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E N U N E L A N G U E M O U V E M E N T F R A N Ç A I S L E Ministère de la Culture et de la Communication Délégation générale à la langue française et aux langues de France CULTURESFRANCE Ministère des Affaires étrangères et européennes © CULTURESFRANCE février 2010 Textes Henriette Walter Graphisme ÉricandMarie Impression Imprimerie Vasti-Dumas ISBN 978-2-35476-069-4

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Ministère de la Cultureet de la Communication

Délégation généraleà la langue françaiseet aux langues de France

CULTURESFRANCEMinistère des Affairesétrangères et européennes

© CULTURESFRANCEfévrier 2010

TextesHenriette Walter

GraphismeÉricandMarie

ImpressionImprimerie Vasti-Dumas

ISBN978-2-35476-069-4

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TComme les cultures qu’elles expriment, les langues ne sont ni des composés stables, ni des éléments chimiquement purs. Elles ne cessent de se métamorphoser, de s’enrichir de mots nouveaux, alors que des mots depuis longtemps en usage peuvent changer de forme ou acquérir des sens nouveaux, pour exprimer les réalités d’un monde « qui bouge ».

Dix mots ont été choisis pour illustrer quelques-unes des évolutions lexicales de la langue française, outil par excellence du lien social pour tous ceux qui l’ont « en partage », mais aussi de l’expression personnelle et de l’accès à la citoyenneté et à la culture.

BALADEUR

CHEVAL DE TROIE

CRESCENDO

ESCAGASSER

GALÈRE

MENTOR

MOBILE

REMUE-MÉNINGES

VARIANTE

ZAPPER

« Dis-moi dix mots, dans tous les sens »… Ils renvoient à l’enrichissement permanent d’une langue française « en mouvement » :

•des mots nouveaux ne cessent de s’y créer, spontanément ou de manière concertée (comme baladeur ou remue-méninges) : on les désigne alors sous le nom de néologismes lorsqu’ils entrent dans le langage courant ;

•les emprunts à d’autres langues y sont nombreux (crescendo, zapper ou escagasser), qui donnent lieu à des adaptations phonétiques ou morphologiques ;

•d’autres mots acquièrent un sens nouveau pour exprimer des réalités actuelles (par exemple galère, mentor, mobile ou cheval de Troie), sans nécessairement effacer un sens plus ancien : leurs sens varient alors selon le contexte.

C’est donc à visiter « la fabrique des mots » que le public est convié en découvrant toutes ces variantes, et à mieux comprendre ainsi comment les mots se transforment et changent de sens (à moins que les sens ne changent de mots…) ; comment ils se façonnent avant d’entrer dans le langage courant.

Les mots de l’opération « Dis-moi dix mots, dans tous les sens » ont été choisis par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en concertation avec l’Offi ce québécois de la langue française, le Service de la langue française de la Communauté française de Belgique, la Délégation à la langue française de Suisse romande et l’Organisation internationale de la Francophonie.

Cette exposition est réalisée dans le cadre de l’opération « Dis-moi dix mots, dans tous les sens », à l’occasion de la « Journée internationale de la Francophonie » et de la Semaine de la langue française et de la Francophonie, organisée par le ministère de la Culture et de la Communication en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et européennes et le ministère de l’Éducation nationale.

Les textes de l’expositionont été écrits parHenriette Walter

Ministère des Affairesétrangères et européennes

Ministèrede l'Éducation nationale

Ministère de la Culture et de la Communication

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Lorsque l’on écoute de la musique enregistrée sur un baladeur, on ne pense

pas que le nom de ce petit objet évoque aussi bien la danse. Et pourtant, on aurait pu être mis sur la voie dès la première syllabe : bal, qui suggère immédiatement la ballade.

