Extrait de la publication… · 2013. 10. 31. · Henri Moniot (Université de Paris VII) Rien T....

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  • LES DÉLICES DE NOS CŒURS

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  • Claire Gourdeau

    LES DÉLICES DE NOS CŒURS

    Marie de l’Incarnationet ses pensionnaires amérindiennes

    1639-1672

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  • Les Nouveaux Cahiers du CÉLAT font état des travaux et des activités scientifiquesmenés et organisés par les chercheurs du Centre d’études sur la langue, les arts et lestraditions populaires des francophones en Amérique du Nord. En lançant cette collectiond’ouvrages, le CÉLAT entend se donner un moyen privilégié pour participer aux débatsde fond traversant le champ des sciences humaines et sociales, de même que pourapprofondir la compréhension de la société qu’il étudie.

    Comité éditorialJocelyn Létourneau, directeur (Université Laval)

    Marc Angenot (McGill University)Marie Carani (Université Laval)

    François-Marc Gagnon (Université de Montréal)Barbara Kirshenblatt-Gimblett (New York University)

    Henri Moniot (Université de Paris VII)Rien T. Segers (Rijksuniversiteit te Groningen)

    Laurier Turgeon (Université Laval)

    Révision du texte: Jean-Pierre AsselinTraitement de texte: Dorothée Lachance

    Illustration de la couverture:Vénérable Mère Marie de l’Incarnation et des Indiennes

    Huile sur toileMusée des Ursulines de Québec

    Dépôt légal – 2e trimestre 1994Bibliothèque nationale du Québec

    © Les éditions du Septentrion1300, av. MaguireSillery (Québec)G1T 1Z3

    Si vous désirez être tenu au courant despublications

    des ÉDITIONS DU SEPTENTRION,vous pouvez nous écrire au

    1300 av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3ou par télécopieur (418) 527-4978.

    Données de catalogage avant publication (Canada)

    Gourdeau, Claire

    Les délices de nos cœurs: Marie de l’Incarnation et ses pensionnaires amérindiennes, 1639-1672

    (Les Nouveaux cahiers du CÉLAT; 6)Comprend des réf. bibliogr.Publ. en collab. avec: CÉLAT.

    ISBN 2-89448-004-0

    1. Ursulines – Québec (Province) – Histoire – 17e siècle. 2. Indiens – Amérique du Nord –Québec (Province) – Femmes – Éducation. 3. Marie de l’Incarnation, mère, 1599-1672. 4. Indiens– Amérique du Nord – Québec (Province) – Premiers contacts avec les Européens. 5. Ursulines –France – Histoire – 17e siècle. I. CÉLAT. II. Titre. III. Collection.

    BX4543.6.Q4G68 1994 271’.9740714 C94-940608-2

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  • Nous avons de jolie séminaristes de 3 nations:nous leur aprenons à vivre à la françoise, à lire

    et escrire; ce sont les délices de nos cœurs.

    Marie de l’Incarnation, Correspondance, lettre du 12 septembre 1670.

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  • REMERCIEMENTS

    Cet ouvrage représente la version remaniée de mon mémoire de maîtrise,déposé à l’Université Laval en octobre 1992.

    Je tiens à remercier de leurs judicieux conseils mon directeur, mon-sieur Laurier Turgeon, et mon codirecteur, monsieur Denys Delâge, quim’ont permis de mener cette recherche à terme.

    La directrice du Service des archives du monastère des ursulines deQuébec, sœur Rita Coulombe, ainsi que les archivistes Christine Turgeonet sœur Fernande Bédard, m’ont généreusement ouvert le dépôt desarchives anciennes de la communauté et m’ont permis de me familiariseravec la vie monastique du XVIIe siècle. Je leur exprime ici toute mareconnaissance.

