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    LES CAHIERS

    DE

    L'ADEPTE

    n8&9

    Editions B.A.G.I.

    12 rue du Grand Prieur75 011 - Paris.

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    Mercredi 12 juillet 1967

    Mercredi, 12 juillet 1967.

    Je rdige cette mise en forme de mes notes dans une verdine - c'est direune roulotte tire par un cheval. Il fait une chaleur touffante, et malgr les deux fentreslargement ouvertes, aucun souffle de vent, aucun courant d'air, ne vient temprer cettefournaise.

    La verdine se trouve sur un terrain vague, non loin de la dcharge publique dont leseffluves nous sont pour l'instant pargnes. Mais quand se lve le mistral, une vritable

    puanteur traverse le camp. Ca n'a pas l'air de gner outre mesure ses habitants. La

    commune s'appelle Albaron. Elle se trouve au nord-ouest de la plaine de la Camargue,prs de la rive gauche d'un des innombrables mandres du Petit-Rhne, sur la route quirelie Arles aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Je suis l depuis hier.

    Lorsque je regarde, par la fentre, je puis voir une vingtaine de verdinessemblables celle que j'occupe prsentement, plus quelques caravanes dlabres et deuxcamions poussifs transforms en habitations ambulantes. Toutes ces demeures mobilessont orientes dans le mme sens. Cinq cadillacs aux couleurs criardes semblent faire lasieste. Les chevaux - une trentaine - sont l'abri du soleil sous un chapiteau de toile,vestige sans doute d'un cirque ambulant. Des coqs, des poules, des chiens errent de-ci de-l, la recherche de nourriture, semblant vivre en bonne entente, ou plutt dans uneindiffrence totale les uns des autres. Quelques bbs dorment nus, poss sur des couettesviolettes, sous les verdines qui les protgent des rayons du soleil ; d'autres ttent les seinsgonfls de lait de leurs mres, qu'elles dvoilent sans aucune pudeur. Jamais par contre jen'ai pu apercevoir un genou, une jambe, et encore moins une cuisse, de l'une des femmesdu camp. Elles sont constamment revtues de longues jupes qui leur descendent jusqu'aux

    pieds.

    Des enfants plus gs - entirement nus eux-aussi - se livrent aux jeux de leur ge.Ils dtournent la tte et se sauvent en courant ds qu'ils m'aperoivent ou croisent monregard. Ils ne sont pas encore habitus au "gadjo" qui a lu - pour un temps indtermin -

    rsidence chez eux.

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    N'taient les piaillements des gamins, les hennissements des chevaux, les jappementsde quelques jeunes chiens qui se poursuivent et les chants, gloussements et piaillements desgallinacs, le silence serait total. Le camp des Roms vit au ralenti. C'est l'heure o ceux qui ysont rests - les enfants en bas-ge, leurs mres et quelques vieilles femmes - conomisent aumaximum leurs activits, pour se garder des rayons enflamms du soleil qui crasent tout. Jesuis moi-mme torse-nu, vtu d'un simple short, et je sue grosses gouttes.

    Jai un carnet de notes format poche ma gauche, et un joli cahier neuf spirales surlequel je consigne ces lignes. Pas question, en effet, d'emporter le magntophone. Nonseulement il est trop lourd, mais de plus il ne servirait rien : il n'y a pas d'lectricit dans lecamp.

    Ca me fait un peu peur de ne plus sentir ct de moi la prsence rassurante de cetengin. Serai-je la hauteur pour rapporter exactement ce que je vais voir, entendre etapprendre ? D. m'a dit de ne pas me tracasser ce sujet.

    Le mieux, c'est sans doute que je me jette l'eau, que j'crive ce qui me vient commea me vient.

    Et tout d'abord, que je raconte comment, ayant quitt D. le 10 juin, je me retrouve ensa compagnie l'autre bout de la France chez des personnes qui ont la rputation d'tre des"voleurs de poules".

    Le mercredi 14 juin, le facteur apporta mes parents une bonne nouvelle quin'tait pas cependant vritablement une surprise : j'tais admis, lors de la prochaine annescolaire, en classe de terminale C. Je dcidai de fter cette confirmation en flnant toute lajourne avec quelques copains.

    Nos pas nous amenrent en dbut de soire aux alentours d'une des deux salles deftes du village - la plus rcente - o , le club de ping-pong tenait momentanment sesquartiers. Nous dcidmes d'aller changer quelques balles, mais en ce qui me concerne, ceprojet n'aboutit jamais.

    A peine tais-je entr dans la salle que, malencontreusement, je drapai sur le parquetcir et tombai lourdement sur les fesses. Celles-ci n'en souffrirent pas trop, mais ma jambedroite se tendit brutalement dans la chute, et je ressentis une vive douleur au genou, qui mefit voir trente-six chandelles.

    Je me remis debout tant bien que mal, mais fus incapable de faire autre chose que

    d'assister aux diverses parties assis sur une chaise. Finalement, soutenu par deux amis, jerentrai chez moi en claudiquant, et me mis immdiatement au lit, o ma mre

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    vint m'apporter une part de gteau qu'elle avait fait pour fter mon accession dans laclasse du bac.

    Le lendemain matin, en dpit de tous mes efforts - les derniers jours de classe sonttoujours les plus agrables - je ne pus poser le pied par-terre. Mon genou tait si gonflqu'il en paraissait informe, et la vilaine teinte violace qu'il avait prise ne prsageait riende bon.

    Avant de se rendre son travail, mon pre tlphona notre mdecin de famille, etdposa ct de mon lit une paire de bquilles qui trane depuis des lustres la maison,des livres et de quoi crire.

    Le toubib arriva aux environs de onze heures. Il diagnostiqua un panchement desynovie, fit une ordonnance longue comme un jour sans pain, et prconisa un repos absoludurant quinze jours environ. Il signa la feuille d'arrt envoyer au lyce - "tu n'yretourneras que l'anne prochaine" - banda fortement le genou, et m'avertit que j'aurais le voir vers la fin du mois, pour ponctionner l'articulation. Ce terme de "ponction" ne medit rien de bon.

    Rentre le midi la maison, ma mre courut la pharmacie, malgr mesdngations. "Je n'ai plus mal", lui dis-je. C'est vrai que je ne souffrais plus tant que jerestais immobile. Mais lors de mes dplacements, si je venais par hasard poser le pied

    par-terre ou heurter mon genou - on se cogne toujours l o on a mal - c'tait une autrepaire de manches. Et en refusant les mdicaments - sans y russir - je refusais d'admettrece qui me tombait dessus. La perspective de passer quinze jours inactif, au meilleur

    moment de l'anne - quand les jours sont les plus longs - ne m'enchantait nullement.Mettant profit ce temps mort - et las de me prlasser dans un lit - je passai tout

    l'aprs-midi de ce jour mon bureau, pour coucher sur le papier le contenu des bandes ose trouvaient enregistrs nos prcdents entretiens avec D. Avant de partir, mon pre avaitdpos sous la table un banc o je posai mon pied - ce qui s'avra trs vite peut pratique,car mon genou heurtait chacun de mes mouvements le dessous de la table. Finalement je

    posai le pied par-terre sur un coussin, et ne m'en trouvai pas plus mal.

    Bien sr, ce ne fut pas du tout du got de ma mre, qui me passa un savon enrentrant de sa journe de travail, peine et-elle pass le seuil de ma chambre. Mais D.,

    qui l'accompagnait en portant un sac, lui fit remarquer que c'tait peut-tre mieux ainsi (jem'attendais un peu, je dois le dire, sa visite, car mon pre m'avait inform le midi mmequ'il l'avait mis au courant). Ma mre s'clipsa et nous laissa seul.

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    II m'aida m'allonger sur mon lit, retroussa la jambe de mon pyjama, et palpa mongenou."Que dit le mdecin, demanda-t-il ?- Epanchement de synovie.

    - Diagnostic juste, un bon point pour Albert, dit-il en riant (le mdecin seprnommeAlbert ; D. et lui se connaissent de longue date, au point de se tutoyer).Mais encore ?

    - Tenir le genou bien serr dans une bande, viter au maximum de le plier, quinzejours d'immobilit, et une ponction pour couronner le tout. Plus tout a."

    Je dsignai du doigt les pansements, pommades et cachets qui se trouvaient sur la

    table de nuit."Diagnostic juste, rpta D., mdications en accord avec la facult, mais inoprantesen la circonstance.

    Tout d'abord, contrairement ce que l'on t'a recommand, tu vas me faire le plaisir deplier ce genou, sans forcer et sans te faire mal bien sr ; sinon, il risque de s'ankyloser. Etmaintenant, place au soigneur (Note de l'diteur : on se souvient que D. joue l'occasion lerebouteux, et le monsieur "remise en forme" de l'quipe de foot locale).

    D. pencha sa tte vers mon genou, y appliqua ses lvres, et tout en pressant fortementsur un point de la plante du pied gauche, il souffla longuement l'endroit du mal.

    "Tu peux mettre les pommades et prendre les cachets, dit-il quand il eut fini ; a

    rassurera ta mre. Mais je te conseille galement des applications de ceci."II sortit de son sac des feuilles de choux, et un sachet contenant de la poudreverte.

    "Tu appliques tous les soirs avant de t'endormir une feuille sur ton genou, et le matintu la jettes. Dans la journe, tu t'enduis avec des cataplasmes d'argile verte. Tu mlanges cettepoudre de l'eau, et tu tends la pte l'endroit o tu as mal. Ca risque de raviver parfois ladouleur, surtout au dbut, mais c'est la preuve de l'action thrapeutique de l'argile. Quand lecataplasme est compltement sec, tu l'enlves avec un jet d'eau tide. Qu'est-ce qui t'a pris dete casser la figure ?- Je ne sais pas.- On devrait toujours s'efforcer de connatre la raison de nos actes, conscients ouinconscients. Tu ne veux pas partir avec moi voir Pierre ? (Note de l'diteur dansLesCahiers de l'Adepte 6 & 7, l'ingnieur D. a propos l'Adepte de

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    l'emmener voir en sa compagnie un tzigane prnomm Pierre, que D. avait connu durantla guerre, l'poque o il se trouvait dans un camp de concentration). - Ca marchetoujours, ce voyage ?

    - Plus que jamais. Mais ne t'inquite pas. Dans trois jours, tu seras de nouveau surpied, et dans huit, tu trotteras comme un lapin.A propos, as-tu une carte d'identit ?- Jai celle que j'ai faite tablir pour passer mon B.E.P.C.

    - C'est bien, car l o nous irons, les contrles de police sont frquents ; mieux vauttre en rgle. Bonsoir, je reviendrai te voir demain."

    D. revint effectivement s'enqurir de ma sant chaque soir ; et comme il

    l'avait (presque) prvu, je pouvais reposer mon pied par-terre non pas le troisime, mais l'aube du quatrime jour. De mme, dix jours aprs, je me promenais de nouveau commesi de rien n'tait.

    Ce qui me valut une franche engueulade, la visite mdicale de contrle, car notremdecin m'avait aperu gambadant dehors au cours de l'une de ses tournes. Je laissai

    passer l'orage, et il s'apprtait dj me ponctionner avec une grande seringue dont laseule vue me fit courir des frissons dans le dos.

