Etudes et Travaux n° 14 - lasdel.net · Un premier schéma de décentralisation préconisé par le...

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1 LASDEL Laboratoire d’études et recherches sur les dynamiques sociales et le développement local _________ BP 12901, Niamey, Niger – tél. (227) 72 37 80 BP 1383, Parakou, Bénin – tél. (229) 61 16 58 Observatoire de la décentralisation au Niger (Enquête de référence, 2002) Les pouvoirs locaux à Balleyara Eric Komlavi Hahonou (enquêtes de Eric Komlavi Hahonou et Nana Aïchatou Issaley) novembre 03 Etudes et Travaux n° 14

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LASDEL

Laboratoire d’études et recherches sur

les dynamiques sociales et le développement local

_________

BP 12901, Niamey, Niger – tél. (227) 72 37 80

BP 1383, Parakou, Bénin – tél. (229) 61 16 58

Observatoire

de la décentralisation au Niger (Enquête de référence, 2002)

Les pouvoirs locaux à Balleyara

Eric Komlavi Hahonou

(enquêtes de Eric Komlavi Hahonou et Nana Aïchatou Issaley)

novembre 03

Etudes et Travaux n° 14

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Cette étude a été financée par le Service de coopération et d’action culturelle au Niger (France)

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Table des matières

Avant-propos : à propos de l’Observatoire de la décentralisation 4

Où en est la décentralisation ? 4

Les sites actuels de l’Observatoire 5

Introduction 6

Groupes stratégiques 6

Le déroulement des enquêtes 7

La documentation existante 8

Présentation 8

Balleyara 9

Situation géographique et organisation administrative 9

Caractéristiques socio-économiques de la zone 9

Histoire du peuplement 11

Organisation sociopolitique actuelle 13

Les acteurs de l’arène politique locale 16

L’organisation coutumière 16

Le pouvoir administratif 21

Le pouvoir associatif 29

L’opportunisme politique à Balleyara 39

La bataille des municipales de 1999 42

Les pouvoirs religieux et magico-religieux 42

Le pouvoir économique 46

Débats autour de la communalisation à Balleyara 49

Le découpage administratif en question 49

Balleyara : une future commune riche 50

Jubilation à propos de l’autonomie prochaine 52

Des difficultés en perspective 53

En guise de conclusion 56

Indicateurs 57

Annexes 58

Annexe 1 - Liste des chefs Kel Tamachek du Tagazar 58

Annexe 2 – Liste des projets retenus par le comité d’octroi de l’association cantonale Niyya-/GRT (campagne 2000) 59

Annexe 3 – Bibliographie 60

Annexe 4 - Sigles et acronymes 61

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Avant-propos : à propos de l’Observatoire de la décentralisation

Le rapport ci-dessous est le résultat d’une étude de référence menée sur un des sites de l’Observatoire de la décentralisation, programme de recherche du LASDEL.

Le LASDEL s’est proposé avec ce programme d’observer et d’analyser, à l’échelon local, la nouvelle donne socio-politique qu’implique la future décentralisation au Niger. Avec l’appui de différents partenaires (en particulier Coopération française, Coopération suisse, Commission européenne, IRD et CODESRIA), ce programme de recherche pluri-annuel a entrepris, dès avant la mise en œuvre de la décentralisation, de mener des études de références sur une série de sites répartis dans l’ensemble du pays (à ce jour, des études sur 11 sites ont été financées), afin de décrire, dans leur diversité et leur complexité, les configurations actuelles des pouvoirs locaux, au sens large du terme.

Lorsque la décentralisation sera mise en place, des études annuelles seront menées à nouveau sur chacun de ces sites, afin de suivre les modalités d’exécution de la réforme sur le terrain, et ses effets sur l’arène socio-politique locale.

Le local sera en effet considéré d’une part comme une ”arène”, où interviennent des acteurs hétérogènes dotés de ressources locales et extra-locales variées (chefs, notables, ressortissants, hommes politiques, commerçants, personnels de projets, fonctionnaires, associations, etc.), et, d’autre part, comme un espace public et étatique émergeant, où les représentants de l’Etat et ceux des populations interagissent autour de normes multiples (locales, régionales et nationales), souvent non stabilisées.

Toutes les enquêtes ont été menées selon une problématique commune définie collectivement par les chercheurs du LASDEL pour l’Observatoire de la décentralisation. Un même cadre méthodologique a aussi été utilisé, avec une phase collective sur la plupart des sites (canevas ECRIS), regroupant plusieurs chercheurs du LASDEL et plusieurs enquêteurs (de niveau maîtrise en sociologie), suivie d’une phase individuelle plus longue, avec le chercheur responsable du site assisté d’un ou deux enquêteurs. Le canevas ECRIS est essentiellement basée sur des enquêtes qualitatives auprès de ”groupes stratégiques”, avec une entrée préférentielle par les conflits. La phase individuelle recourt aux méthodes classiques de la socio-anthropologie: observation directe ou participante relativement prolongée, entretiens à partir de canevas d’entretien souples, études de cas, collecte documentaire.

Où en est la décentralisation ?

Les lois de 1996 constituent la base des actuelles réformes administratives nigériennes : elles organisent le pays en régions, elles-mêmes sont divisées en départements, les départements en arrondissements et les arrondissements en communes. Les régions, départements et communes sont érigés en collectivités territoriales1. Quant à l’arrondissement, c’est une circonscription administrative d’encadrement des communes.

Un premier schéma de décentralisation préconisé par le Haut Commissariat à la Réforme Administrative et à la Décentralisation (HCRA/D) a servi de base sous la IVème République aux élections locales de février 1999 : on a procédé alors à l’élection de conseils régionaux, de conseils départementaux, et de conseils communaux pour les communes urbaines et certaines communes rurales nouvellement créées2. Les élections ont eu lieu, le parti au pouvoir (RDP) les perdit, elles furent annulées. On en revint à la situation précédente. On sait que, peu après, un

1 Seules des communes urbaines étaient, et sont toujours en place, dans les principales agglomérations du pays, avec des maires (administrateurs délégués) nommés par l’exécutif (le Niger n’a connu des maires élus que dans les années 60, pour les trois principales villes du pays, mais sous un régime de parti unique) 2 Les communes urbaines étaient les 21 communes urbaines déjà existantes, plus 24 nouvelles communes urbaines créées sur la base des chefs-lieux d’arrondissement ; en outre, 27 communes rurales étaient créées sur la base des postes administratifs. Pour le reste du pays, il n’y avait pas de communes (les cantons restaient donc placés sous la seule autorité des chefs en place).

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coup d’Etat militaire renversa le régime, avec une transition jusqu’aux élections présidentielles de décembre 1999 et la mise en place de la Vème République.

La question de la décentralisation a de nouveau fait son apparition en 2000-2001, avec de nombreuses hésitations sur ses modalités comme sur son calendrier. Un nouveau schéma a finalement été choisi, celui de la communalisation intégrale des cantons (et de certains groupements). Ce schéma, dit « schéma 2000 » prévoit la création de 265 communes, correspondant approximativement au nombre de cantons existants, plus les postes administratifs et quelques créations nouvelles. Les lois conformes à ce schéma ont été votées par l’Assemblée nationale en mai 2002 et promulguées (à l’exception d’une seule3) par l’exécutif en juin 2002. Des opérations de sensibilisation et des « consultations publiques » autour de la décentralisation ont été menées à travers le pays, par le Haut Commissariat, comme, plus récemment, par les députés.

Mais la répartition des pouvoirs et des compétences entre les deux instances qui recouvriront demain le même territoire, à savoir les chefs de canton d’un côté (qui resteront en place) et les futurs exécutifs communaux de l’autre (maires et conseils municipaux élus) n’est toujours pas claire. De même, de nombreuses contestations ont vu le jour, relatives aux limites des communes ou à leur chef-lieu, et à la création éventuelle de communes supplémentaires, à partir des « groupements » ou sur d’autres bases revendicatives.

Quant à la date des élections, elle est annoncée pour l’année 2004.

Les sites de l’Observatoire

Sites Statut actuel

Régions Responsable

Shadakori canton Maradi Aboubacar Souley Birnin Lalle canton Maradi Abdoulaye Mohamadou Bana canton Dosso Adamou Moumouni Albarkaizé village Dosso Adamou Moumouni Gorouol canton Tillabéri Eric Hahonou Diomana-Dessa-Famale

villages Tillabéri Abdoua Elhadji Dagobi

Ngourti poste adm Diffa Hadiza Moussa Balleyara poste adm Tillabéri Eric Hahonou Tillabéri commune

pref. Tillabéri Eric Hahonou

Filingué sous-pref. Tillabéri Mahaman Tidjani Alou Tabelot village Agadès André Bourgeot In Gall poste adm Agadès André Bourgeot, Eric

Hahonou Tchintabaraden sous-pref. Tahoua Abdoulaye Mohamadou Abalak sous-pref. Tahoua Abdoulaye Mohamadou

Niamey, novembre 03 L’équipe du LASDEL

3 Il s’agit de la loi portant composition et délimitation des communes

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Introduction

Groupes stratégiques

Comme il est mentionné précédemment, la méthodologie du programme de recherche ”Observatoire de la décentralisation” est essentiellement basée sur des enquêtes qualitatives auprès de ”groupes stratégiques”. Il convient de préciser ici que les ”groupes stratégiques” ne sont pas des groupes sociaux réels, mais sont pour nous un concept utile, sorte d’agrégats sociaux artificiels, à géométrie variable, qui défendent des intérêts communs, en particulier par le biais de l’action sociale et politique 4.

Les six groupes stratégiques retenus dans le cadre de cette recherche dans le canton de Tagazar sont grossièrement définis ici de la manière suivante:

- Les pouvoirs coutumiers: ce groupe comprend les ”chefs traditionnels” sédentaires (chefs de canton, chefs de villages et de quartier) et les personnes rattachées (représentants, ayants-droits, notables, conseillers, délégués)

- Les ”pouvoirs administratifs” : ce sont les agents de l’administration déconcentrée (agents des services administratifs et techniques), les agents des forces de l’ordre et autres représentants de la puissance publique

- Les ”pouvoirs associatifs”, à savoir les membres des associations locales, endogènes ou exogènes, formelles ou informelles, telles que les comités villageois et cantonaux mis en place par les projets de développement, les caisses d’épargne et de crédit, les associations de producteurs, les fada, les parents d’élèves, les associations féminines, etc.

- Les ”pouvoirs politiques” : ils seront ici pris dans le sens limité des acteurs impliqués dans les activités des partis politiques: politiciens ou simples militants, leaders de campagne, membres de bureau local, députés…

- Les ”pouvoirs religieux”: ce groupe recouvre les marabouts ou imams, mais aussi les tenants d’autres pouvoirs magico-religieux

- Les ”pouvoirs économiques”, c’est-à-dire tous les individus dont le pouvoir réside dans la possession d’un capital économique important: gros producteurs, commerçants…

Il est à noter que certaines personnes se trouvent parfois appartenir à plusieurs groupes stratégiques et cumulent ainsi plusieurs types de pouvoir à leur niveau. Par exemple, un notable appartenant à la famille de la chefferie peut également être un chef religieux, et/ou un politicien, et/ou un membre d’association, et/ou un cadre de l’administration locale ou nationale.

Cette catégorisation des enquêtés n’est pas exhaustive et il apparaîtrait difficile ou arbitraire d’insérer certains interlocuteurs dans les groupes stratégiques ainsi définis. C’est notamment le cas des agents des projets de développement, de certaines personnes ressources, simples citoyens ou sujets (ménagères, cultivateurs, élèves) …, qui ont aussi été enquêtés.

4 Cf. Bierschenk T. et Olivier de Sardan J.P., 1998: 262-265

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Une liste indicative (non-exhautive et respectant l’anonymat des interlocuteurs) des groupes stratégiques et des sites d’enquêtes où ont été réalisés les entretiens est présentée dans le tableau ci-après.

Groupes stratégiques Enquêtés Catégories sociales Pouvoir coutumier - chef de canton et membres de sa famille à Niamey,

Balleyara et Tabla Surgey (Touaregs)

Pouvoir coutumier - chefs de quartier et sous-quartier à Balleyara - chef de village à Zarmey

diverses

Pouvoir religieux - imam de la prière du vendredi (Zongo) - imam Idi - cheick - quelques marabouts à Balleyara

non distinguées

Simples citoyens - ménagères, élèves, petits commerçants à Balleyara Surgey, Bella, Peuls Pouvoir économique - grands commerçants à Balleyara

- maraîchers Bella

Pouvoir magico-religieux - devins-guérisseurs hommes et femmes non distinguées Pouvoir administratif - services administratifs de la Sous-Préfecture à Filingué,

- services administratifs du Poste Administratif à Balleyara - services techniques de l’environnement, de l’agriculture, de l’élevage, du plan, des travaux publics, de l’enseignement à Balleyara - gendarmerie à Balleyara - Haut Commissariat à la Réforme Administrative et à la Décentralisation à Niamey

agents de la fonction publique

Pouvoir associatif - association des ressortissants du Tagazar à Niamey - comités villageois et cantonal à Zarmey et Balleyara - caisses populaires (crédit) - associations des maraîchers à Zongo et Tijidakamat - associations de parents d’élèves des trois établissements scolaires - membres du comité de vente du mil à prix modérés

non distinguées

Pouvoir politique - leader de campagne - membres des commissions locales des élections municipales de 1999 - représentants locaux de partis politiques - ressortissants à Niamey

non distinguées

Les présents résultats d’enquête sont partiels dans la mesure où nos enquêtes n’ont pas pu toucher certains acteurs non négligeables, tels que les députés de la zone, les responsables locaux de l’association Timidria (mouvement d’émancipation des anciens captifs). Nous aurions souhaiter par ailleurs, approfondir certains aspects de la gestion des conflits champêtres en nous entretenant avec des bergers peul nomadisant dans la zone ou ayant été confrontés à la justice locale (coutumière, gendarmerie).

Elles constituent néanmoins dans l’état actuel une sorte de monographie d’une arène locale dont nous essaierons de faire ressortir les spécificités. Il ne s’agit aucunement d’une ”évaluation” des ”projets” initiés par l’Etat et ses partenaires ou par les ONG et associations locales.

Le déroulement des enquêtes

La phase actuelle d’enquête correspond à l’année de référence (2002) du programme de recherche sur les dynamiques politiques locales. Les enquêtes ont été menées par un

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chercheur du LASDEL et une assistante de recherche (étudiante en maîtrise de sociologie à l’UAM de Niamey) durant un mois et demi à Balleyara et quelques villages environnants, à Filingué et à Niamey.

A la périphérie de cette arène politique locale, il eut été intéressant de poursuivre l’enquête au niveau de certains villages peuls, kel tamachek ou zarma à l’écart des centres de décision locaux que sont Balleyara et Filingué.

La documentation existante

Les résultats des travaux de recherche présentés dans ce rapport prennent en compte les rapports et études (consultations, documents de projets, rapports de services administratifs), mémoires et thèses sur la zone disponibles au Niger, les ouvrages et articles scientifiques à caractère plus général sur l’organisation sociale et politique des différents groupes de populations en présence (sociétés zarma-songhay, sociétés touarègues relevant du groupe des Oulliminden de Ménaka), les documents d’archives (archives coloniales à Aix-en-Provence et à Paris, archives nationales du Niger).

Le détail des sources documentaires utilisées figure en annexe 3 (bibliographie).

Présentation

On précisera dans un premier temps le contexte géographique, administratif et humain dans lequel s’insère l’arène locale de Balleyara. Puis on présentera les groupes stratégiques et les différents acteurs de cette arène (et des arènes adjacentes). Enfin, l’attention sera portée sur les débats locaux que suscite le projet de loi sur la décentralisation. En guise de conclusion, des pistes de recherche seront proposées, ainsi que les indicateurs dont l’évolution dans le temps mérite selon nous d’être suivie.

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Balleyara

Situation géographique et organisation administrative

Balleyara se situe dans l’arrondissement de Filingué (département de Tillaberi), à 100 km au nord-est de la capitale Niamey. L’arrondissement est divisé en quatre cantons : Kourfey, Imanan, Tondikandia et Tagazar. Ce dernier canton compte 114 villages administrativement reconnus, soit une population d’environ 84.000 habitants répartis sur une superficie de 2.975 km2 5.

Balleyara est un poste administratif (PA) depuis 1972, dirigé par un chef de poste administratif (CPA). Le PA ne dispose pas de l’autonomie financière et reste donc sous la tutelle de la sous-préfecture de Filingué.

Tagazar a pour origine le mot kel tamachek « ighazer » qui signifie « mare ». La zone est effectivement située à l’aval de la confluence du Dallol Bosso et Dallol Boboye 6, qui après l’hivernage constitue un chapelet de mares plus ou moins étendues. Le Dallol a environ 30 km du Nord au Sud et 20 km d’Est en Ouest. Qualifiée par les géographes de bassin de drainage de premier ordre de la nappe phréatique générale, la vallée ainsi constituée est une zone de sables très riches en limons et donc favorable à l’agriculture.

Caractéristiques socio-économiques de la zone

Dans un environnement austère caractérisé par une économie de subsistance et un faible niveau de vie, Balleyara fait figure d’îlot de prospérité. Le développement de Balleyara doit beaucoup à sa situation géographique et à ses potentialités naturelles. Outre les cultures céréalières pluviales que l’on rencontre partout au Niger (mil, sorgho, arachide, niébé…), les ressources en eau à faible profondeur ont permis depuis déjà fort longtemps le développement de cultures de contre-saison sur des terres fertiles. Le manioc, la patate douce et le coton ont à leur introduction d’abord permis à de nombreux cultivateurs bella « d’acheter les vêtements » et par la suite ont été les bases de leur prospérité. Ces cultures de contre-saison se sont étendues et diversifiées aujourd’hui (le chou, la tomate, la salade, le poivron, les pommes de terre, le blé…) et rapportent, avec une plus grande sécurité (bien que les produits soient périssables), des revenus plus conséquents que les produits des cultures pluviales. Le salariat tend à se développer et une population du Zarmaganda vient généralement chercher du travail après les récoltes de la saison hivernale. Parmi les migrants, certains ont également afflué sous l’effet des famines qui ont jalonné l’histoire de ces contrées arides, et se sont finalement fixées à Balleyara.

L’élevage est une autre ressource essentielle pour Balleyara et plus largement pour le canton de Tagazar, qui constitue une zone de finition d’embouche pour les ruminants en particulier.

Le canton ne possède pas de zones de pâturage, mais il compte de nombreux couloirs de passage. C’est une zone de transit entre les terres du Nord (Azawag) réservées à des usages strictement pastoraux, où les grands troupeaux transhumants emmenés par des bergers peuls vont passer l’hivernage, et les terres agricoles du Sud jusque vers le Bénin, où les usages de la terre sont plus sujets à compétition. De nombreux cultivateurs du Tagazar possèdent des animaux qui sont confiés aux bergers peuls. Le petit élevage (ovins et caprins) en particulier

5 Source : rapport annuel, année 2000, sous-préfecture de Filingué 6 Dallol : vallée fossile constituant une plaine qui draine les eaux de la nappe phréatique et les eaux de pluies de l’ensemble du réseau hydrographique ou bassin.

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constitue pour les cultivateurs une forme d’épargne très usitée. La forte productivité des petits ruminants permet d’ailleurs de dégager des revenus de cette épargne. Au moment des récoltes, en bonne année, les cultivateurs transforment l’argent tiré de la culture en animaux qui peuvent être revendus au besoin.

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Mais les passages des troupeaux sont l’objet de conflits récurrents entre bergers et cultivateurs. La récolte du niébé (le haricot d’abord, et les fanes par la suite) est souvent tardive et le passage d’un grand troupeau dans un champ non récolté occasionne parfois de gros dégâts pour les cultivateurs : il n’est pas rare que les altercations dégénèrent violemment 7.

Aux produits locaux de la culture et de l’élevage (bovins et petits ruminants) s’ajoutent les produits de l’artisanat (cuir surtout), et le natron. Une bonne desserte multi directionnelle ouverte sur l’international accroît l’attrait du marché de Balleyara : au Nord, une piste mène vers le Mali (passant par Fandou, Bani Bangou, Anderamboukane ou Mangaïze), au Sud-Est une autre piste conduit vers le Bénin à partir de Winditan, au Sud une autre voie permet de rallier le Nigéria via Loga et Dogondoutchi , ou encore Dosso, et enfin, la route bitumée qui relie Niamey à Filingué est un axe routier essentiel. Dans le prolongement de Filingué, on peut atteindre aussi Tahoua (cf. carte de localisation page précédente).

Au delà de l’écoulement des produits locaux, le marché permet l’approvisionnement en diverses marchandises. En provenance du Mali, viennent le mil et le poisson fumé (quoique les mares du canton fournissent également du poisson) ; du Nigéria sont acheminées des céréales (maïs et mil notamment) et toutes sortes de produits manufacturés (articles ménagers, médicaments, cigarettes et autres produits non dédouanés, etc.) ; l’arachide, le voanzou, les ignames et le maïs en provenance du Bénin sont régulièrement présents sur le marché.

C’est à partir de cet ensemble d’atouts que le marché de Balleyara s’est peu à peu imposé comme incontestablement l’un des plus importants marché de l’Ouest du Niger.

Histoire du peuplement

Avant la colonisation

L’histoire du peuplement est très mal connue et controversée. Nous nous contenterons ici de rapporter différents éléments intéressant la zone définie comme appartenant au Tagazar actuel.

L’implantation des Gube et des Kalle, sous-groupes zarma, est généralement définie comme l’une des plus anciennes de la région. Les Kurfeyawa (dont les Sudje) hausaphones les auraient rejoints et auraient cohabité pacifiquement. Par alliances et fusions, ces différents groupes se seraient intégrés à la société Zarma et en auraient adopté la langue, notamment avec le groupe zarma de Mali-Bero qui s’installe en particulier dans le Dallol (Gado, 1980 : 183-194).

L’arrivée des ancêtres de l’actuelle chefferie coutumière du Tagazar dans le Dallol Bosso est située au début du XVIIIème siècle. Les Kel Tamachek de cette zone provenaient de la grande confédération8 touarègue des Oullimenden de l’Azawag (région de Ménaka dans l’actuelle République du Mali). Suite à une scission interne, une fraction des Oullimenden s’est dirigée vers le Dallol Bosso qu’elle entreprit de conquérir aux dépens des groupes sédentaires Sudje, Zarma, Kalle et Gube qui cultivaient dans cette zone (Kogari, Namari et Sansani). Ces groupes s’enfuirent ou se soumirent aux Kel Tamachek, dont l’économie et la

7 En 1993, par exemple, il y eut plusieurs morts suite à une bataille rangée entre pasteurs et cultivateurs. 8 Confédération : c’est le terme généralement consacré par la littérature scientifique spécialisée pour désigner l’organisation politique des sociétés kel tamachek (voir Bernus, Bourgeot, Bonte…). Une confédération regroupait plusieurs « tribus » ou « fractions » généralement composées de tous les niveaux de la hiérarchie sociale : aristocrates, dépendants, tributaires, religieux, esclaves, artisans...

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société était basée sur l’élevage extensif et la pratique de rezzous et rapts fournissant des animaux, des céréales et des captifs réduits en esclavage. Les esclaves (appelés aujourd’hui Bella, plur. Belley, en langue zarma) ainsi acquis devenaient des éléments des troupes des futurs rezzous.

Le pouvoir guerrier des chefs kel tamachek s’imposa sur des espaces d’abord restreints, où ils installèrent leurs esclaves et dépendants dans de nouveaux villages, ces derniers cultivant pour eux, avant d’être rejoints par d’autres groupes kel tamachek de la tribu des Kel Dinnik au début du XIXème siècle. C’est à partir de ces renforts que les Kel Tamachek dirigés par une aristocratie guerrière (les nobles ou imajeghen) s’installèrent par unités exogames dans différents villages du Dallol tels que Winditan, Aybachi, Tamizirt.... Ils unirent leurs forces à celle de l’Imanan pour guerroyer dans le Kurfey, le Tondikange, le Dallol, le Fakara et le Zigi et étendre leur influence (Gado : 1980 : 194).