    Le personnel du CÉLAT de l’Université Laval, mesdames LouiseBernard et Dorothée Lachance, ainsi que monsieur Jean-Pierre Asselinont participé de manière appréciable aux différentes étapes de la réali-sation technique de cet ouvrage. Qu’ils en soient grandement remerciés.

    Je tiens finalement à souligner l’aide financière du Fonds FCARdurant les deux années que ma recherche de maîtrise a nécessitées.

    C.G.

  • PRÉFACE

    Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Nouvelle-France trouverontdans Les délices de nos cœurs une matière neuve et une réflexion riched’enseignements.

    Marie de l’Incarnation n’a cessé d’attiser les imaginations et d’ani-mer les plumes des théologiens, des historiens et des littéraires, tant dela France que du Canada. Ils l’ont commémorée pour la fondation de lapremière institution d’enseignement féminin au Canada tout en célébrantson mysticisme, son courage peu commun et sa grande sensibilité. Maispersonne, jusqu’à présent, n’a pris la peine d’étudier sa vocation pre-mière, sa «mission» en terre canadienne telle qu’inscrite dans le contratde fondation, celle «d’instruire les petites filles sauvages». ClaireGourdeau a eu le mérite de cerner ce rôle fondamental de Marie del’Incarnation et de l’étudier dans cette fonction essentielle, celle d’inter-médiaire culturel ou, bien plus, de force médiatrice entre Français etAmérindiens, entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

    L’auteure ne s’arrête pas là. Elle se propose de penser cette média-tion de manière globale et comme un processus interactif qui met encontact deux groupes, ursulines et Amérindiennes. Tout en reconnaissantque le but de Marie de l’Incarnation et des autres ursulines était laconversion des pensionnaires amérindiennes à la foi catholique, ellen’exclut pas, en partant, la possibilité que les ursulines aient pu subir,elles aussi, des influences de leurs pensionnaires. Si elle recense scru-puleusement les croyances et les pratiques imposées par les ursulines àleurs pensionnaires, elle demeure également attentive à celles qui sefaufilent, souvent inaperçues, dans le déroulement de la vie quotidiennedu couvent. Ce double regard permet à Claire Gourdeau de suivre le va-

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    et-vient des pratiques en situation interculturelle et de mesurer leurseffets sur l’un et l’autre groupe. Toujours alerte, elle se garde bien dudogmatisme et des lieux communs à la mode. Elle évite tout autant decélébrer à l’excès l’œuvre évangélisatrice des ursulines que de dénoncergratuitement l’acculturation des Amérindiennes par l’éducation.

    L’auteure innove aussi par la méthode qu’elle met en œuvre. À l’aidede la grille d’analyse des pratiques culturelles élaborée par Jean DuBerger, elle isole les principales pratiques (religieuses, langagières, ali-mentaires, etc.) qui s’immiscent dans les espaces de contact, scrute à laloupe leur moindre mouvement et suit leurs déplacements dans l’espaceet dans le temps. Une fois les parcours retracés, il lui reste à voir si lespratiques se fixent dans la culture de réception. Elle se demande ensuitesi ces pratiques se transforment lors des recontextualisations culturelleset comment elles modifient les modes de vie de celles qui les adoptent.Cette minutieuse reconstitution est plus qu’une histoire. C’est tout unlaboratoire d’observation anthropologique sur les échanges culturels etles métissages que met en chantier cette étude de Claire Gourdeau.

    Pour réaliser son projet, l’auteure met à contribution un imposantcorpus de sources imprimées et manuscrites. Elle a d’abord lu, relu,décodé et décrypté la volumineuse et riche correspondance de Marie del’Incarnation. Elle a ensuite analysé et décortiqué pièce par pièce lesprincipaux manuscrits des ursulines, notamment les «Annales» dumonastère, le «Registre des entrées et sorties des pensionnaires» et le«Registre des recettes et dépenses». Il faut dire que l’auteure a bénéficiéde l’énorme et magistral travail d’inventaire entrepris ces dernièresannées chez les ursulines pour rendre les archives du vieux monastèreaccessibles à une plus large communauté de chercheurs. Réjouissons-nous que ce travail ait déjà porté fruit.