    Mais ponctionner quoi ? Le genou avait repris sa forme normale, et la pigmentationde la peau ne laissait plus rien apparatre de la dchirure. "Albert" s'en aperut, soupira, etretourna derrire son bureau, l'air vaguement dsabus.

    "Pas besoin de ponctionner, grommela-t-il, a c'est trs bien remis tout seul.Remarque, ton ge, c'est normal. Et puis, je t'avais donn une trs bonne pommade."Il n'en croyait pas un mot, bien sr, mais il ne voulait pas perdre la face. Et sur sa

    lance, il rdigea une autre ordonnance, que j'empochai, mais que je me promis bien dejeter la corbeille papiers sans la montrer ma mre.

    "Albert" me raccompagna la porte de son cabinet de consultations, me souhaitade bonnes vacances, puis, se ravisant, il ajouta, en souriant"A propos, si tu vois l'ingnieur, souhaite-lui le bonjour de ma part."

    Nous nous quittmes sur cette note d'humour.

    Entre temps, D. avait organis notre voyage. Comme d'habitude, mes parentsne s'opposrent en rien ce priple, et ne posrent aucune question. Jvitais tout demme de les renseigner sur le lieu exact et sur les mobiles de ce voyage, mais

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    j'appris par mon pre, incidemment, qu'il tait parfaitement au courant que nous allions"visiter les manouches". Sans qu'il fasse aucune remarque supplmentaire, ni ma mrenon plus. Ils avaient mme rdig l'attention de D., qui me la montra, une lettre danslaquelle ils reconnaissaient me confier sa charge.

    En tout tat de cause, notre dpart tait fix au lundi 10 juillet, au matin. Mon prem'apporta lui-mme un jour les billets de train qu'il avait rservs. Destination Arles, viaRouen et Paris. Il n'y avait que des billets pour l'aller, pas pour le retour. Je lui endemandait la raison et il me rpondit : "L'ingnieur ne sait pas quand vous revenez. Maisne t'inquite pas, nous lui rembourserons les billets de retour."

    Je ne m'inquitais pas. Devant tant de permissions accordes sans que j'ai

    ferrailler pour les obtenir, j'aurais t bien bte de me faire du mauvais sang.Le voyage se droula en trois temps. Tout d'abord, le trajet Dieppe-Paris,

    avec une courte halte la gare de Rouen pour attendre la correspondance. Nous sommesarrivs dans la capitale en dbut de journe. D. m'a emmen voir plusieurs muses, qu'ilsemblait connatre parfaitement, et m'a pay un tour en bateau-mouche. Le soir, nousavons dn dans un grand restaurant en face de la gare de Lyon, et puis nous avons pris letrain de nuit pour Marseille, qui fait halte en Arles. C'est la premire fois que je dors dansune couchette de train. Jai trouv cela trs agrable.

    Except les commentaires qu'il fit devant les pices de muse, et quelques paroles

    pour attirer mon attention sur un aspect du paysage travers ou sur un monument, nousavons peu parl durant tout le voyage. Except pour apporter la prcision suivante"Tu m'as rapport que ton pre t'a dit que nous allions voir les manouches. Mais

    Pierre n'est pas un manouche. Les tziganes se divisent en quatre groupes principaux : lesManouches, qui rsident depuis longtemps en France et en Allemagne, les Sinti quiviennent du Pimontais, les Gitans qui viennent d'Espagne, et les Roms, qui sont venusassez rcemment de l'Est. Chez les Roms, il y a les Kaldrach, qui sont principalementchaudronniers, les Tchuranas, qui fabriquent des tamis, et les lovara, qui sont desmaquignons. Cependant, ces familles et ces clans s'entendent gnralement assez bienentre eux, et tous se retrouvent dans la joie et la pit, fin mai, au plerinage des Saintes-

    Maries-de-la-Mer, o il rendent un culte une Vierge Noire, Sara la Kali. Pierre et satribu sont des Roms Tchuranas, qui parlent le dialecte Vlach, et assez couramment leFranais, l'Allemand et le Hongrois.

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    - Ils croient en quelque chose ?- En une foule de choses, et ils adoptent assez facilement les religions des pays qu'ilstraversent ; mais toujours en les accommodant leur sauce, en les ramenant une espce detronc commun tous les tziganes.

    Leur dieu crateur s'appelle Devel ou Del, et ils le prient souvent, sous diffrentesformes ; il y a aussi un diable en chef - Beng - mais la lutte du Bien et du Mal n'est pas leurproccupation premire. Ils sont assez fatalistes : selon eux, la destine de chaque individu estcrite ds sa naissance et il ne peut que trs modrment en modifier le texte. Par contre, ilsredoutent les fantmes, et les cimetires la nuit.

    On ne peut pas vraiment parler de croyances en ce qui les concerne. Pour autant quej'en sache, leur systme religieux est celui de tous les nomades : quelques principes simplesqui s'enrichissent au gr de l'exprience et des voyages. C'est plus une tradition vivantequ'une religion.

    - Ils ont des sorciers ?- Oui, des "kakous" ; mais le mot "sorcier" n'a pas chez eux le sens que l'on donne

    chez nous. Il s'apparente plutt l'Homme-Mdecine des indiens d'Amrique. C'est tout lafois un sage, qui sige au conseil des anciens, le tribunal de la Kris, un gurisseur et la parolevivante qui transmet la tradition. Car chez eux, il n'y a pas de textes crits pour la perptuer.

    - Justement, comment faites vous pour communiquer avec Pierre puisque vous m'avezdit qu'il ne sait pas lire ? Par tlpathie ou par ddoublement ?" D. clata de rire.

    "Non. Autrefois, je veux dire juste aprs la guerre, c'tait assez compliqu. Je faisaisconnatre mon message deux ou trois manouches qui rsidaient en Normandie.Immanquablement, la rponse me parvenait par le mme canal, mais dans un tempsindtermin.

    Il y a quelques jeunes qui savent lire et crire dans la tribu de Pierre, mais a ne mesert nullement - tout au moins pour expdier mon message. Car cette tribu est resteitinrante : un jour ici, un jour l. Alors, j'envoie des lettres quelques manouchessdentariss, et quelques forains qui ont un point de chute. Le premier qui rencontre Pierre

    lui transmet le message, et lui me fait crire, ou tlphoner. Mais a reste alatoire. Lestziganes n'ont pas notre conception du temps, ni notre sentiment de l'urgence."

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    Arrivs en Arles de bon matin, nous avons d'abord dpos nos bagages la

    consigne de la gare. Sen profitai pour acheter quelques cartes postales, que je rdigeai etpostai sance tenante, une carte routire, ainsi qu'un petit guide touristique de la rgion."O irons-nous, demandai-je D ?

    - Je n'en sais rien. O le vent portera la tribu de Pierre, et suivant les cheminsbaliss par les gendarmes.

    (Note de l'Adepte : cette poque, l'errance des tziganes tait en France sous lecoup d'une loi trs svre dicte en 1912, et qui fut abroge deux ans aprs la date de cercit, en 1969. Il tait quasiment impossible aux tziganes de stationner plus de vingt-quatre heures un mme endroit, et encore les endroits qui leur taient

    parcimonieusement allous taient les dcharges publiques. Parfois, heureusement,quelques paysans auxquels ils avaient par le pass rendu service consentait leur octroyerun coin de terre au bord d'une rivire. Ce qui n'empchait nullement les gendarmes de selivrer leur encontre d'interminables contrles d'identit et autres tracasseriesadministratives).

    - A quelle heure avons-nous rendez-vous ?- A deux heures de l'aprs-midi, dans un caf. Ca nous laisse largement le temps de flnerun peu."

    Nous avons donc visit Arles, rsidence de l'Empereur Constantin, la plus grandecommune de France, construite initialement sur un rocher qui surplombe les maraisproches du delta du Rhne (c'est ce que dit le guide touristique). Arles, son thtre, soncirque, son forum, ses thermes, et ses entrepts souterrains. Et puis, nous sommes allsdjeuner dans un caf prs de la gare. C'est dans un autre caf, situ derrire les thermes,que nous nous sommes rendus l'heure dite au rendez-vous fix.

    Pierre et son fils, Yosta, saucissonnent devant une bouteille de vin de pays.Pierre est vtu, malgr la chaleur, d'une chemise col ouvert, d'une veste de toile

    noire, et d'un pantalon de velours de la mme couleur. Un foulard est nou autour de soncou et il porte un chapeau, qui semble constamment viss sur sa tte. Son visage est

    burin, stri de rides. Une moustache grise surmonte ses lvres. Ses yeux sont noirs,comme chez presque tous ceux de sa race (mais j'ai vu, chose tonnante, des personnes ducamp qui arborent des yeux aussi bleus que les miens), et son regard malicieux.

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    Quand il se lve, je m'aperois qu'il est petit (il ne doit pas atteindre le mtresoixante), mais vigoureux. Il n'a pas d'ge. Quand il parle, il dcouvre une bouche denteo se battent en duel quelques chicots noircis ; mais lorsqu'il sourit en gardant la boucheferme, je croirais - n'taient les rides et les cheveux blancs - avoir un homme d'unequarantaine d'annes devant moi. Ce qui n'est certes pas possible, car son fils Yosta - quine lui ressemble pas du tout - a avou un moment de la conversation avoir "encaiss"cinquante printemps il y a peu.

    Pas de grandes effusions pour les retrouvailles de Pierre et de D. ; tout le monde seserre la main, puis s'asseoit. Et puis, tous deux - sans mme demander des nouvelles l'unde l'autre - s'embarquent dans une interminable conversation portant sur la difficult qu'il

    y a aujourd'hui trouver de bons marchaux-ferrants - quand on en trouve - sur lesconstructions modernes, sur les vertus du tabac gris, et sur un chien qui, semble-t-il,rendait bien des services la tribu (je n'ai pas compris lesquels) jusqu' ce qu'il expire il ya trois jours l'ge canonique de dix-neuf ans. Tout cela sur un ton badin, sur le ton dedeux personnes qui se sont quitts la veille.

    Je m'ennuie ferme, et je suis un peu gn. Je n'ose trop les observer, de peur de memontrer impoli. Alors, je prends prtexte d'une envie pressante pour m'loigner.

    Quand je reviens la table, Pierre me jette un bref regard, puis il se tourne vers D.et lui demande

    "C'est le petit dont tu as parl Pierre (D. m'avait dj prcis qu'il parlait de lui la troisime personne)?- C'est lui.- Tu t'ennuies, fils ?- Un peu, avouai-je.

    - Allons, prends le temps comme il vient. Et puis, regarde Pierre, si tu en as envie.Tes yeux ne sont pas ceux d'un mul (dans la premire version, j'avais crit mulet, sans

    bien comprendre d'ailleurs ; mais D. a rectifi en me prcisant qu'un "mul" est unfantme). Ils ne peuvent pas brler Pierre."

    Entre D. et celui-l qui a l'air de savoir lire aussi dans les penses, j'ai intrt memfier de ce qui me trotte dans la tte.

    "Tiens, paye nous boire, me dit-il."Je commande, mais au moment de payer, je m'aperois que je n'ai plus mon

    portefeuille. Un instant, je panique. Eclats de rire gnral, et Pierre me le tend.

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    "Tiens, petit, fais attention tes affaires... des fois que nous soyons conformes notre rputation."Jai comme le pressentiment que durant ce sjour, "a va tre ma fte".

