnés par la Cour européenne au titre de l’article 3

de la CESDH

A/- Les motivations à cette reconnaissance des «   violences invisibles et

ordinaires   » sur les mineurs

La lente évolution qui s’amorce en vue d’une reconnaissance relative par la Cour

Européenne des Droits de l’Homme de certains châtiments corporels commis sur des mineurs

peut s’expliquer par différents motifs.

D’une part, en raison de la prise de conscience progressive par l’opinion publique que ces

sévices engendrent des séquelles irréversibles sur le devenir de l’enfant (1) ; et d’autre part en

raison des lacunes des législations nationales dans l’Europe pour lutter efficacement contre

ces agissements criminels (2).

1)- Les conséquences de ces châtiments corporels sur les mineurs

Dans son célèbre ouvrage C’est pour ton bien, Alice Miller déclare « l’opinion

publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières

années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société, et que la psychose,

la drogue, la criminalité étaient des expressions codées des expériences de la petite enfance…

Ma tâche est de sensibiliser cette opinion aux souffrances de la petite enfance, en m’efforçant

d’atteindre chez le lecteur adulte l’enfant qu’il a été ».

En effet, les châtiments corporels perpétrés sur l’enfant pour en faire un être docile et

obéissant provoquent des conséquences néfastes sur son devenir tant au niveau physique,

psychologique, que criminologique.

D’un point de vue physique, à court terme, les sévices sur les mineurs tuent des milliers

d’enfants par an. Beaucoup d’enfants sont blessés et nombreux sont ceux qui en gardent des

14/26

Page 15: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

handicaps. A plus long terme, ils ont des répercutions sur la santé de l’enfant et provoquent

des cancers, affections pulmonaires, et maladies du foie…

Au niveau psychologique, les mineurs battus présentent de graves déficiences intellectuelles,

la volonté de prise de risques, des dépressions et angoisses, des retards du développement, des

troubles de l’alimentation et du sommeil, un sentiment de honte et de culpabilité, une

hyperactivité, des mauvais résultats scolaires, une piètre estime de soi, des troubles de stress

post-traumatique, des troubles psychosomatiques, des comportements suicidaires et des

automutilations…

D’un point de vue criminologique, Le comportement des parents et le milieu familial jouent

un rôle essentiel dans le développement des jeunes. Plusieurs études ont montré que les

châtiments corporels sévères pour punir des enfants encouragent ce dernier à rejoindre des

gangs. Ils sont surtout des prédicteurs importants de l’alcoolisme, de la toxicomanie et de la

violence pendant l’adolescence et les premières années de l’âge adulte.

En effet, on sait qu’une agressivité parentale et une discipline sévère à l’âge de 10 ans font

nettement augmenter le risque d’arrestations ultérieures pour violence jusqu’à l’âge de 45 ans,

mais également- pour les garçons- la sévérité des châtiments qu’ils infligent à leur tour, par

identification, à leurs propres enfants et la violence qu’ils feraient subir à leur épouse…

Enfin, si ces conséquences néfastes sur le développement de l’enfant n’arrivent pas à

convaincre le gouvernement de l’urgence de prévenir et de sanctionner ces châtiments

corporels sur les mineurs, on peut également leur soumettre un argument financier puisque

l’impunité des auteurs de ces agissements coûte cher à la société (dépenses liées à

l’arrestation et aux poursuites judiciaires engagées contre les délinquants, coûts pour les

organismes sociaux, les foyers d’accueil, le système éducatif…).

Toutefois, l’exposé de ces conséquences néfastes sur le devenir de l’enfant en raison

des violences qu’ils subissent n’a pas abouti à l’élaboration d’une législation adaptée dans

certains pays d’Europe, comme nous allons le voir.

2)- Des législations contrastées en Europe   : une répression à deux vitesses des

châtiments corporels sur mineurs

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Page 16: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

En Europe du Sud, tous les pays ont interdit les châtiments corporels à l’école et dans

le système judiciaire. Cependant, il n’y a que l’Italie et la Croatie qui prohibent les sévices

familiaux, puisqu’ils sont tolérés avec modération, en Espagne et au Portugal. 

