Extrait de la publication - Decitre...de ne pas avoir été aussi inventeur que vous, ne parvenant...

Extrait de la publication

Extrait distribué par Editions Flammarion

NORD COMPO _ 03.20.41.40.01 _ 26-11-08 17:42:38Z36233 U000 - La vengeance de Richelieu - Oasys Rev 18.02Rev 18.02 - Page 1


DU MÊME AUTEUR

Le Boîtier rouge, Denoël, 1995.Le Mille-pattes, Denoël, 1998.Rendez-vous chez Scylla, Flammarion, 2000.Les Voleurs d’ouragan, Flammarion, 2001.Petits Arrangements avec les femmes de ma vie, La Martinière, 2002.Un homme de liberté, Flammarion, 2002.Le Phonogrammobile ou les Aventures de Fred Cumulo et d’Alizée d’Oc,Frémeaux et Associés (coauteurs L. Chaumet et J.-P. Bouvry), 2003.Le Secret de Champollion, Flammarion, 2005, J’ai Lu, n° 7922, 2006.L’Insoumise du Roi-Soleil, Flammarion, 2006, J’ai Lu, n° 8289, 2007.La Prophétie de Golgotha, Flammarion, 2007.



Jean-Michel Riou

Flammarion



La beauté est la seule vengeance des femmes,imaginait Serge Gainsbourg.

À toi, Catherine, ma tendre femme.Chaque jour, je redécouvre en toi, la plus belle vengeance de l’amour.




Ma vengeance est perdueS’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue.

Jean Racine, Andromaque.




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1. Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé…




Moi, Voltaire, j’ai promis de mourir en adorant Dieu, en aimantmes amis et, plus encore, en ne haïssant pas mes ennemis. Je l’aimême écrit pour que nul n’en doute et, depuis, j’œuvre sansrelâche, puisque je sais que je vais m’éteindre.

Au nom de la tolérance, une vertu que j’ai défendue avec âpreté,je me porte à présent vers les hommes qui m’ont conspué ou mau-dit et, venant en paix, je tente de me réconcilier avec ceux qui medétestaient. Est-ce parce que je meurs et ne suis plus un danger,que je réussis parfois ? Ma main tremble, ma plume s’attendrit, onme craint moins, et certains prétendent que les reproches qu’onm’adresse céderont bientôt la place aux regrets posthumes. Cetespoir dulcifie ma fin, mais je ne peux m’en contenter, car je crainsque l’absolution de mes fautes ne soit pas générale.

Ce n’est pas vous, mon cher Rousseau, qui me contrediriez surce point puisque je vous ai fait souffrir durement. De tous lesassauts livrés, je regrette surtout ce pamphlet dans lequel j’ai assas-siné votre honneur dans l’espoir de détruire votre Émile, cet admi-rable recueil dédié à l’éducation des plus jeunes. Oui, je reconnaisici que je suis l’auteur des lignes anonymes dans lesquelles il futsoutenu que vous aviez abandonné vos enfants, ajoutant que celuiqui avait agi de la sorte ne pouvait instruire son prochain d’un sujet

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piétiné par lui-même. L’honnête homme aurait dû tenir comptede l’effroi de votre jeunesse, convenant que tant d’épreuves vousaccordaient l’autorité de dire ce qui était juste et bon dans l’instruc-tion. Qui mieux que celui qui a souffert a le droit de réformer lasouffrance ? J’en ai fait commerce, écrivant articles et lettres où, aunom de la liberté, j’ai défendu ceux qui enduraient. Commettantdans votre cas une ignoble injustice, j’ai préféré blesser le meilleurdes philosophes, fabriquant une rumeur dont les préjudices l’obli-gèrent à se soumettre à d’implacables critiques. Votre réponse futde défendre votre honneur en le livrant au jugement des hommes.Au moins, ma coupable erreur vous permit-elle de produire uneœuvre admirable dans laquelle vous avez accepté d’exposer sincè-rement votre vie et vos actes. Ainsi sont nées vos Confessions, afinque l’on découvre, après l’indignité produite par moi seul, que nulautre ne fut meilleur que vous. Du moins, plus que Voltaire, dontle premier aveu sera de reconnaître que l’aversion qu’il vous a long-temps montrée ressemblait fort à de la jalousie.