    Sur un signe de Pierre, tout le monde se lve enfin. Il est prs de cinq heuresde l'aprs-midi. Nous nous engouffrons dans une cadillac gare non loin de l - Yosta auvolant, Pierre l'avant, D. et moi l'arrire, et aprs *un dtour par la gare pour yrcuprer nos affaires, nous sortons d'Arles et empruntons la dpartementale 570, endirection d'Albaron dont une quinzaine de kilomtres environ nous sparent.

    Durant le trajet, je sors mon carnet de ma poche pour prendre quelques notes. Pierreme regarde dans le rtroviseur, puis il se retourne vers D. et lui demande

    "Qu'est-ce qu'il fait ?- Tu le vois bien, lui rpond D., il crit.Ah bon, fait Pierre." Et il se retourne."C'est moi qui le lui ai demand, ajoute D.- Tu vas crire un livre sur nous, mon fils ?- Peut-tre bien qu'il en crira un jour.- Ah bon."Et l-dessus, Pierre et Yosta clatent de rire.

    (Note de l'Adepte :je ne sais pourquoi, mais depuis, dans ma vie, j'ai souventremarqu que le projet de consigner faisait rire abondamment les illettrs. Dix ans aprs,

    lorsqu'il m'a t donn de lire "L'herbe du Diable et la petite fume",j'ai retrouv sous laplume de Castaneda la mme hilarit que ses carnets de notes provoquaient chez soninstructeur - le sorcier yaqui - et ses frres.)

    Ds que nous arrivons au camp, tout le monde nous entoure. Apparemment- except les trs jeunes enfants qui s'enfuient en courant - l'ingnieur a dj sjourn ici.Les hommes lui dcochent de grandes bourrades dans le dos, et les femmes de largessourires. Il y a mme une vieille qui vient l'embrasser. Mais de moi, on ne se proccupe

    pas plus que si je n'existais pas.La premire chose qui me surprend, c'est que tous, hommes, femmes et enfants,

    quelque soit leur ge (bien difficile souvent dterminer) semblent en parfaite sant et

    condition physique. Je ne vois, par exemple, personne qui soit perclus de douleurs et quis'appuie sur une canne parmi la soixantaine d'tres humains - enfants excepts - quipeuplent le camp. Il n'y en a qu'un seul qui s'aide d'une longue

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    branche d'arbre taille en fourche comme d'une bquille, mais celui-l, c'est biencomprhensible : sa jambe droite est coupe au dessus-du genou, et il n'a pas de jambe de

    bois.

    La seconde surprise, c'est plutt un sentiment qui s'abat sur moi : la situationmatrielle de tous ces gens ne semble gure enviable, et pourtant il rgne sur la tribu unsentiment de joie indfinissable.

    Escorts par la foule, nous nous rendons vers la verdine que l'on a rserve notreoccasion. Jentends des bribes de conversation dans un dialecte que je ne comprends pas.Pierre aussi a du les entendre, car il se retourne et tonne la cantonade : "Pendant qu'ilssont l, tout le monde parle franais."

    En mon for intrieur, j'apprcie comme il se doit l'lgance du geste, et sa politesse notre gard.

    Le repas du soir, que nous prenons dehors, est dlicieux. Hrissons (il paratque c'est un met royal chez les tziganes ; j'ai fiait un peu la fine bouche quand on m'a ditce que c'tait, mais ne voulant vexer personne, j'ai surmont ma rpugnance de civilis et

    je ne le regrette pas), mouton mrinos (spcialit d'Arles, dit le guide) et volaille cuitssous la braise ou a la broche. Pas de lgume ni de crale, except des galettes de bl enguise de pain. D. m'a expliqu le soir, avant de nous endormir, que les nomadesnourrissaient un certain mpris pour les agriculteurs sdentaires, ainsi que pour leurs

    produits. Ils sont principalement carnivores, chasseurs et pcheurs, et ils mangent en plusquelques salades et plantes sauvages qu'ils cueillent dans les prs et aux bords des routes."Tout fait ventre", l'exception chez les tziganes de la viande de cheval qui semble tabou:On ne mange pas le compagnon qui vous conduit de lieux en lieux.

    Pierre m'avait intim d'un geste de m'asseoir sa droite, tandis que D. se tenait sagauche. A la fin du repas, il lui demanda brusquement "Le petit a-t-il dj fait le jardin ?- As-tu fait le jardin, fit en cho D. ?"

    Devant mon air interloqu, ils clatrent tous deux de rire."Je ne te demande pas si tu as fait le jardin de tes parents, mais le jardin phmre

    ? (Note de l'diteur : cf. Cahiers de l'Adepte 6 & 7, pages 63 et suivantes).Moi aussi, cette confusion me fit clater de rire.

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    "Non. Avec l'accident, les notes mettre en ordre, et les prparatifs du dpart, je n'aipas eu le temps.

    - Le petit a eu un accident ?- Il s'est un peu dchir le genou.- Bien, bien, nous verrons cela. Et puis, nous lui ferons faire le jardin ; peut--tre aussi larose. Peut-tre mme le jardin aprs la rose. S'il le mrite, bien entendu."Nouvel clat de rire des deux compres.

    Nous nous sommes couchs fort tard, et je me suis lev sur les environs de midi.Aprs une toilette sommaire dans un seau d'eau, j'ai appris que D. et Pierre avaient quitt lecamp de fort bonne heure, et qu'ils seraient de retour "dans la journe". La femme qui m'aappris cela m'a ensuite offert un th, puis invit partager son repas (alors que le repas dusoir est pris en commun, celui de midi ne runit que des petits groupes des heuresdiffrentes).

    Je me suis mis cette rdaction sitt mon estomac satisfait, interrompue seulementpar une qute vaine d'un stylo dans tout le camp - le mien n'a plus d'encre ; ce qui m'a permisde me familiariser un peu avec tous les gens qui y sont rests. Finalement, j'ai fouill dans lapoche d'une des vestes de D., et j'en ai ressorti un crayon papier, qui fera l'affaire enattendant...

    ... En attendant la "rose" et le "jardin", peut-tre.

    Dix minutes peine aprs que Pierre et D. soient rentrs au camp - porteurstous deux de sacs de toiles remplis de je ne sais quoi - qu'une estafette de gendarmeriepntra dans le camp.

    Quatre gendarmes en sortirent, et ils s'gayaient droite gauche, quand tout coupl'un d'eux m'aperut, assis tranquillement lire sur les marches de la verdine. Aussitt, ilappela ses collgues, et tous quatre fondirent sur moi comme la misre sur le pauvre monde."Qu'est-ce que tu fais l, me demanda l'un d'eux ? - Je suis en vacances."

    Ma rponse semble les estomaquer. Visiblement, ce camp n'est pas l'endroit qu'ilschoisiraient pour passer leurs vacances.

    "Papiers", me dit brutalement un grand blond petite tte, si bien qu'il n'a pas trouvde kpi sa taille, et qu'il flotte dans le sien.

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    Je monte dans la verdine ; il m'accompagne. Je sors de mon portefeuille ma carted'identit. Il la prend, sort de nouveau ma suite, et la scrute par transparence au soleil,sans doute pour s'assurer qu'elle n'est pas fausse."Qu'est-ce que tu fais l ?- Je vous l'ai dj dit, je suis en vacances.- Et tes parents sont prvenus ?- Bien sr ; je puis avoir mes papiers ?- Dsol, mon garon, mais tu vas devoir nous accompagner."

    L-dessus, D. arrive. Il brise le petit cercle de l'attroupement qui s'est form autourde nous, et exhibe la lettre de mes parents. Sans qu'on lui ait rien demand, il l'a glisse

    dans sa carte d'identit.Normalement, cette lettre, la tenue de D. - il est vtu d'une chemise et d'un pantalon

    blanc impeccables - et sa prestance devraient contribuer calmer l'atmosphre.C'est tout le contraire qui se produit.

    "Vous allez nous accompagner aussi", dit le grand blond, qui semble tre le gradde la troupe.

    D., d'un regard, me fait comprendre que nous n'avons rien d'autre faire qu' nousexcuter. Sous bonne escorte, nous montons dans l'estafette. Sous le regard dsabus destmoins de la scne.

    Avant d'y pntrer, le grand blond se retourne et apostrophe l'assemble en ces

    termes : "que ces deux-l reviennent ou ne reviennent pas, vous aurez quitt cet endroitdemain midi."A la gendarmerie, nous sommes "pris en mains" par un gros chauve qui

    ruisselle tant et plus. Les quatre autres gendarmes se tiennent debout autour de nous, sansdoute pour prvenir toute tentative de fuite. Mmes questions ; mmes rponses ; mmeincrdulit qui se lit sur les visages.

    Le capitaine passe quelques coups de tlphones ; pour savoir si nous sommes"fichs" ou recherchs. Ngatif Mais a n'arrange pas nos affaires. "C'est pas normal", dit-il.

    J'ai une ide. Je lui propose de tlphoner mes parents, et je lui donne le numro.

    "Ca ne prouve rien ; c'est peut-tre des complices que j'aurai au tlphone. - Complices dequoi ?

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    - Des complices, c'est tout, il marmonne en mchouillant le bout de son stylo; -Capitaine, lui dit D., puisque vous n'avez rien nous reprocher, nous pouvons partir,maintenant ?- Non, non ; attendez un peu.- Attendre quoi ?"

    Le capitaine ne sait pas trop que rpondre ; il attend parce que, pour lui, un hommequi se prtend ingnieur, en compagnie d'un garon de presque dix-huit ans, et qui passedes vacances dans un camp de tzigane, son instinct de limier lui dit que a cache quelquechose de louche. Alors, il attend l'indice, ou le faux-pas.

    D. alors se dtend au fond de sa chaise, regarde le gendarme droit dans les yeux, et

    lui dit, d'un ton fort conciliant"Ecoutez, capitaine, je comprends vos scrupules et ils vous honorent. Mais le

    mieux, c'est que vous appeliez la mairie de notre village, et que vous tlphoniez aumaire. C'est un officier de police judiciaire. Il vous confirmera nos dires. Je ne vous donne

    pas le numro de tlphone de la mairie, vous risqueriez encore de dire que ce sont peut-tre des complices."

    Le capitaine semble ne pas remarquer l'ironie de ce dernier trait. Visiblement, cetteaffaire prend un tour qui ne lui plait pas ; mais il est trop engag maintenant pour reculer.

    Coup de tlphone aux renseignements ; coup de tlphone la mairie ; o ils'avre que le maire est absent, mais qu'on l'envoie chercher. Ca prend bien une heure

    avant que le coup de fil librateur n'intervienne.Le gendarme nous rend nos papiers. Ca ne lui fait pas plaisir, a se sent, mais d'unautre ct, il se dit qu'il a peut-tre gaff. Alors, il se montre obsquieux, et donne D. du"Monsieur l'ingnieur" par-ci, "Monsieur l'ingnieur" par l.

    Toujours sur le mme ton d'extrme courtoisie, D. lui rclame alors un procs-verbal d'audition. Parce que, prcise-t-il, cette msaventure risque de nous arriver trssouvent, et que ce procs-verbal pargnera du temps perdu nous-mmes et sescollgues d'autres villages. Le capitaine, qui sue de plus en plus, se met sa machine crire. Ca prend encore une demi-heure.

