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UNE TRANQUILLITE de COURTE DUREE. I - Nos origines : WOIPPY (Moselle). En cette année 1939 nous occupions un modeste appartement au 32, rue de Briey. Nous y vivions paisiblement, suivant un petit train-train coutumier. Ma mère, sans profession, s’occupait de nos champs de fraises, leurs récoltes servaient à mettre du « beurre dans les épinards ». Mon Père, sans spécialisation bien précise, travaillait à l’ Arsenal à Metz. Bon musicien, il dirigeait alors la société de musique « l’Union de Woippy ».( Il donnait aussi des cours de musique à quelques candidats et, mettant à profit ses talents de comédien, il animait avec Monsieur Séchehaye, Maire de Woippy, une troupe théâtrale locale. Il interprétait principalement des rôles de comique troupier. C’ était comme l’on dit, un amuseur publique n°1. Il était passionné de musique et de théâtre. Avec ma Mère, ils avaient pris un abonnement pour les spectacles « opérettes » au théâtre de Metz. Vers mes 8, 9 ans ils me prirent souvent avec eux. C’est donc dès mon jeune âge que je fus initié à ce genre de spectacles où se mêlent agréablement, danse, musique, comédie et je suis toujours resté un « fan » d’ opérettes. Maire de la commune depuis 1931, châtelain*, Monsieur Sèchehaye réalisait annuellement ce qu’on pouvait appeler « une comédie musicale » . Il en était à la fois auteur, compositeur et réalisateur, prenant la baguette pour diriger ce petit groupe musicale pendant que mon Père était en scène. Nous, les enfants, avions souvent un petit rôle à tenir dans ces comédies pleines d’humour et de fantaisies, basées principalement sur la vie du village.

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UNE TRANQUILLITE de COURTE DUREE.

I - Nos origines : WOIPPY (Moselle).

En cette année 1939 nous occupions un modeste appartement au 32, rue de Briey. Nous y vivions paisiblement, suivant un petit train-train coutumier. Ma mère, sans profession, s’occupait de nos champs de fraises, leurs récoltes servaient à mettre du « beurre dans les épinards ». Mon Père, sans spécialisation bien précise, travaillait à l’ Arsenal à Metz.

Bon musicien, il dirigeait alors la société de musique « l’Union de Woippy ».( Il donnait aussi des cours de musique à quelques candidats et, mettant à profit ses talents de comédien, il animait avec Monsieur Séchehaye, Maire de Woippy, une troupe théâtrale locale. Il interprétait principalement des rôles de comique troupier. C’ était comme l’on dit, un amuseur publique n°1. Il était passionné de musique et de théâtre. Avec ma Mère, ils avaient pris un abonnement pour les spectacles « opérettes » au théâtre de Metz. Vers mes 8, 9 ans ils me prirent souvent avec eux. C’est donc dès mon jeune âge que je fus initié à ce genre de spectacles où se mêlent agréablement, danse, musique, comédie et je suis toujours resté un « fan » d’ opérettes.

Maire de la commune depuis 1931, châtelain*, Monsieur Sèchehaye réalisait annuellement ce qu’on pouvait appeler « une comédie musicale » . Il en était à la fois auteur, compositeur et réalisateur, prenant la baguette pour diriger ce petit groupe musicale pendant que mon Père était en scène. Nous, les enfants, avions souvent un petit rôle à tenir dans ces comédies pleines d’humour et de fantaisies, basées principalement sur la vie du village.

Son épouse, une femme toute dévouée, participait activement au bon fonctionnement de cette modeste troupe locale. Organisation, répétitions, costumes, autant d’activités bénévoles qu’elle assumait avec plaisir et efficacité.

Parlons à présent de ce village de Woippy. Situé à une dizaine de kilomètres du centre de Metz il ne comptait

à l’époque que 1560 habitants. Le 21 Mai 1910 y est née Marie KOCHER. Elle allait devenir ma mère en me mettant au monde le 5 janvier 1930.

(le château) voir peinture ci-après

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Château « Sechehaye Woippy Peinture huile- J.Wlm

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II – Les FRAISES de WOIPPY.

Une importante activité, celle de la culture des fraises, pratiquée par une grande majorité de ses habitants, en fit une commune très renommée, se glorifiant du titre de « Capitale des fraises  du Val de Metz». En effet cette culture, pratiquées sur les grasses terres d’alluvions de la Moselle y était abondante. Chaque année vers la fin juin, le village célébrait dignement la fête des fraises. Comme il se doit, toutes ces festivités commençaient par l’élection d’une reine des fraises et de ses demoiselles d’ honneur, cérémonie qui se terminait par un grand bal populaire. Puis, le jour de la fête des fraises, un défilé de « chars », pour la réalisation desquels chaque association avait fait preuve d’imagination et d’ingéniosité, avait lieu dans les rues du village. Le char le plus remarqué était bien sûr, celui de la reine des fraises et de ses demoiselles d’honneur. Bien entendu il n’était pas perdu de vue que la fête était donnée surtout en l’honneur de la fraise.

A la veille de la seconde guerre mondiale, la production totale est

de 6.000.000 (oui ! 6 millions) de kilos de fraises (récoltes effectuées de fin mai à mi-juillet ). La S.N.C.F. assure alors l’essentiel de sa commercialisation. (Annexe 2)

Un syndicat des producteurs de fraises est chargé de collecter et de sélectionner les récoltes de chaque petit producteur avant d’en assurer la commercialisation. Les fruits rouges étaient à cette époque récoltés dans des paniers d’une contenance de 2,5 à 3 kilos. Ceux-ci étaient acheminés du lieu de la récolte jusqu’au syndicat dans des charrettes à quatre roues surmontées de l’indispensable « civière ». Parents, Grands-Parents, Oncles, Tantes… tous cultivaient les fraises.

Comme presque toutes les femmes de Woippy et des environs, en plus de son ménage et jusqu’au jour de notre expulsion, ma Mère cultiva les fraises. Elle entretenait environ 70 ares de fraisiers, cultures réparties en plusieurs endroits autour du village ( au Fort route de Lorry, aux Roches route de Saulny et au Paquis route de Norroy). Ces cultures, interrompues en grande partie pendant la durée de cette seconde guerre mondiale, reprirent par la suite mais furent rapidement boudées par la nouvelle génération, plus attirée à exercer d’autres activités vers les villes.

La relève n’étant plus assurée, la production se mit à décliner et dès les années 56, on vit petit à petit la fraise de Woippy disparaître du marché, supplantée par celles venant d’autres régions productrices à grande échelle et également de l’étranger (Espagne, Italie…).

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.Dans la période des années 1955/1956, la production familiale, assurée par les Grands Parents, aidés pour la cueillette surtout par les enfants et petits-enfants, atteignait alors, annuellement, 5 à 6.000 kilos. Utilisant mes congés annuels pour aider, à la cueillette avec mon épouse, je pouvais tenir une comptabilité détaillée du rendement journalier de chaque champ de fraises.

En 1956, âgés respectivement de 66 et 68 ans, ma Grand’mère et mon Grand-père décidèrent de ralentir progressivement leur production et de s’octroyer un peu plus de repos.

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J’héritai alors de la « charrette de fraises » de mes parents. Ils en avaient fait l’acquisition en 1930 année de ma naissance. C’est dans cette charrette que ma mère m’emmenait avec elle dans les champs de fraisiers. A Woippy, tout comme dans tous les villages environnants, la culture des fraises était principalement le travail de la femme.

Si les récoltes voyaient se regrouper les membres des différentes familles, auxquels se joignaient souvent des saisonnières, l’entretien continu des fraisiers était assuré par chacun. Récolter était une chose, mais la productivité dépendait surtout d’une culture bien suivie. Binage, désherbage, repiquage, renouvellement des vieux plans, autant de travaux qu’il fallait exécuter tout au long de l’année. Le temps passé dans les champs ne se comptait pas. Quelques retraités venaient s’ajouter à ces ouvrières en «halette » coiffe traditionnelle très utile pour se protéger efficacement des rayons mordants du soleil.

(voir photo 2 en Annexe 1)

Actuellement la fraise de Woippy n’est plus qu’un lointain souvenir. «  Le syndicat », un peu trop gourmand, a déposé son bilan. S’ils ne sont pas en friches, les champs de fraises sont devenus des lotissements. La population actuelle a atteint le chiffre de 15.000 âmes et plus.

Je regretterai toujours la saveur des fraises de WOIPPY. Cultivées sans produits chimiques, on peut parler ici de culture « bio », ces fruits exhalaient une odeur forte qui couvrait toute la campagne. Au palais elles étaient vraiment délicieuses. A cette époque les variétés étaient peu nombreuses, pas de croisements à la recherche d’abondance ou de calibre. Des fruits dignes de ce nom, des fraises, des vraies. Et sans chauvinisme je peux dire que des fraises comme celles-là, il n’y en a plus !

