EPISTEMOLOGIE Uempirisme ou les limites au rationalisme

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EPISTEMOLOGIE Uempirisme ou les limites au rationalisme Philippe Thiriart * Lorsque les scientifiques affrontent les nouveaux magiciens 1 , se contentent-ils d'opposer lia raison à l'intuition ? La théorie déductivement fondée à l'opinion vulgaire ? La logique aux sentiments ? D'une certaine façon, c'est ce que les nouveaux magiciens voudraient laisser croire : d'un côté une logique rationaliste désincarnée et étriquée, de l'autre une intuition créatrice s'enracinant dans le vécu d'une réalité complexe et multiple. Il va de soi qu'une telle formulation condamne les scientifiques et les sceptiques à l'impopularité aux yeux du public. H eureusement il est possible d'échapper à ce dilemme en faisant appel à un troisième terme : la vé- rification empirique. En effet, on peut distinguer non pas deux mais trois modes de connaissance : le métaphorisme (ou Tintuitionnisme), le rationalisme et l'empirisme 2 . Selon l'empirisme, si l'intui- tion et la raison suggèrent dans quelles di- rections regarder, seule la vérification em- pirique apporte des connaissances assurées sur le réel. De façon large, l'empirisme est défini ici comme la recherche et l'établisse- ment des fauV. Néanmoins, l'établissement d'un fait est loin d'être évident. Des milliers d'écrits traitant de méthodologie et d'épis- témologie ont été publiés parce que l'éta- blissement d'un fait est une entreprise complexe et vulnérable aux jeux d'ombres de toutes sortes. De l'intuitionnisme au rationalisme ? Un des pièges de la culture populaire est de croire qu'on peut se fier à son intui- tion ou à une belle métaphore pour établir les faits de façon certaine. Notre culture est saturée de métaphores et d'images. Nos enfants sont principalement éduqués en res- tant couchés devant une télévision qui leur présente des récits le plus souvent illogiques et irréalistes, ainsi que des publicités trom- peuses 4 . Ensuite, ils rêvassent devant des professeurs qui leur transmettent des no- tions culturellement acceptées et qui, pour la plupart, n'ont guère d'intérêt pour l'ap- proche scientifique de la réalité\ Enfin, ils ne peuvent guère davantage bénéficier des expériences de leurs parents même lorsque ces derniers ont appris à être plus réalistes face à la vie 0 . En somme, les * Fondateur du Québec sceptique et professeur de psychologie. 1 Le terme « magicien » désigne ici un individu qui invoque des forces paranormales. 2 James R. Royce, « The présent situation in theoretical psychology », p. 8 à 21, in Benjamin B. Wolman, Handbook of general psychology, Prentice-Hall. New Jersey, 1973, 1006 pages. " 3 Un encadré accompagne cet article et contient diverses affirmations à propos de l'empirisme. 4 Neil Postman, Se distraire à en mourir, Paris, Flammarion, 1986, 227 pages. Un jeune typique de 18 ans a passé plus de temps devant la télévision que pour toutes ses activi- tés scolaires. En outre, on ne peut guère espérer que la lecture de la presse écrite corrige les illusions de la télévision. ( Lys Ann Shore, « Les rédacteurs en chef manquent de culture scientifique », Le Québec sceptique, n° 9, janvier 1989, p. 9-10 ) 5 Les enseignants se font volontiers les propagandistes des nouveaux-magiciens. Jean Ouellette, « Le paranormal au primaire », Le Québec sceptique, 7/8, octobre 1988, p. 5-6. Alain Bonnier, « Des manuels scolaires ésotériques ». Le Québec sceptique, 34, été 1995, p. 5 à 15. 6 Seulement quelques minutes par jour sont consacrées aux interactions actives, donc éducatives, entre les parents et leurs enfants. Un ensemble de recherches indiquent que dans notre société post-moderne les parents n'ont plus qu une influence limitée sur leurs enfants. (David C. Rowe, The limits of family influence, New York. The Guilford Press, 1994, 232 pages. ) Dans la société actuelle, la culture de masse est généreusement déversée sur tous. En outre, l'individu est plus libre d'actualiser son potentiel inté- rieur, donc héréditaire, alors que dans les sociétés plus traditionnelles, il devait se soumettre au moule socio-culturel de sa classe sociale. Par conséquent, aujourd'hui, les des- tins individuels dépendent davantage qu'autrefois des prédispositions héréditaires de chacun. ( Robert Plomin & Gerald E. McClearn. éd.. Nature, nurture and psychology, Washington D.C.. American Psychological Association, 1993, 499 pages. ) Je remercie Franchie Boucher, psychologue, pour avoir attiré mon attention sur ces récents ou- vrages. LE QUÉBEC SCEPTIQUE * NUMÉRO 37 - PRINTEMPS 1996 11 CD180593

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E P I S T E M O L O G I E

Uempirisme

ou les limites au

rationalismePhilippe Thiriart *

Lorsque les scientifiques affrontent les nouveauxmagiciens1, se contentent-ils d'opposer lia raison à

l'intuition ? La théorie déductivement fondée àl'opinion vulgaire ? La logique aux sentiments ?D'une certaine façon, c'est ce que les nouveaux

magiciens voudraient laisser croire : d'un côté une

logique rationaliste désincarnée et étriquée, del'autre une intuition créatrice s'enracinant dans le

vécu d'une réalité complexe et multiple. Il va de soiqu'une telle formulation condamne les scientifiques

et les sceptiques à l'impopularité aux yeux du public.

