ÉVOLUTION DU SYSTÈME JURIDIQUE FRANÇAIS(V) · JURIDIQUE FRANÇAIS ? La possibilité de partage...

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1 QUEL COMPLÉMENT POUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ DANS L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME JURIDIQUE FRANÇAIS ? La possibilité de partage des solutions aux problèmes qu’affronte la justice constitutionnelle est due en partie à son caractère universel ; la justice ayant pour fonctions de défendre des principes, des droits et des libertés qui n’ont pas de frontières 1 . Au cours des dernières années, cette défense est devenue une référence obligée dans le cadre du phénomène de l’extension des protections des droits fondamentaux qui caractérise les États contemporains 2 . Dans cet ordre d’idées, le Droit est « un ensemble », où il existe des spécialisations et différentes manières de participation des acteurs pour protéger les droits fondamentaux des justiciables, où l’interconnexion de systèmes juridiques et la coopération des juges constituent la clé, car elles permettent un partage d’expériences, en s’inspirant également des autres modèles juridiques pour un enrichissement des expériences mutuelles afin de rendre la justice. De cette manière, les moyens de protection des justiciables se complètent de telle façon que les mécanismes de protection des droits fondamentaux ne sont pas seulement insérés dans un système national de normes, mais ils sont aussi impliqués dans un réseau complexe de systèmes juridiques coexistants, réseau composé par des règles et par des juridictions 3 . Autrement dit, nous considérons que les systèmes juridiques font partie d’un réseau plus complexe et que dans cette mesure, en ce qui concerne les modèles de justice constitutionnelle, ceux-ci entrent en interaction en vue d’une protection plus vaste des droits fondamentaux du justiciable. Ainsi qu’un auteur le rappelait, chacun doit, dans son parcours personnel, tout faire pour que les hommes ne soient pas considérés comme « des objets » mais « des 1 Dans ce sens, ZAGREBELSKY Gustavo, conférence prononcée le 19 février 2006 lors de sa visite à la Cour Suprême de Justice du Mexique (Suprema Corte de Justicia de la Unión- SCJN-), publiée dans l’ouvrage La Suprema Corte de Justicia de México como tribunal constitucional (La Cour Suprême de Justice du Mexique, tribunal constitutionnel), SCJN, Mexique, août 2006, p. 16. 2 FERRER MAC-GREGOR Eduardo, « Del amparo nacional al amparo internacional (De l’amparo national à l’amparo international) », Revista de investigaciones jurídicas, ELD, 28, Mexique, 2004, pp. 157, 158. 3 Doyen Georges VEDEL, dans l’avant propos de l’ouvrage de EISENMANN Charles, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Economica, 1986, p. XVI.

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QUEL COMPLÉMENT POUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ DANS L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME JURIDIQUE FRANÇAIS ?

La possibilité de partage des solutions aux problèmes qu’affronte la justice

constitutionnelle est due en partie à son caractère universel ; la justice ayant pour fonctions

de défendre des principes, des droits et des libertés qui n’ont pas de frontières1. Au cours

des dernières années, cette défense est devenue une référence obligée dans le cadre du

phénomène de l’extension des protections des droits fondamentaux qui caractérise les États

contemporains2.

Dans cet ordre d’idées, le Droit est « un ensemble », où il existe des spécialisations

et différentes manières de participation des acteurs pour protéger les droits fondamentaux

des justiciables, où l’interconnexion de systèmes juridiques et la coopération des juges

constituent la clé, car elles permettent un partage d’expériences, en s’inspirant également

des autres modèles juridiques pour un enrichissement des expériences mutuelles afin de

rendre la justice.

De cette manière, les moyens de protection des justiciables se complètent de telle

façon que les mécanismes de protection des droits fondamentaux ne sont pas seulement

insérés dans un système national de normes, mais ils sont aussi impliqués dans un réseau

complexe de systèmes juridiques coexistants, réseau composé par des règles et par des

juridictions3. Autrement dit, nous considérons que les systèmes juridiques font partie d’un

réseau plus complexe et que dans cette mesure, en ce qui concerne les modèles de justice

constitutionnelle, ceux-ci entrent en interaction en vue d’une protection plus vaste des droits

fondamentaux du justiciable.

Ainsi qu’un auteur le rappelait, chacun doit, dans son parcours personnel, tout faire

pour que les hommes ne soient pas considérés comme « des objets » mais « des

1 Dans ce sens, ZAGREBELSKY Gustavo, conférence prononcée le 19 février 2006 lors de sa visite à la Cour Suprême de Justice du Mexique (Suprema Corte de Justicia de la Unión- SCJN-), publiée dans l’ouvrage La Suprema Corte de Justicia de México como tribunal constitucional (La Cour Suprême de Justice du Mexique, tribunal constitutionnel), SCJN, Mexique, août 2006, p. 16. 2 FERRER MAC-GREGOR Eduardo, « Del amparo nacional al amparo internacional (De l’amparo national à l’amparo international) », Revista de investigaciones jurídicas, ELD, 28, Mexique, 2004, pp. 157, 158. 3 Doyen Georges VEDEL, dans l’avant propos de l’ouvrage de EISENMANN Charles, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Economica, 1986, p. XVI.

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personnes », et pour favoriser l’expression de la chaleur humaine qui permet aux habitants

de tous les continents de se reconnaître une même origine. Lorsque des hommes prévenants

venus de différentes nations divisées par des frontières et des océans se rencontrent pour la

première fois, ils se rendent compte qu’ils étaient de vieux amis avant même de se

connaître4.

Dans le cadre de ce parcours, le Droit - et notamment la justice constitutionnelle -

permet de parachever l’humanisation des sociétés, les rapprochements entre les hommes

issus de différentes cultures, tandis que la recherche de solutions à l’oppression et aux abus

de pouvoir permettent d’élaborer des modèles juridiques et de partager des expériences.

Ainsi la France est immergée dans un mouvement d’expansionnisme de sa justice

constitutionnelle ; en effet, en France s’est présenté un « big-bang attendu », à savoir, la

question prioritaire de constitutionnalité de la loi, dont il était possible de prévoir l’arrivée5.

Bien que Louis Favoreu ait préconisé en 2001 un recours individuel direct devant le juge

constitutionnel6, la France a fait le choix de la question prioritaire de constitutionnalité.

Dans l’évolution du système juridique français, notamment du contentieux

constitutionnel français a posteriori, la France pourrait-elle franchir le pas vers un recours

direct de contrôle de constitutionnalité ? À quelle fin ? Comment des éléments d’un modèle

juridique externe à la question prioritaire de constitutionnalité française pourraient-ils

influencer et complémenter ce moyen de contrôle de constitutionnalité ? Quel modèle ?

I. POUR UNE ÉVOLUTION DU CONTENTIEUX CONSTITUTIONNEL A POSTERIORI

Le contentieux constitutionnel français se consolide dans une nouvelle

constitutionnalité qui entraîne un changement de défis, rattachés à la consécration d’une

perspective ouverte aux progrès dans le but de faire prévaloir la Constitution. Ces

changements ne devraient pas rester figés, mais continuer à s’ouvrir à l’évolution de la

4 CALAMANDREI Piero, Proceso y Democracia (Procès et démocratie), trad. par FIX ZAMUDIO Héctor, Buenos Aires, 1960, p. 201. (Lors de son séjour au Mexique) 5 Dans ce sens ROUSSEAU Dominique, « La question préjudicielle de constitutionnalité : un big bang juridictionnel ? », RDP, mai-juin 2009, No. 3, p. 632. 6 FAVOREU Louis, « Sur l’introduction hypothétique du recours individuel direct devant le Conseil constitutionnel », in Cahiers du Conseil Constitutionnel, no. 10, 2001, p. 163. Disponible en ligne sur le site http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/pdf_cahiers/cccc10.pdf [ réf. du 22/03/10].

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justice constitutionnelle, qui est l’un des aspects pour achever un État de Droit et pour

accomplir l’exigence du préambule de la Déclaration de 1789 : « que les réclamations de

citoyens, fondées sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien

de la Constitution et au bonheur de tous ».

