T E X T E S P O U R L ' I D E N T I T É A L S A C I E N N E .

O B J E T , M É T H O D E , P E R S P E C T I V E S

Eve CERF

Depuis deux siècles, à l'intérieur des états modernes, des minorités ethniques, linguistiques et religieuses affirment leur identité par la production emphatique de textes présentés comme appartenant à leur patrimoine culturel. Ce phénomène apparaît dans la phase non-violente des grands mouvements politiques et littéraires, qui an­noncent la constitution des états modernes, et justifient les luttes d'indépendance des minorités à l'intérieur des états. En France, les manifestations d'identité de groupes minoritaires prennent plus parti­culièrement la forme de revendications régionalistes.

Dans le cas particulier de l'Alsace, région frontière tardivement rattachée à la France, l'identité affirmée traduit les effets du mouve­ment pendulaire de la frontière politique et linguistique. Elle se manifeste dans un contexte de crises sociales et de conflits inter­nationaux.

1. LA CONSTRUCTION DE L'IDENTITÉ

L'identité revendiquée en Alsace s'oppose aux cultures dominantes française et allemande. Elle véhicule des indices d'appartenance tels que l'histoire, la langue, la culture et le territoire. Le choix de ces indices, qui sont modulés en fonction du contexte politique et social, permet de mettre alternativement l'accent sur le consensus commu­nautaire et sur la marginalité des classes défavorisées et dialecto-phones. La mise en scène de l'identité permet de montrer une image cohérente de la population alsacienne ; elle masque les clivages religieux, sociaux et linguistiques, ainsi que les rancunes provoquées par les compromissions avec les dominants successifs.

L'identité alsacienne est essentiellement produite à Strasbourg et dans son arrière-pays, alors que dans la région de Mulhouse, plus industrialisée, la crise de l'identité est polarisée par les conflits

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sociaux. L'émergence de l'identité alsacienne a été favorisée par le romantisme politique et culturel allemand. Par la suite, les mani­festations d'identité alsacienne apparaissent comme un enjeu pour les nationalistes français et allemands.

2. L'OBJET ET LA MÉTHODE

A partir de 1816, les textes alsaciens sont énoncés publiquement dans un contexte de renvendication d'identité. Compte tenu de leurs conditions de production et de leur fonction commune, j 'ai considéré ces récits comme les éléments d'un ensemble complexe, et non comme des objets isolés ayant une signification particulière.

Les textes sont exprimés le plus souvent en dialecte ». Le corpus est constitué de textes anciens et de récits nouveaux ; il comporte des légendes, des contes, des comédies et des fêtes populaires.

2.1. Les textes.

Les textes anciens prennent la forme de la légende, du conte et de la fête populaire. Ces récits figurent dans les répertoires des ethno­logues du XIX e siècle et constituent des versions locales de textes appartenant aux cultures savantes et populaires universelles. La société globale perçoit les textes anciens comme des objets esthé­tiques et un divertissement. Dans les éditions locales, l'intérêt renouvelé du monde contemporain pour ses racines change les recueils de textes anciens en objets de collection de plus en plus somptueux.

L'utilisation des textes anciens par la société globale se traduit par un affaiblissement du sens. Dans le même temps, des minorités actives investissent les textes anciens et des récits nouveaux au profit de leur idéologie. Ce phénomène constitue plus particulièrement l'objet de la présente étude.

Les textes nouveaux prennent la forme du conte merveilleux théâtralisé et de la comédie. A la différence des mythes et des rites organisant la vie des sociétés traditionnelles, les textes pour l'identité, qu'il s'agisse de remise en forme de récits anciens ou de créations nouvelles, se présentent comme des œuvres individuelles, signées par leurs auteurs. Mis en scène par des sous-groupes spécialisés à l'in­tention de la population alsacienne, qui est leur principal destinataire, les textes pour l'identité sont produits et perçus comme appartenant à la culture alsacienne.

1. Les contes et légendes des frères STOEBER ont été publiés en allemand entre 1836 et 1918 sous les titres : Alsa Bilder et Sagert des Elsasses. Les comédies associent des répliques en français et en allemand à l'expression dialectale.

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE 83

2.2. Le système symbolique.

Le corpus des textes pour l'identité alsacienne est caractérisé par l'abondance des récits, la permanence de certains thèmes et le petit nombre des formes narratives. La persistance de ces traits sur un temps long permet de supposer que les textes sont le support d'un système symbolique susceptible de prendre en charge le message du groupe émetteur. Partant de cette hypothèse, l'analyse est fondée sur la mise en évidence du système de signification et sur sa relation avec les conditions de production, de reproduction et d'utilisation des récits 2 .

