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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 627 EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1983 à 1990) LES IMPÔTS SUR LES REVENUS ET LES SOCIÉTÉS (suite) PAR J. KIRKPATRICK PROFESSEUR ORDINAIRE À L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES TABLE DES MATIÈRES (suite) ( 1) QUATRIÈME PARTIE LE RÉGIME DES ACTIONNAIRES ET ASSOCIÉS, DES BAILLEURS DE FONDS ET DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS BELGES DOTÉES DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE CHAPITRE PREMIER. - LES ACTIONNAIRES, ASSOCIÉS ET BAILLEURS DE FONDS SECTION F 6 .- LE RÉGIME DES DIVIDENDES ET DES INTÉR.1J:TS RECUEILLIS PAR UN HABITANT DU RoYAUME 122. Le caractère facultatif de la déclaration des dividendes et des intérêts d'origine belge depuis l'exercice d'imposition 1985. (1) Les trois premières parties de cette chronique et de la table ont été publiées dans cette Revue, 1992, p. 251 à 311 ; 1994, p. 241 à 360; 1996, p. 65 à 117. R.O.J.B. - 4e trim. 1997

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 627

EXAMEN DE JURISPRUDENCE

(1983 à 1990)

LES IMPÔTS SUR LES REVENUS ET LES SOCIÉTÉS

(suite)

PAR

J. KIRKPATRICK

PROFESSEUR ORDINAIRE À L'UNIVERSITÉ

LIBRE DE BRUXELLES

TABLE DES MATIÈRES (suite) ( 1)

QUATRIÈME PARTIE

LE RÉGIME DES ACTIONNAIRES ET ASSOCIÉS, DES BAILLEURS DE FONDS

ET DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS BELGES DOTÉES DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE

CHAPITRE PREMIER. - LES ACTIONNAIRES, ASSOCIÉS ET BAILLEURS DE FONDS

SECTION F 6.- LE RÉGIME DES DIVIDENDES

ET DES INTÉR.1J:TS RECUEILLIS PAR UN HABITANT DU RoYAUME

122. Le caractère facultatif de la déclaration des dividendes et des intérêts d'origine belge depuis l'exercice d'imposition 1985.

(1) Les trois premières parties de cette chronique et de la table ont été publiées dans cette Revue, 1992, p. 251 à 311 ; 1994, p. 241 à 360; 1996, p. 65 à 117.

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123. La distinction, parmi les revenus déclarés à l'I.P.P., entre les revenus imposables globalement et les revenus imposables distinctement en matière de <<cotisation spéciale de sécurité sociale>>.

124. La distinction entre les revenus imposables globalement et les revenus imposables distinctement en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale (suite). - La méconnaissance de la distinction par la Cour d'arbitrage et par la Cour de cassation.

125. La <<cotisation spéciale assimilée à l'I.P.P. >> sur revenus mobiliers.

SECTION II. -LE RÉGIME DES PLUS-VALUES ET MOINS-VALUES RÉALISÉES SUR PARTS SOCIALES

126. Cas où les parts sociales sont affectées à l'exercice de l'activité profes­sionnelle.

127. Cas où les parts sociales font partie du patrimoine privé.

CHAPITRE II. - LES DIRIGEANTS

128. Terminologie.

SECTION re.- LE RÉGIME DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS

129. Les fonctions analogues à celles d'administrateur. 130. La notion d'associé actif. 131. La taxation distincte applicable aux indemnités << payées ensuite de

cessation de travail >> s'applique-t-elle aux associés actifs ? 132. Les indemnités d'assurance <<revenu garanti>> payées par une compa­

gnie d'assurance à un associé actif sont-elles imposables ? 133. Le régime du gérant non associé de la SPRL.

SECTION II.- LES CHARGES PROFESSIONNELLES DÉDUCTIBLES

134. Administrateurs de sociétés poursuivis pénalement pour des délits commis dans le cadre de la gestion de sociétés. - Non-déductibilité des frais de défense.

135. Intérêts d'un emprunt contracté par un dirigeant de société en vue d'acquérir une participation de contrôle. - Distinction entre la déduction en vertu de l'article 71, §1er, 2°, et la déduction au titre de dépense professionnelle.

136. Intérêts d'un emprunt contracté par un dirigeant de société en vue d'acquérir une participation de contrôle (suite). -Déduction au titre de charges professionnelles.

137. Dirigeant d'une société ayant consenti à celle-ci des prêts ou ayant cautionné des dettes de celle-ci. -Perte du dirigeant résultant de la faillite de la société.

138. La prise en charge de pertes d'une société par un dirigeant de celle-ci.

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139. La prise en charge de pertes ou le cautionnement de dettes d'une société par le dirigeant d'une autre société.

CINQUIÈME .PARTIE

LES SOCIÉTÉS SANS PERSONNALITÉ JURIDIQUE

140. Régime fiscal de la société en participation 141. Vente de produits à extraire dépendant du patrimoine privé ou société

en participation ? 142. Bail d'immeuble ou société en participation? 143. Vente d'un terrain à lotir à une société immobilière pour un prix

dépendant du produit de la revente. - Société en participation ?

SIXIÈME PARTIE

LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES ET LES REVENUS ÉTRANGERS

DES SOCIÉTÉS BELGES

144. Objet de la sixième partie. -Plan.

CHAPITRE PREMIER.- L'INTERPRÉTATION DES CONVENTIONS PRÉVENTIVES

DES DOUBLES IMPOSITIONS

145. L'article 3, § 2, du Projet de Convention de l'OCDE : le recours subsi­diaire à la «lex fori )) pour l'interprétation des termes de la Conven­tion.

146. Le recours à la <<lex fori )), par application de l'article 3, § 2, de la Convention belgo-néerlandaise, pour déterminer si sont imposables en Belgique les revenus professionnels qu'un résident des Pays-Bas, asso­cié d'une SPRL belge, retire de celle-ci. - Régime antérieur à la loi du 5 janvier 1976.

147. Le recours à la <<lex fori )) pour déterminer si sont imposables en Bel­gique les revenus professionnels qu'un résident des Pays-Bas, associé d'une SPRL belge, retire de celle-ci (suite). -Incidence de la loi du 5 janvier 1976. - L'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1990.

148. La réaction de l'administration à l'arrêt du 21 décembre 1990.

(à suivre)

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QUATRIÈME PARTIE

LE RÉGIME DES ACTIONNAIRES ET ASSOCIÉS, DES BAILLEURS DE FONDS

ET DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS BELGES DOTÉES DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE

CHAPITRE PREMIER. - LES ACTIONNAIRES, ASSOCIÉS ET BAILLEURS DE FONDS

SECTION re.- LE RÉGIME DES DIVIDENDES ET DES INTÉR~TS RECUEILLIS

PAR UN HABITANT DU ROYAUME

122. LE CARACTÈRE FACULTATIF DE LA DÉCLARATION DES DIVIDENDES ET DES INTÉR~TS D'ORIGINE BELGE DEPUIS L'EXERCICE D'IMPOSITION 1985. - Depuis la loi du 28 décembre 1983, <<les contribuables assujettis à l'impôt des personnes physiques ne sont pas tenus de mentionner dans leur déclaration annuelle audit impôt >> les revenus qui ont subi la retenue à la source du précompte mobilier (C.I.R., art. 220bis, introduit par loi du 28 décembre 1983). Les habi­tants du Royaume qui sont actionnaires ou associés d'une société belge ou qui lui ont consenti des prêts ont donc la faculté de ne pas déclarer les dividendes et les intérêts dans leur déclaration à l'I.P.P. depuis l'exercice d'imposition 1985.

<<Pour ceux qui font usage de cette faculté, le précompte mobilier est définitivement acquis au Trésor.

Pour ceux qui ne font pas usage de cette faculté, l'impôt dû sur les revenus dont la déclaration est facultative est - en principe - déterminé comme il est dit à l'article 93, § pr, 5o ... >> (art. 220bis, précité).

Si l'habitant du Royaume déclare à l'I.P.P. des dividendes ou des intérêts d'origine belge, ces revenus sont donc, en prin­cipe,<< imposables distinctement>> à l'I.P.P. <<pour un montant correspondant au précompte mobilier (2), augmenté>>, en ce

(2) Le taux du précompte mobilier a été porté de 20 à 25 % par la loi du 28 décembre 1983. Il sera réduit à 10 % en ce qui concerne les intérêts à la fin de la période sous revue (loi du 22 février 1990).

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qui concerne les dividendes, <<du crédit d'impôt)) (C.I.R., art. 93, § 1er, 5°, modifié par la loi du 28 décembre 1983). Le précompte mobilier et, avant son abrogation partielle par la loi du 7 décembre 1988 (art. 28), le crédit d'impôt, sont par ailleurs imputables sur l'I.P.P. (C.I.R., art. 191, 1 °), de sorte que cette imposition distincte tend simplement à neutraliser cette imputation.

L'imposition distincte ne s'applique cependant pas<< si l'im­pôt ainsi calculé (distinctement), majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'appli­cation (du tarif progressif par tranches) à l'ensemble des reve­nus imposables)) (C.I.R., art. 93, § 1er, al. 1er) : en ce cas, les revenus mobiliers sont cumulés avec les autres revenus et sou­mis à l'I.P.P. au tarif progressif par tranches.

Les habitants du Royaume ont avantage à déclarer leurs dividendes et intérêts d'origine belge dans les cas où l' applica­tion du tarif progressif par tranches à l'ensemble de leurs reve­nus nets, combinée avec l'imputation du crédit d'impôt et du précompte mobilier, permet d'obtenir la restitution de tout ou partie de celui-ci : avant les modifications introduites par la loi du 7 décembre 1988, c'était le cas lorsque les revenus mobiliers déclarés étaient diminués de charges financières déductibles (C.I.R., art. 71, §1er, 2°; sur cette déduction, voy. infra, no 135) ou que le taux moyen de l'impôt sur l'ensemble des

·revenus était inférieur au taux du précompte mobilier et du crédit d'impôt imputables.

En ce qui concerne les revenus de capitaux et biens mobi­liers qui n'ont pas subi la retenue à la source du précompte mobilier (par exemple, les revenus d'origine étrangère encaissés directement à l'étranger), leur déclaration est obliga­toire et ils sont << imposables distinctement )) au taux du pré­compte mobilier (C.I.R., art. 93, § 1er, 1 o bis), à moins que la globalisation ne soit plus favorable (art. 93, § 1er, al. 1er).

123. LA DISTINCTION, PARMI LES REVENUS DÉCLARÉS À

L'l.P.P., ENTRE LES REVENUS IMPOSABLES GLOBALEMENT ET LES REVENUS IMPOSABLES DISTINCTEMENT EN MATIÈRE DE << COTISATION SPÉCIALE DE SÉCURITÉ SOCIALE )). - A. Pour les

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exercices d'imposition 1983, 1984 (3) et 1985, la loi du 28 décembre 1983, qui a rendu le précompte mobilier libéra­toire (supra, no 122), a établi une<< cotisation spéciale de sécu­rité sociale>> (dite <<cotisation ONEm >>) de 10 % du revenu imposable, due annuellement par les contribuables dont << le montant net des revenus imposables globalement à l'I.P.P. dépasse 3.000.000 F >> (art. 60) (4).

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, le revenu impo­sable globalement visé par l'article 60 est <<l'ensemble des revenus nets imposables des différentes catégories visées à l'ar­ticle 6 du C.I.R. (revenus immobiliers et mobiliers, revenus professionnels et revenus divers)>> (Pasin., 1983, p. 1979, col. 1, à propos de l'article 53 du projet).

Le ministre de l'Emploi et du Travail a précisé devant la commission du Budget de la Chambre : <<les revenus qui sont imposables distinctement en vertu de l'article 93 du C.I.R. ne sont pas pris en considération pour établir le revenu global impo­sable. Cette définition (prévue dans les arrêtés de pouvoirs spé­ciaux de 1982 et 1983) peut être maintenue, étant entendu cependant que le présent projet permet la déglobalisation des revenus mobiliers (à partir de l'exercice d'imposition 1985 : supra, no 122). Il n'en est pas tenu compte lorsqu'ils peuvent être déglobalisés >> (Pasin., 1983, p. 2003, in fine, et 2004, col. 1).

Par conséquent, d'après le projet de loi initial, les revenus mobiliers recueillis en 1984 ne devaient pas entrer en ligne de compte en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale, qu'ils fussent non déclarés ou déclarés et taxés distinctement.

Cette solution aurait été inéquitable, car, à la différence des autres revenus imposables distinctement en vertu de l'ar-

(3) S'appliquant ainsi aux revenus de 1982 et 1983, la loi du 28 décembre 1983 pré­sente un caractère rétroactif. Celui -ci s'explique par le fait que la loi se substitue, en ce qui concerne les exercices d'imposition 1983 et 1984, à des arrêtés de pouvoirs spéciaux des 16 juillet et 30 décembre 1982, qui avaient fait l'objet de recours en annulation devant le Conseil d'Etat pour non-conformité à la loi de pouvoirs spéciaux du 2 février 1982 : sur ce litige avorté, voir J. KIRKPATRICK et P. GLINEUR, <<La distinction entre l'impôt et la 'rétribution' régie par l'article 113 de la Constitution>>, Mélanges Velu, t. l"r, 547 et suiv., spéc. na 40, p. 577 et 578.

(4) Pour justifier le caractère de cotisation de sécurité sociale attribué à ce prélève­ment destiné à financer l'assurance chômage, la loi en limite l'application aux << personnes assujetties à un régime quelconque de sécurité sociale ou qui bénéficient à un titre quel­conque d'au moins une des prestations de la sécurité sociale» (art. 60).

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ticle 93 du C.I.R., qui sont en général des produits exception­nels (par exemple : plus-values sur terrains acquis depuis moins de huit ans : art. 93, § 1er, 1°' b, et 2°' d; plus-values sur immobilisations et valeurs de portefeuille affectées à la profession depuis plus de cinq ans : art. 93, § pr, 2°, a), les revenus de capitaux et biens mobiliers sont des revenus stricto sensu.

C'est sans doute le motif pour lequel la disposition qui forme l'article 70 de la loi a été introduite dans le projet par voie d'amendement :

<<Dans le chef de personnes visées à l'article 60 qui, pendant l'année 1984, ont recueilli des revenus mobiliers qui, suivant l'article 220bis du C.I.R., ne doivent pas être compris dans la déclaration annuelle à l 'I.P.P., les revenus mobiliers précités sont ajoutés aux revenus imposables globalement dont il est question à l'article 60 pour déterminer la base de perception définie dans cet article en ce qui concerne la cotisation spéciale de sécurité sociale. >>

En visant les revenus mobiliers <<qui ne doivent pas être compris >> dans la déclaration fiscale, ce texte ne faisait aucune distinction selon que ces revenus étaient effectivement déclarés ou non.

