Excertos de Decisões de Paul MAGNAUD

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Paul MAGNAUD

LE BON JUGE de CHATEAU-THIERRY

 Par René CONSTANT.

Le 4 mars 1898 eût puêtre un jour comme un

autre pour les annales

 judiciaires françaises,

alors qu'au tribunal

correctionnel de

CH!"#$

!H%"&& , le r(le

d'audience )tait peu

c*ar+) une affaire de

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de -a+abonda+e, unetroisi.me d'injures / un

+arde$c*asse et

d'i-resse publique puis

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conna0tre un bien +rand

retentissement le -ol

d'un pain

 

CHATEAU-THIERRY, petite ville sur la Marne, entre Ile de France etChampagne, était alors le siège d'un Tribunal dépendant de la Cour d'appel

d'AMIENS. Les Castrothéodoriciens y vivaient alors loin de toute célébrité, si ce

n'est le souvenir de Jean de la FONTAINE, dont les écrits ont encore meublé notre

éducation par leur style plein d'une virtuose (et non seulement vertueuse) moralité,

voire pour d'autres, d'un tempérament plus épicé et épicurien;

 

Et pourtant, ce ne fut pas un jour comme les autres...

 

L'AFFAIRE MENARD 

Donc, en ce 4 mars 1898, compara î t devant le Tribunal la Dame Louise MENARD,

prévenue d'avoir volé un pain. Elle explique qu'elle et son enfant de deux ans

n'avaient plus mangé depuis trente-six heures. Les faits sont établis. Le Tribunal se

retire pour délibérer puis acquitte la prévenue en relevant dans un attendu "qu'il est

regrettable que, dans une socié t é  bien organisé e, un des membres de cette socié t é  ,surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute" ;

 

La nouvelle de ce jugement étonnant, puisqu'il tenait en second plan la défense du

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droit de propriété en excusant un vol manifeste, parvient aux journaux nationaux

quelques jours plus tard et le 14 mars 1898, CLEMENCEAU en fait le fond de son

article dans l'Aurore, qu'il titre "UN BON JUGE" et où il met ce fait divers dans le

débat politique, en écrivant: " Le tribunal de CHATEAU-THIERRY vient de rendre

un jugement qui mé riterait de fixer la jurisprudence. En lisant cette navrante

histoire, toutes les âmes sensibles ne manqueront pas de s'apitoyer. H é las, c'est

bien de pleurer. Il serait mieux d'agir. Le tribunal a fait ce qu'il a pu. Il a renduun verdict d'acquittement qui fait honneur à son humanit é . Il a même posé  un beau

 jalon d'avenir en proclamant l'att é nuation de la responsabilit é  sous l'empire de la

misère physique et morale. C'est tr ès bien. Mais que fera-t-on pour cette femme

sans appui ? Pour cette vieille et pour cet enfant dans la rue? Puis, avec ceux-là ,

il y en a d'autres, n'est-ce pas? Apr ès tout le boulanger au profit de qui le juge

refuse par bont é  d' âme d'appliquer les lois protectrices de la proprié t é  n'est point

chargé  de subvenir aux manquants d'une socié t é  mal organisé e.

 Au lieu de lui dire, juridiquement : Laisse toi voler, car nous sommes pitoyables, il

serait d'une charit é  mieux entendue d'employer quelques parties du superflu de

ceux qui en ont trop au soulagement de ceux qui n'en ont pas assez. Mais, je

n'insiste pas. Rotschild qui me guigne serait capable de me dire que je suis vendu

aux pauvres" (comme dans l'affaire DREYFUS, Clémenceau et les autres

dreyfusards étaient accusés d'être vendus aux juifs, donc aux Rotschild).

 

Il faut savoir que l'année 1898 avait vu une forte hausse du prix du pain, celui-ci

passant de 1,40 fr. à 1,90 fr. pour un pain de 5 kilos, alors que salaire journalier d'un

père de famille ouvrier dans la région de CHATEAU-THIERRY était de 2 francs.

Le pain était alors l'élément essentiel de l'alimentation et un adulte pouvait en

consommer jusque un bon kilo par jour. 

C'était donc là le poste essentiel des budgets populaires, alors même que deux ans

auparavant, au congrès de LILLE, l'Internationale avait chantée été pour la première

fois par les prolétaires avec ses mots forts : "debout les forçats de la faim".

 

L'affaire MENARD était donc bien une affaire politique et les opinions des

 journaux le reflétaient. Ainsi, notamment, l'INTRANSIGEANT (mars 1898) parle

du " plus formel des r é quisitoires contre la socié t é  , une pierre dans la mare des

ventrus" ; LE JOURNAL DES DEBATS, LA REPUBLIQUE FRANCAISE et

L'ECHO DE PARIS s'élèvent contre ce juge "qui avait osé  acquitter une voleuse",

 

L'UNIVERS précise qu'en somme, "le tribunal n'a fait qu'obé ir aux lois de l'Eglise

qui pr é voient, paraî t-il, que l'on ne commet pas de d é lit quand on vole seulement

 pour subvenir à ses besoins", encore que, comme le fait remarquer André ROSSEL,

cet argument eût été plus convaincant si l'auteur de l'article avait pu produire un

seul arrêt des tribunaux des Etats pontificaux ayant avant 1870 exempté de peine un

voleur affamé. De son côté, le FIGARO titrait par contre " La proprié t é  a des

droits", et de réclamer pour le principe une peine avec sursis.

 Cependant que le débat et la polémique s'amplifient, dans les journaux et jusqu'à 

une interpellation parlementaire, l'affaire revient devant la Cour d'appel d'Amiens,

puisque le Parquet a fait appel pour obtenir une condamnation de principe et voir

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supprimer les attendus du président MAGNAUD, mettant en cause l'organisation

sociale.

 

Malgré un réquisitoire strict en droit et en logique, et surtout grâce à la plaidoirie

d'un jeune avocat, l'acquittement sera confirmé, certes pour de très mauvaises

raisons juridiques, considérant "que les circonstances exceptionnelles de la cause

ne permettent pas d'affirmer que l'intention frauduleuse ait exist é ". La Cour, en

effet, confondait ainsi l'intention frauduleuse (c'est à dire la conscience de

s'approprier le bien d'autrui) avec le mobile (en l'espèce, la faim). Mais pour des

raisons sociales et d'équité bien compréhensibles, compte tenu de l'état de l'opinionet du débat qui s'était ouvert, l’acquittement, même peu juridiquement étayé,

s’explique.