Et je vous ai envié encore d’avoir produit une réponse brillante,touchant au génie quand je n’y opposais que la vengeance aveugle.Est-ce la peur d’affronter le penseur-roi qui me fit agir derrièreun masque tel un misérable délateur ? Pour le repos de mon âme,accordez-moi la faveur de croire que ma nuisance vous décida aussià produire les Confessions, une entreprise sans égal qui contribuerapendant des siècles à l’élévation et, j’en conviens fort tard, à l’éduca-tion des esprits.

Je devine que mes mots vous surprennent. Où nous conduitcet éloge ? Que cache cette mise en scène ? Rien de plus qu’untête-à-tête orchestré par le respect. Oui, je voudrais que nous nousquittions tels les frères d’une même bataille, dédiée au progrès et àla connaissance. Pour cela, j’ai besoin d’entendre que tout n’est pasperdu, abordant ici ce qui me reste à obtenir et que je juge essen-tiel : je souhaiterais me réconcilier avec vous, mon très cher Jean-Jacques Rousseau.

Le défi est osé, la pente ardue, tant nous nous sentons loin l’unde l’autre. Mais ce qui nous désunit n’est-il pas qu’un quiproquo,un malentendu nous ayant empêchés de siéger côte à côte ? Pouraccepter de faire taire nos querelles, il faudrait encore trouver un

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sujet sur lequel nous penserions de concert. Cet exercice voussemble voué à l’échec ? Je crois pourtant avoir trouvé le moyen d’entriompher, espérant mettre fin à l’aveuglement qui a nui si long-temps à notre rapprochement.

Ainsi, nous croyons tous deux à la liberté. Je l’ai défendue ; vousl’avez prise pour modèle. J’ai critiqué ceux qui la menaçaient quandvous imaginiez la société idéale qui la protégerait. La souverainetédu peuple, socle de la démocratie, est, j’en conviens, un système adhoc pour chérir la liberté. Je reconnais donc que vous êtes allé plusloin que moi, que je n’ai pas eu votre audace, votre génie, et quemes coups n’ont fait qu’égratigner une monarchie qui méritait pireet s’éteindra bientôt en France pour avoir renoncé à se réformer.Ainsi, je confesse à mon tour que j’ai manqué de courage et d’enga-gement, préférant écrire des contes qui amusaient, ironisant sur dessujets graves. La liberté méritait un autre traitement, et je regrettede ne pas avoir été aussi inventeur que vous, ne parvenant qu’àflatter le despote éclairé, molle parade au fléau de l’absolutisme,quand il aurait fallu prendre parti, s’engager nettement dans votrecamp. Ainsi, pour croire que nous sommes les deux faces d’unemême cause, il faudrait une preuve irréfutable de mon honnêtetécar l’entendement entre nous n’a rien d’évident, et vous doutez demoi, imaginant que la sénilité se mêle aux regrets tardifs pour per-turber mon jugement. Mais je ne me rends pas à vous les mainsvides. Mieux que des arguments, je vous offre la preuve que j’airaison de nous voir en amis. Et ce gage indéniable se trouve dansle document qui accompagne ma lettre.

N’y voyez aucune malice, mais il s’agit de la… confession d’unhomme venant du siècle dernier. Je reçus ce témoignage de monpère, François Arouet, notaire et receveur des épices à la Cour descomptes qui, du fait de sa proximité avec le parlement de Paris, futtémoin, parfois même acteur, des cabales qui firent trembler les roisde France. Souvenez-vous de la journée des Dupes dont Richelieuse tira d’affaire in extremis, des tentatives de Gaston d’Orléans etde ses alliés pour renverser son frère, Louis XIII, des intrigues deCinq-Mars, de la fronde parlementaire, de celle des princes de sangcontre le jeune Louis XIV ! Un homme siégea au cœur de ces évé-nements formidables qui mirent la couronne en péril et, pour les

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avoir connus de l’intérieur, il a rédigé ses mémoires, confiés ensuiteà mon père qui me les transmit avant sa mort.