B. Une loi du 31 juillet 1984 a étendu l'application de cette cotisation spéciale aux exercices d'imposition 1986 et 1987.

A cette occasion, le législateur a malencontreusement modi­fié la rédaction de l'article 70, qui dispose désormais :

<<Les revenus mobiliers recueillis pendant les années 1984, 1985 et 1986, qui, suivant l'article 220bis du C.I.R., ne sont pas compris dans la déclaration annuelle à l'l.P.P., sont ajoutés au montant des revenus imposables globalement ... pour déter­miner la base de perception prévue à l'article 60 en ce qui concerne la cotisation spéciale de sécurité sociale >>.

La portée de cette nouvelle disposition a été exactement appréciée par le ministre de l'Emploi et du Travail en réponse à une question parlementaire :<<Les revenus mobiliers déclarés (soit obligatoirement, soit facultativement) à l'I.P.P. et imposés distinctement sur base de l'article 93, § 1er, 1 °bis ou 5°, du C.I.R. n'interviennent pas dans la base de perception de

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la cotisation spéciale, étant donné que lesdits revenus ne sont pas visés par (l'article 70 de la loi du 28 décembre 1983, tel que modifié par la loi du 31 juillet 1984) et que, par définition, ceux-ci ne sont pas intégrés dans les revenus imposables globa­lement. >> (B. O., 1986, p. 970, spéc. p. 973).

Il suffisait donc au contribuable de déclarer ses revenus mobiliers ayant subi le précompte pour que ceux-ci n'entrent pas en ligne de compte en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale - ce que les auteurs de la loi du 31 juillet n'avaient évidemment pas prévu.

124. LA DISTINCTION ENTRE LES REVENUS IMPOSABLES GLO­

BALEMENT ET LES REVENUS IMPOSABLES DISTINCTEMENT EN

MATIÈRE DE COTISATION SPÉCIALE DE SÉCURITÉ SOCIALE

(SUITE). - LA MÉCONNAISSANCE DE LA DISTINCTION PAR LA

CouR D'ARBITRAGE ET PAR LA CouR DE CASSATION. - A. La

Cour du travail de Bruxelles a eu à connaître d'une action de l'Office National de l'Emploi tendant à faire condamner au payement de la cotisation spéciale un contribuable qui n'avait pas compris ses revenus mobiliers soumis à la retenue du pré­compte dans ses déclarations à l'I.P.P. des exercices d'imposi­tion 1986 et 1987. Pour chacun de ces exercices, le montant net des revenus imposables globalement de ce contribuable n'atteignait pas le seuil de 3.000.000 F, mais si l'on ajoutait à ses revenus imposables globalement ses revenus mobiliers non compris dans sa déclaration, ce seuil était dépassé, de sorte que la cotisation était due.

Par un arrêt inédit du 28 juin 1990, la Cour du travail a considéré que les revenus mobiliers ayant subi la retenue du précompte qui n'avaient pas été compris dans la déclaration annuelle à l'I.P.P. n'entraient pas en considération pour déter­miner si le seuil prévu par l'article 60 de la loi du 28 décembre 1983 était atteint : l'article 70, modifié par la loi du 31 juillet 1984, ne concerne, d'après l'arrêt, que la détermination de<< la base de perception>> de la cotisation spéciale dans le cas où le seuil prévu à l'article 60 est atteint.

B. Cette interprétation méconnaissait manifestement la portée de l'article 70 de la loi : c'est ce que l'Office National de l'Emploi a invoqué à l'appui de son pourvoi contre cet arrêt.

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Dans son mémoire en réponse, le contribuable a toutefois fait valoir que ce moyen était non recevable à défaut d'intérêt, parce que l'arrêt entrepris était légalement justifié par un autre motif de droit qu'il appartenait à la Cour de cassation de suppléer : certes, les revenus mobiliers qui ont subi la rete­nue à la source du précompte et qui ne sont pas compris dans la déclaration à l'I.P.P. entrent en ligne de compte pour déter­miner si la cotisation spéciale est due comme pour déterminer la base de calcul de celle-ci ; en revanche, si le contribuable avait compris ces mêmes revenus mobiliers dans sa déclaration à l'I.P.P. et si ceux-ci avaient subi le régime de la taxation distincte équivalente au précompte mobilier, ils n'auraient pu entrer en ligne de compte en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale (supra, no 123, B) ; dès lors, les articles 60 et 70 de la loi, tels que modifiés par la loi du 31 juillet 1984, établissent une discrimination arbitraire entre les revenus mobiliers ayant subi la retenue du précompte, selon qu'ils sont compris ou non dans la déclaration annuelle à l'I.P.P., et vio­lent le principe constitutionnel d'égalité.

Avant de se prononc,er sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, la Cour de cassation a soumis à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle suivante :

<<En prescrivant, pour déterminer la base de perception de la cotisation spéciale de sécurité sociale instituée par l'ar­ticle 60 de la loi du 28 décembre 1983 ... d'ajouter au montant des revenus imposables globalement 'les revenus mobiliers ... qui, suivant l'article 220bis du C.I.R., ne sont pas compris dans la déclaration annuelle à l'l.P.P. ', l'article 70 de cette loi, modifié par la loi du 31 juillet 1984, fait-il, entre les contri­buables qui ont usé de la faculté de l'article 220bis, alinéa 1er, du C.I.R. et ceux qui n'en ont pas fait usage, une distinction qui est contraire aux articles 6 et 6bis de la Constitution ? >>

(Cass., 9 décembre 1991, Pas., 1992, I, no 189).

En posant cette question, la Cour de cassation paraissait admettre implicitement que lorsque les revenus mobiliers ayant subi le précompte sont compris dans la déclaration fis­cale et sont taxés distinctement à l'I.P.P., il ne doit pas en être tenu compte en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale. En effet, s'il en était autrement, il n'y avait pas de

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<<distinction>> selon que les revenus mobiliers étaient ou non déclarés à l'I.P.P. et la question était sans objet.

Néanmoins, par un arrêt du 1er avril 1993 (arrêt n° 27/93, M. B., 29 mai 1983), la Cour d'arbitrage a considéré que lors­que les revenus mobiliers ayant subi le précompte étaient com­pris dans la déclaration à l'I.P.P. et taxés distinctement, ils devaient être considérés comme des << revenus imposables glo­balement à l'I.P.P. >> au sens de l'article 60 de la loi de 1983.

L'arrêt fonde cette surprenante interprétation sur une lec­ture partielle et, partant, incorrecte, des travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1983 (analysés supra, 123, A) et sur la considération, assurément exacte, que les auteurs de la loi du 31 juillet 1984 n'ont pas eu l'intention de modifier la portée de la version antérieure de l'article 70.

Mais la question n'était-elle pas de savoir ce que le légis­lateur avait fait, plutôt que ce qu'il avait voulu faire ? La Cour d'arbitrage n'est pas de cet avis, car elle ajoute : <<une interprétation littérale de l'article 70 serait d'ailleurs peu vrai­semblable, car elle impliquerait que le législateur aurait fait sans raison et, partant, en violation des articles 6 et 6bis de la Constitution, au regard de l'assujettissement de la cotisation spéciale de sécurité sociale, une distinction entre les con tri­buables suivant qu'ils ont ou n'ont fait usage du caractère libératoire du précompte mobilier>> (motif B.8).

La Cour reconnaît donc que, pris à la lettre, l'article 70 de la loi, tel que modifié par la loi du 31 juillet 1984, ne permet pas de tenir compte, en matière de cotisation spéciale de sécu­rité sociale, des revenus mobiliers compris dans la déclaration annuelle et soumis au régime de l'imposition distincte, mais elle considère cette << interprétation littérale >> comme << peu vraisemblable>>, ce qui paraît signifier qu'il est peu vraisem­blable que cette interprétation corresponde à la volonté du législateur (5).

(5) Ce n'est pas la première fois que la Cour d'arbitrage donne d'une disposition de la loi fiscale une interprétation contraire au texte, de manière que la disposition ne viole pas la règle constitutionnelle d'égalité : voy. arrêt n° 20/91 du 4 juillet 1991, M.B., 22 août 1991 (sur recours en annulation), et, sur cet arrêt, les observations de E. CoLLA, <<L'élaboration de la loi fiscale. -La règle de l'égalité devant l'impôt dans la jurispru­dence de la Cour d'arbitrage,>, Actualités du droit, 1993, p. 295 et suiv., spécialement nos 12 à 17 et les références.

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En conséquence, sous réserve de l'interprétation qu'elle en donne ( 6), la Cour d'arbitrage décide que les articles 60 et 70 de la loi de 1983, tels que modifiés par la loi du 31 juillet 1984, ne violent pas les articles 6 et 6bis de la Constitution.

D. Formulée dans ces termes, cette interprétation ne liait évidemment pas la Cour de cassation.

Néanmoins, à la suite de cet arrêt, la Cour de cassation a fait sienne l'interprétation élaborée par la Cour d'arbitrage. Elle a rejeté en conséquence la fin de non-recevoir opposée au moyen par le défendeur et cassé l'arrêt entrepris (Cassation 19 novembre 1993, Pas., I, no 459).

Comme la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation s'est fondée sur une lecture sélective des travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1983 et sur la considération que les auteurs de la loi du 31 juillet 1984 n'ont pas eu l'intention, en modifiant l'article 70, de modifier le régime antérieur en ce qui concerne les revenus mobiliers soumis au précompte et déclarés.

Elle a cru pouvoir ajouter << qu'étant susceptibles, le cas échéant, d'être compris dans une imposition globale en appli­cation de l'article 220bis, alinéa 3, in fine, du C.I.R., les reve­nus mobiliers figurant dans la déclaration annuelle à l'I.P.P. font partie des 'revenus imposables globalement' au sens de l'ar­ticle 60 de la loi du 28 décembre 1983. >}

Lorsque les revenus mobiliers déclarés sont imposables glo­balement, parce que le tarif de droit commun s'avère plus avantageux que l'imposition distincte (cf. supra, no 122), ils sont assurément visés par l'article 60 de la loi. Mais on ne peut en inférer qu'il en serait de même lorsque ces revenus sont effectivement imposés distinctement conformément à l'ar­ticle 93, § 1er, 5°, du C.I.R.

Comme la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation nous paraît avoir méconnu les termes clairs de l'article 70 de la loi du

(6) L'arrêt rappelle que, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle, <<la Cour d'arbitrage ne peut que vérifier si une disposition légale viole ... les articles 6 et 6bis ... de la Constitution et, le cas échéant, indiquer quelle interprétation d'une disposition légale est conforme à ces dispositions constitutionnelles et quelle interprétation en constitue la violation>> (motif B.lO). Sur la pratique de la Cour d'arbitrage de ne pas imposer son interprétation de la loi à la juridiction qui lui a soumis une question préjudicielle, voy. P. V ANDERNOOT, « La Cour d'arbitrage et l'interprétation des normes soumises à son contrôle>>, Mélanges Velu, t. pr, p. 357 et suiv., spécialement no 25, p. 381 et 382.

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28 décembre 1983, tel qu'il a été modifié par la loi du 31 juillet 1984, et la distinction élémentaire entre revenus imposables globalement à l'I.P.P. et revenus imposés distinctement conformément à l'article 93 du Code.

125. LA << COTISATION SPÉCIALE ASSIMILÉE À L'l.P.P. >> SUR REVENUS MOBILIERS.- A. La même loi du 28 décembre 1983 qui a rendu le précompte mobilier, en principe, libératoire, a établi une << cotisation spéciale assimilée à l'impôt des personnes physiques >> sur les revenus de capitaux et biens mobiliers et certains revenus divers passibles du précompte lorsque le mon­tant net de ces revenus excède 1.110. 000 F.

De plus, cette cotisation spéciale est due sur les intérêts de créances visées à l'article 11, 1 o à 3° et 7° du Code lorsque leur montant net est compris entre 316.000 F et 1.110.000 F. Les intérêts d'origine étrangère, qui sont visés à l'article 11, 4 o,

n'étaient donc pas soumis à cette dernière règle, mais bien à la première.

Le taux de cette cotisation spéciale était progressif par tranches : il variait de 20 % à 4 7 %, ce dernier taux étant applicable à la tranche de revenus dépassant 3.000.000 F (loi du 28 décembre 1983, art. 42, § 1er) (7).

B. La loi du 7 décembre 1988 a soustrait les revenus de parts sociales au champ d'application de cette cotisation spé­ciale : celle-ci s'applique désormais lorsque le montant net des revenus de créances visés à l'article 11, 1 o à 3° et 7o du Code excède 490.000 F, et le taux de cette cotisation est uniformé­ment fixé à 25 % .

A partir de l'exercice d'imposition 1990, les intérêts d'ori­gine étrangère, qui sont visés à l'article 11, 4°, du Code, échap­pent donc entièrement à la cotisation spéciale. Cette absurde inégalité de traitement entre les intérêts d'origine belge et les

(7) Le contribuable pouvait échapper à la cotisation spéciale en prenant et en respec­tant l'engagement :

1 o d'affecter, avant la fin de la deuxième année suivant celle d'encaissement des reve­nus, une somme égale à la base de calcul de la cotisation à la souscription et la libération d'actions dans des sociétés belges ou à la souscription d'obligations émises par des sociétés belges qui se livrent à une activité industrielle ;

2o de conserver les titres ainsi libérés pendant au moins cinq ans ou, en cas de cession dans ce délai, d'employer le prix de cession dans les trois mois de celle-ci, de la manière indiquée supra, 1 o (loi du 28 décembre 1983, art. 42, § 3).

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intérêts d'origine étrangère sera jugée contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution par un important arrêt de la Cour d'arbitrage du 9 novembre 1995 (arrêt no 74/95, M.B. 16 jan­vier 1996), statuant sur une question préjudicielle.

La motivation de l'arrêt est à la fois laconique et décisive : <<la Cour n'aperçoit aucune justification à la différence de trai­tement entre les titulaires d'intérêts d'origine belge et les titu­laires d'intérêts d'origine étrangère>>.

A la suite de cet arrêt, une loi du 16 avril 1997 abrogera purement et simplement la cotisation spéciale assimilée à l'I.P.P., avec effet rétroactif en ce qui concerne les cotisations spéciales relatives aux exercices d'imposition 1990 à 1994 qui ont fait l'objet de réclamations ou· de recours non encore vidés à la date de publication de la loi (art. 9 et 11).

Le correctif au caractère libératoire du précompte mobilier instauré par la loi du 28 décembre 1983 a ainsi totalement dis­paru.

C. Il serait intéressant que la Cour d'arbitrage soit saisie de la question de savoir si les dispositions du Code des impôts sur les revenus, en soumettant les revenus professionnels et les pensions de retraite ou de survie au tarif progressif par tranches que l'on sait, et les intérêts de prêts et dépôts à une imposition limitée aujourd'hui à 15 %, ne sont pas, plus fon­damentalement encore, contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Si injustifiable que soit, au point de vue de l'égalité des Belges devant la loi, un tel régime fiscal, la Cour d'arbitrage devrait sans doute donner à cette question une réponse néga­tive, sous peine de mettre en péril les finances de l'Etat.