A. La cristallisation et le dynamisme dans le contentieux constitutionnel français

Il est normal que tout évolue ; la résistance à l’évolution se manifeste par la

« cristallisation », dont le point intermédiaire est constitué par un dynamisme équilibré vers

la régénération. Entre la résistance et l’évolution, le point d’équilibre est comme le bambou,

sa flexibilité lui permet de plier et sa solidité de résister7.

Les systèmes juridiques ont un cycle de vie caractérisé par l’interconnexion et la

cohérence du système ; mais ils tendent à évoluer et tout obstacle à l’évolution entraîne une

cristallisation qui peut aboutir, dans les cas extrêmes, à la mort du système ou à l’absorption

de ce dernier par les systèmes hiérarchiquement supérieurs.

En soi, la cristallisation n’est pas nécessairement négative, car tant qu’elle est

associée à un dynamisme, le mouvement reste possible. Le risque survient quand la

cristallisation n’est pas adaptée aux nécessités ou à la réalité, ce qui peut conduire à la mort

de l’organisme, du système, du sous-système, voire même, le cas échéant, du super système.

Avant l’adoption de l’article 61-de la Constitution, le contrôle de la

constitutionnalité en France n’était pas très développé et était exercé par le Conseil

constitutionnel qui s’assurait a priori de la constitutionnalité des lois. Il devenait de plus en

plus urgent de combler les lacunes de ce système8.

En France, l’absence de contrôle de la constitutionnalité a posteriori ajoutait à la

vulnérabilité des justiciables ; en outre, le justiciable était traité dans le cadre du système

comme un mineur constitutionnel du simple fait que la défense de ses droits fondamentaux

était déléguée à ses représentants9.

7 Dans ce sens, le Sensei CÓRDOVA BUTZE Moisés, mon Sensei, 2eme Dan, professeur d’Aikido dans l’association Aikicalli au Mexique. Paroles prononcées lors de son cours du 3 juillet 2010. Sur la cristallisation, l’évolution et le dynamisme, nous nous inspirons des enseignements du Sensei Córdova Butze 8 Sur les lacunes du système juridique avant l’introduction de l’article 61-1 de la Constitution, voir RODRIGUES VIEIRA Paulo, Les perspectives d’instauration de l’exception d’inconstitutionnalité en France, Thèse de doctorat en droit, Université René Descartes (Paris V), 1992, p. 8 et s. 9 Robert BADINTER cité par ROUSSEAU Dominique, Sur le Conseil constitutionnel. La doctrine Badinter et la démocratie, Descartes & Cie, Paris, 1997, p. 70.

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Cette lacune mettait en évidence un décalage préjudiciable à la légitimité du Conseil

constitutionnel, car la loi n’est pas infaillible ; concernant le caractère faillible de la loi, « la

défense des principes constitutionnels, la défense des droits et libertés ne se délègue pas ;

elle n’est pas l’affaire des représentants, mais celle des citoyens eux-mêmes »10. Ainsi donc,

il semble que le manquement de la part d’une institution française chargée de protéger le

justiciable contre toute violation de ses droits constitutionnels constituait un déni de justice,

le justiciable n’ayant pas toujours la possibilité de faire valoir la contestation des violations

constitutionnelles des droits appartenant à sa sphère juridique devant un tribunal.

Ainsi, le système de justice constitutionnelle français courait le risque d’une

cristallisation qui aurait pu déboucher sur une inefficacité due à sa pétrification ou à son

absorption par un autre système.

En effet, l’absence d’un instrument et d’un organe permettant d’assurer

complètement le respect des droits constitutionnels contre tout acte de puissance peut

conduire à un affaiblissement du système juridique national, idée qui se dégage même de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont l’article 16 dispose : « Toute

Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs

déterminée, n’a point de Constitution ». Ceci se traduisant en déni de justice, compris

comme l’impossibilité pour le prévenu de faire valoir une atteinte à ses droits

constitutionnels auprès d’un juge et de demander que ceux-ci soient protégés11.

Paradoxalement, bien que la justice constitutionnelle française n’ait pas été très

développée, la France a été un pays pionnier en matière de protection des droits de

l’homme, à tel point que la pensée française a inspiré de nombreux systèmes juridiques de

par le monde.

Le mouvement entraîne un changement de situation ou de position ; lorsque les

institutions d’un système n’évoluent pas en fonction de la réalité, elles courent le risque de

perdre leur fonctionnalité et, à plus long terme, de mourir d’inanition ou de manque

d’oxygène.

Le problème qui s’est présenté dans le contentieux constitutionnel français était dû

aux réticences quant au contrôle de la constitutionnalité des lois, réticences qui s’expliquent

10 À ce sujet voir ROUSSEAU Dominique, « Pour une cour constitutionnelle », RDP, 2002, pp. 363-375. 11 Sur le déni de justice voir FAVOREU Louis, Du déni de justice en Droit Public Français, LGDJ, 1964, p. 518.

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par une incompréhension des limites des lois et du fait qu’elles ne sauraient énoncer

n’importe quel contenu ; la fonction du juge constitutionnel devient donc essentielle

s’agissant de statuer quant à la conformité des lois par rapport à la Constitution et de

garantir que les normes hiérarchiquement supérieures soient respectées12 . En outre, le juge

constitutionnel veille à ce que les justiciables soient protégés contre les actes

inconstitutionnels portant atteinte à leurs droits fondamentaux.

De la même manière, l’unité et la cohérence des systèmes juridiques sont assurées

grâce aux mécanismes de contrôle de constitutionnalité, notamment a posteriori : à défaut,

l’absence de relation entre les différentes éléments qui les composent entrave une évolution

coordonnée et harmonieuse.

D’ailleurs, les instruments juridiques processuels ayant pour objet l’effectivité des

dispositions constitutionnelles auprès des tribunaux en cas de violation des droits par les

autorités sont les plus importants et dynamiques, car ils permettent un accord entre les

normes constitutionnelles et les circonstances toujours changeantes et de veiller au respect

et à l’application aux cas concrets du contenu constitutionnel13.

Néanmoins, on se doit de remarquer que même si la France était dépourvue de

contrôle de constitutionnalité a posteriori avant l’introduction de l’article 61-1 de la

Constitution, le modèle de justice constitutionnelle français n’est jamais parvenu à la

pétrification totale en ce qui concerne la protection concrète des droits de ses justiciables.

Il convient alors de se demander s’il existait dans le contentieux constitutionnel

français – malgré les lacunes des dispositifs du contrôle de constitutionnalité a priori14 – un

élément générateur d’évolution et d’adaptation aux besoins en matière de protection des

droits constitutionnels a posteriori ayant permis d’éviter la mort du système et dans

l’affirmative, dans quelle mesure ?

Sur ce point, le juge ordinaire français a adopté une attitude face au Droit

constitutionnel, sans mépriser le contenu des dispositions constitutionnelles, mais en 12 ROUSSEAU Dominique, « La question préjudicielle de constitutionnalité : un big bang juridictionnel ? », RDP, no. 3, mai-juin 2009, p. 632-635. 13 Dans ce sens ZALDIVAR LELO DE LARREA Arturo, « El juicio de amparo a la luz de la moderna justicia constitucional (La procédure d’amparo à la lumière de la justice constitutionnelle moderne », Revista de investigaciones jurídicas ELD, 15, Mexique, 1991, pp. 326 - 327. 14 Sur les lacunes du contrôle de constitutionnalité français avant l’introduction de l’article 61-1 de la Constitution, voir DERRIEN Arnaud, Le Conseil constitutionnel de la Vème République : les lacunes de son contrôle de constitutionnalité, (Mémoire de DEA en droit public), sous la direction du Professeur Slobodan Milacic, Université de Bordeaux IV-Montesquieu, 1994-1995.

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prenant en compte dans ses décisions le respect de la Constitution, soit au travers de

techniques de référence au texte constitutionnel de manière directe ou de manière implicite,

ce qui l’a conduit à protéger les justiciables dans leurs droits et libertés 15.