Le système symbolique a été dégagé en transcrivant les textes sous forme de successions ordonnées de séquences narratives. Cette démarche reprend la phase initiale des méthodes élaborées par E. Souriau 3 , V. P r o p p 4 et Cl. Levi-Stauss 5 pour l'étude de récits séparés de leur contexte ou produits par des sociétés sans histoire. Les étapes suivantes de la méthode mise au point pour l'étude des textes alsacien diffèrent de celles de ces auteurs.

La transcription des textes sous forme de successions de séquences narratives se heurte à une difficulté liée au caractère hétérogène du corpus. Ce dernier comporte en effet, à côté de formes narratives telles que des contes et des légendes, des comédies, des contes mer­veilleux théâtralisés et des fêtes populaires. Ces manifestations, qu'il est convenu d'assimiler à des jeux réglés 6 , obéissent à des scénarios stables. Elles s'expriment par la parole, le geste, le costume, le bruit et la musique. Ces moyens d'expression complémentaires contribuent

2. Pour une présentation détaillée de la méthode élaborée pour l'étude des textes alsaciens et des résultats obtenus voir : Eve CERF, Contes pour l'iden­tité, méthode d'analyse de textes produits en Alsace de J816 à 1980, Notes des « Journées d'études en littérature orale, présentation d'une méthode d'analyse

du conte », organisées par l'ERA 246 du CNRS, Maison des Sciences de l'Homme, du 23 au 26 mars 1982 ; Taies for Identity : method for analyzing texts produced in Alsace from 1816 to 1980, Journal of the Folklore Institute, Indiana, 1983 (à paraître) ; Identité et culture affirmée en Alsace, Colloque « Les cultures populaires ; savoir faire, savoir dire », organisé par la Société d'Ethnologie Française et la Société Française de Sociologie (9 et 10 juin 1983), à paraître.

3. Etienne SOURIAU, Les deux cent mille situations dramatiques, Flammarion, 1950.

4. Claude LÉVI-STRAUSS, La structure du Mythe, Anthropologie Structurale, Pion, 1958.

5. Vladimir PROPP, La morphologie du Conte, Seuil, Collection Point, 1965. 6. Roger CAILLOIS, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Gallimard,

1958, rééd. 1967, p. 43 et Marie MACLEAN, Le jeu suprême, structure et thèmes dans le Grand Meaulnes, Librairie José Corti, 1973.

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à la production globale du sens 7 . L'analyse des scénarios, complétée par l'observation sur le terrain, permet de transcrire les jeux réglés sous forme de séquences narratives. Les récits ayant été à leur tour transcrits sous cette forme, le corpus constitue à présent un ensemble homogène.

A ce stade de l'analyse, il apparaît que les items du corpus véhi­culent tous, sous forme partielle ou complète, une succession unique de séquences narratives, ordonnée par une série de mythèmes quanti­tativement et qualitativement déterminés. Cette série de mythèmes constitue le système symbolique que l'on se proposait de mettre en évidence.

2.3. Les groupements labiles d'images. Le système symbolique se concrétise sous la forme d'images

visuelles et sonores qui préexistent à la production des textes pour l'identité. Ces images constituent des groupements labiles se défor­mant et se recomposant au cours des temps. Les recompositions successives des groupements d'images se cristallisent sous des formes stables, susceptibles de se maintenir dans un contexte différent de celui qui a favorisé leur stabilisation. C'est ainsi que les groupements d'images ont pris la forme des textes et des rites qui, jusqu'à un passé proche, ordonnaient la vie du monde rural en Alsace et dans toute l'Europe du Nord-Est. Ces formes stables ont survécu aux sociétés qui les ont véhiculées jusqu'à nous, en déployant leurs images somptueuses sur la scène de l'identité alsacienne.

2.3.1. Les invariants Les groupements d'images sont capables de permanence et de

variabilité. Leur stabilité se manifeste dans les invariants suivants :

— une situation conflictuelle liée à l'interdit de la vue et de l'inceste,

— la poursuite de la jeune fille lumineuse par un homme sombre, — les décors opposés de ce monde-ci et de l'au-delà, — un accompagnement sonore de coups de tonnerre, de claque­

ments de fouets, de bruits de sonnailles et de rires sardoniques, — un calendrier marqué par les solstices d'hiver et d'été et les

passages de fin de printemps et d'automne. Les invariants se maintiennent selon une sémantique stable. Le

conflit initial oppose toujours un homme sombre et furieux, incamé

7. Algirdas-Julien GREIMAS, Réflexions sur les objets éthno-sémiotiques (Mani­festations poétique, musicale, gestuelle), Actes du « Premier Congrès Inter­national d'Ethnologie Européenne », Paris, 24 au 28 août 1971, Editions G.P. Maisonneuve et Larose, 1973, p. 63 à 72.