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III -1940 – LA GUERRE

Fini la quiétude. Le monde allait se lancer dans un tourbillon de folie. Combien de destinées allaient en être bouleversées ? Quand la France et la Grande Bretagne déclarèrent la guerre à l’Allemagne qui, se faisant fi de divers traités et accords récents, venait le 1er septembre 1939 envahir la Pologne, j’allais avoir 10 ans. Qui aurait pu alors prédire que j’en aurais près de 16 à la fin de cette horrible guerre ? Elle allait être l’une des plus destructrice. 16 millions de militaires allaient y laisser leurs vies, 20 à 30 millions de civils allaient en être les innocentes victimes. Pour la France seule, environ 550.000 personnes payèrent de leur vie cette folie des hommes (200.000 soldats et 350.000 civils).

Après une offensive foudroyante qui débuta le 10 mai 1940, la France fut à son tour envahie par l’armée allemande. Nous avons alors connu la peur causée par des alertes successives, pendant lesquelles nous devions courir vers des abris bien définis pour chacun, masque à gaz de rigueur. Ces tirs de canons longue portée, ces combats aériens au dessus de nos têtes, les bombardements de quelques sites stratégiques, tout cela nous rendait la vie impossible.

Le 22 juin, l’armistice était signé à Rethondes, avec l’Allemagne et le 24 juin à Rome avec l’Italie , pays allié de l’ Allemagne.

Hitler considérant que l’Alsace-Moselle était un territoire allemand retrouvé après 22 ans d’occupation française, fit libérer les soldats prisonniers, originaires de ces régions. Mon père bénéficia donc de cette décision et , libéré, nous rejoignit peu de temps après l’armistice.

En septembre 1940 eu lieu l’annexion de l’Alsace et de la Moselle. Le pays fut partagé en 3 zones bien définies ; l'Alsace/Moselle annexée, appelée « gau Westmark »,l’autre partie de la Lorraine déclarée zone interdite « Grüne zone. Quant au reste de la France , il devînt « zone libre d’occupation ». (Voir plans en Annexe3).

Dès lors, il fallut nous soumettre aux lois de l’occupant. Un règlement très strict fut imposé à tous . A l’école, en récréation aucun rassemblement de plus de trois élèves n’était toléré, interdiction de parler le français.. Contrevenir à cette discipline nous exposait à subir une des punitions classiques qui consistait à porter une brique à bout de bras pendant toute la durée de la récréation. Une brique çà n’est pas lourd ! Mais au bout de quelques minutes combien pèse-t-elle ? Et son poids ne cesse d’augmenter alors que le bras se met à trembler. Surtout ne pas la lâcher. Pour un enfant de 9, 10 ans n’était-ce pas là déjà un mode de « torture » ?

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Le directeur de l’école de garçons, Monsieur Copeau, expulsé en même temps que nous, était un homme très estimé et français dans l’âme. Dès l’occupation il fut relevé de ses fonctions et remplacé par un homme tout acquis aux idées nazies. Ce nouveau directeur qu’il faut aussi nommer, Monsieur « Walter », n’ avait pas les mêmes opinions. Collaborateur il n’ hésita pas, dès la première heure, a appliquer le règlement avec un certain sadisme, ne manifestant aucune pitié face à notre jeune âge.

Un jour à l’école, il nous fut remis un joli livre illustré et en couleur, un cadeau. Comme tous les gosses pendant une période de restrictions, j’étais content de ce présent et c’est en le brandissant avec plaisir que je revins à la maison. Mon père l’ouvrit, le feuilleta et, au fur et à mesure qu’il tournait les pages de ce fascicule je voyais l’expression de son regard se figer, je sentais la colère monter en lui, je ne comprenais pas sa réaction. Les dernières pages à peine regardées, d’un geste spontané, il déchira ce document et le jeta à la poubelle. Puis il me dit :

- dès demain tu n’iras plus à l’école !

Cette décision n’était pas faite pour me déplaire. En quelques mots il m’expliqua que ces portraits étaient ceux d’hommes redoutables qu’il valait mieux ne jamais avoir à dépendre d’eux. Ce fascicule, en plus de discours élogieux envers le nazisme, contenait les photographies pleine page de Hitler, Himmler, Goering, d’ autres têtes de chefs nazis et de Mussolini. C’était là le début d’ une propagande bien orchestrée devant mener à une intoxication progressive des jeunes esprits , facilement influençables.

Peu de temps après commença, vis-à-vis de mon Père, un harcèlement sous forme de chantage. Nous fûmes alors rapidement classés parmi les personnes indésirables, au sein d’une population appelée à redevenir allemande, laquelle allait devoir se soumettre sans rechigner au régime nazi qui lui serait imposé de gré ou de force.

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IV -VOUS N’ AUREZ PAS L’ ALSACE et la LORRAINE La guerre franco-allemande de 1870-1871 fut un moment essentiel

de l’histoire de ces deux pays. C’est de cet événement que date, dans chacun d’eux, l’image de l’ennemi héréditaire avec toutes les conséquences qui en découleront. Jusqu’en 1870 la France a pour le monde allemand admiration et respect.

Par le traité de Francfort (10 mai 1871), les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin (à l’exception du territoire de Belfort), les arrondissements de Sarreguemines, Metz, Thionville, Sarrebourg, représentant 1.447.000 hectares, 1694 communes et 1.597.000 habitants sont annexés à l’Allemagne. Dès lors les relations franco-allemandes sont centrées sur le problème de l’Alsace-Lorraine. Pour la France il faut préparer la « revanche »

L’Alsace et une région de Lorraine, connaissent sous Bismarck une période de germanisation intense. Celui-ci n’attendra pas la date du traité pour commencer le processus d’annexion, dès Août 1870. Pour le Gouvernement de Prusse, il s’agit là d’un simple retour à l’Allemagne de ces deux territoires. Bientôt, des actes de résistance à la présence allemande manifestent l’hostilité des locaux. En retour, les autorités allemandes n’hésitent pas à employer des méthodes répressives comme l’emprisonnement et l’expulsion. Dans la zone de Sarrebourg, Boulay et Thionville l’allemand s’est perpétué car le clergé, catholique et protestant, l’avait voulu ainsi, imposant cette langue à l’église et à l’école. Néanmoins le courant francophile ne s’éteint pas. Un mémoire du conseil municipal de Metz dit : « Nous affirmons qu’à Metz, tous les habitants sans distinction de croyances religieuses ou d’opinions politiques sont unis dans un sentiment commun et que rien au monde ne peut altérer leur volonté de conserver la nationalité française . «  Ce sentiment patriotique est l’une des causes de la guerre de 1914-1918.

Première guerre mondiale 1914-1918. Français et Allemands s’affrontent avec une hostilité farouche. La défaite du Reich en 1918 accentue en Allemagne la haine des Français et dans notre pays une haine croissante du « boche ». Mais si en France, cette haine s’estompe dans le pacifisme, elle est exacerbée en Allemagne par le national-socialisme hitlérien et c’est là une des causes de la seconde guerre mondiale. Délivrée, en 1919 l’Alsace-Lorraine est restituée à la France.

Annexée de nouveau par Hitler en 1940, l’Alsace-Lorraine va revivre les mêmes problèmes ; soumission pour les uns, calvaire pour d’autres et cette fois avec plus de férocité. Nous n’oublierons jamais les atrocités , les massacres commis durant cette guerre. Les troupes allemandes, en particulier les SS, s’acharnèrent d’une façon « bestiale » sur les populations civiles. L’anéantissement de la race juive, décidé par

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Hitler et ses sbires, conduisit à des exactions dépassant tout ce qu’il est possible d’imaginer, cruautés, sadisme, monstruosités... En 1944/45 enfin, l’Alsace-Lorraine est libérée par les troupes alliées et redevient française.

. Depuis lors, malgré les frictions d’ordre principalement

administratif, la francisation a fait des progrès considérables. Les difficultés d’assimilation de cette province, sa dualité linguistique et culturelle s’expliquent en grande partie par sa situation géographique.

Citation extraite de l’EST REPUBLICAIN du 25/4/1969, reprise dans le livre « En passant par la Moselle », auteur Julien SCHWARTZ  , (page 181) :

«Un français ne se sent jamais autant à « l’étranger » qu’en certains points de la Moselle, département qui a ses lois, ses règles, sa mentalité et même sa langue … »

…Ce qui est vrai, hélas !

Nota ; certaines citations historiques ci-dessus, sont extraites d’

HISTORIA, numéro spécial « Alsace-Lorraine au temps du Reich ». -----===oOo===-----

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expulsion

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L’ EXPULSION

-I- L’ ATTENTE - Le samedi 2 novembre 1940, un bon nombre de chefs de familles

est convoqué à la mairie de Woippy, mon père fait partie de ceux là. Les gendarmes allemands, appelés “Schupos” leur demandent s’ils préfèrent collaborer, devenir de bons allemands et rester alors chez eux, ou s’ils choisissent, dans le cas contraire, d’être refoulés avec leurs familles vers « la France-libre ». Comme le fit la majorité des hommes convoqués ce jour là, sans hésitation et quoi qu’il advienne, mon père choisit de rester français. De suite il fut obligé de signer un ordre d’expulsion.