SECTION II. - LE RÉGIME DES PLUS-VALUES ET MOINS-VALUES RÉALISÉES SUR PARTS SOCIALES

126. CAS OÙ LES PARTS SOCIALES SONT AFFECTÉES À L'EXER­CICE DE L'ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE. - A. Si l'habitant du Royaume exploite une entreprise, il se peut qu'il affecte des parts d'une société à cette entreprise.

Depuis la loi du 22 décembre 1989, <<sont considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle les biens

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acquis ou constitués dans le cadre de cette activité et figurant parmi les éléments de l'actif. .. >> (C.I.R., art. 32quinquies, intro­duit par loi du 22 décembre 1989). Pour que des parts sociales soient affectées à une entreprise, il faut et il suffit, par consé­quent, qu'elles soient comptabilisées à l'actif des comptes de cette entreprise.

Il en était de même, à notre avis, avant l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1989 (voy. J. Kirkpatrick, <<Le patri­moine affecté à l'entreprise individuelle en droit comptable et en droit fiscal>>, Mélanges Dumon, p. 1017 et suiv., spéc. no 13.

Certes, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, pour qu'un avoir <<soit investi dans l'activité professionnelle>> (sui­vant la formulation ancienne de l'article 21 du Code) ou << affecté à l'exercice de l'activité professionnelle >> (suivant la formulation issue de la loi du 25 juin 1973), il faut qu'il soit << soumis à tous les risques de l'entreprise par le fait de son pro­priétaire ou de son consentement>>. Toutefois, si cette condi­tion a un sens, elle signifie seulement que le bien doit être la propriété de l'exploitant (voir l'étude précitée, spéc. no 8 ; dans le même sens, Bruxelles 26 janvier 1988, F.J.F. 89/99; contra : Gand 13 janvier 1987, F.J.F., 88/52 et note).

B. Si des parts sociales affectées à l'exercice de l'activité professionnelle sont aliénées avec plus-value, celle-ci est en principe taxable. En cas de réalisation d'une moins-value, celle-ci est déductible du revenu professionnel imposable.

Si les parts sociales appartenant à une personne physique ne sont pas comptabilisées à l'actif de son entreprise, elles dépen­dent nécessairement de son patrimoine privé et il ne peut être question de déduire une moins-value réalisée sur lesdites parts.

Aussi ne pouvons-nous approuver l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 1987 (Pas., 1988, I, no 58) dans l'espèce suivante. Pour conserver son emploi, un employé engagé à l'essai est invité par la société qui l'emploie à sous­crire à une augmentation de capital de celle-ci. Quelques mois plus tard, la société demande un concordat judiciaire, de sorte que ce malheureux employé perd tout à la fois son emploi et sa mise.

Par arrêt du 18 mars 1986 (F.J.F., 87/75), la cour d'appel de Bruxelles avait considéré que la somme investie par l'em-

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ployé dans la société était une dépense professionnelle déduc­tible en vertu de l'article 44 du Code.

Dans son pourvoi en cassation contre cet arrêt, l'administra­tion invoquait que la cour d'appel avait violé l'article 44 du Code en admettant << à titre de dépense professionnelle un investissement qui n'est pas professionnel et qui n'a pas la nature d'une dépense>> (2e branche).

La Cour de cassation rejette ce moyen et considère que les juges du fond ont pu légalement considérer qu'il s'agissait d'une dépense professionnelle déductible.

Cette solution, sans doute inspirée par l'équité, nous paraît doublement erronée. Même si l'employé les avait souscrites en vue de conserver son emploi, les actions n'en dépendaient pas moins de son patrimoine privé : il n'est pas concevable d' affec­ter des actions à la profession d'employé. Par ailleurs, même si les actions avaient été affectées à une entreprise indivi­duelle, le prix de souscription aurait constitué une somme affectée <<à l'extension de l'entreprise>> (Code, art. 22, 4°) et non une dépense déductible ; une dépense n'est déductible au titre de charge professionnelle qu'à condition de ne pas entraî­ner un accroissement d'actif équivalent (voir supra, no 58, cette Revue, 1994, p. 287).

127. CAS OÙ LES PARTS SOCIALES FONT PARTIE DU PATRI­MOINE PRIVÉ. - A. Sont taxables distinctement au titre de revenus divers, au taux de 33 %, les profits qui résultent d'<< opérations ou spéculations quelconques >> faites en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle, même occasionnel­lemeht, à la seule exception des <<opérations de gestion nor­male d'un patrimoine privé consistant en immeubles, valeurs de portefeuille et objets mobiliers>> (C.I.R., art. 67, 1°, et, quant au taux applicable, 93, § 1er, 1°, a).

En matière d'achat de terrains en vue de la revente, la Cour de cassation considère que la spéculation, au sens de cet article, << consiste notamment en l'achat de biens comportant un risque de perte mais effectué dans l'espoir de réaliser par la revente un bénéfice à la faveur de la hausse des prix du marché>> (Cass., 6 mai 1988, Pas., I, no 557).

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Il ne faudrait pas déduire de cette jurisprudence que les plus-values réalisées à l'occasion de spéculations boursières sur titres sortent des limites de la gestion normale d'un patrimoine privé : les travaux préparatoires de la loi du 20 novembre 1962 ne laissent aucun doute sur la volonté du législateur à cet égard (voir notre précédente chronique, n° 128, cette Revue, 1988, p. 610 et 611).

Dans une étude très complète sur << les limites fiscales de la gestion normale d'un patrimoine privé>> (B. O., 1992, p. 2275 et suiv., spécialement p. 2345), M. Marc ANDRÉ, fonctionnaire à l'administration des contributions directes, a pu conclure que les plus-values réalisées par des personnes physiques sur des valeurs de portefeuille << échappent ipso facto à la taxation au titre de bénéfices ou profits occasionnels >>, sous réserve de l' ap­plication de l'article 67, 8°, introduit par la loi du 3 novembre 1976 (sur cette disposition, voir infra, C). Il faut sans doute également réserver l'hypothèse où l'acquisition de titres en vue d'une revente à court terme a été financée par l'emprunt.

B. En cas de vente d'une participation majoritaire dans une société, l'acheteur exige souvent un engagement du vendeur de ne pas participer à une entreprise concurrente.

Dans une espèce tranchée par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 20 décembre 1984 (F.J.F., 85/48), un tel engage­ment avait été stipulé dans une convention de vente conclue en 1973 (avant l'entrée en vigueur de la loi du 3 novembre 1976 dont il est question infra, C).

Bien que le contrat de vente ne comportât pas une telle ven­tilation, l'administration avait prétendu scinder le prix de vente en deux parties : l'une correspondant à la valeur des actions, et l'autre représentant la valeur de l'engagement de non-concurrence. Elle soutenait que le prix de l'engagement de non-concurrence était imposable au titre de revenus divers en vertu de l'article 67, 1 o.

La cour d'appel a écarté cette thèse : l'engagement de non­concurrence faisait partie des conditions de la vente, laquelle constituait une opération de gestion normale du patrimoine privé du vendeur ; cet engagement n'était que l'application du principe général de la garantie du fait personnel du vendeur (0. civ., art. 1628).

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En revanche, dans une espèce où, à l'occasion de la vente par une société de ses actifs, l'administrateur délégué avait pris, vis-à-vis de l'acquéreur, l'engagement de ne pas exercer une activité commerciale concurrente moyennant une indem­nité de 2.500.000 F, il a été jugé que cette indemnité, résultant d'une opération conclue en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle, était imposable au titre de revenu divers (Anvers, 8 septembre 1987, F.J.F., 88/55; pourvoi rejeté par cass., 17 février 1989, Pas., 1989, I, no 343 et note). Ici, l'enga­gement de non-concurrence ne constituait pas un élément d'une vente d'actions relevant de la gestion d'un patrimoine privé, mais un contrat distinct du contrat de vente conclu par la société.

O. Par dérogation à la règle selon laquelle les plus-values réalisées sur des valeurs de portefeuille dans le cadre de la ges­tion normale d'un patrimoine privé échappent à l'impôt, l'ar­ticle 67, 8°, introduit par une loi du 3 novembre 1976, puis modifié par une loi du 22 décembre 1977, soumet à l'I.P.P., au taux de 16,5 %, les plus-values réalisées par des habitants du Royaume sur des parts de sociétés belges, à condition que la vente soit faite à une société belge (loi du 3 novembre 1976) ou à une société étrangère (loi du 22 décembre 1977), et que le vendeur (ou celui dont le vendeur a acquis les parts à titre gratuit) ait, à un moment quelconque au cours des cinq années précédant la vente, possédé à lui seul ou avec des proches défi­nis par la loi, plus de 25 % des parts de la société (C.I.R., art. 67, 8°, 67ter et 69ter, et, quant au taux, art. 93, §1er, 2°, e).

Une loi du 3 juillet 1984 a restreint l'application de la taxa­tion au cas où la vente est consentie à une société étrangère (voir notre précédente chronique, no 128, B et C, cette Revue, 1988, p. 611) (8).

Sous l'empire de la législation antérieure à cette dernière loi, ce régime a fait l'objet d'un arrêt intéressant de la cour d'ap­pel de Bruxelles du 4 décembre 1990 (F.J.F., 91/42).

(8) Une loi du 22 décembre 1989 rendra tout ce régime applicable aux personnes phy­siques non-résidentes :voir C.I.R., art. 140, § 2, 8°, h. L'application de l'impôt des non­résidents sur pareille plus-value est toutefois exclue par la plupart des Conventions belges préventives des doubles impositions.

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En l'espèce, un habitant du Royaume avait vendu en 1983 à une société une partie d'une participation importante au sens de l'article 67, 8°, du C.I.R., pour un prix de 22.000.000 F environ. Il avait recouru, pour cette négociation, au concours d'une banque, qui lui avait facturé une commission de l'ordre de 2.000.000 F.

Cette commission était-elle déductible pour la détermination de la plus-value réalisée imposable ?

Aux termes de l'article 69ter, les plus-values imposables en vertu de l'article 67, 8 o, << sont égales à la différence entre le prix reçu ... en rémunération des actions ou parts cédées et le prix d'acquisition, à titre onéreux, desdites actions ou parts par le contribuable ou son auteur, le prix d'acquisition étant éventuellement revalorisé >> par application du coefficient fixé par l'article 119 du C.I.R. pour tenir compte des dépréciations légales de la monnaie.

Rien n'est dit de la déduction des frais engagés pour réaliser la vente.

La cour d'appel admet néanmoins la déduction de la com­mission, en vertu du principe général énoncé par l'article 6 du Code : << le revenu imposable est constitué par l'ensemble des revenus nets des catégories suivantes, diminué des charges visées à l'article 71 ... >>. Selon l'arrêt, <<si pour la plupart des catégories de revenus, le législateur a expressément précisé ce qu'il entend par 'revenus nets', il demeure qu'en l'absence de précision, ainsi que c'est le cas à l'article 69ter, c'est le principe général de l'article 6 du C.I.R. qui trouve à s'appliquer>>.

CHAPITRE II.- LES DIRIGEANTS

128. TERMINOLOGIE. -RENVOI. -A. La législation appli­cable pendant la période qui fait l'objet de cette chronique dis­tingue, parmi les personnes physiques qui bénéficient de << rémunérations >> :

- d'une part, les << travailleurs régis par la législation relative aux contrats de louage de travail ... >> (C.I.R., art. 20, 2°, a, modifié par loi du 5 janvier 1976) ;

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- et, d'autre part, les <<administrateurs, commissaires, liqui­dateurs ou autres personnes exerçant des mandats ou fonc­tions analogues (dans les) sociétés par actions >> et les << asso­ciés actifs ... dans les sociétés commerciales belges autres que des sociétés par actions>> (C.I.R., art. 20, 2°, b et c, modifié par loi du 5 janvier 1976).

Cette terminologie a été récemment modifiée par l'arrêté de pouvoirs spéciaux du 20 décembre 1996; le Code distingue désormais<< les rémunérations des travailleurs>> et<< les rémuné­rations des dirigeants d'entreprises>> (C.I.R. 92, art. 30, modi­fié par A.R. du 20 décembre 1996).

Les << dirigeants d'entreprise >> (qui auraient été mieux bap­tisés <<dirigeants de sociétés>>) comprennent les personnes phy­siques qui exercent <<un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues >> dans une société, quelle que soit sa forme juridique (C.I.R., art. 32, 1 °).

Anticipant sur cette nouvelle législation, nous avons adopté, dans le titre et les sous-titres de ce chapitre, le terme << diri­geants >> qui regroupe les anciennes catégories d'administra­teurs de sociétés par actions et d'associés actifs de sociétés de personnes.

B. Nous avons déjà traité des rémunérations des dirigeants du point de vue de leur déduction au titre de charges profes­sionnelles de la société (supra, nos 70 à 73, cette Revue, 1994, p. 313 à 320).

Nous examinerons ici plus particulièrement le régime fiscal personnel des dirigeants, encore que les deux sujets se recou­pent en grande partie.

SECTION re. - LE RÉGIME DES RÉMUNÉRATIONS DES DIRIGEANTS

129. LES FONCTIONS ANALOGUES À CELLES D'ADMINISTRA­TEUR. - Rappelons que sous le régime antérieur à la loi du 22 décembre 1989, les rémunérations d'un administrateur de sociétés par actions qui exerce dans la société des fonctions réelles et permanentes sont comprises dans le bénéfice impo­sable de la société et donnent droit au crédit d'impôt dans la mesure où elles ne dépassent pas celles des administrateurs

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non investis de telles fonctions (supra, nos 70 et 71, R.O.J.B., 1994, nos 70 et 71, p. 313 à 315) (9).

Pour l'application de ces règles, le Code assimile aux admi­nistrateurs les personnes qui exercent des << mandats ou fonc­tions analogues>> à celles des administrateurs, c'est-à-dire les employés qui, sans être membres du conseil d'administration, exercent effectivement des pouvoirs réservés, en principe, au conseil d'administration (Cass., 17 septembre 1968, Pas., 1969, I, 61; notre précédente chronique, no 63, R.O.J.B., 1985, p. 643 à 645). Comme la loi sur les sociétés (art. 63) permet de déléguer << la gestion journalière des affaires de la société >> à des personnes qui ne font pas partie du conseil d'administra­tion, le test des fonctions analogues consiste à rechercher si l'employé exerce des fonctions qui excèdent les limites de la gestion journalière.