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE 85

par un seigneur, un chasseur ou un paysan, à une sainte, une sylphide, une princesse ou une jeune paysanne. Le décor est constitué par les espaces opposés de ce monde-ci et de l'au-delà représentés respecti­vement par le château et le monde souterrain, le village et la forêt, la ville et les faubourgs.

Les invariants s'intègrent dans les trois mythes suivants : Le mythe du chasseur sauvage poursuivant une jeune fille lumi­

neuse ; le mythe fondé sur l'interdit de l'inceste associé à celui de la vue, qui apparaît dans les textes alsaciens sous forme de l'imaginaire conjugée du mythe d'Œdipe ; le mythe de la jeune fille échappant à la poursuite d'un père incestueux par l'engloutissement dans le roc.

Les mythes et leur combinaison reposent sur la structure première : Vie t» Mort •** Re/naissance, qui correspond à la succession des fonctions du héros central des récits, incarné par une jeune fille lumi­neuse. La structure première est reproduite, en écho, par le calendrier interne des textes, marqué par Noël, Carnaval et le Lundi de la Pentecôte. Elles est toujours associée aux motifs du conflit père/fille, de la pérégrination et du mariage forcé. Dans les comédies, la struc­ture première connaît la forme affaiblie : Conflit père/fille ~> Pérégri­nation -+ Mariage.

La structure Vie -* Mort -» Re/naissance prend en charge la conception du temps et la réconciliation avec la mort véhiculées par les grandes religions païennes et chrétiennes. L'émission, dans le langage symbolique des textes, d'un message en rupture complète avec les théories de l'univers adoptées par la société globale, provoque une réponse émotionnelle, déviée sur le conflit qui oppose le groupe émetteur à la société dominante. Cette réponse s'exprime en termes d'adhésion et de rejet ; elle favorise l'émergence d'une identité com­mune à tous les Alsaciens et permet de désigner l'adversaire. Ce dernier est offert à la moquerie, sans qu'il soit jamais fait appel à la haine.

2.3.2. Les variables Dans les textes alsaciens, les variables se caractérisent par leur

relative stabilité. Nous avons retrouvé cette caractéristique dans les textes produits par d'autres minorités actives.

Le jeu des variables autorise l'investissement du système symbo­lique au profit du message idéologique du groupe émetteur. Les variables inscrivent le système symbolique dans l'espace et l'histoire de l'Alsace. Elles font apparaître le conflit ini t ial 8 de chaque récit,

8. Les notions de crise initiale et de fonction médiatrice ont été mises en évidence par Cl. LEVIS-STRAUSS, Magie et Religion in Anthropologie Structurale, o.c., pp. 250 et 254.

86 E. CERF

comme un signifié, dont le signifiant serait l'antagonisme opposant le groupe émetteur à la société dominante. Le conflit initial est surmonté par la jeune fille lumineuse, qui assume les fonctions Vie -+ Mort -* Re/naissance. Par ses qualités morales et par ses choix fondamentaux, la jeune fille lumineuse prend en charge le message du groupe émetteur. La lecture de ce message implique la connais­sance des codes culturels politiques et sociaux de la population alsacienne, ainsi que celle des systèmes correspondants de la société dominante. Dans le cas des textes anciens, le message et le contexte du passé doivent être reconstitués grâce aux données de l'histoire, et mis en relation avec le contexte nouveau.

Le système symbolique qui ordonne les textes alsaciens apparaît ainsi comme relativement stable. Ce système subit cependant des variations réalisées par la redondance ou la perte de certains inva­riants et par le jeu des variables. Le regroupement des récits présentant les mêmes combinaisons d'invariants et de variables permet de constituer des catégories de récits fondées sur la structure. Chacune de ces catégories correspond à la fois à un genre littéraire et à la production de textes au cours d'une période précise de l'histoire de l'Alsace. Les récits légendaires et les contes merveilleux correspondent ainsi à l'amplification du système de signification qui se traduit par la redondance des invariants et la multiplication des variables. Les comédies, au contraire, résultent de la perte de certains invariants et de l'inscription de l'action dans la réalité. Ces récits véhiculent la fronde politique et sociale au cours de périodes de tolérance relative (cf. tableau I).

T A B L E A U I

GENRES LITTÉRAIRES ET HISTOIRE D'ALSACE

1816: une comédie : Der Pfingstmontag (Le Lundi de la Pente­côte) de Georg Daniel Arnold.

1836-1918 : des contes et légendes : Alsa Bilder (Images d'Alsace) de August et Adolf Stceber et Sagen des Elsasses (Légen­des et traditions d'Alsace) de August Stceber.