Commença alors une période d’attente dans une angoisse toujours croissante. Nous savions dès à présent que nous allions être expulsés. Mais quand ? Vers quelle destination ? Tellement de rumeurs contradictoires et pessimistes circulaient depuis qu’avaient commencé ces opérations dans la région Alsace et Moselle. Certains craignaient de se retrouver en Pologne ou autres camps dont on ne savait alors pas grand chose.

Une semaine s’écoula ainsi. Le 9 novembre, encore un samedi, une nouvelle convocation fût adressée à mes parents. C’est d’un pas décidé que mon Père se rendit à la Mairie, cette fois encore.

Après une semaine de réflexion, Il s’agissait pour les intéressés de retirer ou de confirmer la signature qui nous classait parmi les indésirables. Encore plus décidé que la première fois, aux schupos qui l’interrogeaient en insistant sur le fait que, parlant couramment l’allemand son intégration ne poserait aucun problème, mon père leur imposa un refus catégorique en leur clamant que nous n’étions pas et ne serions jamais des allemands.

Il nous sembla dès lors que le temps des discussions était révolu et que les « occupants » n’allaient pas tarder à mettre leur plan d’expulsion à exécution en nous envoyant vers d’autres cieux.

C’est le samedi suivant, 16 novembre, que nous allions sans ménagement être chassés de chez nous par les “boches”.

Ce jour là, dès 8 heures du matin, des autocars et des véhicules militaires allemands traversent Woippy. Ceux passant devant chez nous prennent la direction de quelques villages des environs : Saulny, Noroy, Plesnois, etc... Une demi-heure plus tard environ, nous apprenons que d’autres véhicules se sont arrêtés devant la mairie de Woippy.

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Cette nouvelle, qui se propage comme une traînée de poudre, met toute la population du village en émoi. Une animation inaccoutumée gagne toutes les rues. On sent naître sur tous ces visages tendus une angoisse qui, de minute en minute, va grandissante. Chacun pense au départ et, même si depuis maintenant une quinzaine de jours cet instant était prévisible, il devient difficile de se faire à cette idée de devoir tout abandonner, de perdre tout ses biens, de quitter ses parents, ses amis. Pour combien de temps? Les reverrons-nous un jour? Cette expulsion nous conduira-t-elle réellement vers la France libre? Autant de questions, toutes sans réponses, que chacun se posait inlassablement.

Ce jour là, ce sont 70.000 lorrains qui seront expulsés.

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Mon Cheval et moi vers 1933/1934

Annexe IV

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II - TOUT QUITTER !

A 10 heures, deux coups secs sont frappés à la porte, bruit qui prend d’étranges proportions, résonne comme un coup de bélier et met fin à toutes nos pensées. Dans l’encadrement de la porte, apparaît, tel un fantôme vert de gris, un schupo qui tend à mes parents un ordre d’expulsion nous concernant. Après un inventaire sommaire des biens que nous allions devoir abandonner aux autorités allemandes il nous prévient que nous serons embarqués à 11 heures 30 avec vingt kilos de bagages par personne.

A peine est-il sorti de chez nous que déjà mes parents s’affairent à regrouper les vêtements et articles de première nécessité que nous allons emmener.

Pour ce qui me concerne, je ne pense alors qu’à mes jouets. Abandonner ceux-ci me chagrine beaucoup. Je regarde encore une fois mon superbe cheval de carton pâte qui pouvait, au choix, balancer ou rouler, ce cheval qui m’avait tant effrayé quand je l’avais découvert au pied de l’arbre de Noël, à l’âge de trois ans ; je ne lui arrivais qu’à l’encolure (1). A cette époque, ce cadeau que me firent en commun ma grand’mère paternelle et ma marraine, était une vraie folie. Il faut dire qu’étant le premier petit-fils de la famille chacun se complaisait à me gâter. Ce superbe jouet trop volumineux ne pouvait être dissimulé. Il ne nous était pas possible de l’emmener ailleurs. Tout déménagement de biens était interdit.

Chaque locataire de l’ immeuble possédait un coin d’une remise appelée « chambre à four » et d’une écurie où il était possible d’élever son « cochon » et d’y ranger l’outillage nécessaire au jardinage et à la culture. Ces dépendances ne furent pas prises en compte par les Allemands et les Grands parents purent récupérer ce qui y était entreposé, comme la charrette pour le transport des fraises, l’outillage et nos bicyclettes. Je possédais justement un petit vélo qui m’avait été offert récemment et que j’enfourchais encore difficilement. Je devais le retrouver par la suite.

Le temps nous manquait , la famille n’était pas encore informée de

notre embarquement proche, nous n’allions d’ailleurs les voir qu’au moment du départ. Je sortis aussi de leur placard mes soldats de plomb, abondante collection renouvelée chaque année pour les fêtes de Noël par mon père qui refondait, dans une série de moules, les soldats cassés en y ajoutant du nouveau plomb qu’il avait pu récupérer. Avec quelques autres “bricoles”, qu’enfant on aime à conserver, je les rangeais dans une boite métallique, boite de biscuits, que je cachais sous le plancher.

Une lame de celui-ci s’enlevait aisément dans un coin de la salle commune. Cette grande pièce qui servait à la fois de cuisine et de salle à

1(1) Voir Photo – Annexe IV.

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RR WILHELM, 03/01/-1,
RR WILHELM, 03/01/-1,
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manger, faisant également office de chambre à coucher, une alcôve fermée par un rideau de reps cachait un lit. Je fis donc de cette cavité ma cache secrète espérant retrouver lors d’un retour que je pensais proche, ces jouets qui représentaient toute mon enfance.

Pendant ce temps, mes parents terminaient de préparer les quelques bagages à emmener, laissant dans les armoires quantité de linge bien rangé, draps, vêtements; dans les buffets et placards, vaisselle, batteries de cuisine et ces bibelots, et ces objets divers, souvenirs et reflets de toute une vie. Comme sacrifiés aux flammes d’un incendie, tout ici était anéanti pour nous et notre regard se portait d’un objet à un autre comme pour mieux s’imprégner de leurs souvenirs.

Au dernier moment, dans un élan de ferme volonté, mon père s’empara de notre poste radio, la TSF comme on disait en ce temps là. A cette époque, rares étaient ceux qui possédaient un tel appareil. Il l’emballa sommairement dans une couverture et ficela ce colis comme il aurait fait d’une boite cadeau. Que risquions nous? Une confiscation? Perdue pour perdue le risque en valait la peine et il eut raison d’emporter cette caisse assez encombrante il faut le dire. Nous étions loin de penser alors, qu’en plus des informations qu’elle nous diffuserait, elle allait nous aider dans la recherche des familles dispersées et contribuer au regroupement de certaines d’entre-elles, grâce aux messages personnels abondamment diffusés sur les ondes. Ce fut le cas de l’oncle Georges, frère de ma mère, qui put ainsi nous rejoindre rapidement.

A l’heure dite, un autre soldat allemand vînt nous faire sortir de la maison et apposa les scellés sur la porte. Celui-ci semblait comprendre notre désarroi et recherchait le dialogue. Il conseilla même à mes parents de détacher de leur couverture, les pages d’un livret de caisse d’épargne et de les cacher sur eux.

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-III- ANGOISSE

Un bus nous attend devant la porte,. D’autres personnes des rues avoisinantes y ont déjà pris place. Après avoir chargé nos bagages dans un camion, nous embarquons dans ce bus qui part alors en direction de la mairie. Les maisons se sont vidées de leurs occupants. Les rues sont pleines de monde et ceux qui ne partent pas tiennent à adresser à chacun un dernier adieu au passage. Devant la mairie, où nous arrivons rapidement, sont déjà réunis parents et amis.

Ici le bus marque un arrêt de plus d’une heure. Tous consacrent ce temps précieux aux derniers adieux. Puis arrive l’instant de la séparation, moment douloureux où les larmes longtemps contenues, ruissellent sur les visages, venant troubler les dernières images que nous voulons emporter des êtres chers restant sous le joug de l’occupant. Pendant que ceux-ci agitent leurs mouchoirs, à l’intérieur du bus chacun se colle aux vitres pour maintenir un ultime contact.

Alors que le véhicule démarre lentement, nous remarquons qu’un groupe particulier de « spectateurs » des soldats boches, très amusés et empressés, photographient ce qui pour eux n’est qu’une image spectaculaire, qui viendra probablement alimenter leurs albums souvenirs. Ils lancent aussi quelques plaisanteries en nous voyant vivre difficilement cet ultime instant du départ et des séparations.

Je ne me souviens plus avoir entendu une quelconque

conversation durant le trajet qui nous conduisit de Woippy à la gare de marchandises de Metz-Sablon. Les esprits étaient trop préoccupés à présent d’envisager ce qui nous attendait. Aucun ne pouvait dire vers quelle destination nous allions être expédiés.