Heureusement il est possibled'échapper à ce dilemme en faisantappel à un troisième terme : la vé-rification empirique. En effet, on

peut distinguer non pas deux mais troismodes de connaissance : le métaphorisme(ou Tintuitionnisme), le rationalisme etl'empirisme2. Selon l'empirisme, si l'intui-tion et la raison suggèrent dans quelles di-rections regarder, seule la vérification em-pirique apporte des connaissances assuréessur le réel. De façon large, l'empirisme estdéfini ici comme la recherche et l'établisse-ment des fauV.

Néanmoins, l'établissement d'un faitest loin d'être évident. Des milliersd'écrits traitant de méthodologie et d'épis-témologie ont été publiés parce que l'éta-blissement d'un fait est une entreprisecomplexe et vulnérable aux jeux d'ombresde toutes sortes.

De l'intuitionnisme aurationalisme ?

Un des pièges de la culture populaireest de croire qu'on peut se fier à son intui-tion ou à une belle métaphore pour établirles faits de façon certaine. Notre culture

est saturée de métaphores et d'images. Nosenfants sont principalement éduqués en res-tant couchés devant une télévision qui leurprésente des récits le plus souvent illogiqueset irréalistes, ainsi que des publicités trom-peuses4. Ensuite, ils rêvassent devant desprofesseurs qui leur transmettent des no-tions culturellement acceptées et qui, pourla plupart, n'ont guère d'intérêt pour l'ap-proche scientifique de la réalité\ Enfin, ilsne peuvent guère davantage bénéficier desexpériences de leurs parents — mêmelorsque ces derniers ont appris à être plusréalistes face à la vie0. En somme, les

* Fondateur du Québec sceptique et professeur de psychologie.1 Le terme « magicien » désigne ici un individu qui invoque des forces paranormales.2 James R. Royce, « The présent situation in theoretical psychology », p. 8 à 21, in Benjamin B. Wolman, Handbook of general psychology, Prentice-Hall. New Jersey, 1973,

1006 pages. "3 Un encadré accompagne cet article et contient diverses affirmations à propos de l'empirisme.4 Neil Postman, Se distraire à en mourir, Paris, Flammarion, 1986, 227 pages. Un jeune typique de 18 ans a passé plus de temps devant la télévision que pour toutes ses activi-

tés scolaires. En outre, on ne peut guère espérer que la lecture de la presse écrite corrige les illusions de la télévision. ( Lys Ann Shore, « Les rédacteurs en chef manquent deculture scientifique », Le Québec sceptique, n° 9, janvier 1989, p. 9-10 )

5 Les enseignants se font volontiers les propagandistes des nouveaux-magiciens. Jean Ouellette, « Le paranormal au primaire », Le Québec sceptique, n° 7/8, octobre 1988,p. 5-6. Alain Bonnier, « Des manuels scolaires ésotériques ». Le Québec sceptique, n° 34, été 1995, p. 5 à 15.

6 Seulement quelques minutes par jour sont consacrées aux interactions actives, donc éducatives, entre les parents et leurs enfants. Un ensemble de recherches indiquent quedans notre société post-moderne les parents n'ont plus qu une influence limitée sur leurs enfants. (David C. Rowe, The limits of family influence, New York. The GuilfordPress, 1994, 232 pages. ) Dans la société actuelle, la culture de masse est généreusement déversée sur tous. En outre, l'individu est plus libre d'actualiser son potentiel inté-rieur, donc héréditaire, alors que dans les sociétés plus traditionnelles, il devait se soumettre au moule socio-culturel de sa classe sociale. Par conséquent, aujourd'hui, les des-tins individuels dépendent davantage qu'autrefois des prédispositions héréditaires de chacun. ( Robert Plomin & Gerald E. McClearn. éd.. Nature, nurture and psychology,Washington D.C.. American Psychological Association, 1993, 499 pages. ) Je remercie Franchie Boucher, psychologue, pour avoir attiré mon attention sur ces récents ou-vrages.

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jeunes ont très rarement l'occasionconfronter leurs croyances à la réalité.

de

Suffirait-il de faire appel à la pensée ra-tionnelle et à l'esprit critique pour nous dé-fendre contre les mythes trompeurs de notretemps ? L'idéalisme philosophique, dontles totems sont Platon et Descartes, le laissecroire. L'idéalisme philosophique supposequ'une pensée bien menée permet d'at-teindre à la Vérité. Le « Cogito ergo sum »de René Descartes procure un espoir detoute puissance intellectuelle aux penseursidéalistes .

M 0 L 0 G I E

intelligence. Dans sa tête, chacun de nousa des critères plus ou moins confus pourdistinguer le vrai amour des faux amours,la vraie intelligence des fausses intelli-gences. Mais l'illusion est de croire quenos critères a priori sont universels, quenos définitions implicites du vrai amour oude la vraie intelligence sont partagées parautrui, ou devraient finir par le devenir siautrui savait bien penser.

