Décentralisation, politiques publiques
Transcript of Décentralisation, politiques publiques
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
1/210
Vincent LemieuxProfesseur mrite, science politique, Universit Laval(2001)
Dcentralisation,
politiques publiques etrelations de pouvoir
Un document produit en version numrique par Rjeanne Toussaint, ouvrirebnvole, Chomedey, Ville Laval, Qubec
Courriel: [email protected]
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque
Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
mailto:[email protected]://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.htmlhttp://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htmhttp://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htmhttp://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.htmlmailto:[email protected] -
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
2/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 2
Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques
Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite,mme avec la mention de leur provenance, sans lautorisation for-melle, crite, du fondateur des Classiques des sciences sociales,Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuventsans autorisation formelle:
- tre hbergs (en fichier ou page web, en totalit ou en partie)sur un serveur autre que celui des Classiques.
- servir de base de travail un autre fichier modifi ensuite partout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support,etc...),
Les fichiers (.html, .doc, .pdf., .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le siteLes Classiques des sciences sociales sont la proprit des Classi-ques des sciences sociales, un organisme but non lucratif com-
pos exclusivement de bnvoles.
Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnel-le et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation des fins com-merciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et touterediffusion est galement strictement interdite.
L'accs notre travail est libre et gratuit tous les utilisa-teurs. C'est notre mission.
Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
3/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 3
Cette dition lectronique a t ralise par Rjeanne Toussaint, bnvole,Courriel: [email protected] partir de :
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et rela-tions de pouvoir. Montral : Les Presses de lUniversit de Montral,2001, 202 pp. Collection Politique et conomie.
M. Vincent Lemieux a t professeur de science politique de 1960 1992 audpartement de science politique de l'Universit Laval. Maintenant la retraite delenseignement.
[Autorisation formelle accorde au tlphone le 13 aot 2004 par M. VincentLemieux et confirme par crit le 16 aot 2004 de diffuser la totalit de ses u-
vres : articles et livres. Un grand merci Mme Suzie Robichaud, vice-doyenne la recherche lUniversit du Qubec Chicoutimi pour ses dmarches fructueu-ses auprs de M. Lemieux : [email protected]]
Courriel : [email protected] des publications de M. Vincent Lemieux :http://www.pol.ulaval.ca/personnel/professeurs/vincent-lemieux.htmhttp://www.pol.ulaval.ca/documents/publications/pubLemieux.pdf
Polices de caractres utilise :
Pour le texte: Times New Roman, 12 points.Pour les citations : Times New Roman 12 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.
dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word2008 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)
dition numrique ralise le 3 juin 2009 Chicoutimi, Ville
de Saguenay, province de Qubec, Canada.
mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]://www.pol.ulaval.ca/personnel/professeurs/vincent-lemieux.htmhttp://www.pol.ulaval.ca/documents/publications/pubLemieux.pdfhttp://www.pol.ulaval.ca/documents/publications/pubLemieux.pdfhttp://www.pol.ulaval.ca/personnel/professeurs/vincent-lemieux.htmmailto:[email protected]:[email protected]:[email protected] -
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
4/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 4
Vincent LEMIEUXProfesseur mrite, science politique, Universit Laval
Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir
Montral : Les Presses de lUniversit de Montral, 2001, 202 pp. Collection Po-litique et conomie.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
5/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 5
Dcentralisation, politiques publiques
et relations de pouvoir
Donnes de catalogageavant publication (Canada)
Retour la table des matiresLemieux, Vincent, 1933
Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir(Politique et conomie)
Comprend des rf. bibliogr.
ISBN 2-7606-1826-9
I. Dcentralisation administrative - Qubec (Province).2. Politique publique - Qubec (Province).3. Pouvoir (Sciences sociales) - Qubec (Province).4. Relations gouvernement central - collectivits locales - Qubec (Province).5- Privatisation - Qubec (Province).
I. Titre. II. Collection : Politique et conomie (Presses de l'Universit de Mon-tral).
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
6/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 6
Table des matiresDonnes de catalogageQuatrime de couvertureAvant-propos
PREMIRE PARTIEConcepts et dfinitions
1. Les relations de pouvoir dans les politiques publiques
1.1. La rgulation par les politiques publiques
1.2. Les principales dmarches analytiques1.3. Les relations de pouvoir1.4. La structuration des relations de pouvoir
2. Les politiques de dcentralisation
2.1. Les attributions et leurs modalits2.2. Les types de dcentralisation2.3. Trois aspects politico-socitaux de la dcentralisation2.4. Les critres d'valuation de la centra-dcentralisation
3. Quatre propositions de recherche3.1. Le pouvoir dans l'mergence des politiques3.2. Le pouvoir des acteurs priphriques3-3. Le pouvoir grce aux coalitions3.4. La lgitimation du pouvoir3.5. Les liens entre les propositions
DEUXIME PARTIEAnalyse de quelques politiques
4. Quelques politiques de dcentralisation administrative4.1. Le secteur de la sant au Sngal4.2. Le secteur de la sant au Royaume-Uni4.3. Le secteur de l'information administrative au Qubec4.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
7/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 7
5. Quelques politiques de dcentralisation fonctionnelle
5.1. Le systme scolaire public Baltimore
5.2. Le systme scolaire public en Australie Occidentale5.3. Les rgies rgionales de la sant et des services sociaux au Qubec5.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques
6. Quelques politiques de dcentralisation politique
6.1. La cration des communauts autonomes en Espagne6.2. Les lois Defferre en France au dbut des annes 19806.3. Le secteur du logement aux Pays-Bas6.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques
7. Quelques politiques de dcentralisation structurelle7.1. La privatisation de British Telecom7.2. La privatisation de TF17.3. La sous-traitance dans les prisons du Tennessee7.4. Ressemblances et diffrences entre les politiques
TROISIME PARTIE
Considrations thoriques
8. Retour sur les propositions de recherche
8.1. La premire proposition de recherche8.2. La deuxime proposition de recherche8.3. La troisime proposition de recherche8.4. La quatrime proposition de recherche
9. Vers une thorie du pouvoir dans les politiques publiques
9.1. Les pralables la construction thorique9.2. Un cadre pour la formulation des hypothses9.3. Les hypothses relatives aux positions et aux atouts de pouvoir
9.4. Les hypothses concernant les coalitions9.5. Les hypothses relatives au pouvoir normatif, constitutif, prescriptif etallocatif
9.6. Les hypothses portant sur certaines modalits des politiques9.7. Considrations finales
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
8/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 8
Annexe. Une mthode de formalisation des relations de pouvoir dans les politi-ques publiques
A.1. Le dcoupage des oprationsA.2. Dfinition d'une oprationA.3. Le contrle ou le non-contrle d'une oprationA.4. Les atouts et les enjeuxA.5. La formalisation des oprationsA.6. La traduction en rapports de pouvoirA.7. Les oprations de la politique de dcentralisation BaltimoreA.8. Le graphe et la matrice des relations de pouvoirA.9. La structuration des relations de pouvoirA.10. Inclusions et intersectionsA.11. La place des coalitions
A.12. Processus et systme fragmentaire des relations de pouvoirA.13. Les enjeux les plus frquentsA.14. Comment amliorer la mthodeA.15. L'extension de la mthode d'autres phnomnes politiques
Bibliographie
Graphique 1. Exemples de structurations du pouvoir : collgiale (1.1), stratifie(1.2), segmente (1.3) et dsintgre (1.4)
Graphique 2 Le graphe des rapports de pouvoir dans la politique de dcentrali-sation Baltimore
Tableau 1. Les caractristiques des attributions des organisations dcentrali-ses
Tableau 2. Huit critres d'valuation de la dcentralisation, selon le type d'at-tributions auquel ils se rapportent principalement, et selon leur ca-ractre relativement troit ou large
Tableau 3. Les deux lments centraux de la premire proposition de recher-che
Tableau 4. Les deux lments centraux de la deuxime proposition de recher-cheTableau 5. Les deux lments centraux de la troisime proposition de recher-
cheTableau 6. Les deux lments centraux de la quatrime proposition de recher-
cheTableau 7. Les rapports de pouvoir entre deux acteurs
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
9/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 9
Tableau 8. Matrice des connexions de pouvoir dans la politique de dcentrali-sation Baltimore
Tableau 9. Le nombre des enjeux contrls par chacun des acteurs qui ontparticip la politique de dcentralisation Baltimore
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
10/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 10
Dcentralisation, politiques publiques
et relations de pouvoir
QUATRIME DE COUVERTURE
Retour la table des matires
On peut concevoir les politiques de dcentralisation comme des politiques en-
cadrantes qui transfrent de l'autorit, des comptences ou des sources de finan-
cement des organisations dont elles modifient ainsi le statut. Les politiques de
dcentralisation font l'objet, comme les autres politiques publiques, de jeux de
pouvoir entre les acteurs qui y participent. Des tudes de cas portant sur diffrents
pays (France, Qubec, tats-Unis, Sngal, Australie, Pays-Bas) montrent qu'il en
est bien ainsi, qu'il s'agisse de politiques de dconcentration, de politiques de d-lgation, de politiques de dvolution ou de politiques de privatisation. Les cons-
tats tirs de ces tudes conduisent la formulation d'une vingtaine d'hypothses
en vue de recherches futures sur les politiques de dcentralisation, et plus gnra-
lement sur les politiques publiques. la fin de l'ouvrage une annexe propose une
voie de formalisation et d'analyse structurale des relations de pouvoir inhrentes
aux politiques publiques.