Les premiers Peuls du Dallol Bosso arrivèrent au début du XVIIIème derrière Ali Anna, marabout qui fonda un village dans le Tagazar, alors dominé par les Kel Tamachek. Il y résida 44 ans avant de retourner vers le Macina. Son fils Sambo revint dans le Dallol pour être marabout des Zarma et des Peuls. Son village fut détruit par une razzia. Il fut recréé à la fin du XVIII èmepar son fils, Bubakar Ludduji, qui ouvrit les hostilités contre les Zarma après l’avènement d’Ousman Dan Fodio dans le pays hausa en 1804 (Gado, 1980 : 198). L’influence des Peuls de Bubakar Ludduji (appelé Lamido zarma, chef du pays zarma) comme force politique majeure s’exerça donc plutôt au sud du Tagazar (vers Birni n’Gaouré) avant d’être stoppée par Issa Korombe en 1808. Toutefois, vers 1831 après la victoire (revanche) des Peuls sur Kiota, le chef des Kel Tamachek acceptait de payer tribut à Abdul Hassan fils de Bubakar Ludduji. Mais son successeur se rebella (Gado, 1980 : 206-212) et les razzias des Kel Tamachek reprirent leur cours.

Les premières réactions armées zarma contre ceux-ci s’organisèrent véritablement à partir du milieu du XIXème siècle sous la conduite d’Issa Korombé (défaite de Mbama) et ses successeurs wangaari, qui ne parvinrent pas toutefois à défaire totalement la puissance des Kel Tamachek de l’Imanan et du Tagazar qui continuèrent à mener des incursions dans le Zigi et le Boboye (Gado, 1980).

De l’ère coloniale à nos jours

Jusqu’à la pénétration coloniale, les chefs kel tamachek du Tagazar faisaient payer un tribut aux populations soumises et à leurs dépendants, sans toutefois constituer un pouvoir unitaire rallié derrière un chef suprême (amenokal wan ettebel ou chef de confédération) comme il en existe dans l’Azawag ou, plus près, dans l’Imanan9 (Idrissa, 1981 : 57).

La conquête française mit un terme à la suprématie des Kel Tamachek à la fin du XIX ème siècle. En janvier 1901, un poste militaire fut créé à Filingué qui devint chef-lieu de cercle du Haut-Dallol Bosso dont un secteur fut établi à Sandiré. C’est d’ailleurs dans ce village du Tagazar que la puissance coloniale imposa Atta Ibnou10, à la tête des Kel Tamachek (Idrissa, 1981 :104), à l’occasion de la mise en place des chefferies cantonales.

La domination militaire des français ne fut pas sans incidence sur les rapports sociaux qui prévalaient entre l’aristocratie kel tamachek et ses captifs bella. Les premiers signes de

9 Sur les Kel Tamachek de l’Imanan, voir Guillaume, 1974, Les nomades interrompus, Etudes nigériennes, Niamey. 10 Atta Ibnou de Sandiré mourut en 1910 et fut remplacé par Ahrmed Ammabi qui à sa mort en 1922 céda la place à Ismaël Dankassari (1922-1939) de Tabla à la tête de la chefferie de canton (cf. liste des chefs kel tamachek du Tagazar en annexe 1)

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tensions apparurent dès 1901-1902 : les anciens captifs « libérés » de l’esclavage par les Français refusaient d’obéir à leurs anciens maîtres, auxquels la puissance coloniale avait promis le statu quo ante. Face à cette situation qui tendait à s’aggraver, les administrateurs coloniaux successifs basés à Filingué s’employèrent « au renforcement de l’autorité du chef indigène, en mettant à sa disposition tout l’arsenal des sanctions dont (ils avaient) l’emploi légal » (rapport politique annuel 1932, ANN, Niamey).

Suivant la logique de découpage du territoire en cantons11, le village de Tabla (à 3 km de l’actuel Tabla) fut érigé en chef-lieu de canton à partir de 1922 (à l’occasion de la construction de la route Filingué-Birni N’Gaouré). Quand la route fut réalisée (1939), la puissance coloniale demanda à tous les chefs de canton de venir s’installer aux abords de celle-ci. Ismaïl Dankassari (successeur d’Ahmad Illoua ou Arhmed Ammabi dans Séré de Rivière, 1944), devenu aveugle et ne voulant pas déménager, ordonna à son fils Albadé Ismaël de le représenter à Tabla. Albadé Ismaël y resta en tant que représentant, puis en tant que chef de canton jusqu’en 1975, date à laquelle il décéda et où son frère Ahmad Ismaïl le remplaça.

Avec l’érection de Balleyara en poste administratif (1972), la chefferie de canton, autrefois sous tutelle directe de Filingué, fut amenée à s’y déplacer régulièrement, puis à s’y fixer par commodité. Après la mort de Ahmad Ismaël en 1989, Alhassane Albadé, dit Gazi, (fils d’Albadé Ismaël et neveu de son prédécesseur), à l’époque administrateur délégué (maire nommé) de la commune de Tillaberi, le remplaça.

Selon El Balla, représentant du chef de canton à Tabla et gardien du palais et de l’histoire du Tagazar, c’est à partir d’Ismaël que la succession à la chefferie de canton12 resta au sein d’une même famille au lieu de se faire par alternance entre les différentes familles d’ayant-droits dispersées dans six villages du Tagazar (Banizoumbou, Aïbashi, Mougrouf, Illoua Zakra, Illoua Minza et Sanguilé).

C’est par ailleurs avec l’actuel chef de canton que le centre du pouvoir coutumier connut son dernier déménagement, celui-ci résident à Niamey, au contact quotidien des plus hautes instances décisionnelles du pouvoir administratif.

Organisation sociopolitique actuelle

L’organisation des confédérations kel tamachek est généralement caractérisée par un système politique complexe comprenant trois niveaux d’organisation du pouvoir: un chef

11 Les limites définies par la puissance coloniale entre le « canton zarma » de Tondikandia et le « canton touareg » de Tagazar se sont révélées très tôt être un sujet de conflit que les différents administrateurs locaux n’ont pas su régler, si l’on en juge par la succession de règlements et conventions sur ce point en 1927, 1932, 1935…(cf. rapports de tournée des années 1927 à 1942, ANN, Niamey). Ce problème subsiste encore aujourd’hui. Les derniers évènements graves (4 morts, 20 blessés) relatifs à cette délimitation territoriale dateraient de mai 1992. 12 La tradition orale met en avant le rôle prédominant dans l’histoire du pouvoir local d’un personnage religieux d’origine arabe Mohamed El Hadji, venu de La Mecque. Après un long parcours, celui-ci, accompagné d’un groupe d’Ihawayan (imghad ou hommes libres tributaires et leurs iklan ou serfs, esclaves), décida vers le début du 18ème siècle de s’établir à Tabla où il acquit le nom de « Alis sin Tabla » (littéralement en tamachek « l’homme de Tabla »). Il fit alliance avec le chef Kel Tamachek Zaït (ou Zahid) établi à Winditan qui lui donna sa fille en épouse. Elle lui donna deux garçons Mougourouf (ou Mourlouf) et Ahmoud (ou Ahmed). A la mort de Zaït, Ikna son frère prit le pouvoir. Suite à une bataille avec d’autres Kel Tamachek (Oullimenden de l’Azawak), le nouveau chef mourut et sa descendance fut décimée. Les enfants d’Alis sin Tabla, lui-même décédé, furent pressentis pour assurer la relève de la chefferie. Le premier fils d’Alis sin Tabla né d’une union avec une captive fut écarté, l’aîné des deux autres préféra se consacrer à la religion. Ahmoud devint chef. La chefferie du groupement se partagea ensuite au sein de la même famille entre les descendants d’Ahmoud et ceux de Mougourouf (cf. liste des chefs en annexe I) installés dans différents villages.

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suprême qui est l’amenokal wan ettobel, des conseillers parmi lesquels la tribu maraboutique des Kel Esuk occupe une place prépondérante, et des chefs de fractions (amenokal wan tawshit). Les sociétés kel tamachek sont généralement basées sur une hiérarchie assez fortement constituée au sein de laquelle on distingue généralement différentes catégories sociales.

Dans le cas du Tagazar, la situation est assez particulière du fait notamment de la sédentarisation précoce de diverses fractions kel tamachek sans commandement suprême, du brassage de populations d’origines ethniques diverses, et de l’abandon de la langue tamachek au profit du zarma. Nous essaierons donc de rendre compte ici des catégories sociales dans la langue d’usage courante (zarma) des acteurs locaux.

La hiérarchie politique du Tagazar est dominée par un chef de canton, ou amiru13, qui a autorité sur des chefs de village (kwaara koy). Les différents groupes sociaux situés sur le territoire cantonal, quelle que soit leur ethnie (Zarma, Gube, Kalle, Sudje, Peuls, Hausa…) sont placés sous l’autorité du chef de canton.

Au sein des catégories sociales des Kel Tamachek du Tagazar on distingue notamment :

- Surgey (sing. surgu) c’est-à-dire les nobles, anciens guerriers, qui ne forment plus qu’une infime portion de la société mais qui la dirigent toujours.

- Belley (sing. bella), essentiellement des « anciens captifs » 14. Les Bella constituent la grande masse de la population kel tamachek. Leurs ancêtres, après avoir été capturés, furent assimilés à la société kel tamachek, dont ils prirent la langue et épousèrent les valeurs et coutumes. Il s’agit ici surtout de « captifs de case », qui cultivaient pour leurs maîtres, et tenaient à ce titre une place importante dans l’économie du groupe.

- Garasey (sing. garasa), qui forment la caste des forgerons. Ils travaillent le cuir, les métaux, le bois, exploitent le natron, font la coiffure…

- Bannyey (sing. bannya) : ce terme désigne les personnes de statut captif chez les populations zarma 15.

Sans prétendre ici à l’exhaustivité dans cette désignation micro-locale des groupes sociaux et catégories sociales, on soulignera simplement la complexité des différents statuts dont cet inventaire rend mal compte. Mais, malgré un grand brassage de populations, bien que les temps aient changé, que les rapports de dépendance aient évolué, que « le vent (de la démocratie) ait soufflé », les représentations anciennes relatives aux catégories sociales restent très prégnantes et affectent encore largement les rapports sociaux actuels des populations de Balleyara.

Cette prégnance des statuts s’exprime notamment dans certains interdits matrimoniaux : on constate que la fréquence des mariages au sein d’une même catégorie sociale. Ainsi, par exemple les artisans (garasey) ne peuvent se marier qu’entre eux, les unions d’un Bella avec une femme surgu sont impossibles, etc. Par ailleurs, les catégories sociales situées au bas de la hiérarchie se voient fortement limitées dans l’accès aux pouvoirs

13 Amiru : provient du terme arabe « émir » désignant un chef. Les appellations zarma plus ou moins équivalentes sont selon les régions : Gube koy (chef gube : Loga), Zarma koy (chef zarma : Tondikandia), laabu koy (chef du pays : région du fleuve), wonkoy (chef de guerre : Koygolo)… 14 Le terme « captif », employé par les administrateurs coloniaux, est encore utilisé assez couramment dans le parler français du Niger pour désigner les anciens dépendants ou esclaves 15 Signalons aussi le terme wahay, qui désigne une femme captive affranchie par le mariage avec un noble. En cas de répudiation, celle-ci retrouvait son statut servile antérieur.

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coutumier et religieux « supérieurs » : un ancien captif peut devenir chef de village ou marabout, mais il ne peut devenir ni chef de canton ni imam.

Dans cette région du Tagazar, encore parfois appelée aussi « Surgay » en référence à la suprématie d’antan de la noblesse kel tamachek, ces interdits matrimoniaux et socio-politiques n’ont pas empêché, au contraire, une certaine déchéance politique et économique de l’aristocratie touareg.

Dès les années 1930, les rapports de tournée effectués par les administrateurs coloniaux dans le canton de Tagazar signalaient la meilleure situation économique des « Bella » comparée à celle de leurs anciens maîtres « touaregs ». En 1944, Séré de Rivière notait que cette tendance se confirmait bien que les nobles aient conservé de nombreuses chefferies villageoises. Cette situation n’a fait que s’accentuer au cours des décennies suivantes. En 1951, l’administrateur Urfer signalait dans son rapport de tournée que le chef de canton du Tagazar « se heurte à des difficultés dans ce pays peuplé d’une minorité de touaregs (946) pauvres et sans prestige, d’une majorité bella individualistes indépendants (15 935), et où l’opposition des djermas (4 967) est toujours latente... ».

« Les Bella sont nombreux, ils sont devenus riches. Ce sont les Surgey d'ailleurs qui n'ont pas d'argent, ce sont eux qui sont pauvres. Ils sont fainéants parce que avant ils étaient habitués à la facilité, ils font des razzias, ils ne travaillaient pas pour se fatiguer. Ils prenaient seulement auprès des autres, ils vendaient des esclaves, ils ne travaillaient pas. Ils étaient devenus paresseux, et ça les a poursuivi jusqu'à aujourd'hui. C'est ce qui fait qu'ils n'ont pas d'argent. Les gens qui travaillent avec leur force, c'est eux qui sont riches. Et puis les Surgey voient que s'ils font certaines activités16 pour avoir de l'argent, c'est une honte pour eux, s'ils font certains travaux […] Nous mourrons dans la pauvreté. Nous ne gagnerons pas, parce que nous ne pouvons pas faire des activités qui peuvent nous permettre de gagner » (une ménagère surgu, Balleyara) .

A l’aristocratie guerrière sont attachées certaines valeurs morales dont le respect les privent des nouvelles modalités d’accès aux ressources et par là même à certaines formes de pouvoir. Du fait de l’inversion des rapports socio-économiques en faveur des anciens captifs ou dépendants bella, certaines fonctions de prestige et de représentation autrefois incompatibles avec le statut servile sont aujourd’hui assurées par ceux-ci. Ainsi, le député de la circonscription électorale est un riche bella de Balleyara.

A Balleyara, l’occupation de l’espace est encore assez largement influencée par les statuts sociaux. Si Zongo, quartier d’étrangers, est peu concerné par les distinctions de « castes », pour reprendre le vocabulaire employé du bout des lèvres par un fonctionnaire ressortissant de la localité, les quartiers Tijidakamat, Aggu et Aggu kwaara teeji sont nettement étiquetés. Le premier regroupe les dépendants ayawan d’Alis sin Tabla, le troisième ne comprend que d’anciens captifs bella, qui se sont « autonomisés » d’Aggu où résident les descendants de la chefferie.

16 Sous-entendu, le travail de la terre et en particulier les travaux physiques qu’imposent des activités maraîchères non mecanisées.

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Les acteurs de l’arène politique locale

L’organisation coutumière

Chefferie de canton

Le siège historique du canton, stabilisé à Tabla à partir de 1922, comme son siège administratif actuel (Balleyara), ont été finalement délaissés par l’actuel chef de canton qui réside à Niamey et se fait représenter à Balleyara, où il se rend régulièrement pour régler les affaires locales les plus importantes.

Il mène à Niamey de nombreuses activités, à travers l’Association des Chefs Traditionnels du Niger (ACTN) dont il occupe le poste de secrétaire général adjoint. Il participe aux projets menés par l’ACTN avec l’UNICEF. Il est aussi membre de la commission des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Niger.

Ses adversaires politiques et coutumiers y voient là une stratégie pour contrecarrer, par le haut, les évènements locaux qui ne sont pas à sa convenance.

Le chef de canton est un ancien cadre de l’administration, au sein de laquelle il a pu entre 1974 et 1989 développer et entretenir tout un réseau de relations qu’il met à profit. Si le statut de chef de canton n’est plus ce qu’il fut, il permet toutefois d’occuper une position charnière entre l’administration et les populations, qui autorise des marges de manœuvre importantes et lui confère une place centrale dans l’arène politique locale. Quoique sa présence soit discontinue, ses passages réguliers à Balleyara lui permettent de rester au centre de toute activité menée dans son fief. Ainsi, il centralise directement ou par délégation (à un parent ou une autre personne de confiance) les activités les plus diverses : collecte des impôts, règlement des litiges familiaux et fonciers, règlement et prévention des conflits champêtres, redistribution de l’aide envoyée par les ressortissants du canton basés au Ghana, commission de vente du mil à prix modérés, nomination des chefs de tous ordres (chefs de village ou de quartier, religieux, zimma17, présidents d’associations…), etc. En tant que « chef de terre », le chef de canton est impliqué dans toute transaction foncière. Enfin, c’est un élément central du dispositif politique local (cf. ci-dessous)

Chefferies de village

Aujourd’hui, il y a officiellement 114 villages reconnus par l’administration dans le canton de Tagazar. La liste qui sert au représentant du chef de canton pour identifier les villages payant l’impôt en dénombre par contre 13118 ! D’où provient une telle différence ?

Le village de Tabla compte à lui seul 10 quartiers recensés comme autant de villages distincts. De nombreux villages se sont également scindés en deux, trois, quatre quartiers ou hameaux, recensés dans la liste du chef de canton en tant que villages, à la tête desquels se trouve un chef de village.

Pour beaucoup de villages kel tamachek, le phénomène est lié à une scission des Bella vis-à-vis du village mère.

« Nous nous sommes séparés d’eux pour avoir notre autonomie. Q : Quel est le motif de cette séparation ?

17 Zimmey, sing. zimma : il s’agit de prêtres-guérisseurs dirigeant les cultes de possession, qui précédèrent l’islam, et dont la survivance est toujours manifeste. Ces prêtres sont sous l’autorité morale d’un chef zimma dont la mise en place est soumise à l’approbation du chef de canton. 18 Le canton de Tagazar comptait 73 villages en 1944, 84 villages en 1951 (source : rapports de tournée 1944 et 1951, ANN, Niamey).

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R : Ce n’est rien d’autre que quand un village s’agrandit, certains groupes se détachent pour prendre leur autonomie en commençant par nommer un chef de quartier jusqu’à parvenir à un chef de village » (le chef de quartier de Aggu II ).

Il est difficile d’évoquer les conflits internes qui agitent la société kel tamachek. Mais il s’agit bien, entre les lignes, de mouvements d’émancipation des anciens captifs vis-à-vis de leurs maîtres.

Q : « Est-ce que ce n’est pas à cause de Timidria que Aggu a commencé à se diviser ? Maintenant il y a Aggu kwara tegi.

R : Oui, c’est cela qui a amené ça. Ils disent que maintenant il faut qu’eux, les bella, aient leurs propres chefs de village. Jusqu’à présent, ils ont eu 25 chefs de villages à Tagazar » (un agent de l’Etat de Balleyara).

Ce point est confirmé par une aristocratie consciente d’une époque révolue :

« Avant, c’était les nobles surgey qui détenaient la chefferie mais ces derniers temps, avec la démocratie, les anciens captifs bella se révoltent et disent vouloir leur autonomie en choisissant leur chef. Avant les Surgey avaient le pouvoir sur les Bella et leurs richesses mais ce n’est plus ainsi » (le représentant du chef de canton à Tabla ).

Du point de vue du chef de canton du Tagazar, un mouvement irréversible s’est enclenché, mouvement qu’il vaut mieux accompagner que tenter de contrer.

Q : « Vous avez reconnu ces chefs de village ? R : J’ai eu tous les problèmes avec mes parents surgu. Il faut suivre la majorité et accepter

l’évolution du monde. C’est le cas d’Aggu II. J’ai accepté la création ! C’est l’ère démocratique. Il vaut mieux accepter que de tirailler car, à la fin, ils auront gain de cause » (entretien en français avec le chef de canton).

D’après la sous-préfecture, « Tagazar et Tondikandia ont profité du séjour de Baré pour faire ce qu’ils veulent sans la procédure ». Cette procédure pour ériger un village et nommer un chef de village nécessite en principe l’établissement de la liste des chefs de famille qui y sont favorables, la réalisation d’une enquête socio-économique par le service du Plan et d’une enquête administrative par la gendarmerie expliquant la raison de la création du village sur le plan économique et politique. Il faut par ailleurs adresser une demande manuscrite au chef de canton pour obtenir son aval. Il faut encore l’acceptation du sous-préfet et une décision du ministre de l’Intérieur. C’est alors que peut être organisée l’élection du chef de village en présence du chef canton, du sous-préfet, et de la gendarmerie (source: entretien avec un agent de la sous-préfecture de Filingué).

L’administration sous-préfectorale voit parfois dans ces manœuvres de contournement une façon de conforter un pouvoir coutumier en perte de vitesse et de désarçonner des chefs de village opposants (ceux qui militent pour un autre parti politique par exemple). Selon certains, en évitant la procédure et donc l’enquête de la gendarmerie visant à établir la moralité du candidat et sa qualité d’ayant-droit, le chef de canton pourrait monnayer son soutien ; à travers son réseau de relations au niveau du Ministère de l’Intérieur, le chef de canton serait en mesure de modifier la configuration des pouvoirs villageois à sa guise:

« Les perdants à l’élection (du chef de village) le contactent et le corrompent, il fait une manœuvre à Niamey. Il va au Ministère de l’Intérieur pour protester. C’est ça qui cause un désordre administratif inexplicable ! C’est comme ça, qu’il y a des villages reconnus par le chef de canton, mais non reconnus par l’administration » (un fonctionnaire de la sous-préfecture de Filingué).

Les luttes familiales (entre ayant-droit) pour l’accession à la chefferie de village constituent un autre motif de scission :

« Pour Lélé c’est différent. C’est depuis 1973-1974. Il y avait deux candidats pour la chefferie de village, supportés chacun par une personne influente. A Lélé I, c’était un opérateur

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économique influent qui appuyait. A Lélé II, c’était un ancien combattant influent. Le pouvoir ne pouvant trancher, on a choisi de diviser le village en deux ». (le chef de canton).

Chefferie de quartier

Balleyara qui signifie « petit marché des Bella » (Belley yaara) est aujourd’hui composé de quatre quartiers. Les deux premiers d’entre eux étaient à l’origine des villages kel tamachek de Tijidakamat et Aggu, assez distants l’un de l’autre. Les habitants de Tijidakamat fondèrent le marché entre les deux villages. Mais l’essor de celui-ci doit beaucoup à la communauté étrangère (notamment des Hausa et des Béribéri et d’autres populations venant de l’Est) qui est très tôt venue grossir les effectifs des deux villages en s’implantant pour des activités commerciales. Ces étrangers d’origines diverses sont aujourd’hui nombreux à habiter le quartier de Zongo 19 attenant au marché. Aggu Kwaara Teeji s’est ajouté beaucoup plus récemment à ces trois quartiers pour former le village de Balleyara.

Les quatre quartiers de Balleyara sont dirigés par quatre chefs de quartier distincts :

- Originaires de Bagari, les ayawan (dépendants) qui accompagnaient Alis sin Tabla détiennent la chefferie de Tijidakamat 20 depuis la fondation du village, devenu plus tard un quartier de Balleyara.

- Il en est de même pour le quartier Aggu où la chefferie est transmise selon la coutume de père en fils depuis le premier chef de village qui était un enfant d’Alis sin Tabla (groupe maraboutique).

- Par contre, la chefferie de Aggu kwara teeji21 est récente. On a vu qu’elle est le produit d’une scission des Bella d’avec leurs anciens maîtres restés à Aggu.

- Enfin, à Zongo, l’attribution de la chefferie est le fruit d’une longue histoire faite de désignation-destitution-désignation…, entre deux familles étrangères rivales, installées de longue date. Plusieurs destitutions pour détournement des impôts ont été à l’origine de l’alternance, directement arbitrée par le pouvoir administratif.

Le chef de quartier d’une ville (kure koy) a les mêmes attributions de fait qu’un chef de village (kwaara koy). Il règle les petits conflits internes (familiaux, de voisinage…) et prélève l’impôt auprès de ses sujets pour le compte de l’administration.

En ce qui concerne le mode de désignation, auparavant, les chefs de famille s’alignaient derrière le candidat de leur choix. Certains chefs de quartier en place sont encore issus de cette ancienne modalité. Depuis 1993, des textes législatifs (ordonnance portant statut de la chefferie traditionnelle) définissent une procédure qui débouche sur un vote à bulletin secret, mais cette procédure est rarement suivie dans le Tagazar.