« Un des pièges de la culture

populaire est de croire qu 'on peut se fier à

son intuition ou à une belle métaphore

pour établir les faits de façon certaine »

Vérité ou réalité ?Néanmoins, la Vérité n'est pas la réalité.

Si l'on parle du « vrai » amour ou de la« vraie » intelligence, c'est d'abord qu'onassume l'existence réelle d'entités immaté-rielles. Existe-t-il réellement des entitésimmatérielles qu'on puisse appeler« amour » et « intelligence » ? Le croire,c'est adopter une position dualiste qui as-sume l'existence de deux réalités distinc-tes : matérielle et immatérielle. Quoique lelangage ordinaire laisse croire que ce dua-lisme va de soi, il donne lieu à des impassesépistémologiques de sorte que la démarchescientifique tente sans cesse de s'en déga-ger. L'existence d'entités immatériellestelles que « amour » et « intelligence », meparaît aussi douteuse que l'existence desanges et des fées8.

Ensuite, si l'on parle du « vrai » amourou de la « vraie » intelligence, c'est qu'onfait implicitement appel à des critères apriori pour juger si des comportements té-moignent de ce vrai amour ou de cette vraie

Considérons le cas suivant : le fait pourun homme ou une femme de devenir mil-lionnaire par son labeur et en partant derien, est-il un critère valide d'intelligence ?Pour des étudiants en administration, cecritère d'intelligence est valide, par contreil ne l'est pas pour des étudiants huma-nistes. L'acceptation ou le refus de ce cri-tère est socio-culturel. Il dépend des va-leurs et de l'idéologie de chacun.

Voyons un autre exemple : un collé-gien qui patauge devant des questions dequotient intellectuel peut déclarer : « Cesont des questions de logique ; la logiquece n'est pas de l'intelligence ! ». On voitque l'intelligence est davantage un juge-ment porté sur des comportements que ladescription d'une réalité. Il semble impos-sible d'atteindre un accord universel à pro-pos des comportements qu'on pourraitconsidérer comme « vraiment » intelli-gents9.

Dans d'autres situations, le critère uti-lisé pour juger de ce dont il s'agit, est non

pertinent aux conduites observées. Parexemple, observons les couples dans les-quels les protagonistes ont des difficultés àse séparer définitivement ou complètementl'un de l'autre alors même que leur relationles insatisfait sérieusement. Si nous esti-mons une de ces personnes, nous dironsqu'elle a des difficultés à rompre parcequ'elle aime encore son partenaire : ainsi,ses difficultés partent d'un bon sentiment.Par contre, si nous n'aimons pas l'autre per-sonne, nous dirons simplement qu'elle estdépendante : ses difficultés découlent d'unefaiblesse de caractère. Pourtant, dans lesdeux cas, les comportements et les senti-ments peuvent être identiques. Lorsquenous décidons si une personne aime encoreou si elle est dépendante, nous ne décrivonspas nécessairement des comportements etdes sentiments. Souvent nous nous conten-tons de juger à partir d'un critère subjectif :la sympathie ou l'antipathie que nouséprouvons à l'égard de la personne.

En somme, la vraie intelligence et levrai amour se dérobent autant à la personnequi se veut rationnelle qu'à celle qui se basesur son intuition. J'avance que la recherchede la Vérité est une démarche intellectuellequi vise à construire une représentation pluscohérente et plus signifiante de l'existence.Dans ce but, elle écarte nécessairement desaspects dissonants de la réalité. La re-cherche de la Vérité n'est pas la recherchede la réalité.

Deux types d'expérimentationL'intuitionniste croit volontiers que son

expérience personnelle subjective lui per-met d'appréhender la réalité concrète dansson entier. Il peut déclarer : « J'ai expéri-menté que tel médicament permet de casserla grippe ». En effet, chaque fois qu'il com-mence à frissonner et à avoir mal à la gorge,il prend son remède préféré, et huit fois surdix ses malaises disparaissent. Cet hono-rable citoyen croit que sa démarche vautbien celle des scientifiques dans leurs labo-ratoires. Tout comme eux, il « expéri-mente » sur la réalité. Malheureusement, lemot « expérimenter » est utilisé pour dési-gner deux procédés distincts et partielle-

7 « Je pense, donc je suis ». L'idéalisme philosophique me semble foncièrement opposé à la démarche sceptique. Cette position est soutenue dans « Pourquoi un philosopheattaque-t-il les Sceptiques du Québec ? » (Le Québec sceptique, n° 26, été 1993, p. 19 ). On peut lire une démystification de Descartes dans Histoire de la philosophieoccidentale : de Thaïes àKant, de Jean-François Revel ( éd. NIL, distr. Seuil. France, 1994 ). Le philosophe et essayiste Jean-François Revel présente une histoire de la phi-losophie qui n'est pas incorrigiblement idéaliste. Pour une démystification du personnage de Socrate. on peut aussi lire de I.F. Stone, Le procès Socrate, Paris, Odile Jacob,1990. Enfin, Alain Bonnier nous signale que Steven Weinberg. prix Nobel en physique, a écrit uni chapitre intitulé « Against philosophy », dans Dreams of a final theory,New York, Vintage Books of Random House.