1900-1918: des comédies au Théâtre Alsacien de Strasbourg. 1919-1939 : des contes merveilleux au Théâtre Alsacien de Strasbourg. 1949: une comédie : Enfin... Redde m'r nim devon (Enfin... N'en

parlons plus), de Germain Muller. 1972-1978 : une fête populaire : Wakes Fassenach (Le Carnaval

des Voyous à Strasbourg) 9

9. Eve CERF, Le Carnaval des Voyous à Strasbourg, Revue d'Ethnologie Française, n° 12, 1982, pp. 176-184.

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE 87

L'approche méthodologique qui vient d'être présentée est illustrée par l'analyse d'un texte ancien et d'un récit nouveau.

3. UN TEXTE ANCIEN : LA LÉGENDE DE SAINTE ODILE

Les légendes des saintes alsaciennes recueillies par les ethnologues du XIX' siècle et reprises dans les textes pour l'identité, obéissent toutes au modèle que nous avons mis en évidence pour la légende de Sainte Odile 10.

Les saintes alsaciennes affrontent le chasseur sauvage, incarné par leur père, frère, mari ou prétendant ; elles se réfugient dans la forêt où elles fondent des abbayes qu'elles dirigent. Leurs légendes inter­prètent les mythes intégrés par les récits alsaciens en fonction d'un message chrétien. L'analyse de ce message montre les mécanismes qui autorisent le réinvestissement du sens ancien au profit d'un message nouveau et révèle la logique paradoxale des textes alsaciens.

La légende de Sainte Odile s'énonce ainsi : Le duc d'Alsace souhaite la naissance d'un fils, ordonne de tuer à

sa naissance sa fille aveugle, Odile. La fillette trouve refuge dans un couvent, recouvre la vue au moment du baptême. Le duc tue son fils, poursuit sa fille pour lui imposer un mariage forcé. Odile est engloutie dans le roc. A son retour le prétendant est foudroyé, le duc renonce à la fureur. Odile fonde un couvent et des hôpitaux, rachète son père à la vie éternelle, meurt dans une aura de lumière, est une sainte au paradis, sa tombe est un lieu de pèlerinage.

La légende de Sainte Odile intègre les mythes directeurs des récits alsaciens : le mythe du chasseur sauvage, celui de l'interdit de l'inceste associé à celui de la vue et celui de l'engloutissement dans le roc.

3.1. Odile et le chasseur sauvage.

En Alsace, le mythe du chasseur sauvage prend la forme suivante : A certaines périodes de l'année, « des cortèges fantastiques de

chasseurs, de soldats, de nègres, de damnés et de cavaliers avec leurs meutes », surgissent avec fracas du néant pour disparaître sans laisser de trace, comme une nuée d'orage. Menée par un géant, un seigneur ou un roi, la chasse fantastique se lance parfois à la poursuite d'un

10. Pour une analyse détaillée du modèle de récit véhiculé par la légende de Sainte Odile voir : Eve CERF, Les Contes Merveilleux du Théâtres Alsacien de Strasbourg, Thèse de 3* cycle. Université de Strasbourg II, 1975 ; La légende de Sainte Odile, un récit de la montagne alsacienne in Croyances, Récits et Pratiques de Tradition, Mélanges Charles Joisten 1936-1981, Le Monde Alpin et Rhodanien, n° 14, 1982.

8 8 E. CERF

animal ou d'une jeune fille lumineuse, à grands renforts d'abois, de sonnailles et de rires sardoniques. La chasse sauvage apporte la fécondité aux champs qu'elle ravage 1 1 .

Le mythe de la chasse sauvage témoigne d'une organisation du monde qui oppose l'espace habité et les champs cultivés à la forêt, domaine de la chasse, des dieux et de la mort. Le temps est rythmé par l'éternel retour du chasseur sauvage. La légende de Sainte Odile intègre les héros et les décors visuels et sonores du mythe dans le temps chrétien, marqué par le rachat des fautes par un tiers et la re/naissance dans l'au-delà.

3.2. Odile et le mythe d'Œdipe.

La légende de Sainte Odile combine le mythe du chasseur sauvage avec le mythe de l'interdit de l'inceste associé à celui de la vue. Ce mythe prend dans la légende la forme de l'imaginaire conjugué du mythe d'Œdipe.

Le mythe d'Œdipe peut être réduit aux propositions suivantes : Le père : refuse la naissance d'un fils qu'il tue symboliquement. Le fils : tue le père — transgresse l'interdit — se crève les yeux —

s'enfonce dans les ténèbres. Si l'on isole les motifs de la légende qui apparaissent également

dans le mythe d'Œdipe, le récit prend la forme conjuguée suivante : Le père : souhaite la naissance d'un fils et le tue — tue symboli­

quement sa fille. La fille : respecte l'interdit — recouvre la vue — fait don de l'im­

mortalité à son père — monte au ciel dans une apothéose de lumière. Le mythe d'Œdipe et la légende de Sainte Odile sont fondés sur ce

que l'on peut appeler le postulat de Laïos 1 2 : l'immortalité du père implique la mort du fils. Les deux récits disent l'échec d'une suc­cession normale des générations en raison du comportement excessif des pères et des enfants. (Les pères sont meurtriers ; les enfants, incapables de choisir des partenaires conjugaux, s'adonnent à l'inceste ou au célibat). Alors que dans le mythe d'Œdipe les excès du fils entraînent la chute du héros, la légende chrétienne interprète le mythe universel, fondé sur l'interdit de l'inceste associé à celui de la vue, en fonction du héros féminin lumineux de la chasse sauvage, marqué positivement. Cette marque positive implique l'inver-