En Europe de l’Est, tous les ex-pays communistes n’ont aucune législation en la

matière, pourtant une enquête menée par Médecins du monde en Pologne, en 1998, a montré

que 14% des enfants de 12 ans ont été punis physiquement par leurs parents d’une façon

durablement traumatisante et que 30% des enfants hospitalisés à la suite de mauvais

traitements avaient moins d’un an.

En Europe du Nord, le contraste est flagrant. D’un côté, sept pays ont interdit tous les

châtiments corporels sur mineurs, et de l’autre il existe deux pays où la tradition des sévices

infligés à l’école ou dans la famille est au contraire très résistante : l’Irlande et la Grande

Bretagne. (Nous reviendrons par la suite sur ces pays).

Les pays qui ont interdit toutes formes de violences éducatives sont sans surprise la Suède, la

Finlande en 1983, la Norvège en 1987, le Danemark en 1997, la Lettonie en 1998, l’Islande

en 2003, et les Pays-Bas en février 2005.

Il est intéressant de s’attarder quelques instants sur la situation de la Suède. Depuis 1979, la

loi stipule que « l’enfant doit être traité dans le respect de sa personne et de sa personnalité

et ne peut être soumis à des châtiments corporels ni à aucun traitement brutal ». Le nombre

de suédois considérant les châtiments corporels comme indispensables est passé de 53 % en

1965 à 11 % en 1995. En juin 2000, cette législation n’a donné lieu qu’à un seul procès. De

plus, une brochure intitulée « Peut-on élever des enfants sans leur donner la fessée ? » a été

diffusée et traduite dans plusieurs langues et des lieux de rencontre pour les parents ont été

créés pour les former à la pédagogie. Les résultats semblent probants, avec les réserves qui

s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et 1995, les placements en foyer ont

diminué de 26 %. Le pourcentage des jeunes de 15 à 17 ans condamnés pour vol a diminué de

21 % entre 1975 et 1996. La consommation de drogues, d’alcool et les suicides ont aussi

baissé.

A l’inverse de ces « pays abolitionnistes de la claque et de la fessée », la Grande Bretagne a

sa devise « Spare the rode and spoil the child » (« Epargner le fouet c’est gâter l’enfant »).

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Page 17: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

Ainsi, une loi qui date de 1860 autorise officiellement les parents à recourir aux châtiments

corporels dans l’éducation et dans les écoles, en Grande Bretagne.

En Irlande, la violence à l’égard des enfants est reconnue comme un véritable problème

social. 92 % des mères et 87 % des pères ont recours à la fessée. C’est dans la classe ouvrière

que le recours aux punitions corporelles est le plus fréquent.

En Ecosse , des organisations chrétiennes se sont opposées à une interdiction des châtiments

corporels sur les enfants en février et en septembre 2002.

On s’aperçoit bien qu’en Europe, il y a ceux qui acceptent et ceux qui répriment les

sévices sur mineurs, puis il y a la France et son attitude équivoque en la matière.

Le cas de la France illustre très bien l’inefficacité ou, plus exactement l’extrême lenteur de

l’effet des lois d’interdiction qui ne s’appliquent qu’à l’école. Dans ce domaine, les premières

tentatives pour réduire la violence à l’école datent du XVIIIème siècle, sous l’influence de

Rousseau. Elles sont malheureusement restées lettres mortes puisque les châtiments corporels

sur mineur est un des seuls domaines où curieusement la coutume du droit de correction prime

devant la loi qui interdit ces agissements.

De plus, la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 4 décembre

1908 précisait que «  les instituteurs ont incontestablement par délégation de l’autorité

paternelle, un droit de correction sur les enfants qui leurs sont confiés ; mais, bien entendu,

ce droit de correction, pour demeurer légitime, doit être réalisé sans excès, limité aux

mesures de coercition qu’exige la punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant, et ne

pas compromettre sa santé ».

Un siècle plus tard, la jurisprudence garantie toujours l’impunité des parents et enseignants

même si elle reconnaît que les châtiments corporels et le droit de correction ne correspondent

plus à l’état actuel de nos mœurs. La Cour d’appel de Caen dans sa décision du 7 juillet 1982,

confirmée par la Cour d’appel de Rennes le 27 mars 1991, déclare «  il est certains que les

coups de pieds au derrière, la bousculade, les oreilles ou les cheveux tirés, les calottes, les

gifles et même les coups de règle ou de martinet ne saurait être considérés comme excédant le

droit de correction dès lors qu’il n’en est résulté non seulement aucune conséquence

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Page 18: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

médicale, mais même aucune trace apparente établissant une brutalité excessive ». Le

commentateur de cet arrêt fait remarqué : « on imagine le tollé que susciterait à juste titre un

jugement de ce genre s’il s’était agi du procès d’une femme battue  par son mari ».