Dans ce sens, il s’est présenté une certaine synergie entre le Conseil Constitutionnel

et le juge ordinaire ; dans ce dialogue, le juge ordinaire est venu concurrencer le Conseil

Constitutionnel. En effet, le juge ordinaire a montré un intérêt certain pour la Constitution,

en y faisant référence même directement et formellement. Bien qu’au début, le juge

ordinaire ait éprouvé des difficultés pour invoquer la Constitution et les Déclarations des

Droits, étant donné que cela était susceptible d’engendrer un effet de casus belli avec le

Parlement dont la toute puissance se serait vue offensée, il s’est ensuite tourné vers les

principes généraux du droit dont la souplesse lui a permis de tenir compte des principes

consacrés dans la Déclaration de 1789 ou dans le Préambule de la Constitution de 194616.

C’est-à-dire, avant l’introduction de l’article 61-1 de la Constitution, dans les

éléments internes du système juridique français, le juge ordinaire français a contribué à une

meilleure complémentarité des moyens de contrôle par l’usage des normes

constitutionnelles, ceci dans un véritable « système juridictionnel » ; un système juridique

ne se réduisant pas à la somme de ses parties, mais exigeant l’interaction entre les juges et

les éléments qui le composent.

L’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, comme moyen de

contrôle de constitutionnalité a posteriori représente un tournant dans le contentieux

constitutionnel français. Mais, peut-on dire que l’évolution du contentieux constitutionnel

français prend fin avec la mise en application de la nouvelle saisine du Conseil

Constitutionnel aux termes de l’article 61-1 de la Constitution ?

Nous considérons qu’il est important de saluer l’étape importante franchie par la

France avec l’introduction expresse du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori. Il

n’en reste pas moins qu’il faut aussi comprendre où en est le pays en ce qui concerne

l’évolution de son contentieux constitutionnel, dans une perspective de contrôle global de la

constitutionnalité des actes de puissance et de la façon de saisir le juge constitutionnel.

15 BATAILLER Francine, Le Conseil d’État juge constitutionnel, LGDJ, 1966, pp. 576-646. 16 Sur ce point voir DERRIEN Arnaud, Les juges français de la constitutionnalité. Étude sur la construction d’un système contentieux. Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Cour de Cassation : trois juges pour une norme, Bruylant, 2003, 52- 64

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D’ailleurs, nous considérons qu’il possible d’envisager déjà l’étape suivant la

reconnaissance explicite du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori : celle d’un

recours direct en contestation de la constitutionnalité de tout « acte d’autorité » ou « acte de

puissance » afin d’accorder une protection constitutionnelle complète au justiciable.

Sur ce point, il faut souligner que lors des propositions d’amendement au « projet de

réforme constitutionnel de modernisation des institutions de la Ve République », il a été

envisagé, sans succès, d’introduire une saisine directe du Conseil constitutionnel17.

Ces remises en questions vont de pair avec les nouveaux défis qui se présentent à la

justice constitutionnelle française suite à l’introduction du contrôle de constitutionnalité des

lois a posteriori au moyen de la question prioritaire de constitutionnalité. En effet, comme

nous l’observions précédemment, si l’évolution du contentieux constitutionnel français se

heurtait auparavant à l’hostilité au changement, elle doit maintenant se faire de façon

coordonnée et concerner tous les éléments du système pour éviter de retomber dans

l’atrophie.

De plus, une réalité française ne peut plus être ignorée : au vu de la concurrence

entre le juge ordinaire et le Conseil constitutionnel, il faut un contrôle de la

constitutionnalité intégral. Comment intégrer les avancés du Conseil constitutionnel et du

juge ordinaire dans le système juridique français ?

Certes, nous sommes en présence d’une récente reforme en matière du contrôle de

constitutionnalité qui est en voie de se consolider par l’entrée en application de l’article 61-

17 Amendements déposés sur le texte no.820 : Amendement no 504 « ARTICLE 26. l’alinéa 2 de cet article, supprimer les mots : « sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ». « EXPOSÉ SOMMAIRE : » « Les auteurs du présent amendement estiment que la mise en place de « filtres » dans le cadre du recours par voie d’exception risque de perturber le bon déroulement des procès au cours desquels la question préjudicielle aura été excipée par le justiciable, sur une question relative, le cas échéant, à une liberté individuelle ou un droit fondamental. »« En effet, lorsque la question préjudicielle est activée, l’instance s’interrompt. Les filtres retarderont le jugement, ce qui ne peut qu’être dommageable. »« Il est alors préférable que le Conseil soit directement saisi, et d’instituer en son sein une commission des requêtes chargée d’instruire la question posée. » TOMBE Disponible en ligne sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/0820/082000504.asp [réf. du 01/07/2008]. « Amendement no. 505 : » « Article 26 »« Compléter l’alinéa 2 de cet article par la phrase suivante : »« Une commission des requêtes au sein du Conseil constitutionnel statue sur la recevabilité de la question préjudicielle ainsi introduite » RETIRÉ. Disponible en ligne sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/0820/082000505.asp [réf. du 01/07/2008].

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1 de la Constitution, et il est normal, dans ce contexte, de se demander s’il est ou non utile

de proposer un nouveau modèle de contrôle de constitutionnalité.

B. Les relations entre les systèmes juridiques

« La notion de système ne se limite pas à la seule réunion d’éléments mais suppose

l’existence de véritables relations spécifiques entre ces éléments, faites d’interrelations,

d’interactions ou d’interconnexions »18, ces relations n’entraînant pas une fusion mais une

union, tandis que chaque élément conserve ses spécificités.

Le droit constitutionnel peut être analysé comme un sous-système du système

général du Droit. Vu sous cet angle, le contentieux constitutionnel devient sous-système

d’un système constitutionnel plus global19.

Les systèmes de contrôle de constitutionnalité se regroupent dans différents modèles

de juridiction constitutionnelle, les différents systèmes étant en relation avec les modèles de

juridiction constitutionnelle ou pouvant s’y adapter, ou encore se constituer en modèles par

rapport aux autres systèmes20.

Les systèmes juridiques, notamment en ce qui concerne le contrôle de

constitutionnalité, ne peuvent donc pas être considérés comme des éléments isolés, surtout

si l’on part du principe que le Droit constitue en soi un « super-système ».

S’il est vrai que pour des raisons purement didactiques, on peut étudier isolément les

parties d’un tout, il n’en reste pas moins que réduire le tout à ses parties ne permet pas de

voir la réalité dans son ensemble ; or, le Droit est composé d’éléments interconnectés.

On peut aller plus loin en affirmant que le Droit ne connaît pas de frontières et que,

notamment en ce qui concerne les différents systèmes de contrôle de constitutionnalité, il

existe des relations plus ou moins étroites et des points communs qui permettent de les

comparer pour éventuellement faire des propositions visant à compléter et à intégrer tel ou

tel système.

18 MILACIC S., Introduction à l’analyse du discours politique, cours polyc, 1

ère année Deug de droit, Bordeaux,

Librarire Montaigne, 1999-2000, p. 5, cité par DERRIEN Arnaud, Les juges français de la constitutionnalité…, op cit., p. 22. 19 DERRIEN Arnaud, Les juges français de la constitutionnalité…, op cit,., p. 20. 20 Dans ce sens COSSIO DÍAZ José Ramón, juge constitutionnel de la Cour Suprême au Mexique, lors d’une reunion soutenue le 25 août 2010.

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Tel serait le but d’une étude comparative concernant la possibilité d’introduire un

recours direct de contrôle de constitutionnalité dans le système juridique français, sur la

base d’un modèle de contrôle de constitutionnalité des actes de puissance emprunté d’un

autre système juridique, sur la prémisse de respect des institutions juridiques françaises, et

de la compatibilité de systèmes juridiques.

La coopération qui surmonte des frontières en matière de justice constitutionnelle

débouche sur un enrichissement réciproque ; en effet, joindre les efforts permet une

meilleure effectivité dans la protection des droits fondamentaux, garantie qui fait partie du

droit à un tribunal.