Notre bus nous débarqua au bout d’un quai déjà noir de monde. D’autres bus arrivaient, se succédant, vomissant leurs occupants, lesquels venaient grossir une foule éperdue courant en tout sens. Cette effervescence s’expliquait par le fait que chacun recherchait quelques membres de sa famille ou connaissances pour se regrouper avant de monter dans les compartiments. Les chefs de familles devaient aussi, avant l’embarquement, effectuer quelques formalités de dernière minute, comme échanger l’argent liquide allemand contre des francs.

De chaque côté des quais de cette gare de marchandises, nous attendaient toutes portes ouvertes des rames de wagons, locomotives attelées, prêtes au départ. Dans notre malheur, nous venions d’avoir un peu d’apaisement en constatant que nous n’allions pas embarquer dans des wagons à bestiaux, comme il était de coutume à cette époque, mais dans des voitures de 3°classe.

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Mais bien vite il fallut nous rendre à l’évidence, le voyage que nous allions entreprendre n’ avait rien d’un voyage d’agrément.

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Wagon de III° classe

Compartiments de 8 personnes, toutes portes ouvertes.

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IV- EMBARQUEMENT POUR UN LONG VOYAGE.

. Dans un compartiment prévu pour 8 personnes, c’est à 7 adultes et 7 enfants, ( le plus jeune avait 4 ans, les autres 5, 7, 9 et 10 ans ) qu’ il fallut nous entasser. Nos parents prirent de suite la situation en mains et une place pour chacun fut définie. Je trouvai la mienne sous une banquette. Les plus jeunes furent installés dans les filets à bagages. Et ainsi, une organisation à l’intérieur de notre compartiment commença à prendre forme pour faire face à un voyage d’une durée indéterminée vers une destination toujours inconnue.

Ce n’est qu’ en fin d’après-midi que le long convoi s’ébranla. Roulant lentement il quitta le centre de triage, traversant ces champs d’aiguillages dans les sillons desquels les roues des voitures n’en finissaient plus de grincer tristement, nous ballottant en tous sens. Puis un calme apparent nous fit comprendre que nous quittions Metz.

Enfin, en reconnaissant petit à petit un paysage familier,( nous

venions de passer à Ars, Novéant puis Arnaville) chacun put parier sur une destination probable, nous roulions vers Nancy, vers la France ‘’libre’’.

Puis vînt la nuit. Il fallait essayer de dormir un peu. Le convoi roulait lentement, s’arrêtait fréquemment. Arrêts assez longs parfois permettant d’aller se soulager dans la nature. Par deux ou trois coups de sifflet brefs, le mécanicien prévenait les retardataires en les pressant de remonter dans les voitures. De nombreuses manœuvres eurent lieu pendant la nuit. On sut par la suite qu’elles étaient dues aux dommages qu’avaient subit quelques tronçons de voies. Enfin le jour se leva. Nous n’avions que peu dormi, nous étions tous courbaturés. Notre train arrivait maintenant dans une zone urbaine, dense, nous laissant présager l’approche d’une ville importante.

Toutes ces voies, tous ces aiguillages, nous indiquaient l’arrivée prochaine dans une grande gare. Progressivement le convoi ralentit. Le nom d’ une ville apparut sur des panneaux bordant la ligne « Chalon-sur-Saône », nous arrivions en zone libre. Les quais se dessinèrent et l’on y vit des groupes d’infirmières de la Croix rouge. Le train s’arrêta. En quelques instants les compartiments se vidèrent et nous nous retrouvâmes sur le quai.

Les infirmières étaient là pour nous accueillir et nous réconforter un peu. Elles nous distribuèrent des boissons chaudes et quelques casse-croûtes. Après une nuit pénible tout cela fut très apprécié, des grands et des petits.

Tout à coup, un homme sort un drapeau tricolore de son fourreau, symbole d’une association patriotique et le brandit bien haut. Mais,

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subitement le voilà qui s’effondre sur le quai, le drapeau le couvrant à demi. Quelques infirmières et autres personnes accourent à son secours. Hélas, nous apprendrons un peu plus tard qu’il venait de succomber à une crise cardiaque. Son élan de patriotisme lui fut fatal et c’est là, sur ce quai de Chalon-sur-Saône que, pour lui et les siens, se termina ce voyage. Nous connaissions bien cette personne, Mr Arnoux de Woippy, jusqu’ hier il était notre propriétaire.

Invités à rejoindre nos compartiments, nous obtempérons dans un calme religieux. Sur le quai, comme à notre arrivée, seules les infirmières et du personnel de la Croix Rouge assistent à notre départ. Ils nous auront apporté un peu de réconfort en nous réchauffant, moralement et physiquement. Mais tous parlaient de la mort subite de notre concitoyen. Drôle de destinée, mort foudroyante, là sur le quai d’une gare, en territoire encore épargné par l’ occupant .

Le train s’ébranla lentement, soufflant, haletant, crachant une épaisse colonne de fumée noire. Nous quittions Chalon-sur-Saône y laissant une famille dans la peine et face à un profond désarroi.

Cette seconde partie du voyage que nous entamons à présent de jour nous semblera encore bien longue. Certes nous pouvions admirer un paysage très varié et totalement inconnu. Mais il était difficile de rester admiratif face à ces diversités de la nature. Le cœur n’y était pas et nos yeux restaient fixés dans le vague, l’esprit ailleurs. De nombreux arrêts, avec retour en arrière eurent lieu, tout comme la nuit précédente. Quelques personnes s’étant renseignées auprès du mécanicien, apprirent que ces manœuvres étaient dues au mauvais état des voies. Coupées ou endommagées par des bombardements ou des sabotages, elles nous obligeaient à dévier notre itinéraire initialement prévu et ralentissaient notre progression.

C’est ainsi que l’on vit pour la première fois, vers Sète, la Mer Méditerranée. Elle s’étendait à perte de vue sur notre gauche, alors qu’à notre droite, encore de l’eau, s’étalait le bassin de Thau. Voyant l’eau qui nous entourait ainsi, de ma hauteur de bambin, je fus envahi par une peur qui ne me quitta que lorsque le train lui-même quitta la côte. (Voir carte ci-dessous).

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(Photo 1 – Annexe V)

Après le passage du bassin de Thau, le convoi prit de la vitesse et roula plus régulièrement. Le soleil se trouvait à présent face à nous, légèrement sur la gauche. Notre direction était donc sensiblement vers l’ ouest. Progressivement elle devînt nord-ouest. Le nom d’une seule ville me reste à l’esprit : Toulouse. Ici le convoi s’arrêta une dizaine de minutes pour repartir ensuite vers le Nord. Ce n’est que plus tard, lorsque les Parents auront l’occasion de consulter une carte de la région, que nous comprendrons que cette boucle vers le sud nous avait permis de contourner les Monts du Languedoc. A cette époque personne encore n’avait eu l’occasion de voyager aussi loin. La France était une grande inconnue et la guerre aura eu ce mérite au moins de nous faire découvrir d’autres régions alors lointaines, de notre beau pays .

Il fait nuit. Nous approchons d’une autre ville et notre train déjà ralentit. Est-ce la fin du voyage ? Chacun souhaite ardemment que cette balade en finisse. Embarqués le samedi à la mi-journée nous arrivions au dimanche soir et une autre nuit à bord de ce train était difficilement envisageable. Nous n’avions pour toute nourriture que quelques casse-croûte emmenés avant le départ. Un repas chaud, un lit pour dormir, c’est ce que tous espéraient vivement.

Le train entre à présent dans une petite gare. Il ne roule plus qu’au pas. Puis, d’un coup de frein un peu sec, nous projetant contre les parois du compartiment, il s’arrête le long d’un quai désert. « Gaillac », c’est là le nom de cette ville.

Quelques personnes sortent de la gare. Parmi elles accourent ici aussi, des infirmières de la Croix Rouge. A l’appel de leur nom, une partie des passagers est invitée à descendre des voitures, nous sommes de ceux-là. Serait-il procédé à un débarquement par vagues successives afin d’éviter la bousculade ? Ou alors le voyage allait-il continuer pour les autres ? Il semblait que pour nous c’était ici le terminus car, une fois sortis de cette gare , nous sommes embarqués dans des bus qui prennent la direction du centre ville.

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V – TERRE D’ ACCUEIL ?

Nous devions être une cinquantaine de personnes à prendre place dans deux bus de taille moyenne, mes souvenirs sont assez vagues à ce sujet. Il faisait une nuit d’encre. Aucune lumière n’éclairait les rues ou ne filtrait des fenêtres. En cette période de guerre, pour la sécurité de chacun, la « défense passive » veillait à ce que ce règlement soit scrupuleusement respecté.