8 DansLtf métaphysique et le langage ( Paris, Denoèl, 1973 ), Louis Rougier montre que la philosophie reste souvent prisonnière des catégories du langage ordinaire. LouisRougier est un « positiviste logique » membre du Cercle de Vienne.

9 Contrairement à une opinion reçue dans les humanités, je considère les tests de quotient intellectuel comme valides et utiles. Ph. Thiriart, « L'hérédité de l'intelligence : les en-jeux philosophiques et socio-politiques », La revue Tirés à part : la psychologie et son enseignement, vol. 10, sept. 1989, Montréal, p. 49 à 54. Ph. Thiriart. « L'intelligenceet la nature du psychisme », La revue Tirés à part : la psychologie et son enseignement. Vol. 1. 1979. Montréal, p. 6 à 14.

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ment opposés : l'expérience personnellesubjective et l'expérimentation contrôléeobjective.

Notre citoyen intuitionniste ne s'appuieque sur son expérience personnelle subjec-tive. Il ne s'est pas donné la peine d'effec-tuer des épreuves contrôlées. D'abord, ilaurait dû noter chaque fois qu'il frissonnaitet avait mal à la gorge, et ce durant unelongue période de temps. Il aurait sansdoute constaté que ses malaises disparais-sent d'eux-mêmes sept fois sur dix plutôtque huit fois sur dix. Mais avant deconclure que son remède était objective-ment responsable du gain observé, il auraitdû mettre à contribution les membres de sonentourage. Il aurait fini par constater qu'enmoyenne les malaises disparaissent huit foissur dix du moment que la personne prendun remède dans lequel elle a confiance, quelque soit le remède. Le gain de sept fois surdix à huit fois sur dix ne dépend pas de lanature objective du remède mais du fait quela personne le prenne avec confiance. Seu-lement au bout de cette démarche, notre ci-toyen aurait pu prétendre avoir effectué uneexpérimentation contrôlée objective.

Il convient de rappeler que la grippe etles rhumes sont habituellement causés pardes virus. Comme les drogues antiviralessont dangereusement toxiques, les remèdesvendus couramment ne s'attaquent pas auxvirus. Ces remèdes ne font que soulager lessymptômes qui sont en fait les mécanismesde défense de l'organisme. En inhibant cesmécanismes de défense, ces remèdes peu-vent même retarder la guérison. Ainsi, lesenfants grippés qui reçoivent de l'acétami-nophène, sont malades un jour de plus10.

Dans cette perspective, un remède ho-méopathique pourrait s'avérer avantageuxpar rapport à un remède traditionnel quisoulage objectivement les symptômes. Enplus de ne pas nuire aux agents pathogènes,se pourrait-il qu'il soulage subjectivementles symptômes sans inhiber les processusnaturels de défense de l'organisme ? Sic'était le cas, le remède homéopathique se-rait un placebo par excellence.

Prenons un autre exemple avec l'homéo-pathie pour montrer la faiblesse de l'expé-rience personnelle subjective. Les famillesoù la mère occupe un emploi laissent leursenfants très jeunes dans des garderies. Àcet âge, les enfants sont particulièrementvulnérables aux microbes. Ils font des in-fections à répétition et les médecins prescri-vent souvent des antibiotiques par pai-

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dence. Après environ deux ans, par déses-poir, des parents commencent à utiliserdes remèdes homéopathiques et cette utili-sation coïncide assez souvent avec unenette diminution des infections. Les pa-rents deviennent convaincus que les re-mèdes homéopathiques causent la meil-leure santé de leurs enfants. Or, il se faittout simplement que les enfants sont d'unepart plus âgés et plus robustes, et qued'autre part, à la suite d'expositions répé-tées, ils ont fini par développer une immu-nité contre les microbes les plus courants.En somme, l'expérience personnelle sub-jective et l'intuition qui en découle, sontassez rarement des procédés valides pourappréhender la réalité objective.

L'expérience fondamentaledes trois tasses

Voyons maintenant une expériencefondamentale qui montre que le rationa-liste peut tout aussi bien passer à côté de laréalité que F intuitionniste. Sur une tablese trouvent trois tasses identiques à l'en-vers. Une pièce de monnaie est cachée endessous d'une des tasses. Le jeu impliquedeux personnes : le joueur qui essaie de de-viner en dessous de quelle tasse est cachéela pièce de monnaie, et le croupier qui saitoù se trouve la pièce de monnaie. La piècede monnaie est fournie par le croupier. Sile joueur la trouve à la fin du jeu, il la

Le joueur regarde maintenant deuxtasses à l'envers, et la pièce de monnaie setrouve en dessous de l'une de ces deuxtasses : celle sur laquelle il a posé son doigtou l'autre. Le croupier offre au joueur unedeuxième chance : le joueur peut maintenirson premier choix, ou il peut changer pourl'autre tasse.

En termes de probabilités, quelle est lameilleure stratégie pour le joueur ?

1) Maintenir son premier choix.2) Maintenir ou changer son choix ne fait

pas de différence (50/50).3) Changer pour l'autre tasse.