    Grâce à cette étude remarquable, nous pouvons mieux comprendre lechassé-croisé des emprunts culturels qui s’effectuent dans le premierespace de contacts féminins en Amérique du Nord. Lisez ce beau livrede Claire Gourdeau, il fera le délice de vos cœurs.

    LAURIER TURGEONCÉLAT

    Université Laval

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  • INTRODUCTION

    L’arrivée des ursulines françaises à Québec, le premier août 1639,marque le début de l’instruction des filles en Amérique du Nord. À lademande des jésuites, la supérieure fondatrice, Marie de l’Incarnation, etses deux compagnes viennent convertir à la foi catholique les jeunesAmérindiennes qui leur seront confiées. Les religieuses, qui effectuentl’aller simple pour le Canada, amènent avec elles non seulement leurculture française mais font partie intégrante de l’élan catholique et mis-sionnaire post-tridentin. Aussitôt débarquées à Québec, elles reprennentleur mode de vie cloîtré. C’est à l’intérieur de cet espace restreintqu’elles entreront en contact avec les femmes du Nouveau Monde.

    Deux univers féminins complètement opposés se rencontrent alors.D’un côté, une communauté religieuse traditionnellement vouée à la viecontemplative et à l’instruction des filles; de l’autre, des sociétés autoch-tones — au mode de vie nomade comme les Algonquiens, ou sédentairecomme les Iroquoiens — où les femmes et les filles participent à la viepolitique, économique et sociale de leur groupe.

    L’expérience vécue par Marie Guyart de l’Incarnation auprès de sespensionnaires amérindiennes constitue, par la richesse des témoignageset des traces qu’elle laisse à notre disposition, et par l’intérêt qu’ellesuscite, un terrain d’étude unique pour la compréhension du processusd’interaction culturelle entre Européens et Amérindiens au XVIIe siècle.La rencontre des ursulines avec les Amérindiennes, c’est la rencontre del’Europe avec l’Amérique, un choc culturel pour l’un et l’autre groupe.En plus des fatigues et des dangers d’un voyage en mer qui durera plusde trois mois, les religieuses françaises devront s’acclimater à un nou-veau continent et faire face à des situations et à des comportements

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    totalement inusités pour elles. Les Amérindiennes, de leur côté, serontconfrontées à la nouveauté des méthodes européennes de conversion etd’enseignement pendant leur séjour au couvent des ursulines; elles ver-ront de plus leur mode de vie considérablement remis en question,passant de milieux sociaux, où la cellule familiale et la division sexuelledes tâches sont primordiales, à une existence rythmée sur le modèled’enseignement institutionnel français.

    Axé sur une perspective globale d’échanges culturels, le présentouvrage vise à définir et à situer le processus interactif survenu entre lesreligieuses et leurs pensionnaires amérindiennes au monastère desursulines de Québec. Effectuant une analyse thématique des pratiquesculturelles échangées entre les deux groupes de femmes et appuyée surune étude serrée des lettres de Marie de l’Incarnation, nous entendonsdémontrer que les rapports intervenus entre elles portent une doubleconséquence: en même temps que ces rapports conduisent à un certainniveau d’acculturation, ils suscitent des échanges, des rencontres et unereconnaissance de l’Autre intéressants à observer sur le plan culturel.

    L’étude s’étend de 1639, année de l’arrivée et de l’installation enterre canadienne des ursulines, à 1672, année de la mort de Marie del’Incarnation. Les 33 années de vie missionnaire de l’ursuline correspon-dent également à la véritable prise de contact entre Européens et Amé-rindiens dans la vallée du Saint-Laurent, période charnière qui fait passerla Nouvelle-France d’un simple comptoir de traite à une colonie dont ledéveloppement est structuré par une batterie de mesures économiques,administratives et politiques.