Après avoir gravi une côte, les bus s’arrêtent sur une petite place qui semble être le centre de cette bourgade. Nous sommes accueillis chaleureusement par le Maire et les enseignants. Nous nous retrouvons dans une grande salle où des tables, placées bout à bout , nous attendent avec les couverts mis. Dans les assiettes une soupe fumante déjà servie, laisse s’échapper une odeur agréable. Enfin nous allons pouvoir savourer un vrai repas. Rapidement chacun prend place autour de ces tables. Ce qui nous fut servi ? Qu’importe, ce fut un régal. Soupe, plats chauds, enfin quelque chose qui tint au corps.

Après ce repas bienfaiteur nous sommes conduits dans une autre grande salle attenante. Celle-ci est aménagée en dortoir. En guise de lits, quatre rangées de couches s’étalent sur le sol, deux au centre, tête contre tête, et une de chaque coté de la pièce, chacune ne faisant qu’un grand lit ou nous allions devoir dormir côte à côte. Les enfants d’abord… Puis la lumière fut éteinte pour permettre aux adultes de se mettre au lit à leur tour.

Je crois que chacun dormit d’un profond sommeil. Au petit matin, une toilette sommaire, faite à tour de rôle, aida à nous réveiller. Un petit déjeuner nous fut servi avant que chaque famille ne soit informée de sa destination finale. A notre groupe se joignirent encore quelques personnes connues de nous. Nous étions alors une vingtaine désignée pour le même refuge.

Dehors attendaient des charrettes attelées dans lesquelles avaient été chargés, tables, bancs, lits superposés en bois, literie, vaisselle et de quoi manger pour les premiers jours.. Deux charrettes prévues pour notre groupe nous furent désignées. On y joignit nos modestes bagages et le cortège, formé de ces voitures, tirées par de forts chevaux, s’ébranla lentement en direction de notre refuge « Mauriac ». Les plus courageux commencèrent le chemin à pieds. Ceux qui étaient montés à bord de ces charrettes échangèrent leurs places à mi-chemin. La route était longue, nous étions tous fatigués, las et sans courage.

Situé à une dizaine de kilomètres de Gaillac, petit hameau perché sur un rocher, Mauriac ressemblait à une forteresse! C’est dans ce coin de France inconnu que nous allions nous installer provisoirement c’est certain, pour repartir d’un bon pied vers une nouvelle vie. Ce petit hameau était rattaché à Senouillac, bourgade éloignée de trois kilomètres. Mauriac, à ne

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pas confondre avec la ville du même nom dans le Cantal, était un trou perdu ! Ce fut là notre première impression.

Photo 2 – Annexe V

D’autres groupes avaient pris des directions diverses. Trois religieuses de l’école des filles de Woippy, expulsées avec nous, se trouvèrent affectées à Senouillac. Nous allions, grâce à leur rapide initiative, reprendre dès les prochains jours le chemin de l’école. Une classe fut improvisée pour regrouper, dans un premier temps les enfants expulsés hébergés dans la région de Senouillac. C’est à pied, que matin et soir, nous faisions ces 3 kilomètres nous séparant de l’école. Nous y restions le midi, une cantine avait été aménagée pour les écoliers trop éloignés.

C’est à l’une de ces religieuses que je dois d’avoir rédigé une rédaction retraçant notre expulsion. Le premier devoir imposé, en effet, fut de relater les raisons de notre départ, les instants pénibles de l’expulsion et de faire part de nos sentiments. Rédaction que j’ai toujours conservée depuis 1940. Je dois avouer que mon Père m’avait beaucoup aidé à rédiger ce devoir, me fournissant des éléments et détails nécessaires à sa composition. Archivé précieusement, ce premier récit de jeune écolier me permet aujourd’hui de retracer plus clairement les amers souvenirs de notre expulsion. (Voir Annexe VI ci-dessous).

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VI – NOTRE REFUGE : LE PRESBYTERE.

Après avoir parcouru ces dix kilomètres, tantôt derrière nos charrettes, tantôt à bord, nous arrivons enfin aux abords de ce hameau qui, depuis un moment déjà retenait notre regard en grandissant à nos yeux au fur et à mesure de notre avancée. Perchées sur ce rocher et dominant les alentours, les quelques bâtisses grisâtres qui le composaient, paraissaient bien austères. Notre lent cortège emprunta un chemin de terre battue aux multiples ornières. Il fallut gravir une pente importante pour parvenir à ce village haut perché. On suivi ensuite une petite ruelle pour s’arrêter devant une maison qui, à part sa grandeur imposante, ressemblait à toutes les autres. C’est là que nous allions poser bagages !

Cette bâtisse qui avait servi autrefois de presbytère comportait un bon nombre de pièces. Nous y étions attendus par un bon vieux curé de campagne, d’allure joviale et sympathique. Il nous accueillit les bras tendus et nous emmena dans une salle équipée de quelques tables et bancs. Au fond de la pièce un énorme tableau noir couvrait une partie du mur. Notre regard fut attiré par ce qui y était inscrit : « la fuite en Egypte ». Il s’agissait là de la salle où ce curé donnait des cours de catéchisme aux quelques enfants du village et cette inscription devait être le thème de la dernière leçon. Mais le rapprochement fut vite fait entre cet épisode de la bible et l’ exode que nous subissions. Une dame, subitement laissa échapper son chagrin et sa tristesse. Des larmes commencèrent à inonder son visage. Cette émotion alla grandissante et devint communicative. Très vite d’autres femmes se mirent à pleurer elles aussi. L’atmosphère était à la « déprime » et il fallut, en plus du discours de bienvenue prononcé par ce bon curé, des paroles de réconfort afin de redonner un peu de courage à chacun de nous. Il nous fit visiter les lieux puis, en fonction de l’importance de chaque famille eut lieu l’attribution des chambres. Pendant ce temps, tout le mobilier de fortune ainsi que les équipements divers avaient été débarqués de la charrette. Il fallait songer à s’organiser, à meubler sommairement ces pièces qui allaient devenir nos appartements .

Puis vint l’heure du premier repas. C’est en commun qu’ il fut pris, dans la salle de catéchisme. Il fut décidé qu’il en serait ainsi en attendant que chaque famille soit bien installée et puisse alors réaliser sa propre cuisine.

Dès le lendemain, ce vieux presbytère commença à ressembler à une ruche en pleine activité. Des coups de marteau retentirent d’une pièce à l’autre. Bruits de tables, de bancs que l’on tire, se mélangeaient à des appels lancés d’un bout à l’autre des couloirs. Dans ce tintamarre tout à coup s’éleva un air de musique, mon Père venait de brancher la radio. Elle n’ avait pas souffert durant notre voyage. Les coups de marteau et autres bruits cessèrent. Tous écoutèrent un instant cette musique venue on ne sait d’où et apprécièrent cette ouverture sur le monde. La sensation d’isolement s’estompait un peu grâce aux ondes hertziennes.

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Nous les enfants avions découvert un endroit idéal pour nos jeux, une grande terrasse couverte avec une vue « imprenable » sur une partie de la campagne environnante. Juste au bas du village, à une cinquantaine de mètres, passait la ligne de chemin de fer qui, à cet endroit, gravissait une pente importante. Chaque convoi l’empruntant peinait atrocement. Certains étaient tractés par deux locomotives, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Toutes haletaient, soufflaient, crachaient un mélange de fumée et jets de vapeur. Elles avançaient lentement le long de cette rampe abrupte. C’était une distraction, voir passer les trains…de marchandises pour la plupart !

Les parents discutèrent d’organisation. Une vie en collectivité demandait une certaine discipline de la part de chacun de nous. La première décision prise fut celle concernant la corvée de ravitaillement. Il nous faudrait aller chercher régulièrement à Senouillac, je ne me souviens plus si cette distribution avait lieu tous les deux ou trois jours, les quelques légumes d’un quota qui nous était alloué par un service d’entraide. Pour cela des groupes de deux personnes furent définis. Ayant dix ans il fut décidé que j’y participerais aussi. Je me retrouvais en équipe avec un homme certes courageux, costaud, mais simple d’esprit. Cantonnier municipal à Woippy, il était connu et apprécié de tous.

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VII - SE NOURRIR

Ce quota de légumes, si modeste fut-il, était pour nous le seul moyen de subsistance. Une seule pomme de terre par personne et par jour, quelques carottes ou rutabagas venaient agrémenter le menu. Quelques fois, des querelles éclataient entre chefs de familles, pour des pommes de terre plus grosses les unes que les autres. Le partage n’était pas toujours aisé, nous avions tous faim.

Arrivés à Mauriac le 18 Novembre, nous étions déjà en décembre et l’hiver, commencé tôt, s’annonçait rude. D’ailleurs quelques habitants du coin ne se gênaient pas pour nous en rendre responsables :

-« ce sont ces boches de l’est qui nous ont ramené le froid ».