Confirmant une jurisprudence antérieure qui nous paraît cri­tiquable (notre précédente chronique, loc. cit. ), deux arrêts ont considéré que la signature de la déclaration fiscale de la société sans mandat spécial à cet effet dépasse les limites de la gestion journalière (Mons, 30 mai 1984, R. G.F., 1985, p. 75 ; Bruxelles, 6 décembre 1983, J.D.F., 1984, p. 227). Il y avait, il est vrai, dans ces deux espèces, d'autres circonstances qui permettaient de considérer que l'employé exerçait des fonc­tions excédant les limites de la gestion journalière.

La signature des déclarations fiscales n'a en revanche pas été jugée suffisante par un arrêt de la cour d'appel de Gand du 19 janvier 1990 (R.G.F., p. 248, et note E. DEBRUYNE).

Pour considérer, en l'espèce, que les pouvoirs conférés au directeur général d'une société belge n'excédaient pas les limites de la gestion journalière, cet arrêt tient compte du fait que la société était la filiale d'une société étrangère dont elle diffusait les produits auprès des commerçants du pays et que les administrateurs de la société résidaient à l'étranger, <<de sorte qu'il paraît normal et en conformité avec les besoins de la gestion journalière de la société que le directeur local se soit vu

(9) Nous profitons de ce renvoi pour rectifier une erreur matérielle au no 71 de la pré­sente chronique (R.G.J.B., 1994, p. 315). La première phrase de ce numéro doit se lire comme suit : « Les rérnnnémtions des administmtenrs non investis de fonctions réelles et permanentes sont intégralement comprises dans la base de l'impôt des sociétés >> (le pas­sage en italique a été omis).

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déléguer certains pouvoirs qui peuvent dépasser le cadre très strict de la gestion journalière, tels que la signature de la décla­ration fiscale >>. En dépit du caractère quelque peu contradic­toire de cette motivation, cet arrêt admet donc finalement, à bon droit selon nous, que le pouvoir de souscrire les déclara­tions fiscales annuelles de la société n'excède pas les limites de la gestion journalière. Le même arrêt avait invoqué en outre diverses circonstances dont il ressortait que ce directeur se trouvait dans une << sitnation de subordination>> vis-à-vis du conseil d'administration - ce qui ne nous paraît pas vraiment pertinent en cette matière.

La circonstance qu'un employé exerce ou non des fonctions analogues à celles d'administrateur a perdu beaucoup de son importance depuis que la loi du 22 décembre 1989 a généralisé la déductibilité des rémunérations des administrateurs au titre de charges professionnelles de la société (C.I.R., art. 108, §1er, tel que modifié par la loi du 22 décembre 1989) et aboli en conséquence le crédit d'impôt des administrateurs (prévu anté­rieurement à l'article 135 du C.I.R.) : cette circonstance n'exerce plus d'incidence, au point de vue fiscal, que pour la détermination du forfait que l'intéressé peut déduire au titre de charges professionnelles (C.I.R., art. 51, § 2, 2°) et pour l'application éventuelle des majorations à défaut de versement anticipé de l'impôt dans la mesure où celui -ci ne serait pas couvert par le précompte professionnel retenu à la source (C.I.R., art. 89).

130. LA NOTION D'ASSOCIÉ ACTIF. - Depuis une loi du 5 janvier 1976, le Code soumet les rémunérations des associés actifs des sociétés de personnes au même régime que les rému­nérations des administrateurs de sociétés par actions, en ce qui concerne notamment :

- la détermination du forfait de charges professionnelles (C.I.R., art. 51, § 2, 2°) ;

- l'application des majorations à défaut de versements anti­cipés de l'impôt (C.I.R., art. 89).

Pendant la période qui fait l'objet de la présente chronique, le précompte professionnel auquel sont soumises les rémunéra-

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tions des travailleurs et des administrateurs ne s'appliquait pas aux rémunérations des associés actifs (10).

Il importe donc de distinguer, parmi les associés des sociétés de personnes qui tirent de celles-ci des revenus professionnels, ceux qui doivent être considérés comme <<associés actifs>> (C.I.R., art. 20, 2°, c) et ceux qui sont soumis au régime des travailleurs (C.I.R., art. 20, 2°, a).

Selon une jurisprudence qui s'est formée à l'époque où les revenus professionnels des associés actifs étaient assimilés à des bénéfices d'exploitation (régime antérieur à la loi du 5 jan­vier 1976), doit être considéré comme associé actif l'associé qui exerce dans la société<< une activité effective et permanente en vue de faire fructifier un capital qui est sien pour partie>>, sans que cette activité doive nécessairement avoir la nature d'une gestion ou d'une direction stricto sensu (Cass., 6 février 1968, Pas., I, 702 ; pour des cas d'application, voy. Anvers, 7 juin 1988, B.C., 1989, p. 833; Gand, 20 décembre 1988, F.J.F., 89/28).

<<Toutefois, une telle activité peut ... ne requérir que des prestations de travail intermittentes, mais cependant suffi­samment fréquentes et liées entre elles>> (Cass., 8 janvier 1981, Pas., I, 497).

Un associé qui se trouve, au point de vue du droit social, dans les liens d'un contrat de travail, peut donc être considéré comme associé actif au point de vue fiscal.

En dépit de la définition extrêmement large de l'associé actif, il a toujours été admis qu'un associé qui n'a qu'une par­ticipation minime dans la société et qui n'y exerce que des fonctions subalternes n'entre pas dans la catégorie des associés actifs (voir Bruxelles, 25 octobre 1988, T.R. V., 1989, p. 133, et la note fouillée de S. VAN CROMBRUGGE ; Liège, 15 janvier 1986, J.D.F., 1987, p. 202; Gand, 9 septembre 1983 -motifs -, F.J.F., 84/63; Com.I.R., art. 100/16 et 17). En revanche, l'associé qui n'a qu'une participation minime mais qui exerce des fonctions dirigeantes doit être considéré comme

(10) Le précompte professionnel n'a été étendu aux rémunérations des associés actifs que par un arrêté royal du 2 janvier 1991, confirmé par une loi du 20 juillet 1991.

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associé actif (Gand, 25 novembre 1986, F.J.F., 88/4; cf. Gand, 20 décembre 1988, F.J.F., 89/28).

La cour d'appel de Gand a admis qu'un employé d'une SPRL qui avait cédé ses parts à son épouse mais qui avait, par la suite, acquis quelques parts à la veille de chaque assem­blée générale pour les rétrocéder aussitôt, ne pouvait être considéré comme associé, ni, partant, comme associé actif (Gand, 12 décembre 1989, F.J.F., 90/100).

131. LA TAXATION DISTINCTE APPLICABLE AUX INDEMNITÉS << PAYÉES ENSUITE DE CESSATION DE TRAVAIL >> s' APPLIQUE-T­ELLE AUX DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS ? - Selon l'article 27 du Code (modifié par la loi du 5 janvier 1976), les administrateurs de sociétés anonymes et les associés actifs de sociétés de per­sonnes sont imposables sur leurs rémunérations, y compris, notamment,<< les indemnités d'une nature analogue à celles qui sont visées à l'article 26, 3° >>, c'est-à-dire les indemnités obte­nues par les travailleurs <<en raison ou à l'occasion de la cessa­tion de travail ou de la rupture d'un contrat de louage de tra­vail>>.

Par ailleurs, selon l'article 93, §1er, 3°, a, sont imposables distinctement <<au taux moyen afférent à la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité normale... les indemnités payées, contractuellement ou non, ensuite de cessation de travail ou de rupture de contrat d'em­ploi ou de louage de services>>.

Cet article trouve son origine dans l'article 35, § 1er, alinéa 2, des anciennes lois coordonnées, qui était reconnu applicable à un administrateur de société anonyme, même s'il n'était pas lié à la société par un contrat d'emploi (Cass., 19 décembre 1967- deux espèces-, Pas., 1968, I, 541; J.P.D.F., 1968, p. 60, et note M.B. Il ressort du premier arrêt, qui est un arrêt de rejet, que les juges du fond avaient considéré comme sans pertinence, au point de vue fiscal, que la convention relative à l'indemnité de dédit fût illicite, en raison de la règle d'ordre public selon laquelle les administrateurs sont révocables ad nutum).

La Cour de cassation a confirmé cette solution, sous l'empire de l'article 93, § 1er, 3°, du Code par un arrêt du 16 mars 1990

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(Pas., I, n° 430; F.J.F., 90/148) que nous avons déjà com­menté à propos de la<< force attractive>> de la qualité d'admi­nistrateur (supra, no 71, D, cètte Revue, 1994, p. 317). En l'es­pèce, l'administrateur d'une société anonyme était en outre directeur de certains départements, sans pour autant se trou­ver dans les liens d'un contrat d'emploi (à défaut de tout lien de subordination) ; pour raison de santé, il convint avec la société de mettre fin à ses fonctions de directeur moyennant une indemnité, mais resta administrateur non investi de fonc­tions réelles et permanentes. La Cour rejette le pourvoi de l'Etat contre un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles qui avait admis la taxation distincte de cette indemnité.

En revanche, à propos d'un associé actif d'une SPRL qui avait mis fin, de commun accord avec la société, à ses fonc­tions de directeur, moyennant une indemnité, un arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 1989 (Pas., 1990, I, n° 91 ; J.D.F., 1990, p. 103 et note critique J.P. Nemery de Belle­vaux) s'est fondé sur l'absence de lien de subordination pour considérer que l'indemnité ne pouvait bénéficier de la taxation distincte prévue par l'article 93, §1er, 3°, a, au motif que cet article ne s'appliquerait qu'en cas de contrat de travail.

Cette interprétation ne nous paraît nullement commandée par les termes de l'article 93, §1er, a, et est inconciliable avec la jurisprudence de la Cour relative au cas des administrateurs de société anonyme.

Au demeurant, il est bien certain qu'avant la loi du 5 jan­vier 1976, l'article 93, §1er, 3°, a, ne pouvait pas concerner les indemnités de dédit payées à un associé actif, puisque les reve­nus de celui-ci, qu'il fût dans les liens d'un contrat de travail ou non, étaient légalement considérés comme des bénéfices d'exploitation (art. 20, 1 °) et non comme des rémunérations.

La question était donc de savoir si, en rangeant les revenus professionnels des associés actifs dans la catégorie des rémuné­rations et en y incluant << les indemnités d'une nature analogue à celles qui sont visées à l'article 26, 3° >> (indemnités obtenues par des travailleurs << en raison ou à l'occasion de la cessation du travail>>), la loi du 5 janvier 1976 a étendu le champ d'ap­plication de l'article 93, §1er, 3°, a, aux associés actifs.

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Les dispositions légales que nous avons rappelées au début de ce numéro commandaient, à notre avis, une réponse affir­mative.

132. LES INDEMNITÉS D'ASSURANCE << REVENU GARANTI >> PAYÉES PAR UNE COMPAGNIE D'ASSURANCE À UN ASSOCIÉ ACTIF SONT-ELLES IMPOSABLES ? - Il ne fait pas de doute que l' asso­cié actif qui contracte une assurance << revenu garanti >> pour couvrir le risque d'invalidité économique due à un accident ou à une maladie peut déduire les primes au titre de dépenses professionnelles s'il opte pour le régime des charges profession­nelles justifiées et ne se contente pas du forfait prévu à l'ar­ticle 51 du Code (remplacé par l'article 35 de la loi du 7 décembre 1988) (Com.I.R., art. 44/451 ; Gand, 26 septembre 1986 - motifs - J.D.F., 1988, p. 355).

Cela implique qu'il s'agit de dépenses faites en vue d' acqué­rir ou de conserver des revenus imposables ( arg. C.I.R., art. 44).

Si une rente est payée à l'associé actif en exécution d'un tel contrat, celle-ci constitue-t-elle une rémunération imposable ?

Cette question appelle en principe une réponse affirmative : les rémunérations des associés actifs comprennent notamment <<les indemnités obtenues en réparation totale d'une perte tem­poraire de rémunérations>> (C.I.R., art. 27, § 2, al. 2, 2°, ren­voyant à l'article 26, alinéa 3, 3°).

Mais en est-il de même si l'associé actif conserve la totalité de ses rémunérations à la suite de l'accident ou de la maladie qui donne lieu au paiement des indemnités ? Eu égard aux termes de l'article 26, alinéa 2, 3°, la cour d'appel de Gand a répondu par la négative dans un arrêt du 26 septembre 1986 (J.D.F., 1988, p. 355) (11).

La cour d'appel de Liège a conclu au contraire à l'imposabi­lité dans un cas similaire où l'assurance << revenu garanti >> avait été souscrite par un employé : elle a considéré que les indemnités étaient imposables, non en vertu de l'article 26, ali­néa 2, 3°, mais en vertu de l'article 26, alinéa pr, qui définit

(11) Cet arrêt invoque en outre qu'en l'espèce, l'associé actif, ayant opté pour la déduction des charges professionnelles forfaitaires, n'avait pas déduit les primes au titre de charges professionnelles. Cet argument nous paraît dénué de pertinence.

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les rémunérations imposables des travailleurs comme <<le pro­duit du travail au service d'un employeur>>, <<quels qu'en soient le débiteur, la qualification et les modalités de détermi­nation et d'octroi>> (Liège, 25 février 1987, B. O., 1988, p. 348). Cette justification de l'imposition ne nous paraît pas défen­dable. Les rentes dues en vertu d'un contrat d'assurance << revenu garanti >> souscrit par l'employeur ne constituent pas <<le produit du travail au service de l'employeur>>, même si les primes ont été déduites des rémunérations imposables au titre de charges professionnelles.

133. LE RÉGIME DU GÉRANT NON ASSOCIÉ DE LA SPRL. -A. Le gérant d'une SPRL qui n'a aucune part sociale n'est assurément pas un employé de la société, à défaut de lien de subordination (VAN RYN et HEENEN, Droit commercial, t. II, pe éd., no 933). Il se trouve néanmoins dans un rapport de dépendance à l'égard des associés, ce qui suffisait, avant l'en­trée en vigueur de la loi du 5 janvier 1976, à le faire entrer dans la catégorie des << personnes rétribuées par un tiers sans être liées par un contrat d'entreprise>> (Bruxelles, 10 janvier 1972, J.P.D.F., p. 161, sur renvoi après Cass., 4 mars 1971, Pas., I, 609; J.D.F., p. 79 et la note). Il en résultait que les rémunérations d'un tel gérant étaient passibles du précompte professionnel (C.I.R., art. 180, 1 °), même si l'administration, semble-t-il, n'exigeait pas celui-ci.

C'est donc à tort que, sous l'empire de cette ancienne dispo­sition, un arrêt a considéré les rémunérations du gérant non associé d'une SPRL comme des profits d'occupation lucrative au sens de l'article 20, 3° (Bruxelles, 10 mai 1983, R.G.F., p. 178, et note critique R. GHYSELS ; J.D.F., 1984, p. 126, et note R.V.).