L'intuitionniste est enclin à privilégierle maintien du premier choix. Il se dit quepuisqu'il a senti que la pièce se trouve endessous de cette tasse, il devrait respecterson intuition. Selon ses expériences de vie,ses premières intuitions sont habituellementles meilleures. D'ailleurs, n'est-il pas ad-mis que l'humain possède certains pouvoirsqui lui permettent de percevoir des aspectscachés de la réalité ?

Le rationaliste pour sa part soutient quemaintenir ou changer son choix ne fait pasde différence. Au début, le joueur a unechance sur trois de tomber sur la bonnetasse. Ensuite, lorsqu'il ne reste que deuxtasses, il a une chance sur deux que sondoigt soit sur la bonne tasse. Comme lejoueur a deux tasses devant lui, la pièce doitavoir une chance sur deux de se trouver endessous de l'une ou l'autre de ces deux

«L'existence d'entités immatérielles telles

que « l'amour » et « l'intelligence »,

me paraît aussi douteuse que l'existence

des anges et des fées »

garde pour lui.Le joueur choisit et immobilise une des

trois tasses en y posant son doigt. La piècede monnaie peut être en dessous de cettetasse provisoirement immobilisée, ou endessous de l'une des deux autres tasses.Puis, le croupier doit tourner à l'endroitune des deux autres tasses. Bien entendu,il tourne une tasse en dessous de laquellene se trouve pas la pièce de monnaie.

tasses. Cette situation avec les deux tassesest indépendante de la situation précédenteavec les trois tasses. (Mais la réalité ne sesoumet pas toujours aux raisonnements dé-ductifs du rationaliste.)

Les limites du rationalismeEn février 1995, par personne interpo-

sée, j'ai posé ce problème à mes collègues,diplômés universitaires, du département de

(Suite page 16)

10 Randolph M. Nesse & George C. William, Why we get sick : the new science ofdanviman médecine. Times Books, Random House, New York. 1994, 291 pages. Je re-mercie Dominic Larose, médecin et ancien président des Sceptiques du Québec, d'avoir attiré mon attention sur cet ouvrage.

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Remarques à propos de

lempirisme, du darwinisme

et de la significationPhilippe Thiriart

E empiriste se préoccupe de la vérifica-tion des faits ou des phénomènes, cequi suppose plusieurs étapes :

1 11 cherche d'abord à définir opérationnel-lement le phénomène visé pour s'assurerque tout le monde évoque une même réa-lité concrète;

2 Puis, il observe si le phénomène se pré-sente effectivement de la manière suppo-sée;

3 Si c'est le cas, il imagine différentes théo-ries ou explications possibles de ce qui aété observé;

4 Ces explications donnent lieu à des prédic-tions concrètes sur F apparition et la non-apparition du phénomène dans des situa-tions diverses bien contrôlées;

5 Selon les situations, ces prédictions tantôtse vérifient, tantôt ne se vérifient pas, cequi permet de privilégier une explicationplutôt qu'une autre.

Néanmoins pour r empiriste, « il est trom-peur de dire que le but de la connaissancescientifique est l'explication des événements.Ce sont la prédiction et la maîtrise des événe-nents qui caractérisent la connaissance scien-ilique » . Les théories et les explications nesont ni vraies ni fausses en elles-mêmes ; ellessont plus ou moins utiles pour prédire ou pourmaîtriser les phénomènes.

Paul Valéry adopte une position empiristelorsqu'il écrit : « L'idée de Faire est la pre-mière et la plus humaine [. . .J La pensée est,3ar son essence, impuissante à se tirer de sespropres combinaisons [. . .J 11 n'est de défini-

tions précises qu'instrumentales (c'est-à-direqui se réduisent à des actes, comme de mon-trer un objet ou d'accomplir une opération).Il est impossible de s'assurer que des sensuniques, uniformes et constants, correspon-dent à des mots comme raison, univers,cause, matière ou idée »i.

L'historien Paul Veyne se joint à Valéryen niant que la causalité soit un concept in-trinsèquement scientifique. Selon lui : « Lacausalité . . . c'est notre vie [. . .] La causen'existe que par l'intrigue [. . .J La causalitéest une conclusion, et une conclusionvague »". Enfin pour le biologiste HenriAtlan : « [ . . . J La fécondité de la recherchescientifique est à trouver beaucoup plus dansses effets de maîtrise et de manipulationsopératoires, que dans ses effets d'explication[. . .J Le besoin d'explication du réel est, aufond, antiscientifique » .

On voit que la position empiriste se dé-marque des conceptions rationalistes de lascience qui sont habituellement véhiculéesdans nos écoles\ Dans le domaine de la pa-rapsychologie, la tendance rationaliste poussesouvent à expliquer des phénomènes nonexistants0.

Quand les Français se réclament de RenéDescartes, ils privilégient une approche ratio-naliste, alors que l'empirisme est plus typi-quement anglo-saxon. Semblablement, ledarwinisme est accueilli avec plus de réti-cence chez les francophones rationalistes quechez les anglo-saxons empiristes. Selon ledarwinisme, l'évolution des espèces vivantess'est faite par mutations aléatoires suivies dela sélection des rares mutations avantageuses.

Les Français rationalistes sont portés à dire :« Oui, bien sûr, mais ce n'est pas suffisant.D'une certaine façon, il doit y avoir un principerationnel supplémentaire qui guide l'évolution.L'évolution devait donner naissance à notre es-pèce humaine intelligente apte à comprendreles secrets de l'Être » .