Vous l’écririez avec deux « L » ou un seul ?La langue française

propose en fait deux mots : la ballade, qui est une pièce musicale, et la balade, qui est une promenade. Cette distinction entre deux homonymes n’a été décidée qu’au XVIIe siècle et Littré la jugeait inutile : « À quoi bon cette complication ? », disait-il. Mais pourquoi s’en plaindre ? Ne peut-on pas au contraire y voir un des rares aspects positifs de notre orthographe parfois si fantasque ? Ainsi, on ne risquera plus de confondre un rêve de musique romantique avec une promenade sans histoire.

Oui, mais gare aux mauvaises rencontres, car on peut parfois

se trouver nez à nez avec un baladin. Ce nom désignait autrefois simplement un danseur, mais on en parle aujourd’hui comme d’un personnage fort peu recommandable. Alors, baladons-nous avec nos baladeurs, sans modération, mais méfi ons-nous des baladins : leur comportement n’est pas toujours anodin.

BA

LA

DE

UR« Ç’aurait été fameux de se balader

rue Pigalle, au clair de lune,en siffl ant un petit air. »

Jean-Paul Sartre, Les Chemins de la liberté, 1. L’âge de raison, 1945.

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1Walkman® NWZ-B142,baladeur MP3 Sony.© Sony

2Les Trois Pendus,François Villon (1431–1463), 1489.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© Bridgeman Giraudon

3Serge Gainsbourg,Ballade de Melody Nelson,Philips, 1971.© DR

4Homme marchant, Alberto Giacometti (1901–1966), sculpture, 1960.[Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght]© akg-images/Erich Lessing© Succession Giacometti/Adagp, Paris 2010

5Monument de Chopin, jardin du Luxembourg, Henri Rousseau (dit Le Douanier) (1844–1910), huile sur toile, 1909.[Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage]© Bridgeman Giraudon

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Il en a fait du chemin depuis l’Antiquité, ce très célèbre cheval de Troie qui, dans

l’Odyssée, est l’incroyable héros du stratagème inventé par les Grecs pour s’introduire sans éveiller l’attention dans le camp de leurs ennemis, les Troyens. Leur astuce avait consisté à fabriquer un énorme cheval de bois creux, où avaient pénétré nuitamment des soldats grecs armés.

Après des siècles de vie littéraire intense, durant lesquels il a personnifi é

le danger invisible qui se cache sous des apparences rassurantes, ce cheval de Troie mythique a de nos jours franchi une nouvelle limite : il est même devenu virtuel, puisqu’il s’est transformé en programme informatique toujours prêt à s’infi ltrer subrepticement dans un ordinateur pour y commettre des désordres irréparables.

Métaphore de l’intrus qui se dissimule sous des dehors

débonnaires, ce nouveau cheval de Troie, tout en perdant ses spécifi cités équines, prend de nos jours la fi gure du virus dévastateur qui, soudainement, peut provoquer des actions aux conséquences catastrophiques.

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TR

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« [...] Dans le cheval de bois,je nous revois

assis, nous tous,

les chefs d’Argos. »Homère, Odyssée, chant IV, fi n VIIIe siècle av. J.-C.

1Médaille à l’effi gie de Homère, IXe siècle av. J.-C.© Aisa/Leemage

2Le Cheval de Novak et Oumansky dans Parade, ballet « réaliste » d’Érik Satie, 1917,carte postale photographique.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© BnF/musée de l’Opéra

3Odyssée, Homère,VIIIe siècle av. J.-C., Paris, Gallimard, coll. « Folio classique ».© Gallimard

4Le Cheval de Troie,Jacques Martin (1921–2010), 1988, Paris, Casterman.Avec l’aimable autorisationdes auteurs et des éditions Casterman.© Casterman

5Virus informatique.© DR

6Le Cheval de Troie,Maître de l’Enéïde (XVIe siècle), émail peint, paillon d’or,rehauts d’or, vers 1530.[Paris, musée du Louvre]© RMN/Jean-Gilles Berizzi

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Dans une partition musicale, crescendo indique une montée

des sons progressive, qui peut aller jusqu’au fortissimo, une autre des innombrables notations en italien, familières aux musiciens. En français, crescendo peut aussi s’appliquer à bien d’autres domaines, où l’on peut toutefois lui préférer des équivalents bien français : croissance économique, augmentation des débouchés commerciaux, expansion d’un marché jugé peu dynamique, ou encore montée d’adrénaline avant une épreuve réputée insurmontable – mais, dans ce dernier cas, c’est plutôt le trac qui ira crescendo.

