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Collection QA compact

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Du même auteur

Adulte

Les Émois d’un marchand de café, roman, coll. Littérature d’Amérique, Québec Amérique, 1999. Nouvelle édition : Le Marchand de café, coll. QA compact, Québec Amérique, 2012.• PRIX DU GRAND PUBLIC DU SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL –

LA PRESSE, 2000.

Le Second Violon, roman, coll. Littérature d’Amérique, Québec Amérique, 1996. Nouvelle édition, coll. QA compact, Québec Amérique, 2012.

La serveuse du Café Cherrier, roman, Michel Brûlé, 2011.

Juliette Pomerleau, roman, coll. Littérature d’Amérique, Québec Amérique, 1989. Édition définitive, Fides, 2008.• PRIX DES ARTS MAXIMILIEN-BOUCHER, 1991.

• GRAND PRIX LITTÉRAIRE DES LECTRICES DE ELLE, 1990.

• PRIX JEAN-GIONO, 1990.

• PRIX DU GRAND PUBLIC DU SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL –

LA PRESSE, 1989.

L’Enfirouapé, roman, Éditions La Presse, 1974. Nouvelle édition, coll. 10/10, Stanké, 2008.• PRIX FRANCE-QUÉBEC, 1975.

SÉRIE CHARLES LE TÉMÉRAIRE

Charles le téméraire, Parti pour la gloire, roman, Fides, 2006. Charles le téméraire, Un saut dans le vide, roman, Fides, 2005.Charles le téméraire, Un temps de chien, roman, Fides, 2004.

Le Matou, roman, coll. QA compact, Québec Amérique, 1981, 2002. Édition définitive, Fides, 2007.• TRADUIT EN 18 LANGUES À TRAVERS LE MONDE.

• PRIX DES LYCÉENS DU CONSEIL RÉGIONAL DE L’ÎLE-DE-FRANCE,

PARIS, 1992.

• PRIX DU LIVRE D’ÉTÉ, CANNES, 1982.

• PRIX DU GRAND PUBLIC SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL, 1981.

• PRIX DES JEUNES ROMANCIERS DU JOURNAL DE MONTRÉAL, 1981.

Une nuit à l’hôtel, nouvelles, coll. Littérature d’Amérique, Québec Amérique, 2001.

Du sommet d’un arbre, récits, coll. Littérature d’Amérique, Québec Amérique, 1986. Nouvelle édition, BQ Poche, 2001.

Le Prix, livret d’un opéra, Productions Le Prix, 1993.

L’Avenir du français au Québec, en collaboration, Québec Amérique, 1987.

Jeunesse

Renard bleu, roman, Fides, 2009.

SÉRIE ALFRED

Alfred et la lune cassée, roman, coll. Bilbo, Québec Amérique, 1997.Alfred sauve Antoine, roman, coll. Bilbo, Québec Amérique, 1996.Antoine et Alfred, roman, coll. Bilbo, Québec Amérique, 1992.Une histoire à faire japper, roman, coll. Gulliver, Québec Amérique, 1991.

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Beauchemin, YvesLe second violonNouv. éd.(Collection QA Compact)Éd. originale : Montréal : Québec Amérique, 1996.Publ. à l’origine dans la coll. : Collection Littérature d’Amérique.ISBN 978-2-7644-2225-0 (Version imprimée)ISBN 978-2-7644-2229-8 (PDF)ISBN 978-2-7644-2230-4 (EPUB)I. Titre.PS8553.E172S42 2012 C843’.54 C2012-941284-8PS9553.E172S42 2012

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Les Éditions Québec Amérique bénéficient du programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Elles tiennent également à remercier la SODEC pour son appui financier.

AvertissementL’article Un mort devant sa télé depuis dix mois utilisé (avec de légères modifications) à la page 298 provient d’un texte de l’Agence France Presse paru dans La Presse du 25 mars 1993.

Québec Amérique329, rue de la Commune Ouest, 3e étageMontréal (Québec) Canada H2Y 2E1Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Dépôt légal : 4e trimestre 2012Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Mise en pages : Julie DubucConception graphique originale : Isabelle LépineAdaptation de la grille graphique : Nathalie CaronIllustration en couverture : Stéphane Poulin

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

©2012 Éditions Québec Amérique inc.www.quebec-amerique.com

Imprimé au CanadaExtrait de la publication

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Yves Beauchemin

Le Second Violon

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Aux docteurs Michel Bojanowskiet François Lavigne

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Je tiens à remercier pour leur aide généreuse et leurs précieuxconseils ma femme Viviane, Pierre Cayouette, Claude Désaulniers,Bernard de Fallois, Jacques Fortin, Diane Martin, Sylvain Meunier,Liliane Michaud, Luc Perreault, Hélène Pichette, Aubay Poloness,Phyllis Préfontaine, Claudio Ricignuolo et Henri Tranquille.