Vincent Lemieux est professeur mrite au Dpartement de science politique
de l'Universit Laval. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les partis, les politi-ques publiques, la dcentralisation, les coalitions et les rseaux sociaux. Il a pu-
bli en collaboration avec Andr J. Blanger, Introduction l'analyse politique,
paru aux Presses de l'Universit de Montral, en 1996.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
11/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 11
Dcentralisation, politiques publiques
et relations de pouvoir
AVANT-PROPOS
Retour la table des matires
Cet ouvrage, comme son titre l'indique, porte principalement sur les relations
de pouvoir dans les politiques publiques et en particulier dans les politiques de
dcentralisation.
Dans le vaste univers des politiques publiques, les politiques de dcentralisa-
tion et de centralisation occupent une place particulire en ce qu'elles sont des
politiques encadrant d'autres politiques. Quand des transferts d'attributions se font
du centre la priphrie ou de la priphrie au centre, certaines politiques de cesdeux paliers en sont modifies subsquemment. Par exemple, si un gouvernement
central transfre un gouvernement priphrique plus d'argent des fins de sant
ou d'ducation, le gouvernement priphrique pourra consacrer plus de ressources
certains services ou certaines organisations qui favorisent ces services.
Mme si l'ouvrage se concentre sur les politiques de dcentralisation, il est
question l'occasion des politiques de centralisation. Pour dsigner de faon g-
nrale les politiques appartenant ces deux mouvements, nous utiliserons le terme
commode de centra-dcentralisation. Ainsi, on dira que, dans une rforme desattributions d'un gouvernement central et des gouvernements priphriques, des
politiques de centra-dcentralisation ont t adoptes, comportant la fois des
transferts du centre la priphrie, et de la priphrie au centre.
Sans prtendre que les politiques de centra-dcentralisation sont plus impor-
tantes que d'autres, elles prsentent suffisamment d'intrt pour qu'on leur consa-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
12/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 12
cre une attention spciale. D'autant plus qu'elles se sont multiplies depuis la fin
des annes 1970 et qu'elles ont gnralement t trs discutes dans les collectivi-
ts o elles ont pris place.
Les politiques de dcentralisation ont des traits propres, dont celui d'impliquer
deux paliers de rgulation, un palier central et un palier priphrique, mais elles
ont aussi beaucoup de traits plus gnraux qui les assimilent aux autres politiques
publiques. Le dernier chapitre de l'ouvrage traitera, entre autres, de l'extension
l'ensemble des politiques publiques de certains de nos rsultats de recherche.
Dans l'tude des politiques de dcentralisation, nous adoptons une approche
centre sur les relations de pouvoir, tout en mettant contribution d'autres appro-
ches, dont celle des trois courants de Kingdon et celle des rseaux de politique
publique (policy networks). Nous nous expliquons l-dessus dans les deux pre-miers chapitres de l'ouvrage. Ce choix tient surtout notre conviction que les rela-
tions de pouvoir demeurent au centre de la science politique, malgr la difficult
qu'il y a les oprationnaliser. L'Annexe de l'ouvrage propose cet gard une
voie de formalisation des relations de pouvoir dans les politiques publiques qui
montre que cette oprationnalisation est possible.
L'ouvrage est divis en quatre parties. Dans la premire partie, trois chapitres
portent successivement sur les relations de pouvoir dans les politiques publiques,
sur les politiques de dcentralisation et sur quatre propositions appeles guiderla recherche sur les douze politiques de dcentralisation retenues.
La deuxime Partie prsente nos analyses des politiques de dcentralisation.
Elle est divise en quatre chapitres, selon les types de dcentralisation auxquels
appartiennent les politiques, soit la dcentralisation administrative, la dcentrali-
sation fonctionnelle, la dcentralisation politique et la dcentralisation dite struc-
turelle, qu'on appelle aussi privatisation. Trois politiques sont tudies l'intrieur
de chacun des quatre types.
Dans la troisime partie, nous revenons d'abord sur les quatre propositions de
recherche appliques aux politiques tudies, de faon dgager les constats de
recherche qui dcoulent de ces applications. Nous y ajoutons quelques constats
venant d'autres chercheurs qui se sont intresss aux politiques de dcentralisa-
tion. Le dernier chapitre de l'ouvrage formule, partir des constats et des quatre
propositions de recherche vingt et une hypothses, qui constituent une tentative de
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
13/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 13
thorisation des politiques de dcentralisation. Nous montrons que la plupart de
ces hypothses peuvent tre appliques aussi, au prix de quelques modifications,
aux politiques publiques en gnral.
La dernire partie de l'ouvrage consiste en une Annexe qui prsente une voie
de formalisation des relations de pouvoir dans les politiques publiques. Cette voie
de formalisation est ensuite applique, en guise d'illustration, une des douze
politiques tudies dans la deuxime partie.
Cet ouvrage a bnfici de l'apport de plusieurs personnes. Andr Larocque,
Marc-Urbain Proulx et Jean Turgeon, de l'Universit du Qubec, ont contribu
amliorer nos connaissances sur la dcentralisation. Plusieurs tudiants ont tra-
vaill avec nous, titre d'assistants de recherche, l'analyse des politiques de d-
centralisation. D'abord Patrick Boulanger et Victor Dzomo-Silinou, mais surtoutLaurence Bhrer, Nathalie Bolduc et Julie Levasseur, qui ont produit les docu-
ments de base qui ont permis l'analyse de la plupart des politiques de dcentralisa-
tion prsentes dans la deuxime partie.
Quant l'Annexe sur la formalisation des relations de pouvoir dans les politi-
ques publiques, elle est l'aboutissement d'une mthode qui a t propose au dbut
des annes 1990 dans un cours de matrise et de doctorat sur les structures du
pouvoir. Dans les ditions successives du cours, les tudiants ont appliqu cette
mthode des politiques publiques de diffrents secteurs d'activit. Deux tu-diants de doctorat, Nelson Michaud et Jean-Franois Tremblay, l'ont utilise dans
leur thse, et deux tudiantes de matrise, Nathalie Bolduc et Stphanie Yung-
Hing, l'ont utilise dans leur mmoire. L'utilisation que les tudiants ont fait de la
mthode a permis de l'amliorer. Qu'ils en soient tous remercis.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
14/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 14
Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir
Premire partie
Concepts et dfinitions
Retour la table des matires
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
15/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 15
Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir
Chapitre 1
Les relations de pouvoirdans les politique publiques
Retour la table des matires
LES POLITIQUES DE CENTRA-DCENTRALISATION sont certains
gards des politiques publiques comme les autres, c'est--dire des tentatives de
rgulation de situations qui prsentent des problmes de distribution des ressour-ces. La premire section du chapitre traite de cette faon de voir les politiques
publiques, dont celles de centra-dcentralisation.
La deuxime section porte sur les principales dmarches de recherche qui ont
t appliques l'tude des politiques publiques. Les relations de pouvoir entre les
acteurs sont prises en considration dans certaines de ces dmarches, mais elles ne
sont au centre d'aucune d'entre elles.,
Les relations de pouvoir sont dfinies de faon oprationnelle dans la troisi-
me section. Les principaux lments de cette dfinition sont ensuite repris pourtre davantage dvelopps. Il s'agit des acteurs et de leurs alliances, des diffrents
types de ressources qui sont les atouts et les enjeux du pouvoir, et du contrle ou
non des oprations sur ces ressources, par o s'exprime le pouvoir ou le non-
pouvoir des acteurs.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
16/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 16
La dernire section dfinit quatre formes de structuration des relations de
pouvoir et distingue les diffrentes positions de pouvoir qui peuvent tre occupes
par les acteurs dans ces structurations.
1.1 La rgulation par les politiques publiques
Retour la table des matires
On peut dfinir les politiques publiques comme des tentatives de rgulation,
selon des normes, de situations o sont perus des problmes publics de distribu-
tion de ressources, l'intrieur d'une collectivit ou d'une collectivit l'autre
(pour d'autres dfinitions, voir entre autres Pal, 1992 ; Howlett et Ramesh, 1995 ;Lemieux, 1995 ; Muller et Surel, 1998). La rgulation se droule en diffrents
processus, parmi lesquels on peut distinguer l'mergence, la formulation et la mise
en oeuvre. On y ajoute parfois l'valuation, qu'il vaut mieux considrer comme un
processus second, ou comme un processus propos des autres processus.
La rgulation porte sur l'environnement interne du systme politique ou sur
son environnement externe. L'environnement interne reprsente en fait diffrents
sous-systmes constitutifs du systme politique : le rgime politique et ses institu-
tions, l'appareil gouvernemental, l'appareil administratif, et les diffrentes instan-ces dcentralises par rapport aux instances centrales. Quant l'environnement
externe, il est utile d'y distinguer, la suite d'Easton (1965) et de Lapierre (1973),
l'environnement intra-socital, qui rfre diffrents sous-systmes de la collecti-
vit considre, et l'environnement extra-socital, qui rfre d'autres collectivi-
ts ou encore aux relations entre la collectivit considre et d'autres collectivits.
Les politiques intrieures d'un systme politique concernent le systme politique
lui-mme ou son environnement intra-socital, alors que les politi-ques extrieu-
res concernent l'environnement extra-socital, ou encore les relations entre l'envi-
ronnement intra-socital et l'environnement extra-socital. C'est quand des affai-
res collectives, internes ou externes, deviennent des affaires publiques que la r-
gulation par le systme politique est exige, et c'est quand ces affaires qui sont
l'ordre du jour public sont portes l'ordre du jour gouvernemental qu'une politi-
que publique merge.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
17/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 17
On peut considrer que les systmes politiques et leur environnement socital
forment un systme politico-socital un niveau suprieur de complexit par rap-
port celui que l'on retrouve dans le systme politique. C'est ce systme qui se
manifeste, mme si ce n'est que de faon fragmentaire, dans les processus parlesquels se ralisent les politiques.