Pour justifier l'application des majorations à défaut de ver­sement anticipé, un arrêt a considéré un gérant non associé comme associé actif au motif que son épouse avait la quasi­totalité des parts et qu'il importait peu que les époux fussent mariés sous le régime de la séparation de biens : << il y a lieu, en matière fiscale, de ne considérer que la réalité économique : le choix du régime matrimonial est inopérant en matière de procédure de taxation comme d'ailleurs en matière de recou­vrement d'impôt ; .. .le régime matrimonial du redevable ne

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peut préjudicier aux droits du Trésor>> (Bruxelles, 5 janvier 1988, B. O., p. 1719). Ces motifs ne peuvent être approuvés : pour déterminer si le gérant a des parts de la société, condition nécessaire du statut d'associé actif, rien ne permet de faire abstraction du régime matrimonial, qui est une réalité juridi­que et, partant, économique. Ce n'est que si le fisc avait pu établir que l'inscription des parts au nom de l'épouse déguisait une participation du mari que la solution aurait été justifiée (pour un cas où pareille simulation a été retenue, voy. Liège, 3 février 1988, B. O., p. 1873).

B. Depuis la loi du 5 janvier 1976, les rémunérations visées à l'article 20, 2°, a, du C.I.R., sont seulement celles <<des tra­vailleurs régis par la législation relative aux contrats de louage de travail ou par un statut légal ou réglementaire analogue >>.

Désormais, les revenus professionnels du gérant non associé d'une SPRL doivent être rangés dans la catégorie des profits d'occupations lucratives visées à l'article 20, 3°, du C.I.R., de sorte qu'elles sont soumises aux majorations d'impôts à défaut de versements anticipés comme les rémunérations des associés actifs : la solution consacrée erronément par la cour d'appel de Bruxelles sous l'empire de la législation antérieure (Bruxelles, 10 mai 1983, R.G.F., p. 178, cité supra, A) a donc été consa­crée par la loi.

SECTION II.- LES CHARGES PROFESSIONNELLES DÉDUCTIBLES

134. ADMINISTRATEUR DE SOCIÉTÉS POURSUIVI PÉNALE­MENT POUR DES DÉLITS COMMIS DANS LE CADRE DE LA GESTION DE SOCIÉTÉS. NoN-DÉDUCTIBILITÉ DES FRAIS DE DÉFENSE.- Un administrateur de sociétés est poursuivi péna­lement pour des infractions commises dans le cadre de la ges­tion de diverses sociétés. Il est condamné à un emprisonne­ment de trois mois et à une amende, du chef de faux en écri­ture.

Il prétend déduire de ses revenus professionnels imposables les honoraires de 300.000 F qu'il a payés à son avocat.

La cour d'appel de Bruxelles, p~r arrêt du 8 avril 1986 (J.D.F., 1987, p. 145), rejette cette thèse. Certes, la défense de

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cet administrateur présentait un lien indirect avec le but d'ac­quérir ou de conserver des revenus, car une condamnatiqn pénale à trois mois de prison pour faux entraînait l'interdic­tion d'exercer à l'avenir des mandats d'administrateur (arrêté royal no 22 du 24 octobre 1934, modifié par loi du 4 août 1978), mais, d'après l'arrêt, le lien requis par la loi entre la défense et les revenus professionnels est un lien direct ; en l'oc­currence, il s'agissait essentiellement de protéger les intérêts personnels du contribuable. Quant aux délits commis, ils étaient << par définition >> étrangers à l'exercice de son activité d'administrateur de sociétés (sur ce dernier motif, cf. toutefois supra, n° 61, cette Revue, 1994, p. 291).

135. lNTÉR~TS D'UN EMPRUNT CONTRACTÉ PAR UN DIRI­

GEANT DE SOCIÉTÉ EN VUE D'ACQUÉRIR UNE PARTICIPATION DE

CONTRÔLE. - DISTINCTION ENTRE LA DÉDUCTION EN VERTU DE

L'ARTICLE 71 § 1ER' 2°, ET LA DÉDUCTION AU TITRE DE DÉPENSE

PROFESSIONNELLE. - Avant son abrogation par la loi du 7 décembre 1988, l'article 71, §1er, 2°, du Code permettait de déduire de l'ensemble des revenus nets, dans la mesure où ils n'ont pu être déduits des revenus professionnels au titre de dépenses professionnelles, <<les intérêts de dettes contractées en vue d'acquérir ou de conserver un revenu immobilier ou mobilier qui entre en compte pour la détermination du revenu imposable >>.

Ce n'était pas cette déduction qui était revendiquée dans l'espèce tranchée par l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 30 janvier 1985 (J.D.F., 1986, p. 301) : le contribuable avait acquis, en 1972, au moyen d'un prêt hypothécaire, 80 % des actions d'une société anonyme, ce qui lui avait permis de devenir administrateur-directeur de la société ; il prétendait dès lors déduire les intérêts de l'emprunt et les frais d'acte notarié au titre de charges professionnelles.

La cour d'appel reconnaît que les intérêts et les frais d'acte << doivent être admis au titre de charges professionnelles déduc­tibles ... visées par l'article 71, § 1er, 2°, du C.I.R. >>, <<dit pour droit>> que les intérêts et les frais d'acte <<constituent des charges déductibles aux termes de l'article 71, §1er, 2° >> et <<ordonne les dégrèvements correspondants>>.

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En dépit de l'erreur évidente commise par cet arrêt, qui avait ainsi confondu la déduction prévue par l'article 44 du C.I.R. et celle prévue par l'article 71, §1er, 2°, l'avocat du contribuable ne conseille pas à son client de se pourvoir en cas­sation.

Ultérieurement mieux conseillé, ce contribuable intente contre son avocat une action en dommages-intérêts, qui trou­vera son épilogue dans un arrêt de la même cour d'appel (19e chambre civile) du 28 juin 1995 (inédit, R.G. no 30.568/ 93).

L'erreur commise dans l'arrêt du 30 jan vier 1985 s'était en effet avérée lourde de conséquence : à la suite de cet arrêt, le directeur régional en avait déduit que les intérêts et frais d'acte n'étaient déductibles que dans les limites prévues par l'article 71, § 1er, 2°, c'est-à-dire dans la mesure où ils ne dépassaient pas le revenu net des immeubles et des capitaux et biens mobiliers qui concouraient à la formation du revenu imposable. Or le contribuable avait déjà bénéficié au maxi­mum de cette déduction, de sorte qu'il ne pouvait plus pré­tendre, en vertu de l'arrêt, à aucune déduction complémen­taire. L'intéressé en fut avisé avant l'expiration du délai d'in­troduction d'un pourvoi contre l'arrêt du 30 janvier 1985.

Par son arrêt du 30 janvier 1995, la cour d'appel de Liège, confirmant la décision du premier juge, considérera que, dans ces conditions, l'avocat avait << failli à son devoir de diligence et de conseil>}, car <<il y avait de grandes chances que, saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation eût cassé l'arrêt précité, fût-ce sur le seul moyen de la contradiction qu'il comportait>}; et, en cas de cassation, << il est plus que probable que la juridic­tion de renvoi aurait fait application en l'espèce de l'article 44 du C.I.R. >} (sur cette question, voir infra, no 136). L'avocat sera dès lors condamné à réparer le dommage résultant du fait que les intérêts et frais d'acte ,n'avaient pu être déduits de ses revenus professionnels.

136. lNTÉR~TS D'UN EMPRUNT CONTRACTÉ PAR UN DIRI­

GEANT DE SOCIÉTÉ EN VUE D'ACQUÉRIR UNE PARTICIPATION DE

CONTRÔLE (SUITE).- DÉDUCTION AU TITRE DE CHARGES PRO­

FESSIONNELLES. - A. En même temps qu'elle abrogeait l'ar­ticle 71, §1er, 2°, du Code (cité supra, no 135), la loi du

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7 décembre 1988 a permis la déduction au titre de charges pro­fessionnelles des intérêts de dettes contractées par des adminis­trateurs ou associés en vue de l'acquisition de parts dans des sociétés belges dont ils retirent des rémunérations (loi du 7 décembre 1988, art. 26, § 2, ultérieurement modifiée, pen­dant la période sous revue, par les lois des 22 décembre 1989 et 27 juillet 1990).

Comme nous l'avons écrit" ailleurs (Le régime fiscal des sociétés en Belgique, 2e éd., no 2.164), cette disposition consti­tue, à notre avis, une hérésie juridique : si un administrateur ou un associé actif d'une société acquiert des parts de celle-ci, ces parts ne sont pas pour autant << affectées à l'exercice de son activité professionnelle>>, mais constituent des éléments de son patrimoine privé, de sorte que les intérêts ne sont pas des frais professionnels, mais des dépenses privées (cf. supra, no 126).

C'est ce qu'a décidé à bon droit, avant la loi du 7 décembre 1988, la cour d'appel d'Anvers dans un arrêt du 17 décembre 1985 (B. C., 1986, p. 1864).

B. Néanmoins, sous le régime antérieur à la loi du 7 décembre 1988, trois arrêts de la cour d'appel de Liège ont admis que les intérêts d'un emprunt contracté pour acheter les parts d'une SA ou d'une SPRL étaient des charges profession­nelles lorsque cet achat avait permis à l'acheteur de devenir administrateur ou gérant de la société et d'acquérir ainsi des revenus professionnels (Liège 11 novembre 1987, J.D.F., 1989, p. 237 ; Liège 27 avril 1988, J.D.F., 1990, p. 176 ; Liège 12 avril 1989, F.J.F., 89/50).

L'Etat s'est pourvu en cassation contre le deuxième de ces arrêts. Il invoquait la violation de l'article 44 du Code, mais aussi de l'article 45, 2°, qui considère notamment comme charges professionnelles << les intérêts des capitaux empruntés à des tiers et engagés dans l'exploitation>> : selon le moyen, <<l'ac­quisition de parts sociales d'une (société de personnes) est, tant pour l'associé actif que pour l'associé non actif, un inves­tissement à titre personnel et non un investissement profes­sionnel, sauf si ... ces parts sociales ont été investies par l'inté­ressé dans une autre activité professionnelle que celle d'associé actif, ce que l'arrêt (entrepris) ne constate pas>>.

On ne pouvait mieux dire.

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Néanmoins, par son arrêt du 19 avril 1990 (Pas., I, n° 487; F.J.F., 90/125), la Cour rejette le moyen : à ses yeux, la cour d'appel a légalement justifié l'application de l'article 44 du Code en constatant que l'emprunt contracté en vue de l'achat de parts sociales avait été, en l'espèce, la condition de la dési­gnation de l'acheteur comme gérant de la société et que, sans cet emprunt, il n'aurait pu acquérir les revenus professionnels imposables. Quant à l'argument déduit de l'article 45, 2°, du Code, la Cour l'écarte au motif que l'énumération de charges professionnelles contenue dans cet article n'est qu'exemplaire.

Cet arrêt encourt des critiques analogues à celles que nous avons formulées au sujet de l'arrêt de la Cour du 25 septembre 1987 (supra, no 126, B).

En ce qui concerne l'article 45, 2°, du Code, <<les intérêts de capitaux empruntés à des tiers >> ne constituent assurément qu'un exemple de charges professionnelles, mais en n' envisa­geant à ce propos que les capitaux << engagés dans l'exploita­tion>> (12), cette disposition édicte une condition de déduction des intérêts. L'article 45, 1°, considère comme charge profes­sionnelle<< le loyer ... afférent aux immeubles ... affectés à l'exer­cice de la profession >> : dira-t-on qu'il s'agit d'un exemple, et que cela n'exclut pas la déduction, au titre de charge profes­sionnelle, du loyer d'un immeuble non affecté à l'exercice de la profession 1

137. DIRIGEANT D'UNE SOCIÉTÉ AYANT CONSENTI À CELLE­

CI DES PR~TS OU AYANT CAUTIONNÉ DES DETTES DE CELLE­

CL - PERTE DU DIRIGEANT RÉSULTANT DE LA FAILLITE DE LA

sociÉTÉ. - Le dirigeant rémunéré d'une société consent à celle-ci des avances, puis la société fait faillite : jugé que la perte de la créance du dirigeant constitue une charge profes­sionnelle déductible dans son chef (dans le cas d'un associé gérant de SPRL: Bruxelles, 22 septembre 1987, F.J.F., 88/7; dans le cas d'un administrateur de S.A. : Liège, 22 mars 1989, B.C., 1991, p. 1309).

(12) Cette expression doit se comprendre comme visant les capitaux «engagés dans l'activité professionnelle>>, car l'article 45 ne concerne pas seulement les «exploitations>> visées à l'article 20, 1°, du Code, mais toutes les professions visées à l'article 20.

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Le dirigeant d'une société se porte caution de certaines dettes de celle-ci ; il doit honorer son engagement sans recours contre la société en raison de la faillite de celle-ci : jugé que cette dépense constitue une charge professionnelle déductible dans son chef (dans le cas d'un associé gérant de SPRL : Bruxelles, 26 mai 1987, R.G.F., p. 245; dans le cas d'un admi­nistrateur de S.A. : Bruxelles, 12 juin 1985, R.G.F., p. 237; cf., dans le cas d'un actionnaire, également commissaire d'une société en commandite par actions, Gand, 14 juin 1985, R.G.F., 1986, p. 197 qui rejette la déduction de la perte tant qu'il n'est pas établi que la caution ne récupérera rien dans la faillite de la société).

Ces décisions se fondent généralement sur la considération que le prêt ou le cautionnement a été consenti en vue de per­mettre la survie de la société et, par là, de sauvegarder les revenus professionnels du dirigeant (cf. , dans le cas où un administrateur ou associé non rémunéré se porte caution de la société, Anvers, 28 juin 1988, B. O., 1989, p. 850 ; Bruxelles, 12 janvier 1988, F.J.F., 88/74; Bruxelles 6 mai 1986, J.D.F., 1987, p. 120; Bruxelles, 12 décembre 1984, J.D.F., 1985, p. 170).

La solution nous paraît inexacte dans le cas du prêt, car la créance du dirigeant contre la société ne constitue pas un avoir affecté à l'activité professionnelle du dirigeant mais un avoir privé (cf., en matière de moins-value sur parts sociales, supra, no 126, B) ; si le prêt est productif d'intérêts, ceux-ci consti­tuent des revenus de capitaux et biens mobiliers bénéficiant, depuis l'exercice d'imposition 1985, du régime du précompte libératoire (supra, no 122), et non des revenus professionnels au sens de l'article 33 du Code, soumis à l'I.P.P. au tarif pro­gressif par tranches.

Si, en revanche, après avoir prêté des fonds à la société, le dirigeant lui consent une remise de dette pour réduire les pertes de celle-ci et permettre sa survie, il s'agit d'un procédé de prise en charge d'une perte de la société et l'admissibilité de la charge professionnelle se pose en termes différents (infra, n° 138).