    Mais a le titille, cette histoire. Il aimerait bien en connatre le fin mot. Alors, en

    tendant le papier D., il lui demande"Franchement, monsieur l'ingnieur, vous vous sentez en scurit dans ce camp ?

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    - Beaucoup plus en tous cas que dans celui o vos prdcesseurs m'avaient expdidurant la seconde guerre mondiale ; en compagnie du chef de tribu auquel je rendsactuellement visite."

    C'est dit sans agressivit, mais d'un ton ferme. Le capitaine encaisse sans broncher."Et lui, vous y pensez, demande-t-il en me dsignant du menton ?- Mais je ne pense qu' lui, capitaine, soyez-en sr."Cet change aigre-doux conclut l'entretien. Nous tournons les talons. Ausortir de la gendarmerie, j'entends un des gendarmes murmurer : "saloperie de youpin. "

    D. l'a entendu lui-aussi sans doute ; mais il ne relve pas.

    Les gendarmes ont su nous emmener, mais ils ne nous ont pas propos de nousraccompagner. Nous en sommes quittes pour faire la route pied.

    Quand nous rentrons au camp, notre arrive provoque encore plus de remue-mnageque la veille. Yosta, toujours port la rigolade, s'esclaffe : "du coup, ils en ont oubli decontrler nos papiers, nous."

    Le soir, autour du feu de bois, Pierre me prend par les paules et me dit : "je savaisdj qu'on tait des voleurs d'enfants, mais je ne savais pas qu'on tait capable d'entraner

    contre son gr un gadjo de dix-huit ans, qui sait lire et crire."

    Note de l'Adepte : en relisant les preuves destines aux corrections ultimespour l'imprimerie, je prends conscience qu'il me faut apporter de nombreuses prcisions auxlecteurs, sous peine que ce texte ne leur demeure incomprhensible, ou qu'il ne suffise pas lever tous les prjugs que les gadg (pluriel de gadjo, qui dsigne dans la communaut gitanetous ceux qui n'en font pas partie) qu'ils sont sans doute continuent nourrir, leur corpsdfendant, l'encontre de ceux que l'on appelait : "les gens du voyage".

    Il est trs difficile pour un "gadjo" de pntrer dans la communaut des tziganes. Lepourrait-il d'ailleurs, comme il m'a t donn l'occasion de le faire, qu'il se heurterait sans

    doute la barrire du silence, car le tzigane se livre peu aisment aux trangers sa "race". Deplus, ont-ils encore, aujourd'hui, quelque message dlivrer ?

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    Si on excepte les tracasseries administratives de toutes sortes - les tziganesonttoujours t coutumiers du fait et l'acceptaient tant bien que mal - ce sicle a vuquatremalheurs fondre sur ce malheureux peuple.

    Le premier de ces malheurs fut sans doute l'alcoolisme, dont les anciens de la tribum'ontaffirm qu'il est une consquence directe de la grande boucherie de la premireguerre mondiale. Aucontact des "copains" (ce terme date de la premire guerre mondiale),les tziganes se sont abreuvsdans les tranches de vin mlang d'ther, tord-boyauxrecommand par le marchal Ptain pourdonner du coeur l'ouvrage aux malheureux quimontaient l'assaut (cf. son livre "Monseigneur leVin).

    Le second de ces malheurs fut le gnocide effroyable - pass le plus souventsoussilence - dont ils furent les victimes lors de la seconde guerre mondiale, au mme titreque lesjuifs. Cette ignominie du nazisme, relaye et parfois mme prcde par lesautoritslocales, a contribu la disparition massive de nombreux "kakous", sagesetconnaissants, si bien que cette communaut a perdu en cinq ans la plupart de sesguides"spirituels" (je mets ce mot entre guillemets, car il ne correspond pas trs bien -tout dumoins dans son acception actuelle - au rle que jouaient ces hommes d'exception).Il s'enest suivi un effritement de la cohsion des groupes et des tribus,

    principalementstructurs autour d'eux.Troisime malheur : la sdentarisation. Le nomade n'a jamais voulu faire de

    sonmode de vie une panace universelle, ni convaincre les "gadj" de l'adopter. Parcontre,tant donn sa paranoa de l'ordre, l'administration des divers pays qui leshbergeaits'est efforce de les sdentariser, en les parquant dans des camps ou des"citsrserves". Or, un tzigane qui ne prend plus la route, c'est un loup auquel on metuncollier : au pire, il devient dangereux, au mieux, il perd tout ce qui faisait sa spcificit.Leloup tait l'emblme des gens du voyage. Mais les avertissements de la fable deLaFontaine n'ont servi de rien : ces loups-l, dont l'errance perptuelle inquitaitlesautorits, ont fini par se laisser enfermer dans quelques enclos, en change de subsidesqueleur allouent les services sociaux.

    Quatrime malheur : la drogue. Dboussols dans leur cits ghettos ou leurscamps

    de transit qui dure, rejets par les populations avoisinantes, inassimilables etirrductibles notre mode de vie, privs de l'autorit naturelle de leurs guides, lesjeunes ont petit

    petit bascul dans l'enfer de la drogue, qui leur propose, en uneinjection - mais quel prix-des sensations que leurs ans ne pouvaient acqurir qu'au bout detrente annes d'ascse.La drogue a amen avec elle son cortge habituel de

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    petite et grande dlinquance. Et la tradition tzigane n'est plus que l'ombre du souvenirdans le cerveau de quelques anciens qui ont chapp tous ces malheurs, mais dont legrand ge rduit le nombre de jours en jours en attendant une proche - et inluctable -disparition totale.

    A l'poque o se passent les faits que je rapporte - c'est dire il y a plus d'un quartde sicle - cette dgnrescence tait dj en cours (seule, la drogue n'avait pas encore faitde ravages). Il se trouve simplement que j'ai eu la chance (?) de ctoyer des Roms, qui detous les tziganes, sont ceux qui se sont le moins laisss sduire par les prtendus bienfaitsde notre civilisation, ou par ses paradis artificiels. Et, parmi les Roms, la tribu de Pierre,

    peut-tre cause de la forte personnalit de son guide, avait su prserver les rites et les

    coutumes de ses anctres. Il est noter que dj, en 1967, on ne voyait plus gure deverdines tires par des chevaux. L'automobile avait supplant presque entirement latraction animale.

    Le plerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, devenu de nos jours un haut lieutouristique, et le culte rendu la vierge noire, Sara la Kali, tait d'ores et dj vide de toutcontenu religieux, symbolique et occulte. Parce qu'un tzigane, qui rvait de fortune, de

    puissance et "d'intgration", avait un jour trahi les siens. Sara la Noire ne devait pas voirla lumire du soleil ; on la promne maintenant au grand jour pour le plus grand plaisirdes badauds qui l'offensent avec leurs appareils photos ou leurs magntoscopes.

    Mais cela, aucun dpliant distribu par le syndicat d'initiatives de la commune

    camarguaise ne vous le dira... bien au contraire

    "Lorsqu'on descend le cours sinueux du Petit-rhne ou Rhne de Saint-Gilles, on

    voit peu peu l'horizon s'largir d'une manire dmesure ; les montagnes s'abaissent et

    s'effacent ; le pays devient dsert et la vgtation appauvrie s'tiole de plus en plus

    mesure qu'on approche de cette mer illustre entre toutes, et qui est encore le centre du

    monde civilis. Bientt, le courant du Rhne semble mourir ; les eaux du fleuve, celles des

    tangs qui s'talent sur les deux rives et la mer elle-mme paraissent se confondre en un

    seul plan horizontal. La nature entire est endormie et comme fige ; les eaux ternes et

    mates des marais, stries par d'troites flches de vase, s'tendent de tous cts jusqu'

    l'horizon lointain. Partout des effets de mirage assez confus, et l'on a peine distinguer sila mer et les tangs rflchissent le ciel, ou si ce n'est pas plutt le ciel qui rflchit

    l'immense lagune. Rien n'est plus triste et plus dsol que cette surface nue, silencieuse,

    dont la vgtation maladive se rduit quelques touffes de joncs et de

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    tamaris sur un sol gristre et fangeux. Tout coup, on voit se dresser au-dessus de la

    plaine marcageuse un difice trange aux allures de forteresse et de cathdrale, et dontla masse imposante contraste avec les chtives maisons groupes sans ordre sous la

    protection de ses paisses murailles.

    Cet difice et ce hameau s'appellent indiffremment les Saintes-maries, les Trois

    Maries ou Notre-dame de la Mer.

    Il n'existe peut-tre pas au monde de pays d'apparence plus pauvre. Le village est

    situ l'extrmit occidentale de la Camargue, prs de l'embouchure du grau d'Orgon,

    deux kilomtres environ de la rive gauche du Rhne. On n y arrive que par une seule

    route peine carrossable, trs souvent impraticable en hiver, qui traverse, au Sud

    d'Arles, le marais de la grand-Mar, ctoie ensuite la digue du fleuve et se dessine

    vaguement au milieu de lambeaux de terres incultes, de landes striles et d'un nombreinfini de petits tangs assez poissonneux, maigre patrimoine d'une population dgnre.

    La pche seule donne un peu de vie cette misrable bourgade, isole du continent par

    un dsert dtremp, boueux et malsain ; mais il n'existe pas de port aux Saintes-maries.

    Une grande plage et de petites dunes sparent le village de la mer ; et c'est sur cette

    grve basse et sablonneuse que les pcheurs viennent chouer leurs barques, lorsque le

    temps est assez calme pour leur permettre d'approcher sans danger de la cte ; le plus

    souvent ils mouillent au large ou stationnent au Grau-du-Roi, qui est leur vritable port

    d'attache ; aussi, bien que la population officielle des Saintes Maries soit de prs de mille

    habitants, ce nombre est-il considrablement rduit par l'absence peu prs continue

    d'une notable fraction de ses hommes valides, qui vivent en partie sur mer et, le plussouvent, au Grau-du-roi ou dans tous les cabarets de la cte.

    Cette description est peu sduisante. Et cependant ce coin de terre est marqu

    d'une empreinte sacre, et le temple qui protge et domine ce dsert est peut-tre le plus

    illustre qui soit au monde, comme il en est un des plus oublis. Il s'est pass, en effet, sur

    cette grve abandonne, un vnement qui, pour la Gaule et pour une grande partie de

    l'Europe occidentale, a marqu la limite de l'ancien monde et du nouveau. C'est l que,

    quelques annes aprs la mort de Jsus-Christ, ont abord les principaux membres de

    cette famille de Bthanie qui avaient eu, pendant trois ans, le fils de Dieu pour hte et

    pour ami, et qui l'avaient accompagn jusqu'au lieu de son supplice et de son tombeau.

    Chasss de la Jude par la perscution dont les premiers aptres avaient t les victimes,

    vers l'an 40 de notre re, ils se confirent la mer, mirent le cap sur l'Occident, vinrent

    se rfugier sur la

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    terre hospitalire de Provence et se rpandirent tout d'abord sur notre frontire littorale

    et dans la valle du Rhne, pour tmoigner de ce qu'ils avaient vu.

    Je ne sais ce que ce souvenir peut faire natre de penses dans l'esprit des autres ;

    mais pour moi, j'estime que la terre qui la premire a recueilli de pareils htes est,

    malgr sa misre et son abandon, la plus noble et la plus digne de respect de notre

    territoire.