Sous sa forme italienne, on a du mal à identifi er la racine latine qui est

aussi à la base de notre verbe croître, qui, de son côté, a donné quelques dérivés par métaphore : le croissant de lune et le croissant du petit-déjeuner, ainsi que les croissanteries, une marque déposée désignant des boutiques où l’on vend toutes sortes de viennoiseries, c’est-à-dire aussi bien des croissants que des brioches, des palmiers ou même des madeleines…

Cette richesse lexicale est, certes, réjouissante, mais ce n’est pas aller

vraiment crescendo que de passer du domaine prestigieux de la musique à celui des nourritures terrestres les plus banalement quotidiennes.

« Petit à petit, mot à mot,mon père élevait la voix.

C’était un crescendo bien contenu,une gradation savante. »

Georges Duhamel, Chronique des Pasquier, 1. Le notaire du Havre, 1933.

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1Le comptage des cernes du bois permet de calculer l’âge d’un arbre. Ici, une rondelle de bois de chêne rouge.© Xavier Capdevielle/INRA

2« Alice grandit. », John Tenniel (1820–1914), illustration d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, 1891.© DR

3Quatuor à cordes, opus 131 no 14, Ludwig van Beethoven(1770–1827),partition manuscrite, 1826.[Berlin, Bibliothèque nationale]© BPK, Berlin, Dist RMN/Photographe inconnu

4Phonographe, The Gramophone and Typewriter Ltd, 1906.© Costa/Leemage

5Carte montrant l’expansion des États-Unis d’Amériquede 1783 à 1867,illustration couleur, XIXe siècle.© akg/North Wind Picture Archives

6Les métiers de l’artisanat : le boulanger, affi che pour l’école, D. Lordey, éditions MDI, 1964.[Dortmund, Westfälisches Schulmuseum]© akg-images

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Toutes les personnes qui parlent le français de naissance ne connaissent

pas le verbe escagasser « casser, détruire », qui est pourtant très usité dans le Midi. Il n’est toutefois pas sûr que tous ceux qui l’emploient très naturellement soient conscients de son étymologie un tantinet scabreuse : ce verbe remonte, il faut bien l’avouer, au verbe latin cacare, qu’il est sans doute inutile de traduire. Or, sous sa forme française, escagasser, cette signifi cation première reste bien dissimulée : on a pu entendre ce verbe à la télévision il y a quelques années, au cours d’une interview donnée par un ancien président de la République.

Si l’on voulait le remplacer par un autre verbe, moins imagé et surtout plus

« convenable », il y aurait bien le verbe esquinter, également d’origine méridionale. Là encore, l’étymologie n’est pas transparente, mais elle est, cette fois, très « présentable » : esquinter, c’est, proprement, « réduire en 5 morceaux » (on y reconnaît en effet le latin quinque « cinq »).

Encore plus convenables, voici d’autres candidats au remplacement de ces

deux verbes trop familiers : détruire, abîmer, mettre en miettes, démantibuler, anéantir, annihiler…

« Mon pauvre Irénée,[...] tu nous reviens la tête basse, et complètement escagassé par

la dure leçon de la vie. »Le Schpountz, Marcel Pagnol, 1937–1938.