Nous entendons les systmes politico-socitaux au sens large, sans les res-
treindre ceux qui sont rguls par les tats officiellement indpendants. Les
tats fdrs, les collectivits territoriales ainsi que toutes les autres instances
politiques dcentralises peuvent tre considres comme des systmes politico-
socitaux, orients vers la rgulation de leurs environnements, internes ou exter-
nes. Il en est de mme des universits, des hpitaux, des entreprises, etc. qui peu-
vent tre vus comme des quasi-systmes politico-socitaux. Comme l'a montrMorgan (1989), c'est une des images qu'on peut se faire de ces organisations.
Nous posons que la rgulation et les contrles par lesquels elle se ralise por-
tent d'une faon ou d'une autre sur la distribution des ressources entre les acteurs.
C'est par des relations de pouvoir que les processus de rgulation se ralisent, le
pouvoir consistant dans le contrle par un acteur d'une opration qui porte sur ses
ressources ou sur celles d'autres acteurs.
Certaines politiques publiques semblent porter, premire vue, sur la quantit
des ressources plutt que sur leur distribution. Par exemple, une politique natalistecherche augmenter la quantit des ressources humaines dans une collectivit.
bien y regarder, cependant, la rgulation de la quantit des ressources comporte
toujours un aspect distributif. Ainsi, si on cherche par une politique nataliste
augmenter des ressources humaines juges insuffisantes, c'est par comparaison
avec les ressources humaines d'autres collectivits, ou encore parce qu'on estime
que la pyramide des ges l'intrieur de la collectivit est dfavorable une re-
production satisfaisante des ressources humaines. Dans les deux cas, on le voit, il
y a perception d'un problme public dans la distribution des ressources, et non
seulement dans la quantit des ressources. Ajoutons que les problmes de distri-
bution des ressources peuvent concerner les relations entre les rgulateurs et les
rguls. C'est le cas quand on estime qu'une situation de dcentralisation existante
accorde trop de ressources aux acteurs centraux et pas assez aux acteurs priph-
riques.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
18/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 18
Enfin, il est utile de distinguer les acteurs qui participent aux politiques publi-
ques selon qu'ils occupent des postes de responsables, d'agents, d'intresss ou de
particuliers. Les postes de responsables et d'agents appartiennent au systme poli-
tique, alors que ceux d'intresss et de particuliers appartiennent l'environne-ment socital. De plus, alors que les responsables et les particuliers sont des gn-
ralistes, habilits selon les rgles officielles exercer l'autorit ou choisir ceux
qui l'exercent, les agents et les intresss sont plutt des spcialistes, qui n'ont
gnralement pas une telle habilitation.
1.2 Les principales dmarches analytiques
Retour la table des matires
Il existe actuellement plusieurs dmarches analytiques dans l'tude des politi-
ques, d'autant plus que de nombreux chercheurs travaillent dans ce domaine. Nous
ne cherchons pas tant faire une recension exhaustive de ces dmarches qu' les
situer par rapport la dfinition que nous avons propose et souligner les l-
ments de cette dfinition qui ont retenu l'attention des chercheurs (pour une recen-
sion des dmarches, voir Parsons, 1995 ; Sabatier, 1996, 1999 ; ainsi que Muller
et Surel, 1998).
La distinction que nous avons faite entre le systme politique et son environ-
nement externe est prsente dans plusieurs des premiers travaux qui ont port sur
les politiques publiques. Les schmas systmiques d'Easton et de Lapierre trai-
taient des dcisions politiques plutt que des politiques publiques, mais ils sont
facilement transposables l'tude du droulement des politiques publiques. Ils ont
inspir beaucoup d'tudes, en particulier dans le courant illustr par Dye (1966,
1984), o la principale question de recherche est de savoir lesquels des dtermi-
nants conomiques ou des dterminants politiques conditionnent le plus les politi-
ques publiques des tats amricains.
Cette question suppose un dcoupage du systme politique qui est diffrent du
ntre, puisque le systme des partis est situ dans l'environnement externe, titre
de dterminant politique. Chez Dye les politiques publiques sont produites par les
tats, considrs comme des entits indivisibles. De plus, cette dmarche, contrai-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
19/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 19
rement celles d'Easton et de Lapierre, ignore la distinction entre les diffrents
processus de ralisation des politiques publiques.
Un des premiers ouvrages de synthse sur les politiques publiques, celui
d'Hofferbert (1974), suit une dmarche voisine, qui appartient elle aussi l'appro-
che des dterminants. Cet auteur propose d'expliquer les politiques publiques par
un ensemble de facteurs disposs dans une squence, qui va des conditions histo-
riques et gographiques au comportement des lites, en passant successivement
par les facteurs socio-conomiques, le comportement des masses et les institutions
gouvernementales. Ce sont l des facteurs htroclites par rapport une dmarche
comme la ntre, centre sur les acteurs et leurs relations.
Une autre dmarche, qu'on trouve dans les premiers travaux sur les politiques
publiques, est celle qui consiste distinguer des tapes des politiques publiques. Ils'agit en fait des sous-processus qu'on peut dcouper dans le droulement tempo-
rel des politiques. Beaucoup d'auteurs ont adopt cette dmarche pour prsenter,
dans des ouvrages d'introduction, la faon dont se droulent les politiques publi-
ques (voir entre autres Anderson, 1984 ; Jones, 1984 ; Brewer et De Leon, 1983 ;
Meny et Thoenig, 1989). Cette dmarche est surtout descriptive, mme si certains
auteurs proposent des lments d'explication pour chacune des tapes ou pour
l'ensemble de celles-ci. Il arrive aussi que la prsentation des tapes soit l'occasion
de faire la critique des politiques publiques (voir en particulier Edwards et Shar-kansky, 1978). Les frontires entre les tapes ne sont pas toujours claires et le
dcoupage varie, mais on retrouve gnralement les tapes de l'mergence, de la
formulation, de la mise en oeuvre et parfois de l'valuation. Il est utile de distin-
guer ces sous-processus des tapes plus institutionnelles que sont la mise l'ordre
du jour, l'adoption et l'excution, qui rfrent des procdures plus ou moins offi-
cialises. Quelques auteurs distinguent aussi l'tape de la terminaison des poli-
tiques publiques, quand il arrive qu'elles prennent fin.
L'tape de l'valuation, qui ne se retrouve pas dans toutes les politiques publi-
ques, a donn lieu des entreprises de recherche autonomes. Elles sont souvent
trs loignes des autres dmarches de recherche sur les politiques publiques, non
seulement par leurs vises normatives, mais aussi par les mthodes employes. Il
n'en sera pas question dans cet ouvrage.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
20/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 20
bien y regarder, les tapes des politiques publiques sont la transposition au
niveau collectif du modle de l'action rationnelle, comme Edwards et Sharkansky,
entre autres, l'ont not. Dans son analyse clbre de la crise des missiles de Cuba,
Allison (1971) a montr les limites de ce modle, qui n'en continue pas moinsd'inspirer beaucoup de travaux portant sur les politiques publiques.
Le modle de l'action rationnelle a t repris et amlior par celui dit du choix
rationnel dans le cadre des institutions (institutional rational choice), qui fait une
place importante aux rgles, ou arrangements institutionnels, et au jeu des acteurs
la recherche de bnfices personnels (Ostrom, 1986, 1999 et Ostrom et al.
1994 ; ainsi que Scharpf, 1997). Les relations de pouvoir demeurent cependant
absentes, ou Presque, de ce modle o les acteurs sont vus comme des calcula-
teurs, sans que leur capacit de contrle soit toujours prise en compte dans cescalculs.
John Kindgon (1995) a propos une approche diffrente, dans un ouvrage
fond sur une recherche empirique trs pousse, visant expliquer comment il se
fait que certaines politiques publiques parviennent l'ordre du jour du gouverne-
ment amricain et commencent tre formules, alors que d'autres politiques n'y
parviennent pas. Ce modle, fond sur celui de la garbage can (Cohen, Match
et Olsen, 1972 ) prend le contre-pied de celui de l'action rationnelle. L'mergence
et la formulation des politiques publiques ne sont pas le rsultat d'une dmarcherationnelle. Elles sont plutt le rsultat de la rencontre de trois courants qui vo-
luent de faon plus ou moins indpendante l'une de l'autre. Il y a d'abord le cou-
rant des problmes, o importent particulirement l'existence de crises ou d'in-
formations sur les situations qui font problme, et la visibilit de ces informations.
Il y a ensuite le courant de la politique, avec comme lments dterminants les
ides qui sont dans l'esprit du temps, les pressions des groupes, ainsi que les
changements d'quipes gouvernementales. Il y a enfin le courant des solutions,
que Kingdon compare une soupe primitive , o survivent les solutions qui
apparaissent suprieures d'autres. Il y a des problmes sans solutions, des solu-
tions la recherche de problmes, des problmes et leurs solutions qui n'ont pas
d'appui politique. C'est seulement quand les trois courants se rencontrent et que
s'ouvre une fentre, ou opportunit, qui permet de les mler, qu'une politique pu-
blique merge par mise l'ordre du jour du gouvernement.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
21/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 21
Kingdon laisse entendre que, dans la phase d'mergence, le courant des pro-
blmes et le courant de la politique sont tout particulirement importants. De la
mme faon, on pourrait dire (Lemieux, 1995), que, dans la formulation, ce sont
les courants de la politique et des solutions qui importent tout particulirement, etque, dans la mise en oeuvre, ce sont plutt les courants des solutions et des pro-
blmes. Dans chacun de ces trois sous-processus le troisime courant est aussi
prsent, mais il importe moins que les deux autres.