Le plus terrible des isolements est celui de l’homme prisonnier de son corps,

incapable de remuer la langue pour exprimer ce qu’il a sur le cœur, incapable d’ouvrir son

cœur à quiconque. Telle est la tragédie de l’homme qui vit dans l’isolement21. D’ailleurs,

nous trouvons un parallélisme avec le Droit, où les systèmes et sous-systèmes du droit

présentent des articulations qui permettent la connexion des parties et leur oxygénation.

Cette unité du droit se manifeste, à titre d’exemple, dans la coexistence des catalogues de

droits, au niveau de leur énonciation et des dispositifs de protection des droits qui peuvent

évoluer vers une protection accrue, grâce au partage des expériences visant à leur permettre

de se compléter les uns les autres.

En matière de contrôle de la constitutionnalité, on ne peut pas s’arrêter au contrôle

purement formel de la constitutionnalité des lois, dès lors qu’on sait que le Droit et la loi

sont deux choses distinctes et que l’infaillibilité de la loi n’est qu’un mythe ; le contrôle de

la constitutionnalité des lois doit ainsi s’étendre aux actes administratifs et juridictionnels, et

même aux actes de puissances privés.

Il nous semble qu’à l’instar de quelqu’un qui prétendrait ne pas évoluer au sein du

système intégral, les mécanismes de protection des droits fondamentaux, et donc de contrôle

de constitutionnalité, ne peuvent fonctionner sans une articulation tant sur le plan légal que

sur le plan constitutionnel.

C’est ainsi qu’il s’explique qu’il soit possible d’influencer et d’introduire dans

d’autres systèmes juridiques étrangers certains modèles de contrôle de constitutionnalité 21 Cité dans l’ouvrage de Taylor Caldwell, La columna de hierro, (La Colonne de fer), traduit par Enrique de Obregón, Grijalbo, Mexique, 1983, p. 80. (Citation traduite par nos soins).

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compatibles empruntés à d’autres systèmes, à condition de tenir compte de leurs

particularités respectives ; à nos yeux, tel serait le cas d’une envisageable procédure

d’amparo en France. La procédure d’amparo22 faisant partie d’un système juridique et

constituant en outre un modèle de contrôle de constitutionnalité, inspire d’autres systèmes

juridiques. Mais, à quel but une vision comparative des systèmes juridiques à cette fin, si la

France a déjà une question prioritaire de constitutionnalité ? En plus, la France étant

considéré par d’autres systèmes juridiques comme le pionner en matière des droits de

l’homme, quel besoin d’envisager une évolution de son contentieux constitutionnel ?

De nos jours, se vouloir « traditionaliste » et s’opposer pour cette raison à tout

rapprochement ou emprunt de mécanismes de contrôle de constitutionnalité pouvant

compléter les nôtres, revient à considérer que le Droit n’est pas un « tout » qui dépasse les

frontières, considération qui peut être particulièrement grave s’agissant de dispositifs

permettant une protection étendue des droits constitutionnels des justiciables et, par là, de la

Constitution elle-même.

Autrement dit, le « nationalisme juridique » a produit tout au long de l’histoire des

retards dus à une incompréhension de l’évolution. Cela dit, il est essentiel de tenir compte

des particularités et des modalités de fonctionnement de chaque système pour savoir

comment résoudre les problèmes et la façon dont devront être appliqués les principes de

l’universelle juridiction constitutionnelle23.

« Une contradiction n’est pas nécessairement destructrice : elle peut être aussi

productrice d’une dynamique » 24. D’autant plus, une modification, non une contradiction,

des institutions juridiques peut produire un dynamisme dans le fonctionnement interne d’un 22 Cette institution a eu son origine dans le projet de Constitution du Yucatán de 1841 (Le Yucatán étant l’un des 31 États fédérés qui constituent le Mexique). L’idée revient plus tard, dans l’Acte des Réformes de 1847 qui donnait de force et vigueur à la Constitution mexicaine de 1824 qui établissait à l’article 25 la création de l’institution de l’amparo, reconnue ensuite dans la Constitution de 1857 et dans la Constitution de 1917 (actuellement en vigueur). Pour cette étude, nous entendons par procédure d’amparo (juicio de amparo), un procès de nature constitutionnelle exercé par voie d’action devant les juges constitutionnels compétents contre des actes de puissance inconstitutionnels, et dont le but est la protection des plaignants (quejosos) de ces actes de puissance inconstitutionnels (aussi bien dans un sens formel que matériel), qui transgressent les droits et libertés constitutionnels des justiciables. L’effet du jugement d’amparo est la restitution de la situation du plaignant (quejoso) avant la violation constitutionnelle si l’acte contesté a des effets positifs, ou l’obligation pour l’autorité responsable (autoridad responsable) de respecter le droit constitutionnel violé, en devant accomplir ce qui est exigé constitutionnellement si les effets de l’acte contesté sont de caractère négatif.( CASTRO Juventino, Lecciones de garantías y amparo, Porrúa, Mexique, p. 355) 23 Ce concept « d’universelle juridiction constitutionnelle » est inspiré des idées de Gustavo ZAGREBELSKY. (conférence prononcée le 19 février 2006 lors de sa visite à la Cour Suprême de Justice du Mexique, publiée dans l’ouvrage La Suprema Corte de Justicia de México como tribunal constitucional (La Cour Suprême de Justice du Mexique comme tribunal constitutionnel), SCJN, Mexico, août 2006). 24 ROUSSEAU Dominique, « Vers un ordre juridictionnel européen des droits et libertés ? L’intégration de la Convention européenne des Droits de l’homme au bloc de constitutionnalité », in Conseil constitutionnel et Cour européenne des Droits de l’Homme. Droits et libertés en Europe, STH, 1990, p. 135.

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modèle de contrôle de constitutionnalité, que cette modification soit explicite ou implicite,

tandis que le système juridique conserve sa cohérence et son unité.

D’ailleurs, l’évolution du contentieux constitutionnel français ne peut se faire de

façon isolée, car elle est liée à l’exigence du constitutionnalisme en matière de garantie

effective des droits constitutionnels, qui tient compte de la dimension formelle et matérielle

des droits fondamentaux énoncés dans des différentes catalogues ainsi que des mécanismes

processuelles pour assurer leur respect.

II. VERS UNE INTÉGRATION DU CONTENTIEUX CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS

Dans le cadre du phénomène de pénétration progressive de la procédure d’amparo

dans la conscience juridique du monde, liée à la volonté d’asseoir la paix sur une nouvelle

conscience humanitaire, volonté dont est par ailleurs issu l’amparo25, nous envisageons

dans le droit positif français ce mécanisme de protection des droits fondamentaux contre les

actes de puissance inconstitutionnels pour l’intégration de son contentieux constitutionnel.

« La question du mode d’introduction de la procédure devant le tribunal

constitutionnel, a une importance primordiale : c’est de sa solution que dépend

principalement la mesure dans laquelle le Tribunal constitutionnel pourra remplir sa mission

de garant de la Constitution » 26.

A. Une saisine directe du Conseil constitutionnel ?

Conformément à l’article 61-1 de la Constitution, la saisine du Conseil

constitutionnel sera faite sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de Cassation, c’est-à-

dire, qu’elle ne sera par exercée directement par le justiciable. Une telle saisine devra

respecter les principes suivants : être simple, sans l’intervention de manœuvres dilatoires

d’un prévenu ; être contrôlée de telle sorte que le Conseil constitutionnel ne soit pas envahi

par une avalanche de recours qui paralyserait son action. En d’autres termes, « seraient ainsi

conciliés l’exigence de sécurité juridique, le respect du Parlement, la nécessité de ne pas 25 TENA RAMÍREZ Felipe, « L’aspect mondial de l’amparo. L’expansion internationale de l’amparo », in México ante el pensamiento jurídico-social de Occidente. Memoria de la Asamblea Anual del Consejo de l’Union Internationale des Avocats,(Le Mexique dans la pensée juridique-sociale d’Occident), dirigé par CHICO GOERNE Luis, Ius, Mexique, 1955, pp. 153-158. 26 KELSEN Hans, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », Annuaire de l’Institut International de Droit Public, PUF, 1929, p. 245.