Depuis « l’avènement de l’ère démocratique » (l’après Conférence Nationale), l’autorité de la chefferie a été mise à mal et l’obéissance au chef n’est plus la règle même si le chef est élu.

« Avant, les gens étaient contraints de se soumettre quand le chef de village te convoquait par exemple. Mais maintenant c’est autrement : tu obéis quand cela te plait. C’est seulement certains qui viennent répondre immédiatement, d’autres disent qu’ils ne sont pas disponibles. C’est parce qu’il n’y a pas la force derrière qu’on peut craindre » (un chef de quartier de Balleyara).

19 Zongo (ou zango) signifie « camp » en hausa, ou encore étape, escale ; c’est ainsi qu’on désigne le quartier des « étrangers ». 20 L’origine du nom de Tijidakamat n’a pas pu nous être expliquée car les habitants de ce quartier ont pratiquement tous perdu l’usage de la langue tamachek. Toutefois, les archives coloniales mentionnent Jidakamat aoukoum = « là où l’on se cache » (Séré de Rivière, 1944). 21 Kwaara teeji : littéralement « village nouveau » en langue zarma. Aggu signifie « loin » en langue tamachek.

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Il peut paraître étonnant de constater que la chefferie de quartier reste malgré tout un héritage convoité. Elle fait d’ailleurs souvent l’objet d’une forte concurrence entre les candidats.

A Zongo, l’antagonisme entre les candidats est toujours vivace. Il reste alimenté en dépit de la reconnaissance officielle de l’un des candidats par l’administration. A cette légitimité « par le haut » est opposée une légitimité populaire « par le bas » qui pousse le challenger à revendiquer la fonction du titulaire. N’ayant pu trancher de façon nette, l’administration a adopté une attitude pragmatique en acceptant que le challenger, en dehors de tout schéma de subdivision du quartier, collecte les impôts de ses partisans, tandis que le chef de quartier officiel collecte de son côté. Cet antagonisme de personnes est renforcé par des luttes partisanes : les deux prétendants à la chefferie sont de camps politiques opposés (l’un est du RDP, l’autre du MNSD). Le chef de canton, plutôt favorable au challenger qui est du même bord politique, alimente un peu plus cet antagonisme.

Outre les aspects honorifiques que procure le statut, l’un des enjeux majeur de cette fonction est la rente de situation qu’elle procure. Cette rente présente un aspect officiel et un autre plus occulte. En effet, les textes législatifs prévoient une remise de 10% aux chefs coutumiers22 (chefs de village, chefs de quartier) mais il est courant au Niger que les sommes collectées par les chefs coutumiers ne soient pas intégralement reversées à l’administration. Ces faits sont du reste bien connus des agents de l’administration qui ferment généralement les yeux sur ces pratiques héritées de longue date et qui, bien qu’elles soient illégales, rentrent aujourd’hui dans « l’ordre des choses ».

Chefferies de sous quartier

C’est le niveau informel de l’organisation socio-administrative et coutumière de la localité. Il semble qu’il ait été mis en place par les chefs de quartier pour faciliter la collecte des impôts avec l’assentiment de l’administration locale (PA). De ce fait, ils ne sont pas astreints aux mêmes règles d’éligibilité et ne bénéficient d’aucune reconnaissance officielle (ni des avantages qui y sont liés).

Ainsi, par exemple dans le quartier Zongo, plusieurs sous-quartiers ont été définis : "Baani Ilwa", "Dan Malam", "Kwaara Teeji" et le « quartier des bouchers ». A la tête de chacun de ces sous-quartiers est désigné un individu, dont les fonctions se limitent pratiquement à la collecte des impôts. A ce niveau, il s’ensuit une certaine confusion car le chef de quartier (qui se fait appeler kwaara koy23) délègue en fait une partie de son travail de collecte de l’impôt dans chaque sous-quartier à un individu, qui prend quelque peu abusivement nom de chef de quartier (kure koy), en échange d’une remise.

Q : « Quel est le rôle du chef de sous-quartier ?

R : Son rôle n'est d'autre que le suivant : quand on veut collecter les impôts, le chef de quartier les réunit pour demander à chacun de collecter les impôts de son quartier. Certaines personnes peuvent l'apporter au chef de quartier lui-même. Et toi tu enregistres les noms de ceux qui te donnent leurs impôts ou bien si on apporte de l'aide par exemple, on peut demander à chacun de passer chez le chef de quartier prendre sa part. Donc chaque quartier à sa part, quand vous partez chercher l'aide, on donne à chacun en fonction du nombre de personnes qu'il représente » (un chef de sous-quartier de Zongo).

22 Chez les sédentaires, les chefs de village sont les relais fiscaux de l’administration dans les petites bourgades tandis que les chefs de quartier sont reconnus pour les grands centres urbains. Pour les chefs coutumiers nomades (chefs de tribus) la remise est de 12 %. 23 Kwaara koy signifie en fait chef de village, ce à quoi est effectivement assimilé le chef de quartier d’une grande ville.

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Ces collecteurs doivent verser l’impôt auprès de leur chef de quartier. Ils n’ont en principe aucun lien direct avec l’administration. Néanmoins, il arrive que certains de ces « collecteurs » contournent le chef de quartier et remettent directement les sommes collectées au chef de poste. Ces pratiques sont liées à la fois à des questions de pourcentage de remise (l’administration accorde 10 % aux chefs de quartier, qui, sans doute, n’en rétrocèdent qu’une partie à leurs collecteurs délégués) et à des problèmes de légitimité des chefs de quartier.

On retrouve précisément ces mêmes types de délégation formelles et informelles à de multiples individus pour des missions de collecte, avec une sectorisation des espaces de rente, dans la gestion du marché (cf. plus loin). Toutes ces pratiques informelles sont validées ou tolérées par l’administration.

A l’occasion (voir la citation ci-dessus), ces individus sont également utilisés et remerciés à l’occasion des distributions de vivres (sel, mil, maïs…) initiées par le gouvernement. Cet aspect redistributif vient bien sûr conforter leur position sociale et politique au sein du sous-quartier.

Le problème de l’incivisme fiscal

Dans le Tagazar, le taux de recouvrement de l’impôt par tête ou « taxe d’arrondissement » (700 FCFA par contribuable) n’était que de 27 % en 1999 et de 42 % en 2000.

L’incivisme fiscal est très marqué dans le canton de Tagazar, comme dans la plupart des cantons de l’arrondissement (pour ne pas dire du Niger), et cette situation est largement décriée par l’administration sous-préfectorale, dont le fonctionnement dépend largement des recettes générées par la perception des taxes, au premier rang desquelles figure la taxe d’arrondissement. Ces difficultés de collecte de l’impôt sont telles qu’il faut parfois faire recours aux forces de l’ordre, encore celles-ci ont-elles pour consignes d’éviter le recours à la force physique.

« L’avènement de la démocratie » (c’est souvent en son nom qu’on refuse de payer l’impôt à un chef jugé illégitime) et la rupture avec les ordres anciens (relations entre caste noble et caste servile) affectent directement une chefferie villageoise qui dans la zone semblait assez largement dominée par la noblesse kel tamacheq mais se voit aujourd’hui de plus en plus contestée.

« Non, l’incivisme fiscal c’est la politique, c’est la démocratie. Jusqu’en 1990, l’impôt était payé au 1er janvier de l’année. Maintenant, avec la démocratie et la propagande, les partis politiques d’opposition jouent un jeu pour que les gens ne paient pas l’impôt » (le chef de canton).

Ce point de vue sur l’influence des partis politiques, menant des campagnes électorales contre le paiement de l’impôt, est confirmé par les chefs de villages, qui identifient ces actes à des formes de « sabotage » contre le pouvoir :

« Sinon 700 FCFA, même si c'est une poule que tu vends, tu peux avoir 700 FCFA. Ce n'est pas qu'ils (les contribuables) n'ont pas, mais je te jure que si on ne se dresse pas ici à Tagazar, tant que ce n'est pas un garde qui vient chez le chef du village, certains refusent de payer parce que pour eux, si les militaires viennent, ça va gâter le nom du chef du village, du chef du canton et du pouvoir (hini, i.e. le gouvernement) » (un chef de village du Tagazar).

Cependant, au delà des luttes politiciennes, l’incivisme fiscal est très variable d’un canton à l’autre au sein de l’arrondissement. Le chef du canton voisin, le Tondikandia, parvient à faire rentrer l’impôt à hauteur de 80 voire 90 % selon la sous-préfecture.

« Pourtant Balleyara est riche avec les jardins, mais dès que la saison est mauvaise, à cette période, il y a l'insécurité. On ne peut pas laisser les chefs de village seuls avec le problème (du non acquittement de l’impôt) » (le sous-préfet de Filingué).

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Du point de vue des tenants des pouvoirs locaux, autrefois mieux respectés, la démocratie apparait comme la mère de tous leurs maux, la déchéance politique d’un groupe, la dégradation générale des mœurs, l’impunité, et, pour finir, le clientélisme politique. A cette déchéance politique s’ajoute une déchéance économique. Les nobles ne peuvent plus exercer sur leurs « dépendants » les prédations qu’ils pratiquaient auparavant. Alors que certains travaux rémunérateurs tels que les cultures de contre-saison, l’extraction du natron, etc. leur sont interdits culturellement, les bella ont construit leur relative aisance économique sur ces activités de rente nouvelles, au point que les produits des cultures pluviales sont devenus marginaux (« si la saison des pluies est mauvaise, les gens ne souffrent pas grâce aux jardins »). Le développement du salariat dans les jardins, la diversification des activités (notamment l’orientation vers le commerce) a permis à certains Bella une véritable montée en puissance sur le plan économique mais aussi sur le plan politique.

Mais l’incivisme fiscal n’est pas nécessairement le seul fait des contribuables. La sous-préfecture dénonce le comportement des intermédiaires que sont les chefs traditionnels :

« La population peut payer au chef de village qui ne verse pas au chef de canton ou bien c’est le chef de canton qui ne verse pas. Il y a perte de confiance entre les imposables et les chefs » (un cadre de la sous-préfecture de Filingué).

Les agents de la sous-préfecture soulignent d’ailleurs des anomalies dans le fonctionnement du système de collecte de l’impôt. La procédure normale est la suivante : le chef de village collecte l’impôt et bénéficie d’une remise de 10 % lorsqu’il verse au comptable de l’Etat, i.e. le « percepteur d’arrondissement ». En réalité, la pratique est toute autre : les chefs de village et de quartier versent l’impôt au niveau du chef de canton ou à son représentant (en l’occurrence son petit frère, qui réside de façon permanente à Balleyara), qui reverse à la sous-préfecture, empochant du même coup la remise.

« Le chef de canton est juste utilisé comme sensibilisateur. Les textes 24 ne prévoient pas que le chef de canton récupère l’impôt. Depuis 10 ans, c’est le contraire, c’est par le chef de canton que ça passe, c’est le désordre, les chefs village n’ont pas de remise » (idem).

Le pouvoir administratif

Le poste administratif

Balleyara est un poste administratif (PA) depuis 1972, doté de quelques services de l’Etat. Parmi ces services, il faut signaler la présence d’une brigade de gendarmerie, de forces de sécurité (FNIS) basées au PA et placées sous la direction du chef de poste administratif (CPA), un service du Plan, un centre de santé intégré (CSI), un service de l’élevage, un service des travaux publics, un agent de l’Agriculture, un agent des Eaux et Forêts, deux écoles primaires et un collège.

Avant l’installation du PA, les populations dépendaient administrativement directement de Filingué. Le PA de Balleyara, comme partout ailleurs, a été érigé pour remplir une fonction de rapprochement de l’administration vers les administrés (état civil, gestion de la ville, règlement des litiges champêtres).

24 Il s’agit notamment de l’ordonnance n° 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle en République du Niger chap. 2, article 12 selon lequel « le chef de quartier, de village ou de tribu exerce son autorité sur l’ensemble des populations recensées dans le quartier, village ou tribu… il a seul la responsabilité de la collecte des impôts et taxes frappant les membres de sa communauté », et du décret n° 93-85/PM/MI du 15 avril 1993, chap. 3, article 9, selon lequel « le chef de quartier, de village ou de tribu perçoit une remise sur le montant des impôts et taxes perçus dans la collectivité qu’il administre ».

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Il est généralement admis que le poste de CPA est une forme de récompense politique accordée par le pouvoir central à ses militants.

Depuis 1972, 20 chefs de poste se sont succédés. Les changements de régimes ou de gouvernement ne suffisent pas à expliquer cette extrême rotation (un changement chaque 18 mois en moyenne) des cadres d’administration de ce PA. L’interventionnisme politique est l’explication donnée par le chef de poste. Un simple coup de fil de personnalités locales influentes en haut lieu peut suffire à faire évincer un chef de poste :

« Les problèmes politiques ne se traitent pas ici mais à Niamey ».

Cette épée de Damoclès au-dessus des agents de l’Etat limite de facto leurs possibilités d’action dans l’arène locale. Face à cette incertitude et cette instabilité, le chef de poste en place depuis mai 1999 se propose une ligne de conduite :

« Il faut être juste et au milieu de la population. Il faut savoir faire le jeu ».

Le chef de poste n’est pas, de toute évidence, le tout puissant représentant de l’Etat. Il doit savoir composer avec sa hiérarchie comme avec les pouvoirs locaux. Cela se traduit par une certaine discrétion politique et une collaboration avec le pouvoir coutumier.

« Bon, parmi tous les chefs de poste qui se sont succédés, je n’ai pas vu un seul travailleur, qui travaille vraiment pour Balleyara, on ne l’a pas vu encore. Parce que tout celui qui vient prend auprès des commerçants les impôts, les patentes, les taxes. Mais ils demandent tous aux commerçants de Balleyara de nettoyer eux-mêmes le marché. Cela désoriente les commerçants, on a pris de l’argent avec vous dans le but d’entretenir le marché et on vous demande de le faire vous-même. C’est seulement quand Niamey demande de balayer qu’on se précipite avec des tam-tams pour dire que tout celui qui ne balaye pas sera amendé de 4.000 FCFA. Et, par peur de payer ces 4.000 FCFA, tu es obligé de balayer ta maison et ses alentours, c’est tout. A part ça, je n’ai pas vu un seul chef de poste qui a vraiment travaillé pour le village. Peut être un ou deux... » (un habitant de Balleyara).

Il convient de préciser que les chefs de poste ne disposent pas d’un budget propre. Le PA est en effet sous tutelle administrative de l’arrondissement de Filingué et seul le sous-préfet (ou par délégation son adjoint) est ordonnateur du budget de la collectivité. Le CPA ne dispose donc en principe d’aucune autonomie vis-à-vis des ressources que génère la collectivité et doit subir la « tutelle tyrannique » de Filingué. Toute activité impliquant des dépenses sur le budget doit faire l’objet d’une demande dûment acceptée par Filingué. Jusqu’à ce que la perception des taxes soit reprise en main par les agents de la sous-préfecture (exercice budgétaire 2000), le CPA disposait de marges de manœuvre pour engager des dépenses sur le budget de la collectivité. Celles-ci résidaient notamment dans la fourniture à l’arrondissement de justificatifs de dépenses en lieu et place de l’argent issu de la collecte des taxes. Un CPA aurait ainsi pu payer une Mercedes 230 sur le budget de la collectivité… (source : sous-préfecture de Filingué).

Ce constat a amené la sous-préfecture à retirer la gestion du marché et les patentes au CPA pour la confier au secrétaire d’arrondissement. De fait, les opportunités de gestion des deniers publics se sont beaucoup amoindries et le « commandant » pourrait apparaître, en fin de compte, comme un simple relais administratif, arbitre des conflits locaux, relativement fragile et ayant pratiquement les mains liées.

« Le PA est la boite à lettres de l’administration. C’est bizarre, un commandant sans les moyens. A l’époque, les PA étaient sur budget national avec tous les avantages, mais ce n’est plus le cas : pas de budget, pas de carburant, pas de fonctionnement ! » (entretien avec le Chef PA de Balleyara).

Pourtant, son intervention dans tous les domaines de la vie de la localité laisse à penser que des marges de manœuvre subsistent. Il centralise l’information sur toutes les activités qui

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se déroulent dans sa localité et notamment les « projets »25, gère l’organisation locale de manifestations d’envergure nationale ou les visites d’officiels, etc. Par ailleurs, il reste fortement impliqué dans la gouvernance locale à travers le règlement des conflits champêtres, ou l’organisation de la vente du mil à prix modérés…

Les ventes de mil à prix modéré

Ce dernier exemple paraît être d’ailleurs assez illustratif des modalités de gestion d’un service public en même temps qu’il illustre la compétition des acteurs autour des ressources publiques. Mis en place par le gouvernement nigérien et ses partenaires pour aider les populations à faire face à des situations de crise alimentaire, l’opération de vente de céréales à prix modérés a visé deux objectifs : améliorer l’accessibilité des céréales de base pour les plus vulnérables, et lutter contre la hausse des prix des céréales de base.

Pour ce faire, un Comité National a été créé qui a structuré des comités régionaux, sous-régionaux et locaux, établissant ainsi des points de vente décentralisés. Ceux-ci regroupent les cellules régionales et sous-régionales du Service d’Alerte Précoce (SAP) élargies à la société civile pour coordonner la mise en œuvre. (source : SAP Niamey). Pour éviter une « main mise » sur les vivres, il a été décidé de mettre en place un comité local à chaque point de vente. La composition de ces comités a été précisément orchestrée : au niveau de chaque village, le chef de village est président, l’imam vice-président, les partis sont représentés à raison d’un pour la majorité et un pour l’opposition, enfin l’association des femmes occupe le dernier poste.

Pour parer à certains biais observés dans les expériences précédentes, il a été recommandé par les bailleurs de procéder à des ventes en petites quantités (la tia, mesure locale représentant 2 à 3 kilo de grains). A une époque où le prix du mil était de 500 FCFA la tia sur le marché, l’Etat la proposait à 300 FCFA. 28 points de vente furent répartis pour couvrir les 114 villages du canton de Tagazar.

Au niveau du poste administratif de Balleyara, le comité est présidé (d’office) par le chef de poste, assisté par un secrétaire général en la personne du responsable de l’agriculture, deux représentants de l’opposition, deux de la mouvance présidentielle, un gendarme, le brigadier commandant de peloton, et un représentant de l’association ANDDH (qui se trouve être un fonctionnaire du Plan). La vice-présidence fut un temps assurée par X, représentant du chef de canton. On constata divers dysfonctionnements de la structure : les villages-points de vente sélectionnés sur des bases politiques, des quantités livrées aux villages non conformes aux quantités inscrites sur les bordereaux de livraison, un détournement des fonds collectés 26 par la sous-préfecture… et autres infractions restées impunies malgré leur dénonciation auprès du Ministre. Un autre représentant du chef de canton prit la place de X à la vice-présidence. L’imam de Zongo fut dans un premier temps membre du comité jusqu’à ce que il en soit écarté parce que soupçonné de sympathie avec un parti d’opposition. Au-delà des structures d’appartenance des différents membres du comité (PA, chefferie coutumière, associations, autorité religieuse), toute sa composition est le fruit d’un arbitrage politique visant à conforter la position de la majorité au sein du comité.

25 Pour l’anecdote, un chef du projet PGTF fut un jour convoqué au PA où il fut reçu par le CPA et les quatre chefs de canton de l’arrondissement pour une mise au point qui consistait à rappeler que l’autorité coutumière, appuyée par l’administration, est un pouvoir incontournable dans la zone d’activité du projet. (source : entretien avec un responsable du PGTF) 26 Après un premier versement des fonds sur un compte spécial ouvert à la BIA, l’adjoint au sous-préfet, qui selon certains « fait la pluie et le beau temps » à Balleyara, a amené à Filingué l’argent collecté par le comité de Balleyara en dépit des consignes initiales.

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Au début, le comité exigeait des cartes de famille ou cartes d’identité et un registre était tenu, mais finalement ce système fut délaissé, laissant la possibilité aux commerçants d’engager des enfants pour acheter quelques tia pour leur compte afin de revendre celles-ci avec profit. La manœuvre fut découverte et les enfants furent chassés par les gardes.

Finalement, ce sont surtout les fonctionnaires dépourvus de champs qui achètent le mil à prix modéré. Forts de leur capital social, ils ont un accès facilité à ces ressources gérées par leurs « collègues » et peuvent obtenir les céréales au sac à des prix avantageux. D’autres moins chanceux et plus vulnérables ont eu de la peine à bénéficier de ce service public :

« Oui, c'est une seule fois que j'ai eu 3 tasses de maïs, la deuxième fois on a dit qu'on vendait du mil. Ce marabout là m'avait dit d'amener mon argent pour qu'il essaie de voir s'il pourrait m'en avoir, pour lui et pour moi, il avait aussi son argent. Quand il est parti, c'est une seule tasse qu'il avait eu.

Q : Mais les fonctionnaires de l'Etat, eux, on leur vend même un sac dit-on?

R : Mais oui, eux, ils reçoivent. N'est-ce pas eux qui sont les responsables de la vente ?! C'est eux qui sont là-bas, les gardes sont présents. Celui qu'ils veulent, il reçoit. Ce sont des gardes qui étaient là-bas et ils frappent les gens.

Q : Ils frappent les gens ?

R : Oui, c'est ce qui se passe. Moi depuis cela, j'ai dit que je n'en veux pas, je préfère acheter au marché, malgré que c'est cher, c'est mieux que d’être frappée » (entretien avec une ménagère de Balleyara).

Rompus aux modalités de la gestion des biens collectifs au Niger, du fait de leur proximité d’un poste administratif, les habitants de Balleyara savent qu’il faut mobiliser ses relations autant que faire se peut (posséder un capital social, appartenir à un réseau politique) pour accéder aux ressources publiques. Des marges de manœuvre existent pour certains privilégiés même si l’exclusion reste la règle pour la grande majorité. Outre les pratiques clientélistes, il faut noter que la mauvaise maîtrise des quantités (et qualités) de vivres subventionnées par le comité chargé de la vente peut expliquer que des personnes soient refoulées. Mais il reste qu’en la matière, la mise en place d’un comité a plus profité à une petite minorité associée au partage qu’à une transparence dans la gestion de la chose publique. Face à cette « main mise » de certains proches de l’appareil d’Etat, deux catégories d’acteurs réagissent de façon opposée : un public dispersé et non organisé qui proteste timidement contre une répartition inéquitable d’une part ; une tutelle hiérarchique, prompte à saisir les moindres opportunités, pour tenter d’accroître sa part du gâteau d’autre part.

La tutelle tyrannique de la sous-préfecture

Filingué fut d’abord un centre du pouvoir colonial militaire avec son érection en chef-lieu de cercle du Haut-Dallol Bosso en janvier 1901, puis en poste militaire de 1918 à 1923.

A partir de 1927, Filingué devient le chef-lieu de la subdivision du Kourfeye (cercle de Niamey). Jugé trop éloigné de Niamey, Filingué connut une promotion lorsqu’en 1956, le chef-lieu de subdivision fut érigé en cercle puis une régression dans l’organigramme administratif avec sa transformation en arrondissement en 1964. Depuis 1988, l’arrondissement de Filingué est passé sous la tutelle du département de Tillabéri mais, en tant que chef-lieu d’arrondissement, et siège de la sous-préfecture, Filingué occupe le sommet de la hiérarchie administrative au niveau sous-régional.

Un regard sur la situation financière de l’arrondissement de Filingué permet de mieux saisir l’enjeu économique que représente Balleyara, et dans une moindre mesure Abala, pour le fonctionnement de la collectivité.