ES

CA

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ES

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1Lou Trésor dou Félibrige ou Dictionnaire provençal-français : embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne…, Frédéric Mistral (1830–1914), Raphèle-lès-Arles, M. Petit, 1979.© BnF/gallica.bnf.fr

2Le Château de ma mère,Marcel Pagnol (1895–1974),1957, Paris, Le Livre de poche.© Le Livre de poche

3 et 6Le Schpountz, Marcel Pagnol (1895–1974), 1938,affi che du fi lm et scène avec Fernandel et Fernand Charpin.© Rue des Archives/RDA

4Fragment de housse de lit, broderie, fi l de soie et laine,règne de Louis XIV (1661–1715).[château de Fontainebleau]© RMN/Gérard Blot

5La Montagne Sainte-Victoire, copie d’après Paul Cézanne(1839–1906), huile sur toile.[Paris, musée d’Orsay]© RMN/Hervé Lewandowski

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Une galère, à l’origine, est un bateau à rames de l’Antiquité, puis un

navire de guerre, pour nommer ensuite des embarcations de triste mémoire, en raison de la peine infl igée aux galériens. Dans ce dernier cas, on est passé du singulier au pluriel : pour purger leur peine, les condamnés partaient aux galères, et non pas à la galère.

Les galères n’ont désormais plus aucune actualité, mais on garde tous en

mémoire le « Que diable allait-il faire dans cette galère », comme un exemple de comique de répétition que Molière exploite avec succès dans Les Fourberies de Scapin. L’évolution grammaticale de ce mot mérite aussi qu’on s’y attarde : de nos jours, pour exprimer qu’une situation est extrêmement pénible, on ne dit plus « c’est la galère », avec l’article, mais « c’est galère », comme si galère était devenu un adjectif.

Mais ce qui est sans doute le plus surprenant dans

l’histoire du nom de ce navire de guerre, c’est que le mot grec byzantin dont il est issu, par l’intermédiaire du catalan galera, est apparenté au nom du… requin. Peut-être la forme allongée de ce navire a-t-elle fait penser à celle du requin, grand prédateur marin, pour nommer un bâtiment de guerre tout aussi redoutable.

GA

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« Vogue la galère,

distPanurge, tout vabien. »

Rabelais, Pantagruel, 1532.

1Pièce de monnaie d’argent décorée de la représentation d’une galère équipée d’un système pour renverser les navires ennemis, art romain.[Paris, Bibliothèque nationalede France]© Luisa Ricciarini/Leemage

2Coupe d’une galère avec ses proportions, in Le Neptune français d’Atlas nouveau, Charles Pene et Jean-Dominique Cassini, 1693.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© BnF/département Cartes et Plans

3Requin bleu, gravure, 1839.© Costa/Leemage

4Les Fourberies de Scapin, Roger Coggio, affi che du fi lm, 1980.© DR/Bibliothèque du fi lm

5La Galère d’Obélix,René Goscinny et Albert Uderzo,1996, Paris,Les éditions Albert René.

6Ben Hur, William Wyler, 1959, scène avec Charlton Heston.© Rue des Archives/Collection CSFF

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Devenu nom commun depuis le début du XVIIIe siècle, Mentor

a d’abord été un nom propre, celui du conseiller expérimenté qui guidait avec austérité et bienveillance le jeune Télémaque à la recherche de son père, Ulysse. Sorti tout droit de l’Odyssée, on le retrouve plusieurs siècles plus tard dans Les Aventures de Télémaque, de Fénelon, mais il quittera bientôt son identité historique pour personnifi er de nos jours tout instructeur respecté en raison de sa compétence et de son talent pour guider les premiers pas d’un novice.

La référence au Mentor de l’Odyssée est de nos jours bien souvent oubliée,

mais on aime bien déceler dans « mentor » quelque chose de « mental », puisqu’on y reconnaît sans peine le mot latin mens, mentis, dont il est dérivé. Pourtant, tout n’est pas favorable dans ce vocabulaire qui vient de mens : par exemple mensonge, mentir, menteur, menteuse…

En revanche, ce substantif latin mens a connu un destin incomparable

dans la langue française, en se muant en suffi xe très productif, pour former d’innombrables adverbes en tous genres, comme intellectuellement, savamment, aventureusement, ainsi que mentalement, bien sûr, et même mensongèrement.