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engorger le Conseil constitutionnel et le progrès dans la protection des droits

fondamentaux » 27.

Nous considérons que la crainte de l’encombrement du Conseil constitutionnel n’est

pas une raison de fond pour nier l’accès direct du particulier à l’instance constitutionnelle,

et estimons en conséquence, qu’au fil de temps le problème de l’organisation et de la

structure du Conseil constitutionnel doit évoluer28. En effet, pourquoi cette préoccupation

serait-elle limitée à l’engorgement du Conseil, alors que les juges ordinaires, peuvent eux

aussi être victimes d’un tel encombrement augmentant leur déjà considérable charge de

travail ?

L’un des objectifs de l’introduction du contrôle de constitutionnalité a posteriori a

été d’augmenter la confiance du justiciable français dans ses institutions de justice

constitutionnelle, en considération du fait que la France a donné des leçons au monde entier

en matière de droits de l’homme, alors qu’elle n’avait pas institué elle-même une telle

procédure29.

Sur ce point, nous nous demandons pourquoi une confiance totale n’a pas été

accordée au justiciable français pour lui permettre de saisir directement le Conseil

constitutionnel ? En réalité, bien qu’il ne soit plus traité comme un mineur constitutionnel, il

appartient aux juges du fond de décider de transmettre ou non à leur Cour suprême la

question de constitutionnalité et à ces Cours de décider de la transmission subséquente au

Conseil, et non aux particuliers

« Que l’individu puisse s’adresser sans intermédiaire à l’instance qui peut anéantir la

loi, “ expression de la volonté générale”, emblème normatif de la volonté politique, que

27 V. projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, No. 820, déposé le 23 avril 2008 et renvoyé à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Assemblée générale, première lecture. Disponible en ligne sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl0820.asp [réf. du 01/07/2008]. 28 Cependant, nous précisons qu’au « 28 février 2011, le Conseil constitutionnel a rendu 83 décisions portant sur 102 de ces 124 affaires (Sur ces 102, 47 proviennent du Conseil d’État et 76 de la Cour de cassation). Il y a donc 22 affaires en instance. Le Conseil constitutionnel a jugé dans un délai moyen de deux mois ». Information disponible sur le site du Conseil constitutionnel http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/a-la-une/mars-2011-bilan-de-la-qpc-au-1er-mars-2011.53179.html [réf. du 08/03/2011]. 29 M. Jean-Pierre Fourcade, dans la séance du 24 juin 2008 au Sénat. Voir le compte rendu intégral des débats disponible en ligne sur le site www.senat.fr/seances/s200806/s20080624/s20080624013.html [Réf. du 01/07/2008].

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quiconque puisse, dira-t-on, mettre en question la norme générale par excellence, semble

donner le vertige, exaltant pour les uns, angoissant pour les autres »30.

En réalité, la possibilité d’un contrôle de constitutionnalité par saisine directe ne

concerne pas seulement les normes générales, mais aussi les actes administratifs et les actes

juridictionnels. Si l’on considère qu’un contrôle de constitutionnalité concret désigne le fait

d’affranchir le justiciable de sa dépendance par rapport aux tiers, qui respectent ou font

respecter ses droits, en lui permettant de mettre lui-même en cause les actes dont les autres

ont négligé de se préoccuper, le recours direct constituerait alors un renforcement des droits

fondamentaux et une démocratisation civique de la justice constitutionnelle31. En outre,

traiter le justiciable français comme un vrai « majeur constitutionnel », et non comme un

« quasi-majeur constitutionnel » qui dépend encore des intermédiaires pour que sa cause

soit entendue par le juge constitutionnel, constitue également un renforcement du

contentieux constitutionnel.

Á dire vrai, la question de l’introduction d’un recours direct d’inconstitutionnalité

ouvert aux particuliers dans le système de justice constitutionnelle français, n’est pas si

éloignée de la pensée française actuelle, telle qu’en témoigne la récente adoption du

contrôle de constitutionnalité a posteriori32. Dans une telle hypothèse, quelles en seraient

les implications ?

En suivant les idées de M. Favoreu, quels seraient les principaux problèmes soulevés

par une saisine directe, dans notre cas d’étude, à travers d’une envisageable procédure

d’amparo (juicio de amparo) française?

Première question : toutes les lois pourront-elles faire l’objet de la procédure

d’amparo ?

30 Sur ce sujet, voir PFERSMANN Otto, « Le recours direct entre protection juridique et constitutionnalité objective », Les Cahiers du conseil constitutionnel, No. 10, 2001. Disponible en ligne sur le site http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/pdf_cahiers/cccc10.pdf [ Réf. du 22/03/10]. 31 Ibidem. 32 Sur ce point, voir les amendements déposés sur le texte no 820, du projet de modernisation des institutions de la Ve République : amendement no. 504, amendement no. 505. Disponible en ligne sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/reforme_5eme.asp [réf. du 09/04/2010] Voir également les amendements déposés sur le texte no. 993, du projet de modernisation des institutions de la Ve République : amendement no. 292 rect., amendement no. 293. Disponible en ligne sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/reforme_5eme.asp [réf. du 09/04/2010]

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Conformément aux exigences du constitutionnalisme, selon lequel un plus large

contrôle des actes permet d’assurer la suprématie de la Constitution, la question se pose

encore plus loin. Faudrait-il inclure davantage d’actes dans le champ du contrôle de

constitutionnalité français ?

Dans une première perspective, nous envisageons la procédure d’amparo en tant que

solution pour contester d’un côté la loi inconstitutionnelle qui affecte le justiciable sans que

celui-ci ait à attendre d’être dans le cours d’une procédure devant un juge ordinaire pour le

contester, et d’un autre côté pour contester également les actes administratifs et

juridictionnels, ainsi que des actes des puissances privés.

La procédure d’amparo permet de contester la constitutionnalité d’une loi

lorsqu’elle génère un préjudice dans la sphère juridique du particulier, sans qu’il soit

nécessaire d’attendre que cette loi soit applicable à l’occasion d’une instance en cours

devant une juridiction ; ceci est possible par la voie de l’amparo indirecto. Par l’amparo

indirecto on peut contester, par exemple, l’inconstitutionnalité des normes générales

(amparo contra leyes), des actes administratifs (amparo administrativo), et des détentions

arbitraires (amparo habeas corpus).

De son coté, l’amparo directo est soulevé contre des jugements définitifs qui ne sont

susceptibles d’aucun recours ou moyen de défense ordinaire en vertu duquel ils pourraient

être modifiés ou révoqués, soit pour des violations in procedendo qui affectent les défenses

du plaignant (quejoso) et transcendent le résultat de la sentence, soit pour des violations in

iudicando. Dans ce cas, il est aussi possible de contester la constitutionnalité d’une loi étant

précisé que l’acte directement contestable est ici le jugement définitif, et

l’inconstitutionnalité de la loi constitue un grief d’inconstitutionnalité.

La procédure d’amparo serait compatible avec le système français dans la mesure où

le sens de « disposition législative », comprendrait, non seulement un sens formel mais

aussi matériel où seraient comprises des normes juridiques générales comme les lois

constitutionnelles, les lois référendaires, les lois antérieures à 1958, des traités

internationaux, des révisions constitutionnelles, etc.

Deuxième question : faut-il fixer une limite quant aux motifs de la procédure

d’amparo ?

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La procédure d’amparo (juicio de amparo) constitue avant tout un moyen de défense

des droits et libertés constitutionnels dont le but primordial est la protection du justiciable

contre les actes arbitraires des autorités, c’est-à-dire, ampararlos. Amparo (tutelle), est

entendue comme une protection sacrée pour le justiciable contre les actes de puissance

violant ses droits constitutionnels et, qui par conséquent, sauvegarde la suprématie

constitutionnelle tant dans sa partie dogmatique que dans sa partie organique.