    Les deux femmes qui ont donn leur nom ce pays n'taient rien moins que la

    soeur de la Vierge, mre du Christ, Marie Jacob, mre elle-mme de Jacques le Mineur -

    et Marie Salom, mre des aptres Jacques et Jean. La tradition leur donne pour

    compagne une humble servante, nomme Sara, qui est reste en Camargue la patronne

    lgendaire des bohmiens et reoit d'eux, dans la crypte de l'glise Notre-Dame de laMer, un culte et un hommage d'une originalit toute particulire. Avec ces trois femmes

    se trouvaient se trouvaient Maximin et Lazare le ressuscit, Marthe sa sur, et quelques

    autres chefs de la jeune milice chrtienne ; venait enfin la plus aimante et la plus aime

    de toutes ces femmes qui avaient suivi et servi le Galilen, celle qui avait entour son

    gibet, recueilli et parfum sa dpouille immortelle ; je veux parler de Marie de Magdala,

    que le monde entier connat sous le nom de Madeleine, et se reprsentera ternellement

    arrosantde ses larmes et essuyant desa blonde chevelure les pieds du matre qu'elleavait si souvent cout dans les ravissements d'une tendresse surnaturelle.

    Combien de temps cette petite colonie resta-t-elle sur cette plage dserte ? Il est

    impossible de le dire : mais il est probable que ce sjour fut de peu de dure. Maximin sedirigea vers Aix ; Lazare se rendit Marseille, Marthe Tarascon, Marie-Madeleine la

    Sainte Baume ; les deux autres Maries, avec leur servante Sara, restrent seules sur cetteplage qu'elles trouvrent sans doute en harmonie avec la tristesse qui remplissait leurs

    mes ; c'est l qu'elles vcurent, pauvres, ignores, absorbes dans le souvenir des

    grands vnements auxquels elles avaient pris part ; c'est l enfin qu'elles rendirent le

    dernier soupir, et que de rares chrtiens viennent encore quelquefois visiter leurs

    tombeaux.

    Les Saintes Maries ou les Trois Maries, tel est le nom que les populations donnent

    aujourd'hui ce petit bourg de la cte, confondant ainsi dans une mme vnration lesdeux saintes femmes qui y ont laiss leurs cendres et la crature privilgie qui ne l'a

    travers que pour aller mourir au dsert de la Sainte Baume, au milieu de l'extase de sonamour purifi.

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    Voil ce que nous apprend la tradition, appuye sur des tmoignages historiques

    d'une incontestable valeur. "

    Ce texte date de 1879. Il est extrait du livre remarquable de Charles Lenthric :Les villes mortes du Golfe du Lyon.

    Aujourd'hui, quelques 80 000 personnes, dont 15 000 tziganes, s'abattent chaqueanne sur la bourgade au moment du plerinage (?). L'glise reoit chaque anne plusieurscentaines de milliers de visiteurs, et le pauvre bourg autrefois dsol, luttant pied piedcontre l'envahissement de la mer, est aujourd'hui pourri par l'argent, les marchands desouvenirs, et les faux-semblant.

    Mais il y a pire ! On a sorti Sara de sa crypte !La lgende de Sara, la pauvre servante, sur laquelle les tziganes ont jet leur dvolu,a en fait une origine pr-christique, et mme sans doute pr-historique. A cette hautepoque, existait l'emplacement des Saintes-Maries-de-la-Mer un port aujourd'huienglouti, du nom de Ra, peut-tre d'origine gyptienne, ctoy par les Caraques. C'est eux que l'on doit l'origine du culte de Sara l'Egyptienne, christianis par la suite. Sara esten fait une vierge noire, c'est dire une espce d'aimant et de condensateur du fluidetellurique. Il est noter qu'au cours de leurs prgrinations, une partie des tziganes aautrefois rsid en Egypte, d'o le nom de "gypsies" que leur donne encore le peupleanglo-saxon.

    Le plerinage des tziganes aux Saintes-Maries de la Mer remonte l'anne 1456,sion en croit les chroniqueurs de l'poque. Jusqu'en l'an 1912, nul "gadjo" n'avait reul'autorisation de descendre dans la crypte qui abritait l'icne, jusqu' ce que le cur du lieuenfreigne cette rgle. Petite violation que les "kakous" russirent exorciser leurmanire. Ils pouvaient encore, loin des regards indiscrets, enrober la Vierge, dans la nuitdu24 au 25 mai de bijoux, de vtements et de fleurs qu'elle purifiait et chargeait deson"magntisme".

    Mais il y avait "Coucou Baptiste", un des chefs gitans les plus influents de laCamargue, "un interlocuteur incontournable" des autorits administratives, dirions-nousaujourd'hui. Coucou Baptiste fut ainsi insidieusement gangren par les "gadj". Il se lia

    un peu trop sans doute - avec le Marquis de Baroncelli. Il y eut alors une sorte de marchentre les deux hommes ; en substance : je ferai en sorte que les tiens obtiennent unelibert de sjour d'un mois, le droit de circuler librement sur la commune, et descantonnements dcents si, de ton ct, tu arrives les convaincre que ces pratiquesancestrales doivent rentrer dans le giron de notre Mre l'Eglise.

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    Sara la Kali s'ajoutait la longue liste des divinits paennes rcupres par Rome.En ce jour funeste de l'an 1935, le clerg sortit la statue de sa crypte, et l'emmena en

    procession jusqu' la mer. La vierge noire, nourrie des baisers de milliers de bouchestziganes, redevint l'instant un simple objet dont la vnration n'est plus rien d'autre quede l'idoltrie. Car ce jour-l, elle perdit tout son pouvoir.

    Que fait un poisson que l'on sort hors de l'eau ? Il crve. Un homme que l'onimmerge durant plusieurs minutes ? Idem. Il y a un milieu naturel pour chaque chose,

    pour chaque tre en la cration, hors duquel il ne peut naturellement survivre.Sara la Kali, qui s'abreuvait du tellurisme des Saintes maries de la Mer, ne pouvait

    que se brler au soleil.

    Je sais des kakous qui, partir de ce jour, ne sont jamais revenus sur les lieux o

    leurs anctres puisaient leur identit depuis cinq sicles. Certains m'ont affirm avoirdplac leur rendez-vous annuel.Mais cela a-t-il encore de l'importance, aujourd'hui que ce peuple se meurt ?

    Note de l'diteur :premier campement des tziganes en France selon untexte rdig par un bourgeois de Paris, tmoin des faits.

    "L'anne suivante, 1427, le dimanche d'aprs la mi-aot, qui fut le 17 du mois,

    arrivent aux environs de Paris douze d'entre eux se disant pnitenciers, savoir un duc, un

    comte et dix hommes, tous cheval, lesquels se disent trs bons chrtiens et originaires

    de la basse Egypte ; ils affirment avoir t chrtiens autrefois, que d'autres chrtiens lesont subjugus et ramens au christianisme ; que ceux qui s y sont refuss ont t mis

    mort, et que ceux au contraire qui se sont fait baptiser sont demeurs seigneurs du pays

    comme devant sur leur parole d'tre bons et loyaux et de garder la foi de Jsus-Christ

    jusqu' la mort ; ils ajoutent qu'ils ont roi et reine dans leur pays, lesquels demeurent en

    leur seigneurie, parce qu'ils se sont faits chrtiens Et aussi, disent-ils, quelques temps

    aprs nous tre faits chrtiens, les Sarrasins vinrent nous assaillir. Grand nombre, peu

    fermes dans leur foi, sans endurer la guerre, sans dfendre leur pays comme ils le

    devaient, se soumirent, se firent Sarrasins, et abjurrent notre Seigneur ; et aussi, disent-

    ils, l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et autres seigneurs ayant appris qu'ils

    avaient si facilement renonc leur foi et s'taient faits si. tt Sarrasins et idoltres, leurcoururent sus, les vainquirent facilement, comme s'ils avaient cur de les laisser dans

    leur pays pour les ramener au christianisme ; mais l'empereur et les autres

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    seigneurs, par dlibration du conseil, staturent qu'ils n'auraient jamais terre en leur

    pays, sans le consentement du pape ; que pour cela, ils devaient aller Rome, qu'ils ytaient tous alls, grands et petits et grand-peine pour les enfants ; qu'ils avaient

    confess leur pch ; que le pape, les ayant ouis, leur avait donn pour pnitence, par

    dlibration du conseil, d'aller sept ans par le monde sans coucher dans aucunlit ; qu'il

    avait ordonn que tout vque et abb portant crosse leur donnt, une fois pourtoutes, dix

    livres tournois comme subvention leurs dpenses

    qu'il leur avait remis des lettres o tout ceci tait relat, leur avait donn sa bndiction

    et que depuis cinq ans, dj, ils couraient le monde.

    Quelques jours aprs, le jour de saint Jehan Dcolace, c'est dire le 29 aot,

    arriva le commun, lequel on ne laissa point, entrer dedans Paris, mais par justice fut log la Chapelle-Saint-Denis . Leur nombre se montait environ cent vingt personnes, tant

    hommes que femmes et enfants. Ils assurent qu'en quittant leur pays ils taient de mille

    douze cents ; que le reste tait mort en route avec le roi et la reine ;que ceux qui avaient

    survcu espraient possder encore des biens en ce monde, car le Saint Pre leur avait

    promis pays bon et fertile, quand ils auraient achev leur pnitence.

    Lorsqu'ils furent la Chapelle, on ne vit jamais plus de gens la bndiction du

    Landit, tant de Saint-Denis, de Paris, que de ses environs, la foule accourait pour les

    voir. Leurs enfants, garons et filles, taient on ne peut plus faiseurs de tours. Ils avaient

    presque tous les oreilles perces, et chaque oreille un ou deux anneaux d'argent ; et ils

    disaient que c'tait gentillesse en leur pays ; ils taient trs noirs, avaient les cheveux

    crpus. Les femmes taient les plus laides et les plus noires qu'on pt voir; toutes avaient

    le visage couvert de plaies, les cheveux noirs comme la queue d'un cheval, pour toute

    robe une vieille flaussoie ou schiavina, lie sur l'paule par une corde ou un morceau de

    drap, et dessous un pauvre roquet ou une chemise pour tout habillement. Bref, c'taient

    les plus pauvres cratures que de mmoire d'ge on et jamais vu en France. Et

    nanmoins leur pauvret, ils avaient parmi eux des sorcires qui regardaient les mains

    des gens et disaient chacun ce qui lui tait arriv et ce qui devait lui advenir ; et elles

    jetaient le dsordre dans les mnages, car elles disaient au mari : Ta femme... ta femme...

    ta femme t'a fait coux ; et la femme : Ton mari... t'a faite... coulpe ;et, qui pis est, en

    parlant aux gens par art magique, par l'ennemi d'enfer ou par habilet, elles vidaientleurs bourses et emplissaient les leurs. Et vraiment, je fus trois ou quatre fois pour parler

    eux, mais oncques ne m'aperus d'un denier de perte ; mais ainsi

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    le disait le peuple partout, tant que la nouvelle en vint l'vque de Paris, lequel y alla,

    et' avec lui un frre mineur, nomm le petit Jacobin, lequel, par le commandement del'vque, fit l une belle prdication en excommuniant tous ceux et celles qui se faisaient

    et avaient cru et montr leurs mains. Et convint qu'ils s'en allassent, et si partirent le jour

    de Notre Dame de septembre, le 8, et s'en allrent vers Pontoise. "

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    Jeudi, 20 juillet 1967.