11. D'après Raymond CHRISTINGER, Mythologie de la Suisse Ancienne, Librairie de l'Université Georg, Genève, t. I, p. 16 et August STOEBER, Sagen des Elsasses, éd. Heitz, 1892, t. I, p. 13, 36, 80, 139 et t. II, p. 34, 50, 105, 295, 319.

12. Eve CERF, Les contes merveilleux du Théâtre Alsacien, devenir actuel d'une tradition orale, Cahiers de la Littérature Orale, n° 12, 1983, p. 81-102.

TEXTES POUR L'iDEKTïTÉ ALSACIENNE R9

sion de tous les mythèmes concernant les relations du héros avec un tiers, c'est-à-dire de tous les mythèmes à l'exception de ceux qui gouvernent les relations père/fils (cf. tableau II).

TABLEAU II

LE MYTHE D'ŒDIPE ET LA LÉGENDE DE SAINTE ODILE

COMPORTEMENT DU PÈRE FACE A LA SUCCESSION DES GÉNÉRATIONS

naissance d'un fils

naissance d'une fille

meurtre du fils

meurtre de la fille

Mythe d'Œdipe refusée symbolique

Légende de Sainte Odile souhaitée refusée effectif symbol ique

COMPORTEMENT DES ENFANTS

interdit mariage destin du père

destin du héros

Mythe d'Œdipe transgressé inceste perte de l'immor­

talité

cécité chute

Légende de Sainte Odile

respecté : cécité refus

don de l'immor­

talité

lumière ascension

Dans les deux récits, l'immortalité du père implique la mort du fils.

3.3. Le mythe de l'engloutissement dans le roc et la logique paradoxale des récits alsaciens.

Si l'on retranche de la légende les mythèmes qui apparaissent dans le mythe d'Œdipe et dans celui du chasseur sauvage, on obtient deux séries de séquences ; la première est caractérisée par l'engloutis­sement dans le roc, la seconde véhicule un message chrétien.

Le premier groupe de propositions s'énonce ainsi : La fille : naît aveugle — est emportée par monts et par vaux (fuite

devant le père) — se réfugie au couvent — fuit le mariage forcé (fuite

on E. CERF

devant le père) — est engloutie par le roc — sort du roc — fonde une abbaye de sommet de montagne — fait jaillir une source qui guérit les maladies des yeux — meurt dans une apothéose de lu­mière — est enterrée au sommet de la montagne — monte au ciel — est une sainte.

Les légendes païennes et chrétiennes associent le thème de l'englou­tissement dans le roc à celui de la fuite devant un père ou un frère incestueux ' 3 . Dans la légende de Sainte Odile, les poursuivants sont incarnés par le père et le prétendant de la jeune fille lumineuse.

Les séquences de la légende caractérisées par l'engloutissement dans le roc peuvent être regroupées de la façon suivante : (Tableau I I I ) .

TABLEAU III

DE L'ÉMERGENCE A L'ENGLOUTISSEMENT

Emergence Poursuivant Engloutissement

naissance — / cécité fuite père couvent / —

couvent / vue père roc / au-delà

sortie roc prétendant couvent / sainteté tombe / paradis

Le mythe de l'engloutissement dans le roc est reproduit dans six propositions successives, ordonnées chacune par la structure Vie —> Mort -* Re/naissance 1 4 . De faibles modifications des propositions successives conduisent la jeune fille lumineuse de la naissance à la mort et de la cécité à la lumière, en se fondant sur les associations paradoxales : naissance/cécité ; enfermement/lumière spirituelle ; mort/paradis.

13. Pierre SAINTYVES, Essais de Mythologie Chrétienne, éd. Nourry, 1907, t. II, p. 267-268.

14. Dans certaines légendes alsaciennes, la structure Vie —» Mort —> Re/naissance est reproduite par le motif de l'ours. Ce motif, esquissé dans la légende de Sainte Odile (Odile dort sur une peau d'ours), est redondant dans celle de Sainte Richarde. Le motif de l'ours, secondaire dans les légendes chrétiennes, occupe, avec la même signification, une place centrale dans les rites du Carnaval rural européen ; cf. Claude GAIGNEBET et Marie-Claude FLORENTIN, Le Carnaval, éd. Payot, coll. Le Regard de l'Histoire, 1974, p. 123 et ss.