Concernant la portée de la protection du juicio de amparo, il est plus exact de parler

des « droits et des libertés constitutionnels » que des « garanties constitutionnelles » (droits

et libertés garantis par la Constitution33) étant donné que le terme « garantie » fait seulement

allusion au ‘mécanisme pour protéger les droits substantifs’. Dans la pratique la procédure

d’amparo s’impose pour protéger les droits constitutionnels, et non seulement ceux

consacrés de manière expresse dans le chapitre de « garanties individuelles » de la

Constitution34.

À ce sujet, nous observons la tendance de la justice constitutionnelle tendant à

accorder une plus vaste protection au justiciable en incluant dans son domaine autant que

possible tous les actes d’autorité qui entament les droits et libertés constitutionnels35.

Troisième question : la procédure d’amparo doit-elle être « subsidiaire », c’est-à-dire

n’être recevable que s’il n’y a pas d’autres recours possibles ?

En effet, l’un des principes qui régit la procédure d’amparo est le principe

d’épuisement, selon lequel l’action d’amparo ne peut être exercée que lorsqu’on a épuisé

tous les recours ou moyens de défense, établis dans la loi qui régit l’acte contesté, qui

auraient pour objet la modification ou l’annulation de l’acte contesté.

33 Dans la Constitution mexicaine (article 103) l’expression « garanties individuelles » est employée, mais dans la protection constitutionnelle octroyée par les juges constitutionnels, elle s’étend aux « droits et libertés constitutionnelles ». Pour sa part, nous tenons compte que la question prioritaire de constitutionnalité ne peut être posée pour n’importe quelle violation de la Constitution, mais pour des droits et libertés constitutionnellement garantis (À ce sujet, voir BON Pierre, « Premières questions, premières décisions », RFDA, no. 4, 26e année, juillet-août 2010, pp. 682-685 ; MATHIEU Bertrand, « La question de constitutionnalité. Quelles lois ? Quels droits fondamentaux ? », Petites affiches, 25 juin 2009, no. 126, p. 128. Disponible en ligne sur le site http://www.lextenso.fr/weblextenso/article/afficher?id=PA200912605&origin=recherche;9 [réf. du 23/11/2010]. 34 Nous considérons que cette distinction entre droit constitutionnel et « garantie individuelle » dans les termes de la procédure d’amparo coïncide avec celle entre le « droit substantif » et la « procéduralisation des droits substantiels » proposé par MILANO Laure dans son ouvrage Le droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, où il est possible de distinguer la « consécration des droits matériels » de la « protection efficace des droits matériels par les garanties nécessaires qui assurent leur exercice ». Op cit., pp. 9-26. 35 Ceci s’accorde avec le phénomène mondial de constitutionnalisation de l’État de droit en vertu duquel plus le nombre d’actes contrôlés est grand, plus le justiciable est protégé, soit face aux actes des pouvoirs publics soit face aux actes des pouvoirs privés.

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Le respect de ce principe permet aux tribunaux constitutionnels de ne pas être

surchargés de manière inutile, de façon à ce que si le résultat que le lésé prétend obtenir

peut l’être par des moyens ordinaires de contestation, il ne sera pas possible d’utiliser la

procédure constitutionnelle. Ce principe permet donc d’éviter les encombrements non-

nécessaires.

Quatrième question : (notre question). Que faire des avancées françaises concernant

le contrôle de constitutionnalité a posteriori déjà existant au sein du contentieux

constitutionnel français ?

Avant l’insertion de l’article 61-1 de la Constitution, les juges ordinaires montraient

déjà un intérêt certain pour la Constitution, en y faisant référence directement et

formellement.

Les juges ordinaires ont alors substitué l’utilisation des principes constitutionnels

par des principes généraux du droit, en renforçant la complémentarité entre le Conseil

Constitutionnel et les juges ordinaires, le Conseil d’État et la Cour de Cassation, évitant

ainsi le dédoublement de l’ordre juridique français36.

Ainsi, seraient pris en compte, les fonctions du Conseil constitutionnel et les progrès

déjà faits dans le même sens, notamment par le Conseil d’État et la Cour de Cassation,

similaires à ladite procédure d’amparo, dans un sens de coordination avec les nouvelles

compétences conférées au Conseil constitutionnel.

B. La nature de la question prioritaire de constitutionnalité en France et d’une envisageable procédure d’amparo française

Pour comprendre quelle est l’étendue et le but premier de la question prioritaire de

constitutionnalité et celle de la procédure d’amparo nous devons faire référence à la nature

de ces deux moyens de contrôle de constitutionnalité a posteriori. Cela, nous permettra-t-il

de donner une idée sur la manière dont ces moyens peuvent subsister de manière

complémentaire, le cas échéant ?

36 Sur ce point voir DERRIEN Arnaud, Les juges français de la constitutionnalité… cit.,pp. 52- 64

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Nous aimerions attirer l’attention sur une particularité française prévue aux articles

23-3 et 23-9 de la LO61-137.Conformément à ces articles, en principe la juridiction sursoit à

statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il

a été saisi, du Conseil constitutionnel. Cependant, une telle règle admet des exceptions, ce

qui peut donner lieu à ce que le juge du fond statue même s’il n’y a pas encore de décision

concernant l’inconstitutionnalité de la loi contesté.

En outre, l’extinction de l’instance à l’occasion de laquelle la question a été posée,

pour quelque cause que ce soit, est sans conséquence sur l’examen de la question.

Cela nous conduit à nous interroger sur le fait de savoir si la question prioritaire de

constitutionnalité instituée en France est un moyen de contrôle de constitutionnalité dont le

but principal est la défense des droits constitutionnels des justiciables, ou bien s’agit-il

notamment d’un moyen de contrôle de constitutionnalité au service du juge dans le cas où

celui-ci a un doute sur l’inconstitutionnalité d’une disposition législative et c’est pourquoi

c’est le juge ordinaire qui transmet la question ?

La question prioritaire de constitutionnalité vise notamment à ce que la sentence qui

sera rendue par le juge ordinaire n’applique pas une norme inconstitutionnelle, et par

conséquent, à ce que le justiciable ne soit pas affecté dans ses droits ; c’est-à-dire, elle est

un contrôle de constitutionnalité de la loi semi-abstrait, préventif de l’application d’une loi

inconstitutionnelle. Pour sa part, la procédure d’amparo est un contrôle de constitutionnalité

concret des actes de puissances inconstitutionnels, à caractère législatif, administratif ou

37 « Article 23-3. « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. » Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté. « La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence. » « En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés. » « Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. » « Article 23-9. Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l'examen de la question. »

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juridictionnel, même des actes de puissances privés38, où le fond de l’affaire est tranché en

tenant compte des circonstances concrètes du litige pour déterminer s’il y a des violations

des droits constitutionnels au préjudice du plaignant (quejoso) et lui octroyer, le cas

échéant, la protection constitutionnelle (ampararlo).

En d’autres termes, la question prioritaire de constitutionnalité se présente comme

un contrôle de constitutionnalité de la loi a posteriori semi-abstrait, préventif de

l’application d’une loi inconstitutionnelle au jugement d’une affaire déterminée ; la question

est transmise au Conseil constitutionnel selon que l’autorité juridictionnelle considère

qu’elle a une question à poser à ce Conseil sur la proposition des parties. Pour sa part, le

juicio de amparo est un contrôle concret de constitutionnalité des actes de puissance

inconstitutionnels, où le fond de l’affaire de l’action d’amparo consiste à déterminer si

l’acte de puissance contesté emporte une violation constitutionnelle à l’égard du justiciable

dans le cas concret.

Ce point est en relation avec le mécanisme de déclenchement et de déroulement de

la question prioritaire de constitutionalité et celui de la procédure d’amparo, où il est mis en

évidence qu’une distinction existe dans ces deux moyens de défense constitutionnelle,

concernant la détermination de celui qui peut saisir le juge constitutionnel et qui dispose de

l’intérêt à agir. Ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité fonctionne par une saisine

indirecte pour que la question d’inconstitutionnalité soit posée au Conseil constitutionnel

tandis que la procédure d’amparo permet une saisine directe du juge d’amparo et une

intervention directe du plaignant (quejoso) dans toutes ses étapes, ce qui serait transposable

en France.