    Le premier chapitre est consacré à la présentation de la probléma-tique, de la méthode et des sources. Au deuxième chapitre, il serad’abord question du contexte religieux en France au XVIIe siècle; puis,nous retracerons l’historique de l’Ordre de Sainte-Ursule ainsi que lecontexte de fondation du couvent de Québec. Nous aborderons égale-ment l’origine et la composition des groupes d’élèves françaises et amé-rindiennes des ursulines. À l’intérieur des deux derniers chapitres, nousanalyserons les pratiques culturelles imposées aux Amérindiennes etnous étudierons les réactions de Marie de l’Incarnation face à la cultureautochtone.

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  • I

    PENSER LES ÉCHANGES CULTURELS

    MARIE DE L’INCARNATION COMME INTERMÉDIAIRE CULTUREL

    Dès 1677, soit à peine cinq ans après la mort de la fondatrice, son fils,Claude Martin, bénédictin à l’abbaye de Marmoutier édite une premièrebiographie de sa mère qui sera suivie, en 1681, par la publication d’unrecueil de ses lettres. La vie de la vénérable mère et sa correspondanceseront reprises, élaborées et étudiées par plusieurs auteurs, princi-palement aux XIXe et XXe siècles. Certains choisiront d’approfondirdivers aspects de la vie religieuse de Marie de l’Incarnation en mettantl’accent tantôt sur son parcours mystique, sa pensée spirituelle oul’intensité de sa foi, tantôt sur sa mission apostolique, ses qualités defondatrice ou ses aptitudes pédagogiques1. D’autres, par une approchelittéraire, s’attarderont plutôt à la richesse de son style et prendront pourmodèle cette écrivaine du XVIIe siècle2.

    L’œuvre manuscrite de Marie de l’Incarnation suscite toujours autantd’intérêt. En effet, la faculté de théologie de l’Université Laval, encollaboration avec le monastère des ursulines de Québec, vient de mettresur pied le Centre d’études Marie-de-l’Incarnation, destiné à promouvoirla vie et l’œuvre de la fondatrice du premier couvent pour filles enAmérique du Nord3.

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    Peu d’auteurs se sont attardés sur un aspect pourtant important de lamission de Marie de l’Incarnation: son travail de terrain auprès de sespensionnaires amérindiennes4. Dans le but d’élargir les perspectives,nous avons choisi d’étudier ce personnage historique comme intermé-diaire culturel5. Placée au «carrefour de deux mondes», Marie de l’Incar-nation est amenée à participer simultanément aux cultures française etamérindienne puis à créer un pont, une voie de communication etd’échange entre l’une et l’autre. Même si la mission première del’ursuline était la conversion à la foi catholique et la francisation desAmérindiennes, elle n’est pas allée sans subir, à son tour, certainesinfluences de la culture amérindienne.

    On pourrait même croire qu’elle a été, à certains moments, détournéede sa mission de francisation et de civilisation. Aux yeux de la sociétéqui l’entoure, cette incertitude demeure. La situation d’intermédiaire cul-turel de Marie de l’Incarnation, même si elle lui permet de se familiariseravec les langues et les coutumes amérindiennes, ce qui est indispensableau succès de sa mission, l’expose aux reproches et aux blâmes desdirigeants politiques français qui, inconscients des difficultés de terrain,préconisent une acculturation rapide et totale des nations autochtones.

    Loin d’occuper une position statique entre ces deux mondes, Mariede l’Incarnation, en jouant le rôle d’intermédiaire culturel, suscite unedynamique culturelle fort intéressante. Si ses nombreux écrits contri-buent largement à enrichir l’histoire de la Nouvelle-France, ils nous four-nissent aussi un précieux terrain d’observation pour étudier le fonction-nement des espaces de contact et des échanges interculturels.