Kingdon insiste beaucoup sur l'action des entrepreneurs, dans chacun des trois
courants. Il peut s'agir de responsables politiques ou de membres de leur entoura-
ge, de lobbyistes, d'experts, de fonctionnaires de carrire. Ils ont un peu tous les
mmes qualits. Ils sont couts, ils ont de bons contacts politiques et sont habiles
dans la ngociation. De plus, ils sont persistants et ils investissent beaucoup dansl'activit politique. Leur action consiste surtout favoriser le couplage des cou-
rants ; c'est pourquoi ils doivent tre prts intervenir quand s'ouvre une fentre
politique.
Certains auteurs, dont Mucciaroni (1992.) et Zahariadis (1999), ont cherch
amliorer ce modle, qui s'est rvl fcond dans la recherche empirique. Ils ont
not, en particulier, que les institutions devaient tre prises en compte dans le cou-
rant de la politique, soit qu'elles facilitent la mise l'ordre du jour gouvernemen-
tal, soit qu'elles la rendent difficile. Par exemple, il sera plus facile de dvelopperune politique dans un secteur o existe un ministre bien tabli que dans un sec-
teur nouveau, o il n'y a pas de tel ministre. Ce sont souvent des tudes compara-
tives qui rvlent l'importance des institutions, ce qui chappe des auteurs com-
me Kingdon dont les travaux n'ont port que sur un seul pays.
On peut aussi situer dans le courant de la politique les phnomnes auxquels
les protagonistes de la deuxime face et de la troisime face du pouvoir ont port
attention. Pour Bachrach et Baratz (1970), le pouvoir ne consiste pas seulement
contrler les dcisions qui sont prises, il comporte aussi un deuxime aspect qui
consiste restreindre le champ des dcisions celles qui ne menacent pas les ac-
teurs dominants. Lukes (1973) ajoute un troisime aspect du pouvoir qui consiste-
rait conditionner les acteurs domins par l'ducation, la socialisation et d'autres
transmissions de normes, de faon ce qu'ils ne cherchent pas promouvoir des
dcisions qui pourraient tre menaantes pour les acteurs dominants.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
22/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 22
Selon Kingdon, les coalitions sont tout particulirement indiques dans le cou-
rant des priorits. D'autres dmarches, dont celle qui traite des communauts de
politique publique (policy communities),font des communauts ou des rseaux
d'acteurs un concept central (voir Marsh, 1998 ; ainsi que Le Gals et Thatcher,1995). Quelques auteurs ont mme parl de triangle de fer ou de sous-systme
pour dsigner les liens qui existent entre certains acteurs privilgies, qui sont tou-
jours prsents dans un secteur donn des politiques publiques. Il s'agit gnrale-
ment de responsables du parti gouvernemental, des principaux agents administra-
tifs et des principaux groupes d'intresss du secteur. Les auteurs qui s'intressent
aux rseaux de politique publique n'ont fait jusqu' ce jour qu'un usage analogique
de la notion de rseau, qui dans d'autres domaines de recherche a donn lieu des
usages plus rigoureux ( ce sujet, voir Lemieux, 1999).
Paul Sabatier et ses collaborateurs (Sabatier, 1987, 1999 ; Sabatier et Jenkins-
Smith, 1993) sont ceux qui ont pouss le plus loin la notion de coalition dans
l'tude des politiques publiques. Il y aurait dans un sous-systme donn de politi-
ques publiques un certain nombre de coalitions plaidantes en faveur d'une
cause (advocacy coalitions), composes d'acteurs qui sont des responsables, des
agents ou des intresss et qui se caractrisent principalement, selon Sabatier, par
le fait qu'ils partagent des croyances, qui peuvent tre fondamentales, politiques
ou encore tactiques. Ces coalitions entrent gnralement en conflit avec d'autres
coalitions, d'o l'importance des mdiateurs politiques (policy brokers) qui sont
susceptibles de les rapprocher ou d'arbitrer les conflits entre elles. Sabatier ajoute
que ce ne sont pas tous les acteurs d'un secteur donn des politiques publiques qui
appartiennent ces coalitions, et que l'action des coalitions, telles qu'il les entend,
n'est significative que si on la considre sur une priode de plusieurs annes.
Il est sans doute rvlateur que beaucoup de dmarches qui sont utilises ac-
tuellement pour l'tude et l'explication des politiques publiques fassent une place
importante la notion de coalition ou aux notions voisines de communaut et de
rseau. Les politiques publiques sont des processus complexes qui le plus souvent
ne peuvent tre domins par des acteurs que s'ils s'allient avec d'autres. Nous al-
lons d'ailleurs reprendre cette faon de voir dans notre tude des relations de pou-
voir dans les politiques de centra-dcentralisation.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
23/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 23
1.3Les relations de pouvoir
Retour la table des matires
La recension que nous venons de faire des principales dmarches analytiques
auxquelles a donn lieu l'tude des politiques publiques montre que dans plusieurs
de ces dmarches les relations de pouvoir entre les acteurs politiques sont vises
directement ou indirectement.
Dans les schmas systmiques d'Easton et de Lapierre, ce sont surtout des
processus qui sont mis en place. Mais il est vident que ces processus ne se drou-
lent pas d'eux-mmes ; ils sont mus par des acteurs qui entrent en relation avecd'autres acteurs. Ces relations peuvent tre vues comme des relations de pouvoir,
c'est--dire comme des tentatives de contrle par des acteurs d'oprations qui por-
tent sur leurs ressources ou sur celles d'autres acteurs.
Il en est de mme des dmarches qui dcoupent des tapes dans le droule-
ment des politiques publiques. Ces tapes sont en quelque sorte des sous-
processus d'un processus plus gnral. Comme dans les schmas systmiques, ces
sous-processus sont le fait d'acteurs qui cherchent les mener terme, ou qui, au
contraire, cherchent les arrter ou les modifier. Les relations entre ces acteurspeuvent tre considres comme des relations de pouvoir.
Par contre, les dmarches qui cherchent expliquer les politiques publiques
par des dterminants conomiques, politiques ou autres appartiennent un sch-
me d'explication causal o les relations sont tablies entre des variables plutt
qu'entre des acteurs. De plus, le schme d'explication par les dterminants traite
des politiques publiques un niveau macroscopique, en se limitant certains de
leurs attributs : les dpenses qu'elles entranent, leurs impacts dans la socit.
Les modles de l'action rationnelle, quand ils mettent en prsence des acteursindividuels ou coaliss qui cherchent rendre leurs prfrences efficaces, se tra-
duisent facilement dans des modles de relations de pouvoir, mme si les auteurs
qui s'intressent cette famille de modles sont gnralement peu attentifs ces
relations. Ils s'intressent plutt aux cots et bnfices de l'action, en faisant
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
24/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 24
comme si ces cots et bnfices ne rsultaient que de calculs intellectuels, et non
de manoeuvres stratgiques avec les jeux de pouvoir qu'elles supposent.
Les dmarches de Kingdon et de Sabatier, qui sont davantage fondes sur des
observations empiriques, mettent en prsence des acteurs qui cherchent faire
triompher leurs points de vue, et qui ont pour cela d'autres ressources que les
biens matriels et l'information. Les notions, centrales chez ces auteurs, d'entre-
preneur, de coalition plaidante et de mdiateur manifestent bien cette faon de
voir, qui peut se traduire aisment en relations de pouvoir.
Signalons qu'il en est de mme des dmarches portant sur l'valuation des po-
litiques publiques. Les chargs d'valuation ne sont plus considrs comme des
techniciens ou des spcialistes, dtachs des phnomnes politiques qu'ils va-
luent, mais comme des acteurs parmi d'autres qui participent aux politiques publi-ques et qui cherchent y exercer du pouvoir (voir en particulier Guba et Lincoln,
1989 ; Monnier, 1992).
Mme si la plupart des dmarches descriptives ou explicatives portant sur les
politiques publiques peuvent tre traduites en des ensembles de relations de pou-
voir, il n'existe pas l'heure actuelle de dfinition oprationnelle de ces relations.
Nous allons en proposer une dans le but de traiter de faon rigoureuse des po-
litiques de centra-dcentralisation et des jeux de pouvoir des acteurs dans ces poli-
tiques.
Une dfinition oprationnelle du pouvoir
Nous disons du pouvoir d'un acteur en relation avec un autre acteur qu'il
consiste dans le contrle, selon ses prfrences, d'une opration concernant ses
ressources ou celles de l'autre acteur, et par l sa position dans la structuration des
relations de pouvoir.
Prcisons que les acteurs peuvent tre individuels ou collectifs. Parmi les ac-
teurs collectifs, les alliances entendues au sens large retiendront tout particulire-
ment notre attention. Prcisons aussi qu'il y a pouvoir ou non-pouvoir des acteurs
dans la relation dfinie par l'opration sur des ressources. Il y a non-pouvoir
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
25/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 25
quand un acteur ne contrle pas selon ses prfrences l'opration qui porte sur ses
ressources ou celles de l'autre acteur.