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE 91

La légende de Sainte Odile obéit à la logique répétitive et paradoxale du mythe 1 5 . Les textes alsaciens obéissent tous à cette logique qui fait tenir ensemble des contraires ; ils se détachent sur le fond de la logique démonstrative du discours politique et de la parole quo­tidienne.

3.4. Odile et le message chrétien.

La légende de Sainte Odile réinterprète les mythes intégrés par les textes alsaciens en fonction d'un message chrétien. Ce message apparaît plus particulièrement dans les séquences suivantes :

La fille du duc d'Alsace : est élevée dans un couvent — recouvre la vue au moment du baptême — choisit la vie conventuelle — fonde des hôpitaux et une abbaye — rachète les fautes de son père — est une sainte — sa tombe est un lieu de pèlerinage.

La légende de Sainte Odile, stabilisée entre le VII* et le XII* siècle sous la forme d'une vie de saint, garde la mémoire du rôle des femmes de la noblesse lors de la christianisation de l'Europe. Celles-ci contribuèrent à la modification des mentalités et à l'affaiblissement de la structure partriarcale des familles par le choix de la vie monacale, la conversion des hommes de leur famille et l'aide aux pauvres, aux faibles et aux malades.

La légende véhicule l'idéologie des groupes qui ont favorisé la christianisation de l'Alsace et marque l'appropriation de héros, de scénarios et de lieux saints au profit du christianisme 1 6 . Ce récit figure dans chacun des recueils de textes alsaciens. Il connaît une audience particulière au cours de l'entre-deux-guerres, alors que « les problèmes de la langue et du maintien des libertés sont au cœur du débat, et [que] s'y ajoutent, dans de multiples cas individuels, les questions d'âge, de formation, de salaire, d'avancement, voir d'édu­cation, de comportement, de dignité » 1 1 . Dans un contexte dégradé par une grave crise culturelle, politique et sociale, le Théâtre Alsacien de Strasbourg transpose la structure et les thèmes de la légende de Sainte Odile dans le langage du conte merveilleux 1 8 .

15. Sur la logique du mythe : Claude LÈVE-STRAUSS, Le champ de l'anthropologie, Leçon inaugurale de la Chaire d'Anthropologie Sociale faite au Collège de France le mardi 5 janvier 1960, reprise dans : Anthropologie Structurale II, éd. Pion, 1973, p. 14; Gilbert DURAND, L'Ame Tigrée, éd. Denoël Gonthier, Bibliothèque Médiation, 1980, p. 160.

16. Laurent THEIS, Dagobert, éd. Fayard, p. 16 à 20. 17. René FUCHS, Henri NONN et Francis RAPP, L'entre-deux-guerres, l'occupation

nazie et la libération (1919-1945), in Histoire de Strasbourg, des origines à nos jours, éd. Denières Nouvelles — Istra 1982, t. 4, p. 416.

18. Eve CERF, Les contes merveilleux du Théâtre Alsacien de Strasbourg, devenir actuel d'une tradition orale, o.c.

92 E. CERF

La présentation depuis deux siècles de récits païens et chrétiens, donnés comme des textes alsaciens, permet aux Alsaciens de se récla­mer d'un passé glorieux, d'affirmer un système de valeurs en dyshar­monie avec le système correspondant de la société dominante et d'affirmer leur identité territoriale, linguistique et culturelle.

4. UN TEXTE NOUVEAU : HERR MAIRE DE GUSTAVE STOSKOPF

La période qui a suivi l'annexion allemande de 1870, a été parti­culièrement favorable à l'affirmation de l'identité alsacienne. Après avoir tenté en vain de refuser l'annexion, les Alsaciens s'intègrent au système politique en place, afin d'obtenir pour leur région l'auto­nomie à l'intérieur de l'Empire Allemand. Ils se trouvent alors devant la menace d'une partition et d'un rattachement aux états allemands voisins en fonction de la religion majoritaire. Les Alsaciens répondent à ce danger par l'affirmation d'une identité culturelle niant tout clivage religieux entre Alsaciens. L'identité ainsi affichée est fondée sur le dialecte et sur les traditions rurales ; elle est justifiée par la création du Musée Alsacien et du Théâtre Alsacien de Strasbourg.

Le Théâtre Alsacien 1 9 produit des pièces se déroulant à la ville ou à la campagne. Les pièces qui se déroulent à la campagne multiplient les signes de prestige de la société rurale alsacienne et servent de cadre à la fronde contre l'occupant. La plus connue de ces pièces, Herr Maire de Gustave Stoskopf, comporte les séquences suivantes :

Le père, coléreux et solitaire, veut imposer à sa fille un prétendant de même statut que lui-même (paysan riche) — ridiculise l'érudit allemand — cherche à plaire au pouvoir — vote pour l'opposition — sous le coup d'une violente émotion autorise le mariage de sa fille avec le prétendant allemand. La jeune fille épouse le prétendant de son choix (de la ville).