Cet acquittement, fondée sur une notion alors floue, mais qui deviendra dans notre

droit "l'état de nécessité", actuellement reconnu, est le seul du genre durant le XIXe

siècle, mis à part un cas similaire en Angleterre, où en 1890, le juge HAWKINS

acquitta un voleur de pain miséreux, fit circuler alors dans l'auditoire son chapeau

pour une collecte, puis condamna le boulanger volé, qui n'avait rien mis dans le

chapeau, à un jour de prison en vertu d'un ordonnance de la reine Elisabeth édictée

contre les commerçants qui délaissaient leurs boutiques au risque de tenter les

voleurs.

 

Il faudrait sans doute revenir sur les développements de l'état de nécessité en

doctrine et en jurisprudence, notion juridique bien précise mais dont on peut dire

que l'évolution moderne se trouve dé jà inscrite dans le raisonnement du président

MAGNAUD, tout original ou cabotin que soit ce magistrat atypique dans son

époque.

 

Comme le dit l'expression consacrée, "ceci est une autre histoire". Laissons donc làl'affaire MENARD : l'affaire MAGNAUD continue.

 

QUI EST LE PRÉSIDENT MAGNAUD ? 

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2ils d'un petit fonctionnaire,

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dans l'arm)e de la Loire

a-ant de faire son droit /

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dans diff)rents tribunau<,

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 pr)sident du tribunal de

CH!"#$!H%"&& en

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fonctions jusqu'en 19:=,

ann)e o> il est )lu d)put)

radical$socialiste

 

En 1910, il est promu (en fait une promotion "voie de garage") aux fonctions de

 juge au Tribunal de la Seine. Mobilisé en 1914 comme officier supérieur, au grade

de commandant, à soixante-six ans, il a, à REIMS, une conduite courageuse qui lui

vaudra d'être fait commandeur de la Légion d'honneur à titre militaire.

 

Mis à la retraite en 1918, il sera fait conseiller honoraire à la Cour d'appel de

PARIS et mourra à SAINT YRIEIX (en Haute-Vienne) en 1926 à l'âge de 78 ans.

Durant cette retraite, il disait de lui qu'il était un "vé t é ran sans fortune, de 70 et dela d é mocratie".

Profondément attaché aux valeurs républicaines et démocratiques, il était aussi

viscéralement anticlérical et avait d'ailleurs précisé par deux fois et souligné par

deux fois dans son testament qu'il ne voulait à son enterrement de cérémonies que

civiles et non religieuses.

 

Sa femme, qui était la filleule de Georges SAND, fera inscrire sur sa tombe comme

épitaphe, les mots "LE BON JUGE".

 

C'était un personnage hors du commun, régnant en ma î tre sur son petit tribunal sur

lequel il faisait flotter en permanence le drapeau de la république, donnant

instruction à l'huissier d'audience d'annoncer l'ouverture de l'audience par un

solennel coup de bâton assorti d'un tonitruant " Le tribunal, chapeau bas !".

 

Bon cavalier et fier de l'être, il arrivait au tribunal à cheval, avec cravache, bottes et

éperons, signant jugements et courriers sur sa monture. Assez cabotin, il habitait

une vaste maison avec une magnifique vue sur le val de Marne et y avait apposé 

une plaque la baptisant "Simple demeure". Sur quoi, son voisin, vétérinaire, baptisala sienne "Simple niche".

 

Culotté et provocateur, il l'était sans aucun doute. Ainsi, un jour, il décida que les

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formules de politesse, commençant et terminant traditionnellement les lettres tant à 

sa hiérarchie judiciaire qu'aux juges de paix dépendant de lui, étaient inutiles

puisqu'elles n'étaient pas sincères, et qu'il valait mieux désormais s'en passer.

 

De même, dans ses démêlés avec la cour d'appel d'Amiens, qui systématiquement

réformait ses jugements trop libéraux, il utilisa la publicité commerciale. Ainsi,

sollicité comme d'autres personnalités pour vanter les mérites d'un marchand devins dans la presse, il y fit écrire, sous ses photo et signature : "On dit que le vin

gé né reux rend bon et humain. Prière d'envoyer à la magistrature le vin Marriani

qui m' é tait destiné ."

 

S'il était assez fier de lui et surtout de l'attention dont il était l'objet, des messages de

sympathie et des articles de presse que l'affaire MENARD lui valut, il était tout

aussi satisfait des démêlés qu'il entretenait avec sa hiérarchie, et plus

particulièrement avec la cour d'appel dont il dépendait. Il s'en faisait sans doute

grande gloire.

 

Cependant, tout cabot qu'il f ût ainsi, il n'en reste pas moins vrai qu'il mettait en

oeuvre dans ses décisions les valeurs d'Humanité, de Justice et de Démocratie qu'il

entendait défendre.

 

Non sans humour parfois, comme nous verrons plus loin ; non sans humeur

quelquefois ; avec excès de temps en temps, mais toujours sans se départir d'une

certaine logique politique.

 

Le Président MAGNAUD et les mendiants et vaa!"nds 

En 1899, neuf mois après l'affaire de la voleuse de pain, le Président MAGNAUD

va donc récidiver, en acquittant un vagabond âgé de 17 ans, poursuivi pour avoir

mendié du pain. Ce jeune CHIABRANDO, arrêté le 22 décembre 1898, avait

abandonné son emploi et s'était donc volontairement mis dans cette situation de

"précarité sociale", selon nos appellations sociologiques actuelles. Il avait tout

aussi volontairement quitté l'hospice où il avait été ensuite hébergé ; enfin il avait

voyagé pour chercher du travail, notamment en Belgique, par chemin de fer mais

sans payer de billet.

 

De plus, dé jà condamné antérieurement pour des faits semblables, il était un

récidiviste lourd, d'autant que l'interdiction de mendier dans le département était

alors justifiée par l'existence d'un établissement officiel d'accueil de ce que nous

appelons aujourd'hui les S.D.F.