    L’ENTRÉE DES AMÉRINDIENS DANS L’HISTOIRE

    Au Canada, et plus particulièrement au Québec, l’intérêt pour l’étude desrapports culturels entre Européens et Amérindiens en Amérique du Nord-Est pendant la période de contact est très récent: il remonte aux années1970. Cela n’est pas surprenant, puisque, avant 1960, les historiensreconnaissaient à peine aux autochtones une présence géographique. Enfait, les Relations des jésuites ou les récits des voyageurs du XVIIe siècle,malgré la dureté de leur jugement et l’ethnocentrisme de leurs propos,nous ont beaucoup plus appris sur les Amérindiens que nos manuelsscolaires qui, jusqu’à tout récemment, ont occulté ces sociétés ou les ontcarrément reléguées du côté de la barbarie6.

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    Le lent mais irréversible tournant idéologique amorcé au Québecaprès la «grande noirceur», a progressivement chassé les théories racistesqui avaient pris place aux XIXe et XXe siècles et dont les tenants7

    prônaient l’existence de races inférieures et supérieures, classant d’officeles nations amérindiennes du côté des premières. Ces historiens mettaientégalement l’accent sur l’héroïsation des Européens, sur la parfaitehomogénéité de la race canadienne-française, sur la cruauté des Amérin-diens, sur leur infériorité naturelle et sur les difficultés incessantes queleur présence causait aux valeureux colons et missionnaires français8.

    Les historiens qui allaient à l’encontre de cette tendance ont étémarginalisés. Léo-Paul Desrosiers n’a jamais pu éditer le deuxième tomede son ouvrage pourtant avant-gardiste, Iroquoisie9, et l’étude pionnièreen deux volumes de Marcel Trudel, L’esclavage au Canada français10, aconnu une diffusion restreinte, limitée au milieu francophone. Ailleurs auCanada, le merveilleux ouvrage d’Alfred G. Bailey, The Conflict ofEuropean and Eastern Algonkian Cultures 1504-170011, tombé dansl’oubli peu après sa parution en 1937, n’a été redécouvert qu’en 1969,année au cours de laquelle les Presses de l’Université de Toronto l’ontréédité.

    Marcel Trudel, au cours des années 1960-1970, signale la présenceet décrit brièvement le mode de vie des nations autochtones dans sesouvrages Initiation à la Nouvelle-France12 et Histoire de la Nouvelle-France13. Cependant, les jugements qu’il porte à leur égard sont parfoissévères. Dans son chapitre intitulé «Problèmes de politique indigène»,titre déjà révélateur en soi, l’auteur perçoit les Esquimaux comme des«intraitables» et les Montagnais comme des «alliés difficiles qui tuentquand ils en ont envie14». Quant aux Algonquins, il les traite de fourbeset de menteurs: «et nous restons convaincu que le menteur de 1613, cen’est pas l’interprète Vignau, mais l’Algonquin15». Enfin, lorsqu’il cite lemissionnaire récollet Gabriel Sagard qui compare les Hurons à unenation noble, Trudel émet une réticence: «on aurait tort de ne voir en euxque des gens qui se livrent aux seules activités nobles de la chasse et dela guerre16».

    Avec l’Histoire du Québec17, dirigée par Jean Hamelin et parue en1976, la présence des premiers occupants n’est plus suggérée, maisreconnue explicitement. Deux chapitres sont consacrés aux autochtones:le chapitre I, «Les Amérindiens: le peuplement de l’Amérique», quidécrit la période préhistorique, et le chapitre II, qui traite de «L’effrite-ment de la civilisation amérindienne».