138. LA PRISE EN CHARGE DE PERTES D'UNE SOCIÉTÉ PAR UN DIRIGEANT DE CELLE-CI. - A. Depuis une loi du 4 août

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1986, à laquelle nous avons déjà fait allusion dans notre précé­dente chronique (nos 138 et 139, cette Revue, 1988, p. 624 et 626}, la prise en charge par le dirigeant d'une société de pertes de celle-ci ne peut constituer une charge professionnelle déductible dans le chef du dirigeant qu'à trois conditions :

- il faut que cette prise en charge se réalise par le versement, irrévocable et sans condition, d'une somme ;

- il faut que ce versement soit effectué en vue de sauvegar­der des revenus professionnels que le dirigeant retire pério­diquement de la société (C.I.R., art. 50, 6°, introduit par la loi du 4 août 1986} ;

- il faut que la société affecte le versement reçu à 1~ réduc­tion de ses pertes.

Le régime issu de cette nouvelle disposition n'a fait l'objet d'aucun arrêt au cours de la période qui fait l'objet de la pré­sente chronique.

B. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1986, les conditions auxquelles la prise en charge d'une perte de la société par un dirigeant de celle-ci pouvait être admise comme charge professionnelle étaient régies par le droit commun de l'article 44 du Code.

La prise en charge de la perte pouvait donc résulter, par exemple, d'une remise de dette (voir, par exemple, Liège 23 septembre 1987, F.J.F., 88/6), ou du transfert de la perte au compte du dirigeant, qui se reconnaît ainsi débiteur de la société (Bruxelles, 4 mars 1986, J.D.F., 1987, p. 103). Dans ce dernier cas, lorsque la prise en charge de la perte a été décidée lors de l'assemblée générale des actionnaires à l'occasion de l'approbation des comptes annuels de l'exercice précédent, elle intervient sans doute pour déterminer le résultat de la société pour cet exercice, mais n'a pas d'effet rétroactif en ce qui concerne la date de prise en charge de la perte par le dirigeant et l'exercice auquel la charge professionnelle de celui-ci se rap­porte (même arrêt).

O. La déduction est subordonnée à la condition que la perte ait été prise en charge par le dirigeant (( en vue d'acquérir ou de conserver des revenus (professionnels) imposables>> (Code, art. 44 ; pour un cas d'application, voir Anvers, 18 février 1985, J.D.F., 1986, p. 30).

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Si le dirigeant ne retire pas de revenu imposable de la société et a pris la perte en charge pour satisfaire à une obliga­tion morale, la déduction ne peut être admise (Bruxelles, 14 novembre 1984, F.J.F. 85/197 ; cf. Liège 15 juin 1986, B.O., 1989, p. 2236).

De même, un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 1er dé­cembre 1987 (B. O., 1988, p. 1709) a refusé à un associé actif d'une SPRL le droit de déduire une perte de celle-ci qu'il avait prise en charge à un moment où la société, mise en liquidation, n'avait plus d'activité.

Au contraire, la cour d'appel de Mons a admis, par un arrêt du 19 décembre 1985 (R. G.F., 1986, p. 224), que l'associé actif d'une SPRL, dissoute de plein droit en 1976 du fait qu'il en avait acquis toutes les parts, pouvait déduire les pertes de la société à cette date parce que, dans l'acte de la liquidation de la société, il s'était engagé << à apurer et à supporter personnel­lement toutes les dettes >> de la société dissoute. Cette décision ne nous paraît pas respecter l'article 44 du Code. L'arrêt invo­que que la << qualité d'associé actif (du contribuable) imprima à ces dettes (de la société), qui lui sont devenues personnelles, un caractère qui est nécessairement professionnel >>. A l'appui de cette affirmation, l'arrêt invoque deux arrêts de la Cour de cassation, mais ceux-ci sont dénués de pertinence : le premier, du 5 octobre 1965 (Pas., 1966, I, 172, et concl. du ministère public), remonte à une époque où les associés actifs des sociétés de personnes étaient traités comme des exploitants, et il se comprend que, sous ce régime, << lorsqu'une perte profes­sionnelle de la société est supportée personnellement par un associé actif. . . elle devient une perte personnelle de ce dernier, à laquelle la qualité d'associé actif imprime un caractère pro­fessionnel>>; le second arrêt, du 1er février 1980 (Pas., I, 639), se borne à énoncer << que la perte de la société ne peut consti­tuer une perte professionnelle propre à l'associé actif que lors­que celui-ci prend la perte à sa charge ... >> : c'est là une condi­tion nécessaire, mais non suffisante pour que l'associé actif puisse déduire la perte à titre de charge professionnelle.

139. LA PRISE EN CHARGE DE PERTES OU LE CAUTIONNE­MENT DE DETTES D'UNE SOCIÉTÉ PAR LE DIRIGEANT D'UNE AUTRE SOCIÉTÉ. - A. Si un actionnaire ou associé d'une

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société prend en charge une perte de celle-ci en vue d'éviter la faillite de celle-ci, il se peut que ce sacrifice ait pour but de sauvegarder la réputation de cet actionnaire ou associé et, par là, de sauvegarder ses revenus professionnels de dirigeant d'une ou plusieurs autres sociétés : en pareil cas, la charge assumée par le dirigeant répond au but d'acquérir ou de conserver des revenus professionnels et peut être déduite (Liège, 23 septembre 1987, F.J.F., 88/6; Bruxelles, 17 octobre 1989, F.J.F., 89/216. - Comp. Bruxelles, 24 novembre 1987, F.J.F., 88/97 ; Bruxelles, 1er octobre 1985, F.J.F., 86/74 ; Bruxelles, 8 mars 1983, R. G. F. , p. 162 : ces trois dernières décisions refusent la déduction au motif qu'en l'espèce, le lien entre la prise en charge de la perte et le but de sauvegarder des revenus professionnels tirés d'autres sociétés n'était pas établi).

B. Dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cas­sation du 11 octobre 1990 (Pas., 1991, I, no 76; F.J.F., 91/7), un contribuable, actionnaire et administrateur d'une société A, avait pris une part modeste dans le capital d'une SPRL G, puis avait cautionné deux emprunts contractés par cette société; à la suite de la faillite de la société G, il avait dû honorer ses engagements de caution, sans recours contre la société G, et avait déduit les sommes ainsi payées de ses reve­nus professionnels, qui provenaient de ses fonctions d' adminis­trateur de la société A. Il faisait valoir que s'il avait cautionné les dettes de la société G, c'était en vue de voir se développer les activités commerciales de cette société. et de développer aussi la clientèle de la société A, les bénéfices de celle-ci et, partant, ses revenus professionnels d'administrateur.

La cour d'appel de Liège refusa la déduction, au motif que l'intéressé n'était pas associé actif de la société G.

A l'appui de son pourvoi, le contribuable invoquait la viola­tion de l'article 44 du Code; il soutenait que<< constituent des dépenses professionnelles déductibles en vertu de cet article les sommes qu'un contribuable a payées en qualité de caution d'une société en vue d'acquérir ou de conserver des revenus professionnels d'administrateur d'une autre société >>.

On le voit, le litige n'était pas relatif à la prise en charge d'une perte de la société G (matière examinée supra, no 138

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et 139, A), mais à l'exécution d'un cautionnement à la suite de la faillite de la société cautionnée (matière examinée supra, n° 137).

Pour rejeter le moyen, la Cour de cassation rappelle les termes de l'article 44, alinéa 1er, du Code, puis énonce que << lorsqu'un associé prend personnellement à sa charge une dette ou une perte d'une SPRL >>, cette dépense n'est déductible dans son chef que s'il retire des revenus professionnels de l'activité de cette société.

Cet arrêt nous paraît critiquable à un double titre.

Tout d'abord, il assimile curieusement le cautionnement d'une dette de la société à la prise en charge d'une perte de celle-ci, alors que ces deux opérations sont fort différentes (13).

Ensuite - ce qui est plus grave -, l'arrêt induit, sans aucune justification, de la condition édictée par l'article 44 du Code ( << en vue d'acquérir ou de conserver des revenus impo­sables>>) une conséquence que cette condition ne comporte nul­lement, qu'il s'agisse du cautionnement d'une dette de la société ou de la prise en charge d'une perte (14)

CINQUIÈME PARTIE

LES SOCIÉTÉS SANS PERSONNALITÉ JURIDIQUE

140. RÉGIME FISCAL DE LA SOCIÉTÉ EN PARTICIPATION. -

Dans les sociétés dénuées de la personnalité juridique, et notamment dans les sociétés en participation, qui exercent une exploitation commerciale (au sens de l'article 20, 1°, du

(13) L'arrêt paraît s'inspirer à cet égard d'un précédent tout aussi malheureux (Cass., 8 novembre 1972, Pas., 1973, I, 237, cité en note sous l'arrêt du ll octobre 1990 à la Pasicrisie). Cette assimilation se retrouve en doctrine : voy. R. RoELANDT, <<La prise en charge de pertes et de dettes sociales par des associés, des gérants, des administrateurs de sociétés>>, J. T., 1991, p. 97 et sui v.

(14) La Cour a-t-elle cru trouver un appui à cette solution dans le sommaire d'un arrêt du 14 février 1978 (Pas., I, 692), cité en note sous l'arrêt du ll octobre 1990 (Pas., 1991, I, no 76) ? Suivant ce sommaire, <<le contribuable ne peut déduire que les dépenses ou charges professionnelles qu'il a faites ou supportées ... en vue d'acquérir ses propres revenus imposables>>. Cette vérité d'évidence est sans rapport avec l'affirmation critiquée au texte.

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C.I.R.), ou une autre occupation lucrative (au sens de l'ar­ticle 20, 3°), les bénéfices ou profits, distribués ou non distri­bués, sont considérés comme des bénéfices ou profits dans le chef des associés, sans distinction entre les associés actifs et les associés non actifs (C.I.R., art. 25 § 1er).

La part de chaque associé dans les bénéfices non distribués est déterminée d'après les stipulations du contrat de société (art. 25, § 2; sur l'application de ce principe dans un cas où l'associé gérant avait renoncé à une somme qui lui revenait en faveur de l'associé participant, voir Cass., 13 mars 1986, Pas., I, n° 449, sur le 3e moyen, 2e branche).

Dans une société en participation, l'associé participant qui n'exerce aucune activité est néanmoins légalement censé exer­cer une activité professionnelle (sur cette fiction légale, voy. notre précédente chronique, no 142, spécialement C, cette Revue, 1988, p. 629 et 630).

Dès lors, l'Administration s'efforce souvent de substituer à la qualification du contrat choisi par les parties la qualifica­tion de société en participation, de manière à taxer au titre de revenu professionnel ce qu'une personne physique, partie au contrat, retire de celui-ci, alors que, à s'en tenir à la qualifica­tion adoptée par les parties, il s'agit soit de profits résultant d'actes de gestion normale d'un patrimoine privé, soit de reve­nus d'immeubles.

Cela se présente particulièrement lorsque le contrat discuté a été conclu entre une personne physique et une société dont cette personne est le principal actionnaire ou associé, et parfois le dirigeant (voy. les espèces analysées infra, nos 141 et 142).

Plusieurs décisions rendues au cours de la période qui nous occupe se prononcent sur pareille contestation.

141. VENTE DE PRODUITS À EXTRAIRE DÉPENDANT DU

PATRIMOINE PRIVÉ OU SOCIÉTÉ EN PARTICIPATION ? - Un nommé V. exploitait personnellement des crayères et fours à chaux. Il constitue en 1969 une SPRL au capital de 500.000 F dont il souscrit avec son épouse la quasi-totalité des parts et dont il est le gérant unique, puis il consent à la SPRL :

un bail de neuf ans sur les cray ères en vue de l'extraction des matières calcaires ;

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- un bail des bâtiments et installations industrielles au loyer de 240.000 F par an;

- un prêt du matériel d'exploitation et de transport.

Par ailleurs, V. cède à la société son permis d'exploitation. Il lui cède en outre son actif non immobilisé (à charge pour la SPRL de payer les dettes), pour un prix de quelque 2.500.000 F, porté par la SPRL au crédit du compte de V.

En 1974, la SPRL est transformée en SA. V. est l'un des deux administrateurs délégués de celle-ci.

Le litige concerne le régime des redevances payées à V. par la société pour les exercices d'imposition 1974 à 1976.

V. considère que le bail qu'il a consenti à la société com­porte une concession de la jouissance des terrains en vue de la vente des matières calcaires qu'ils contiennent, et que cette vente porte sur des éléments de son patrimoine privé et n'est dès lors pas imposable (arg. C.I.R., art. 67, 1 °).

L'administration ne soutient pas qu'il s'agirait d'un bail d'immeuble- ce qui aurait permis de taxer les loyers confor­mément à l'article 7, §1er, 1°, b, et § 2, du C.I.R. (sur la base de 90 % du montant du loyer, diminué du revenu cadas­tral)-, sans doute parce qu'elle estime que cette qualification ne rend pas compte du droit d'extraire le calcaire (cf. Com.I.R., art. 20/96, et la jurisprudence citée; deux arrêts de la cour d'appel de Liège ont toutefois retenu la qualification de bail en pareil cas sans s'arrêter à cette objection : Liège, 16 novembre 1983 et 18 janvier 1984, F.J.F., 84/146 et 165).

L'administration induit cependant des circonstances de l'es­pèce que V. a conclu avec la SPRL, transformée ensuite en SA, une société en participation, de sorte que les redevances par tonne extraite sont imposables dans son chef au titre de bénéfices en vertu de l'article 25 du Code.

Cette thèse est admise par la cour d'appel de Mons dans un arrêt longuement motivé du 23 mai 1984 (F.J.F., no 84/167), qui ne nous paraît guère convaincant.

Pour justifier que V. participait aux pertes éventuelles -élément essentiel du contrat de société-, l'arrêt invoque qu'il s'agit d'un apport en jouissance et qu'il suffit en pareil cas que l'apporteur subisse le risque que sa jouissance ne soit pas

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rémunérée (Cass., 5 septembre 1961, Pas., 1962, I, 29 et note W.G.). Or, en l'espèce, <<s'il est certain que le prix à la tonne (prévu par la convention) reste fixe, le tonnage extrait variera suivant les résultats de l'entreprise au point de devenir éventuellement nul>>, de sorte qu'il y a bien participation aux pertes.

A notre avis, cependant, pas plus que la qualification de bail, la qualification d'apport en jouissance ne nous paraît rendre compte du droit d'extraire les matières contenues dans le sous-sol. Si l'on considère que l'apport a porté sur la pro­priété des produits à extraire, moyennant une contrepartie de 40 F la tonne, où est la participation aux pertes de l' appor­teur?

142. BAIL D'IMMEUBLE OU SOCIÉTÉ EN PARTICIPATION ? -Un contribuable constitue une société anonyme dont il est l'actionnaire majoritaire, puis consent à celle-ci un bail sur des terrains de quelque 10 ha équipés en vue de l'exploitation d'un camping, moyennant une redevance annuelle de 2.000 F indexée par emplacement de camping de 100 m 2

, sans que le nombre d'emplacements puisse être inférieur à 575.