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Tableau 1 : Recouvrements (en milliers de FCFA) pour l’arrondissement de Filingué entre 1998 et 2000 : 1998 % 1999 % 2000 % taxe d'arrondissement 32 145 56 % 29 368 79 % 57 842 90 % contribution des patentes 2 301 4 % 2 169 6 % 321 1 % taxe de marché 9 417 17 % 2 469 7 % 2 868 4 % recettes gares routières 1 436 3 % 128 0 % 232 0 % identification des animaux 8 983 16 % 1 249 3 % 1 953 3 % ressources animales 1 012 2 % 776 2 % 147 0 % autres taxes 1 685 3 % 1 211 3 % 662 1 % TOTAL 56 979 100 % 37 370 100 % 64 025 100 %

Commentaire du tableau 1

Jusqu’en 1998, la sous-préfecture intégrait l’ensemble des recettes collectées dans l’arrondissement dans son budget annuel. L’essentiel des recettes reposait sur les taxes d’arrondissement (56%), les taxes de marchés (17%) et les taxes d’identification des animaux (16%).

Début 1999, la mise en œuvre de la décentralisation franchissait une première étape à travers la création de communes (loi 98-29 du 14 septembre 1998) et les élections de conseils régionaux (partout), départementaux (partout) et communaux (là où des communes étaient créées). Il était notamment envisagé de conserver les 21 communes urbaines existantes, de transformer les 24 chefs-lieux d’arrondissement en autant de communes urbaines, et enfin d’ériger les 27 postes administratifs en 27 communes rurales. Le nombre total de communes était alors de 7327.

Au niveau de l’arrondissement de Filingué (hors commune urbaine de Filingué), cela se traduisait donc par un éclatement de l’arrondissement en trois collectivités distinctes : le département de Filingué, les communes rurales de Balleyara et d’Abala. Chacune de ces nouvelles collectivités devait acquérir la personnalité morale et l’autonomie financière propres aux collectivités territoriales définies par la loi. De façon anticipative, il fut demandé à toutes les sous-préfectures du pays de procéder à un éclatement du budget d’arrondissement en budgets distincts pour chaque collectivité territoriale qui devait être créée.

Ainsi, le budget de l’arrondissement de Filingué fut éclaté en trois budgets distincts: l’un pour la future commune rurale de Balleyara, un autre pour la future commune rurale d’Abala, le dernier pour le futur département de Filingué.

Les colonnes du tableau 1 présentant les budgets de 1999 et 2000 correspondent donc au budget de l’arrondissement de Filingué de 1998 amputé des deux communes rurales « virtuelles » de Balleyara et Abala.

On constate que les lignes relatives aux diverses taxes de marchés sont pratiquement réduites à néant. Dès lors, la seule ressource de la future collectivité départementale de Filingué devient la taxe d’arrondissement (impôt par tête) qui ne comporte plus que les taxes sur les cantons de l’Imanan et du Tondikandia. En 1999, l’effet de ce transfert encore fictif (dans la mesure où les communes de Balleyara et Abala n’ont pas été effectivement mises en place) se traduit par une réduction drastique du budget qui n’est rattrapée en 2000 que par un accroissement notable du taux de recouvrement qui passe de 25% en 1998 à 43% en 1999 et 66% en 2000 (cf. tableau en annexe 3).

27 Il faut ajouter la commune de Yatakala aux (21 + 24 + 27 = 72) futures communes ci-dessus décrites. La création de la commune de Yatakala fut le résultat d’un compromis entre le gouvernement de l’époque et les pouvoirs locaux du Gorouol et Bankilaré (cf. Observatoire de la décentralisation, rapport Gorouol, 2002).

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« La richesse de Filingué, c’est la population ». Cette formule du sous-préfet résume toute la situation financière de la collectivité. « Si la population ne paie pas, c’est fini ! » poursuit-il.

En attendant, les budgets d’Abala et de Balleyara sont toujours gérés par la sous-préfecture qui, consciente de l’enjeu financier des marchés, a mis en place des mécanismes de contrôle et d’organisation de la collecte des différentes taxes qui y sont liées. Sur le plan de l’organisation, si la distribution clientéliste des postes de collecteurs (récompenser les militants des partis en leur attribuant des postes où il y a « à manger ») n’est pas remise en question, le receveur des impôts (ou le secrétaire d’arrondissement) se charge lui-même de venir récupérer les taxes auprès de ceux-ci les lendemains de marché. Dans les situations de trésorerie délicate, la sous-préfecture prend elle-même en main la collecte des taxes le jour du marché à grand renfort d’hommes en tenue (forces de l’ordre). Cette mesure permet une nette amélioration du recouvrement. C’est par ce moyen qu’elle parvient à assurer le paiement des salaires du personnel des collectivités.

« Le chef P.A ne doit pas faire les perceptions d'après les textes. C'est une ancienne pratique. Les chefs P.A font le recouvrement en fin de journée mais normalement c'est le percepteur de l'arrondissement (ou « l’agent spécial » selon l’ancienne appellation) qui doit le faire » (un responsable de la sous-préfecture).

Cette situation se traduit par un conflit de compétences, doublé d’un conflit de personnes, entre le CPA de Balleyara et les agents de la sous-préfecture de Filingué. Certains pensent d’ailleurs que l’adjoint au sous-préfet, qui est originaire de la zone (Kabe) aurait des ambitions politiques sur la future commune de Balleyara.

Par ailleurs, du point de vue des habitants de Balleyara, l’emploi de la force (pour intimidation) et l’absence de retour en investissements des sommes générées par leur marché renforce le sentiment d’une administration prédatrice et inutile dont on souhaite être libéré au plus tôt.

« Les gens de Filingué, s'ils viennent ici, ils collectent même jusqu'à 2,5 millions FCFA. C'est pour cette raison qu'ils s'accrochent à nous. Nous, nous sommes fatigués. Parce que avec cet argent, même des latrines ils ne nous ont pas fait. C'est le pouvoir seulement que nous n'avons pas et si tu n'a pas de pouvoir, tu dois te comporter en soumis. Sinon… on est fatigué avec Filingué, complètement. Si les gardes viennent ici, ce sont des fusils qu'ils ont, et nous Dieu. Même avant hier, avec un garde, il a fallu que toute la ville s'attroupe autour de nous j'ai dit que "moi, il ne faut pas qu'un garde me cherche, sinon je jure que je le cognerai". Même si c'est ton travail, je te jure que si tu cherches à m'humilier, je n'accepterai pas. Nous sommes vraiment fatigués avec Filingué. Tout cet argent qu'ils prennent ici, ils ne nous arrangent rien avec. Même les fournitures de nos élèves, c'est nous qui les achetons. Les ordures qu'il y a dans ce marché, ce sont nos petits qui les ramassent. Même par exemple une case de passage ou un hangar pour les étrangers, ils n'ont pas fait. Les gens de Filingué nous embêtent, ils nous contraignent » (un intermédiaire du marché).

L’exercice de cette tutelle tyrannique s’étend également aux services techniques qui dépendent hiérarchiquement et financièrement de l’arrondissement de Filingué. Le commentaire de ce fonctionnaire de l’agriculture résume la situation de tutelle et de concurrence qui prévaut entre les agents des deux niveaux administratifs

« On monte des fiches mais aucune n’est retenue. Mais à Filingué, ils ont justifié cela à leur niveau… les factures sont là, tandis que rien n’est fait sur le terrain! On propose, ils disposent. Ils mangent sur nos idées ! Si il y a un travail, on vient chez nous. Si il y a à bouffer, on nous met de côté ! On nous dit " vous n’êtes pas ordonnateurs des dépenses. Ce n’est pas encore la décentralisation ! " ».

Mais au delà de la compétition entre services pour la gestion des ressources publiques, il convient d’examiner le fonctionnement au quotidien des services techniques, représentants de l’Etat local, et leurs relations avec les autres acteurs et notamment les administrés.

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Les services déconcentrés de l’Etat

Plutôt que de présenter chacun des services techniques représentés à Balleyara, nous avons choisi de sélectionner ceux dont le fonctionnement au quotidien nous semble le plus illustratif de la situation qui prévaut dans le PA tant du point de vue des relations avec les usagers des services publics, que des rapports entre ces services et leur environnement institutionnel (tutelle hiérarchique, projets) et, enfin, du rôle qu’envisagent de jouer ces agents dans les futures arènes politiques communales.

Le service du Plan

Le service du Plan est parmi les plus mal lotis des services techniques de Balleyara. Le bureau est quasiment en ruine et ne dispose d’aucun matériel.

« D’abord au niveau de l’Etat, je pense que quand on met une structure en place, il faut des moyens. Quelles que soient la compétence et la volonté, il faut un minimum. D’abord vous avez vu notre bureau. C’est pourquoi j’ai préféré venir ici sous ce manguier. Pour le fonctionnement, si je vous dis que, depuis 2000, je n’ai pas reçu un bic de l’Etat, vous ne pouvez pas me croire ! Vous comprenez bien... dans ce genre de choses, qu’est-ce qu’on peut faire ? » (le chef plan de Balleyara)

La mission du service est en principe de coordonner les activités des autres services techniques ainsi que des « projets » opérant sur l’arrondissement, et de participer à la planification sous-régionale, mais de fait le responsable du Plan a « démissionné ». Cette démission informelle se traduit par un absentéisme marqué au niveau du service. L’absence de moyens pour réaliser la mission qui lui est confiée justifie la recherche de subsides à travers diverses activités de « survie ». Entre les prestations de service effectuées pour le compte du projet PGTF (formation en gestion par exemple), la coordination d’un projet octroyé à des ONG dont il est membre (APRN, ONPH), le maraîchage à Balleyara sur des terres achetées, le chef du plan se « débrouille », sans compter sa participation à divers comités au titre de représentant local de l’ANDDH28.

Il est à noter que les relations avec le service d’arrondissement sont parfois tendues du fait des enjeux financiers que recouvre l’intervention de projets de développement pour les agents (perdiem et autres indemnités, occasion de missions, séminaire, gestion éventuelle d’un budget). La tutelle de l’arrondissement prend là encore toute sa dimension concurrentielle autour de l’accès aux ressources locales :

« Au niveau de Filingué, il y a des projets où le plan est impliqué au niveau de certains villages qui relèvent de notre zone d’intervention. Mais malheureusement on se rend compte qu’ils sont entrain d’empiéter sur notre zone d’intervention » (le chef du plan de Balleyara).

Natif de Filingué et après un parcours professionnel l’ayant amené à servir souvent dans l’arrondissement de Filingué ou dans le département de Tillaberi (soit autant d’occasion d’entretenir un indispensable réseau relationnel), le chef du plan de Balleyara nourrirait dit-on des ambitions politiques locales en convoitant le poste de maire de Filingué dans la perspective de la mise en œuvre de la décentralisation.

Le service de l’élevage

Balleyara dispose d’un poste vétérinaire dirigé par un chef de poste. Au total quatre agents sont en service : un chef, deux agents techniques et un manœuvre. Le personnel du service a des missions préventives (vaccinations, sensibilisation des éleveurs), curatives

28 Cf. liste des acronymes à la fin de ce rapport

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(traitement des animaux malades 29), de formations (formations d’agents para-vétérinaires financées par le PGTF, techniques d’embouche…) et de contrôle (inspection des viandes à l’abattoir).

Certains soins sont payants, notamment ceux qui nécessitent l’utilisation d’antibiotiques. Cela constitue le fonds de commerce personnel des agents qui partent s’approvisionner à Niamey et revendent les produits aux « clients ».

Il doit par ailleurs assurer un suivi statistique, notamment recueillir des données relatives aux animaux présentés et vendus, suivre et rendre compte de l’évolution des prix des animaux et des denrées alimentaires animales (son, céréales), estimer les exportations (vers le Nigéria et le Mali). Certaines de ces missions sont commanditées par un projet de sécurité alimentaire (SIM : système d'information sur les marchés) financé par la Commission de l’Union Européenne, qui prend en charge le carburant, les fongibles et les perdiem des agents.

La sous-préfecture assure parfois les frais liés à des campagnes de vaccination. Autrement, les occasions de missions en brousse sont rares depuis la fin du projet PRSAA, qui avait permis aux agents vétérinaires d’être équipés de moto.

Un conflit a un temps opposé les agents de l’élevage à l’administration centrale. Sous le régime de Baré, le prélèvement des taxes d’identification des animaux fut confié aux politiciens pour permettre de récompenser les militants du parti au pouvoir. La perte de cette prérogative fut très mal accueilli par les agents du service de l’élevage qui tentèrent des actions à travers le syndicat « pour récupérer le droit de prélever les taxes… C’est récemment qu’on nous a rendu ça, avec ce gouvernement » (un agent de l’élevage).

« Avec l’avènement des partis politiques, c’était l’anarchie ! c’est le parti politique au pouvoir qui garde ça. C’est les mêmes gens du temps de Baré qui sont là, malgré le changement de régime. On attend ! » (idem).

Derrière ces luttes internes à l’administration, c’est l’accès aux rentes de situation qui est en jeu : pour mémoire, le montant des taxes d’identification des animaux s’élevait officiellement30 en 1999 à plus de 5 millions FCFA. Au même titre que les autres taxes que les administrations prélèvent dans d’autres secteurs, les agents de l’élevage avaient autrefois la possibilité d’arrondir ainsi les fins de mois.

Si on ajoute à cela la pratique privée d’activités lucratives dans le cadre du travail et la privatisation partielle des services, il en ressort une image peu valorisée des agents de l’Etat aux yeux des usagers :

« Il est entrain de chercher de l’argent pour son compte. C’est ce qui se passe. Eux tous ne se soucient de rien, c’est l’argent seulement qu’ils cherchent, comment faire pour en avoir ? qu’ils n’en manquent pas, c’est tout. Le chef de… (tel service), moi je ne vois même pas le travail qu’il fait, ça fait combien d’années qu’il est là. » (un habitant de Balleyara).

Sans pousser plus avant une description du fonctionnement du Centre de Santé Intégré, des établissements scolaires, du service des Travaux Publics ou encore de l’Agriculture, il convient de retenir la fragilité de l’administration locale. Les biographies des agents et l’expression des difficultés rencontrées dans l’exercice de leurs fonctions indique un net retrait de l’Etat en tant qu’acteur du développement : les agents de l’Etat, sans moyens de fonctionnement, concentrent leurs activités sur la recherche de subsides pour améliorer leur quotidien. Certains agents sont sans bureaux (Eaux et Forêts, Agriculture, Travaux Publics), d’autres dans des locaux vétustes (Plan, Elevage), la plupart n’ont pas de budget de

29 A l’instar de ce qui s’observe dans les centres de santé, c’est le manœuvre qui est chargé concrètement d’exécuter les soins courants aux animaux (observations). 30 Il s’agit du montant des recettes d’identification des animaux collectées sur le marché de Balleyara et perçues par la sous-préfecture.

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fonctionnement, ni de moyens de déplacement. Cela se traduit par une impression de déliquescence de l’administration : l’absentéisme est fort, la palabre à l’ombre et les jeux de cartes constituent l’essentiel de l’activité quotidienne des agents, la recherche d’activités lucratives (production maraîchère, commerce, prestations de services, compétition des agents autour des programmes de formations et séminaires, des cantines scolaires ou des fiches d’opération, créations d’ONG ou associations) est pour certains devenue une activité principale.

Seuls les corps en tenue suscitent encore une peur sur laquelle ils jouent une double partition : celle de l’Etat (assurer l’ordre et la sécurité des biens et des personnes) et celle des prédations exercées à leur propre compte.

La gendarmerie

La population de cette zone est sédentarisée depuis fort longtemps et les conflits autour des usages de la terre restent très présents tant dans les esprits que dans les faits. Ces conflits opposent les villageois d’un même village, d’une même famille, mais aussi les propriétaires de champs aux éleveurs peuls qui transitent dans la zone pour conduire les animaux du Sud vers les pâturages du Nord et revenir. Le règlement de ces conflits passe nécessairement par l’intermédiation de la chefferie de village en premier lieu. Bien souvent ce premier niveau de résolution des conflits permet une conciliation des parties. Toutefois, les enjeux sont parfois tels que les litiges dégénèrent, entraînant coups et blessures, et l’intervention de la gendarmerie est rendue nécessaire.

Dans un « esprit de prévention », les autorités administratives et coutumières ont initié depuis trois ans un système pour éviter une multiplication et une dégénérescence des conflits champêtres. Pour la campagne 2001, une date de libération des champs a été fixée (le premier jour du carême) afin que les animaux en transit puissent traverser la zone. De plus, l’ensemble des 119 villages31 du canton cotise à raison de 2.500 FCFA par village afin que la gendarmerie puisse disposer d’un budget (environ 300.000 FCFA 32) censé servir à l’achat de carburant et effectuer des patrouilles de surveillance et de contrôle sur l’ensemble du territoire cantonal.

On assiste donc à une ostensible dérive du service de maintien de la paix dont le financement tend à se « privatiser », tout en gardant son caractère public (agents de l’Etat, véhicules et moyens de l’Etat, salaires de l’Etat). Les contribuables sont soumis de fait à une nouvelle « taxe » au caractère informel et obligatoire pour accéder aux prestations de la gendarmerie.

Sinon, les comportements des gendarmes de Balleyara ne diffèrent pas de ceux observable dans le reste du pays, les gendarmes ayant par ailleurs des carrières professionnelles extrêmement mobiles. Nous renvoyons à la lecture des travaux sur les pratiques de corruption chez les agents de contrôle au Niger 33.

Le pouvoir associatif

Ici et là, les projets de développement ou l’Etat (AFN, Comité des mères éducatrices, comités de vente à prix modérés…) mettent en place des structures de regroupement des

31 Si l’administration n’a pas officiellement reconnu tous les villages du canton de Tagazar, on remarque que, pour prélever cette nouvelle « taxe », aucun n’est oublié. 32 A raison de 15 litres d’essence aux 100 kms, le budget carburant ainsi constitué permettrait de faire 4.600 kms. 33 Cf Tidjani Alou, 2001, in Blundo et Olivier de Sardan (eds): 148-171, ainsi que le numéro 3 d’Etudes et travaux du LASDEL

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« populations cibles » (pour reprendre un vocabulaire qui leur est familier), qui peuvent prendre la forme d’associations formelles.

A côté de ces formes associatives initiées ou promues « par le haut » il convient de noter l’existence d’autres types de regroupements, à caractère formel ou non, d’origine plus endogène, qui s’insèrent dans la « société civile » embryonnaire locale et participent à la vie socio-politique locale.

Les initiatives exogènes et leurs appropriations locales

L’association cantonale Niyya-GRT

Le Projet de Gestion des Terroirs de Filingué (PGTF 34) a initié dans l’arrondissement de Filingué un programme de développement local basé sur une structuration de la « société civile » (vocabulaire du projet) à travers la mise en place dans chacun des quatre cantons d’une association cantonale.

Dans le Tagazar, l’association Niyya-GRT (GRT pour « gestion des ressources des terroirs ») a été créée le 9 septembre 2001. Son siège est basé à Balleyara 35. Cette association, comme les trois autres, est composée de délégués des comités villageois mis en place à l’échelon de base. Elle est appuyée par le projet qui exécute le budget, assez important 36, de l’association, destiné à réaliser des investissements (banques céréalières, centres de santé, classes d’écoles, puits, moulins, etc.) ou des formations (matrones, techniques de production artisanale…).

Positionnée comme maître d’ouvrage, l’association a pour tâche centrale de décider des allocations budgétaires en fonction des projets présentés par les différents comités villageois qui font remonter les projets par le biais de leurs délégués. Un comité d’octroi est mis en place à cet effet. Il comprend 7 membres dont le président de l’association. La règle du jeu veut que le nombre de projets à financer dépasse le budget alloué à l’association, ce qui oblige les décideurs à opérer une sélection parmi les projets en recherchant en principe les meilleurs d’entre eux.

A certains égards, la démarche d’accompagnement, de structuration et de responsabilisation des communautés villageoises entreprise par le Projet PGTF est comparable à celle des projets de pré-communalisation qui sont en cours d’expérimentation dans le pays (cf. exemple de N’Gourti : projet PADL-N-FENU37). Ils sont particulièrement intéressant à observer dans la mesure où ils préfigurent pour une part le mode de fonctionnement des futurs conseils communaux.

Les groupements associatifs mis en place sont classiquement dirigés par un bureau composé d’un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier, pour s’en tenir aux postes clefs. Dans ce type de structures, appropriées par les acteurs locaux, au Niger, il est

34 Le PGTF est un projet financé par l’Agence Française de Développement (AFD). La maîtrise d’ouvrage du projet revient au Ministère du Développement rural. Le PGTF 2 a mis en place sa base opérationnelle dans la ville de Balleyara. Dans cette seconde phase du projet (1999-2001), une réorientation sur le développement local et la structuration du milieu associatif a été opérée. 35 N’ayant fait aucune demande pour participer à l’association cantonale, la ville de Balleyara ne bénéficie pas de l’appui du projet. 36 Le budget de l’association cantonale du Tagazar de la campagne 2000 était de l’ordre de 130 millions FCFA pour 18 opérations sélectionnées. 37 PADL-N-FENU : Projet d’appui au développement local N’Guigmi – Fonds d’équipement des Nations Unies. Voir Hadiza Moussa, Les pouvoirs locaux à N’Gourti, Etudes et Travaux n° 12, Lasdel, Niamey, 2003.

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fréquent d’observer que le pouvoir de décision est directement lié à la position que tel ou tel acteurs occupe, ce qui autorise une approche positionnelle des organisations en question.

Malgré la volonté affichée du projet d’écarter la chefferie coutumière de ces structures associatives, les bureaux sont composés de personnalités locales influentes plus ou moins directement liées à la chefferie coutumière.

Tableau 2. Liste des membres du bureau exécutif et du commissariat aux comptes de l’association

Niyya-GRT :

Poste Nom Localité de résidence

Lieu de naissance

Date de naissance

Activité professionnelle

Président Insa Salika Zarmey Zarmey 1945 chef de village Vice président Alhassane Abba Sandire Sandire 1926 chef de village Secrétaire général Hadiza Abdou Balleyara N’Gawa 1974 ménagère Secrétaire G. adjoint Seyni Soumana Borgobéri Borgobéri 1965 cultivateur Trésorier général Alhassane Adoum Winditan Winditan 1948 cultivateur Trésorier G. adjoint Ahmed

N’Gawakoye M’Bama M’Bama 1935 cultivateur

Chargés de l’information Issa Cheick Alzouma

Balleyara Agou Balleyara

1962 enseignant

Mounkaïla Amadou

Lamoudi Lamoudi 1964 cultivateur

Commissaires aux comptes

Soumana Ayouba Zarmey Zarmey 1964 cultivateur Abdou Harouna Kabe Kabe 1947 cultivateur

L’accès aux positions décisionnelles est en principe déterminé par un consensus (cf. procès verbal de la réunion constitutive de l’association Niyya/GRT du 9 septembre 2001) mais est en fait négocié :

« Il y a deux candidats et il faut voir celui que la population veut. […] Avec Alhassane Albadé 38, c’est nous les anciens fonctionnaires. Donc Alhassane Abba est venu dire qu’il n’y a pas de vote entre nous, il accepte d’être mon vice-président » (entretien avec I. Salika à Zarmey, Président de Niyya-GRT).

Dans le cas de l’association Niyya (cas qui n’est pas nécessairement représentatif de la situation des autres associations cantonales) la présidence est assurée par un chef de village et la vice-présidence par un autre chef de village.

L’analyse des projets réalisés par l’association sur le budget de l’année 2000 montre que les villages du président et du vice-président de l’association ont été particulièrement avantagés avec respectivement deux projets à Zarmey (une banque céréalière, une étude de bretelle d’accès) d’un montant total de 6.400.000 FCFA et trois projets à Sandiré (un dispensaire, une étude de traitement de kori, une réhabilitation de puits) qui a bénéficié d’investissements à hauteur de 73.021.000 FCFA. Ce montant total représente plus de 60 % des investissements réalisés dans le canton du Tagazar durant l’année 2000. Les deux villages totalisent 5 projets sur un total de 18 retenus par le comité d’octroi (cf. en annexe 2 la liste des projets retenus pour la campagne 2000).

Si on considère que, dans un contexte de ressources limitées, des arbitrages temporels sont négociés (« vous aurez l’année prochaine ! » : argument donné aux délégués déçus de Kabe, qui présentaient un projet de dispensaire concurrent de celui de Sandiré), il apparaît

38 Actuel chef de canton du Tagazar.

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clairement qu’une analyse sur plusieurs exercices budgétaires s’impose pour tirer des conclusions.