    PENSER LES ÉCHANGES CULTURELS

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    Dans les années 1970, ce sont principalement les travaux de l’anthro-pologue Bruce G. Trigger sur les Hurons, qui affirment la présence desAmérindiens sur la scène historique canadienne et québécoise et quiouvrent la porte à une foule de chercheurs sur le sujet. Par des ouvragescomme The Huron: Farmers of the North18, Natives and Newcomers19,Children of Aataentsic20 et sa participation au Handbook of North Ame-rican Indians21, Trigger reconnaît les Amérindiens comme des peuples àpart entière ayant joué un rôle économique, politique, social et culturelimportant dans l’histoire canadienne. Dans son traitement, les Huronsn’apparaissent plus comme un seul et même bloc; il s’en dégage desgroupes d’intérêt, des clans, des chefs de file, des leaders capables destratégie dans leur interaction avec les Européens. Trigger, même s’il neréussit pas toujours à éviter le piège du «bon Sauvage22», résiste à uneattitude de sympathie extrême à leur égard qui viserait à le déculpabiliseren tant que blanc.

    D’autres historiens anglophones ont abordé la question dans cetteperspective23. Plus près de nous, le sociologue Denys Delâge, dans Lepays renversé24, prend position en choisissant de nous donner une versionplus équitable de l’histoire des nations autochtones qu’il situe nonseulement dans le contexte missionnaire, mais également dans la luttepolitique et économique des Européens du XVIIe siècle — Français,Anglais et Hollandais — pour l’hégémonie sur la traite des fourrures etsur le continent américain tout entier. À partir de la problématique de«l’échange inégal», il démontre que bien des frictions ont été causées, ausein des groupes, par une traite intensive, par la distribution des armes àfeu et par l’introduction de l’alcool dans les sociétés amérindiennes. Latransmission des maladies contagieuses constitue également à ses yeuxun des facteurs importants qui ont mené au «renversement» du pays desAmérindiens.

    Avec la publication, en 1989, de l’ouvrage de Georges E. Sioui, Pourune autohistoire amérindienne, et la soutenance de sa thèse de doctorat,La civilisation wendate, on assiste à un moment important de l’historio-graphie autochtone25. Pour la première fois, un représentant de la nationwendate définit son «américité», c’est-à-dire son appartenance à la terreaméricaine, et nous livre sa version des origines de sa nation et de l’his-toire amérindienne en général. Même si plusieurs aspects de sa recherchene font pas l’unanimité, les travaux de Georges Sioui alimentent un débatouvert, animé, passionné. Dans son approche, Sioui fait appel aux

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    connaissances acquises auprès des leaders traditionnels, qu’il complètepar l’analyse de la tradition orale, par des recherches archéologiques etpar l’étude des sources européennes.

    Grâce à ces auteurs, on est à même de mieux comprendre aujour-d’hui l’histoire des sociétés amérindiennes à partir de leur propre pointde vue. Il apparaît maintenant évident que la survie et l’enracinement desEuropéens en Amérique du Nord-Est au XVIIe siècle ne s’expliquent passans les apports culturels des Amérindiens.

    Soulignons enfin que la majeure partie de la production écrite sur lesAmérindiens et sur leurs contacts avec les Européens met en scène despersonnages presque essentiellement masculins. Il nous apparaît doncprimordial d’éclairer, grâce aux Archives des ursulines de Québec, unefacette essentielle de l’histoire des femmes en Nouvelle-France, celled’une maison d’enseignement française — le premier couvent pour fillesau Canada — et de ses pensionnaires autochtones.

    DES ÉCHANGES CULTURELS INÉGAUX

    Devant l’étendue de sens que revêtent les concepts d’échanges, de trans-ferts culturels et d’acculturation, nous avons jugé opportun de les définirdans le but de mieux circonscrire notre problème de recherche et del’inscrire dans un ensemble plus large de travaux qui portent surl’interculturalité.