 

Dans un long jugement daté du 20 janvier 1899, le Président MAGNAUD va justifier son acquittement par trois considérations :

* les établissements destinés à héberger les mendiants et vagabonds existent bien

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mais sont inadaptés et dès lors "la socié t é  , dont le premier devoir est de venir en

aide à ceux de ses membres r é ellement malheureux, est particulièrement mal venue

à requé rir contre l'un d'eux, l'application d'une loi é dict é e par elle-même et qui, si

elle s'y f ût conformé e en ce qui la concerne, pouvait empêcher de se produire le fait 

qu'elle reproche aujourd'hui au pr é venu".

 

* la loi ne doit s'appliquer qu'à de véritables mendiants et non à un jeune, qui, certesa quitté son emploi, mais en a cherché d'autres, même si ces recherches ont eu peu

de succès. Et de considérer ainsi "que c'est contre les mendiants professionnels que

la loi a é t é  faite et que c'est sur eux seuls qu'elle doit s'appesantir dans toute sa

rigueur ; qu'on ne saurait se montrer trop sé vère à l' é gard de ces parasites de la

socié t é  qui n'ont d'autre mé tier que d'exploiter la charit é  publique, non seulement

en sollicitant cyniquement l'aumône sur la voie publique, à domicile ou à l'entr é e

de certains é difices publics, mais encore en s'introduisant, gr âce à la complaisance

coupable des uns ou à la lé gèret é  impardonnable des autres, dans toutes les

oeuvres de bienfaisance au d é triment des vé ritables malheureux à l' é gard desquels,

ils finissent par rendre sceptiques même les coeurs les plus compatissants".

 

* l'appel à la solidarité humaine constitue ce que nous appellerions maintenant un

droit de l'homme. Ainsi, pour apprécier équitablement le cas, "le juge doit, pour un

instant, oublier le bien-être dont il jouit gé né ralement, afin de s'identifier, autant

que de possible, avec la situation lamentable de l' être abandonné  de tous, qui, en

haillons, sans argent, exposé  à toutes les intempé ries, court les routes et ne

 parvient le plus souvent qu' à é veiller la d é  fiance de ceux auxquels il s'adresse pour

obtenir quelque travail; qu' é videmment, l'appel fait à la solidarit é  humaine par ce

malheureux, dans sa d é tresse même parfois mé rit é e, doit d'autant moins constituerune infraction pé nale qu'il peut arriver à l'homme le plus laborieux, dont le travail

est la seule ressource, de se trouver dans un é tat d'indigence momentané e, mais

absolue, par suite de maladie ou d'un chômage inopiné  et prolongé "

 

Comme pour l'affaire MENARD, ce jugement va provoquer un tollé de f élicitations

d'une part, de récriminations d'autre part, une interpellation parlementaire du député

socialiste SEMBAT et de nombreux écrits polémiques dans la presse.

 

Le Parquet a, évidemment fait appel d'un tel jugement d'acquittement et, comme

dans l'affaire MENARD, le jeune Lucien CHIABRANDO fut défendu devant la

Cour par un jeune et brillant avocat parlementaire, Ma î tre VIVIANI.

Ici cependant, la cour n'acquitta pas, mais réforma la décision et prononça une peine

de principe de deux jours d'emprisonnement dé jà effectuée en détention préventive,

tenant compte de la jeunesse du prévenu.

Deux mois plus tard, le Président MAGNAUD doit juger un "vieux cheval de

retour", quarante-deux fois condamné et qui a passé plus de la moitié de son tempsen prison durant les vingt dernières années, pour mendicité et vagabondage.

Là encore, il va acquitter mais pour des raisons quelque peu diff érentes : sur la base

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d'un rapport d'expert médecin qu'il a requis ; il va ainsi juger "qu'en dehors de sa

 faiblesse intellectuelle, le pr é venu n'est pas suffisamment valide pour subvenir aux

besoins de son existence ; que si l'un des é lé ments constitutifs du d é lit de mendicit é  

 professionnelle, la validit é  , faisant d é  faut, ce d é lit n'est pas suffisamment é tabli".

Il va acquitter de même pour le délit de vagabondage, au motif que " puisqu'il n'a

 personne pour s'int é resser à lui et venir à son aide, et qu'il n'est pas susceptible dese livrer utilement à des travaux pé nibles, les seuls qu'il pourrait peut-être se

 procurer sur sa route, il est forcé ment sans moyens de subsistance et, par

consé quent, sans domicile certain", ajoutant "qu'il est bien é vident que ce qui ne

 peut être é vit é  ne saurait être puni".

 

Dans le même ordre d'idées, le 23 mars 1890, le Président MAGNAUD va n'infliger

qu'une peine de 15 jours de prison à un récidiviste de la grivèlerie qui s'était fait

servir repas avec bière, caf é, cognac et autres eaux de vie et justifier sa mansuétude

en considérant que "tout être humain, même peu int é ressant, qui se trouve dans une

aussi pé nible situation doit bé né  ficier de circonstances att é nuantes, surtout si l'on

tient compte que la probit é  et la d é licatesse sont deux vertus infiniment plus faciles

à pratiquer quand on ne manque de rien que lorsqu'on est d é nué  de tout " et que "la

socié t é  manque à tous ses devoirs en n'assurant pas quotidiennement le pain à tous

ses membres. Que la loi ne peut être cruelle et que la jurisprudence en se montrant 

 f é roce n'a rien de commun avec elle".

 

Dès lors, à CHATEAU-THIERRY, on poursuit moins les faits de mendicité et la

statistique des condamnations chute. Le journal satirique "L'ASSIETTE AUBEURRE", publiera le 12 septembre 1903, un dessin représentant deux

chemineaux, l'un disant à l'autre "moi, je passe l' é t é  aux champs, aux environs de

CHATEAU-THIERRY, et l'hiver à PARIS,... depuis qu'il y a un bon juge".

 

LE PRESIDENT MAGNAUD ET LES #U$RIERS  

Avant 1898, l'ouvrier, victime d'un accident de travail ne pouvait espérer une

indemnité de son employeur que s'il prouvait la faute lourde de ce dernier. Et

encore, même si la responsabilité de l'employeur était évidente, fallait-il avoir les

moyens de supporter une procédure judiciaire, alors compliquée et surtout coûteuse,

ce qui pour un prolétaire était pratiquement impossible.