Les comédies paysannes reproduisent le modèle mis en œuvre dans Herr Maire, et mettent en scène une intrigue qui s'achève par le rejet des traditions rurales du XIX e siècle. Ce scénario permet la satire des Alsaciens qui, dans une situation économique favorable, colla­borent avec les Allemands. Le Théâtre Alsacien exprime ainsi la fronde politique et prend en charge la modification des mentalités provoquée par l'exode urbain et la modernité. Ces manifestations

19. Eve CERF, Le Théâtre Alsacien, miroir d'une société (1898-1939), Saisons d'Alsace, n° 43 , 1972, p. 336-359.

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE

apparaissent comme un enjeu aux Allemands, qui se proposent « de dévolopper l'individualité de l'Alsace-Lorraine dans le cadre allemand » 2 0 , et aux Français qui les interprètent comme un phéno­mène de résistance à l'occupation 2 1 .

5. APPROPRIATION ET REPRODUCTION

En Alsace, depuis des temps anciens, l'investissement du système symbolique organisant les cultures savantes et populaires de l'Europe du Nord-Est, permet à des minorités actives d'établir des textes codés en fonction d'un message idéologique nouveau. Ces textes mettent en scène des héros qui sont à la fois des personnages mythiques et les acteurs très réels de l'histoire d'Alsace 2 2 . Ce phénomène résulte de la politisation du système symbolique, fondée sur sa capacité de garder la mémoire de faits réels, d'exercer une fonction téléologique sur l'organisation des récits et de prendre en charge les changements successifs de l'ordre culturel.

Le système symbolique se cristallise autour de héros appartenant à l'histoire politique et religieuse de l'Alsace. La légende de Sainte Odile met ainsi en scène des personnages dont l'histoire est connue. Attich, le premier duc d'Alsace vit au VII 8 siècle et donne pour la première fois à l'Alsace son unité et son nom. Son fils lui succède en 722. Le premier duc se convertit au christianisme et fonde l'abbaye de la Hohenbourg. Sa fille, dont rien ne permet de penser qu'elle ait été aveugle, en sera la première abbesse 2 3 .

20. WEDEL, officier et diplomate allemand, cité par Fernand l'HuilIier, L'Alsace dans le Reichsland in Histoire d'Alsace, Privât, 1970, p. 451.

21 . Henri SCHOEN, Le Théâtre Alsacien de Strasbourg, éd. La Revue Alsacienne illustrée, 1903, p. 13.

22. Eve CERF, Les contes merveilleux... Thèse de 3 E cycle o.c , pp. 9 et 10. Les contes merveilleux du Théâtre Alsacien, devenir actuel d'une tradition orale, o.c. On notera les traits communs de Mélusine et de la jeune fille lumineuse, héros central des récits alsaciens. Ces deux jeunes femmes bâtissent et défri­chent inlassablement. Elles apparaissent de façon intermittente et sont associées à l'eau, à la lumière et à la guérison. Un personnage masculin, transgresseur d'interdit, les poursuit dans ce monde-ci et dans l'au-delà. Cependant, alors que la jeune fille lumineuse, porteuse de valeurs chrétiennes, construit des abbayes et rachète les fautes du héros masculin, Mélusine disparaît à tout jamais à la suite de la transgression de l'interdit par le héros masculin. Mélusine, « maternelle et défricheuse », est l'ancêtre de familles illustres. A l'opposé, la jeune fille lumineuse refuse les rôles d'épouse et de mère et peut marquer la fin de grandes familles. Sur Mélusine : cf. Jacques LE GOFF et Emmanuel LE ROY LADURIE, Mélusine maternelle et défri­cheuse in Annales E.S.C. 1971, p. 587-622; Claude LECOUTEUX, Mélusine et le Chevalier du Cygne, éd. Payot, col. Le Regard de l'Histoire, 1982.

23. Philippe DOLLINGER, DU Royaume Franc au Saint Empire (v. 450-v. 1000), in Histoire d'Alsace, o .c , pp. 57-75.

94 E. CERF

Alors que la légende dit les hauts faits de personnages historiques, la comédie Herr Maire met en scène des héros anonymes appartenant à la couche aisée de la paysannerie alsacienne du siècle dernier. Ces textes reproduisent des éléments de structures sociales et de codes culturels du passé. Leur organisation interne est cependant com­mandée par le mythe du chasseur sauvage et de la jeune fille lumineuse.

La jonction téléologique s'exerce sur la transmission de l'histoire et l'élaboration des récits. Cette fonction s'étend aux textes exo­gènes. Des contes de Perraul t 2 4 , un conte de G r i m m 2 5 et trois comédies de Molière 2 6 , intégrés au répertoire du Théâtre Alsa­cien de Strasbourg, ont ainsi été réorganisés en fonction du système symbolique qui commande les textes alsaciens.