Quant à la violence dans les familles, d’après l’article 222-13 du code pénal, les coups, même

sans blessures et quel que soit le mobile qui les aient inspirés, sont punissables d’amendes

(45000 Euros) et de peines de prison (3 ans), pénalités aggravées et portées à 5 ans

d’emprisonnement et 75000 Euros d’amende lorsque les victimes ont moins de quinze ans et

lorsque les coups sont donnés par des ascendants. Toutefois, les peines prévues par le code

pénal sont si lourdes qu’elles ne peuvent évidemment pas s’appliquer à des parents auteurs de

fessées et de gifles, ce qui revient à justifier la violence éducative ordinaire.

Devant les lacunes de ces législations nationales, la Cour Européenne des Droits de

l’Homme est intervenue afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

B/- Les condamnations prononcées par la Cour Européenne des Droits de

l’Homme pour violation de l’article 3 CESDH

Il s’agit ici de dresser un panorama de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en

matières de châtiments corporels infligés aux mineurs dans le cadre institutionnel, scolaire et

familial (1), afin d’étudier les éventuelles répercussions de ces condamnations sur la base de

l’article 3 de la CESDH au niveau national (2).

1)- Les critères d’interprétation du seuil de gravité de l’article 3 CESDH par la

Cour de Strasbourg en matière de châtiments corporels sur mineurs

Dans une affaire « Tyrer  c. R.U. » du 25/04/1978, la Cour Européenne des Droits de

l’Homme a condamné le Royaume-Uni, sur le fondement de l’article 3 de la CESDH. Les

faits de la cause étaient les suivants : le jeune Anthony Tyrer, citoyen du Royaume-Uni, âgé

de 15 ans à l’époque des faits, a été condamné par le tribunal local à une peine de fustigation,

pour avoir agressé un autre élève de son école. Antony Tyrer dû se rendre au poste de police

pour exécuter sa peine. Les policiers ont administré plusieurs violents coups de canne sur les

fesses nues du jeune, en présence de son père.

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Page 19: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

Après avoir exercé un recours devant les instances locales, sans succès, il saisit la Cour. Cette

dernière jugea qu’Anthony Tyrer avait été humilié en raison de cette peine de fustigation. Elle

déclara que cette violence institutionnalisée, en l’occurrence autorisée par la loi, prescrite par

les organes judiciaires et infligée par la police, devait être considérée comme une peine

dégradante. Elle condamna le Royaume-Uni pour violation de l’article 3 de la CESDH.

Plus récemment, la France a elle aussi été condamné sur le fondement de l’article 3 de la

Convention par la Cour de Strasbourg. En effet, dans l’affaire « Rivas contre France » du 1er

avril 2004, un capitaine de police avait donné un coup dans les parties génitales du jeune

Rivas, placé en garde à vue pour le faire avouer. La Cour a condamné la France pour

traitements inhumains et dégradants sur mineur.

D’autre part, en matière de violence familiale, la Cour européenne est également intervenue

dans un arrêt « A contre Royaume Uni », en date du 23 septembre 1998. En l’espèce, le

requérant, citoyen britannique, âgé de 9 ans, a été victime à plusieurs reprises de coups de

bâton donnés avec beaucoup de force, par son beau père. Le certificat médical rendait compte

de meurtrissures, d’ecchymoses, et de contusions sur le corps de l’adolescent. Le beau père,

inculpé pour atteinte à l’intégrité physique, fût jugé en février 1994 et relaxé. Les juges

anglais ne contestaient pas qu’il avait donné des coups au garçon à plusieurs occasions, mais

ils décidèrent que cela était nécessaire et raisonnable en vertu du droit de correction, puisque

c’était un enfant difficile, indiscipliné à l’école comme à la maison. Les juges européens ne

furent pas de cet avis.