Je me souviendrai toujours de ma première « mission » ravitaillement. Notre tour venu, je partis donc vers Senouillac avec Lucien, c’était le prénom du pauvre bougre que j’accompagnais, chercher le quota de légumes qui nous était imparti. Il gelait fortement et un vent glacé nous fouettait le visage. Si, malgré ce temps à ne pas mettre un chien dehors le trajet à l’aller se fit sans difficulté, il n’en fut pas de même du retour. Déjà chargé des provisions que nous ramenions pour notre petite communauté, j’étais équipé d’un sac à dos qui me sciait durement les épaules, il nous fallut faire face à une sérieuse tempête de neige, toujours accompagnée de ce vent froid qui nous glaçait les os.

La neige tombait de plus en plus fort, j’avais les oreilles gelées, je ne sentais plus mes doigts de pieds. Mes mains, pourtant protégées par une paire de gants en laine, étaient elles aussi gelées. Lucien décida alors que nous devions nous arrêter. Il me fit descendre dans un fossé et là, à l’abri du vent, débarrassés de nos sacs posés sur la neige, nous sommes restés accroupis, blottis l’un contre l’autre. Nous nous sommes reposés un bon moment avant de reprendre la route. Mais cet arrêt n’avait pas été bénéfique, cette immobilité avait ralenti notre circulation sanguine. J’étais transi, je me mis à grelotter, je me sentais transpercé par le froid. Il fallait se remuer, marcher, courir, foncer tête baissée pour un dernier effort. Enfin nous arrivons au but, le presbytère est là, tout près. Un dernier effort et nous y sommes. Dans la grande salle commune, le regard inquiet, tous nous attendaient impatiemment, avec anxiété.

Voyant dans quel état je me trouvais, ma Mère me déshabilla, me frictionna, me massa surtout les pieds, les doigts et les oreilles pour réactiver une circulation sanguine déficiente et me réchauffa du mieux qu’elle le put. Mon Père, en accord avec la communauté, décida alors que je ne participerais plus à cette corvée trop éprouvante pour un enfant. Ce fut donc ma première et dernière course au ravitaillement.

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Depuis notre arrivée à Mauriac, nos parents n’étaient pas restés oisifs. Les hommes recherchaient tous du travail ou plus exactement des petits boulots. Il fallait revivre, améliorer l’ordinaire. Mais, très méfiants, les habitants de cette région avaient bien du mal à nous accepter. Du travail il n’y en avait pas. Les femmes s’affairaient aux tâches ménagères et recherchaient elles aussi de quoi manger. Je me souviens très bien d’un fait qui, aujourd’hui encore nous fait sourire. Un jour donc, ma mère décida d’aller dans une ferme proche pour obtenir, en échange de quelques services, un peu de nourriture. Ce jour là il n’y avait pas école, elle nous prit, ma petite sœur et moi par la main et nous emmena avec elle. La fermière nous reçus gentiment. N’ayant aucun travail à confier à ma mère et ayant pitié de ces pauvres enfants pâlichons que nous étions, elle nous donna 4 ou 5 belles tomates. Une aubaine, de quoi varier un peu le menu de ce soir. De retour, ma mère en effet prépara une poêle, y mis je ne sais quelle graisse, fit frire ces tomates qu’elle assaisonna. Mais, au fur et à mesure de leur cuisson, la consistance de celles-ci lui parue bizarre. L’odeur qui s’échappait de la poêle ne rappelait nullement celle de la tomate. Ma mère goûta sa préparation et s’écria :

« mais ! c’est sucré, c’est pas d’ la tomate… ».

Eh non ! Ce n’était pas de la tomate ! Nous venions de découvrir qu’il existait dans cette région du midi,

un fruit inconnu par chez nous, le kaki. Nous allions en découvrir d’autres, comme la Grenade aux graines charnues, de saveur aigrelette, rafraîchissantes et agréables à sucer. Une carence alimentaire nous fit aussi découvrir, dès le printemps, les petites « vrilles » de la vigne. Nous en étions friands et mangions volontiers ces petits tortillons acides.

Le temps passait tristement et décembre s’écoula lentement. Tous les soirs, les parents groupés autour du poste radio, écoutaient alternativement, les messages destinés à la recherche des familles et les informations transmises de Londres par la BBC, lesquelles étaient en permanence brouillées par les Allemands. Le bruit de ce brouilleur, devenu très familier, gênait considérablement les écoutes. Il ne fallait aucun tapage, chacun prêtant une oreille attentive en essayant de capter le maximum d’informations. Souvent les hommes jouaient aux cartes tout en discutant de l’avenir. Il était question d’un départ prochain vers une région où tous auraient du travail.

Nous venions d’écouté la retransmission de nos propres messages que mon père avait envoyés par courrier à ce service s’occupant de retrouver et de regrouper les familles. Toutes les indications donnant la position de notre refuge furent transmises et c’est ainsi que le frère de ma mère, Oncle Georges, nous retrouva et nous rejoignit à Mauriac pour ce premier Noël d’exilés. De jour en jour il fut possible à chacun de savoir où se trouvaient leurs parents ou amis, expulsés eux aussi courant novembre.

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Pour cette fête de Noël, comme il est de coutume, un arbre fut dressé sur la terrasse. Ici pas de sapin des Vosges comme par chez nous, un petit pin maigrelet, pas très touffu fit l’affaire. Pas de boules chatoyantes, pas de guirlandes dorées ou argentées pour le décorer. De simples morceaux de papier de couleur furent utilisés. Bien entendu pas de lumières non plus pour lui donner un air de fête. En ornant cet arbre comme nous le pouvions, je pensais aux sapins de Noël qui avaient charmés mon enfance, à toutes ces décorations aux multiples nuances, à ces guirlandes scintillantes. Tous cela, comme le reste, était resté dans nos placards perdu pour toujours. Qu’à cela ne tienne, nous avions notre arbre de Noël, la tradition était respectée. Mais, coté petits plats, pommes de terre, carottes, rutabagas, topinambours, composaient ces mêmes menus éternellement renouvelés.

Pourtant, une ou deux fois, une poule au pot, un poulet rôti vinrent améliorer l’ordinaire. Un Oncle, assez hardi, aimait jouer au renard, traquant au poulailler quelque volatile imprudent. Ces petits larcins ne furent qu’occasionnels. La faim, ponctuée par un manque de travail, en était seule responsable et comme disaient alors nos parents : « que Dieu nous pardonne ».

Puis un jour ce ciel sombre s’éclaircit. Le Printemps pointa le bout de son nez, la nature se réveilla. Les chefs de familles furent embauchés par ci, par là, à des travaux saisonniers. Ces modestes revenus nous permirent enfin d’acheter quelques produits supplémentaires. Oh ! c’est certain il n’y avait pas grand chose chez les commerçants, mais dans les campagnes il était possible d’acquérir quelques produits à la ferme.

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NOUVEAUX HORIZONS.

I - RABASTENS.

Puis un jour vint le départ. Cette vie en collectivité, pour une grande part à la charge de la communauté ne pouvait pas s’éterniser. Chaque famille n’avait alors qu’un seul désir,  reprendre une vie privée normale, retrouver un foyer, un bien être et pour le chef de famille un revenu décent.

Ce nouveau départ vers l’inconnu fut cette fois le bien venu et c’est sans regret que chacun fit ses bagages. Nous quittions donc Mauriac et son presbytère avec soulagement. Cette étape ne fut pour nous tous qu’un tremplin avant la reprise d’un nouveau départ vers une existence décente.

C’est à Rabastens, toujours dans le Tarn, que la plupart des familles hébergées au presbytère furent envoyées. Là un logement individuel attendait chacune d’elles. Le nôtre, situé dans une petite rue, était agréable. Maison individuelle, il comportait 4 pièces et un jardin, un luxe. Dans celui-ci, un figuier garni de fruits prometteurs occupait un de ses angles. Si nous savions ce qu’était une figue, nous n’avions auparavant jamais vu de figuier.

Ici la vie se présentait sous de meilleurs auspices.. Nous nous sentions bien dans ce logement, nous étions chez nous. Les chefs de familles eurent du travail dans une fabrique de meubles. Nous commencions à manger à notre faim, et même si les restrictions, ici aussi, se faisaient terriblement ressentir, nous pouvions enfin prétendre à une alimentation différente, plus variée et mieux équilibrée.

Située à une vingtaine de kilomètres au Sud-Ouest de Gaillac, sur la route de Toulouse, Rabastens est une petite ville coquette d’environ 4.000 habitants, sur les bords du Tarn. Au centre, protégée par deux ou trois rangées de platanes, son esplanade permet aux amateurs de pétanques de s’affronter à l’abri des rayons mordant du soleil, tandis que bien à l’ombre sur des bancs de bois, d’autres commentent les dernières nouvelles du front, avec cet accent qui nous surprenait toujours un peu.

A l’exception d’une seule, toutes les familles venues s’installer ici et d’autres qui y résidaient avant notre arrivée, restèrent à Rabastens jusqu’à la fin de la guerre. D’ailleurs, plusieurs jeunes gens, filles ou garçons, se marièrent avec d’autres jeunes du pays et y fondèrent leur famille. Les seuls qui firent exception qui étaient-ils donc ? Ne cherchons pas, il s’agissait de nous. A peine avais-je fait de nouvelles connaissances que déjà il fallut repartir et tourner la page.