    Les jours s'taient tirs paresseusement depuis notre dpart d'Albaron, l'aube. Au gr de la lente volution de la caravane, des haltes le soir pour prendre le repas,des marchs pittoresques o les roms vendent le produit de leur artisanat,... au gr, aussi,des contrles d'identit, et de l'air stupfait des gendarmes quand nous produisons la lettrede mes parents et le compte-rendu du capitaine de gendarmerie. Je ne vois pas beaucoupD. qui, le plus souvent, est parti au moment o je me rveille, et ne rentre que le soir. Unechose m'avait intrigu : comment les absents retrouvent-ils le campement le soir, alors quele plus souvent la halte semble quelque peu improvise ? Un gamin m'a donn la solution: les roms laissent partout o ils le peuvent des signes de leur passage qui n'ont designification que pour eux. Ainsi, celui qui a quitt la tribu, fut-ce depuis plusieurs jours,

    pourra la rejoindre en se livrant un vritable jeu de piste.

    Je laisse couler le temps dans une douce indolence. Nayant plus rien lire, j'ai fait

    une provision copieuse de rcits et de romans policiers, chez un bouquiniste rencontr surun march. Les enfants s'habituent moi, et certains mme m'invitent partager leursjeux. Je suis l depuis seulement une semaine, mais dj, j'ai l'impression qu'il y a uneternit que j'ai intgr pour la premire fois la tribu. Je me surprends mme parfois m'observer dans la glace pour voir si je ne finis pas par ressembler mes htes. Mais non.Malgr le soleil dont je profite largement, ma peau est encore trop blanche, et mon cuir

    pas assez tann.

    Je suis all pique-niquer deux fois le midi avec quelques jeunes gens de mon ge(que les leurs ne considrent d'ailleurs plus comme des jeunes gens, mais comme deshommes part entire, depuis qu'ils ont franchi le cap des quatorze ans). Mais le mot

    pique-nique est impropre ; ils n'emportent avec eux ni sandwichs, ni barbecue. Juste deslance-pierres, et des allumettes. Une couleuvre de Montpellier (la plus grosse couleuvrequ'il m'ait jamais t donn de voir) la premire fois, un cureuil la seconde, ont fait lesfrais de notre voracit. Jai bien l'impression que tout cela est

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    parfaitement illgal, mais mes compagnons ont ri de mes craintes. L'illgalit, ils sont nsdedans. Non pas que ce soit chez eux une volont farouche d'enfreindre les lois, mais leurmode de vie les condamne toujours les transgresser. Les lois sont faites pour lessdentaires ; elles sont inapplicables aux nomades.

    Je m'en suis aperu lundi dernier. Un homme d'environ vingt-cinq ans,prnomm "Giorgio" (Georges ?) a rejoint le camp par ses propres moyens trois joursaprs tre sorti de prison. Il y croupissait depuis plusieurs mois pour braconnages, larcinsdivers, et dfaut de papiers d'identit en rgle. Une grande fte, qui a dur toute la nuit, asalu son retour.

    Je compare ce fait avec un autre, dont je fus tmoin : il y a deux ans, pour desmotifs semblables (vols divers), le fils d'un de nos voisins a t incarcr. Non seulementaucune fte n'a ft sa sortie de prison, mais qui plus est, son pre lui a laiss quarante-huit heures pour quitter le domicile familial. (Note de l'Adepte : c'est sans doute cetpisode qui m'a fait pour la premire fois aimer les tziganes. Je vivais cette poque l,moi-aussi, sous les fourches caudines du qu'en dira-t-on, des vertus rpublicaines exaltesen tant que valeurs morales, et de l'hypocrisie ambiante du "pas-vu, pas-pris". Je mesouviens que j'avais t choqu par la dcision du paterfamilias, et encore plus de ce quemes parents l'aient pleinement approuve. Certes, il est noter que l'opprobre jete parune famille sur la faute d'un des siens, qui semble rejaillir sur elle, prsuppose d'abord uneadhsion aux valeurs de la collectivit que ne partagent pas les tziganes - se faireemprisonner par les gadj, c'est pour eux, toutes proportions gardes, une raison des'enorgueillir au mme titre qu'un prisonnier politique se vante de ses geles. Maisremarquons que l'exclusion dont souffrit l'infortun au nom de ces "valeurs" se fit audtriment de l'amour paternel. Or, chez le nomade, la famille, et par extension le clan, estune valeur sacre - tait, devrais-je crire, car une fois de plus, la drogue a toutchamboul. Il existait bien des personnes qui taient "mises au ban" - des tziganes errants,en quelque sorte. Mais ceux-l le devenaient pour avoir attent gravement la cohsiondu groupe, et non pas par peur "du regard de l'autre".)

    Ce fut au cours de cette fte - alors que je mangeais un morceau de chevreaucuit sous la braise - que Yotsa s'approcha pour remplir mon verre d'une large rasade deros de Provence. Pour la premire fois, il m'adressa directement la parole.

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    "Franchement, gadjo, je ne te comprends pas. Tu pourrais te la couler douce dansta maison, et tu accompagnes des pouilleux au pied d'un dpt d'ordures. Franchement, jene te comprends pas."

    Yotsa tait un peu saoul et, pour la premire fois depuis mon arrive au camp, jeressentis mon encontre une forme larve d'agressivit. Je ne savais comment ragir. Desyeux, je cherchai D. pour qu'il vienne mon secours, mais volontairement, il refusa decroiser mon regard. Je compris immdiatement pourquoi lorsque Pierre, qui se trouvaitdans notre dos, et que je n'avais pas vu, ragit. Ce n'tait pas D. rgler cette affaire.

    "Fiche-lui la paix, dit-il durement son fils. Nous, nous sommes l parce que nousne pouvons pas faire autrement ; lui, parce qu'il l'a choisi, ou, ce qui revient au mme,

    parce que l'ingnieur lui a dit de venir."Les yeux du vieillard fixaient, brillants de colre, la masse imposante de songeant

    de fils (Yotsa avoisine sans-doute les deux mtres). Lequel ta son chapeau, le retournasur la paume de sa main gauche, et se confondit en excuses, envers son pre d'abord,envers moi-mme ensuite. Il nous demanda de lui pardonner son ivresse, et disparut danssa vdrine. Nous ne le revmes plus de la soire. (Note de l'Adepte durant tout monsjour qui suivit cet vnement, non seulement je ne fus plus une seule fois agress, maisde plus Yotsa, comme pour se faire pardonner, s'efforait de prvenir le moindre de mesdsirs, au point qu'il s'en montrait collant.

    Je le revis une autre fois dans ma vie, o il m'avait donn rendez-vous au pied d'uncertain pilier de la cathdrale de Chartres. Il rencontrait dj des problmes avec sa

    descendance, et dsirait que je lui indique un avocat comptent auprs duquel il pourraitse recommander de moi - ce que je fis bien volontiers.

    Autour d'un verre, il m'apprit que son pre, Pierre, tait dcd trois moisauparavant, assis contre un arbre, et que la tribu partait vau-l'eau. Je lui remmorai alorscet pisode, sans lui faire aucun reproche ; juste pour essayer de comprendre ce qui s'tait

    pass.Yotsa s'en souvenait parfaitement. Il m'expliqua alors que cette agressivit n'tait

    en fait pas dirige contre-moi, mais plutt contre son pre, qu'il souponnait de vouloirm'enseigner ce que lui ne pourrait jamais connatre.

    Yotsa tait le fils de Pierre et d'une "Gavalie de la Noille". A ce titre, il n'avaitconnu son pre qu' l'ge de vingt-trois ans, la mort de sa mre.

    Les kakous tziganes faisaient du tantrisme comme monsieur Jourdain faisait de laprose... sans le savoir.

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    Les kakous sont "dsigns" par leurs tribus. En fonction de leurs dates denaissances, de marques sur la peau, et autres signes et circonstances dont j'avoue ne riensavoir. Je ne sais rien non plus de leur "initiation", ni mme s'ils en reoivent une, n'ayant

    jamais pntr directement les secrets des arcanes tziganes, except ce que D. et Pierreont bien voulu m'en laisser entrevoir.

    Ce que m'expliqua Yotsa ce jour-l, c'est que les kakous taient vous au clibat, etqu'ils "transformaient" leur nergie sexuelle pour mettre cette transmutation au service deleur communaut. Les tziganes sont des fourmis. L'entit principale, c'est le groupe. Dansces groupes, le kakou joue le rle de paratonnerre : il dvie les forces ngatives. Dans cegroupe, le kakou joue aussi le rle d'accumulateur

    il capte les forces positives. Ce sacerdoce rclame de lui une attention constante, qui nesaurait se partager avec celle qu'un mari doit sa "rommie", et un pre sa progniture.

    Mais le sacerdoce n'avait pas, chez les tziganes, les rigueurs contre-nature duclibat des prtres. On n'avait jamais vu - de mmoire de Rom - de viol de jeune enfant,fille ou garon, rsultante malheureuse d'une sexualit pervertie. Il tait bien entendu quele kakou avait droit, lui aussi, aux caresses des femmes.

    Alors, au cours de son priple, il rencontrait de temps autre les "gavalies de lanollle". D'o venaient-elles ? Mystre. O repartaient-elles aprs les festivits de la chairqui les unissaient durant quelques jours aux hommes hors-normes ? Nul pouvait non plus

    le dire. Elles croisaient un matin la route du kakou, qui disparaissait pour un temps plusou moins long avec elle, et un beau jour, la "gavalie de la nolle" s'envolait comme elletait venue.

    Mais il arrivait qu'il leur reste quelques traces de ces amours tumultueuses. Yotsatait de ceux-l. Il ne retrouva son pre que par hasard, un jour que, sur un march, ilexhibait firement son torse nu, marqu d'une tache en forme d'toile six branches sousle sein gauche. Pierre avait la mme. Ce jour-l, Yotsa quitta la tribu de sa mre, mortedepuis longtemps, pour suivre ce pre qui ne lui accorda jamais rien d'autre que le droit delui servir de chauffeur. Jamais il ne l'autorisa partager son intimit, encore moins connatre un tant soit peu de son savoir. Pierre l'apostrophait durement, lui reprochantsans cesse d'tre le souvenir de ce qui devait tre oubli.

    Yotsa n'a pu, la mort de son pre, prserver la cohsion de la tribu. Les rescapsont franchi par la suite les Pyrnes, mais Yotsa est mort, en 1987, quelque

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    part du ct de Plasencia. Abattu de trois balles, par un ami de son petit-fils, qu'il avaitdrang en plein vol de portefeuille.Paix tes cendres, Yotsa.)

    Aprs cet incident, Pierre me fit savoir que Sara, une vieille femme qu'il medsigna du doigt, m'attendrait le lendemain dans sa verdine, pour examiner mon genou.Cette annonce me remplit d'aise, car je craignais qu'on ne m'ait quelque peu oubli.