    Marcel Mauss26, qui étudie la nature et les formes que prennent lestransactions humaines chez certaines sociétés primitives de Polynésie,décrit les politiques échangistes et contractuelles qui prévalaient chez cessociétés, bien avant l’avènement des marchands et l’invention de lamonnaie. Son essai fait ressortir toute la complexité d’un système globalqui implique non seulement l’obligation sociale de donner, pour un indi-vidu, pour une unité familiale, pour un village entier ou pour l’ensembled’une société spécifique, mais également celle de recevoir et surtout derendre. Lors de ces «prestations totales27» — qu’il s’agisse de gestespréliminaires à différentes cérémonies, comme les alliances de phratries,les rites matrimoniaux ou mortuaires, la succession aux biens, l’acces-sion à la chefferie, les honneurs militaires, ou pour sceller des contrats— toutes les institutions sont mises à contribution, autant religieuses,juridiques, politiques et familiales qu’économiques. Mauss met en évi-dence le caractère paradoxal du don, effectué sur une base volontaire,

    PENSER LES ÉCHANGES CULTURELS

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    libre et gratuite, mais en même temps rigoureusement obligatoire, souspeine d’incidents diplomatiques graves ou de guerres. Plus importanteencore est l’idée d’une surenchère, c’est-à-dire la notion de rendre plusque l’on a reçu. L’auteur travaille à découvrir sur quelles règles se basecette obligation de rendre et jusqu’à quels excès peut mener l’escaladeainsi provoquée.

    Nathan Wachtel étudie une autre facette des échanges interculturelset fait ressortir la notion d’inégalité, véhiculée cette fois-ci par le conceptde l’acculturation28. Prise dans sa signification d’origine, c’est-à-dire enl’appliquant «au champ restreint de la situation coloniale29», l’accul-turation implique, dans la plupart des études sur le sujet, des sociétés deforces inégales, l’une dominante, l’autre dominée. À ses yeux, les résul-tats de l’acculturation ne se traduisent pas forcément par une assimilationtotale du dominant aux dépens du dominé; il peut y avoir intégration. Parexemple, les Amérindiens qui reçoivent des produits européens contreleurs fourrures peuvent incorporer ces nouvelles richesses dans leurspropres systèmes de dons et d’échanges. Tout comme Marcel Mauss,Wachtel insiste sur l’infinie variété que peuvent prendre les contactsentre divers groupes sociaux et utilise l’expression «autant d’exemplesconcrets, autant d’acculturations différentes30» pour souligner cettediversité des rapports.

    Ces nuances et ces variantes dans les contacts interculturels sontégalement relevées par Tzvetan Todorov qui, tout en soulignant lecaractère exceptionnel de la réciprocité dans ce qu’il nomme le «croise-ment des cultures», propose une solution médiane entre les deuxextrêmes, allant de l’adoption aveugle des valeurs culturelles du groupedominant jusqu’à l’isolement total du groupe dominé31. Selon lui,connaître la culture de l’autre ne signifie pas se transplanter en elle enoubliant sa propre culture. Une interaction constante des cultures quitenteraient d’éviter l’assimilation, le ghetto ou son contraire, le melting-pot, présente, à ses yeux, une perspective intéressante et révélatrice desprocessus culturels: «La connaissance des autres est un mouvementd’aller et de retour; celui qui se contente de s’immerger dans la cultureétrangère s’arrête à mi-chemin32.»

    Métissage culturel, identité, coutumes et traditions figurent parmi lesthèmes repris et élaborés par l’anthropologue Jean-Loup Amselle33.Selon cet auteur, avant d’aborder le Nouveau Monde, les explorateurs,les missionnaires et les militaires du XVIIe siècle croyaient que lessociétés indigènes étaient figées depuis toujours dans des pratiques

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  • COMPOSÉ EN TIMES CORPS 11SELON UNE MAQUETTE RÉALISÉE PAR JOSÉE LALANCETTE

    CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER EN AVRIL 1994SUR LES PRESSES DES ATELIERS GRAPHIQUES MARC VEILLEUX

    À CAP-SAINT-IGNACE, QUÉBECPOUR LE COMPTE DE GASTON DESCHÊNESÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

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