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Combien de temps sommes nous restés à Rabastens ? Deux mois, trois mois…Pas beaucoup plus car ce séjour ne m’aura laissé que très peu de souvenirs.

Entre temps, mon Père avait repris contact avec Monsieur Séchehaye, lequel, installé avec sa famille à Châtel-Guyon (Puy de Dôme) s’occupait ardemment de retrouver les « anciens » de Woippy pour leur proposer un emploi dans divers domaines, au sein du groupement des « chantiers de jeunesse », (C.J.F.) . Mon Père accepta l’une de ces propositions qui ne pouvait que le satisfaire.

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II – CHATEL – GUYON .

Il se vit offrir un poste au sein de la Musique Nationale des Chantiers de jeunesse comme sous-chef de musique.

Il s’agissait d’une formation musicale de 120 participants, tous musiciens chevronnés, recrutés sur concours, issus de divers conservatoires. En plus de sa « clique fanfare » assurant les défilés, cette formation comportait un orchestre symphonique de premier ordre. L’ensemble était sous la direction d’un chef de musique, Monsieur Pardoêl et de deux sous-chef, Monsieur Lassalmonie et mon père. .

( Annexe VII – Photo 1 ).

Je me souviendrai toujours de ces concerts symphoniques donnés fréquemment sous le chapiteau d’un kiosque dans le parc de Châtel-Guyon, non loin du théâtre et des centres de cures thermales. Déjà initié à la musique lyrique très jeune, je fus ici comblé par ces concerts et par toutes les répétitions auxquelles j’assistais avec plaisir.

L’ensemble des « Chantiers de jeunesse » était placé sous le

commandement du Général « de Laporte du Teille ». Les jeunes qui en composaient les différentes formations étaient venus s’y enrôler pour fuir le travail obligatoire (STO) ou autres servitudes, décrétées par le Gouvernement de Vichy, en collaboration avec les nazis.

Après avoir goûté au Sud-Ouest de la France, nous nous retrouvions plus au centre vers le Puy-de-Dôme. Cette fois le voyage fut un peu plus long.

Ville d’eaux, station thermale célèbre pour ses 28 sources d’eau magnésienne, ferrugineuse et chlorurée, spécialisée dans les affections intestinales, Châtel-Guyon, même en cette période trouble, hébergeait bon nombre de curistes. On l’appelait aussi la cité des Colonels. Cette ville, sans les curistes, ne comportait pas plus de 2.000 habitants.

Les souvenirs que j’ai gardés de notre passage à Châtel Guyon, sont beaucoup plus précis que par ailleurs, peut-être parce que divers évènements ayant leur importance l’auront marqué.

Déjà, dès notre arrivée, en plus de l’entrée à l’école, alors que l’année scolaire touchait à sa fin, je dus fréquenter de suite les cours de catéchisme, j’étais en âge de faire ma communion solennelle. Il me fallut mettre les bouchées doubles car la date de cette cérémonie était proche. Le curé lui n’était pas très coopératif et mon manque de connaissances dans cette matière semblait plutôt l’agacer. C’est une fille Séchehaye qui prit ma défense et m’aida à rattraper ce retard. Merci Annie !

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Vers Mai-Juin 1941 je fis donc ma communion à Châtel-Guyon, avec 53 autres postulants, filles et garçons. Pour ce qui me concerne, un seul invité assistait à la cérémonie, Maurice Kléman, beau-frère de ma tante. Il était lui aussi aux C.J.F. où il occupait une place de magasinier.

( Annexe VII – Photo 2 et 3 )

Autre fait marquant. A peine arrivé à l’école, mes nouveaux copains voulurent en savoir plus sur mes origines. Pour plus de facilité, je leur montrai ma rédaction sur l’expulsion. Trouvant ce récit intéressant, l’un deux en fit part au maître d’école, lequel, après avoir lui-même consulté cette douzaine de feuillets, me demanda d’en faire profiter toute la classe en le lisant à haute voix. Et c’est d’une voix hésitante que je m’exécutai, devant une classe silencieuse et très attentive. Cette lecture fut étalée sur deux ou trois jours . Tous ignoraient jusqu’alors ce qu’enduraient à chaque guerre les frontaliers que nous sommes. Tirés d’un côté, puis de l’autre, une fois allemands, une autre fois français.. Chassés, déportés, enfermés tel était notre sort maintes fois renouvelé.

Depuis 1870 nos aïeux ont changé cinq fois de nationalité. Nos grands pères auront porté l’uniforme allemand en 1914/18, mon Grand-père paternel est tombé sous les balles françaises en 1916.

Notre adaptation à Châtel-Guyon fut rapide. Logés à l’extrémité de la rue du Commerce, face à l’hôtel du même nom, nous avions quelques commerçants à proximité. En peu de temps les rues de la ville n’eurent plus de secret pour nous. C’est avec aisance que nous nous déplacions dans toute l’agglomération.

Pour la petite histoire humoristique, et si les rues n’ont pas été rebaptisées depuis, le nom de l’une d’elles et pas des moindres, prêtait à plaisanterie, il s’agissait de l’avenue « Baraduc » ; lisez donc ce nom à l’envers…

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- Annexe VII –

Le jour de ma communion avec mes parents, ma sœur et notre unique invité

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Photo 2.

Photo 1

Musique Nationale des Chantiers de Jeunesse – 120 exécutants -

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Une fois bien adaptés à notre nouvelle vie et pour améliorer l’ordinaire à moindre frais, mes parents louèrent un lopin de terre route des « Groliers », une ancienne vigne qu’il fallut défricher pour en faire un terrain cultivable. Arracher ces vieux ceps ne fut pas chose facile. Ce travail pénible terminé, ma mère habituée aux travaux des champs, se chargea de la culture. Ce terrain aride devint rapidement un jardin productif.

Au bout de ce champ, une source d’eau minérale jaillissait inlassablement du sol. Protégée par une petite plaque de béton percée en son centre, elle formait une modeste fontaine naturelle. Nous connaissions les vertus de cette eau et bien vite nous nous sommes mis à consommer quotidiennement ce breuvage gratuit aux multiples bienfaits. Mal nous en prit, trop c’est trop. Au bout de quelques temps toute la famille fut prise de coliques et de fortes diarrhées. Pas besoin de chercher bien loin la cause de nos ennuis. Il nous fallut réduire sérieusement notre consommation d’eau aux vertus multiples et apprendre à nous modérer avec ce que la nature nous donnait si généreusement.

Une voisine, veuve, aux revenus assez modestes, ayant en plus de ses deux enfants sa vieille mère à charge, recherchait elle aussi ce que la nature pouvait lui offrir gracieusement. Pour lui permettre de réaliser quelques économies elle était toujours en quête de ce qui pouvait aider à surmonter les fins de mois difficiles.

C’est elle qui, déjà, alors que nous venions de lier connaissance, nous avait indiqué le « filon » châtaigniers. N’appartenant à personne, ceux-ci étaient assez nombreux à la lisière de quelques forêts avoisinantes. A la bonne saison il nous fut facile d’aller ramasser des châtaignes et d’en faire une provision convenable. Grillées directement sur le poêle, elles furent souvent pour nous, non seulement un dessert apprécié, mais surtout un complément nutritif non négligeable.

De plus, cette voisine allait souvent en forêt ramasser des champignons. Elle nous invita à venir avec elle et à participer à ses

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Photo 3

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recherches. C’est ainsi qu’elle apprit à ma mère à reconnaître quelques variétés de cèpes mais surtout l’une d’elles, assez abondante dans ces pinèdes, appelée tête de nègre. Ma mère fit quelques récoltes qui servirent à agrémenter nos repas. Ne ramassant uniquement que ceux là, c’est en toute confiance que nous les dégustions. Bien trop souvent les seuls légumes à revenir sur la table n’étaient que: topinambours et rutabagas. Pouvoir déguster un plat agrémenté de cèpes , quelle classe…

Pour reparler un peu de ces « topinambours » apparus soudainement à profusion sur les marchés, je me rappelle que j’étais le seul de la famille à les… aimer . Non ! à les accepter, car j’avais toujours la « fringale ». Notre propriétaire, un authentique auvergnat depuis maintes générations, nous en apportait quelques fois. Comme personne n’en voulait, ou n’en mangeait que très peu, je dévorais le tout d’un appétit féroce. Maintenant que je ne suis plus contraint d’en consommer, je reconnais que ce légume sentait la pomme de terre gelée, avec cette saveur aigre-douce qui lui est très caractéristique.