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Je n’avais rien à offrir à personne que ma propreconfusion.

Jack Kerouac, Sur la route

— Expliquez-moi, je vous prie. L’hommedoit-il poursuivre un but ou au contraire ne se sou-cier de rien? Mais alors, comment vivre sur terre?Il faut avoir un plan, n’est-il pas vrai ?

Ivan Chmeliov, Garçon !

— À bien y penser, dit-elle en déposant sa tassesur un guéridon, la médiocrité n’est qu’une façonde vivre un peu plus reposante que les autres. Unesorte d’équilibre dans la platitude, qui convientnaturellement aux paresseux.

— Je vous remercie de votre franchise, répon-dit sèchement l’officier.

Il s’inclina devant elle et quitta la pièce.

Sigurd Nordraak, Le Postillon

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À L’AUBE, un rayon de soleil toucha la pointe du clocher del’église Saint-Antoine, ricocha sur une fenêtre de la rue Grant, puisatteignit une canette de bière gisant au milieu de la chaussée. Unepointe de feu s’y alluma. Cela attira l’attention d’un chien ; il alla larenifler, puis, sans trop savoir pourquoi, poussa un long hurlement.Nicolas Rivard se réveilla en sursaut, l’esprit tout englué d’un rêveconfus et harassant. Au même instant, le téléphone sonna. Il allongeale bras, saisit le récepteur. C’était la voix de Dorothée. Elle pleurait.

— Il est au plus mal, annonça-t-elle. On ne lui donne pas lajournée. Il veut te voir.

— Je pars tout de suite... Je t’en prie, calme-toi. Ce n’est peut-être qu’une fausse alerte. Voilà trois fois qu’on annonce sa mort etil tient toujours le coup... Ah bon, ajouta-t-il au bout d’un moment.

Il se mordit la lèvre, consulta sa montre :— Je serai là vers neuf heures.Géraldine s’était soulevée sur un coude et l’observait, le visage

tout amolli par le sommeil, mais l’œil vif et inquiet :— François ?Il s’était laissé retomber sur l’oreiller et fixait le plafond, comme

pour y repérer de minuscules défauts. Il fit signe que oui.— C’est la fin?Il fit signe que oui de nouveau. Elle lui mit la main sur le ventre.

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— Veux-tu que j’avertisse Morency? Je dirai que tu es malade.— C’est pas la peine. Il est au courant de tout. Je lui télépho-

nerai moi-même en arrivant à Québec.Le moulin à café se mit à rugir en bas dans la cuisine. Jérôme

préparait le déjeuner, comme d’habitude.— Eh bien, allons-y, fit-il en se jetant hors du lit. Je te laisse

l’auto. Je vais prendre l’autobus. Je n’ai pas le cœur de me taper Montréal-Québec ce matin.

Il était debout au milieu de la chambre, complètement nu, l’airdésemparé. Géraldine l’observait toujours. Elle faillit lui dire qu’ilavait toujours de belles fesses pour un homme de quarante-cinq ans,mais jugea le moment inopportun.

De petits pas étouffés se firent entendre. Sophie apparut dansla porte en dormeuse rose, tenant par la queue son chat en pelucheà moustaches de nylon, et se glissa silencieusement sous les cou-vertures près de sa mère avec un sourire satisfait et rusé.

— Qui a téléphoné, maman? demanda-t-elle de sa voix fluetteet chantante. Ma garderie?

— Non, Loulou, c’est une madame de Québec. Papa s’en vala trouver.

— J’y vais avec toi, lança-t-elle d’une voix impérieuse en se re-dressant.

Nicolas venait d’enfiler son pantalon et boutonnait sa chemise.Il contourna le lit et s’accroupit devant sa fille :

— Je ne peux pas t’emmener, Sophie. Je vais voir un de mesamis qui est très malade. Il va peut-être mourir.

Elle le fixa une seconde d’un air grave, puis se retournant verssa mère :

— Ce matin, je veux de la confiture de framboises sur mes rô-ties. Beaucoup.

Nicolas allait descendre l’escalier lorsque la voix de Frédéricretentit dans la chambre voisine :

— Papa?— Oui? fit-il, connaissant déjà la suite.

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— Viens me frotter le dos.Masser le dos de son fils de dix ans faisait partie des rites im-

muables du matin. Il étouffa un soupir, pénétra dans la chambre ets’agenouilla sur le bord du lit. Frédéric s’était vivement retourné surle ventre et attendait, la tête de côté, un sourire d’aise déjà sur leslèvres.