Quatre composantes principales de la dfinition vont faire l'objet des dvelop-
pements qui suivent : les acteurs et leurs alliances, le contrle ou non des opra-
tions sur les ressources, les relations de pouvoir qui en dcoulent, et la position
des acteurs dans la structuration des relations de pouvoir. Cette dernire compo-
sante fera l'objet d'un dveloppement plus labor dans la dernire section du
chapitre.
Les acteurs et leurs alliances
Parmi les acteurs qui participent aux politiques de centra-dcentralisation, il y
a des individus, des groupes ou des organisations qui agissent seuls ou s'allient les
uns aux autres.
On peut dfinir les alliances (Lemieux, 1998) comme des ensembles plus ou
moins concerts et plus ou moins temporaires d'acteurs individuels ou collectifs,
qui ont la fois des rapports de coopration et de conflit, et dont les actions
convergentes leur permettent de contrler des oprations qu'ils n'auraient pas
contrles s'il n'avaient pas fait partie de l'alliance.
On peut distinguer quatre types d'alliances. En premier lieu, les groupes et les
organisations. Ceux-ci, quand ils sont volontaires, peuvent tre considrs comme
des alliances. Ces associations sont concertes et durables. C'est le cas des partis
politiques et de beaucoup de groupes d'intresss.
D'autres alliances sont durables mais non concertes. Il s'agit de tendances,
telles qu'on en retrouve l'intrieur des partis, mais aussi dans d'autres organisa-
tions ou dans des collectivits. Par exemple, il y aura dans une collectivit donne
une tendance centralisatrice et une tendance dcentralisatrice, une tendance l'iso-lement et une tendance la collaboration.
la limite, des alliances peuvent tre non concertes et non durables. C'est le
cas des agrgats d'lecteurs qui votent pour le mme parti, ou qui expriment les
mmes positions dans les sondages.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
26/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 26
Il y a enfin les coalitions qui sont des alliances non durables mais concertes.
Ces alliances sont celles qui ont le plus retenu l'attention des chercheurs. Leur
action dans le droulement des politiques publiques est souvent dcisive.
Sans ignorer les autres types d'alliances, nous allons nous intresser tout sp-
cialement aux coalitions dans l'tude des politiques de centra-dcentralisation.
Une typologie des ressources
C'est grce des ressources utilises titre d'atouts que les acteurs peuvent
participer aux politiques publiques et chercher contrler les distributions de res-
sources qui en sont les enjeux. Il y a contrle de leur part quand le rsultat desoprations correspond leurs prfrences, ce contrle se traduisant en du pouvoir,
partag ou non, par rapport d'autres acteurs.
Comme Crozier et Friedberg (1977), nous considrons donc les ressources la
fois comme des enjeux et des atouts pour les acteurs qui cherchent contrler les
oprations par lesquelles se ralisent les politiques publiques. D'o l'importance
d'en proposer une classification adquate qui permette de les traiter la fois com-
me des enjeux et des atouts dans les oprations par lesquelles se ralisent les poli-
tiques publiques, dont celles de centra-dcentralisation.
Dans nos travaux antrieurs (voir en particulier Lemieux, 1989, 1991 et 1995),
il a t commode d'utiliser une typologie qui a permis de traiter de faon exhaus-
tive des atouts et des enjeux concrets observs dans la recherche empirique. Cette
typologie comprend sept types de ressources, que nous allons utiliser systmati-
quement dans la suite de l'ouvrage. Nous distinguons :
1) Les ressources normatives, ou normes, fondes sur des rgles ou des va-
leurs. Dans la centra-dcentralisation, les normes renvoient aux rgles et
aux valeurs qui fondent les attributions des acteurs centraux ou priphri-
ques. Les valeurs d'efficacit, d'efficience, etc. peuvent tre considres
comme des normes servant valuer les situations de centra-
dcentralisation.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
27/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 27
2) Les ressources statutaires, ou postes, qui renvoient aux positions officiel-
les mais aussi aux positions de prestige occupes par des acteurs indivi-
duels ou collectifs. Le statut des instances centradcentralises constitue
pour elles des ressources statutaires.
3) Les ressources actionneuses, ou commandes, qui sont en quelque sorte des
leviers d'action, que ce soit titre d'atouts ou d'enjeux. Les commandes
qui permettent une instance de lever des taxes ou d'assurer la scurit
publique sont des exemples de ressources actionneuses.
4) Les ressources relationnelles, ou liens,par lesquels les acteurs s'identifient
ou se diffrencient les uns par rapport aux autres. C'est par exemple une
alliance entre des acteurs priphriques forme titre d'enjeu puis exploi-
te titre d'atout, dans une politique de centradcentralisation.
5) Les ressources matrielles, ou supports, qu'ils soient d'ordre financier ou
non. Par exemple, un acteur central qui a des appuis financiers comme
atouts en transmet un acteur priphrique, pour qui ce sont des enjeux,
utilisables ensuite comme atouts.
6) Les ressources humaines, ou effectifs. Ces atouts ou enjeux s'appliquent
surtout des acteurs collectifs, quand, par exemple, les effectifs d'un ser-
vice concentr sont transfrs un service dconcentr. Mais ils s'appli-
quent aussi des acteurs individuels, pour rendre compte des atouts tenant
aux qualits personnelles, et des enjeux o il n'y a transfert que d'une seule
personne d'un poste l'autre.
7) Les ressources informationnelles, ou informations, qui la diffrence des
ressources normatives renvoient de l'information indicative plutt qu'
de l'information imprative. Ces ressources peuvent tre utilises titre
d'atouts et elles sont transmises ou non titre d'enjeux. Il en est ainsi, par
exemple, d'une information confidentielle qu'un acteur utilise face un au-
tre acteur, pour la lui transmettre ou pour l'influencer sans la lui transmet-
tre.
Les quelques exemples que nous venons de donner indiquent que certaines
ressources ont un caractre contraignantpour les acteurs susceptibles de les utili-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
28/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 28
ser comme atouts, ou qui elles sont attribues titre d'enjeux. Il en est ainsi dans
un affrontement physique, quand un acteur est moins fort qu'un autre, ou dans une
ngociation, quand un acteur a une information plus restreinte que celle de son
vis--vis. L'acteur le plus fort ou le mieux renseign dispose, l'inverse, de res-sources habilitantes.
Toutes les ressources que nous avons distingues peuvent tre habilitantes ou
contraignantes pour les acteurs. Les ressources contraignantes peuvent tre consi-
dres plus simplement comme des contraintes, par opposition aux ressources, qui
dsignent alors les ressources habilitantes.
Quand un acteur est soumis une norme qui ne lui convient pas, c'est pour lui
une contrainte. Il en va de mme s'il occupe un poste infrieur celui d'un autre
acteur avec qui il est en relation. Des liens d'hostilit ou de neutralit sont souventcontraignants par rapport des liens d'amiti. Des effectifs et des appuis moins
nombreux que ceux de l'adversaire sont des contraintes dans les affrontements
entre forces policires et manifestants.
Ces exemples montrent le caractre relatif de la distinction entre ce qui est
contraignant et ce qui est habilitant. Un poste de ministre est une ressource
contraignante par rapport un poste de premier ministre, mais c'est une ressource
habilitante par rapport un poste de simple dput.
Une dmarche apparente la ntre se trouve dans les travaux de Rhodes
(1981) et d'Elander (1991). Elle porte principalement sur les ressources des ins-
tances dcentralises qui sont des atouts dans leurs relations de pouvoir avec les
instances centrales. Rhodes distingue cinq catgories de ressources, qui sont repri-
ses par Elander. Ce sont les ressources constitutionnelles-lgales qui rfrent aux
comptences transfres aux instances locales ; les ressources financires ; les
ressources ditespolitiques, qui rfrent la fois aux institutions locales et la part
prise par les leaders locaux dans les structures politiques nationales ; les ressour-
cesprofessionnelles, tenant au caractre professionnel des administrateurs locauxet leur organisation sur une base locale plutt que nationale ; et enfin les res-
sources hirarchiques, qui rfrent au degr de supervision exerc par les instan-
ces centrales sur les instances locales. Dans ce dernier cas, plus les ressources
hirarchiques sont petites, plus il y a de chances que le pouvoir des instances loca-
les soit grand.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
29/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 29
Les ressources constitutionnelles-lgales correspondent assez bien aux res-
sources statutaires de notre typologie. Les ressources financires correspondent
aux supports. Quant aux ressources dites politiques et professionnelles, elles rf-
rent surtout aux ressources humaines et informationnelles. Les ressources hirar-chiques, enfin, correspondent aux ressources actionneuses. Les ressources rela-
tionnelles ne se retrouvent pas en tant que telles dans la typologie de Rhodes et
d'Elander, mais on peut considrer qu'elles sont incluses dans les ressources qu'ils
nomment politiques.
Contrle et non-contrle des oprations sur les ressources
Par contrle des oprations concernant les ressources , nous entendons la
capacit pour un acteur, grce ses atouts, de faire en sorte que les rsultats des
oprations soient conformes ses prfrences. Quand cette capacit n'existe pas,
il y a non-contrle. Le contrle ainsi entendu a une face positive et une face nga-
tive. Il y a contrle positif quand un participant prend l'initiative d'une opration
ou appuie une opration qui correspond ses prfrences. Il y a contrle ngatif
quand il s'oppose avec succs une opration qui ne correspond pas ses prf-
rences.