Par contre, selon le darwinisme strict, l'es-pèce humaine aurait bien pu ne pas exister,Par exemple, si une catastrophe n'avait pas dé-cimé les dinosaures il y a 65 millions d'an-nées, les mammifères ne se seraient sans doutepas développés et, en outre, rien ne garantitqu'une espèce intelligente de dinosaures auraitfini par apparaître. L'espèce humaine pourraitbien disparaître sans que la sérénité du cosmosen soit affectée . Nous existons grâce à un en-chaînement fortuit d'événements. Notre cer-veau nous permet des découvertes remar-quables à propos de la réalité grâce à un heu-reux enchaînement de contingences.

Le rationaliste qui recherche la vérité, visesouvent à construire une représentation pluscohérente et plus signifiante de l'existenceDans ce but, le rationaliste écarte des aspectsdissonants de la réalité. La recherche de la Vé-rité n'est pas la recherche de la réalité.

Par contre, l'empinste qui veut connaître laréalité, accepte qu'elle soit chaotique et nonsignifiante ; cette acceptation se faisant parfoisau prix de son confort mental. En effet, denombreuses recherches indiquent que les per-sonnes « normales » entretiennent des illusionspositives à l'égard de l'existence . Il appartientà chacun de formuler son mélange personnelde signification et de réalité. 0

1 THIRIART, Ph. « Les fausses sciences », Le Québec sceptique, no 5, avril 1988, p. 4.2 VALÉRY, Paul. Variétés K Paris, Gallimard, 1945, p. 17, p. 215-216, p. 272.3 VEYNE, Paul. Comment on écrit l'histoire, Paris, du Seuil p. 204, 205 et 181.4 ATLAN, Henri. A tort et à raison : intercritique de la science et du mythe, Paris, du Seuil, p. 144, 186.5 Pour d'autres critiques des approches explicatives et rationalistes voir : Ph. Thiriart, « Gnoséologie et sociobiologie ». La libre-pensée, no 5. 1986, Laval. Québec, p. 14 à

25. Ph. Thiriart, « Du scepticisme épistémologique au béhaviorisme : une discussion philosophique », Science et comportement, vol. 19, no 2, 1989, p. 159-169.6 « La psilogie est-elle enseignée scientifiquement ? », Le Québec sceptique, no 6, juin 1988, p. 10-12.7 Le Québec sceptique, no 31, automne 1994, présente un dossier sur révolution dont deux articles de Pierre Cloutier : « Pourquoi la théorie de révolution choque-t-elle ? »

(p. 17-21 ) et « Quelles sont les preuves de la théorie de révolution ? » ( p. 25 ).8 À propos de l'extinction possible de l'espèce humaine, on peut lire de Robert Giguère : « Deviendrons-nous un peuple des étoiles ? ». Le Québec sceptique, no 32 33, hiver-

printemps 1995. p. 69-70.9 THIRIART. Ph. « Le cerveau et la croyance nécessaire », La petite revue de philosophie, vol. 8, no 2. printemps 1987, Longueuil, p. 69 à 90.

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( Empirisme... suite de la page 13 )

mathématiques. Pour la plupart d'entreeux, la solution devait être « maintenir ouchanger son choix ne fait pas de différence(50/50) ». Rares étaient ceux qui suppu-taient qu'il serait avantageux de changerson choix. Malgré des discussions ouverteset rationnelles, ils n'ont pas pu convaincrela majorité de la validité de leur solution.Au contraire, sous la pression de la majo-rité, certains des minoritaires se sont ralliésà la solution 50/50. Quand j'ai fait savoirque cette solution était fausse (sans encoreindiquer la bonne réponse), on m'a soup-çonné de mentir pour tester leurs réactionsémotives !

Les mathématiciens (et certains philo-sophes) sont des rationalistes par excel-lence. Pour eux, la raison et la logique, sielles sont bien conduites, ne peuvent pasnous tromper. Dieu ou l'Évolution nous afaçonnés pour que les secrets de l'existencefinissent par se dévoiler à notre intelligence.

D'ailleurs, l'enseignement scientifiquese fait dans une perspective plus rationalistequ'empiriste. Comme il s'agit de fairecomprendre une suite de notions, on les pré-sente habituellement comme une enchaîne-ment de raisonnements nécessaires. Sem-blablement, les progrès historiques de lascience sont souvent présentés comme étantdéductivement inévitables. Les savants, enréfléchissant bien, devaient finir par décou-vrir de mieux en mieux la réalité. S'il y ades erreurs et des impasses dans l'histoirede la science, c'est parce que les savantsdans l'erreur n'ont pas bien réfléchi. L'en-seignement des sciences attribue ainsi unpouvoir exagéré à la raison humaine.

Il faut changerJ'ai rencontré le problème des trois

tasses pour la première fois en 1991 dans larevue des sceptiques américains11. Ce quiest fascinant avec ce problème, c'est quelorsque la solution est publiée, plusieursmathématiciens et docteurs en sciencesécrivent pour protester. Malgré l'explica-

tion soignée de l'article, plusieurs scienti-fiques la refusent. Pour ma part, il m'afallu relire l'article pour finir par accepterla solution, qui est de changer son choix.Je ne l'aurais pas trouvée spontanément,malgré mes connaissances en statis-tiques12.