    La roulotte qu'on nous avait rserve tait vierge de toute dcoration, aussiimpersonnelle qu'une chambre d'htel. D. m'avait expliqu que c'tait intentionnel : lestziganes laissaient ainsi le soin leurs htes de lui imprimer leur propre marque, sans leurinfliger l'empreinte d'une autre personnalit. Le "dmnagement" d'une verdine est chose

    aise : chez les gens du voyage, tout ou presque est conu de manire pouvoir tredplac et emport facilement.

    En pntrant chez Sara aprs une courte nuit, la premire chose que je fis fut dedguster un th brlant qu'elle me servit dans une tasse de porcelaine. Tout en le

    prparant, elle jetait de temps autre dans l'troite chemine du samovar des petitesgraines cristallines, qui dgageaient un fort parfum. Ttais un peu "nou" par la fatigue etl'anxit en me rendant chez elle. Mais ce fumet eut pour effet quasi immdiat dem'apporter une grande sensation de dtente physique et mentale. Je me sentais lgrementeuphorique, mais cependant parfaitement veill, je dirais mme plus lucide que rarement

    je le fus.Tout en buvant, je dtaillai des yeux son environnement exigu. Un lit mme le

    sol recouvert d'pais tapis, trois gros coussins en guise de fauteuils, et un meuble bas tiroirs, sur lequel trnent une balance et des poids, constituent son unique mobilier. Pas detable ni de chaise. Dans le coin gauche, prs de la porte, une "marguerite", c'est dire un

    petit pole cylindrique destin au chauffage l'hiver. Fixes aux murs, deux tagressupportent un vase, deux ou trois statues de bois grossirement tailles, dont l'une estcouverte de "talismans" pendus son cou, une coupe d'argent dont la forme rappellevaguement celle d'une coquille Saint-Jacques, des galets de formes diverses, une toile demer sche, des sachets en forme de bourses, et des bocaux en grs ferms par des

    bouchons de lige.

    La "mamma" se plaa alors devant moi, et elle me pria de fermer les yeux. Elleentreprit d'inspirer et d'expirer suivant un rythme ternaire, et me demanda de

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    faire de mme, au mme rythme qu'elle. Etant rompu, depuis plus d'un an maintenant, auxexercices respiratoires enseigns par D., je n'eus aucune peine y parvenir.

    Elle posa ses deux pouces sur mes tempes, les faisant tourner lgrement, tandisque ses doigts massaient le cuir chevelu derrire la tte. A chaque fois qu'elle expirait, ellesoufflait lgrement sur mes paupires closes.

    Sara me demanda ensuite de quitter chemise et pantalon, si bien que je me retrouvaien slip. Comme elle l'avait fait pour le cuir chevelu, elle palpa ma nuque, puis ma gorge,et enfin mon sternum. A aucun moment, elle ne s'tait pour l'instant proccupe de mongenou, cause pourtant de ma visite. Ces diverses "manipulations" durrent, autant que je

    puisse en juger, un peu plus d'une heure.A la fin, Sara semblait puise. Elle m'offrit un autre th, et avala d'un trait, mme

    le goulot d'une gourde, de longues rasades d'un liquide que je n'ai pu identifier.Sara prit alors sur l'une des tagres un des sachets de lin, l'ouvrit, et fit rouler dans

    sa main plusieurs pierres opaques de formes grossires, qu'elle me prsenta dans la paumede sa main. Je me souvins alors que Pierre portait en portait une semblable l'annulaire desa main gauche, monte sur une bague en argent.

    "Ce sont des turquoises, me dit-elle. Tu peux te rhabiller. Tu vas garder ces pierresdans la poche de ton pantalon, et les triturer longuement. Si un moment l'une d'elles tefait une sensation curieuse, reviens me voir."

    Je passai donc une bonne partie de la matine malaxer les pierres au fond de mapoche, sans ide prconue, puisque de toutes manires je ne savais pas quelle "sensation

    curieuse" j'tais suppos ressentir. Comme je m'ennuyais un peu, je m'tais assis sur lesmarches de notre verdine, et je tuais le temps en observant l'animation qui rgnait dans lecamp.

    Un peu avant midi, je ressentis tout coup une sensation de chaleur sur la cuisse. Jele mis tout d'abord sur le compte du frottement rpt des turquoises contre la peau, travers le tissu de la poche, mais ce raisonnement ne rsista gure longtemps l'observation. En effet, la chaleur tait intermittente, comme si j'tais

    Je reprai bientt celle qui, entre toutes les autres, en tait cause. En les faisantrouler les unes aprs les autres entre mes doigts, je m'aperus qu'une seule d'entre ellesirradiait cette chaleur. Je la pris dans ma main et la sortis de ma poche ; elle me parut pluslourde que sa taille ne le laissait supposer.

    Ne sachant trop si c'taient l les signes attendus, je me rendis de nouveau dans laverdine de Sara.

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    "Tu as trouv ta pierre, me dit-elle peine en avais-je franchi le seuil ?- Je ne sais pas, mais l'une d'elles me brle.- Est-ce qu'elle est lourde ?- Oui.- Alors, tu as de la chance. Tu as trouv ta pierre d'quilibre. Rends-moi les autres, etgarde celle-l.- Pourquoi est ce qu'elle me brle, Sara ?- Parce qu'elle te rend un moment la chaleur que tu lui as donne.- Et pourquoi est-elle lourde ?

    - Elle est lourde comme est lourd l'homme qui vient de manger ; elle s'est nourriede toi. Vas-voir de ma part Marcel, celui qui fabrique les bijoux. Il te fera une bague pour

    porter ta pierre."Je pris cong, et me rendis chez Marcel avec ma turquoise. Il fabriqua une bague

    la mesure de mon annulaire gauche, dans laquelle il sertit la pierre. Le fond de la bagueest vid, de telle sorte que la turquoise reste en contact direct avec le doigt.

    En voyant le bijou, le soir, au camp, Pierre m'a dit : "Bon, puisqu'une turquoise abien voulu de toi, on va pouvoir aller plus loin."

    Notes de l'Adepte : vous pouvez faire vous-mme cette exprience. Il vousfaudra manipuler plus ou moins de turquoises avant de trouver la vtre, mais en

    persvrant, vous la trouverez fatalement.

    Il est noter que vous devrez utiliser uniquement des turquoises brutes, jamais desturquoises polies (ce qui prsente d'ailleurs un avantage, ces dernires pouvant tre assezaisment contrefaites par d'habiles faussaires, au contraire des turquoises brutes).

    Selon Sara, que j'ai par la suite rencontr trois fois dans ma vie, avant qu'elle aussine retourne "dans le ventre de la mre" (la terre), la turquoise accorde un individu,

    porte sur soi, assimile et digre tous les processus de destruction, qu'ils soient psychiquesou physiques et rtablit les quilibres rompus.

    Au cours de mes voyages, j'ai retrouv en Amrique du Sud la mme utilisation

    thrapeutique de la turquoise. Chez les Aztques, le Dieu du feu portait le nom deXiuhtecuhtli, qui signifie "matre de la turquoise". Une de mes connaissances m'a parailleurs affirm qu'il en tait de mme au Tibet, mais je n'ai jamais pu vrifier cetteinformation.

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    Je me souviens encore de l'tonnement d'un des mes amis, tudiant en mdecinesur le point de passer son doctorat, qui ne jugeait que par les avances de la sciencemoderne, lorsque je l'emmenai avec moi lors de ma seconde rencontre avec la vieillegurisseuse.

    Quand elle lui expliqua que pour prvenir les infections sur les plaies, elle utilisait"la fleur de lait", mon compagnon lui demanda d'un ton condescendant ce que c'tait.Mais, au fur et mesure qu'il coutait les explications de Sara, sa physionomie changeait,et tmoignait d'un intrt grandissant.

    Sara lui dit donc qu'elle prenait du fromage frais, essuy et sch durant unesemaine entire, qu'elle le dposait au fond d'une cage d'osier, et qu'elle enterrait le toutdans un sol argileux, auprs d'une rivire, d'une mare, ou d'un tang. Le trou devait tretapiss d'argile et empli d'eau ras bord, qui s'coulait par un orifice que l'on avait percdans la couche protectrice. Il tait clos par une planche de bois, recouverte de paille ou defeuilles mortes et de terre.

    Aprs quelques temps de ce traitement, dix quinze jours environ, le fromage serecouvre d'une mousse blanche et cotonneuse - qui donne son nom de "fleur de lait" lamdication. Elle recueille alors avec un couteau en os un peu de cette mousse, qu'elleapplique directement sur la blessure. "Ca chauffe la plaie au dbut, prcisa-t-elle, mais al'empche de tourner bleue et puante." Aprs quoi, elle recouvre le tout d'un cataplasmede glaise.

    Sara prtendait que cette recette lui provenait de sa mre, qui la tenait elle-mme

    de sa mre, et ainsi de suite, jusqu' la nuit des temps."Si c'est vrai, me dit mon compagnon, la famille de ta gurisseuse utilisait les vertus

    antibiotiques de la pnicilline avant que Flemming ne les dcouvre."L'argile tient un grand rle dans la pharmacope des tziganes. Ils l'appellent "la

    terre du renard" parce que, disent-ils, lorsqu'un renard est pris au pige, il se sectionne lapatte avec les dents pour recouvrer sa libert, puis se dpche de trouver une terre meubleriche en argile, o il ira tremper le membre sanguinolent pour empcher l'hmorragie,cautriser la plaie, et prvenir l'infection.

    Pour "cueillir l'argile", disait Sara, il faut employer exclusivement une pelle de bois.Selon elle, l'argile perdait toutes ses vertus ds qu'il rentrait en contact avec unquelconque lment mtallique. Puis, elle le faisait scher sur des claies, et aprs l'avoir

    pulvris au pilon dans un large mortier, elle l'enfermait dans des sachets de toile, de linou de coton. Elle la diluait ensuite, selon les besoins, avec de l'eau de rivire ou de l'eaude pluie. Elle y rajoutait parfois un peu de sel marin non raffin.

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    En arrachant la terre glaise au "ventre de la mre", il faut lui parler, s'excuser de ceque l'on est en train de faire, expliquer abondamment les raisons d'un tel geste. "Tout

    pareil avec les plantes, me dit-elle". Et il convient de continuer, chaque jour, leur tenirun langage "amoureux", pour tablir entre la terre ou la plante et son utilisatrice ce queSara appelait "un contact". Il ne faut pas non plus prendre plus de plantes ou plus d'argileque ncessaire. Cette rgle vaut galement pour la chasse ou la pche : le tzigane prlve

    juste ce dont il a besoin, jamais plus ; les tableaux des tueries que les imbciles exhibentau soir d'une battue ou d'une sortie en mer lui sont trangers.

    Sara avait plus d'un tour dans son sac, et ma dernire visite la vieille gurisseusetzigane tait, je l'avoue, des plus intresses. J'tais cette poque journaliste "freelance",et la mode des "mdecines naturelles" battant son plein, je russis sans problme

    convaincre un rdacteur en chef de me commander un article sur Sara et ses "recettes".Mais si Sara accepta, par amiti, de me livrer quelques-uns de ses secrets, ellerefusa tout net que je les publie dans un journal grand tirage, et qu'ils soient ainsi livrsa la connaissance de tout un chacun. "Ce sont des choses qu'on ne donne qu' ceux quiont su les mriter", me dit-elle.