La notion de prfrence est donc au cur de notre dfinition du contrle. Elle
nous semble incontournable. Autrement, il est impossible de distinguer, dans cer-
taines situations tout au moins, entre les ressources qui sont habilitantes et celles
qui sont contraignantes. Soit l'lu qui prfre un certain poste de ministre, mais
qui s'en voit attribuer un autre par le premier ministre. Si l'on ne tient pas compte
de ses prfrences, il n'y a pas de diffrence, d'un point de vue strictement beha-
vioriste, entre le caractre contraignant ou habilitant de tel poste plutt que de tel
autre.
D'ailleurs les thories actuelles de l'action en sciences sociales, domines par
les diffrents modles de l'action rationnelle, supposent toutes que les acteurs ont
des prfrences. Reste tablir quelles sont ces prfrences, ce qui ne va pas tou-
jours sans difficults dans la recherche empirique. Il arrive que les prfrences
soient facilement observables, mais il arrive aussi qu'elles le soient moins parce
qu'elles sont stratgiques, ou calcules, ou tout simplement caches.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
30/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 30
Les acteurs dont les ressources sont l'enjeu d'une opration peuvent participer
l'opration, ou encore ils peuvent tre touchs par l'opration sans y avoir parti-
cip.
Soit un ministre qui verse une subvention une instance dcentralise. Si le
ministre dcide seul de la subvention, sans avoir consult l'instance, on peut
considrer que le ministre est le seul participant l'opration qui consiste ac-
corder un support financier l'instance, celle-ci n'tant qu'un destinataire qui ne
participe pas l'opration. Si, au contraire, le ministre et l'instance s'entendent
entre eux sur le montant de la subvention, on peut considrer que les deux acteurs
participent l'opration, titre de destinateurs.
Qu'un acteur participe une opration n'assure pas pour autant qu'il exerce du
contrle. Le contrle peut tre prsent, mais il peut aussi tre absent ou encoremitig. Ainsi, dans notre exemple, l'instance dcentralise, si elle est participante,
peut obtenir le plein montant de la subvention demande, elle peut obtenir un
montant moindre, ou encore elle peut ne pas obtenir de subvention du tout. Dans
le premier cas, il y a contrle ; dans le deuxime, le contrle est mitig ; dans le
troisime, il y a non-contrle. Quant au ministre, il exerce du contrle dans tous
les cas.
On conoit facilement que les prfrences de l'instance dcentralise puissent
avoir un caractre stratgique. Elle peut demander un montant suprieur dans lebut d'obtenir un montant moindre, correspondant en fait sa prfrence. Dans ce
cas, si l'instance obtient ce montant moindre, son contrle est positif plutt que
mitig. On conoit aussi l'importance pour l'instance de ne pas rvler le caractre
stratgique de ses prfrences. Car si le ministre sait que le montant espr est
moindre que celui qui est demand, il pourra fort bien accorder un montant inf-
rieur celui qui est souhait.
Notre exemple pose un autre problme, celui des ractions anticipes (voir en
particulier Simon, 1953) et des entente tacites (Schelling, 1960). Mme si le mi-nistre ne consulte pas l'organisme dcentralis et est le seul participant l'opra-
tion, il peut tenir compte dans sa dcision de ce qu'il sait des besoins de l'instance
ou encore de la raction qu'elle aura probablement l'annonce de la dcision. Ne
doit-on pas alors considrer que l'instance dcentralise a influenc la dcision du
ministre et qu'elle participe pour cela la dcision ?
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
31/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 31
Nous ne considrons pas que, dans des situations semblables, un acteur dont
les ractions sont anticipes ou avec qui il y a entente tacite est pour autant un
participant au contrle. Cependant, il pourra se faire que, dans une opration ant-
rieure, l'instance dcentralise ait transmis de l'information au ministre et qu'elleait ainsi exerc du contrle sur lui. Il faut gnralement considrer un ensemble
d'oprations pour tablir si un acteur donn a exerc ou non du contrle sur un
autre acteur.
1-4 La structuration des relations de pouvoir
Retour la table des matires
Si on tient aux combinaisons lmentaires de contrle et de non-contrle entre
deux acteurs dans une opration sur des ressources, les situations suivantes peu-
vent exister :
I) les deux acteurs exercent du contrle ;
2) l'un des acteurs a du contrle et l'autre du non-contrle, ou bien parce qu'il
n'est qu'un destinataire de l'opration, ou bien parce que, mme s'il est un
destinateur, il ne russit pas rendre ses prfrences efficaces ;
3) les deux acteurs n'exercent pas de contrle.
On peut nommer pouvoir conjoint, pouvoir unilatral et pouvoir nul, respecti-
vement, ces trois combinaisons, tant entendu que dans le cas du pouvoir unilat-
ral il peut y avoir pouvoir du premier acteur sur le second, ou du second acteur sur
le premier.
Il s'agit l des formes lmentaires des relations de pouvoir. Ces formes peu-
vent se combiner entre elles pour donner des formes plus complexes. Il en est
ainsi lorsqu'il y a contrle mitig. Dans l'exemple que nous avons donn du minis-tre qui accorde une subvention une instance dcentralise, mais moindre que
celle demande, on peut estimer qu'il y a la fois pouvoir conjoint et pouvoir uni-
latral du ministre. Il y a pouvoir conjoint puisque les deux acteurs contrlent
selon leurs prfrences l'opration qui consiste accorder une subvention, mais il
y a aussi pouvoir unilatral du ministre pour ce qui est du montant de la subven-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
32/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 32
tion. Les quatre relations lmentaires peuvent se combiner entre elles pour don-
ner des relations complexes faites de deux, de trois ou mme de quatre relations
lmentaires ( ce sujet, voir Lemieux, 1998, ainsi que l'Annexe du prsent ou-
vrage).
tant donn que les relations de pouvoir, lmentaires ou complexes, sont ar-
ticules les unes aux autres dans le droulement d'une politique publique, diff-
rentes structurations de ces relations prennent forme. Elles dfinissent les posi-
tions de pouvoir occupes par les acteurs, chacun d'entre eux cherchant occuper,
selon les ressources dont il dispose, les positions les plus avantageuses possible
dans l'environnement qui est pour lui significatif. C'est le postulat dont nous par-
tons dans notre approche structurale des relations de pouvoir.
De faon gnrale, cette recherche de la position la plus avantageuse possibleconsiste vouloir exercer du pouvoir, directement ou indirectement, sur le plus
grand nombre d'acteurs possible et d'tre soumis, directement ou indirectement,
au pouvoir du plus petit nombre d'acteurs possible. On peut parler de connexion
de pouvoir pour dsigner le pouvoir exerc directement ou indirectement sur un
autre acteur, tant entendu que c'est par du pouvoir conjoint ou du pouvoir unila-
tral, son avantage, qu'un acteur a une connexion de pouvoir avec un autre.
Les positions de pouvoir
Dans un ensemble donn de relations de pouvoir, on peut distinguer six posi-
tions de pouvoir :
1) un acteur est en position dominante lorsqu'il a une connexion de pouvoir,
directe ou indirecte, sur chacun des autres acteurs ; c'est la position du
pouvoir la plus avantageuse de toutes ;
2) un acteur est en position domine lorsque, dans un ensemble o il y a aumoins un acteur dominant, il n'a aucune connexion de pouvoir sur les au-
tres acteurs, et qu'au moins un autre acteur a une connexion de pouvoir sur
lui ; c'est la position de pouvoir la moins avantageuse ;
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
33/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 33
3) un acteur est en position intermdiaire quand, sans tre en position domi-
nante, il a une connexion de pouvoir sur un ou plusieurs acteurs et qu'un
ou plusieurs acteurs ont une connexion de pouvoir sur lui ;
4) un acteur est en position sous-dominante, quand, en l'absence d'acteur do-
minant, et sans qu'il soit en position intermdiaire, il a une connexion de
pouvoir sur un ou plusieurs autres acteurs ;
5) un acteur est en position sous-domine, quand, dans un ensemble o il n'y
a pas d'acteur en position dominante, il n'a aucune connexion de pouvoir
sur les autres acteurs, et qu'au moins un autre acteur a une connexion de
pouvoir sur lui ;
6) un acteur est en position isole lorsqu'il n'a aucune connexion de pouvoir
et qu'aucun acteur n'a une connexion de pouvoir sur lui.
l'intrieur de certaines de ces catgories de position de pouvoir, un acteur
peut se trouver un palier suprieur, moyen ou infrieur, selon la configuration de
ses connexions de pouvoir, compare celle des acteurs qui ont la mme position
que lui. Ainsi, si A exerce du pouvoir unilatral sur B qui en exerce sur C, qui en
exerce sur D, qui en exerce sur E, les acteurs B, C et D sont tous en position in-
termdiaire de pouvoir, mais la position de B est suprieure, celle de C estmoyenne, et celle de D est infrieure.
Les formes de structuration des relations de pouvoir
Ce sont des combinaisons diffrentes de ces positions qui dfinissent les diff-
rentes formes de structuration des relations de pouvoir (Lemieux, 1989). Quatre
formes peuvent tre distingues, dont on trouve des exemples dans le graphique I.
Une premire forme qu'on peut dire collgiale, ou coarchique, ne comprend
que des acteurs dominants, dont on peut dire qu'ils sont codominants. Chacun des
acteurs a une connexion de pouvoir sur chacun des autres, comme le montrent les
deux exemples du graphe I. I dans le graphique I. Dans le premier (I. I a), il y a
une connexion directe de pouvoir, dans les deux sens, entre chacun des acteurs.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
34/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 34
Dans le deuxime (I. I b), il n'y a pas de connexion directe entre B et C, mais des
connexions indirectes en passant par A. On peut considrer que la position domi-
nante de A est suprieure, alors que celle de B et de C est infrieure.