Cela s’explique en raison de ce que la question prioritaire de constitutionnalité a

pour but principal la sauvegarde de la suprématie constitutionnelle et par voie de

conséquence la protection des droits des justiciables; pour sa part, la procédure d’amparo

(juicio de amparo) vise principalement à protéger les droits du plaignant (quejoso) contre

des actes de puissance inconstitutionnels, ce qui permet, par voie de conséquence implicite,

d’assurer le respect de la Constitution.

38 À cet égard, le phénomène de « constitutionnalisation de l’ordre juridique » montre que la séparation entre le Droit public et le Droit privé n’est pas catégorique, car la nécessité de leur respect et de leur protection dans les rapports privés, a pour conséquence que ces droits concernent aussi les relations juridiques réglées par le Droit privé.

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L’idée d’un moyen de contrôle de constitutionnalité par saisine directe du lésé n’est

pas éloignée de la pensée française, ni de sa réalité, ce qui pourrait être réalisable à travers

de la procédure d’amparo, où le plaignant jouirait à tout moment de la legitimatio ad

caussan et de la legitimatio ad processum, ce qui est conforme à la nature et à la ratio de cet

instrument de protection constitutionnelle qu’est le juicio de amparo.

En ce qui concerne les actes objet de contrôle, nous avons déjà précisé que la

question prioritaire de constitutionnalité a pour objet d’assurer la constitutionnalité de

dispositions législatives, comme prévu à l’article 61-1 de la Constitution, et que la

procédure d’amparo vise à contrôler des actes de puissance inconstitutionnels, non

seulement à caractère normatif mais aussi administratif et juridictionnel..

S’agissant du fait que la question prioritaire de constitutionnalité constitue un

contrôle semiabstrait nous voulons dire que c’est un contrôle de constitutionnalité a

posteriori initié à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction ; la

constitutionnalité de la disposition législative contestée est examinée dans son application à

une hypothèse déterminée, mais non en vertu des circonstances concrètes de l’affaire en

cours, de telle manière qu’il n’est pas déclaré par le juge constitutionnel si dans l’affaire en

espèce les droits constitutionnels du justiciable sont violés ou non.

En ce qui concerne la procédure d’amparo, nous la qualifions de contrôle concret de

constitutionnalité en vertu de ce que la sentence d’amparo a pour effet direct de protéger le

plaignant (quejoso) par la détermination de la violation de ses droits constitutionnels dans le

cas concret.

Comme susmentionné, la question prioritaire de constitutionnalité s’analyse donc

comme un moyen préventif pour éviter l’application d’une loi inconstitutionnelle dans un

jugement qui pourrait affecter la sphère juridique du justiciable. L’amparo est un instrument

de réparation des violations constitutionnelles, soit que l’acte contesté ait des effets positifs,

ou des effets négatifs; la sentence prononcée à l’issue de la procédure a pour effet de

restaurer, la situation préalable à la violation des droits constitutionnels lorsque la décision

contestée a eu des effets positifs, ou bien, l’effet de la sentence d’amparo sera de

contraindre l’autorité responsable au respect des droits constitutionnels bafoués et au

respect de la Constitution – lorsque les effets de la décision contestée sont d’ordre négatif.

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Est-ce qu’il serait envisageable d’introduire un contrôle de constitutionnalité a

posteriori à côté de la question prioritaire de constitutionnalité, qui serait initié par action

directe du justiciable auprès du juge constitutionnel, sans besoin d’attendre la mise en

œuvre d’une instance ordinaire, pour contester tant des dispositions législatives que des

actes administratifs et juridictionnels, qui comprendrait en son sein les bénéfices de la

question prioritaire de constitutionnalité avec une étendue plus vaste ?

L’un des scénarios consisterait à conserver la question prioritaire de

constitutionnalité et d’introduire à côté d’elle, la procédure d’amparo dans le contentieux

constitutionnel français. Cette hypothèse aurait une incidence sur les actes objets de

contrôle de ces instruments de contrôle de constitutionnalité ainsi que sur les effets des

résolutions du Conseil constitutionnel.

Si la procédure d’amparo a un domaine de protection qui ne se limite pas à la loi,

mais qui comprend aussi d’autres actes d’autorité tels que les actes à caractère administratif

et juridictionnel, ces actes étant objet d’un contrôle de constitutionnalité par le juge

ordinaire français- ce qui n’est pas reconnu expressément39- et si cette procédure pourrait

intégrer dans sa structure ces avancées françaises concernant un contrôle de

constitutionnalité a posteriori existant même avant l’introduction de l’article 61-1 de la

Constitution, serait-il opportun de faire coexister la question prioritaire de constitutionnalité

à côté de la procédure d’amparo ? Comment ces deux mécanismes se complètent-ils ?

C. Pourquoi l’amparo comme objet d’une étude comparative vers l’évolution du contentieux constitutionnel français?

La procédure « ne fut pas une création d’Aladin et sa lampe magique ni une

trouvaille des chercheurs d’or »40, mais sa genèse se trouve dans la recherche d’un

mécanisme pour mettre à l’abri les droits de l’homme, et dont l’évolution a eu une influence

sur d’autres régimes juridiques et sur des instruments internationaux.

Bien que l’institution d’amparo soit d’origine mexicaine, il n’est plus possible de

dire dans notre monde, où les avancées sont dues à la coopération et au partage

39 Nous soutenons l’hypothèse consistant à ce que le juge ordinaire français réalise un contrôle de constitutionnalité, qui par quelques aspects ressemble énormément au contrôle réalisé par le juge d’amparo, et qui est compatible avec la procédure d’amparo dans sa logique, fonctionnement et protection constitutionnelle octroyée au justiciable. 40 OLEA Y LEYVA Teófilo, « L’aspect philosophique de l’Amparo », in México ante el pensamiento jurídico-social de Occidente, memoria de la Asamblea anual del Consejo de l’Union Internationale des Avocats, sous la dir. de CHICO GOERNE Luis, Ius, Mexique, 1955, p. 115.

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d’expériences sur des sujets qui ne sont pas isolés mais en rapport les uns avec les autres,

que l’amparo a un contexte national. L’amparo est devenu un instrument international

contre les abus des autorités de tout genre dans les mains des juristes et des juges du monde

entier pour faire de cette institution un moyen de défense mondial des droits et des libertés.

Il nous semble que ce sujet a un rapport avec les préoccupations qui ont conduit la France à

instaurer un contrôle de constitutionnalité a posteriori.

Dans l’évolution des systèmes juridiques les solutions retenues doivent tenir compte

du fait que nous avons tous le même principe : être humain. Un être humain, en traversant

les frontières de son pays d’origine, change-t-il son essence, ou est-ce le contexte qui

change ?

Pourquoi une étude comparative pour analyser comment l’amparo pourrait aussi

influencer le contentieux constitutionnel français ?

Nous percevons dans l’analyse de l’activité des juges ordinaires français une

certaine immixtion dans le contrôle de constitutionnalité. Celui-ci ressemble énormément au

contrôle exercé par les juges d’amparo. En effet, parmi les missions des juges figure le fait

de déterminer la règle de droit applicable ; mais reste à savoir si cela justifie l’activité du

juge ordinaire français, en appliquant des dispositions constitutionnelles.

À ce sujet, nous voyons une coïncidence avec le juicio de amparo , dans la manière

où la qualification juridique des erreurs de droits constitutionnels est analysée par le juge

ordinaire français. En effet, il y a des situations dans lesquelles ce juge intervient

implicitement dans un contrôle de constitutionnalité dans le contrôle des jugements41.

De plus, en appliquant la même perspective visant à tirer profit des avancées des

juges ordinaires français, nous considérons qu’il y a des esquisses de l’amparo administratif

dans l’ordre juridique français au motif de certains cas de contrôle des actes administratifs.