Ensuite, j'ai posé le problème à biendes personnes éduquées. Très rares sontcelles qui trouvent la solution par elles-mêmes sans se faire d'abord affirmer quece n'est pas 50/50. Parmi celles qui trou-vent la solution, plusieurs le font parmétacognition : « Le maintien du premierchoix est douteux puisque au départ, onn'a qu'une chance sur trois de l'avoir. Sila réponse était 50/50. le problème n'auraitpas d'intérêt. La réponse devrait ainsi êtrequ'il est préférable de changer son choix.Essayons d'imaginer une explication pourcette réponse ! »

La plupart de mes interlocuteurs uni-versitaires soutiennent que de maintenirou de changer son choix ne fait pas de dif-férence. Lorsque je leur explique qu'il estpréférable de changer, la moitié d'entreeux seulement acceptent mon explication.Et j'ai l'impression que leur acceptationdépend plus souvent de ma crédibilité per-sonnelle que de la force contraignante duraisonnement. Si mon interlocuteur meconsidère bien informé, intelligent et hon-nête, il veut bien accepter la solution. S'ilpense que je peux errer, divaguer ou luimentir, il la refuse1". Cette situation sou-ligne encore les limites de la discussion ra-tionnelle.

Au commencementétait le Verbe !

En janvier 1995, j'ai posé le problèmedes trois tasses à mes étudiants de Métho-dologie des sciences humaines, et je le leurrappelais à chaque cours. Après quatrerencontres, un étudiant sur quinze seule-ment avait pris l'initiative d'essayer unevérification empirique, mais souvent de fa-

çon négligente, ce qui permettait au joueurde percevoir des indices sensoriels de l'en-droit où la pièce était cachée14. Les autresse contentaient de l'opinion ou du raisonne-ment.

Il est fascinant de constater que notrepremière réaction face à ce problème est deréfléchir et de discuter sans fin. Au com-mencement était le Verbe ! Aucun de mesinterlocuteurs universitaires ne s'est donnéla peine d'effectuer quelques dizaines d'es-sais avec les trois tasses pour en observer lesrésultats. Pour ma part, même si j'ai tou-jours enseigné des laboratoires de psycholo-gie, il m'a fallu plus de trois ans avant queje ne m'avise de vérifier concrètement dequoi il en retourne dans la réalité empi-rique. Alors que vingt minutes d'expéri-mentation attentive auraient suffi pour quela solution s'impose, nous nous complai-sions dans les raisonnements scolastiques .

Quelle est la validité del'expérience personnelle ?Plus haut, à propos des remèdes

« casseurs » de grippe, nous avons vu que leprofane considère habituellement que sesexpériences personnelles subjectives sontautant sinon plus valides que les expéri-mentations contrôlées objectives. Dans cetexemple, la faiblesse de sa démarche« expériencielle » découle du fait qu'il neconsidère pas toutes les variables perti-nentes (guérison spontanée, effet placebo).Dans cet exemple, il était supposé que leprofane observait la réalité avec une bonneexactitude : il savait compter le nombre defois sur dix que les symptômes précurseursde la grippe disparaissaient.

Cependant, les gens observent-ils tou-jours avec une assez bonne exactitude ce quileur arrive ? Pouvons-nous nous fier à euxlorsqu'ils déclarent que leur expérience per-sonnelle leur a démontré qu'une stratégieréussit bien plus souvent qu'une autrestratégie ? Ne serait-il pas possible qu'unindividu convaincu de la supériorité d'unestratégie A. ne s'aperçoive tout simplement

11 POSNER, Gary P. et Kendrick FRAZIER. « Nation's mathematicians guilty of innumeracy' ». Skeptical Inquirer, vol. 15, n° 4, été 1991, p. 342-345.

12 THIRIART, Ph. « Résultat significatif et télépathie », Le Québec sceptique, n° 13. juin 1990, p. 17-21.13 Un autre problème intéressant en probabilités, relié à notre propos, est présenté par Peter B. Stetson : « Le besoin de partialité dans la science ». Le Québec sceptique, n° 7/8,

octobre 1988, p. 12-14.14 De temps en temps, le joueur arrive à savoir où se trouve cachée la pièce à partir des indices non verbaux que lui livre inconsciemment le croupier : bruits de la manipulation

des tasses et de la pièce, position du corps, mouvement des yeux, etc. Une vérification papier-crayon élimine ce problème et est plus rapide encore.15 Pour ceux qui ont confiance en leurs capacités déductives, voici le problème dit « des trois prisonniers » qui suit la même solution que celui des trois tasses. Pierre, Jean et

Jacques sont condamnés à mort. La veille de leur exécution, le Président élu à vie de la République décide de gracier un des trois hommes. Les trois prisonniers apprennentque l'un d'entre eux sera gracié, mais ils ne sauront pas lequel avant la toute dernière minute. Le gardien de prison sait qui est gracié, mais ne peut pas le dire. Pierre inter-pelle le gardien de prison et lui dit : « Je sais bien que tu n'as pas le droit de me dire qui est gracié, mais dis-moi seulement qui de Jean et Jacques sera exécuté, et je te donnema montre en or ». Après quelques hésitations, le gardien lui livre que Jacques sera exécuté. Quelle est maintenant la situation ? a) Pierre a une chance sur trois d'être gra-cié et Jean a deux chances sur trois, b) Pierre et Jean ont chacun une chance sur deux d'être gracié, c) Pierre a deux chances sur trois d'être gracié et Jean une chance surtrois.