« Ce livre, me dit-elle, est un mentor dont vous aurez besoin dans le monde. »

Rousseau, Les Confessions, 1782.

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1Les Aventures de Télémaque, François de Salignacde La Mothe-Fénelondit Fénelon (1651–1715),1699, Paris, Gallimard,coll. « Folio classique ».© Gallimard

2Pinocchio sur un tricycle, 1949.[Florence, Fratelli Alinari]© Archives Alinari, Florence, Dist RMN/Graziella Pellicci

3Sempé, dessin extrait d’Enfances, 2004, Paris,Galerie Martine Gossieaux.© J.- J. Sempé/Galerie Martine Gossieaux

4Francois de Salignacde La Mothe-Fénelon, Joseph Vivien (1657–1734),huile sur toile, 1713.[château de Versailles]© Bridgeman Giraudon

5« Mentor engage Télémaque à aller faire la guerre aux Dauniens. », in Les Aventures de Télémaque, Fénelon,dessin de Charles Monnet,gravure de Jean-Baptiste Tilliard, 1785.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© BnF/département Estampes et Photographie

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Mobile offre un bon exemple du passage d’un adjectif

(la gendarmerie mobile) à un substantif (les mobiles de Calder). Il y avait bien auparavant le mobile du crime, mais c’était une simple abstraction. Au contraire, les mobiles de Calder (dont le nom a été trouvé par son ami Marcel Duchamp vers 1932) sont des sculptures totalement concrètes, constituées d’objets légers reliés entre eux par des fi ls de fer suspendus, qui leur permettent de se mouvoir au moindre souffl e d’air. Mais tout en étant concrètes, ces sculptures sont conçues pour manifester une abstraction, celle du mouvement. Calder lui-même disait : « Pour la plupart des gens qui regardent un mobile, cet ensemble n’est qu’une série d’objets plats en mouvement. Mais pour certains, cependant, cela peut devenir de la poésie. »

E n français, depuis les progrès de la miniaturisation, le mobile

a hérité d’un concurrent sérieux, le portable, créateur de quiproquos, car il peut désigner soit le téléphone, soit l’ordinateur.

Les amateurs d’opéra connaissent aussi l’adjectif italien mobile « mobile,

qui est en mouvement », mille fois entendu dans l’opéra de Verdi, Rigoletto : « La donna è mobile, qual piuma al vento. » (« La femme ne tient pas en place, telle la plume au vent. »)

« Nous sommes des créatures tellement

mobiles que les sentiments que nous

feignons, nous fi nissons par les éprouver. »

Benjamin Constant, Adolphe, 1815.

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1Premier voyage en ballon jamais tenté par les frèresJoseph et Étienne Montgolfi er,bois de Boulogne,21 novembre 1783, gravure.© akg-images/SPL

2Mobile sur deux plans,Alexander Calder (1898–1976), tôle d’aluminium et fi ls d’acier peints, 1962.[Paris, musée national d’Art moderne/Centre Georges Pompidou]© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN/DR© The Calder Foundation/Adagp, Paris 2010

3Alexander Calder devantla BMW 3.0 csl, 1975.© BMW AG

4Le Gendarme en balade, Jean Girault, 1970,affi che du fi lm.© Rue des Archives/RDA

5L’iPhone est un « smartphone » (téléphone intelligent) conçu par Apple. Il intègre dans un même terminal de petite taille la téléphonie mobile et les fonctionnalités de base d’un ordinateur (accès à internet, bureautique, multimédia et jeux).© 2010 Apple Inc.