— Je ne pourrai pas te frotter longtemps ce matin, Freddy. Ilfaut que je parte en vitesse pour Québec. François est en train demourir.

L’enfant souleva brusquement la tête et réussit à se tordre suf-fisamment le cou pour lui lancer un regard aigu :

— François Beaucage?— Durivage.— L’écrivain? Celui qui nous avait apporté la grosse poule en

chocolat à Pâques?— Celui-là. — Il a un cancer?— Oui.— Gratte-moi doucement les omoplates, papa, et tu pourras

t’en aller après.Nicolas s’exécuta, puis jeta un coup d’œil à sa montre et se di-

rigea vers la porte. — Salut, Fred, fit-il sur le seuil. Je reviens ce soir.— Papa?Nicolas se retourna. Frédéric était assis dans son lit, les genoux

repliés, et le fixait d’un air étrange :— Bon voyage, hein? Passe une bonne journée.Nicolas eut l’impression que son fils voulait plutôt dire : «Ne

meurs pas toi aussi, papa. J’ai besoin de toi. »Il lui fit un clin d’œil et descendit l’escalier. Jérôme était accroupi

dans le hall en train de charger son sac de toile des quarante-deuxexemplaires de L’Instant qu’il devait livrer chaque matin avant septheures.

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— Déjà debout? lança-t-il de sa voix rauque, travaillée par lamue.

— Il faut que je parte en vitesse pour Québec. François ne pas-sera pas la journée.

Jérôme se dressa, saisi :— Ah non?Il fallait que l’émotion soit profonde pour qu’elle affleure au

visage de ce garçon impénétrable et taciturne, qui n’interrompait sesinterminables cogitations que par de rares explosions de joie, semantalors la pagaille dans toute la maison.

— J’ai lu un de ses livres la semaine passée.— La Nuée de moucherons?— Oui. J’ai beaucoup aimé ça. C’est dommage qu’il meure.Il s’agenouilla et se remit à glisser les journaux dans son sac.Nicolas pénétra dans la cuisine. La cafetière poussait de

bruyants hoquets, indiquant que son travail achevait ; le soleild’avril faisait doucement vibrer les assiettes et les ustensiles soi-gneusement disposés sur la table. Traversé par un jet de lumière, lepot de confiture de framboises ressemblait à un petit vitrail.

Nicolas finissait son déjeuner lorsque Géraldine descendit l’esca-lier avec Sophie et Frédéric. Comme ses cours ne débutaient qu’àdix heures, elle s’offrit à le reconduire au métro, qui l’amèneraitdirectement au terminus.

— J’ai peur d’aller le voir, lui avoua-t-il en sortant de l’auto.J’ai peur de ne pas contrôler mes émotions, de dire des conneries.

— Il a bien plus peur que toi, lui répondit-elle avec une mouepensive. Téléphone-moi ce midi. Tu pourras me joindre à la salledes professeurs.

�François Durivage émergea tout à coup d’une profondeur

étouffante et ouvrit les yeux. Sa douleur l’attendait ; elle s’était unpeu assoupie, mais voilà qu’elle se remettait peu à peu au travail ; dansquelques minutes, elle lui dévorerait impitoyablement le côté. Il avait

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peine à respirer, mais ça pouvait encore aller ; il échappait pour l’ins-tant à l’angoisse insoutenable qui le saisissait lors de ces accès desuffocation.

Dorothée se tenait debout près du lit ; il lui sembla qu’elle luitenait la main, mais il n’en était pas sûr, car l’extrémité de sesmembres était engourdie. Elle serra les lèvres et ferma lentementles yeux d’un air épuisé. Son visage lisse et blanc, encadré par descheveux noirs doucement ondulés, lui parut curieusement dé-formé, ainsi que celui de l’infirmière qui se tenait derrière elle. Ilaurait voulu le lui dire ; il aurait voulu lui dire aussi combien il l’ai-mait, malgré cette histoire d’Ogunquit et les terribles discussions quiavaient suivi, mais aucun son ne pouvait plus sortir de sa bouche àprésent, cette bouche si horriblement sèche et amère qui refusaitmaintenant les quelques gouttes d’eau dont on essayait de l’humecter.

Les deux femmes le fixaient comme s’il était devenu un objet.Le visage de l’infirmière s’était déformé encore un peu plus ; il re-porta son regard sur celui de Dorothée. Une telle désolation y régnaitqu’il comprit que la mort était venue. Il s’étonna de considérer la choseaussi froidement. La morphine, sans doute. Lui qui l’abhorrait etl’avait repoussée jusqu’à l’extrême limite de ses forces pour tenterde conserver un semblant de dignité, il l’accueillait désormais avecune sorte de plaisir honteux.