Toutefois, le PGTF signale que sur les 25 projets de banques céréalières pour les 4 cantons, seule la banque céréalière du village de Zarmey, dont le chef de village est trésorier du comité villageois, a détourné les profits liés à la vente des stocks.

Le président de Niyya est un personnage au parcours professionnel hors du commun : muni de son niveau CM2 et d’un permis de conduire, I.S. a fait sa carrière hors du village natal. Il a travaillé pour Air Afrique, l’OPVN, l’INDRAP, l’OMS. En lien étroit avec le pouvoir sous le régime de Seyni Kountché, il aurait accompli toutes sortes de missions secrètes dans les pays voisins (Tchad, Libye, Bénin). Il est encore aujourd’hui membre influent d’un syndicat de transporteur. Véritable courtier en développement de son village, il a pu obtenir l’intervention du PASP, d’Aide et Action et du PGTF. Sur le plan politique, I.S. milite en faveur du parti MNSD. Son village a également bénéficié des distributions de vivres organisées par l’Etat (source : entretien avec I.S.).

Par ailleurs, il faut souligner qu’une femme est membre du bureau de l’association. Elle occupe le poste de secrétaire général. Une autre est secrétaire dans le comité d’octroi. Dans un milieu où les femmes sont généralement écartées des débats publics, la présence de deux femmes dans l’association constitue une sorte d’exception derrière laquelle on peut voir la main invisible du projet.

« Bon, la première fois quand ils ont voté entre lui et moi, c’est lui qu’ils ont élu parce que tu sais les hommes là… quand c’est une femme, peut-être qu’ils pensaient que je ne pouvais pas. Parce que mon concurrent, je le dépasse en niveau scolaire. Bon, peut-être les gens avaient été influencés et ils ont choisi l’homme et on m’a demandé d’être son adjointe. Cela ne m’a pas plu et j’ai dit que je ne fais pas, de chercher une autre personne. On m’a calmée et on m’a dit de ne pas bouder. Il a travaillé, je ne sais pas pendant 4 ou 5 mois, puis il a eu un problème et il a été destitué. Donc ça fait 2 ans que c’est moi qui suis la secrétaire » (H. A., secrétaire général de Niyya-GRT).

Mais il reste que ces deux postes sont de peu d’importance du point de vue du pouvoir décisionnel. Les femmes n’ont donc encore qu’un faible poids sur l’échiquier politique local (cf. ci-dessous).

Il faut néanmoins dépasser l’approche positionnelle, car le pouvoir de décision ne s’exerce pas seulement au niveau de l’association. Le pouvoir s’exerce aussi par des acteurs extérieurs à l’association, qui tentent d’orienter les décisions par diverses voies ou qui ont la réputation de pouvoir influencer les choix.

Au premier rang de ces acteurs se trouvent les animateurs du projet, qui sont l’objet d’incessantes pressions sociales de la part des délégués ne faisant pas partie du bureau du comité d’octroi. On dit que certains animateurs se sont laissés soudoyer pour avantager le dossier d’un village en lui assurant une meilleure présentation, alimentant ainsi les représentations populaires sur le clientélisme des structures mises en place. Bien qu’ils n’aient qu’un poids limité, leur positionnement à l’interface des villageois et des décideurs leur donne aux yeux des populations un statut très valorisé.

« Les paysans ne croient pas à l’honnêteté des animateurs. Nous récoltons les conséquences des animateurs qui nous ont devancé. Pour eux, c’est l’animateur qui décide tout. Si ça marche, c’est l’animateur. Si ça ne marche pas, c’est l’animateur ! » (un animateur du PGTF).

La chefferie cantonale ne reste d’ailleurs pas à l’écart de la marche du projet. Les quatre chefs de canton de l’arrondissement de Filingué ont d’entrée de jeu clairement fait savoir au coordinateur du projet leur positionnement à l’égard du projet. Ils sont parvenus à imposer quelques employés (gardiens), quelques tâcherons pour l’exécution des travaux, et tentent à l’occasion de favoriser un projet au détriment d’un autre (cas du CSI accordé à

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Sandiré au détriment de Kabe). La mise en place du bureau même semble ne pas échapper totalement à leur contrôle (cf. citation du président page précédente).

Malgré la volonté délibérée des projets d’écarter certains acteurs, les « incontournables » (pour reprendre une expression d’agents du PGTF) parviennent généralement à s’imposer.

Il sera intéressant d’observer les dynamiques sociales en œuvre à travers cette association cantonale, les liens éventuels avec un positionnement électoral dans le cadre des élections municipales à venir, les modes d’accès aux postes décisionnels et les modalités de prise de décision qui prévalent.

Les associations de parents d’élèves

Balleyara dispose de trois établissements scolaires. L’équipement de ceux-ci est relativement pauvre. En ces temps de désengagement de l’Etat 39, qui contrastent avec la gratuité d’antan de l’enseignement, il est demandé aux parents d’élèves regroupés en associations de subvenir aux besoins des établissements et des élèves (fournitures scolaires).

Dans chaque établissement une association de parents d’élèves a donc été mise en place. Dans le primaire, l’impulsion de l’ONG Aide et Action qui intervient dans l’arrondissement en a été le point de départ. L’ONG subvient aux besoins des écoles (construction de bâtiments) et apporte un appui matériel (fournitures scolaires, manuels) et organisationnel (prise en charge dégressive que doivent compenser les associations de parents d’élèves). Ces financements, auxquels se joignent les cotisations des parents d’élèves, compensent partiellement l’incapacité financière de l’Etat à réaliser les investissements nécessaires.

Au CEG de Balleyara, des hangars financés par les cotisations des parents d’élèves (250 FCFA par élève) servent de classes supplémentaires. Ailleurs, les associations de parents d’élèves ou le bureau des mères éducatives 40 prennent en charge l’achat d’une batterie pour les cours de nuit, l’achat des semis pour les activités pratiques et productives, etc.

Si le chef de poste administratif assiste aux conseils d’administration des établissements, le soutien reste d’ordre moral. L’intervention et le soutien du chef de canton s’avère également un point important pour les associations qui ont du mal à assumer les missions qui leur sont déléguées.

Ce désengagement de l’Etat contribue donc à l’essor d’une « société civile » censée prendre le relais. Toutefois, les associations sont confrontées à de nombreux problèmes dans le cadre du retrait de l’Etat et des stratégies de sevrage des organismes d’aide. Les cotisations des parents d’élèves se heurtent à diverses difficultés et la prise de relais se fait difficilement, si bien que dans plusieurs établissements scolaires les élèves ont démarré l’année sans le matériel minimum du fait de « ratés » dans l’organisation.

Dans l’arène politique locale, les associations de parents d’élèves constituent par ailleurs de potentiels tremplins pour certains acteurs, qu’on retrouve par ailleurs dans différents bureaux (voir ci-après). Une étude fine des profils et parcours des personnalités qui animent ces bureaux associatifs pourrait à cet égard fournir des éléments intéressants, à mettre en rapport avec les perspectives de communalisation.

39 Cf. loi 98-12 du 1er juin 1998. 40 CME (comité des mères éducatrices) est une organisation initiée par le Ministère de l’Education au milieu des années 1990 pour favoriser la scolarisation des jeunes filles.

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Les groupements maraîchers

Compte tenu de l’importance du maraîchage à Balleyara, les intervenants extérieurs ont largement promu la création de groupements de producteurs afin, notamment, de faciliter les modalités de l’aide. Plusieurs ONG sont intervenues dans ce secteur : l’ANPIP, l’APRN, l’AROP 41… Ainsi, le secteur maraîcher a été organisé et chaque quartier de Balleyara est entré, à divers degrés, dans la dynamique de groupements de maraîchers dont l’un des objectifs affiché est l’organisation du milieu paysan.

Certains groupements et associations ont bénéficié d’appuis conséquents en grillage, semences, fonçage de puits, crédits-équipements (moto-pompes, petits outillage, intrants,...), etc. qui ont permis d’accroître de façon conséquente les productions et rendements des maraîchers. Les groupements peuvent réunir une centaine d’exploitants, mais aussi bien une petite dizaine, avec la perspective de bénéficier de crédits auprès d’une mutuelle (caisse Alheri, Mutuelle d’épargne et de crédit Tagazar) 42.

« Bon au début, l'année où nous sommes rentrés, ils (les gens des services techniques de Filingué) avaient commencé à nous suivre pour voir ce que nous faisons comme travail. Et il s'est avéré que la plupart des gens ne savent même pas pourquoi ils sont rentrés dans le groupe » (le président des gens de Zongo).

Plus motivées par l’obtention des facilités des structures de micro-finances ou par la nécessité de rentrer dans le moule des conditionnalités des projets 43, les associations de maraîchers n’ont pas réellement d’ambition coopérative permettant de régler des problèmes communs, tels que l’approvisionnement en semences, en engrais, l’écoulement des productions, etc. Dans ces domaines, c’est le « chacun pour soi » qui prévaut. Cette situation profite d’ailleurs aux intermédiaires venus de Niamey, qui démarchent les producteurs en proposant en particulier des formules d’achat à crédit qui mettent les maraîchers en situation de décalage de paiements (occasionnant des difficultés de trésorerie) et de dépendance.

Par ailleurs, le secteur n’est pas épargné par la crise de confiance entre membres d’un même groupement, du fait des pratiques de certains intermédiaires (arnaques, paiements partiels des productions…) et des nombreux détournements qui animent la vie associative, et celle de certaines ONG, qui utilisent parfois les groupements pour collecter des fonds qui ne parviennent aux intéressés qu’au compte-gouttes :

« Tu sais qu'aujourd'hui l'ONG Y se cherche, elle est rentrée dans des problèmes. Ils ont vraiment aidé les gens, ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient. Et maintenant, avec tout cela, les gens eux mêmes on vu les problèmes qu'ils ont parce qu’ils étaient entrain de détourner aux dépens des pauvres. Le chef de canton lui même me l'a dit et a dit que maintenant s'ils viennent, on les suivra pas à pas. Car il a été constaté que s'ils viennent prendre les noms, on se rend compte par la suite que la liste a été truquée. Et c'est après que cela a été constaté. Maintenant ils attendent leur arrivée

41 ANPIP : Association nigérienne de promotion de l’irrigation privée. En ce qui concerne les projets AROP et APRN, il est à noter que les acteurs locaux qui ont bénéficié de leur appui ont oublié la signification du sigle, à moins qu’ils ne l’aient même jamais connue. Ce point est assez significatif du caractère éphémère ou passager des projets, dont peu de traces (en dehors des infrastructures) restent encore perceptibles après leur disparition (fin de projet), et du caractère à la fois artificiel et opportuniste des structures organisationnelles locales (associations ou groupements très informels ne reposant sur aucune vie associative) qui constituent les conditionnalités des projets. Pour information, APRN signifie Association des puisatiers de la République du Niger. 42 Dans le même ordre d’idée, une association des bouchers a été créée à la demande d’un chef de poste administratif. A son départ, les bouchers ont délaissé l’affaire, ne voyant pas dans l’action collective un moyen de résoudre des problèmes communs mais étant plutôt convaincus de la nécessité d’avoir l’appui d’un « grand monsieur » pour faire avancer leurs intérêts (source : entretien avec le président des bouchers). 43 A titre d’exemple, dans le quartier Zongo, chacune des trois associations suscitées par l’ANPIP a dix personnes, ni plus ni moins.

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pour repartir à zéro. Chacun attend l'autre au tournant. C'est pour cela que les projets échouent » (un membre de bureau d’une association maraîchère).

Au delà de l’objectif de captation de la rente du développement qui fonde ces structures associatives, l’engagement massif d’une grande partie des habitants de la localité dans les activités maraîchères donne à ces associations et groupements à caractère micro-local un attrait particulier pour certains personnages influents de la vie sociale, politique et économique locale. Le cas d’un acteur local surnommé « président des gens de Zongo » est à cet égard assez illustratif.

Le leader de l’association de Zongo est également responsable au sein des antennes cantonale et sous-régionale de l’ANPIP, président du comité de crédit de la caisse populaire Alheri (créée par l’ANPIP), conseiller au sein d’une des trois associations de maraîchers de Zongo et secrétaire dans une deuxième. En tant que président de la caisse de crédit, il occupe depuis 1998 le poste de pouvoir par excellence, puisqu’il faut sa signature pour accorder un crédit. Il est encore conseiller du bureau des parents d’élèves… A la différence de ses collègues maraîchers de l’association, le Président des gens de Zongo bénéficie d’une moto-pompe. C’est d’ailleurs aussi le cas du fils de feu X, président dans l’une des association de Zongo et trésorier dans une autre.

Les mutuelles et caisse d’épargne et de crédit

A Balleyara, deux organismes de micro-crédits parviennent à survivre malgré les aléas d’une gestion marquée par les détournements de fonds et l’impunité. Le cas de la Mutuelle Tagazar est assez significatif :

« La mutuelle a connu des moments difficiles. En 1996, ils ont recruté un gérant qui a fait des détournements, K. Après son départ, on a fait des efforts pour reconstituer la Mutuelle puis on a recruté MM. pensant que c'est lui la solution. Lui aussi est parti après quelques temps, mais a glissé une lettre pour dire que c'est un crédit qu'il va rembourser, mais qu'il n'a pas encore remboursé jusqu'à présent. Il est parti avec pas moins d’un million, laissant sa femme et son enfant. Il reste surtout K. qui n'a pas remboursé. Donc on a relancé le dossier, la gendarmerie doit normalement arrêter K. Le chef des gendarmes nous a contacté avec le président de la mutuelle qui est décédé. Nous avons dit qu'il faut que K. soit arrêté et que les choses soient claires avant de démarrer cette phase actuelle. Je ne sais pas par comment K. a été averti, et ils ont amené un grand baron pour dire que c'est lui et non K. qui a détourné l'argent… Nous avons dit que la mutuelle c'est pour le développement du canton. C'est quelqu'un de politiquement, administrativement et socialement posé; on a dit que, puisque c'est comme ça, il faut laisser, que si le coin est développé, ce sont eux qui seront les premiers à être bien. On a laissé K. sortir, car nous on est trop mince dans cette affaire là. Donc, vous voyez, K. est soutenu politiquement et administrativement, il est intouchable quoi ! » (un membre du comité de crédit de la Mutuelle Tagazar).

Les associations féminines

Les associations ou groupements féminins sont assez nombreux à Balleyara. Dans un contexte économique favorable, l’implication croissante 44 des femmes dans les activités de production (embouche, maraîchage notamment), de service (restauration) et de commercialisation est un des phénomènes remarquables de la localité. Impliquées dans diverses associations où les hommes ont traditionnellement le pouvoir, elles ont aussi créé leurs propres structures informelles ou formelles. Les tontines hebdomadaires brassent des sommes non négligeables (qu’on peut estimer autour de 200.000 FCFA par semaine) et les caisses d’épargne connaissent un certain engouement féminin. Le niveau de confiance entre les femmes semble remarquablement plus important que chez les hommes, où les détournements sont la règle plutôt que l’exception, et cette caractéristique a notamment

44 Au cours des cinq dernières années, le nombre de femmes qui pratiquent le maraîchage a augmenté, de même que le nombre de celles bénéficiant de crédits auprès des institutions de micro-crédit.

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intéressé les partenaires financiers tels que Aide et Action, les néerlandais de la SNV (à travers l’ONG AROP 45) ou bien les canadiens de SCSet ACDI 46.

L’AFN, Association des Femmes du Niger, est une association qui se détache du lot. Elle est dirigée à Balleyara par Ouma dite « Ouma présidente », qui est également présidente de la caisse Alheri et du groupe de femmes rattachées au Projet Population. Connue pour sa popularité auprès des femmes, elle fut un leader politique « transhumant » (MNSD, puis Zaman Lahiya, avant de venir au RDP) prisé des partis. Elle fut même un moment candidate aux dernières élections locales (1999), mais, déboutée par les hommes, elle s’est résignée et découragée :

« Le pouvoir, c’est pour l’homme. Donc tu vois l’homme là, nous sommes obligées de lui laisser le pouvoir avec lequel il est. C’est pour cela que par le passé une association a été créée, le RDFN 47. Elles, elles ont dit qu’elles ne travaillent pas avec les hommes. Elles sont venues dire qu’elles mettent fin à leur soumission, elles ont pris de la force. Nous, nous avons dit que nous ne suivons pas. Franchement nous nous ne les avons pas suivies. Le travail des hommes, nous ne sommes pas en mesure de le faire. Il y a des fois où nous disons que nous pouvons égaler les hommes, par exemple dans le commerce, tout ce que l’homme peut faire, nous pouvons aussi le faire, partout où il peut mettre le pied, nous pouvons aussi mettre le nôtre. Mais il y a des endroits où l’homme peut mettre le pied et nous non. Donc nous n’égalons pas les hommes ».

Les femmes, quoique importantes en tant que force électorale, restent en retrait de la vie politique (« tout juste bonnes à voter »), et encore dans une large mesure des débats publics. Quand bien même ceux-ci leur parviennent, elles restent marquées par leur statut et la place qui leur est traditionnellement réservée dans la société locale. Leur fort dynamisme collectif est plutôt orienté vers l’économique et le social.

Les associations d’initiative endogène

L’association des ressortissants du Tagazar

Il existe une association des ressortissants du Tagazar (ART) basée dans la capitale. L’objectif de cette association est officiellement de promouvoir la solidarité entre « les fils du Tagazar ». Elle regroupait à l’origine des élèves qui s’organisaient pour faire des travaux d’intérêt collectif, des manifestations culturelles… mais l’association fut interdite sous le régime de Seyni Kountché. Elle est aujourd’hui soutenue par des fonctionnaires, des commerçants, des hommes politiques de la localité…

Dans sa nouvelle composition, sur la base des cotisations des membres, l’association a mené quelques actions de développement local à Balleyara et dans le reste du canton (action contre la méningite, appuis en période de soudure, tentative de lobbying auprès du Croissant Rouge de la République d’Iran pour installer une clinique à Balleyara…).

Bien qu’initiée bien en amont de la décentralisation, l’association constitue aujourd’hui de fait un outil important dans la conquête du pouvoir local. Les ambitions de fonctionnaires visant un retour au terroir se sont d’ailleurs affichées lors des élections locales de février 1999. C’est, en effet, un ressortissant du Tagazar, enseignant à Niamey, qui fut pressenti comme maire suite à l’élection des conseillers municipaux. Mais ce réinvestissement

45 AROP est une ONG pour le « développement à la base des activités socio-économiques ». Elle est issue d'un projet de la SNV, en tant que structure locale chargée de prendre la relève du projet. Elle intervient en matière de sécurité alimentaire (banques céréalières, cultures potagères) et de genre (amélioration de la condition sociale de la femme) dans la région de Filingué, et notamment dans 18 villages du canton de Tagazar. 46 Cf. liste des acronymes infra 47 Il s’agit de l’autre association nationale de femmes

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dans l’arène locale a été mal perçu localement, en particulier du côté des prétendants aux sièges du conseil municipal.

Le retour au terroir d’origine est une ambition de nombre de cadres de la fonction publique qui voient sans doute dans la communalisation une opportunité de réinvestir politiquement l’arène locale en s’appuyant sur les réseaux des partis politiques. C’est bien évidemment un axe de recherche à privilégier lors des prochaines enquêtes.

L’association Timidria

Timidria48 est une association d’envergure nationale centrée sur la sensibilisation des anciens captifs à leurs droits, dans un contexte démocratique, et le promotion de leur émancipation. Timidria a tenté un moment d’implanter un bureau à Balleyara comme en témoigne un panneau situé à l’entrée de Balleyara. Si l’antenne locale de l’association est effectivement basée à Balleyara, les membres du bureau sont dispersés dans divers villages du canton. De ce fait, leur action semble s’être exercée de façon discontinue et l’impact de leurs thèses émancipatrices semble être resté très léger, quoique certains interlocuteurs pensent que la multiplication des chefs d’origine captive en soit un effet. Leur action est aujourd’hui très discrète dans une arène locale toute orientée vers les activités lucratives.

« Il n’y a pas une seule chose faite par Timidria dans cette région. Même de l’aide aux élèves, Timidria ne l’a pas fait ! ou bien apporter de l’aide à la population en cas de famine, pas une seule fois Timidria n’a fait cela . Ils disent qu’eux les Bella ils vont faire un front commun pour arracher leur liberté auprès des Surgey, c’est tout.[…] C’est seulement un manque de quiétude qu’ils ont amené. Ils n’ont rien apporté d’autre ». (l’imam de Balleyara).

Souvent assimilé à un parti politique, le message idéologique de Timidria semble être resté en décalage avec les représentations populaires de la politique ou de l’aide extérieure, voire de la morale musulmane.

1ère personne : « Oui, ce sont les esclaves qui se sont regroupés en association afin de lutter pour faire disparaître l’esclavage.

2ème personne : Ah bon ? tu sais, nous nous n’avions même pas compris. Nous croyons que c’est un parti.[…]

1ère personne : L’esclavage n’est-il pas terminé depuis longtemps ?

2ème personne : Peut être pour ne même pas prononcer le mot.

1ère personne : Ca existe dans le Coran. Sauf s’ils vont faire disparaître le Coran pour ne pas rencontrer le mot. Que l’esclavage disparaisse ? ça veut dire que c’est des gens qui sont contre le Coran, contre Dieu » (extrait de discussion entre deux femmes de Balleyara).

Dans un contexte dynamique d’émancipation des anciens captifs, Timidria reste un acteur local atypique et mal compris, en retrait de l’arène politique de Balleyara, ce qui contraste avec une présence nettement plus marquée dans d’autres zones du Niger ou à l’échelle nationale (cf. Tidjani Alou, 2000).

Les fada

La ”fadamania” a fait son apparition au Niger depuis quelques années et Balleyara n’a pas échappé au phénomène fada. Les fada sont des regroupements informels, par affinité, de jeunes (plus spécialement des hommes), plus ou moins par groupes d’âge et de quartier, qui sont apparus dans tous les grands centres urbains et villages importants du pays peu après la Conférence Nationale et l’instauration du multipartisme.

48 Timidria signifie en tamachek « fraternité ».

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Bien qu’en général les fada affichent une façade apolitique, elles sont néanmoins souvent sympathisantes de tel ou tel parti politique. Il semble en réalité que ces jeunes 49 savent, le moment venu, utiliser à bon escient vis-à-vis des politiciens en campagne leur insertion sociale locale pour faire en tirer profit : captation d’une partie de la rente de campagne électorale (distribution d’argent et de cadeaux divers). Ainsi, les fada se constituent parfois de toutes pièces à l’occasion du lancement des campagnes électorales. Lors des dernières élections présidentielles par exemple, certaines construit des hangars en bord de route, et de nombreux partis les ont sollicitées pour les représenter, des véhicules leur ont été prêtés, des villas louées avec groupe électrogène et musique, des petites sommes distribuées pour animer des fêtes au nom de tel parti durant toute la campagne.

R : « Lors des votes, personne n’a amené de l’argent ici pour nous dire de faire la campagne. Nous avons tout financé nous mêmes. Depuis les voitures pour le déplacement, et autres.

Q : Depuis qu’ils sont au pouvoir qu’elle aide vous ont-ils apporté ?

R : Ils n’ont pas apporté une aide encore, mais ils ont dit qu’ils n’oublieront personne, tout celui qui est du parti. » (un membre de la fada Z).

Si certaines fada sont fidèles à un parti politique, d’autres savent jouer la carte de l’opportunisme. Ainsi, les individus d’un même groupe se réorganisent parfois dans plusieurs fada et touchent ainsi les rentes électorales de plusieurs partis politiques.

De fait, leur activité fait l’objet d’appréciations diverses au niveau de la population (surtout les générations plus anciennes), et des autorités municipales et coutumières, qui ne leur accordent guère d’importance. Pourtant certaines font montre d’une véritable capacité de mobilisation de leurs membres qui dépasse les moments forts que constituent les périodes de campagne électorale. En dehors de la palabre qui permet d’aborder ouvertement tous les aspects de la vie quotidienne locale ou nationale, ils s’investissent parfois dans des activités d’intérêt collectif : salubrité publique, remblayage de bas-fonds, entretien et balayage des lieux publics, notamment les environs des boutiques qui bordent la route ou bien au niveau du marché, bien que la responsabilité relèverait plutôt du cahier des charges des autorités administratives.