Considérant qu'il s'agit d'un immeuble bâti, loué à une société, la propriétaire déclare à l'I.P.P. un revenu immobilier de 75% du montant des loyers, diminué du revenu cadastral (C.I.R., art. 7, 1er, b, et § 2, texte antérieur à la loi du 19 juil­let 1979).

L'administration soutient que le contrat de bail déguise une association en participation dans laquelle le propriétaire des terrains a fait apport de la jouissance de ceux-ci. Elle en déduit que les revenus du propriétaire doivent être taxés comme des bénéfices d'exploitation sur leur montant brut, à défaut de charges professionnelles justifiées.

Par arrêt du 25 juin 1986 (F.J.F., 87/1), la cour d'appel de Bruxelles rej et te cette thèse : l'apport en société exige que la chose soit mise en commun et, partant, qu'elle subisse le ris­que que cette jouissance ne soit pas rémunérée (Cass., 5 sep­tembre 1961, précité, Pas., 1962, I, 29 et note W.G.). Or, en l'espèce, le propriétaire des terrains avait droit à la redevance calculée sur au moins 575 emplacements, quels que soient les

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résultats de l'exploitation, et même en l'absence de toute occu­pation.

143. VENTE D'UN TERRAIN À LOTIR À UNE SOCIÉTÉ IMMOBI­

LIÈRE POUR UN PRIX DÉPENDANT DU PRODUIT DE LA VENTE.­

SoCIÉTÉ EN PARTICIPATION 1 - Par acte notarié passé en 1969, une dame 0, demeurant à Paris, vend un terrain de quel­que 41 ha, situé dans la région d'Anvers, à une société E, pour un prix comportant deux éléments :

- une somme fixe de 52,50 F au m 2, soit environ 21 mil­

lions F au total ; 25 % du produit net de revente du terrain par la société E, soit avant, soit après lotissement (le produit net s' enten­dant du prix de revente diminué des coûts éventuels d'équipement des terrains supportés par la société E).

Dès 1971, la société E vend une parcelle de près de 5 ha au comité d'acquisition, agissant pour compte du Fonds des Routes, en vue de la construction de l'autoroute Anvers­Bruxelles. Sur le prix obtenu, de quelque 10 millions F, la société E rétrocède 25 % à la dame 0, conformément au contrat de vente de 1969.

L'administration soutient que la partie de l'indemnité d'ex­propriation ainsi rétrocédée à la dame 0 est taxable dans le chef de celle-ci à l'impôt des non-résidents, à titre de bénéfice retiré par un associé (15) d'une société en participation.

Par arrêt du 12 avril 1984 (F.J.F., 84/150), la cour d'appel d'Anvers rejette cette thèse : la convention de 1969 constitue une vente pour un prix qui n'est certes pas entièrement déter­miné au moment du contrat, mais qui est déterminable, ce qui suffit; les biens immobiliers vendus n'ont pas été mis en com­mun mais sont devenus la propriété exclusive de la société E. Par ailleurs, la vente constitue un acte de gestion normale du patrimoine privé de la dame 0, qui avait recueilli le terrain vendu dans la succession de son père.

{15) D'après l'arrêt, l'administration a soutenu que la dame C aurait été associé actif (<< werkend vennoot >>) de l'association en participation, ce qui ne résistait pas à l'analyse des faits de la cause. Le seul fait que la dame C aurait été associée pm·ticipante suffisait cependant à rendre sa part des bénéfices taxable en Belgique en vertu de l'article 25 du Code (cf. supm, na 140).

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Nous nous demandons si le contrat qui était intervenu en l'es­pèce entre la dame C et la société E constituait vraiment une simple vente pour un prix déterminable. En effet, la détermina­tion du prix dépendait, en l'espèce, de l'activité de la société E, qui avait évidemment intérêt à lotir et à commercialiser au mieux les terrains (sauf dans la mesure où ils allaient être expro­priés) : la convention n'avait-elle pas pour effet, dès lors, que la dame C << s'intéressait dans les opérations >> que la société E allait gérer en son propre nom, ce qui est la définition même de la société en participation (loi sur les sociétés, art. 176) ?

Le fait que la propriété des terrains avait été transférée à la société E n'exclut pas, à notre avis, une certaine forme de mise en commun : il arrive, dans une société en participation, que l'associé gérant soit seul propriétaire d'un immeuble, et que les associés participants soient néanmoins intéressés dans le pro­duit de la réalisation du bien, comme s'ils en étaient coproprié­taires :nous avons proposé d'appeler<< biens quasi-sociaux>> les immeubles ainsi mis en commun (notre précédente chronique, cette Revue, 1988, no 143). En l'espèce, la convention aurait donc pu être considérée, à notre avis, comme une société en par­ticipation dans laquelle la dame C, associée participante, faisait un apport mixte (au sens de l'article 117 du Code des droits d'en­registrement), rétribué pour partie par un prix (52,50 Fau m 2

)

et pour partie par des droits sociaux, tandis que la société E, associé gérant, faisait apport de son industrie. Quant à la parti­cipation aux pertes de l'associée participante, elle était limitée, du fait que cette associée recevait une contrepartie de 52,50 F au rn 2 , m:ais elle subsistait dans la mesure où cette contrepartie était de loin inférieure à la valeur vénale des terrains (comme l'indique le fait que l'indemnité d'expropriation de 5 ha s'était élevée à 10 millions F, alors que la partie fixe de la contrepartie convenue pour plus de 40 ha n'était que de 21 millions F).

SIXIÈME PARTIE

LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES ET LES REVENUS ÉTRANGERS

DES SOCIÉTÉS BELGES

144. ÜBJET DE LA SIXIÈME PARTIE. - PLAN. - Comme dans notre précédente chronique (cette Revue, 1988, p. 641,

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no 150), cette sixième partie sera consacrée au droit fiscal international des sociétés (sur le droit fiscal international en général, voyez, à partir d'avril 1989, les chroniques annuelles de L. DE BROE, << Internationaal belastingrecht >>, T.R. V., 1990, p. 241 à 260 ; 1991, p. 265 à 280).

Après un premier chapitre consacré aux règles générales relatives aux conventions préventives des doubles impositions, nous traiterons successivement du régime des sociétés étran­gères (infra, chap. II) et du régime des revenus d'origine étrangère des sociétés belges (infra, chap. III).

CHAPITRE PREMIER.- L'INTERPRÉTATION DES CONVENTIONS PRÉVENTIVES

DES DOUBLES IMPOSITIONS

145. L'ARTICLE 3, § 2, DU PROJET DE CONVENTION DE L'OCDE : LE RECOURS SUBSIDIAIRE À LA <<LEX FORI >> POUR L'INTERPRÉTATION DES TERMES DE LA CoNVENTION.- Le pro­jet de Convention de double imposition recommandé par l'OCDE en 1963 contient une règle générale d'interprétation des Conventions préventives des doubles impositions :

<< Pour l'application de la Convention par un Etat contrac­tant, toute expression qui n'est pas définie a le sens qui lui est attribué par la législation dudit Etat (16) régissant les impôts faisant l'objet de la Convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente>> (art. 3, § 2) (17).

Cette disposition se retrouve, parfois avec d'infimes variantes, dans toutes les conventions belges préventives des doubles impositions (cf. Bernard PEETERS, << De interpretatie van dubbelbelastingovereenkomsten >>, T.F.R., 1993, p. 175 et suiv., spécialement p. 188.)

La législation visée est, en principe, la législation fiscale dudit Etat (B. PEETERS, étude citée, T.F.R., 1993, p. 188 ;

{16) La version de 1977 du projet de convention OCDE vise <<le droit dudit Etat». {17) Le modèle OCDE de 1963 contient en outre des renvois spécifiques à la loi de

l'Etat de la source en ce qui concerne les notions de dividende (art. 10, § 3) et d'intérêt (art. 11, § 3). En ce qui concerne la notion d'intérêt, ce renvoi à la loi interne des Etats a été supprimé dans le modèle révisé de 1977, en vue d'assurer« une plus grande sécurité juridique >> et de mettre les Conventions << à l'abri des changements apportés ultérieure­ment à une législation interne>> (sur ce danger, voy. infr·a, no 147, C).

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voy. cependant, en ce qui concerne l'expression <<biens immo­biliers >>, l'art. 6, § 2, du modèle OCDE, qui se réfère explicite­ment au droit privé).

Comme le texte le souligne, le recours à la << lex fori >> pour l'interprétation d'une expression de la Convention est subsi­diaire : il faut que l'expression ne soit pas définie par la Convention, ou que sa portée ne ressorte pas du contexte. Celui-ci ne consiste pas seulement dans les autres dispositions du traité lui-même, mais dans des éléments extrinsèques, telle rapport du Comité fiscal de l'OCDE (en ce sens, conclusions de M. l'Avocat général D'Hoore précédant Cass., 21 décembre 1990, A. O., 1990-1991, n° 219, spéc. p. 457).

Le renvoi à la << lex fori >> peut conduire à des interprétations différentes d'une même expression de la Convention dans les deux Etats contractants et engendrer ainsi, soit une double imposition, soit l'absence de toute imposition (voy. Hinne­kens, << Statut et méthode d'interprétation des Conventions internationales préventives des doubles impositions>>, R.G.F., 1986, p. 207 et suiv., spéc. p. 209) (18).

146. LE RECOURS À LA <<LEX FORI >>, PAR APPLICATION DE

L'ARTICLE 3, § 2, DE LA CONVENTION BELGO-NÉERLANDAISE,

POUR DÉTERMINER SI SONT IMPOSABLES EN BELGIQUE LES

REVENUS PROFESSIONNELS QU'UN RÉSIDENT DES PAYS-BAS,

ASSOCIÉ D'UNE SPRL BELGE, RETIRE DE CELLE-CI. - L'ar­

ticle 3, § 2, de la Convention belgo-néerlandaise, conclue en 1970, reproduit littéralement l'article 3, § 2, du modèle OCDE (supra, n° 145).

(18) Dans une étude extrêmement fouillée, un éminent auteur britannique a proposé une tout autre interprétation de l'article 3, § 2, du Projet de Convention de l'OCDE. Selon cet auteur, il n'y aurait matière à <• application de la Convention», au sens de cet article, que dans l'Etat de la source du revenu : pour l'application des dispositions de l'ar­ticle 23 du Projet OCDE destinées à éliminer les doubles impositions, l'Etat de la rési­dence devrait seulement se demander si les revenus de son résident sont, « conformément aux dispositions de la présente Convention» (telle qu'interprétée éventuellement d'après la loi interne de l'Etat de la source conformément à l'article 3, § 2) imposables dans (l'Etat de la source))) (J.F. AVERY JoNES et autres, <<The interpretation of tax treaties with particular reference to article 3-2 of the OECD model )), British Tax Review, 1984, p. 14 à 54 et 90 à 108, spécialement p. 50 à 54). Cette interprétation de l'article 3, § 2 évi­terait que le même terme reçoive une interprétation différente dans l'Etat de la source et dans l'Etat de la résidence, avec l'inconvénient signalé au texte. Toutefois, cette inter­prétation n'est généralement pas reçue (voir K. VoGEL et R. PROIUSCH, «Rapport général sur l'interprétation des conventions de double imposition )), Cahiers de droit fiscal interna­tional, vol. 78a [1993], p. 87 et suiv., spécialement p. 113 à 115).

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C'est par application de cet article qu'il faut déterminer si les revenus professionnels retirés d'une SPRL belge par un associé résident des Pays-Bas sont imposables en Belgique.

Comme toutes les Conventions belges préventives des doubles impositions, la Convention belgo-néerlandaise attribue le pouvoir d'imposer les << bénéfices d'une entreprise >> à l'Etat dont l'exploitant de l'entreprise est un résident, sauf si cette entreprise a un établissement stable dans l'autre Etat, auquel cas le pouvoir d'imposition des bénéfices imputables à cet éta­blissement est attribué à ce dernier Etat (art. 7 et 3, § pr, 4°).

La Convention prévoit par ailleurs que << les tantièmes, jetons de présence et autres rémunérations>> reçus par un rési­dent des Pays-Bas qui est administrateur ou associé comman­dité <<d'une société par actions résidente de la Belgique>> sont imposables en Belgique (art. 16, § 2), à moins que ces rémuné­rations ne concernent des fonctions réelles et permanentes exercées dans un établissement stable sis aux Pays-Bas et ne soient supportées comme telles par cet établissement (art. 16, § 3) (19).

Aucune disposition de la Convention ne vise spécialement le cas du résident néerlandais qui retire des revenus profession­nels en tant qu'associé actif d'une société belge de personnes (ni d'ailleurs le cas du résident de la Belgique qui retire des revenus professionnels d'une société néerlandaise autre que par actions dont il est gérant).

A l'époque où la Convention belgo-néerlandaise a été signée, la loi belge rangeait parmi les << bénéfices des exploitations >> les <<bénéfices résultant du travail personnel des associés dans les sociétés ... possédant une personnalité juridique distincte de celle des associés>> (C.I.R., art. 20, 1 o, avant sa modification par la loi du 5 janvier 1976). C'est à titre de <<bénéfices pro­duits à l'intervention d'un établissement belge >> qu'étaient imposables en Belgique les revenus professionnels qu'un non-

(19) Cet article s'écarte de l'article 16 du modèle de l'OCDE, dont le champ d'applica­tion est à la fois plus large - il vise toutes les sociétés - et plus étroit - il ne concerne que <<les tantièmes, jetons de présence et autres rétributions similaires>>.

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résident, associé actif d'une SPRL belge, retirait de celle-ci (C.I.R., art. 140, 3°) {20).

Par application de la règle générale d'interprétation édictée par l'article 3, § 2, les revenus professionnels qu'un résident néerlandais, associé d'une SPRL belge, retirait de celle-ci étaient dès lors régis par l'article 7 de la Convention, relatif aux bénéfices des entreprises : ils étaient donc, en principe, imposables en Belgique, lieu de l'établissement stable (siège de la société belge) où l'activité de l'associé actif non résident était exercée (J.P. LAGAE, << Personenvennootschappen en maatschappen in het Belgisch internationale belastingrecht >>, Mélanges Van Houtte, p. 559 et suiv., spéc. nos 34 à 36 et 41).

Il aurait été sans doute bien difficile de consacrer cette solu­tion en l'absence de l'article 3, § 2, de la Convention.