La loi du 9 avril 1898 va enfin organiser un système de pension d'invalidité ou de

versement d'indemnités. Encore faut-il noter que cette loi présente quelques

lacunes. Ainsi, les ouvriers, payés à la tâche et donc libres d'organiser eux-mêmesleur travail sont-ils souvent considérés comme des entrepreneurs, un peu comme un

sous-traitant ; non comme un préposé travaillant sous l'autorité et la direction du

patron. De même, les indemnités sont payées par des compagnies d'assurances,

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dont (et rien n'a changé depuis) le but premier est de limiter les indemnités par

simple souci de rentabilité économique. Ainsi, nombre de procès aboutissent alors

à priver les victimes des indemnités auxquelles elles prétendaient et cela, même en

stricte application de la loi, mais surtout en raison de ses lacunes.

Le Président MAGNAUD va, quant à lui et d'une manière systématique, donner

raison à la victime contre les compagnies d'assurances. Les motifs utilisés sontmultiples, mais reviennent en fait à dire que l'ouvrier n'est pas en mesure de veiller

davantage à sa sécurité, en raison même de sa situation d'économiquement faible.

 

Ainsi, juge-t-il le 17 janvier 1900 "que la charge de ce risque pour le patron est

d'autant plus rationnelle et é quitable que celui-ci a le droit, le devoir ou le pouvoir

de surveiller son ouvrier ainsi que de s'opposer à ses imprudences, tandis que

l'ouvrier ne peut en raison de sa situation instable et d é  pendante, que s'opposer

timidement et dans la crainte d' être expulsé  , aux procé d é s expé ditifs du patron,

destiné s le plus souvent à lui faire r é aliser un plus fort bé né  fice".

 

De même, le 7 novembre 1900, il juge "qu'il est bien é vident que la plus

é lé mentaire é quit é  impose à celui qui vit et s'enrichit du travail de l'ouvrier, sans

 jamais exposer autre chose que ses capitaux, d'assurer à celui-ci et à sa famille,

dont il est l'unique ressource, les moyens d' é viter la misère quand il est victime d'un

accident de travail survenu même fortuitement ".

 

Bien sûr, tous ces jugements, dont il n'est ici rapporté que deux exemples, sont

revus par la Cour d'appel d'Amiens qui, imperturbablement les réforme. L'avenir

donnera cependant raison au Président MAGNAUD, puisque les principes qu'ilmettait en avant sont le fondement de nos législations actuelles.

 

A une époque où les salaires étaient librement fixés entre l'ouvrier individuellement

et le patron, le Président MAGNAUD savait avoir des mots très sévères pour les

exploiteurs.

 

Ainsi, ayant à juger un ouvrier qui avait brisé un carreau chez son employeur dans

un mouvement de colère, parce que celui-ci ne voulait lui payer pour tout salaire

que sa nourriture, au lieu des 3 francs réclamés en sus, il assène "que cette

exploitation d'un homme dans sa d é tresse est tellement odieuse que, si elle ne peut

complètement lé gitimer l'acte de violence auquel le pr é venu s'est livr é  , elle l'excuse

cependant dans de telles proportions que la peine à appliquer doit être des plus

minimes".

 

De la même façon, il amorce une jurisprudence plus favorable aux ouvriers lors de

licenciement pour faits de grève ou simplement d'affiliation syndicale.

 

Ainsi quant au droit de grève, il le qualifie le 7 décembre 1899 d'un "incontestable

droit qu'ont tous les travailleurs, auxquels la r é tribution de leur travail paraî t, à tort ou à raison, insuffisante, d'arriver, par des moyens licites, à obtenir une

r é muné ration plus é levé e" et, d'autre part, il s'étonne, le 13 mars 1901, de ce qu'un

employeur puisse reprocher à un ouvrier d'être membre d'un syndicat " pour cette

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cause qu'il fait lui-même partie d'un syndicat de patrons dont il a su appr é cier tous

les avantages" et que "l'int é r êt bien compris des patrons aussi bien que des

ouvriers r é side pr é cisé ment dans la formation de syndicats dont les d é lé gué s en

 petit nombre ont bien plus de facilit é  pour parvenir à la solution amiable des

difficult é s pendantes" et "qu'il est donc du devoir du juge de s'opposer à toute

atteinte port é e à l'exercice d'un droit qui pourrait avoir de si f é conds r é sultats".

 Il n'y a pas meilleure définition des mécanismes de la concertation sociale et, plus

particulièrement, des commissions paritaires.

 

Le Président MAGNAUD et les vi%times de la r"&te 

Vis-à-vis des victimes de la route également, le Président MAGNAUD appara î t

comme un précurseur. Alors que les premières voitures automobiles circulent en

France depuis 1895, en 1902, il va juger que lorsqu'un automobiliste a été à 

l'origine d'un accident, c'est la responsabilité de celui-ci "qui conduit une masse

mobile qui est pr é sumé e". Encore une fois, bien avant nos législations sur les

usagers faibles, le Président MAGNAUD en jugeait ainsi.

 

LE PRESIDENT MAGNAUD ET LES FEMMES  

Féministe de la première heure, le président MAGNAUD applaudit à l'autorisation

donnée en 1900 aux femmes d'exercer la profession d'avocat. Le 21 f évrier 1901,

recevant la première femme avocat de France en son prétoire, où elle venait plaider

pour un ouvrier gréviste, il l'accueillit en ces termes; "Une loi tr ès r é cente conf ère à

la femme le droit de plaider. Aucun texte d'ailleurs ne s'y opposait auparavant et

 pour é lever une barrière contre un droit qu'un tr ès grand nombre de bons esprits

consid é raient comme indiscutable, il a fallu recourir à ces subtilit é s juridiques qui

ont le don d'obscurcir les choses les plus claires. Cette loi ne paraî t pas avoir

soulevé  un complet enthousiasme parmi certains de vos confr ères masculins de

Paris ou d'ailleurs. Je tiens à vous dire qu'il n'en a pas é t é  de même du Tribunal de

CHATEAU-THIERRY qui a vivement applaudi comme il applaudira toujours

é nergiquement à tout acte, toute mesure, tendant à é manciper la femme, et à 

l'arracher de la sorte aux griffes de l'obscurantisme ainsi que ses enfants, et parfois

même leur père par voie de consé quence". C'est pourquoi, avec l'espoir que les

 femmes arriveront bient ôt aux fonctions judiciaires puisque d é  jà la Chambre leur

accorde l' é ligibilit é  aux Conseils des prud'hommes, le Tribunal de CHATEAU-THIERRY est heureux de souhaiter la bienvenue à la première femme avocat qui se

 pr é sente à sa barre surtout lorsque, comme vous, Madame, elle r é unit

l'intelligence, le savoir et le talent." 