Par de nombreux aspects (organisation par quartier, par groupes d’âge…), la forme d’organisation choisie rappelle des formes plus anciennes d’organisation relancée par le pouvoir central militaire du temps de la « société de développement » (à travers les samaria). Toutefois, il faut souligner qu’aujourd’hui, le mouvement repose sur des dynamiques locales spontanées et non comme autrefois sur une organisation massivement imposée ou initiée par le gouvernement. Ces formes de socialisation renouvelées et modernisées témoignent d’une réelle inventivité et d’un dynamisme répondant aux aspirations de nombre d’urbains d’aujourd’hui. Les fada sont des lieux d’intégration privilégiés pour les fonctionnaires qui « à la descente » (après les heures de service) peuvent se joindre à un groupe. Pour la plupart, en dehors des périodes électorales, les réunions sont des causeries et bavardages, parfois autour du thé et de la musique. On y retrouve des jeunes déscolarisés désœuvrés, venant d’horizons divers, d’origines ethniques variées, et aussi des jeunes qui ont un travail régulier et rejoignent les autres le soir venu, les lendemains de marché. Par contre, les femmes sont très rares dans les groupes.

Le nom que se donnent les fada sont bien souvent significatifs des objectifs de leurs membres. Ainsi la fada Islam organise des discussions autour des paroles d’Islam.

49 La notion de « jeunes » est ici très extensive puisque certains groupes réunissent des tranches d’âge de 15 à 25 ans, d’autres des moins jeunes pouvant avoir la trentaine ou la quarantaine et plus.

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Derrière la ”fadamania” se cache en fait une pluralité de réalités sociales très hétérogènes relevant d’un même mouvement de reconstruction et d’intégration sociale. Les niveaux d’organisation sont très variables d’un groupe à l’autre et les ambitions des uns et des autres sont diverses. Le caractère informel tend à accroître la défiance des autorités à leur égard. Du point de vue des autorités, la reconnaissance des fada passe nécessairement par la légalisation de leur statut, qui n’est pas souvent un souci des jeunes50.

La cour que font les partis politiques aux fada en fait un levier électoral de taille, mais leur dispersion et l’absence de structuration ne leur permettent pas de devenir une véritable force politique dans l’arène locale. Elles demeurent néanmoins un lieu de débat véritable, probablement plus proche de la notion de « société civile » tant adulée des bailleurs de fonds que des formes que ceux-ci mettent en place : mais les « projets » ne peuvent travailler avec l’informel qui caractérise les fada.

L’opportunisme politique à Balleyara

Les trajectoires des hommes politiques de la place montrent nettement un phénomène d’opportunisme politique : quelques années sous telle étiquette politique, quelques années sous une autre, les carrières politiques à Balleyara se se construisent dans le sillage de leaders et au gré des aléas nationaux et des anticipations des acteurs. L’un des leaders de premier rang est le chef de canton du Tagazar. Par ailleurs, le cas d’un fonctionnaire entré en politique et réinvestissant le local semble un bon exemple du type d’acteur oeuvrant dans l’arène par le biais des partis.

Nous donnerons ensuite un aperçu de la façon dont l’action des partis politiques se fait sentir localement à travers les campagnes qui sont menées à l’annonce d’échéances électorales et notamment à travers la bataille électorale de 1999.

Le chef de canton, courtier électoral

La place centrale occupée par le chef de canton dans le Tagazar entrevue plus haut est parachevée par le rôle que celui-ci joue dans la politique des partis. Le chef de canton est considéré comme un homme qui, à une époque, a eu une grande influence sur ses sujets. Appelé d’abord à soutenir son parent Moumouni Djermakoye (président fondateur de l’ANDP Zaman-Lahiya), il a su mobiliser les personnes influentes du terroir (grands commerçants, marabouts, personnalités du syndicat des transporteurs et bien sûr chefs de village…) pour former un électorat favorable à son candidat. Fort de son aura de chef de canton à l’époque du MNSD-parti unique, il a réuni ses partisans pour sillonner le canton et appeler à soutenir Moumouni Djermakoye.

« Ils m'avaient dit que eux, c'est pour le parti qu'ils étaient entrain de faire cette tournée, pour Dieu et pour le chef de canton. Que c'est l'oncle du chef de canton qui est le parti aujourd'hui. Donc que lui même a dit que tout celui qui l'aime, choisisse le parti parce que c'est pour son oncle qu'il lutte : Moumouni Djermakoye. Ils ont dit alors "que les gens se mobilisent !". Je leur avais répondu que comme vous avez dit de suivre le chef de canton, ce n'est pas le parti que j'aime, mais le chef de canton, parce que partout où on le tue, on me tuera aussi, c'est pour moi une obligation. Ils m'ont répondu que c'est vrai. J'ai dit que je suis en entièrement d’accord à cause du chef de canton et non à cause du parti. […] Lorsque la dissension est née entre les tenants du MNSD, Moumouni Djermakoye créa un nouveau parti. Et le chef de canton a encore dit que tout celui qui est avec lui choisisse Zaman Lahiya. Et là aussi pour toutes les activités, nous venons, en grand nombre. Personne ne reste à la traîne, même les femmes et les vieux. On était sur ça, puis ils se sont séparés. Ces derniers temps, lui même n'aime pas le Zaman Lahiya » (entretien avec un imam d’un village du Tagazar).

50 Voir Lund C, 1999, à propos des fada de l’Est du Niger.

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De Zaman Lahiya, le chef de canton s’est tourné vers le RDP de Baré et ce jusqu’aux élections locales de 1999. Il affiche aujourd’hui une ligne de conduite dans le droit fil des textes officiels : « je suis au dessus de la mêlée ! ».

Il convient surtout de retenir que la chefferie coutumière est un puissant levier électoral. Certains villages du Tagazar sont connus pour voter d’une même voix, celle du chef de village. Rallier un chef de village devient dès lors un enjeu électoral pour le chef de canton. La rumeur veut que celui-ci favorise les scissions de village lorsqu’un chef de village ou de quartier s’oppose à ses directives de vote. De fait, aux scissions familiales viennent souvent se greffer des scissions politiques. Mais les chefs ne sont pas les seuls acteurs politiques, ils rencontrent des résistances de la part d’autres acteurs politiques locaux. Certains d’entre eux bénéficiant de leur position dans l’administration constituent de puissants contre-pouvoirs.

Itinéraire politique d’un administrateur

X. est agent de la sous-préfecture de Filingué, originaire d’un village zarma du Tagazar. Son itinéraire professionnel et politique illustre bien la façon dont les réseaux sociaux et politiques sont utilisés dans une carrière.

« J’ai commencé comme enseignant en 1985 jusqu’en 1996. Dans mon premier poste j’étais à Birni N’Gaouré et militant du MNSD. Avec le réseau, j’ai pu être affecté ici à Filingué. En 1996, j’ai fait Balleyara mais j’ai rencontré l’opposition du chef de canton du Tagazar qui voyait en moi un danger politique. J’ai été accepté par le chef de canton de Tondikandia, d’abord dans un petit village de brousse avec 2 classes. J'ai fait 2 semaines et l’inspection m’a aidé pour avoir une école de 6 classes à Fandou Béri où je suis resté deux ans. En 1998–1999, j’ai fait une école à Fandou Mayaki, puis Damana l’année suivante. Je n’ai pas terminé l’année, on m’a donné le poste d’adjoint. Donc, j’avais mon cursus professionnel et mon cursus politique : j’étais directeur de campagne dans toutes les élections et aussi formateur des formateurs au niveau de Tillabery. En 1999, j’étais même candidat pour le conseil municipal pour le MNSD » (X., agent de la sous-préfecture de Filingué).

X est fortement opposé à son chef de canton. Il dispose pour mener son combat politique d’autres « armes » que les chefs :

« Les Zarma, aux législatives et aux présidentielles, c’est par affinités qu’ils ont voté pour le MNSD. Ils ont suivi un grand commerçant qui était au RDP et qui s’est rallié à moi. C’est lui qui paie l’impôt de tout le village depuis deux ans. Il a aussi construit la mosquée du village. […] les Buzu51 sont nombreux et aussi ils font bloc commun. Leur ethnie est une « arme ». Les Touaregs souffrent de leur minorité. Les gens ont compris la démocratie… » (idem).

Dans un canton réputé pour son brassage ethnique, les arguments ethnicistes reprennent le dessus lorsqu’il s’agit d’accéder au pouvoir. L’opinion selon laquelle l'ethnocentrisme et le régionalisme sont les bases des partis politiques est d’ailleurs fortement ancrée aujourd’hui au Niger :

« Je crois que c'est dans un cas général. Partout les partis sont ethniques. Il y a des gens qui s'en foutent. Il y a des Peuls qui se retrouvent à la CDS par exemple. Mais ils sont très peu nombreux. La majeure partie des partis politiques sont ethnicistes. Si tu prends la CDS tu vois Zinder ; si tu prends l'ANDP, tu vois Dosso. Donc tous les partis sont presque régionaux quoi. A chaque élection, chacun à presque une zone qu'il prend. A Dosso, c'est l'ANDP. C'est peut être le MNSD qui arrive à avoir quelque chose partout mais lui même en réalité il a sa zone à lui » (un fonctionnaire du PA).

Mener campagne dans le Tagazar

De l’avis des militants des partis comme de celui des personnes qui s’en tiennent à l’écart, la politique se résume à la tromperie (« mensonges et fausses promesses »). La

51 Terme hausa pour Bella

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présence des partis dans les villages ne se manifeste qu’à l’occasion des élections. Les campagnes sont d’ailleurs des périodes appréciées des populations qui, dupes ou non des discours de chacun, se contentent d’amasser les pagnes, tee-shirts, vivres et petites coupures distribués largement.

Les discours électoraux laissent peu de place aux débats sur des questions d’intérêt général mais axent l’essentiel de leur propos sur les promesses de prospérité, de protection et de distribution, souvent sur le dénigrement des autres partis ou candidats, parfois sur la menace :

« En certains endroits, nous avons fait aux gens des gros mensonges. Nous leur avons dit que s’ils ne nous suivent pas, la chose qui va venir après sera tellement catastrophique, que c’est eux que ça trouvera parce que nous, nous aurons pris les devants, ils ne nous verront pas. Il y a des endroits où nous faisons seulement peur aux gens.[…] Dans tout village où les militants du parti Y son nombreux, nous nous y rendons. Et vraiment nous mentons. D’ailleurs nous avons fait la campagne sur la base de mensonge. Nous partons avec le candidat. Nous prenons la parole, nous le présentons, puis il prend la parole. Entre temps, il nous avait donné de l’argent que nous donnions à la population. Nous donnons aux hommes, aux femmes et aux jeunes pour acheter du thé, puis nous continuons » (une militante, parti Y).

Tout est bon pour rallier le maximum de voix possible pour son candidat. Mais les distributions nécessitent des moyens importants et dans un village orienté sur le commerce, les riches commerçants deviennent des partenaires essentiels de la bataille politique. Au niveau du PA, les bureaux politiques des partis comptent un nombre important de commerçants El Hadji. Il faut d’ailleurs noter que le député RDP de l’arrondissement est un riche commerçant de Balleyara.

La composition des bureaux est le fruit de compromis entre le local (les habitants) et le national (les ressortissants) visant à satisfaire le plus grand nombre. Par exemple, le bureau du parti RDP compte 35 membres. Quant au bureau du parti MNSD élu au 1er septembre 2001, il comptait 74 membres, 16 conseillers et 2 commissaires aux comptes. Chaque responsable d’un secteur (secrétaire général, chargé des élections, chargé des affaires culturelles, etc.) se voit attribuer de deux à cinq adjoints. Ces responsabilités fictives ou honorifiques permettent de contenter à peu près tous les militants actifs, aucun ne devant être oublié lors de la distribution des récompenses.

La période post-campagne se traduit pour les militants les plus en vue par toutes sortes d’avantages, dont la distribution de vivres à titre gratuit ou à prix modérés, la fourniture d’un emploi ou un poste « juteux », etc. Quant aux paysans : « Une fois qu’on gagne, c’est fini. Nous ne retournons pas vers les gens, et eux ne nous verront pas » (un leader de campagne électorale, ). Certains villages reçoivent tout de même via leur chef de village quelques sacs de sel ou de mil lorsqu’ils ont massivement voté pour le parti gagnant.

Si les pratiques consistant à récompenser l’électorat sont la règle, elles sont toutefois l’objet de dissensions internes au sein des partis, certains membres arguant du caractère nuisibles de ces pratiques. Mais ces dénonciations au sein d’un même parti sont surtout le fait de concurrents déçus :

« J’ai eu à faire une intervention auprès du Ministre. Il a répondu : « c’est apolitique ! Pas question de faire des points de vente (opération céréales à prix modérés) au niveau des villages qui ont voté pour tel parti. ». Mais cela n’a rien fait. Le chef PA et même le sous-préfet sont des figurants. Certains sont en train de tuer le parti ici. Les gens se rabattent sur l’opposition » (W., leader d’opinion à Balleyara).

Pour le plus grand nombre, il semble que la fidélité n’est due ni aux hommes ni aux idées, et qu’il s’agisse le plus souvent de faire le bon pari.

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R : « Aujourd'hui, nous sommes tous du MNSD, même toi tu es du MNSD. Mais si on arrive à distinguer le faux du vrai, on saura qui est réellement du MNSD, mais aujourd'hui, tout le monde l'a rejoint. Dans ce jour, si toi tu quittes, où iras-tu ?

Q : Parce qu'il est au pouvoir ?

R : Bien sûr. Aujourd'hui c'est lui. Mais lorsqu'il n'était pas au pouvoir, personne ne hissait ses couleurs à part nous, mais aujourd'hui ils nous l'ont pris. Ils nous l'ont pris parce qu'il est devenu bon » (un commerçant à Balleyara).

Cette conception est encouragée par les pratiques de la récompense sélective qu’opèrent les agents de l’Etat , eux-mêmes récompensés par leur parti (par l’attribution d’un poste « où il y a à manger »).

La bataille des municipales de 1999

Sur la base du schéma de mise en œuvre de la décentralisation arrêté en 1998 prévoyant notamment l’érection des chefs-lieux de poste administratif en communes rurales, des élections municipales furent organisées en février 1999. Quoique « entachées d’irrégularités » (manœuvres d’intimidation, bourrages d’urnes, ententes entre les responsables politiques des bureaux de vote, etc.) et annulées par le pouvoir en place (RDP Jama’a du Président de la République de l’époque Baré Maïnassara), les élections se sont effectivement déroulées, et les résultats à Balleyara ont consacré la victoire des candidats du parti au pouvoir.

Sur 19 sièges à pourvoir, le MNSD Nassara en obtint 6, contre 11 au RDP Jama’a et 2 seulement pour la coalition ANDP Zaman Lahiya /PNDS Taraya (source: Sahel Dimanche du 19/02/1999). Ces données officielles sont d’ailleurs toujours contestées par les deux principaux partis qui aujourd’hui encore déclarent des données contradictoires.

L’étude des profils et carrières des conseillers, des réseaux sociaux locaux et extra-locaux au sein desquels ils évoluent, des modalités d’élection ou de sélection du futur maire au sein des 19 conseillers élus lors des municipales de 1999, est à l’évidence un élément clef des études complémentaires à réaliser pour parachever ce tableau de la politique locale.

Les pouvoirs religieux et magico-religieux

Au sein du groupe stratégique que nous avons appelé « pouvoirs magico-religieux », nous distinguerons trois grands groupes d’appartenance : les musulmans tidjanistes, les Izahlistes et enfin, les prêtres guérisseurs (zimma).

Les Tidjanistes

Plusieurs figures locales se distinguent au sein du courant des Tidjanistes, qui est le courant dominant de l’islam à Balleyara. Par ordre décroissant d’importance, nous présenterons successivement la place qu’occupent différents protagonistes : le Cheikh Aliou Aboubacar, l’imam de la mosquée du vendredi , et l’imam du Idi.

Le Cheikh Aliou Aboubacar

Le Cheikh est considéré comme un marabout ayant acquis une connaissance approfondie du Coran, de l’exégèse du Coran, de la Sunna et de la charia. Il est également reconnu comme un sage et bénéficie à ce titre d’une forte considération populaire et d’une certaine aura.

Le Cheikh est celui qui dirige les croyants vers le chemin des prophètes. Paradoxalement, ce n’est pas lui qui dirige les prières du vendredi. Son pouvoir est plus

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discret. On vient le consulter pour obtenir des incantations, une fatiya… Son statut de Cheikh est obtenu par cooptation de ses pairs et de ceux chez qui il s’est instruit.

Dans cette région du Niger, le Cheikh qui fait référence est celui de Kiota, auquel le Cheikh Aliou Aboubacar rend visite régulièrement.

Lui-même est très influent si l’on en juge par les marques de respect que lui montrent les pouvoirs politiques (notamment le député de Balleyara), les autorités administratives (chef de poste et ses aides) et les autorités coutumières (le chef de canton ou son représentant), qui participent aux cérémonies lors des grandes fêtes (Mouloud, nuit du destin, Ramadan) et apportent leurs contributions, au même titre qu’une grande partie de la population de confrérie tidjaniste. Ces marques de respect sont mutuelles et le Cheikh n’hésite pas lui-même à se déplacer :

« Je pars voir le chef de poste pour l'honorer car cet honneur que Dieu lui a donné, la personne doit le respecter. Car pour nous, tout celui que Dieu élève, que ce soit dans la voie de l'Islam ou du pouvoir, on doit le respecter. Car toute personne importante ne minimise pas une autre personne importante. Si la personne le fait c'est que ce n'est pas une personne importante »

Cette représentation du pouvoir implique des visites régulières qui sont autant d’occasions pour le Cheikh de se tenir au courant de toute chose et de donner son avis aux décideurs.

L’imam de Zongo

L’imam est le marabout désigné pour diriger la prière du vendredi. A Balleyara, l’imamat est transmis de père en fils. A condition qu’un minimum de conditions soient remplies (avoir étudié le Coran, être marabout), l’héritage de la fonction reste familial, plus par pratique que par principe. En effet, la désignation de l’imam doit avant tout répondre à des critères d’excellence dans la connaissance du savoir coranique et de confiance des fidèles:

« Celui qui sait, c'est lui qu'on doit mettre. Mais ici ce n'est pas comme ça. La personne fait de ça une question de bon vouloir. Elle dit que ça lui appartient parce qu'elle est née ici ou a grandi ici, ou bien parce qu'elle est la plus âgée. Bon, l'islam ce n'est pas cela » (le Cheikh Aliou Aboubacar).

La mosquée du vendredi des Tidjanistes est située à Zongo, quartier des étrangers. Elle est aux mains d’une famille hausa qui y est installée depuis longtemps et a obtenu l’imamat.

L’imamat est dans la pratique comme un bien de famille, qui se transmet de façon patrilinéaire (à l’instar de ce qui se pratique dans le domaine coutumier pour l’héritage de la chefferie), qu’il convient d’entretenir et préserver quels qu’en soient les inconvénients. La carrière peut être embrassée à regret mais le choix de placer un individu de la famille dans cette voie relève d’intérêts supérieurs familiaux :

« J’avais déjà commencé à étudier avec mon père qui était aussi imam, à sa mort, mon grand frère lui succéda, après sa mort, ce fut mon tour… je faisais du commerce, c’est ce qui me plaisait. C’est la responsabilité d’imam que j’ai sur moi qui m’a empêché de continuer. On m’a forcé à être imam. Moi même je ne l’ai pas voulu, mais j’avais un grand frère qui était au Soudan…

Q : Celui qui a été imam ?

R : Non, c’était un autre. On m’a expliqué que si je n’accepte pas ce rôle, il y aura quelqu’un ne faisant pas partie de la famille qui va l’accepter et dans le cas où mon frère reviendrait, ça va causer un problème si lui il veut être imam. Mais s’il me trouve dans ce rôle, je pourrais aisément lui céder la place. Il s’est avéré que lorsqu’il était revenu, il a dit qu’il ne voulait pas de cette responsabilité et a préféré retourner à Niamey.[…] ce qui fait que je me trouve toujours imam. Sinon je serai resté commerçant » (l’imam de Zongo).

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L’imamat apparaît ici comme une charge contraignante (présence chaque vendredi, enseignement) qui empêche l’exercice d’autres activités plus lucratives tel que le commerce ou même le métier de simple marabout :

« Vous voyez, nous sommes en période du mil, tous les marabouts sont partis en campagne chercher du mil, mais moi je ne suis pas parti » (l’imam de Zongo).

Tenant du savoir coranique, l’imam est sollicité pour rendre des jugements. Le cas le plus frappant en termes de changement social est celui du partage de l’héritage, point sur lequel son arbitrage est sollicité. La coutume veut que la femme n’hérite pas, mais sous la pression du chef de canton, l’imam s’est vu confier par le chef de canton du Tagazar la mission de changer cet état de fait pour entrer dans le chemin tracé par le Coran, où il est précisé que la femme a droit à un tiers de l’héritage contre deux tiers à l’homme. Il effectue pour ce faire des tournées à l’occasion desquelles il tente de faire appliquer le droit musulman.

Pour compenser la faiblesse des rentes de l’imamat, l’imam de Balleyara exerce aussi le métier de maraîcher. Il est par ailleurs très impliqué dans les mouvements dits de la « société civile » et participe à de nombreuses associations. Il est par exemple président de l’ANPIP au niveau de la sous région et au niveau cantonal, il est aussi président du comité de crédit de la caisse populaire d’épargne et de crédit, il est encore conseiller de l’association des parents d’élèves.

Tenants de la morale musulmane, les imams sont généralement sollicités pour participer aux différents comités, soit pour asseoir une certaine autorité de l’institution en question, soit encore pour lui donner une légitimité populaire.

Celui-ci a été invité à participer à la Commission de vente de céréales à prix modérés mise en place par le gouvernement lors de la campagne 2001.

L’imam du Idi

De même que la hiérarchie du pouvoir coutumier exclut d’office certaines catégories sociales, les fonctions d’imam ne peuvent être confiées à des forgerons (garasey) ou des descendants de captifs (Bella et banyey). A la rigueur un descendant d’esclaves peut diriger la prière du vendredi de manière ponctuelle ou pour certaines occasions particulières.

Aussi, un peu à la marge (dans le quartier Aggu kwaara teeji, quartier de Bella situé en périphérie au nord du marché de Balleyara), un deuxième imam a été désigné pour le « Idi », c’est-à-dire la prière du jour de la fête du Ramadan ou de la Tabaski. Il s’agit de prières facultatives et donc de moindre importance. Les fidèles s’y rendent en perspective des récompenses divines que de telles prières sont censées octroyer. Frère aîné du chef de quartier, l’imam du Idi a été choisi il y a environ 10 ans suite à la destitution de son prédécesseur.

Il a ses talibés, participe à certains jugements au niveau de son quartier, mais est peu en lien avec les « grands » (chef de canton, chef de poste, commerçants, député et autres politiciens, cheikh), à l’exception du Cheikh de Wallewal.

Les Izalistes

La religion musulmane connaît aussi d’autres types de dissensions. A Balleyara, depuis trois à quatre ans, les Izala ou Izalistes s’opposent au courant dominant (et plus anciennement implanté) des Tidjanistes. Quoique affaiblie par l’interdiction récente par le

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gouvernement nigérien52 l’association qui regroupe les Izala reste active et compte déjà de nombreux adeptes depuis qu’ils se sont implantés (1998).