Le système symbolique s'est de plus révélé capable de prendre en charge les changements successifs de l'ordre culturel. Le corpus des textes alsaciens permet de déterminer au moins quatre niveaux de réaménagement correspondant à l'établissement de formes stables de textes. Ces quatre niveaux se retrouvent dans l'ensemble de l'Europe du Nord-Est.

— Le niveau archaïque organise l'univers en fonction du culte d'Odin et stabilise le mythe de la chasse sauvage.

— Le niveau médiéval interprète le mythe archaïque en termes chrétiens et établit la vie des saints locaux.

— Le niveau récent présente les récits archaïques et médiévaux comme des récits alsaciens. Il stabilise des récits nouveaux qui pren­nent en charge la modification des mentalités consécutive à l'exode urbain et à la révolution industrielle.

— Le niveau contemporain réinterprète le récit des effets de la seconde guerre mondiale sur la société alsacienne.

Les textes sont accueillis avec faveur en raison de leur forme poétique et de leur efficacité symbolique. La consécration d'une identité fondée sur la réorientation des valeurs et la reconstitution de l 'histoire 2 7 , permet à la population alsacienne de surmonter la situation paradoxale où l'enferme la peur de perdre son identité, alors qu'elle est engagée dans un processus d'intégration et de pro­motion sociale périodiquement remis en question par les guerres et les crises sociales.

24. Nany SCHLEIFER-GUTBUB, '5 Lumpe-Princessel (Cendrillon) ; Ernest FUCHS, De Katzemigger (Le Chat Botté).

25. Fritz STEPHAN, Tischel Deck Dich, (Petite table dresse-toi). 26. Germain MUIXER : D'r Gizhals (L'Avare) ; Claus RHEINBOLD, D'r Don Juan

(Don Juan) ; D'r Inbeldungs Krank (Le Malade Imaginaire).

TEXTES POUR L'IDENTITÉ ALSACIENNE 95

Le modèle élaboré pour la construction de l'identité alsacienne peut être immédiatement adapté à l'étude de l'identité affirmée par d'autres minorités ethniques, culturelles ou religieuses.

C O N C L U S I O N

Le statut et la fonction des textes alsaciens ont été dégagés par des méthodes qui ne séparent pas le récit de son contexte, la forme du fond. Plutôt que de mettre l'accent sur « l'admirable arrangement syntactique d'un discours qui ne dit rien » 2 8 , cette approche s'attache à la signification des récits et précise les enjeux du conflit qui oppose le groupe émetteur à la société dominante. Les textes alsaciens sont caractérisés par leur unité structurelle et sémantique ; leurs variations formelles correspondent à une réappropriation du sens en fonction du contexte politique et social.

Le système symbolique qui commande les textes s'ordonne autour d'un héros central préexistant à l'affirmation d'une identité alsacienne. L'épiphanie de ce personnage, incarné par une jeune fille lumineuse, permet de dégager les mécanismes autorisant la constitution de héros nationaux.

La structure première des textes alsaciens véhicule une vision eschatologique du temps et de la mort qui suscite une réponse émotionnelle, exprimée en terme d'adhésion et de rejet. Cette position favorise l'émergence d'une identité commune à tous les Alsaciens et permet de désigner l'adversaire. En se fondant sur la moquerie, une province dont les attaches nationales, linguistiques et culturelles ont été périodiquement remises en question, fait ainsi face à l'assi­milation sans appel à la haine.

La production de textes par une population minoritaire s'inscrit dans une stratégie non-violente d'efficacité politique. Elle vise à terme la reconnaissance de droits et une modification des institutions.

27. La tragi-comédie : Enfin... Redde m'r nimm devon (Enfin... N'en parlons plus) de Germain MULLER, présentée en 1949 et périodiquement rejouée par la suite, offre un exemple relativement récent de ces mécanismes. La pièce montre, au cours d'une veillée de Noël cinq fois reproduite, les tribulations d'une famille alsacienne au cours de la dernière guerre ; la chasse sauvage déferle sur l'Europe, le père est humilié, le fils tué et Chriskindel sauvegarde la vie et l'espoir d'un renouveau.

28. Paul RICŒUR, Claude Lévi-Strauss, Réponses à quelques questions, Esprit n° 11 , 1963, p. 637.

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2. Programme du Théâtre Alsacien de Strasbourg, 1901.

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3.GREBER § û.STOSKOPF

5. D'Heimet (Le Pays), Livret du Théâtre Alsacien de Strasbourg, 1900.

6. E Démonstration (une manifestation), Répertoire du Théâtre Alsacien Strasbourg, 1903.