À cet égard, nous reprenons l’expérience du Conseil d’État dans un contentieux

constitutionnel, ou dans l’appréciation de la norme afin de déterminer son application, et, le

cas échéant, d’annuler la décision administrative contestée, le juge se prononce sur le

41 À ce titre voir l’arrêt de la Cour de cassation, du 24 septembre 2008, numéro 08-60010. Dans cette affaire, la Cour de cassation a considéré « qu’alors qu’est régulière et ne méconnaît pas le principe d’égalité de traitement garanti par les articles 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et 1, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la décision de l'employeur de s'opposer dorénavant à la désignation, par l'un quelconque des syndicats concernés, d'un délégué syndical tant que le nombre ne sera pas redescendu à celui fixé par la loi, et (que) le tribunal a violé les textes susvisés ».

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champ d’application de la norme de droit en se basant sur les dispositions constitutionnelles

pour conclure que la décision a méconnu la Constitution42.

De plus, dans le contentieux constitutionnel français, le rôle du Conseil

constitutionnel et des juges ordinaires à l’égard du contrôle de constitutionnalité des

engagements internationaux a été l’objet de controverse, aspect qui se présente aussi dans le

cas de la procédure d’amparo.

A ce sujet, nous considérons qu’il faut distinguer deux aspects : le contrôle de la

hiérarchie normative constitutionnelle d’une loi par rapport à un engagement international

et le contrôle de constitutionnalité d’un engagement international strictu sensu (contrôle de

l’engagement international par rapport à la Constitution). Cette distinction permet de

déterminer si les deux hypothèses constituent ou non un contrôle de constitutionnalité et

quel est le juge compétent : le Conseil constitutionnel si cela est un contrôle de

constitutionnalité, ou bien le juge ordinaire43.

Le fait de savoir si le contrôle de conformité de la loi à un engagement international

exercé par les juges ordinaires français (contrôle de conventionnalité des lois) constitue un

contrôle de constitutionnalité, se pose encore après la reconnaissance en France du contrôle

de constitutionnalité a priori. À cet égard, bien que dans le juicio de amparo le contrôle du

respect de la hiérarchie normative prévu à l’article 133 de la Constitution soit exercé par le

juge d’amparo, l’on observe que les juges ordinaires mexicains font aussi respecter dans

leurs décisions la hiérarchie normative mentionnée. Alors, s’agit-il d’un contrôle de

constitutionnalité ?

42 À ce titre, nous observons l’arrêt du 6 mai 2009, no. 319468, où le Conseil d’Etat a analysé les dispositions 2, 10 et 13 du décret du 8 juin 2000 relatif aux officiers, en vertu duquel les officiers sous contrat sont rattachés aux divers corps des officiers de carrière par rapport au décret du Président de la République, en date du 16 décembre 2005, portant nomination et promotion dans l’armée active. Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État a déterminé qu’il n’y avait pas de violation du principe d’égalité de traitement entre agents d’un même corps, ni du principe constitutionnel d’égalité consacré dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. 43 Voir l’article 55 de la Constitution française par rapport à l’article 133 de la Constitution mexicaine : Article 55 de la Constitution française. « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Article 133 de la Constitution mexicaine. « Cette Constitution, les lois votées au sein du Congrès, émanant de cette dernière, les traités internationaux s’avérant en conformité avec celle-ci, tels qu’approuvés par le Sénat après leur signés par le Président de la République, seront la loi suprême de l’Union. Les autorités judiciaires de chaque entité de la Fédération se seront appliqueront la Constitution, les traités et les lois, même au détriment des contenus normatifs contraires, en vigueur au sein des constitutions respectives ou de la législation ordinaire au niveau ». Voir également la décision no. 2010-605 DC du 12 mai 2010 du Conseil constitutionnel, décision 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010, Indemnité temporaire de retraite outre mer ; décision de la Cour constitutionnelle au Mexique dont le titre énonce« Tratados internacionales. Son parte integrante de la ley suprema de la Unión y se ubican jerárquicamente por encima de las leyes generales, federales y locales. Interpretación del artículo 133 constitucional », neuvième époque, chambre plénière SJF, P.IX/2007, XXV, avril 2007, p. 6.

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En outre, tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel No. 82-143 DC, 30

juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, il s’avère que ce Conseil ne reconnaît pas sa

compétence pour contrôler une loi qui intervient dans le domaine réglementaire et que le

juge administratif intervient implicitement dans le contrôle de constitutionnalité du domaine

réglementaire.

Dans cet aspect, quelle est la différence entre le contrôle de légalité et le contrôle de

constitutionnalité ? Cet aspect se présente aussi lors du contrôle des règlements par le biais

de la procédure d’amparo. En général la limite entre actes inconstitutionnels et actes

illégaux, que l’on considère une inconstitutionnalité médiate ou une inconstitutionnalité

immédiate n’est pas si nette. En effet, « il y a une affinité intime entre le contrôle de la

constitutionnalité des lois et celui de la légalité des règlements, du fait de leur caractère

général »44. Alors, quel juge est compétent pour contrôler le domaine réglementaire: le juge

constitutionnel ou le juge ordinaire ?

Un autre point à considérer dans le cas d’une comparaison des possibles influences

du modèle juridique de contrôle de constitutionnalité par le biais de l’amparo dans le

système juridique français, porte sur la recevabilité de la demande constitutionnelle dans le

cas d’une omission législative : soit une omission législative totale où l’objet de contrôle de

constitutionnalité serait constitué par un manquement dans l’accomplissement de

l’obligation de légiférer en violant la Constitution, soit une omission législative partielle

lorsque l’obligation de légiférer n’est pas bien faite par rapport à un minimum de qualité de

la norme 45.

Nous précisons que ces aspects susmentionnés constituent quelques éléments de

comparaison relatifs à l’influence et à l’adaptation du modèle juridique du contrôle de

constitutionnalité « procédure d’amparo » (juicio de amparo) dans le système juridique

français, pour l’intégrer en tenant compte des avancés à cet égard en France46.

44 KELSEN Hans, « La garantie juridictionnelle de la Constitution »…, cit., pp. 103, 104. 45 Sur ce sujet, voir VILLAVERDE Ignacio, « Un nuevo reto para la justicia constitucional. (Un nouveau défi pour la justice constitutionnelle) », IIJ, Série Doctrina Jurídica, No. 135, Mexique, 2007, pp. 57 -73. Cet auteur analyse le sujet relatif à la violation de la Constitution par l’omission du législateur, et les conséquences de son inactivité législative. Il considère que bien que le législateur est un organe qui a un degré important de légitimité démocratique au sein de l’État, il est sujet de contrôle constitutionnel parce qu’il est soumis à la Constitution. Ainsi, la position démocratique du législateur ne lui octroie aucune « lettre de marque » pour mépriser la Constitution et ses obligations constitutionnelles. 46 D’autre sujets de comparaison dans cette matière portent sur le contrôle de constitutionnalité des actes de puissance privés dans l’amparo direct par rapport aux progrès du juge ordinaire français, le contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles, la suspension de l’acte contesté dans la procédure d’amparo en comparaison avec le système français, les effets des décisions du Conseil constitutionnel prévues à l’article 62 de la Constitution par rapport aux effets

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Finalement, nous considérons que l’efficacité des mécanismes de contrôle de

constitutionnalité s’enrichit par la prise en considération de ce que la collaboration entre

systèmes juridiques permet le développement d’instruments efficaces pour protéger les

particuliers contres des actes d’autorité inconstitutionnels qui portent atteinte à leur sphère

juridique. À cette fin, nous trouvons un beau cas de figure dans le contentieux

constitutionnel français, notamment dans le contrôle de constitutionnalité a posteriori par

rapport à la procédure d’amparo, en vue au respect des avancées et des institutions

françaises.

des sentences d’amparo - soit inter partes et/ou erga omnes-, les juges qui participent dans le contrôle de constitutionnalité dans le système juridique français afin d’achever l’uniformisation des critères, etc. Cette étude est réalisée dans notre thèse doctorale relative à l’introduction de la procédure d’amparo en France, par l’Université de Strasbourg, dirigé en France par M. Eric Maulin, et codirigé au Mexique par M. José Ramón Cossío, avec le soutien du Collège doctoral européen.