    Jai respect son vu, et si je vous livre aujourd'hui une partie des notes que j'avaisprises alors, je ne le fais que parce que je ne pense pas ainsi trahir mon serment.

    Toute illettre qu'elle fut, Sara avait un sens aigu de la "logique du discours". Ellecommena donc par un expos dtaill sur la rcolte des plantes.

    Celles-ci, me dit-elle, devaient tre de prfrence cueillies le matin de bonne heure-mais lorsque les premiers rayons du soleil ont cependant sch la rose - ou le soir avant"la frache", par un temps chaud et sec, et dans des lieux peu frquents. Les plantesdoivent tre peu poussireuses, car on ne doit jamais les laver si elles sont destines tresches(except les racines qui sont toujours laves l'eau de pluie ou l'eau de source).Celles qui poussent ct des champignons, qui sont fltries, taches, dcolores, oumanges par les insectes seront impitoyablement limines. On prvoira, lorsqu'on part la qute des simples, de nombreux sachets en lin ou en coton, car les plantes d'espcesdiffrentes ne doivent pas tre mlanges entre elles. On veillera qu'elles ne soient nicomprimes, ni crases dans ces sachets.

    Les plantes sont alors immdiatement mises scher sur des claies, ou suspenduesen guirlandes l'aide d'un fil. Seul le gui qui, disait Sara, ne pouvait tre

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    Jeudi 20 juillet 1967

    cueilli que par un homme, au solstice d'hiver, dans la nuit du sixime au septime jour dela lune nouvelle, tait sch durant trois mois dans un sac de lin pendu au plafond de laroulotte. Nous verrons tout l'heure quelle utilisation Sara en faisait.

    Par temps chaud, Sara faisait scher les simples l'ombre de sa verdine. Par tempshumide, dans le four de la "marguerite", dont la temprature devait se situer entre 20 et 40degrs.

    Les racines, laves au pralable, soigneusement ponges, coupes en tranches ouen lanires, ou bien simplement fendues, sont sches au soleil ou au four. Idem pour lestiges, les corces ou le bois, et les fruits charnus, que l'on doit venter rgulirement (et

    que l'on dispense de tout lavage). Avant le schage des feuilles, on en sparera les partiesinutiles (tiges, par exemple) pour ne conserver que ce qui est indispensable lathrapeutique. Pour conserver leurs couleurs aux fleurs, Sara les recouvrait d'un papiergris aprs qu'elles eussent t disposes sur les claies. Enfin, les semences, tales sur unefeuille de papier et sches l'air libre, doivent tre remues souvent. Durant le schage,les plantes sont prserves de la corruption de l'humidit et de la fume, et enfermesensuite dans des bocaux en grs ferms hermtiquement par des bouchons de lige. Lessimples seront prpares en dcoction, en infusion en macration ou en digestion(macration dans un liquide tenu chaud sans bouillir dans un bain-marie ou dans un bainde sable chaud), s'ils sont destins tre ingrs, tre utiliss pour des gargarismes, en

    fomentation (application sur la partie malade l'aide de compresses), en lotions, eninjections, en lavements. Ils peuvent galement tre mlangs divers aliments, desbains, ou servir de base pour la composition de divers cataplasmes ou fumigations.

    Pour les diverses cueillettes, Sara respectait un calendrier trs strict. Cependant, cecalendrier peut varier suivant les rgions de France, eu gard leurs diversitsclimatiques. Je n'ai donc retenu ici que les rgles gnrales.

    Les semences ne sont rcoltes qu' complte maturit ; les bois peuvent se cueillirtout l'hiver ; les fruits charnus sont utilisables ds qu'ils sont mrs, sans attendrecependant leur maturit complte ; les tiges sont rcoltes en automne, les bourgeons lafin de l'hiver ou au dbut du printemps, les feuilles au summum de leur dveloppement,

    mais avant la formation des boutons floraux, les sommits fleuries avant la formation despremiers fruits, les fleurs en plein panouissement, mais avant la fcondation, et lesracines, tubercules, bulbes ou rhizomes prsentent deux priodes favorables pour lacueillette : en automne et au printemps.

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    Rduit en poudre, mouill avec un peu de lait et mlang du bl vert pil aumortier, le gui est un remde efficace contre l'artriosclrose et la coqueluche. Lestziganes l'employaient galement pour soigner les enfants atteints de convulsions. Pour lesadultes qui dsirent une potion plus agrable, il conservera les mmes proprits si onmlange deux poignes de feuilles fraches, cueillies au solstice d'hiver, avec un litre devin blanc sec. Les bouteilles, fermes hermtiquement avec un bouchon de lige etcachetes avec de la cire de bougie, sont ensuite places en terre, verticalement, durantvingt-huit jours. Sara en prparait une provision abondante, qu'elle distribuait ensuite tous les siens. Sa posologie indiquait qu'il fallait en boire deux verres vin par jour,

    jusqu' ce que le mal cesse.

    Si la rserve venait s'puiser avant que ne revienne l'hiver, et que cependant unegrippe tenace ou une toux persistante afflige l'un des siens, la gurisseuse prparait une

    potion de couleur jaune-rougetre, compose de teinture de cannelle dilue dans du siropet de l'eau de vie.

    Pour ses vertus apritives et diurtiques, Sara prparait une infusion de racinessches de fenouil, de petit houx (encore appel fragon ou myrte sauvage ou houx frelon),d'hache, de persil et d'asperge, raison de vingt grammes de chacune de ces racinessches par litre d'eau. Pour se prserver des maladies contagieuses, Sara m'indiqua larecette suivante : dans cinq litres de vinaigre, elle mettait macrer pendant dix jours

    quatre-vingts grammes de grande absinthe, quatre-vingt grammes de petite-absinthe,quatre-vingts grammes de romarin, autant de sauge, de menthe, de rue et de lavande, dixgrammes de roseau aromatique, de cannelle, de muscade, d'ail. Au bout de dix jours, ellefaisait passer le mlange en l'exprimant fortement au travers d'un linge, puis elle ajoutaitvingt grammes de camphre dissous dans quatre-vingt grammes d'acide asctiquecristallis. Enfin, elle filtrait. Le liquide ainsi obtenu tait alors appliqu sur les mains etle visage, ou bien encore brl dans un lieu clos ou donn inhaler en cas de syncope.

    A propos de cette prparation, Sara me raconta une curieuse histoire. Selon sesdires, elle avait t invente par l'un de ses anctres et celui-ci, constatant qu'elle le

    prservait de la peste, en profita pour dtrousser les cadavres en toute impunit partout osvissait ce flau.

    Finalement arrt, les juges lui promirent la vie sauve en change de son secret. Ilparat qu'il le livra, mais qu'il n'en fut pas moins excut.

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    Ce que Sara commenta en ces termes : "il ne faut jamais croire les gadj, surtout sice sont des juges".Pour les "pannes sexuelles" ou l'absence de dsir, elle recommandait ceux qui en

    taient victimes, hommes ou femmes, une infusion, raison de dix grammes par litred'eau, de semences de cumin, d'anis, de fenouil et de coriandre.

    Enfin, tous ceux qui sont affligs d'une fatigue physique ou intellectuellepersistante, Sara faisait boire du "vin de siffrit". On le prpare comme suit dans un pot-au-feu en terre : pour cinq litres de vin blanc, mlangez le jus de cinq citrons, la pulpe rpede deux d'entre eux, une gousse de vanille et un peu de graines de cumin. Mettez une toilesur le pot-au-feu, puis recouvrez-le de son couvercle, et attendez cinq jours. Pass cedlai, filtrez avec un tissu lche, et ajoutez un quart de litre de marc d'alcool. Ne mettez

    pas ce liquide en bouteilles, mais buvez-le la louche... et consommez-le avecmodration.

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    Mardi 25 juillet 1967

    Mardi, 25 juillet 1967,

    Il y eut des jours, il y eut des nuits.D'autres jours, d'autres nuits.

    Pas tant que a, en fait. J'en suis venu, pour me souvenir du temps qui passe, etconnatre quelle date nous sommes, biffer les journes qui passent sur mon agenda.Ca, je l'ai dj crit ; j'ai perdu toute notion de la dure.

    Il y eut des soirs et des haltes ; des matins et des dparts. Des contrles de police.Quelques conversations avec D. - sans importance. Il y eut une fte pour je ne sais tropquelle occasion. Et puis, un petit garon mordu par un chien errant, que Sara a soign.

    Il y eut Pierre, qui passait me voir chaque jour en me disant : "Tu as une bellebague ; presque aussi belle que la bague de Pierre."Rien de plus.

    D'Albaron, en longeant l'tang de Vaccars, puis en repassant le Rhne,nous sommes arrivs dans une plaine dsole, la plaine de la Crau. A cause de l'action dumistral, les arbres en sont penchs en permanence dans le sens du vent.

    C'est l que nous avions tabli le camp, hier, au milieu de l'aprs-midi. Auxenvirons de dix-sept heures, Pierre est venu me chercher, portant sur son dos deux sacs delin rouls ensemble, et retenus par deux ficelles faisant le tour de ses paules. Accroches sa ceinture pendaient deux gourdes en peau. Sur son dos galement, un sac de sport.

    "On y va, fils, me dit-il.- On va o?- On part pour la nuit. Demain matin, on fera la rose.

    - Bon, je vais prvenir D.- Inutile ; il sait dj."

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    Nous partmes tous trois, car Pierre tait accompagn de son chien favori,"Ousta",; qui l'accompagnait dans toutes ses prgrinations travers bois et plaines. Nousavons bien parcouru - sans mot dire - une dizaine de kilomtres avant de trouver unendroit qui convienne Pierre, c'est dire une plaine sauvage, perte de vue, non loind'un petit bosquet o serpentait un mince filet d'eau. Chemin faisant, "Ousta" a dbusqu,

    puis occis, un lapin de garenne, qui constitua notre repas du soir.

    Pierre, toujours sans mot dire, dlimita un espace rectangulaire qui faisait dans salongueur quatre fois sa foule, et deux fois dans sa largeur. A chacun des angles de cerectangle, il prleva avec son couteau une motte de terre, ainsi que sur la moiti des deuxlongueurs, ce qui fit six mottes au total. Il sortit de sa poche une douzaine de sacs de lin,

    et mit prcautionneusement chaque motte dans un sac. Il cueillit ensuite dans la prairiedes orties blanches, de la folle-avoine, du trfle sauvage, et d'autres plantes encore, toutesavec leurs racines, dont il tapissa le sol dlimit par le rectangle.Puis, il me tendit son couteau, et m'invita en faire de mme.

    Pierre choisit ensuite un endroit dans la clairire, prs du cours d'eau. Pourdlimiter un cercle, il s'y prit d'une drle de manire : il pissa. Mais, soit qu'il n'eut pasassez d'urine, soit qu'il m'invitt partager ce geste symbolique, il me demanda de clore lecercle.

    Il sortit ensuite une bouteille de son sac, qu'il attacha par une ficelle, et la ficelle un arbre, de telle sorte que la bouteille soit maintenue au frais dans le filet d'eau.

    Il prpara alors le feu, d'une manire que je n'avais jamais vu faire auparavant. Ilcreusa un trou dans la terre, disposa dans ce trou des feuilles sches en forme de cne, la

    pointe en bas. Ave