6La soprano française Norah Amsellem interprète Gilda dans Rigoletto, opéra en trois actes de Guiseppe Verdi, mis en scène par Paul-Émile Fourny, le 23 juillet 2001 au théâtre antique d’Orange dans le cadre des Chorégies.© AFP PHOTO/Anne-Christine Poujoulat

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Cerveau, cervelle, intellect, méninges…, les mots sont nombreux

pour nommer le lieu où naissent et se développent les pensées, les raisonnements, voire les inventions. Quand cet organe est atteint de façon plus ou moins profonde, c’est qu’on souffre de méningite, ce qui est très sérieux, mais quand on parle de remue-méninges, on le fait avec un certain sourire, ce qui n’est pas le cas de l’expression anglaise brainstorming, dont remue-méninges est l’équivalent en français. La méthode du

brainstorming, inventée vers 1935 par un publicitaire

américain, Alex Osborn, pour collecter le plus possible d’idées, même les plus farfelues, en vue d’une campagne publicitaire, repose sur quelques règles simples, dont  la plus effi cace est inattendue. On ne peut jamais critiquer les idées des autres participants, afi n d’éviter de nuire au but fi xé : faciliter à tout prix la créativité spontanée. Participer à un remue-

méninges n’est donc pas une simple réunion

de travail et le terme a même été publié au Journal offi ciel du 22 septembre 2000, avec la défi nition : « Technique de groupe destinée à stimuler l’imagination des participants en vue de leur faire produire le maximum d’idées dans le minimum de temps. »

« J’ai la méninge qui fl eurit/La nature

m’a tout appris/Je suis poète. »

« Fleurs de méninges », paroles d’Émile Noël, musique de Georges Moustaki, 1962.

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S1Anatomie, coupe sagittale du crâne humain, gravure,in Carl Bertuch, Livre d’images pour enfants, Weimar, 1813.[Berlin, coll. Archiv f. Kunst & Geschichte]© akg-images

2Une séance de « remue-méninges » à l’agence de publicité BBDO. Au mur à droite, les règles de base (Brainstorm Ground Rules), Philippe Halsman (1906–1979), photographie, New York, 1959.© Philippe Halsman/Magnum photos

3Les Shadoks, créatures imaginées par Jacques Rouxel (1931–2004), aiment à se réferer constamment à des devises qui leur sont propres, parodiant, pour la plupart, des principes humains.© aaa production

4Portrait d’une jeune fi lle, fresque, Rome, Ier siècle apr. J.-C.[Naples, Museo e Gallerie Nazionali di Capodimonte]© Bridgeman Giraudon

5À l’école, in En l’an 2000,Villemard,chromolithographie, 1910.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© BnF/département des Estampes

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Bernard Cerquiglini

la varianteHistoire critique de la philologie

Des Travaux Seuil

Éloge de

En ces temps d’uniformisation galopante, c’est un regard

reconnaissant qu’il convient de porter sur les variantes : un moyen, grâce à des formes différentes d’un même concept, d’échapper à la monotonie d’un texte. Ainsi, on a le choix entre je peux et je puis selon le niveau de langue adopté, tout en regrettant que cette même liberté ne se maintienne pas à la forme interrogative, où seul puis-je ? est admis.

Le mot prend un autre sens dans la critique littéraire qui, par le recensement des

diverses variantes d’un même texte, a les moyens de décrypter la genèse d’un texte : une façon de retrouver l’histoire de ses différents brouillons. À partir d’une étude renouvelée des textes du Moyen Âge, Bernard Cerquiglini a même écrit un Éloge de la variante, qui est une histoire critique de la philologie.

Mais les variantes, loin de se cantonner à la grammaire et

à la littérature, peuvent aussi désigner des ingrédients qui donnent couleur et goût aux mets qu’elles accompagnent. Dans ce cas, les variantes sont des légumes divers, salés ou vinaigrés et aromatisés, qui relèvent d’une touche savoureuse les plats les plus insipides.