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On est bien loin de certaines élucubrations machistes tel celles encore prononcées

en termes de mercuriale (ou discours de rentrée) par le Procureur général f.f. de la

cour d'appel de LIEGE, qui, pour s'opposer à l'accès des femmes à la magistratures,

soutenait encore en 1946, entre autres insanités, que "Seul, à l'exclusion de la

Femme, l'Homme repr é sente la force. La femme reste toujours dans une certaine

mesure une proie destiné e à être subjugué e. Et il faudra des siècles et des sièclesavant qu'une notion qui remonte aux tout premiers temps de l'humanit é  se

transforme" et qu'en conséquence , "quant nous aurons des sièges de femmes, ils

apparaî tront au public comme des tribunaux d'opé rette".

 

Mais c'est aussi dans la vie même des gens qu'il va témoigner d'humanité et d'une

grande liberté de pensée vis à vis du statut de la femme.

Ainsi, dans une affaire MICHAUD, du nom d'une ouvrière, séduite par le fils de

son patron, et qui avait accouché d'un garçon en novembre 1896.

 

La jeune mère avait été pendant un temps aidée par le père de l'enfant, un certain

STIEVENART, puis tout à fait abandonnée avec son enfant non reconnu, malgré 

des promesses de mariage non déniées. Un jour, elle rencontra son ancien amant en

galante compagnie et, de rage, lui lança une pierre qui le blessa légèrement.

 

Il suffit de cela pour que la jeune femme, de mauvaise vie nécessairement puisque

fille-mère, se retrouva devant le tribunal correctionnel pour coups et blessures

portés au fils d'un des plus gros industriels de la région. La morale sociale est ainsigravement perturbée.

 

Le président MAGNAUD ne pouvait que condamner l'agresseur et le fit par une

peine d'amende d'un franc avec sursis estimant que "' à l'audience, l'attitude

d'Eulalie MICHAUD a é t é  excellente et qu'elle a exprimé  tous ses regrets de

n'avoir pu r é sister à un mouvement d'emportement d é terminé  par le spectacle, si

 pé nible pour son coeur de femme et de mère, auquel elle venait d'assister ; qu'il

n'en a pas é t é  de même du plaignant "don Juan de village", qui, au lieu de racheter

son odieuse conduite en se montrant tr ès indulgent pour celle à qui il avait promis

de donner son nom, a poussé  l'infamie jusqu' à tenter de la faire passer pour une

 fille de mauvaises moeurs, alors que le maire de la commune atteste, au contraire,

qu'elle mène une vie des plus r é gulières".

 

Condamnation pénale donc, mais victoire morale qui va bientôt se doubler d'une

autre victoire judiciaire, car le président MAGNAUD va intéresser l'avoué 

CHALOIN, dont le fils est avocat stagiaire, au sort de la jeune mère, laquelle va

alors intenter une procédure en rupture de promesses de mariage et en dommages et

intérêts.

 En effet, l'enfant n'étant pas reconnu et la recherche de paternité étant interdite par

le code, seule cette procédure pouvait permettre à la jeune mère de subvenir aux

besoins de son enfant.

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Par un jugement du 23 novembre 1898, le président MAGNAUD va accorder des

dommages et intérêts et une rente réversible sur la tête de l'enfant jusqu'à sa

majorité.

 

Certains attendus du jugement sont indicatifs des sentiments du président

MAGNAUD sur la condition f éminine. Ainsi, il avance que " lorsqu'un enfant naî t de ces relations et que l'homme s'en est, comme en l'espèce, reconnu le père" (pas

légalement, mais certainement par lettres et promesses de mariage) "il serait

souverainement injuste de laisser supporter la charge entière à la femme seule qui

a eu d é  jà toutes les douleurs et les risques de la maternit é  ; que ce n'est pas

seulement un enfant qui seul est né  de leurs relations, mais une obligation naturelle

de l' é lever et de pourvoir à ses besoins et à son é ducation, obligation qui doit

trouver sa sanction dans la loi".

 

A l'époque, les cas d'infanticide commis par des mères célibataires désemparées

étaient fréquents, en raison de l'état de moeurs et de la déconsidération sociale d'une

fille-mère. Pour éviter des acquittements par un jury dont le coeur et non la loi

guide le verdict, le parquet avait pris l'habitude de qualifier ces faits d'homicide par

imprudence, plutôt que de meurtre, de sorte que ces faits étaient habituellement

 jugés par le tribunal correctionnel.

 

Le 24 août 1900, le président MAGNAUD doit juger une jeune fille qui a accouché 

seule et a laissé mourir l'enfant de la honte d'une abondante hémorragie, faute de

ligature du cordon ombilical.

Il va retenir des circonstances atténuantes dans un long jugement qui mériterait

d'être lu en entier et la condamner à une peine avec sursis.

 

Il va ainsi considérer dans ce jugement "que si la socié t é  actuelle n'avait pas

inculqué  et n'inculquait pas aux gé né rations qui la composent, le mé  pris de la fille-

mère, celle-ci n'aurait pas à rougir de sa situation et ne songerait à le cacher ; que

c'est donc à la socié t é  contemptrice des filles-mères et si pleine d'indulgence pour

leurs sé ducteurs qu'incombe la plus large part des responsabilit é s dans les

consé quences, si souvent fatales pour l'enfant, des grossesses et accouchements

clandestins" et de regretter plus loin que la mère "n'ait pas eu assez d'ind é  pendance

de caract ère et de coeur pour s' é lever au-dessus d'aussi d é  plorables pr é  jugé s,

causes de tant de crimes et de d é lits contre l'enfance, et de comprendre que la fille-

mère qui pratique toutes les vertus maternelles mé rite d' être d'autant plus respect é e

qu'elle est presque toujours seule à supporter toutes les charges de sa maternit é ".

 

Le jugement, clément et d'une humanité rare, ne fut pas frappé d'appel. La presse

bien-pensante cependant se décha î na contre lui, le taxant d'immoralité.