147. LE RECOURS À LA <<LEX FORT>>, POUR DÉTERMINER SI SONT IMPOSABLES EN BELGIQUE LES REVENUS PROFESSIONNELS QU'UN RÉSIDENT DES PAYS-BAS, ASSOCIÉ D'UNE SPRL BELGE, RETIRE DE CELLE-CI (SUITE). - INCIDENCE DE LA LOI DU 5 JANVIER 1976. - L' ARR1TIT DE LA COUR DE CASSATION DU 21 DÉCEMBRE 1990. - A. Une loi belge du 5 janvier 1976 range désormais les revenus professionnels des associés actifs des sociétés de personnes dans la catégorie des << rémunéra­tions>>, à côté des rémunérations des travailleurs et de celles des administrateurs de sociétés par actions (C.I.R., art. 20, 2°, modifié par la loi du 5 janvier 1976).

En dépit de cette loi, l'Administration belge a persisté à considérer que les revenus professionnels recueillis par les rési­dents néerlandais en tant qu'associés actifs d'une société belge de personnes étaient régis par l'article 7 de la Convention.

B. Cette interprétation de l'article 7 a été contestée par un résident des Pays-Bas, associé gérant d'une SPRL belge : celui-ci a soutenu que les <<rémunérations>> que lui avait ver­sées la société postérieurement à la loi du 5 janvier 1976 n'étaient plus des << bénéfices >> régis par l'article 7 de la Convention, et n'étaient pas pour autant des rémunérations

(20) La loi du 25 juin 1973 a, postérieurement à la conclusion de la Convention belgo­néerlandaise, introduit une disposition visant spécialement, parmi les revenus imposables des non-résidents, les revenus <<de l'activité exercée en Belgique ... en qualité d'associé actif>> dans une société assujettie à l'impôt de sociétés (C.I.R., art. 140, § 2, 3°, e).

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VIsees par l' arlicle 16, qui ne concerne que les sociétés par actions. Il en déduisait que, n'étant spécialement visés par aucune disposition de la Convention, ces revenus profession­nels étaient régis par l'article 22 : << les éléments du revenu d'un résident de l'un des Etats, auxquels les arlicles précé­dents de la Convention ne s'appliquent pas, ne sont impo-sables que dans cet Etat >> ; les rémunérations d'associé actif du résident des Pays-Bas n'étaient donc pas imposables en Belgique (21).

La Cour d'appel de Bruxelles a admis cette thèse par un arrêt du 12 septembre 1989 (F.J.F., 89/164; R.G.F., 1990, p. 27, et obs. BEHAEGHE).

Dans son pourvoi contre cet arrêt, l'Administration a invo­qué un moyen pris de la violation des arlicles 3, § 2, et 7 de la Convention. Elle soutenait, en substance :

que la Convention helga-néerlandaise doit être interprétée suivant la volonté des parlies contractantes à l'époque où elle a été conclue et qu'à cette époque, les deux parlies ont conféré à la Belgique le pouvoir d'imposer les revenus pro­fessionnels qu'un résident des Pays-Bas tire d'une société belge de personnes ; qu'il ne peut être dérogé, sans modification de la Conven­tion, à cette attribution de compétence conférée à l'époque par l'article 7 de la Convention.

Par son arrêt du 21 décembre 1990 (A. O., 1990-1991, no 219, avec les conclusions de M. l'Avocat général D'Hoore ; T.R. V., p. 83 et la note S. VAN CROMBRUGGE ; et, pour la traduction française, Pas., 1991, I, no 219), la Cour de cassation a rejeté

(21) Elles n'étaient vraisemblablement pas non plus imposées aux Pays-Bas. En effet, la SPRL belge est fort proche de la << besloten vennootschap 1> (BV) néerlandaise. Or cette forme de société n'existait pas à l'époque où la Convention belgo-néerlandaise a été conclue, et le Ho ge Raad a considéré qu'en raison de la similitude existant entre la BV et la NV (naamloze vennootschap), il était raisonnable de considérer que l'article 16, § 1"', de la Convention, relatif aux sociétés anonymes, s'applique aux BV (Ho ge Raad, 18 sep­tembre 1985, cité par A. TIMMERMANS, <<Interpretation of double taxation conventions Il, Cahie1·s de d?"Oit fiscal international, vol. 78 a [1993], rapport pour les Pays-Bas, p. 439 et suiv., spéc. p. 453 et 454). Dans ces conditions, il semble bien que les autorités néerlan­daises aient considéré que l'article 16, § 2, s'appliquait aux SPRL belges (cf. infra, no 148). La version néerlandaise de l'article 16, § 2, de la Convention traduit d'ailleurs l'expression << société par actions 1> par l'expression << vennootschap op aandelen 1> et non par le terme<< kapitaalvennootschap 1>. Or, en néerlandais, le terme<< aandelen 1> s'applique aussi bien aux actions d'une<< kapitaalvennootschap 1> qu'aux parts sociales d'une SPRL, qui est une << personenvennootschap 1>.

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le pourvoi. Les motifs de cet arrêt ne nous paraissent pas à l'abri de la critique.

1) Selon l'arrêt, la Convention ne définit pas le sens de l'ex­pression <<bénéfices des entreprises>> (22) et aucune définition déterminée ne peut être déduite du contexte dans lequel cette expression est utilisée. Dès lors, poursuit l'arrêt, << cette expres­sion a, conformément à la règle de l'article 3, § 2, de la Convention, le sens qu'elle a dans l'Etat de l'entreprise, en l'oc­currence, la Belgique. >>

Les termes que nous avons reproduits en italiques nous paraissent erronés. En l'espèce, si <<entreprise>> il y avait, la Belgique n'était pas <<l'Etat de l'entreprise>>, puisque celle-ci était exploitée par un résident des Pays-Bas : la Belgique était tout au plus l'Etat de l'établissement stable où la prétendue entreprise exerçait son activité. En réalité, s'il fallait avoir égard à la loi belge pour interpréter la Convention, c'est parce que la Belgique était l'Etat où la Convention devait être appli­quée (voir texte de l'article 3, § 2), c'est-à-dire l'Etat du for.

2) Revenons à l'arrêt : << suivant la volonté des parties contractantes, la définition de la notion de 'bénéfices des entreprises' de la Belgique relève (23) de la compétence exclu­sive du législateur national belge. Dès lors, la Convention ne restreint pas la compétence du législateur belge pour détermi­ner ou modifier à ce propos l'objet de l'impôt, à condition qu'il ne soit pas porté atteinte aux dispositions des autres articles de la Convention où des éléments de revenus sont traités spé­cialement >>. Cette dernière phrase paraît signifier que la Convention ne restreint pas la compétence du législateur belge pour déterminer ou modifier la notion de << bénéfices des entre­prises>>, pour autant qu'il ne viole pas un autre article de la

(22) Dans sa version originale néerlandaise, l'arrêt vise<< de uitdrukkingen 'onderne­mingswinst' en 'voordelen van een onderneming' », qui figurent dans la version néerlan­daise de l'article 7 de la Convention helga-néerlandaise préventive des doubles imposi­tions. Toutefois, dans sa version française, l'article 7 ne vise que les« bénéfices des entre­prises 1>. La traduction française de l'arrêt à la Pasicrisie porte << que la convention ne définit pas le sens des expressions 'bénéfices des entreprises' et 'profits d'une entre­prise' 1>. Cela est incompréhensible pour un lecteur francophone, qui ne trouve pas l'ex­pression <<profits d'une entreprise 1> dai:J.S la Convention. Cette expression est d'ailleurs malheureuse, car le terme <<profits 1> paraît renvoyer aux profits des professions indépen­dantes régies par l'article 14 de la Convention.

(23) Si la remarque faite au texte, supra, 1, est fondée, il aurait fallu écrire : <<la défi­nition des 'bénéfices des entreprises' au sens de l'article 7 relève, en Belgique, ... 1>.

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Convention qui régit spécialement l'élément de revenu concerné (cf. conclusions du ministère public, A. O., 1990-1991, p. 458).

L'arrêt fonde cette solution non seulement sur l'article 3, § 2, précité de la Convention, mais aussi sur l'article 2. Cet article, après avoir énuméré << les impôts actuels auxquels s' ap­plique la Convention>>, ajoute, en son § 4 : <<la Convention s'applique aussi aux impôts de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplace­raient>>. Cette règle nous paraît cependant étrangère à l'inter­prétation des termes de la Convention ; elle concerne d'ailleurs les impôts auxquels s'applique la Convention, non les revenus qui y sont soumis.

O. L'arrêt est généralement interprété, non sans raison, comme consacrant la conception selon laquelle l'article 3, § 2 des Conventions calquées sur le modèle OCDE commande une interprétation évolutive des termes de la Convention, d'après la lex fori en vigueur pendant la période imposable à laquelle le revenu se rapporte (S. V AN CROMBRUGGE, note précitée, T.R. V., 1991, p. 83 et suiv. ; B. PEETERS, étude citée, T.F.R., 1993, p. 175 et suiv., spéc. p. 189; J. MALHERBE, Droit fiscal international, p. 378).

Il faut toutefois souligner que, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, cette interprétation aboutissait à restreindre le pouvoir d'imposition que la Convention avait initialement attribué à la Belgique.

A notre avis, une telle interprétation évolutive ne pourrait être admise dans l'hypothèse inverse, c'est-à-dire dans le cas où une modification de la loi belge aboutirait, par le biais de l'article 3, § 2, de la Convention, à donner à une expression utilisée par celle-ci une interprétation de nature à étendre le pouvoir d'imposition conféré à la Belgique par la Convention.

Un bon exemple d'un cas de ce genre est fourni par un arrêt de la Cour suprême du Canada du 28 septembre 1982, bien connu en Belgique par la pénétrante étude de droit comparé qu'y a consacrée le professeur K. LENAERTS ( << De voorrang van verdragen bij fiscale normenconflicten. Trefzeker uit­gangspunt of toevallige uitkomst ? >>, T.F.R., 1984, p. 72 à 79, avec extraits de l'arrêt en annexe).

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Postérieurement à la conclusion de la Convention préventive des doubles impositions conclue par le Canada avec la Répu­blique fédérale d'Allemagne (1956), une loi canadienne avait étendu la notion d'intérêt (passible, selon la loi canadienne, d'une retenue à la source de 25 %) aux commissions payées par un résident du Canada à un non-résident en contrepartie de la garantie du remboursement d'une dette contractée par ce résident du Canada. Avant l'entrée en vigueur de cette loi, une banque allemande qui recevait une telle commission n'était imposable sur celle-ci au Canada que si elle y avait un établis­sement stable ; à la suite de cette loi, l'Administration cana­dienne prétendit soumettre ces commissions au régime prévu par la Convention en matière d'intérêts, régime selon lequel l'Etat de la source peut percevoir un impôt à un taux limité.

La Convention germano-canadienne ne comportait pas de définition du terme <<intérêt>>, ni de renvoi spécifique à la loi interne de l'Etat de la source en ce qui concerne cette notion, mais contenait une règle générale d'interprétation analogue à l'article 3, § 2, de la Convention belgo-néerlandaise.

On le voit, dans ce cas, l'interprétation évolutive de la Convention d'après la lex fori applicable à la période impo­sable à laquelle se rapporte le ~evenu aurait permis au Canada d'étendre, par une modification de sa loi interne, le pouvoir d'imposition que lui conférait initialement la Convention.

La Cour suprême du Canada a, dans ce cas, consacré l'inter­prétation historique de la Convention, d'après l'état de la légis­lation du Canada que les Etats contractants pouvaient connaître au moment de la conclusion de la Convention.

Nous pensons que cette solution s'impose également en droit fiscal belge : il n'appartient pas à la Belgique de modifier uni­latéralement à son profit les effets de la Convention, sauf dans la mesure où les termes de celle-ci l'y autorisent (24).

L'arrêt du 21 décembre 1990 contient bien une limitation à l'interprétation évolutive : l'interprétation évolutive d'un

(24) En matière d'intérêts, l'article 11, § 5, de la Convention belgo-néerlandaise inclut dans la notion d'intérêts «les revenus soumis, dans l'Etat d'où ils proviennent, au même régime fiscal que les revenus des sommes prêtées >>, ce qui paraît autoriser la Belgique à étendre son pouvoir d'imposition par une modification de la loi interne (cf. supra, note 16).

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article de la Convention n'est admise par l'arrêt que pour autant qu'elle ne viole pas un autre article de la Convention qui régirait spécialement l'élément de revenu concerné. Ce cor­rectif ne revient-il pas à écarter l'interprétation de la Conven­tion d'après la lex fori dans un type de cas où le contexte de la Convention exige une interprétation différente ?

Les auteurs se montrent en général partisans de l'interpréta­tion évolutive mais proposent des limites à l'application de cette méthode, indépendamment de celle prévue par l'article 3, § 2, du modèle OCDE (voy. S. VAN CROMBRUGGE, note citée, T.R. V., 1991, p. 84 et suiv., spéc. p. 85; J. MALHERBE, Droit fiscal international, p. 36 et 37, et les références citées).

148. LA RÉACTION DE L'ADMINISTRATION À L' ARR~T DE LA CouR DE CASSATION DU 21 DÉCEMBRE 1990. - Les consé­quences que l'administration tire de la jurisprudence sont par­fois surprenantes.

A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1990, l'administration fiscale belge a cru résoudre le problème, suivant la méthode préconisée par le Commentaire administra­tif des Conventions (art. 3/51), par la conclusion d'un accord avec l'administration fiscale néerlandaise dans le cadre de l'ar­ticle 26, § 3, de la Convention belgo-néerlandaise, aux termes duquel << les autorités compétentes des Etats s'efforcent, par voie d'accord amiable, de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels peut donner lieu l'application de la Convention >>.

Selon cet accord, << les revenus d'un associé actif d'une SPRL belge tombent sous l'application de l'article 16 de (la) Conven­tion, relatif aux administrateurs de sociétés par actions >> ( cir­culaire du 22 mai 1992, B. C., 1992, p. 1785).

L'article 26, § 3, de la Convention ne permet évidemment pas aux administrations des deux Etats de déroger à la Convention ou à la loi belge, de sorte que le juge belge (25) ne peut reconnaître un effet à un tel accord : c'est ce que décidera la Cour d'appel de Gand par un arrêt du 20 juin 1996 (F.J.F., 96/114).

(25) Il en est sans doute autrement aux Pays-Bas, eu égard à la version néerlandaise de l'article 16, § 2, et à la jurisprudence citée supm, note 20.

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Pour résoudre le problème sans modification de la Conven­tion, il aurait suffi, à notre avis, d'insérer dans la loi belge un article qui dispose que, pour l'application des Conventions pré­ventives des doubles impositions conclues avant la loi du 5 janvier 1976, les rémunérations des associés actifs de sociétés de per­sonnes (ou, suivant la terminologie issue de l'arrêté de pou­voirs spéciaux du 20 décembre 1996, des dirigeants de sociétés de personnes) sont assimilées à des bénéfices d'entreprises. La Convention n'interdit certainement pas au législateur belge, en cas de modification de. la qualification d'un revenu dans l'ordre interne, de priver explicitement cette nouvelle qualifi­cation de tout effet pour l'application des Conventions préven­tives des doubles impositions.

(à suivre)

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