« Nous sommes des rédacteurs de variantes,

jamais des auteurs. »Erri De Luca, Alzaïa, 1997.V

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1Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie,Bernard Cerquiglini, 1989, Paris,Éd. du Seuil, coll. « Des travaux ».© Éd. du Seuil

2Petit jeu d’échecs en cuir noir, IIIe République.[Blérancourt, muséefranco-américain du châteaude Blérancourt]© RMN/René-Gabriel Ojéda

3Note autographe pour « Projets », dessin de pièces d’échecs :roi, reine et cheval,Marcel Duchamp (1887–1968), crayon, encre noire, XXe siècle.[Paris, musée national d’Art moderne/Centre Georges Pompidou]© Collection Centre Pompidou,Dist. RMN/Jean-Claude Planchet© Sucession Marcel Duchamp/Adagp, Paris 2010

4Publicité Heinz pour des pickles, conserves au vinaigre servant de condiment, début du XXe siècle.© Mary Evans/Keystone/Eyedea Presse

5À l’ombre des jeunes fi lles en fl eurs, Marcel Proust (1871–1922), placards corrigés par l’auteur, 1917–1918.[Paris, Bibliothèque nationale de France]© BnF/Réserve des livres rares

6Renart et Tibert, scène extraite du Roman de Renart, manuscrit à peinture, XIIIe siècle.[Paris, Bibliothèqe nationale de France]© Flammarion/Bridgeman Giraudon

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Le verbe zapper vient, nous dit-on, d’un verbe anglais to zap, mais le sens qu’il a en

français, « sauter rapidement de chaîne en chaîne », à la recherche aveugle d’une émission de télévision plus attrayante, n’existait pas dans le verbe anglais. C’était, dans les bandes dessinées, une espèce d’onomatopée imitant le bruit sec d’une arme faisant brusquement tomber, et même disparaître la personne visée. C’est cette même allusion à la vitesse du résultat obtenu qui a permis d’utiliser le verbe to zap pour le réchauffage des plats au micro-ondes.

Rien de tout cela dans le verbe devenu français, où il s’est d’abord spécialisé

dans l’expression du saut d’un programme de télévision à un autre. Mais aujourd’hui son domaine s’est largement étendu, dans le sens de « supprimer » ou d’éviter involontairement, puisqu’on peut zapper un cours, un chapitre dans un manuel, ou encore une nouvelle dans le journal.

Par un effet de boomerang fréquent dans les échanges lexicaux entre les langues,

l’anglais to zap peut maintenant s’appliquer aussi aux bonds de la télécommande, alors qu’auparavant, il ne s’agissait que de faire disparaître de l’écran un programme donné. Autrement dit, si l’origine de la forme du mot est bien anglaise, sa signifi cation actuelle vient du français.

AZ

PP

ER

« Malheur aux naïfs qui croientque zapper c’est vivre

et qu’en conséquence vivrec’est zapper… »

Bernard Pivot, Le Métier de lire, Gallimard, 1990.

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1Les Zappeurs, tome XII,Zappe qui peut !,Serge Ernst et Jean-Louis Janssens, 2004, Paris, Dupuis.© Ernst-Janssens/Dupuis 2004

2Ars Electronica, Nam June Paik (1932–2006), mixed media, XXe siècle.[Youngstown, The Butler Instituteof American Art]© Butler Institute of American Art, Youngstown, OH, USA/Museum Purchase 2000/Bridgeman Giraudon

3Petit écolier à l’air rêveur,Willy Ronis (1910–2009),photographie, 1960.© Succession Willy Ronis/Diffusion Agence Rapho/Rapho/Eyedea Presse

4Dernier-né des accessoires associés à la console de jeu vidéo Wii de Nintendo, le Wii Zapper sert à loger différentes manettes afi n d’obtenir un fusil, un revolver ou encore une arbalète.© Nintendo

5Femme regardant la télévision sur un téléviseur Zenith et utilisant une télécommande, image colorisée.© Rue des Archives/BCA