Et, désormais, elles sont entre vos mains.Ces pages captivantes révèlent les dessous des luttes intestines

qui agitèrent l’époque. Mieux, elles en livrent les raisons secrètes.Le nom des conspirateurs, leur mobile, leur alliance… Il nemanque rien pour provoquer un scandale dont la royauté branlantepeinerait à se remettre si ce témoignage venait à être publié. Oui,vous pourriez justement user de ce que je vous offre pour servir vosidées. Mais pourquoi le feriez-vous ? Et pourquoi ne l’ai-je pas fait ?Chacun est libre de ses choix. Le mien, je l’expliquerai plus tard,et vous en comprendrez le sens après avoir lu ce qui suit. Sachezpour le moment que le sujet principal touche la Nouvelle-Francedont Louis XV s’est défait lors du Traité de Paris 1 en échange desAntilles. Je sais que vous avez condamné ce troc, quand je le sou-tenais au prétexte que la France perdait quelques arpents de neige 2,mais gagnait la richesse du sucre. Ainsi, je me suis rangé aux côtésde ceux qui, oubliant l’œuvre glorieuse des colons et de leurs des-cendants, ont préféré le profit à la grandeur, et que l’Histoire jugeracoupables d’avoir délaissé leurs lointains parents, soumettant cesorphelins au joug de l’Anglais. De fait, vous auriez pu rendre millefois la monnaie de sa pièce à celui qui avait plus tôt injurié votredignité de père. Mais avant de me juger, apprenez que les appa-rences sont trompeuses et que je suis plus proche de vous qu’on nel’imagine.

Chacun ses méthodes, je l’ai écrit. Vous faites front ; j’emprunteles chemins de traverse. Au total, nous visons la même finalité, carmon soutien de la décision française concernant le Québec cache

1. Ce traité met fin à la guerre de Sept Ans et réconcilie la France et laGrande-Bretagne. Il est signé le 10 février 1763. La France cède le Canada etretrouve les Antilles pour y pratiquer le commerce d’esclaves contre du sucre,aussi immoral que lucratif.

2. Formule employée dans Candide et faisant suite à « quelques arpents deglace » expression utilisée dans une lettre adressée par Voltaire à François Augus-tin de Paradis de Moncrif. Mais on trouve aussi cette « vision » de la colonie, un« pays couvert de neige et de glace huit mois de l’année, habité par des Barbares,des ours et des castors » dans Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1753).

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un mobile secret qui entretient d’étroits rapports avec la noblecause de la liberté.

En découvrant les raisons de mon silence, vous conviendrez alorsque nos opinions se ressemblent telles deux gouttes d’eau. Enrevanche, je ne parierai pas sur votre réaction lorsque vous aurezpris connaissance de cette affaire d’une extrême importance.Comme je le pense, hurlerez-vous au scandale ? Le nouveau pro-priétaire de ce brûlot – il s’agit bien de vous – prendra sa décision.Et ce sera la bonne. J’espère simplement être encore vivant pourgoûter à la saveur de votre indignation, si vous décidiez de la livrerau monde. Pourquoi vous ai-je élu ? Et quel lien faut-il établir entreles sujets que, selon moi, nous partagerions et ces pages surgissantde l’Histoire ? Allons, Rousseau, parce qu’il s’agit du sujet le plusimportant de nos vies : la liberté, et, plus encore, la démocratie,son indissociable compagne. Or, il n’existe pas de meilleur allié quevous, très cher philosophe, dès lors qu’il s’agit d’attaquer, de ripos-ter, de se battre, de scandaliser. Voici pourquoi, afin de garnir votreopinion, je vous lègue ce que je crois être une arme définitive.

Je devine votre impatience. Vous ne songez qu’à découvrir cesrévélations dont vous tirerez à coup sûr un redoutable opus illus-trant la pertinence de vue de son compositeur et assurant sontriomphe. Oui, la curiosité vous pique, vous réclamez qu’on vouslaisse en paix. Et j’ai promis de ne plus vous chagriner. Lisez ce quisuit pour votre profit et retrouvons-nous ensuite. Du moins, c’estle vœu du vieillard qui périt et signe, sans doute, sa dernière lettresous le nom de




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1. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ce qui suit…



N° d’édition : L.01ELKN000152.N001Dépôt légal : février 2009




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