L’opposition est si tranchée que les deux tendances font mine de s’ignorer :

« La raison pour laquelle on ne se rend pas visite : chacune des parties a des choses que l’autre partie n’aime pas. Par exemple les gens de Izala disent que le Prophète n’a pas fait la Tidjania, n’a pas dit aux gens de la faire, donc tout celui qui la fait n’a rien fait. C’est donc ce qu’ils disent. Les gens de la Tidjania eux-mêmes savent que le Prophète ne l’a pas faite, n’a pas dit de la faire, mais après sa mort, 1200 ans après sa mort, Cheffou Amadou Tidjani l’a fait sortir. Lui, il avait dit que la prière de l’ashir et la prière du magreb ne font pas partie des prières obligatoires, mais la personne doit rester implorer Dieu au lieu de ne rien faire selon lui. Ca c’est une chose ! Pour les Izala tout ce que le Prophète a amené, il n’y a pas d’apport supplémentaire acceptable. Donc, on doit se limiter à ce que le Prophète a dit sans que quelqu’un d’autre apporte des modifications. C’est le problème qui existe entre les gens de Izahla et ceux de Tidjania ».

Se présentant comme des réformateurs, des puristes suivant les strictes préceptes du Coran, les Izalistes entendent « nettoyer » (= ce que signifierait le terme Izala), enlever la couche de saleté (les innovations) de la religion musulmane, « pourrie par les gens qui sont venus après le Prophète et les marabouts africains en particulier, et restaurer la Sunna du Prophète » (entretien avec un marabout Izala de Balleyara).

Ils ont pu s’implanter de manière très rapide dans les différents grands centres urbains du pays, notamment grâce à des fonds extérieurs. Appuyés le plus souvent par des érudits, souvent étrangers à la localité d’implantation, détenteur d’un charisme et d’une rhétorique basée sur une connaissance pointue du Coran, les Izalistes recrutent des adeptes de tous les milieux sociaux.

L’argumentation réformatrice des Izalistes repose sur une dénonciation des pratiques contraires à l’Islam : « Ceux qui ont falsifié la religion mangent là dedans ». Les Izalistes se présentent également comme les tenants d’une éthique économique et morale contre le gaspillage, la corruption, ils dénoncent volontiers les professions « sales » telles que douaniers, collecteurs de taxes. Ils désapprouvent strictement les mauvaises mœurs (adultère, prostitution…) et rejettent toutes les pratiques animistes (notamment celles des zimma).

Le zimma tarey : le pouvoir des prêtres devins guérisseurs

A cette opposition religieuse à visages découverts s’ajoute une composante plus discrète mais fort prégnante, celle des zimma. Ceux-ci implorent les génies et pratiquent notamment les rites de possession. Leur nombre important à Balleyara et la forte fréquentation de leurs rituels témoignent d’une influence réelle, mais qui n’est plus ce qu’elle était53.

Les marabouts estiment d’ailleurs que la population est essentiellement tournée vers ces pratiques traditionnelles.

R : « Non, parce que les gens aiment cela. C’est quelque chose qui fait appel aux génies, il y a les cérémonies. Les femmes, les belles femmes se lavent, se sapent, vont là-bas, on fait résonner les calebasses, elles sautent, elles font tout, c’est pour cela qu’elles aiment ça. Il y a des fois où lorsque quelqu’un est malade, ils disent qu’ils vont le soigner. Il y a des gens qui croient à cela, particulièrement les femmes-là, elles croient beaucoup à ça.

52 Suite aux évènements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le gouvernement nigérien a interdit l’association des Izalistes Adin Islam. 53 Les rapports des commandants de cercle des années 1926 et 1927 signalent effectivement une inquiétude et une préoccupation à l’égard du mouvement fétichiste de Chibo (les premiers hawka), mouvement qui était mentionné dans l’argumentaire visant au rétablissement d’un poste administratif à Filingué. Sur ce point, voir J-P. Olivier de Sardan, 1984 : 276-285.

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Q : Ils ont beaucoup d’adeptes ?

R : Oui, ils ont beaucoup d’adeptes, beaucoup, beaucoup » (l’imam de Zongo).

Les zimma (zimma : singulier, pluriel zimmey) s’occupent de protection magique, de voyance, et de guérison de toutes les « maladies de génies » (ganji doori). Ils sont consultés par tous ceux qui suspectent des afflictions provoquées par la magie, les sorciers ou les génies, et ne relevant pas de la thérapie bio-médicale. Chaque zimma est plus ou moins spécialisé dans un type donné de génies, il possède souvent une connaissance de plantes aux vertus thérapeutiques et recourt à divers rites pour intercéder envers les génies, et « guérir » le malade, le possédé.54

La profession est peu hiérarchisée. Un zimma peut recevoir des patients provenant de villages fort éloignés du seul fait de sa réputation à soigner tel type de maux ou à intervenir auprès des génies. Leur popularité est un argument pour l’intégration de certains d’entre eux au sein du comité de gestion du CSI.

Par ailleurs, si la fonction de zimma n’exclut pas la croyance et le respect des rites musulmans, les zimma sont totalement rejetés par les Izahlistes mais sont généralement tolérés par la communauté musulmane tidjaniste avec laquelle des formes de « cousinage » se sont tissés.

« Nous si un zimma nous donne la main, nous l'acceptons, nous le saluons. Il blague avec nous, nous blaguons avec lui, mais ce n'est pas une blague sincère, comme quelqu'un qui a un lien de cousinage avec toi et qu'il se trouve que c'est une personne "tordue". Donc, si tu ne veux pas te quereller avec lui, tu lui dis des paroles qui ne sont pas choquantes car l'islam là, c'est la douceur qui le conduit. On parle avec eux, on cause avec eux, on blague avec eux, on leur donne des petites choses, pour qu'ils se convertissent à l'islam » (le Cheikh Aliou Aboubacar).

Il existe au sein des prêtres-devins-guérisseurs un chef de cérémonie des rites de possession (sarkin bori, terme hausa généralement employé).

Au septième mois de l’année, le sarkin bori procède à une cérémonie d’importance (yenandi) visant à préserver la campagne hivernale des catastrophes (manque de pluie, attaques d’insectes sur le mil, foudre, etc.) et assurer la prospérité à tous. A cet effet, une quête est organisée en ville qui permet de collecter du mil et de l’argent, y compris auprès des personnalités de la localité (chef de poste, chef de canton), qui toutefois n’assistent pas physiquement à la cérémonie.

La fonction de sarkin bori s’hérite selon une logique patrilinéaire et avec l’aval indispensable de la chefferie de canton. Malgré une réputation qui souvent dépasse la localité, il ne semble pas que ce titre procure une position de pouvoir particulière (pas d’autorité sur les autres zimma). Bien que reconnu par les autorités locales, ce type de pouvoir magico-religieux s’exerce ici à la marge, de façon occulte.

Le pouvoir économique

Si les commerçants doivent leur fortune au développement du marché de Balleyara, l’intérêt initial pour la production maraîchère a été leur base 55. Le travail de la terre, avilissant du point de vue de l’aristocratie tel tamachek, s’est vu de fait réservé aux basses catégories de la société locale, et en particulier aux descendants d’esclaves (Bella). Base de

54 Pour plus de précisions sur les rites de possession dans l’Ouest du Niger, nous renvoyons aux travaux de Rouch (1960) et Olivier de Sardan (1982). 55 On peut noter ici que les fonctionnaires qui ont « duré » à Balleyara investissent volontiers dans le maraîchage, soit par emprunt de terre, soit par achat. Leur relative aisance économique leur permet en outre d’élargir leur capital foncier aux parcelles loties. Ils contribuent à ce titre à une inflation en matière de foncier maraîcher.

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l’autonomisation économique (et politique) des anciens captifs, la terre a rapidement acquis une valeur économique importante par les rentes qu’elle procure. Une certaine compétition des acteurs autour de ce capital s’est mise en place. Mais elle est restée essentiellement la propriété des autochtones bella, forts du principe selon lequel « la terre productive s’hérite, elle se prête mais ne se vend pas. »

Venus tard au commerce, les anciens captifs n’ont en général pas su se positionner au mieux en s’insérant dans l’import-export. Ainsi, le commerce du bétail reste essentiellement aux mains des commerçants du Nigéria, le commerce des légumes et autres produits maraîchers est dominé par ceux de Niamey. Conservant la maîtrise du foncier, acquise auprès du pouvoir colonial qui, après 1916, comme forme de représailles à la suite de la révolte touareg, obligea les Surgey à céder leurs terres à leurs dépendants (Guillaume, 1974 : 59), les anciens captifs se sont progressivement orientés vers une diversification de leurs activités. Après la culture du coton, du manioc et du riz, les paysans maraîchers ont peu à peu intégré les nouvelles productions de rente (choux, salades, tomates, oignons, arboriculture, etc.) qui trouvent leurs débouchés notamment à Niamey et Filingué. L’élevage et les cultures pluviales sont devenues des productions marginales. Le transport, le commerce et le trafic de marchandises non dédouanées ont complété cette diversification.

Tandis que dans certains villages du canton, on rencontre des mosquées financées par un commerçant mécène, à Balleyara les El Hadj56 n’ont guère contribué à la promotion de l’Islam, si l’on en juge par l’état relativement vétuste de la mosquée du vendredi construite depuis près de vingt ans.

Si les rapports entretenus entre les grands commerçants El Hadj et les pouvoirs religieux restent difficiles à établir, le pouvoir économique est par contre aujourd’hui presque indissociable du pouvoir politique. Les commerçants mettent bien souvent la main à la poche pour appuyer les campagnes électorales de leur candidat.

« Lors des campagnes, on investit et on participe. Nous y mettons notre argent, nos bouches, nos forces, notre côté bagarreur » (El Hadji G., commerçant à Balleyara).

En retour de cet investissement, il est demandé à l’élu de savoir jouer de son pouvoir pour avantager un allié ou le sortir d’une situation délicate.

« Peut-être, si on nous menace, et que nous aussi nous menaçons les gens du marché, il y a des gens qui cherchent des interventions auprès de lui, et s'il (l’élu) intervient, nous sommes obligés de ménager la personne. Parce qu'il y a des endroits où ce n'est pas une question de 50, 100 ou 200 FCFA. Si on calcule il y a des gens qui doivent payer des taxes de 25.000 FCFA, par exemple les gens qui vendent des sacs de mil ou de niébé. Et si tu dis que tu vas compter le nombre de sacs et lui donner la taxe de 200 FCFA par sac… et, s'il doit payer 25.000 FCFA, tu sais que même si c'est à Niamey, il peut aller chercher une intervention. Si tu lui donnes la taxe de 25.000 FCFA, tu vas le blesser car prélever 25.000 FCFA dans un marché… Donc, si le député est là, il peut le contacter pour qu'il intervienne. Là, on peut te demander de donner une taxe de 5.000 FCFA, ce qu'il fait que les 20.000 FCFA partent dans le vent ! » (un percepteur de taxe à Balleyara).

La richesse n’est donc pas seulement la détention d’un capital financier ou matériel, elle va de pair avec la mise en place d’un réseau qui permet de conforter sa position, d’éviter des dépenses obligatoires aux simples citoyens et d’assurer ses arrières. Il faut souligner sur ce dernier point que le pouvoir économique (comme le pouvoir politique ou administratif, qui sont parfois cumulés) autorise une certaine impunité. Mais dans ce domaine, la situation ne

56 Le titre d’El Hadj (ou Hajia chez les femmes) est attribué à tout individu ayant accompli le pèlerinage à La Mecque. C’est un titre prestigieux qui confère une autorité symbolique et témoigne de la réussite professionnelle et de l’appartenance à l’élite entrepreunariale (cf. Grégoire, 1997 : 133).

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diffère guère de la situation nationale 57. Le détournement intervenu à la mutuelle d’épargne et de crédit, exposé plus haut, est un bon exemple de ce que représente le cumul d’assises sociale, économique, politique et administrative dans l’arène politique locale.

57 Voir Blundo G. et Olivier de Sardan J-P., 2001, « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest » in Politique africaine n°83, Paris, Karthala : 8-37.

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Débats autour de la communalisation à Balleyara Dans la version actuelle (dite schéma 2000) du projet de loi de décentralisation,

comme dans la précédente (dite schéma 1999), Balleyara « gagne » son autonomie financière avec sa promotion en commune rurale. Ce projet, quoique très contesté par les représentants à Niamey des intérêts régionaux de Filingué, fut validé, contrairement au projet de régionalisation de 1996 (cf. ci-dessous le découpage administratif en question). Le 7 février 1999, des élections locales furent organisées sur cette base. Bien que le processus de mise en place de la décentralisation ait été retardé par des évènements nationaux (coup d’Etat de Wanké, annulation des élections locales), il ne s’agit pour Filingué que d’un répit.

Le découpage administratif en question

Balleyara a été érigé en poste administratif (PA) en 1972 pour assurer le rapprochement entre l’administration et ses administrés, en attendant l’installation des communes conformément à l’esprit de la loi de 1964 (loi n° 64-023 du 17 juillet 1964).

En 1996, la régionalisation prévue (concession faite par le gouvernement nigérien aux représentants de la rébellion touarègue) avait été le premier signe de la promotion attendue d’un centre régional restée secondaire pour des raisons administratives et politiques mais que l’essor économique appelait à de plus hautes fonctions. Un premier projet de décentralisation avait alors vu le jour, qui envisageait la création d’une « région du Dallol Tapoa », avec Balleyara pour chef-lieu de région et Filingué, Damana, Kollo et Torodi pour chefs-lieux de département (cf. carte 18 ci-après). Cette proposition du Haut commissariat à la réforme administrative et à la décentralisation amenait donc un renversement des rapports hiérarchiques entre Filingué et Balleyara. Elle souleva un tollé de protestations des gens de Filingué et de leurs représentants à Niamey (le député et les ressortissants de Filingué notamment).

« Il était prévu à un moment que Balleyara devienne le chef-lieu de la Région du Dallol Bosso. D’autres régions étaient redéfinies pour le Gurma avec chef-lieu à Torodi (ce qui a rencontré l’opposition des gens de Téra), à Tillabéri… Ce redécoupage administratif du territoire n’a pas été accepté. Il y a eu des fortes pressions. D’ailleurs, les gens de Filingué aussi étaient contre. Ils disent que Filingué est le chef-lieu historique depuis 1927. Alors que le colon avait donné l’importance uniquement pour des raisons stratégiques pour assurer la sécurité vis-à-vis des Touaregs à l’époque. Bon, le régime a préféré le statu quo en conservant l’ancien système de 8 régions » (le chef de canton).

Le projet d’envergure nationale, proposant entre 13 et 16 régions, fut contesté par diverses forces politiques issues de tout le pays en désaccord avec la réorganisation proposée. Sous la pression, le gouvernement revint finalement au statu quo avec l’ancien système des 8 régions.

En 1998 de nouvelles lois décentralisatrices ont été adoptées, notamment la loi 98-29 portant création de certaines communes et fixant leurs chefs-lieux, et la loi 98-37 modifiant et complétant la loi 96-06 du 6 février 1996 déterminant les principes fondamentaux de la libre administration des régions, des départements et des communes ainsi que leurs compétences et leurs ressources.

Les élections locales de février 1999 se sont tenues sur la base des textes de lois de 1998 et du schéma 1999 prévoyant notamment l’érection des postes administratifs en communes rurales. Ainsi, il était prévu de créer une commune rurale à Balleyara. Comme on l’a vu précédemment, ce projet avorta pour laisser place beaucoup plus tard (avril 2001) à un nouveau schéma, dit schéma 2000, et à un nouveau projet de loi (projet de loi n° 060 présenté à l’Assemblée nationale en avril 2001). Ce projet de loi prévoit la communalisation intégrale

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du territoire national à partir des cantons et de certains groupements, tout en maintenant le principes de l’érection des postes administratifs en communes rurales. Du point de vue de Balleyara, cette nouvelle option de la décentralisation ne modifie pas le précédent.

Balleyara : une future commune riche

Si la viabilité économique des futures communes est souvent mise en cause, le cas de Balleyara se présente comme une exception. Riche de sa population et d’un marché très dynamique, Balleyara dégage des recettes fiscales considérables en comparaison de nombre des futures communes du Niger.

Depuis 1999, l’administration sous-préfectorale procède à des budgets distincts pour les futures communes de Balleyara, Abala et Filingué.

Les budgets prévisionnels de Balleyara pour les exercices de 1999 et 2000 s’élèvent respectivement à 53 et 63 millions FCFA mais les taux de recouvrement sont relativement faibles (37 % en 1999 et 40% en 2000). On constate que l’essentiel des recettes prévisionnelles repose sur les taxes d’arrondissement qui tournent autour de 30 millions de FCFA soit 50% environ du total. Les taxes liées aux activités commerciales du marché (taxe de marché, contribution des patentes, taxe d’identification des animaux) constituent le second poste d’importance dans les budgets de la collectivité avec environ 33 % des recettes escomptées.

Tableau de situation des recouvrements 1999-2000 à Balleyara (en milliers de FCFA, source : sous-préfecture de Filingué, nov. 2000)

1999 2000 Prévision Recouvrement Taux Prévision Recouvrement Taux taxe d'arrondissement 29 601 7 882 0,27 33 628 14 049 0,42 contribution des patentes 2 500 677 0,27 3 988 786 0,20 taxe de marché 8 500 4 176 0,49 9 417 4 862 0,52 recettes gares routières 750 1 420 1,89 2 500 1 002 0,40 taxe d'abattage 500 301 0,60 500 229 0,46 identification des animaux 7 000 5 430 0,78 8 250 4 380 0,53 ressources animales 1 493 0 0,00 1 413 0 0,00 autres taxes 2 682 68 0,03 3 403 2 0,00 TOTAL 53 026 19 954 0,38 63 099 25 310 0,40

Le marché de Balleyara est de fait perçu comme le véritable gisement fiscal de l’arrondissement. Qualifié tour à tour de « supermarché », de « poumon de l’arrondissement », il génère, à travers la perception des patentes et taxes diverses, des ressources hebdomadaires considérables, qui, selon les estimations, varient considérablement. Les plus pessimistes sont fournies par la sous-préfecture qui situe les recettes moyennes entre 200.000 et 400.000 FCFA avec des pics à 1.000.000 FCFA en période de fêtes. Les estimations plus optimistes des habitants de Balleyara placeraient plus volontiers la moyenne à 1.000.000 FCFA et les meilleurs rendements en période de fêtes autour de 2.500.000 FCFA.

Outre le marché, la future commune disposera des recettes de la gare routière (autour de 1.400.000 FCFA par an) dont le niveau d’activités est proportionnel à l’intérêt que suscite le marché pour les opérateurs économiques venus de toutes parts.

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Il est vraisemblable que l’ensemble de ces recettes est probablement très largement sous-évalué par l’administration, du fait qu’une partie des taxes n’est pas prélevée, et qu’une autre partie des taxes disparaît avant d’être intégrée au chapitre des recettes de la collectivité.

A l’analyse du budget réel de la collectivité sur ces deux années d’exercice, on constate que les taxes liées au marché contribuent à hauteur de 10 millions FCFA chaque année, soit respectivement 50 % du budget recouvré en 1999 et 40 % de celui de l’année 2000. En 2000, c’est essentiellement l’amélioration du taux de recouvrement de la taxe d’arrondissement qui a permis l’accroissement des recettes totales. Ce constat confirme l’enjeu économique et financier que constitue le marché de Balleyara.

Jusqu’à présent Filingué a largement tiré parti de la situation, du fait de sa position de tutelle, et, pour les acteurs locaux de Balleyara, la communalisation apparaît déjà comme une revanche sur Filingué, à qui il est reproché de ne rien faire pour Balleyara (réhabilitation et assainissement du marché, nettoyage du marché et de la ville 58, électrification de la ville…). La sous-préfecture de Filingué (et ses agents) est « suspendue » aux recettes du marché de Balleyara, tout au moins tant que la décentralisation ne s’est pas mise en place. La présence hebdomadaire du secrétaire d’arrondissement et de l’adjoint au sous-préfet témoigne du caractère essentiel de ce marché pour le chef-lieu d’arrondissement. La collecte des taxes est occasionnellement assurée par des agents en tenue de la sous-préfecture dans le but d’accroître le montant des recettes, par trop rognées par les intermédiaires59.

Balleyara étant devenu un grand centre commerçant, de nombreux habitants exerce une activité en lien avec le marché. Aussi, tout un chacun est conscient de l’enjeu financier que constitue le marché, tant aujourd’hui du fait de la compétition autour des ressources qu’il génère que dans la perspective de la communalisation du PA.

Le marché se trouve donc au cœur de la décentralisation comme enjeu économique et financier vital pour la vie de la future collectivité. « Si une commune doit réussir au Niger, c’est Balleyara ! » s’accordent à dire la majorité des interlocuteurs. D’ores et déjà, ce capital productif fait l’objet d’une vive compétition entre les acteurs locaux et régionaux. Sa gestion est l’objet de négociations, de prébendes, de partages. « Le marché, c’est à manger pour tout le monde », « il n’y a pas un fonctionnaire qui rate un marché » dit l’un d’entre eux. Être affecté au PA de Balleyara est une récompense et le « partage du gâteau » est largement politisé aujourd’hui.

« Du régime d’Ali Chaïbou jusqu’à aujourd’hui, les mutations des chefs de poste sont surtout politiques pour gratifier les militants du parti au pouvoir, même s’ils sont illettrés ».(un chef de quartier de Balleyara).

Des compétitions intenses et des luttes sans merci se mènent, localement et au delà, autour de l’attribution des postes « juteux » (chef de poste, collecteurs de taxes et patentes).

Si, malgré les pratiques actuelles en matière de fiscalité (attribution politiques des postes, ponctions personnelles multiples, réductions et largesses accordées aux commerçants du même bord politique…) Filingué parvient à payer une bonne partie de son fonctionnement

58 La propreté du marché, comme de l’abattoir, est assurée par des balayeurs payés sur cotisations des usagers du marché, indépendamment des taxes collectées par la puissance publique, dont les populations ne voient aucun retour. Certains usagers comparent le traitement du marché par l’administration à celui d’une très bonne vache à lait qu’on ne prendrait même pas le soin d’entretenir… 59 Les percepteurs nommément désignés par l’administration, en fonction de critères d’appartenance politique, ont eux-mêmes leurs « employés » informels, qui ont eux aussi leurs « petits » (des enfants, ex-élèves), qui exécutent effectivement une partie du travail dominical. Chaque niveau de délégation « rogne » une partie des recettes collectées avant de les verser à l’administrateur de la sous-préfecture. D’autre part, il est connu de l’administration que des faux carnets de taxes ont circulé au profit de personnalités du PA de Balleyara.

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officiel et officieux grâce au marché de Balleyara, il est probable que la future commune de Balleyara aura la capacité de dégager des fonds d’investissement.

Jubilation à propos de l’autonomie prochaine

Les habitants de Balleyara et usagers du marché accueillent la nouvelle de l’autonomie de gestion prochaine avec réjouissance et esprit de revanche.

« Par exemple vous voyez que notre village est sale mais tout notre argent va à Filingué, plus d’un million par marché en comptant les taxes et autres. Nous ne bénéficions de rien dans ce que nous dégageons comme recettes » (un commerçant de Balleyara).

« Tu vois, c’est pour cela que nos gens veulent rapidement la décentralisation. Parce que avec elle, peut-être que l’argent ne sortira plus. Car personne d’autre n’est en train de construire Filingué à part nous. C’est Balleyara qui le construit. Filingué, elle est morte, elle est morte » (un chef de quartier).

L’information et la « sensibilisation » sur la décentralisation menée par les services techniques et le Haut commissariat à la réforme administrative et à la décentralisation, appuyés par une mission parlementaire qui a sillonné tout le pays, ne se sont guère traduites au niveau des simples citoyens par une meilleure compréhension ou connaissance des perspectives nouvelles que devrait augurer la grande réforme décentralisatrice. S’appuyant sur la chefferie et la notabilité locale, l’information censée être répercutée aux populations ne dépasse pas ce premier seuil. Les informations sur la décentralisation sont soigneusement distillées.

R : « L’affaire de la mairie là, ce n’est pas tout le monde qui doit comprendre.

Q : Ah bon ?

X: Ils font leur réunion, et se taisent.

R : Après nos réunions, nous disons à qui nous devons dire » (une militante du parti Y.)