Ils rappelèrent que « des mauvais traitement devaient atteindre un minimum de gravité pour

tomber sous le coup de l’article 3 et qu’il fallait prendre en compte des facteurs tels que la

nature et le contexte du traitement, sa durée, ses effets physiques et mentaux, ainsi que le

sexe, l’âge, et l’état de santé de la victime ».

En l’espèce, la Cour juge que les coups de bâton assénés à plusieurs reprises avec beaucoup

de force, même dans un but éducatif, atteignent le degré de l’article 3 et condamne le

Royaume-Uni pour traitements inhumains et dégradants. Elle estime que tous les châtiments

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Page 20: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

corporels infligés aux enfants violent leur droit fondamental au respect de leur dignité

humaine et de leur intégrité physique.

La Cour rappelle que « les Etats sont tenus de prendre de mesures pour mettre les individus à

l’abri de mauvais traitements et que les enfants ont droit à une protection, par des mesures

dissuasives efficaces, contre ces agissments ». Le gouvernement anglais s’est alors engagé

devant la Cour Européenne à modifier sa législation actuelle sur les « châtiments

raisonnables » sur les enfants.

Par ailleurs, tant la Commission européenne, jusqu’en 1998, que la Cour ont souligné

que l’interdiction de tout châtiment corporel dans les établissements pénitentiaires pour jeunes

délinquants, puis à l’école et dans le cadre familial n’était pas une violation du droit au respect

de la vie privée et familiale ou à la liberté de religion.

De plus, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constate que tous les Etats

membres ont ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Cette

convention exige des Etats qu’ils protègent les enfants contre toutes formes de violence

physique ou mentale infligée par des adultes qui en ont la garde. Le Comité des droits de

l’enfant, qui veille à l’application de cette convention a constamment interprété cette dernière

comme exigeant des Etats membres à la fois qu’ils se dotent d’une législation appropriée qui

prohibe et sanctionne tous les châtiments corporels à l’égard des enfants, notamment au sein

de la famille, mais également qu’ils mènent des actions de prévention en matière de

sensibilisation et d’éducation du public en ce domaine.

Qu’en est-il réellement ?

2)- Les timides répercussions de cette jurisprudence européenne sur l’évolution

des législations nationales en matières de châtiments corporels sur mineurs

A la suite des condamnations du Royaume-Uni pour la Cour Européenne sur le

fondement de l’article 3 de la CESDH, une évolution commence toutefois à se

produire puisqu’en 1998, la Chambre des Communes a interdit les châtiments corporels dans

toutes les écoles du Royaume Uni. Coups de fouet, coups de canne, claques et autres

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Page 21: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

punitions avaient déjà été interdits dans les écoles gérées par l’Etat, en 1986. En 1999, cette

interdiction a été étendue aux écoles privées.

Cependant, en ce qui concerne les violences familiales, la Grande Bretagne se refuse toujours

à les interdire, en laissant aux parents la liberté d’appliquer la punition de leur choix, à

condition que ce soit « dans un cadre aimant et affectueux » (formulation adoptée en janvier

2000). Le 15 avril 2000, devant la résidence du premier ministre britannique, Tony Blair, des

centaines d’enfants anglais ont manifesté en criant « stop aux fessées, arrêtez les claques ! ».

Même si l’idée d’interdire les punitions corporelles dans la famille commence à faire son

chemin, la Chambre des Lords a de nouveau refusé, le 5 juillet 2004, d’interdire tout

châtiment physique et laisse la liberté aux parents d’appliquer une punition corporelle

« raisonnable », en d’autres termes qui ne laisse pas de trace visible sur la peau.

La France n’a jamais été condamné par la C.E.D.H. pour des violences sur mineur,

commises dans le cadre familial ou scolaire. Pourtant, l’état de sa législation et les pratiques

françaises en la matière sont proches de celles qui existent en Grande Bretagne.

On sait par une enquête réalisée en janvier 1999 par la SOFRES pour l’association « Eduquer

sans frapper » que 84% des parents donnent à leurs enfants gifles, fessées quand ce ne sont

pas des coups de martinet ou de ceinture. Et ce, bien que 45% des personnes interrogées

pensent que ces châtiments ont des conséquences négatives sur le développement de l’enfant.