Ah! Notre propriétaire ? Fouchtri, fouchtra, parlons-en un peu. Nous avons découvert en lui ce caractère d’auvergnat pour qui un sou c’est un sou. Nous venions de nous installer au rez-de-chaussée de sa maison, lui occupait le premier et seul étage. Un matin il vint nous demander si nous voulions des sarments de vigne pour allumer le feu. Nous n’avions pas encore ce champ couvert de vieille vigne et n’allions pas non plus aux pommes de pins. A cette proposition, ma mère lui répondit affirmativement. Le soir il vint nous apporter une poignée de sarments, de quoi allumer une ou deux fois le feu. Ma mère prit ce petit fagot et le remercia. Mais, oh  ! surprise, il lui dit :

- ça fait 1 franc Madame ! D’un geste brusque et très offusquée, ma mère lui tendit son fagot et lui répondit :

- Non merci, j’avais pris votre proposition pour une offre, je n’achète pas ça 1 franc.

C’est probablement pour cela, et pour réamorcer de meilleures relations, qu’il vint par la suite, nous apporter quelques rations de topinambours.

Dans cette même forêt de pinèdes, où nous allions aux champignons, nous nous sommes mis à ramasser des pommes de pins qui, bien séchées, formaient un combustible idéal pour alimenter quotidiennement notre cuisinière. Assez volumineuses, ces pommes de pins jonchaient le sol en abondance, tout comme ces branches mortes tombées à terre et vouées à la décomposition. Or un jour, alors que nous avions fini d’en garnir nos sacs, sur le retour, notre chemin croisa malencontreusement celui d’un garde forestier apparemment très zélé. Ma mère et cette voisine, venue elle aussi, eurent beau lui expliquer qu’il s’agissait, en cette période difficile, de subvenir à des besoins de première nécessité, qu’elles ne commettaient aucun délit en ramassant ce qui allait devenir pourriture. Il devint menaçant et vraiment désagréable. Il nous

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obligea à vider nos sacs sur le sol en nous invitant à disparaître rapidement si nous ne voulions pas avoir d’autres ennuis. Il nous fallut obtempérer en le remerciant encore humblement de ne pas appliquer la loi (  ?) en nous faisant payer une amende.

Encore un de ces fonctionnaires butté, borné, sans pitié. Avait-il connu les méfaits de cette ignoble guerre ? Certainement pas et visiblement n’en souffrait pas. Il nous fit penser à ces agents du gouvernement de Vichy, à ces miliciens, police de Vichy, qui terrorisaient le peuple français déjà opprimé par l’occupant, exerçant leur sale besogne de vendus avec un abus d’autorité allant souvent au-delà de l’exigence nazi.

Je me souviens de cette obligation, imposée aux élèves dans toutes les écoles de la France libre. Tous les jours avant le début des cours il fallait rester au garde-à-vous, face à une photo du Maréchal Pétain et chanter cet hymne de l’époque : « Maréchal nous voilà…. ».

La période des « grandes vacances » arriva très vite. Pour ne pas rester inactif pendant ces deux mois d’été, j’adhérais à un groupement de « Cœurs vaillants ». Il venait de se former et une partie de ses activités se pratiquait dans un hôpital désaffecté, à une cinquantaine de mètres de notre domicile. Nos fréquentes sorties autour de Châtel, visites de sites, jeu de pistes, casse-croûte sur l’herbe, étaient intéressantes et je me souviens de journées fort agréables. Avant nos randonnées nous avions droit à un petit déjeuner, quelle aubaine à cette époque… !

En plus de cette occupation, il m’arrivait souvent d’assister à des répétitions musicales que dirigeait mon Père. Je l’accompagnais aussi quelques fois lorsqu’il faisait subir un examen d’entrée aux nouveaux postulants. Mon père avoua bien humblement que certains d’entre eux possédaient une formation musicale nettement supérieure à la sienne bien que, tous les jours, il se perfectionnait et s’entraînait à jouer sur d’autres instruments que le sien, il avait une formation de trompettiste. Lors de divers concerts dirigés par le chef Pardoël, il put bien vite, en tant qu’exécutant, passer de la trompette au cor d’harmonie, au bugle, ou à tout autre « cuivre ».

Pour ne pas faillir à ses traditions, M. Séchehaye se remit à écrire, puis à mettre en scène quelques pièces de comédies qu’il produisit au théâtre de Châtel-Guyon. Interprétées par de jeunes comédiens appartenant à la musique nationale des C.J.F., elles eurent beaucoup de succès. Ces concerts et spectacles, rares en cette période de guerre et de pressions internes, apportaient un peu de délassement et de détente, et nous aidaient, pour un temps, à oublier nos soucis.

Mais nous allions bientôt devoir, encore une fois, changer de domicile et de région. Après 18 mois environ à la musique Nationale, mon père accepta ce qu’on pourrait qualifier de « promotion » en partant dans

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un autre groupement de C.J.F. où il deviendrait, après l’avoir créée, chef de sa propre formation musicale.

Son affectation ne tarda pas à être prononcée. Sa mission : composer intégralement une nouvelle formation « fanfare » au sein du 32° groupement de Chantier de jeunesse à Uzay-le-Venon dans le département du Cher. Il nous fallait une nouvelle fois refaire les valises  et dire Adieu à Châtel-Guyon où, pourtant, nous nous sentions bien à l’aise. Je m’étais fait bon nombre de copains, ils allaient bientôt tomber dans l’oubli. ( Annexe VIII – ci-dessous)

Annexe VIII

Ma classe à Châtel-Guyon en 1941 - (Assis au 1er rang, 1er à droite de la photo)

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III - UZAY – le – VENON .

ETE 1942 – Tournant de la guerre.

Avec l’entrée en guerre des Etats-Unis aux cotés de la France et de l’Angleterre en décembre 1941, suite au bombardement de Pearl-Harbor par les Japonais d’une part, de l’U.R.S.S. qui elle aussi se ligue contre l’Allemagne d’autre part, la guerre devient mondiale.

- En novembre 42, les Alliés arrêtent l’Afrika Korps à El Alamain et débarquent en Afrique du Nord.

- Les Allemands ripostent en occupant la zone libre en France. - Les troupes allemandes connaissent des difficultés sur le front

EST. Elles doivent faire face à un hiver très rude.

Quant à nous, éternels voyageurs, nous nous installions dans nos nouveaux quartiers et prenions pieds à Uzay-le-Venon, département du Cher, quatrième lieu de résidence depuis notre expulsion.

Uzay principale bourgade, à laquelle était rattaché un petit hameau proche « Le Venon ». Située à 7 kilomètres de Bruère-Allichamps, centre de la France, sur la route de Bourges à Saint-Amand-Montrond. Au centre de Bruère en plein carrefour est érigée une colonne indiquant ce centre arbitraire revendiqué par quelques autres communes. (voir carte ci-dessous)

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Comme logement, une petite maison nous a été attribuée pour nous seuls, au centre du village, derrière l’église. Elle est composée d’une grande salle commune avec cheminée et four à pain, de deux petites chambres à l’arrière et comporte également comme communs, deux débarras accessibles de part et d’autre par l’extérieur et un jardin de deux ares environs. Pas d’eau courante. Il faut aller la chercher au puits de l’autre coté de la route. Les commodités ? Dans le jardin. Non pas au fond mais juste à l’entrée… quelle chance !

Ecole, Mairie, café-épicerie, « marchand de vins », tous sont groupés autour de la place de l’église. Constitué de deux parties reliées entre elles par une rue principale, ce village d’ Uzay ne comptait que peu d’habitants. L’âme du village, où nous logions, se nommait « le Bourg », quant à l’autre partie, bâtie également autour d’une place mais sans aucun commerce, s’appelait « les Varines ». Le camp du groupement des C.J.F., fait de baraquements en planches, se trouvait à proximité de ce lieu-dit.

Dès notre arrivée, mon père commença le recrutement de musiciens, but de sa mission. Tout comme à Châtel-Guyon, mais d’un niveau moins important que celui demandé pour la musique nationale, il pratiqua par concours. Il y eu beaucoup de volontaires. Certains candidats venaient, accompagnés de leurs parents, lesquels cherchaient à soudoyer mon paternel, qui avec un jambon, qui avec un panier garni, afin que leur fils soit enrôlé dans la formation. Mais comment faire jouer d’un instrument de musique celui qui n’a manipulé que des

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« instruments » agricoles ? Devant tant de dilemmes il devint nécessaire de créer un emploi de porte fanion et un autre de porte serviette (responsable des partitions)… (Annexe IX – Photo 1)

La fanfare fut rapidement créée. Elle était constituée de 55 à 6O musiciens. Alors recommencèrent les répétitions. Mon père ne faisait pas toujours preuve de patience et poussait assez souvent une « gueulante ». Il était très exigeant, une qualité qui lui permit d’aboutir à de bons résultats et d’obtenir une formation musicale de bonne qualité.

( Annexe IX – Photo 2)

Annexe IX Photo 1

Uzay-le-Venon 1942 – Formation fanfare de 57 exécutants. Au centre, blouson clair, mon père, à sa gauche le sous-chef, à sa droite le tambour major.

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Photo 2

UZAY le VENON – Devant l’église - Concert en plein air.

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