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Page 6: EPISTEMOLOGIE Uempirisme ou les limites au rationalisme

pas que, lorsqu'il utilise la stratégie B,celle-ci réussit plus souvent ?

Une variante de l'expérience avec lestrois tasses permet d'examiner cette possibi-lité. Cette version s'intitule « Les limites del'expérience personnelle subjective ». Lesexpérimentateurs choisissent des sujets in-tuitionnistes paranormalistes, c'est-à-diredes sujets qui croient en l'existence d'uneintuition paranormale, qui espèrent possé-der une telle intuition, et qui croient qu'ilest préférable de maintenir son premierchoix. Chaque sujet effectue 50 essais. Àchaque essai, après avoir effectué son pre-mier choix, le sujet lance une pièce de mon-naie en l'air. Si elle retombe en montrantle côté face, le sujet doit maintenir son pre-mier choix. Si elle retombe en montrant lecôté pile, le sujet doit changer son choix.

En moyenne, les sujets gagnent dans33 % des cas après maintiens, et dans 67 %des cas après changements, ce qui peut cor-respondre à 8 succès sur 25 après maintiens,et à 17 succès sur 25 après changements.Mais, en grande majorité, ces sujets intui-tionnistes paranormalistes ne s'aperçoiventpas de cette réalité. Ils restent convaincusd'avoir obtenu davantage de succès aprèsmaintiens qu'après changements. Ils sontprêts à quitter le lieu d'expérimentation enpensant : « Mon expérience vécue m'amontré que j'ai raison de penser qu'il est

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préférable de maintenir son premierchoix ». Les quelques sujets qui s'aperçoi-vent avoir obtenu plus de succès aprèschangements, l'attribuent à un mauvaishasard. Très rares sont les sujets qui re-mettent leur croyance en question. Ainsi,le plus souvent, l'intuitionniste paranor-maliste convaincu ne s'aperçoit pas que laréalité contredit sa croyance10.

Ainsi, cette recherche permet deconstater que les croyants convaincus nesont habituellement pas en mesure des'apercevoir que la réalité contredit leurcroyance. Leur expériences personnellessont façonnées pour se conformer à leurscroyances a priori. Par exemple, lorsqu'unindividu déclare que son expérience per-sonnelle lui prouve que les prédictions as-trologiques se révèlent très souvent vraies,il est très probable qu'il ait déformé sa per-ception de la réalité.

Par contre, des résultats préliminairessuggèrent que les sujets rationalistes (quipensent que la solution est 50/50) s'aper-cevraient plus souvent que le succès estplus élevé après changement. Néanmoins,ils seraient portés à considérer que la plusgrande proportion de succès après change-ments est un résultat fortuit dû à unnombre insuffisant d'essais. Une bonne

partie des rationalistes arrêteraient là leurdémarche intellectuelle et ne chercheraientpas à savoir si, ailleurs dans le monde, il aété démontré que le changemement est plusrentable. En somme, les rationalistes, da-vantage que les intuitionnistes, seraient ca-pables de prendre conscience d'un fait em-pirique qui contredit leur théorie, mais ilss'appuieraient sur leur certitude logiquepour le disqualifier.

Conclusion

Si la raison est plus rigoureuse que l'in-tuition, elle n'est pas suffisante pour établirles faits. La réalité ne se soumet pas auto-matiquement à nos catégories conceptuelleset à nos raisonnements déductifs. Il peutêtre plaisant de spéculer à condition de serappeler qu'on ne fait que spéculer. Parexemple, Isaac Asimov, membre des scep-tiques américains, introduisait des person-nages doués de pouvoirs paranormaux dansses romans d'anticipation. Pour ma part, jeme suis complu à échafauder un embryon dethéorie du paranormal dans « Et si la télé-pathie existait ... »1 . Mais l'important de-meure l'établissement des faits. Les Scep-tiques du Québec sont davantage des empi-ristes que des rationalistes dans la mesureoù ils se préoccupent principalement d'exa-miner les faits sans trop de laisser distrairepar les raisonnements spéculatifs. 0

16 L'expérience « Les limites de l'expérience personnelle subjective » et des articles d'accompagnement sont disponibles dans un document de 76 pages intitulé : Travaux desession, recueil n° 20404, hiver 1996, Collège Edouard-Montpetit. 945 chemin de Chambly. Longueuil ( Qc ), J4H 3M6. Pour obtenir ce document, envoyer sept dollars àPh. Thiriart à la même adresse ( frais postaux et d'envoi inclus ).

17 Le Québec sceptique, n° 20, janvier 1992, p. 18-21.

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Le 13 de chaque mois, les Sceptiques se réunissentdans un restaurant de Montréal.

Si vous voulez vivre cette expérience, appelez à laligne Sceptique au (514) 990-8099.

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