Au vu de la jurisprudence européenne en matière de châtiments corporels sur mineurs et la

condamnation de la Grande Bretagne à ce sujet, peut on espérer en France une évolution pour

pallier l’absence de législation spécifique pour réprimer les violences éducatives ? On en

doute. En effet, paradoxalement la défenseure des enfants Claire Brisset, dans un colloque

intitulé « Chronique des violences invisibles », le 13 octobre 2003, estime que la situation

n’est pas mûre pour demander une interdiction de la violence éducative.

D’ailleurs, un seul député jusqu’à présent, André Santini, s’est déclaré favorable à une loi qui

interdise toute violence éducative. Le 22 mai 2000, il a posé une question à la ministre

déléguée à la famille et à l’enfance pour lui signaler qu’un mouvement d’opinion s’était fait

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jour pour introduire dans le droit pénal, un délit de punition corporelle, à l’instar de ce que

certains pays, et notamment la Suède dès 1979 ont déjà fait. Mais cette intervention n’a pas eu

de suites, c’est le statu quo, et tout le monde ferme les yeux sur ces châtiments corporels

infligés au mineur dans un pays qui proclame les droits de l’Enfant.

Annexes

Signée et ratifiée le 7 août 1990 par la France, la Convention internationale sur les droits de

l’Enfant stipule :

Article 19

1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives,

administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger

l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités

physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais

traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant

qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses

représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

2. Ces mesures de protection comprendront, selon qu'il conviendra,

des procédures efficaces pour l'établissement de programmes sociaux

visant à fournir l'appui nécessaire à l'enfant et à ceux à qui il est

confié, ainsi que pour d'autres formes de prévention, et aux fins

d'identification, de rapport, de renvoi, d'enquête, de traitement et de

suivi pour les cas de mauvais traitements de l'enfant décrits ci-dessus,

et comprendre également, selon qu'il conviendra, des procédures

d'intervention judiciaire.

Article 28

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Page 23: Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes · Web viewLes résultats semblent probants, avec les réserves qui s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et

2) Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour

veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière

compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et

conformément à la présente Convention.

Article 37

Les États parties veillent à ce que : a) Nul enfant ne soit soumis à la

torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:

Plusieurs dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales présentent un intérêt particulier pour la protection des enfants :

- Article 3 : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements

inhumains ou dégradants.

- Article 8 : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,

de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une

autorité publique dans l'exercice de ce droit […].

- Article 14 : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente

Convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée notamment sur

le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou

toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une

minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation. "

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Bibliographie

Ouvrages   :

- Yann BUTTNER, André MAURIN, Blaise THOUVENY, Le droit de la vie scolaire , Ed.

Dalloz, 2è éd., 2003.

- Debra LONG, Guide de jurisprudence sur la torture et les mauvais traitements , Association

pour la prévention de la torture, Genève, 2002.

- Olivier MAUREL, La fessée, Questions sur la violence éducative , Ed. La plage éditeur, 2è

ed, 2004.

- Olivier MAUREL, Œdipe et Laïos, dialogue sur l’origine de la violence, Ed. l’Harmattan,

2003.

- Alice MILLER, C’est pour ton bien , Ed. Aubier, 1984.

- Aisling READY, L’interdiction de la torture - Un guide sur la mise en œuvre de l’article 3

de la Convention européenne des Droits de l’Homme , Précis sur les droits de l’homme, n° 6,

Conseil de l’Europe, 2003.

- Association Normande de Criminologie, Les sévices à enfants, Ed Vrin, Bibliothèque

Criminologique, 1979.

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- Roselyne NERAC-CROISIER et Jocelyne CASTAIGNEDE, La protection judiciaire du

mineur en danger. Aspects de droit interne et de droits européens, Ed l’Harmattan, Sciences

criminelles, octobre 2000.

Thèse   :

- H. LAURENT, Les châtiments corporels, Thèse de droit, 1912.

Revue   :

- Pascale QUINCY-LEFEBVRE, « Faut-il frapper les enfants ? Cent ans de répression des

violences à enfants », Le temps de l’histoire, n°2, 1999.

Webographie

http://alice-miller.com

http://monsite.wanadoo.fr/oliviermaurel

http:// www.amnesty.asso.fr

http://www.childrenareunbeatable.org.uk

http://www.corpun.com

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http://www.observatoire-international-de-la-violence-éducative.org

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