« Ils entendent seulement parler mais il ne voient pas quand il y aura le changement, quels sont les trucs positifs qu'ils vont avoir, et quel sera le côté négatif. Même les quelques fonctionnaires qui comprennent, ce n'est pas très bien qu'il comprennent ». (un fonctionnaire du PA)

« Relativement au terrain, ce qu’on a appelé « consultations publiques » étaient en fait des missions de terrain soumises à la double contrainte des coûts et du temps. On va rapidement, on réunit les cadres déconcentrés de l’Etat, qui sont les premiers obstacles au processus, on fait des réunions de travail présidées par les préfets et sous-préfets, qui durent trois heures de temps au maximum et qui sont animées par des soit disant spécialistes de la question. Les questions… qui les pose ? Ce sont les fonctionnaires et jamais personne d’autre. Au niveau des cantons, ce sont des réunions qui s’arrêtent à la cour des chefs, qui ont demandé à prendre part à ces travaux et dont on connaît déjà la position. Les débats s’arrêtent là, au niveau des chefs dont on peut difficilement espérer qu’ils soient de véritables relais. Où est donc la participation ? » (source confidentielle, X, cadre à Niamey).

Ceci se confirme au niveau local, à Balleyara comme dans nombre de sites de l’Observatoire de la décentralisation :

Q : « Vous avez assisté à la réunion de Filingué ?

R : J'ai assisté, pas à Filingué, mais ici à Balleyara.

Q : Une équipe du ministère?

R : Oui

Q : La population a t-elle été invitée ?

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R : Non, pas la population, mais les agents des services techniques, les associations, les responsables des partis politiques. Et je crois que beaucoup n'avaient rien compris. Il y a trop de points qui ne sont pas clairs » (un fonctionnaire du PA de Balleyara).

Le manque d’information laisse donc place à l’ignorance ou bien donne cours à toutes les rumeurs et malentendus :

« Voilà où en sont les choses, aujourd’hui, nous ici à Tagazar, nous avons le stade de notre auto détermination. Ils ne nous ont pas appelés pour nous expliquer cela. Je sais que ça va arriver dans peu de temps ».(un fonctionnaire de Balleyara)

Q : « Avec la décentralisation qu’allez-vous faire de vos recettes ?

R : Le chef de canton et le chef de poste vont décider » (un chef de quartier de Balleyara).

Autonomie de gestion ou autodétermination, maire ou chef de poste, la confusion règne, lorsque ce n’est pas l’ignorance totale sur les rôles de chacun dans la nouvelle organisation administrative et politique de la commune, malgré la tenue des premières élections locales en 1999.

De fait, l’annonce de la communalisation du PA apparaît pour beaucoup comme la panacée, la fin de tous les problèmes du village.

« Oui, c'est avec les impôts qu'on fera tout. Le dispensaire, les écoles, les salaires » (jeunes membres d’une fada).

La liste des besoins est longue et les attentes de la population sont situées très haut, la nouvelle commune devra être en mesure d’assainir le marché, « d’électrifier le village » (projet ancien qui n’a jamais pu être réalisé bien que la direction de la Société Nigérienne d’Electricité ait été longtemps dans les mains d’un ressortissant du Tagazar), de « bitumer les voies » ensablées ou inondées, de mettre en place des pompes pour l’eau potable 60, de « foncer des puits modernes » dans les jardins et de fournir des semences maraîchères, d’approvisionner le village en « médicaments pour les hommes et les animaux »…

Certains, des fonctionnaires le plus souvent, un peu mieux informés et à même de comprendre la réorganisation administrative et ses enjeux, sont néanmoins conscients des difficultés auxquelles les nouveaux élus auront à faire face.

Des difficultés en perspective

Si la communalisation du PA laisse entrevoir à beaucoup des temps de prospérité liés à l’affluence des ressources fiscales escomptées, certains restent lucides sur les problèmes multiples que cette perspective présente.

Les difficultés d’exercice de l’autorité municipale

Pour certains, la principale difficulté sera de concilier l’intérêt collectif et les logiques individuelles. En matière d’assainissement par exemple, le maire aura sans doute la capacité de mobiliser ses administrés pour des séances épisodiques de balayage collectif, mais il lui sera plus difficile de faire respecter une discipline quotidienne ou de faire payer des contraventions à ses électeurs. Sur le plan fiscal, il faudra du temps avant que les administrés comprennent la nécessité de la rigueur : un élu qui favoriserait son électorat sur le plan fiscal amputerait du même coup son budget.

« Donc avant que les populations ne comprennent, il faudra trouver quelqu'un qu'elles respectent beaucoup. Les conseillers aussi auront du travail parce que avant qu'ils parviennent à

60 La nappe phréatique étant peu profonde (2 à 3 mètres au plus), chaque concession dispose d’un puits individuel mais les risques de pollution de la nappe ne sont pas négligeables du fait de l’existence de latrines traditionnelles.

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expliquer aux gens comment se fait le travail, une ou deux années ne suffiront pas. En tout, les gens d'ici sont très rigides. Je ne dis pas non, si on amène quelqu'un qui est originaire d'ici mais qui n'est pas ici, et dont ils ont honte, parce que si ce n'est pas quelqu'un qu'ils respectent, mais par exemple les gens que je vois dans certains partis ici… donc, si la personne gagne, elle aura du travail ici » (un fonctionnaire retraité).

Les pratiques relatives à la gestion du marché ont favorisé une conception selon laquelle l’intérêt de chacun (les marchands, les intermédiaires, les acheteurs, les percepteurs… et même les administrateurs) n’est pas celui de la collectivité. Ainsi, l’intérêt général recommanderait la réhabilitation du marché, sa clôture, et sa réorganisation fonctionnelle. Pourtant, une telle perspective signifierait pour chacun, certes une amélioration du cadre de travail, mais surtout un surcoût individuel car un marché mieux contrôlé signifie un marché où chacun paie intégralement ses taxes. Dans une telle conception, quel maire sera capable de prendre des mesures aussi impopulaires, quand bien cela procurerait les moyens financiers pour réaliser des investissements?

Pour d’autres, l’attitude des sujets à l’égard de leurs chefs traditionnels se reportera sur les relations entre administrés et maire, empêchant celui-ci de fédérer les efforts de chacun à l’entreprise communale.

« C'est là que le non respect de l'autorité est flagrant car si vous partez vous sentez que ce n'est pas ça, quoi. […] Et c'est des conséquences politiques car ça se sent. Quand le chef de village est de tel parti politique, les gens qui ne sont pas du même parti que lui ne se sentent pas sous sa tutelle. Cela se voit surtout dans cette zone. C'est pour ça que je dis qu'ici ils sont tellement en avance dans la politique que cela crée des problèmes. Ils sont très politisés à Balleyara » (Y., coordinateur d’ONG).

Des problèmes fonciers en suspens

A Balleyara, une affaire de ventes illicites de parcelles pour une valeur totale de 30 millions FCFA a secoué un temps la localité, impliquant le CPA de l’époque et provoquant son arrestation, et laissant l’administration dans l’embarras vis-à-vis d’une situation foncière qu’elle ne maîtrise plus.

Balleyara, du fait de sa proximité de la capitale, est un site attractif et nombre de fonctionnaires à l’approche de la retraite, notamment des ressortissants, s’achètent une parcelle pour s’installer. Cette pression foncière a donné lieu à un lotissement de près de 300 parcelles dont le prix élevé (entre 100.000 FCFA et 175.000 FCFA) les réserve quasiment aux gens qui peuvent obtenir des crédits auprès de l’Etat (source : un chef de quartier de Balleyara).

Le CPA à l’époque du scandale et le chef de canton auraient vendu sans l’aval des propriétaires, de Filingué, et pour leur propre compte, des « parcelles » à des acheteurs (entretien avec un responsable de la sous-préfecture de Filingué, nov. 2001). Ces soit-disant parcelles constructibles étaient situées sur des champs appartenant à des autochtones bella, qui, se rendant compte des tractations les dépossédant de leurs biens, contournèrent la manœuvre des autorités coutumière et administrative du PA en vendant eux-mêmes leurs champs à d’autres acheteurs. Certains acquéreurs commencèrent alors à construire sur des terrains faisant l’objet d’une double vente, d'autres y foncèrent des puits. Se rendant compte de la supercherie, plusieurs cherchèrent à revendre ces terrains litigieux. Jusqu’à présent, la situation n’a été ni réglée ni éclaircie.

« Maintenant il y a des bornes qui ont été placées pour délimiter les parcelles, vers la gendarmerie, c'est là-bas qu'il y a, je ne sais pas, c'est… 100 parcelles. Donc, si on fait des lotissements, c'est là-bas que tout le problème se posera. Celui qui en possède depuis longtemps en aura obligatoirement. Mais celui qui a acheté, comme ce n'était pas loti, je ne sais pas, c'est le

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maire qui verra. Parce que les parcelles même qu'on donnera en compensation des arriérés de salaires, c'est vers là-bas qu'elles seront » (un fonctionnaire retraité).

Problèmes de compétences

Le problème de compétences n’est pas spécifique à Balleyara. Dans un pays ayant un taux d’alphabétisation inférieur à 15%, le problème de la compétence des futurs conseillers municipaux pour gérer leur commune se pose clairement, d’autant plus que le choix des candidats est déconnecté de leurs aptitudes à remplir les fonctions attendues.

« Si je me base sur ce qu'on voit sur le document de décentralisation, moi je vois très mal sur les 19 (ou combien de conseillers il y a ?), s'il y a 19 conseillers analphabètes, je vois mal comment et sur quelle base ils vont pouvoir faire un plan de développement pour la commune de Balleyara, comment faire des requêtes ? Comment chercher des financements ? Comment développer des relations avec l'extérieur ? Comment développer des actions …….ça je crois que, c'est là où le problème risque de se poser parce que pour eux, c'est la tête de la personne qui importe, mais pas la compétence, c'est ça le problème » (un responsable d’ONG).

Au regard des résultats des élections municipales de 1999, les éphémères conseillers semblaient avoir trouvé une parade à cette contrainte sociale en projetant de désigner à la tête de la municipalité un fonctionnaire vivant à Niamey.

D’autre part, la gestion actuelle du marché fournit un autre exemple de la capacité des acteurs à affronter à leur façon ce type de problèmes. Les heureux titulaires, quoique analphabètes, ont su s’entourer de compétences au sein de leur réseau social local. Point besoin de savoir lire pour manger…

Q : « Mais les dirigeants, c’est vous qui les choisirez ?

R : Si tu choisis et on détourne l’argent, le pauvre a t-il quelque chose à dire ? Et demain on revient vous solliciter pour aller voter. Ce qui est juste, c’est de penser à ceux qui sont derrière toi. Mais manger seul ce n’est pas juste. Même le pauvre, si à chaque fois il sait et qu’il n’est pas content, il ne suivra plus.

Q : Donc à votre avis, il y a quelqu’un qui, quand on va le choisir, peut faire l’affaire ?

R : Tout celui qu’on choisit, il sait pourquoi on l’a choisi, on ne t’a pas dit de manger seul. Si on te choisit, tu dois penser aux pauvres qui sont derrière toi. Si tu ne le fais pas, le monde là est un terrain glissant. Si tu tombes, on te laisse et on suit un autre, si on ne gagne rien » (un membre de fada).

Les attentes sont claires. La gestion des biens collectifs se résume ici au partage du gâteau au niveau décentralisé, c’est-à-dire à une plus grande répartition des ayant-droits à manger !

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En guise de conclusion Le Tagazar pré-colonial caractérisé par l’éclatement des pouvoirs a vu peu à peu se

concentrer ceux-ci : la puissance coloniale ayant imposé sa suprématie, un nouvel ordre politique fut inauguré localement avec la mise en place des cantons, la désignation de ses chefs et de ses chefs-lieux. L’administration longtemps restée à distance (Filingué et Niamey) maîtrisait mal une situation locale sous tension, agitée par de multiples conflits internes à la société kel tamachek en proie aux mouvements d’émancipation des anciens captifs et à une opposition zarma toujours latente. Les diverses tentatives de résistance armée à l’occupation parachevaient un contexte d’instabilité sociale et de conflits latents.

Avec le rapprochement de l’administration à travers la mise en place du poste administratif (1972) commençait une nouvelle ère pour l’arène locale à Balleyara, et pour les pouvoirs coutumiers en particulier, qui furent amenés à composer avec une administration fermement impliquée dans tous les aspects de la vie sociale et politique.

Progressivement, à mesure que le marché se développait et que les activités maraîchères permettaient aux Bella d’asseoir un pouvoir économique, ces derniers, dépassant les statuts sociaux traditionnels, se sont imposés comme un nouvel acteur que l’ère du multipartisme a favorisé. Toutefois, la chefferie coutumière comme l’administration ont su composer, manœuvrer et s’adapter à cette nouvelle ère, qui a néanmoins ouvert des opportunités nouvelles pour des acteurs autrefois dominés.

Par ailleurs, sous la poussée des projets et autres interventions extérieures, des associations dites de la « société civile », auxquels s’ajoutent des initiatives informelles endogènes (les fada notamment), ont émergé dans l’arène locale. Réappropriées par les agents de l’administration, les anciens fonctionnaires et les pouvoirs coutumiers, ces formes associatives apparaissent rarement comme de véritables contre-pouvoirs. Les ressortissants regroupés en association ont de leur coté développés des stratégies de retour au terroir, investissant dans le foncier grâce à un capital économique et dans le politique par le biais des réseaux sociaux de la capitale.

Le chef de canton est malgré tout resté une figure centrale de l’arène politique locale ; omniprésent dans tous les secteurs d’activités de Balleyara, il a su reconfigurer les bases de son pouvoir et reprendre à son compte bon nombre des innovations organisationnelles et sociales émergentes, malgré un déclin de l’autorité coutumière, et une décadence économique de son groupe d’appartenance (Surgey).

Quant aux pouvoirs religieux, ils semblent s’être mis à l’écart de la politique locale. Dans un milieu longtemps animiste et largement tourné vers les activités commerciales et lucratives, l’influence de la religion musulmane, à laquelle pourtant chacun se rattache, est restée discrète, celle-ci étant confrontée à des contradictions internes liées à des courants de pensée divergents.

La gestion des ressources, biens et services publics, qu’il s’agisse du marché, des impôts, du mil à prix modérés, est partout marquée par une prébende forte et un clientélisme permanent. Cette organisation procède à la fois du formel, lié au statut et à la position des agents de l’Etat en la matière, et de l’informel, par des procédés de délégation. Partout on retrouve cette même logique, à laquelle la dimension politique s’est ajoutée, et qui conduit au partage des ressources par un petit nombre d’individus ayant su développer à toutes fins utiles les indispensables réseaux sociaux.

Les marges de manœuvre de la population restent faibles face à un Etat local prédateur qui ne mène pratiquement aucune action de développement en retour des ressources

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prélevées. Du coup, les espoirs populaires se tournent vers la décentralisation et prennent déjà des allures de revanche : espoir que le formidable gisement fiscal du marché de Balleyara permette de « manger » tout en satisfaisant le grand nombre et, accessoirement, en réalisant des actions d’utilité collective.

Indicateurs

Dans le contexte réformateur de la décentralisation, les tractations et pressions diverses sur les décideurs pour l’obtention du chef-lieu de commune sont révélatrices des enjeux sous-jacents.

La description et l’analyse des modalités d’exercice au quotidien de l’intervention de l’Etat, de la gouvernance locale et de la gestion des biens et services collectifs à travers diverses structures (associations cantonale, commission de vente de mil à prix modérés, gestion du marché ou de l’abattoir) constituent des indicateurs pertinents qui méritent des investigations plus poussées. Dans l’avenir, le suivi de ces études de cas permettra de repérer l’évolution des modes d’action du politique dans une localité où les pouvoirs étaient jusque là partagés entre entrepreneurs économiques 61, partis politiques, chefs coutumiers, et administrateurs.

Deux catégories de stratégies spécifiques menées par des acteurs émergents méritent également une focalisation :

- le redéploiement politique (dans les partis, les syndicats…) des « nouveaux riches » de la localité ;

- les stratégies d’insertion des « ressortissants » dans l’arène politique locale.

Il conviendra aussi d’examiner plus finement le contenu des campagnes électorales passées et à venir (cf. les acteurs centraux des élections municipales de 1999), et d’étudier les stratégies développées pour investir les nouveaux modes d’accès au pouvoir local.

Enfin, les dynamiques des représentations du pouvoir, des relations chefs/sujets et élus/électeurs seront des pistes à approfondir.

61 Voir « Le Sahel des marchands », d’E. Grégoire, in Raynaut, 1997, « Sahels », Karthala, pp.133-136.

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Annexes

Annexe 1 - Liste des chefs Kel Tamachek du Tagazar

I. Zaït mort en 1735

II. Mohamed Ikna 1735-1745

III. Hamed 1745-1762

IV. Atta Mogrouf 1762-1769

V. Ousman Arhmed 1769-1785

VI. Abdouraman 1785-1790

VII. Dorgo Atta 1790-1793

VIII. Atta Ousman 1793-1800

IX. Léhé 1800-1802

X. Hama Banizoumbou 1802-1835

XI. Ousman Boubakar 1835-1839

XII. Wantalba Ousman 1839-1843

XIII. Almoustafa Hama 1843-1845

XIV. Ammabi Ousman 1845-1878

XV. Karidana Hama 1878-1880

XVI. Eshek Hama 1880-1882

XVII. Wantiné Atta 1882-1889

XVIII. Ahrmed Ammabi 1889-1903

XIX. Atta Ibnou 1903-1910

XX. Ahrmed Ammabi 1910-1922 (2ème fois)

XXI. Ismaël Dankassari 1922-1939

XXII. Albadé Ismaël 1939-1975

XXIII. Ahmad Ismaël 1975-1989

XXIV. Alhassane Albadé depuis 1989

Cette liste est établie d’après Edmond Séré de Rivière (1944) jusqu’à Albadé Ismaël, puis complétée d’après la tradition orale.

Les dates sont indicatives. Certaines d’entre elles ne correspondent pas d’ailleurs avec d’autres sources documentaires (Gado, 1980 ; Idrissa, 1981).

Il faut noter que cette présentation donne une image déformée du pouvoir de la chefferie kel tamachek qui ne fut véritablement unifiée que du fait de la mise en place des chefferies cantonales par la colonisation.

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Annexe 2 – Liste des projets retenus par le comité d’octroi de l’association cantonale Niyya-/GRT (campagne 2000)

N° PROJET COMPOSANT COUT VILLAGE

1 Puits maraichers (5) Prod. Agricole 4 075 000 Borgo béri

2 Plantation arbres Prod. Forestière 1 400 000 Winditan

3 Banque céréalière Approvisionnement 4 400 000 Zarmey

4 Banque céréalière Approvisionnement 4 400 000 Kabe I

5 Banque céréalière Approvisionnement 4 400 000 Taya zarma

6 Banque céréalière Approvisionnement 4 400 000 Iloa Zakara II

7 Banque céréalière Approvisionnement 4 400 000 Borgogorou I et II

8 Dispensaire (CSI) Equipement 70 000 000 Sandiré

9 Case de santé Equipement 5 000 000 Holo N’zori

10 Création école Equipement 10 000 000 Lélé I et II

11 Fonçage puits villageois Equipement 7 000 000 M’Bama

12 Fonçage puits villageois Equipement 5 027 500 Kogori Tondikiré

13 Réhabilitation puits Equipement 1 021 000 Sandiré

14 Alphabétisation des adultes Formation 1 300 000 Kabé zéno

15 Formation matrones Formation 335 000 Lélé I

16 Formation brigadiers Formation 305 400 Lélé II

17 Etude traitement kori Etudes 2 000 000 Sandiré

18 Etude bretelle d’accès Etudes 2 000 000 Zarmey

TOTAL 131 463 900

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Annexe 3 – Bibliographie

BERNUS, E., 1981, Touaregs nigériens. Unité culturelle et diversité régionale d’un peuple pasteur, Paris, ORSTOM, 507 p.

BIERSCHENK, T. & OLIVIER DE SARDAN, J.P. (eds), 1998, Les pouvoirs au village: le Bénin rural entre démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala, 1998, 295 p.

BLUNDO, G. et OLIVIER DE SARDAN, J-P., 2001, « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest » in Politique africaine n°83, Paris, Karthala : 8-37.

GADO, B., 1980, Le Zarmataray, Contribution à l’histoire des populations d’entre Niger et Dallol Mawri, Etudes Nigériennes n° 45, IRSH, Niamey.

GIRAUT, F., 1999, Retour du refoulé et effet chef-lieu, analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger, Paris, UMR PRODIG, 100 p.

GREGOIRE, E., 1997, « Les grands courants d’échanges sahéliens : histoire et situation présentes » in Raynaut (dir.), 1997, Sahels. Diversité et dynamiques des relations sociétés-nature, Karthala, Paris : 121-141.

GREGOIRE, E., 1999, Touaregs du Niger. Le destin d’un mythe, Paris, Karthala.

GUILLAUME, H., 1974, Les nomades interrompus, introduction à l’étude du canton twareg de l’Imanan, Etudes Nigériennes n° 35, CNRSH, Niamey.

IDRISSA, K., 1981, Guerres et sociétés, les populations du « Niger » occidental au XIXe siècle et leurs réactions face à la colonisation (1896-1906), Etudes Nigériennes n° 46, IRSH, Niamey.

OLIVIER DE SARDAN, J.P., 1982, Concepts et conceptions songhay-zarma (histoire, culture, société), Paris, Nubia, 447 p.

OLIVIER DE SARDAN, J.P., 1984, Les sociétés songhay-zarma (Niger-Mali) chefs, guerriers, esclaves, paysans…, Paris, Karthala, 299 p.

PGTF, 200, Développement local. Présentation du PGTF aux partenaires, 24 pages.

ROUCH, J., 1960, La religion et la magie songhay, Paris, PUF, 325 p.

SERE DE RIVIERE, E., 1944, Rapport de tournée…

Sous-Préfecture de Filingué, Rapport annuel, année 2000. 20 pages.

SWARTZ, M.J., 1968, « Local-level politics. Introduction » in Swartz, M.J. (ed.), Local level politics. Social and cultural perspectives, Aldine, Chicago : 1-46.

TIDJANI ALOU, M., 2000, ”Démocratie, exclusion sociale et quête de la citoyenneté: cas de l’association Timidria au Niger”, Journal des Africanistes, 70 (1-2), 2000: 173-195.

TIDJANI ALOU, M., 2001, ”La corruption quotidienne au Niger” in Blundo et Olivier de Sardan (dir.), 2002, La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest, approche socio-anthropologique comparative: Bénin, Niger et Sénégal, EHESS, IUED, IRD, Marseille : 109-171.

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Annexe 4 - Sigles et acronymes ACTN : Association des chefs traditionnels du Niger ANDDH : Association nigérienne de défense des droits de l’homme ANN : Archives Nationales du Niger ANPIP : Association nigérienne de promotion de l’irrigation privée APRN : Association des puisatiers de la République du Niger ART : Association des ressortissants du Tagazar CPA : Chef de poste administratif CEG : Collège d’enseignement général CME : Comité des mères éducatrices CM2 : Cours moyen 2ème année CSCRRA : Commission spéciale chargé de réfléchir au redécoupage administratif CSI : Centre de santé intégré EHESS : Ecole des hautes études en sciences sociales FCFA : Franc de la communauté financière d’Afrique FNIS : Forces nigériennes d’intervention et de sécurité GRT : Gestion des ressources du Terroir HCRA/D : Haut commissariat à la réforme administrative et à la décentralisation LASDEL : Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local OMS : Organisation mondiale de la Santé ONG : Organisation non gouvernementale OPVN : Office des produits vivriers du Niger PA : Poste administratif PADL-N – FENU : Projet d’appui au développement local N’Guigmi – Fonds d’équipement des Nations Unies PASP : Projet de protection intégrée des ressources agro-sylvo-pastorales PRSSA : Projet renforcement ds services d’appui à l’agriculture PGTF : Projet de gestion des terroirs de Filingué RDFN :Rassemblement démocratique des femmes du Niger SIM : Système d’information sur les marchés UAM : Université Abdou Moumouni UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance USTN : Union des syndicats des travailleurs du Niger