 

Dans le même registre, le président MAGNAUD va aussi se dresser contre larépression pénale de l'adultère. Le code prévoyait alors une peine de trois mois à 

deux ans de prison pour la femme adultère et il était appliqué même sur les plaintes

d'époux qui, après avoir abandonné leurs épouses, voulaient, plusieurs années plus

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tard, obtenir le divorce à  leur profit. Quant à l'adultère de l'époux, il n'était puni

que s'il avait lieu au domicile conjugal ou si l'époux entretenait une concubine, et

les peines étaient nettement moins graves.

 

Le 6 f évrier 1903, le Président MAGNAUD va estimer que "le devoir d'un juge est

de laisser tomber en d é sué tude jusqu' à son abrogation une loi si partiale et d'un

autre âge". Faisant ceci, il n'était en avance que de trois quarts de siècle. 

Tout comme en matière de divorce par consentement mutuel qui, alors interdit en

France sous la pression de la droite catholique, ne fut rétabli qu'en 1975. Pourtant le

président MAGNAUD, dans les faits, prononce un divorce par consentement

mutuel dès le 12 décembre 1900. Dans ce jugement , estimant contraire à l'intérêt

des parties de tenir des enquêtes pour prouver les torts de l'un et de l'autre et

relevant que les deux époux veulent divorcer, il refuse la tenue d'enquêtes pour

départager les torts relevant "que les parties sont d'accord pour que le lien

matrimonial qui les unit soit rompu" et "que si le divorce par consentement mutuel

n'est pas encore inscrit dans la loi, le tribunal, pour bien appr é cier la situation

respective des é  poux, ne doit pas moins tenir le plus grand compte de l'expression

de cette volont é  , deux êtres ne pouvant être malgr é  eux enchaî né s à perpé tuit é  l'un

à l'autre", et, dès lors de prononcer le divorce aux torts réciproques, sans devoir

procéder à un déballage public de ceux-ci.

 

Il n'était pas rare que, devant une demande en divorce, l'autre conjoint demandât

seulement la séparation de corps, seule solution admise par l'Eglise catholique.

D'habitude, la jurisprudence accordait celle-ci et refusait le divorce, maintenant

ainsi un lien conjugal, distendu certes mais bien réel. 

Le président MAGNAUD qui, comme on le sait, était anticlérical et se targuait fort

de l'être ne l'entendait pas de cette oreille. Ainsi, relevant que "si le mari et la

 femme sont d'accord pour d é nouer le lien conjugal, ils cessent de l' être sur le

moyen de le rompre", il fallait préf érer le divorce aux torts réciproques à la

séparation de corps.

 

Il tenait en effet celle-ci pour une "solution bâtarde, hypocrite et contre nature,

 favorisant les unions clandestines d'où sortent ces malheureux êtres sans complet

é tat civil, sans filiation r é gulière que, si indignement, notre lé gislation, subissant le

 joug des stupides pr é  jugé s de la socié t é  actuelle, traite en vé ritables parias".

 

Et d'ajouter, perfidement dans ce jugement du 5 f évrier 1903 que la séparation de

corps, pis-aller, "quand elle n'est pas imaginé e par l'un des é  poux dans le but de

troubler ind é  finiment l'existence de l'autre, elle est, dans la plupart des cas, en

raison de son caract ère confessionnel, imposé e par l'influence né  faste de personnes

voué es au cé libat et n'ayant pour tout foyer que celui des autres".

 

Ici encore, mise à part la pique anticléricale, il était en avance sur son temps,puisque trois quarts de siècle plus tard, le divorce peut être prononcé sur base d'une

séparation de fait persistante des époux.

 

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Le (résident MAGNAUD et l'Elise 

Comme on vient de le voir, le président MAGNAUD était un anticlérical avoué, demême que son épouse, avec qui il a fréquenté un temps une des rares loges

maçonniques admettant les femmes.

 

Et partial, il l'était : ainsi, lorsque le 25 septembre 1891, comparait devant lui le

directeur d'un journal anticlérical "L'AVENIR DE L'AISNE", poursuivi pour

diffamation, pour avoir rappelé dans un article un dossier de pédophilie à charge

d'un abbé, alors que les faits avaient fait l'objet d'un non-lieu, il va bien sûr accorder

au plaignant le franc symbolique à titre de dédommagement et ordonner la

publication du jugement. Cependant, dans ses attendus, il va reprendre dans son

intégralité la liste de faits reprochés à cet abbé, en notant que si la décision de non-

lieu les a dit non suffisamment établis, il n'en reste pas moins vrai que cette décision

les déclare suspects et immoraux. Ainsi, c'est en toute impunité que le journal put

"en remettre une couche" par la publication du jugement, à quoi il était condamné.

 

Si cependant l'auteur de la diffamation était un prêtre, alors là, le Président

MAGNAUD, plutôt que de prononcer la peine de principe, comme à l'habitude,

avait la main beaucoup plus lourde. Il fera de même dans l'application de la loi sur

les congrégations religieuses.

 "Mangeur de curés", certes , il l'est, mais parfois avec un certain humour. Ainsi

l'affaire d'un abbé poursuivi dans une simple affaire d'escroquerie, dans laquelle la

hiérarchie judiciaire avait recommandé au juge d'être particulièrement indulgent. Il

note pour en retenir des circonstances atténuantes que "quant à Guillous, le

 factotum et vé ritable promoteur de la Socié t é  , qui pour plus facilement né gocier les

actions affirmait tr ès nettement, tout incompé tent qu'il é tait en la matière, la

certitude de magnifiques bé né  fices, garantis en quelque sorte aupr ès des âmes

simples par sa robe de pr être, la seule excuse s'il en est qu'il puisse faire valoir,

c'est qu'habitué  à promettre imperturbablement à ses semblables pour l'au-delà la

r é alisation d' é vé nements particulièrement hypothé tiques, accompagné s de

bé né  fices au centuple, cette mentalit é  lui faisait apparaî tre par voie de

comparaison comme sans le moindre alé a les placements les plus aventureux".