Graphique 1.
Exemples de structurations du pouvoir :collgiale (1.1), stratifie (1.2), segmente (1.3) et dsintgre (1.4)
Retour la table des matires
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
35/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 35
Dans une deuxime forme, la structuration du pouvoir est stratifie, ou stratar-
chique. Il y aun ou plusieurs acteurs dominants avec possiblement un acteur do-
min, et un ou plusieurs acteurs intermdiaires. Dans le graphe I.2a, les acteurs A
et B sont codominants et C est un acteur domin. Dans le graphe I.2b, A est un
acteur dominant, B un acteur intermdiaire et C un acteur domin. Dans les deux
cas, il y a stratification du pouvoir des acteurs. En I.2a, une premire strate est
faite de A et B, et une deuxime est faite de C. En I.2b, la premire strate est faite
de A, la deuxime est faite de B, et la troisime est faite de C.
La troisime forme de structuration du pouvoir est segmente, ou hirarchi-
que.Elle se distingue de la prcdente en ce qu'il y a au moins deux acteurs do-
mins, et donc au moins une paire d'acteurs entre lesquels il n'y a pas deconnexion de pouvoir, ni dans un sens ni dans l'autre. Comme dans les structura-
tions stratifies, il y a au moins un acteur dominant, et ventuellement un ou des
acteurs intermdiaires. Dans le graphe I.3a, A est un acteur dominant, alors que B
et C sont des acteurs domins (on pourrait dire qu'ils sont codomins). Dans le
graphe I.3b, A et B sont des acteurs dominants, C est un acteur intermdiaire,
alors que D et E sont codomins. La position de A est cependant suprieure cel-
le de B, tant donn la connexion directe qu'il a avec C, la diffrence de A qui
n'a pas une telle connexion.Il y a enfin des structurations de pouvoir sans acteur dominant, qui sont dsin-
tgres, ou anarchiques.La modalit extrme de la dsintgration est celle o tous
les acteurs sont isols. L o il y a au moins une connexion de pouvoir, diffren-
tes configurations sont possibles, dont celle du graphe I.4a, o A est un acteur
sous-dominant, B un acteur sous-domin, et C un acteur isol, ainsi que celle du
graphe I.4b, o A et B sont sous-dominants, et C sous-domin.
Mme si certains acteurs apparaissent en meilleure position que d'autres dans
les diffrentes modalits des quatre formes de structuration, la matrise des posi-tions de pouvoir fait sens pour chacun, selon la position o il se trouve dans une
structuration donne. Ainsi, dans la structuration I.Ia, de nature collgiale, A
pourra chercher augmenter son autonomie par rapport B ou C en transfor-
mant le pouvoir conjoint en pouvoir unilatral. Dans I.Ib, B et C, qui sont en posi-
tion dominante, mais infrieure celle de A, pourront chercher tablir du pou-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
36/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 36
voir conjoint entre eux pour amliorer leur position par rapport A. Le pouvoir
conjoint entre B et C pourra tre encore plus recherch dans la structuration 1.3a,
tant donn que leur dpendance envers A est plus grande. Et ainsi de suite.
Ces considrations sur les structurations des relations de pouvoir et sur les po-
sitions de pouvoir qu'elles dfinissent seront reprises dans l'Annexe, la fin de
l'ouvrage, pour traiter de la formalisation des relations de pouvoir dans une politi-
que concrte de dcentralisation.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
37/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 37
Dcentralisation, politiques publiqueset relations de pouvoir
Chapitre 2
Les politiques de dcentralisation
Retour la table des matires
LES POLITIQUES DE CENTRALISATION et de dcentralisation concer-
nent des situations qui sont plus ou moins centralises ou dcentralises, et ce par
des mesures qui portent sur des attributions transfres du centre la priphrie
ou de la priphrie au centre. Les attributions sont les enjeux des politiques de
centralisation ou de dcentralisation, mais elles sont aussi une partie des atoutsque les acteurs utilisent dans les relations de pouvoir o se jouent ces politiques.
tant donn que cet ouvrage porte principalement sur les politiques de dcen-
tralisation, nous allons nous intresser surtout aux transferts des ressources du
centre la priphrie. Dans la premire section, nous dcrivons les attributions
qui caractrisent la dcentralisation, soit le statut des organisations concernes,
leurs comptences, leur financement et leur autorit.
La deuxime section prsentera les diffrents types de dcentralisation qui
peuvent tre distingues partir des modalits de chacune des attributions. C'est
ainsi que la distinction sera faite entre la dcentralisation administrative, la dcen-
tralisation fonctionnelle, la dcentralisation politique et la dcentralisation structu-
relle.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
38/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 38
La troisime section soulignera quelques traits politico-socitaux qui touchent
les relations entre le centre et la priphrie. On y traitera des paliers qui sont en
position de centre ou de priphrie dans une collectivit. La distinction sera faite
cet gard entre les rgimes unitaires et les rgimes fdraux. Le recoupement despublics des instances centrales et des instances priphriques sera aussi soulign,
ainsi que certaines variations dues l'environnement.
Huit critres d'valuation de la dcentralisation seront prsents dans la qua-
trime section. Ils permettent d'valuer les avantages et les inconvnients de la
centralisation et de la dcentralisation, et en particulier ceux des diffrents types
de dcentralisation.
2.1 Les attributions et leurs modalits
Retour la table des matires
Parmi les attributions des instances dcentralises, on distingue gnralement
le statut des instances, leurs comptences, leur financement et leur autorit. Ces
attributions sont des atouts qu'utilisent les instances dans leurs oprations sur des
ressources considres comme des enjeux. On parle souvent de pouvoirs et de
responsabilits pour dsigner ces deux aspects de l'action des instances dcen-tralises 1.
Le statut
Le statut des instances dcentralises leur confre des atouts statutaires plus
ou moins habilitants dans leurs relations avec le centre. Il s'agit l de l'attribution
la plus gnrale. Elle dtermine en partie les autres attributions. On peut dfinir lestatut par le degr de dpendance organisationnelle o se trouve l'instance pri-
phrique par rapport l'instance centrale, les transferts consistant diminuer la
1 Les pouvoirs et responsabilits ainsi entendus ont un sens un peu diff-rent des concepts de pouvoir et de responsabilit tels que nous les utilisonsdans cet ouvrage.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
39/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 39
dpendance par la dcentralisation, ou l'augmenter par la centralisation. Quatre
catgories peuvent tre distingues cet gard, qui correspondent aux quatre ty-
pes de dcentralisation que nous prsenterons dans la section suivante.
Premirement, dans la dcentralisation administrative, l'instance priphrique
est une organisation territoriale dconcentre d'une organisation administrative et
se trouve ainsi trs dpendante par rapport au centre. Deuximement, dans la d-
centralisation fonctionnelle, l'instance priphrique est une organisation dite au-
tonome par rapport au centre. Elle est alors assez dpendante, tant donn que le
centre a un pouvoir de tutelle sur elle. Troisimement, dans la dcentralisation
politique, l'instance priphrique est assez peu dpendante du centre parce que
dirige par des lus, davantage responsables envers leur base lectorale qu'envers
le centre. Quatrimement, dans la dcentralisation structurelle, l'instance priph-rique est plus ou moins dpendante du centre. Elle l'est peu quand elle appartient
au domaine priv, qu'il soit marchand ou communautaire, elle l'est davantage
quand elle appartient au domaine public, mais est privatise dans l'une ou l'au-
tre de ses attributions autres que le statut.
Les comptences
Les comptences renvoient aux secteurs d'activit o les instances dcentrali-
ses ont des responsabilits propos d'enjeux rfrant diffrentes catgories
de ressources. Les comptences peuvent porter sur un seul secteur d'activit ou
sur plusieurs secteurs.
Il n'existe pas de typologie universellement accepte des secteurs d'activit qui
font l'objet des comptences centralises ou dcentralises. titre indicatif, on
peut signaler, en la modifiant lgrement, celle qui est adopte par le Fonds mo-
ntaire international Pour classifier les dpenses gouvernementales. Neuf grands
secteurs sont distingus, qui renvoient diffrentes catgories d'enjeux :
1) le secteur de la dfense, de l'ordre et de la scurit publique ;
2) le secteur de l'enseignement ;
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
40/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 40
3) le secteur de la sant et des services sociaux ;
4) le secteur de la scurit sociale ;
5) le secteur des loisirs, de la culture et des cultes ;6) le secteur de l'environnement ;
7) le secteur des transports et des communications ;
8) le secteur du logement et des quipements collectifs ;
9) le secteur des affaires et des services conomiques.
Ces secteurs sont diffrents les uns des autres pour ce qui est de leur impact
sur les diffrents publics. Ainsi, le secteur de la sant et des services sociaux tou-che, un moment ou l'autre, tous les individus ou presque dans le public, alors
que le secteur de la scurit sociale en touche une moins grande proportion.
Trois traits de ces secteurs semblent pertinents pour ce qui est de leur propen-
sion tre centraliss ou dcentraliss (Lemieux, 1997 : 57-60). D'abord, l'exis-
tence ou non d'effets de dbordement ou d'extraterritorialit par rapport un terri-
toire donn. Ensuite, la lourdeur ou non du financement requis pour raliser les
activits du secteur. Enfin, le caractre plutt technique ou instrumental de ces
activits par rapport leur caractre plutt culturel ou expressif. Par exemple, lesactivits de dfense, parce que trs extraterritoriales, trs coteuses et trs techni-
ques, seront gnralement centralises dans un systme politique tatique, alors
que les activits rcratives, culturelles ou religieuses, parce que peu extraterrito-
riales, peu coteuses et peu techniques, seront gnralement dcentralises. Il y a
videmment, en ces matires, des variations d'une socit l'autre, sur lesquelles
nous reviendrons dans la dernire section du chapitre.