La chambre commença à s’obscurcir ; un étourdissement pro-fond l’envahissait et empâtait ses idées. L’infirmière se releva au-dessus du lit et il s’aperçut qu’elle venait de lui faire une injection.Il eut le temps de voir en esprit son manuscrit inachevé posé devantla fenêtre sur le coin de son bureau à la maison ; il l’avait longuementcaressé avant de partir pour l’hôpital, dans le fol et vain espoir quecela lui porterait chance. Mais soudain la douleur prit toute la placeet une peur affreuse le saisit de nouveau de ne plus pouvoir respi-rer. Il posa sur sa femme un regard affolé, vit avec horreur qu’ellepleurait à présent sans aucune retenue et se rendit compte que du-rant toutes ces minutes il n’avait cessé de gémir.

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Comme d’habitude, le terminus était rempli de cette agitationvide et sans but née d’une foule qui semblait y déambuler l’espritailleurs, impatiente de le quitter. L’express de Québec, déjà au quai,ne partait que dans dix minutes. Nicolas acheta son billet, puisquelques journaux, grimpa dans l’autocar et se laissa tomber dansun siège près d’un gros monsieur en train de se curer les ongles d’unair très concentré. Il enleva le couvercle de son verre à café et trempales lèvres dedans, mais la mixture se révéla si infecte qu’il déposa leverre à ses pieds. Jetant un coup d’œil en diagonale sur le siège, ilaperçut sous la cuisse gauche de son voisin les poils pubiens d’unepin up qui s’étalait dans une revue porno. Quand il releva son re-gard, l’homme le fixait d’un air désapprobateur. Puis changeant brus-quement d’attitude, il lui adressa un sourire de connivence :

— Faut bien se divertir de temps à autre, hein? Sinon, on fi-nirait par se jeter en bas d’un pont.

Nicolas émit un vague marmonnement et se plongea dans lalecture de L’Instant. Il alla tout droit à sa chronique des affaires mu-nicipales et constata avec satisfaction qu’elle ne contenait ce matin-là aucune coquille. L’autocar démarra. Il ferma les yeux et se laissapénétrer par le sourd grondement qui faisait vibrer la carcasse duvéhicule, remplissant le silence, évitant à des inconnus assis côte àcôte d’avoir à se parler. Le car fila bientôt sur l’autoroute. Le prin-temps achevait d’avaler les dernières plaques de neige dans leschamps. La tête penchée en avant, le gros monsieur somnolait, unair d’extrême importance répandu sur son visage.

Nicolas déposa son journal sur ses genoux et se mit à fixer sesmains croisées. Et soudain il se rappela avec une acuité stupéfianteune conversation qu’il avait eue trente ans plus tôt avec FrançoisDurivage. Ils se promenaient dans la cour du collège pendant une ré-création, longeant la rangée de peupliers de Lombardie sur le bordde la rivière. Ils avaient quinze ans et terminaient leur versification.On était à la fin de juin et le collège vibrait de l’euphorie inquiètenée de l’approche des vacances et de l’avalanche d’examens qui ve-nait de se déclencher. Ils parlaient de leurs projets d’avenir avec lagravité et l’enthousiasme que donne le sentiment de posséder desforces inépuisables.

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— Du tout.— Je n’en crois rien. Elle connaît mon prénom. Ce G est pour

Géraldine, évidemment.— À moins que ce ne soit pour Guay, le chocolatier.— Et tu me jures que tu ne la connais pas? insista-t-elle, de

plus en plus perplexe.Il lui saisit la main :— Je te parle du fond du cœur, Géraldine.— Ça ne t’arrive plus souvent, répondit-elle avec une légère

rougeur.Elle reprit sa marche, porta le morceau de chocolat à sa bouche

et grimaça :— Trop sucré.Elle semblait à présent envahie par le trouble de Nicolas. À deux

ou trois reprises, elle lui jeta un regard furtif, puis détourna la têted’un air embarrassé.

De petits élastiques bleus à motif de fleur de lis, utilisés parles pêcheurs pour bloquer les pinces des homards, traînaient ici etlà. Nicolas s’accroupit, en ramassa un, l’étira entre ses doigts et levala tête vers sa compagne, arrêtée devant lui et qui le regardait :

— Est-ce qu’on fait la paix, Géraldine? J’en ai par-dessus latête de vivre sans toi.

Elle fit un pas vers lui, l’air indécis. Et soudain, ses yeux, jusque-là sombres et anxieux, se mirent à pétiller doucement :

— Ma foi, Nicolas ! t’as l’air d’un adolescent devant sa premièreblonde !

Et elle éclata de rire.

FIN

Prague, décembre 1991Longueuil, février 1996

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