 

Le (résident MAGNAUD et les )e&nes délin*&ants

 La loi prévoyait alors que tout jeune ayant commis un larcin pouvait être traduit

devant le tribunal et condamné s'il avait au moins 16 ans. Les autres, le juge n'avait

pour choix que les remettre à leurs parents ou, si ceux-ci ne pouvaient en assumer

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l'éducation, les placer en maison de correction.

 

Jusqu'en 1898, le président MAGNAUD suit cette jurisprudence habituelle qui,

même en cas d'acquittement du jeune pour cause d'absence de discernement,

prononce une mesure de placement. Le 10 juin 1898, il juge un jeune coupable

d'avoir volé une montre. Il l'acquitte, vu son jeune âge mais refuse de le rendre à sa

mère, qui ne possède pas l'autorité suffisante pour l'éduquer correctement. Il refusecependant de placer l'enfant dans une maison de correction en raison de ce que

"malgr é  tous les soins et la surveillance apport é s par l'administration pé nitentiaire,

les maisons de correction en raison du contact des enfants vicieux qui y sont placé s

ne sont presque toujours que des é coles de d é moralisation et de pr é  paration tout à 

la fois à des crimes et à des d é lits ult é rieurs".

 

Il préf ère dès lors confier l'enfant à une oeuvre de bienfaisance "l'Oeuvre des

adolescents" animée par un médecin utopiste et généreux, le docteur Rollet.

 

Il va multiplier ce type de placement à but véritablement éducatif, gérant ainsi

plusieurs cas d'enfants récidivistes, un peu à la manière d'un juge de la jeunesse et

non plus seulement comme un juge de tribunal correctionnel.

LE PRESIDENT MAGNAUD ET LES PUISSANTS

En 1889, le tribunal de CHATEAU-THIERRY était saisi du cas d'un notaire

convaincu d'un détournement de fonds important, soit cinquante mille francs et

avait prononcé la déchéance de l'officier ministériel, avant que la cour d'appel

d'Amiens s'interpose, disqualifie le simple détournement en abus de confiance

qualifié, à soumettre donc à la Cour d'assises sur renvoi de la chambre des mises en

accusation de la cour d'appel. Constatant cependant que les pré judiciés avaient été 

indemnisés par la famille de l'ex-notaire, qui était d'ailleurs en fuite, la cour

prononça un non-lieu, estimant les poursuites inopportunes alors qu'il n'y avait plus

de pré judice et que l'ex-notaire était dé jà assez puni par la perte de son étude.

 

L'année suivante, au mois de décembre, une société commerciale déposa plainte

contre un de ses colporteurs qui avait détourné soixante francs, diff érence entre les

sommes encaissées des clients et les sommes remises. L'intéressé fut donc arrêté et

traduit devant le tribunal correctionnel.

 

Le président MAGNAUD fit, bien évidemment, le rapprochement entre les deux

causes, conseilla à l'avocat de plaider son incompétence et le renvoi devant la

chambre des mises en accusation, sans dissimuler l'espoir que le prévenu bénéficiât,

à son tour, d’une jurisprudence identiquement indulgente. 

Et ainsi, le Président MAGNAUD de se déclarer incompétent, de renvoyer

l'examen de la cause à la Cour d'Amiens, non sans remettre le colporteur en liberté 

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provisoire.

 

Et le président MAGNAUD de préciser en ses motifs que "les infractions pé nales

reproché es au notaire et au tr ès modeste employé  sont les mêmes, avec cette

importante diff é rence cependant, que l'un a d é tourné  cinquante mille francs et

l'autre soixante francs seulement, que s' é tant produites dans le même

arrondissement et dans la même ville, la conscience publique s'accommoderaitmal, apr ès l'acte de clé mence dont a profit é  le notaire, d'un acte de rigueur vis-à-

vis du petit d é linquant " et que "le tribunal de CHATEAU-THIERRY, tant dans

l'int é r êt du pr é venu, que pour se conformer aux prescriptions formelles de la loi, se

 fait un vé ritable devoir de remettre entre les mains bienveillantes de cette

 juridiction le sort du pr é venu S., dont le casier judiciaire est indemne et sur lequel

de bons renseignements sont fournis" .

 

Ce jugement, dont la Parquet fera appel, est accueilli par une joie immense chez les

partisans du Président MAGNAUD et de son ironique décision, tandis que l'affaire

devient politique en raison du poids de l'opinion publique. 

Finalement, la cour d'appel se résignera à le confirmer et, la dette de soixante

francs étant remboursée notamment grâce à ZOLA, elle prononcera, comme dans

l'affaire du notaire, un arrêt de non-lieu.

 

Amoureux de la liberté, il était même libertaire dès qu'il s'agissait d'argent et

rechignait vraiment à pourvoir un prodigue d'un administrateur provisoire, au motif

principal que la propriété étant sacrée, chacun est libre d'en faire ce qu'il veut etqu'il n'appartient pas à la famille d'un prodigue de lui en interdire la libre

disposition.

 

Ainsi, en f évrier 1903, en refusant la mise sous administration judiciaire des biens

qu'un prodigue tenait par héritage, il considère que "dans l'int é r êt du bien-être

gé né ral, il importe que les capitaux, surtout lorsqu'ils sont consid é rables, ne

restent pas concentr é s et immobilisé s dans les mêmes mains et soient au contraire

en rapide circulation; et que "c'est actuellement le seul moyen de faire participer

le plus grand nombre à la fortune publique et de faciliter le retour à la masse de ce

qui, depuis une ou plusieurs gé né rations, en é taient sorti au profit d'un seul".

 

Il poursuivra d'ailleurs dans cette philosophie, véritablement iconoclaste pour

d'aucuns par un attendu précisant que "un conseil judiciaire, si le tribunal en

admettait exceptionnellement le principe, se comprendrait bien mieux pour l'avare,

qui, en se privant sordidement de tout, frustre ainsi, chose bien plus grave, la

collectivit é  humaine du bien-être que, pour certains de ses membres vivant de leur

travail ou de leur industrie, elle est, par la force des choses, en droit d'attendre

d'une circulation au moins normale des capitaux".

 Dans le même ordre d'idées, le président MAGNAUD va refuser les mises en

faillite, encore que celles-ci devaient être prononcées d'office dès que les conditions

de la loi étaient réunies, estimant que "les frais de liquidation judiciaire ou de

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 faillite faits pour arriver à la r é alisation et à la r é  partition si longues de l'actif, par

l'intermé diaire d'un liquidateur ou d'un syndic, absorbent la plus grande partie de

cet actif, sinon la totalit é " et dès lors d'accorder un délai à la mise en liquidation

volontaire, sous la surveillance d'un juge commissaire pour prendre accord avec ses

créanciers sans trop de frais pour chacun.