En plus des secteurs d'activit, il faut aussi considrer, l'intrieur des comp-
tences, les fonctions qui sont exerces par les organisations dcentralises. Ladcentralisation dans le secteur de la sant n'a pas la mme ampleur selon qu'elle
consiste crer des conseils rgionaux chargs de transmettre de l'information en
direction du centre, ou selon qu'elle met plutt en place des rgies rgionales qui
ont aussi des fonctions d'allocation et de commandement.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
41/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 41
On peut distinguer cet gard les sept fonctions de la clbre liste dite du
POSDCORB de Gulick(1937 : 12-15). On aurait ainsi :
1) les fonctions de planification (planning) ;
2) les fonctions d'organisation (organizing) ;
3) les fonctions de recrutement (staffing) ;
4) es fonctions de commandement (directing) ;
5) les fonctions d'interconnexion (co-ordinating) ;
6) les fonctions de renseignement (reporting) ;
7) les fonctions de budgtisation (budgeting).
Gnralement, plusieurs fonctions sont confies aux organisations dconcen-
tres. Il s'agit le plus souvent des fonctions de commandement, d'allocation et
d'information. Quand il y a dcentralisation fonctionnelle, une seule fonction peut
tre dcentralise. C'est le cas des organisations consultatives, qui n'ont qu'une
fonction d'information. Il arrive aussi que plus d'une fonction soit dcentralise,
mais toujours les fonctions sont bien dfinies et sont souvent apparentes dans la
dnomination mme de l'organisation. C'est pourquoi ce type de dcentralisation
est considr comme de la dcentralisation fonctionnelle.
Quand il y a dcentralisation politique, toutes les fonctions sont dcentrali-
ses, de faon partielle tout au moins. Ainsi, les fonctions d'orientation et d'orga-
nisation sont dcentralises, mais pas de faon totale, puisque le centre se garde
gnralement la possibilit de commander l'action des collectivits locales ou
rgionales qui ont fait l'objet de dcentralisation, ainsi que la possibilit de les
rorganiser. Il en est de mme des autres fonctions. Ce ddoublement des fonc-
tions entre le centre et la priphrie est beaucoup plus limit, pour ne pas dire
inexistant, dans le cas de la dcentralisation structurelle, du moins quand elle est
globale plutt que partielle.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
42/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 42
Le financement
Les transferts en matire de financement peuvent consister ou bien attribuer
des leviers de commande aux instances dcentralises, ce qui les autorise prle-
ver elles-mmes de faon autonome des sommes d'argent auprs de leurs contri-
buables, ou bien leur attribuer des subventions, c'est--dire des supports finan-
ciers, conditionnels ou non conditionnels dans leur utilisation.
On peut distinguer quelques grandes catgories de sources de financement des
instances centrales et des instances priphriques. Ces catgories peuvent faire
l'objet de transferts, selon des modalits trs variables. Il y a :
1) les taxes directes imposes aux personnes physiques ou aux personnes
dites morales ;
2) les taxes indirectes sur les biens, services ou transactions, dont la tari-
fication ;
3) les taxes foncires sur la proprit immobilire ;
4) les autres taxes (impts de capitation, etc.) ;
5) les autres revenus de nature non fiscale (revenus des entreprises publi-
ques, amendes, confiscations, ventes) ;
6) les subventions et les transferts provenant d'autres paliers de gouver-
nement, qui sont conditionnels ou non conditionnels.
Comme dans le cas des deux autres attributions, savoir le statut et les com-
ptences, on peut tablir le degr de dpendance des instances priphriques parrapport leur instance centrale. Il est mesur par les sources de financement auto-
nomes dont dispose une instance priphrique. Il y a de grandes diffrences cet
gard, les situations extrmes tant celles des services administratifs dconcen-
trs, financs entirement par le centre, et celle des entreprises privatises dont
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
43/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 43
toutes les sources de financement sont autonomes par rapport au centre. Entre ces
deux extrmes, on trouve une grande varit de situations.
L'autorit
Il y a lieu de distinguer l'origine de l'autorit et l'exercice de l'autorit. C'est
ainsi que les attributions en matire d'autorit concernent d'une part le choix des
dirigeants qui sont dtenteurs d'autorit, et d'autre part l'exercice de l'autorit par
les dirigeants. Les transferts ont pour objet ou bien des ressources statutaires et
actionneuses attribues aux acteurs habilits dsigner les personnes qui occupe-
ront les postes d'autorit, ou bien des leviers de commande attribus aux dten-teurs de ces postes dans leurs relations avec leurs publics.
Les dtenteurs d'autorit qui dirigent les instances dcentralises peuvent tre
dsigns par le centre ou par la priphrie. Quand ils sont dsigns par la priph-
rie, ce peut tre par la base des instances concernes, ou encore par le sommet,
comme cela arrive, par exemple, dans des entreprises qui ont t privatises.
L'autorit peut tre exerce dans l'adoption ou dans l'application des mesures
de rgulation. Elle porte sur des lois et des rglements, comme dans les tats f-
drs, sur des rglements seulement, comme dans les autres instances dcentrali-ses politiquement, ou sur de simples rsolutions . La dcentralisation de
l'exercice de l'autorit se fait selon des combinaisons variables. Ainsi, en Allema-
gne et en Suisse, contrairement d'autres fdrations, les tats fdrs exercent de
l'autorit dans l'application des politiques adoptes par l'tat fdral, en plus d'en
exercer dans l'adoption des politiques relevant de leur champ de comptences.
Le pouvoir normatif, constitutif, prescriptif et allocatif
On peut distinguer quatre niveaux de pouvoir selon la nature des ressources
qui sont les enjeux des transferts d'attributions : le pouvoir normatif, le pouvoir
constitutif, le pouvoir prescriptif et le pouvoir allocatif (Lemieux, 1989), le pre-
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
44/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 44
mier niveau tant plus dterminant que le deuxime, et celui-ci tant plus dter-
minant que le troisime, qui est lui-mme plus dterminant que le quatrime.
Le pouvoir normatif porte sur les rgles et valeurs qui orientent les transferts
d'attributions, en matire de statut, de financement et d'autorit. cet gard, il
dtermine, partiellement tout au moins, le pouvoir exerc sur toutes les autres
ressources. La dtermination n'est que partielle parce que le pouvoir sur les autres
ressources ne manque pas d'alimenter le pouvoir normatif (Lemieux, 1996).
Le pouvoir constitutif porte sur les ressources statutaires. Dans le domaine de
la centra-dcentralisation, il s'agit du statut des instances et des postes l'intrieur
de ces instances. Le pouvoir constitutif s'exprime par des interventions concernant
la dpendance ou l'indpendance organisationnelle des instances centrales et pri-
phriques, les unes par rapport aux autres. Quand, par exemple, la direction d'unministre dcide de crer des bureaux rgionaux et supprime ou modifie en
consquence certains de ses services centraux, elle exerce un pouvoir constitutif.
Ce pouvoir suppose toujours des normes, sous-jacentes aux enjeux statutaires.
Dans l'exemple que nous venons de donner, les normes peuvent consister dans la
responsabilisation des administrations envers leurs publics, dans la recherche
d'une plus grande efficacit, etc.
Le pouvoir prescriptif, quant lui, porte sur les leviers de commande des ac-
teurs priphriques. Il y a pouvoir prescriptif, de nature habilitante, quand desacteurs centraux accordent des acteurs priphriques la capacit de percevoir
des taxes auprs de leurs contribuables ou d'lire leurs dirigeants. De mme, les
comptences des acteurs priphriques peuvent faire l'objet du pouvoir prescriptif.
Soit les comptences en scurit publique. Quand elles sont dcentralises, des
leviers de commande sont attribus aux instances priphriques. Comme pour ce
qui est du pouvoir constitutif, des normes sont sous-jacentes au pouvoir prescrip-
tif. Par exemple, la centralisation des commandes en matire de scurit publique
sera justifie partir de valeurs de coordination et d'efficience.
Il y a, enfin, le niveau allocatif, qui a pour objet des supports, en particulier fi-
nanciers, des effectifs ou des informations. Il s'exprime par des subventions, par
des transferts de ressources humaines, par de la diffusion d'informations dans un
sens ou dans l'autre. Des normes diverses inspirent ces transferts, dont celle
d'quit.
-
7/30/2019 Dcentralisation, politiques publiques
45/210
Vincent Lemieux, Dcentralisation, politiques publiques et relations de pouvoir (2001) 45
On aura not que les ressources relationnelles, ou liens, sont les seules aux-
quelles nous n'avons pas fait allusion propos des quatre niveaux de pouvoir.
Comme les normes et les informations, elles peuvent difficilement tre contrles
selon des rgles officielles. Elles n'en demeurent pas moins fort importantes, enparticulier dans la formation des alliances, comme nous l'avons vu au chapitre
prcdent.
2.2 Les types de dcentralisation
Retour la table des matires
Nous reprenons, pour tablir les diffrents types de dcentralisation, la typo-
logie propose par l'Organisation mondiale de la sant (Mills et al., 1991) ainsi
d'ailleurs que par Rondinelli (1981) :