 

Ici aussi, le Président MAGNAUD précédait l'évolution jurisprudentielle etlégislative d'une manière fort étonnante pour l'époque et révélatrice du sens d'une

 justice pratique et efficace indéniable, lorsque l'on compare ces solutions avec les

services d'enquêtes commerciales de nos Tribunaux de commerce ou nos services et

procédures de médiation de dettes.

 

LE +#N ,UGE- DEPUTE  

Le Président MAGNAUD postula en 1903 la présidence du tribunal de REIMS,

dont l'importance était évidemment supérieure à celle du tribunal de CHATEAU-

THIERRY et qui eût été une réelle promotion, tant protocolaire que pécuniaire. Il

semble cependant que, alors même que tous ses amis politiques occupaient des

postes-clés dans l'Etat, ses outrances polémiques et les bisbilles judiciaires qu'il

entretenait comme à plaisir avec sa hiérarchie, aient finalement posé problème, au

moment même ou sa réputation d'être libre, bon républicain et soucieux des intérêts

de petites gens, en faisait un véritable personnage public. 

Ainsi, et entre autres, Anatole FRANCE, dans le FIGARO du 14 novembre 1990,

l'avait à nouveau désigné comme "LE BON JUGE" ; la ligue pour la défense des

droits de l'homme et du citoyen, section de Roanne, comme tant d'autres

associations ou particuliers, lui avaient envoyé des f élicitations chaleureuses ; ses

principaux jugements "révolutionnaires" avaient été publiés et commentés aux

éditions Stock ; COURTELINE l'avait mis en scène dans sa pièce "l'article 330".

Au salon des artistes français de 1901, il est portraituré et on vient déposer des

fleurs devant ce portrait, tandis que plusieurs cartes postales diffusent aux quatre

coins de France et du monde, le portrait et la légende de la voleuse de pain,

acquittée par le Bon Juge.

 

D'autre part, la magistrature, les milieux bourgeois ou bien-pensant, le critiquent, le

caricaturent et le vilipendent, tandis que la Cour d'appel d'Amiens réforme

imperturbablement ses jugements, quand l'opinion publique ne peut l'en empêcher.

 

Bref, le président MAGNAUD est devenu non seulement célèbre mais encore

encombrant et c'est en vain que ses amis essayeront de lui faire accepter une place

de magistrat dans le Midi (à Marseille notamment). 

Son ami de toujours Georges CLEMENCEAU le persuada d'être candidat à la

chambre, contre le député nationaliste sortant de Paris, un certain GALLI. Il fit

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campagne en huit jours et fut élu triomphalement en 1906.

 

Ce fut pourtant là son erreur, car, s'il était le président et le ma î tre dans son tribunal

de CHATEAU-THIERRY, à la chambre, il n'était qu'un député radical-socialiste

parmi d'autres et sa liberté d'action en fut bien réduite.

 

Durant la législature, il se battit, mais sans succès, pour faire passer quelques idéeslégislatives intéressantes comme, notamment, "la loi de pardon", permettant aux

 juges d'absoudre un délinquant sous certaines conditions (notre loi sur la suspension

du prononcé en est actuellement l'expression), ou la reconnaissance légale de l'état

de nécessité à la base de l'acquittement de la Dame MENARD (chose actuellement

acquise dans notre droit positif).

 

Déçu, il renoncera à solliciter un nouveau mandat et, dans une lettre ouverte à ses

électeurs, il écrira notamment : " Ré  publicain d'extr ême avant-garde, je plaçais ma

candidature sous l' é gide de la conception de justice é quitable et humaine que,

 pendant pr ès de vingt anné es, j'avais mise en pratique au tribunal de CHATEAU-

THIERRY. ... Il m'est permis de conclure, sans forfanterie, que je fus un juge aimé  

du peuple. Pour un magistrat r é  publicain de ma trempe, il ne saurait y avoir de

 plus haute satisfaction morale. ... Ce sera l'honneur du modeste magistrat de

 province que j' é tais d'avoir é t é  l' é lu de cet admirable peuple de Paris, surtout dans

les conditions inoubliables et non é quivoques où mon é lection s'est produite.

Soyez-en ardemment remercié  ! ... Ne portez vos suffrages que sur un homme pur

de toute compromission avec le Nationalisme ou la Ré action clé ricale. Rappelez-

vous bien qu'il ne saurait y avoir de pé ril à gauche et que le Prolé tariat, dont

l'id é al est, en somme, la fraternit é  des peuples dans la fusion des classes, est encoreet sera toujours, l'un des plus solides remparts de la Ré  publique. Vive la

 Ré  publique d é mocratique et sociale ! Justice et bonheur aux d é shé rit é s de la vie !".

 

Cela ressemble bien à un testament politique, à un baisser de rideau et, en fait, ce

l'est. Réintégré dans la magistrature par une "promotion-voie de garage" au

Tribunal de la Seine, le président MAGNAUD, englué dans une chambre à trois

 juges qu'il ne préside pas, va y perdre l'aura et la renommée qu'il avait à 

CHATEAU-THIERRY.

 

Il va ainsi peu à peu sortir de l'actualité alors que le ciel de l'Europe se couvre des

nuages de l'orage qui va éclater en 1914.

 

Son dernier service à la République qu'il vénérait et aux petites gens dont il avait

grand souci, c'est en uniforme qu'il le rendit, puisque, malgré son âge, il demanda à 

être mobilisé.

 

A sa mise à la retraite en 1918, il se retira complètement de la scène tant politique

que judiciaire et on oublia quelque peu tout ce qu'il y avait de précurseur dans ce

magistrat unique en son genre, dérangeant sans doute, quelque peu Cyrano deBergerac, contredisant, quand il le pouvait, l'adage de son illustre concitoyen LA

FONTAINE, selon lequel "selon que vous serez puissant ou misérable, les

 jugements de cour vous rendront noir ou blanc".

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Bref, c'était un BON JUGE.

 

René Constant

Juge de Paix à Liège (Belgique)

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