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UNESCO UNESCO-CEPES CENTRE EUROPÉEN POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR Enseignement supérieur en Europe Dans ce numéro: L'enseignement supérieur: son rôle et sa contribution à notre progrès commun Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

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UNESCO

UNESCO-CEPES CENTRE EUROPÉEN

POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Enseignement

supérieur

en Europe

Dans ce numéro:

L'enseignement supérieur: son rôle et sa contribution à notre progrès commun

Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

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L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR EN EUROPE

Volume XXVII Numéro 1-2 2002

TABLE DES MATIERES

Un numéro spécial pour une occasion spéciale - Le trentième anniversaire de l’UNESCO-CEPES Jan Sadlak ............................................................................................................................7 L’enseignement supérieur: son rôle et sa contribution à notre progrès commun Réflexions sur la création et le fonctionnement de l’UNESCO-CEPES: l’avis personnel de l’un des fondateurs Mircea Malitza...................................................................................................................11 Coopération et mobilité académiques en Europe: état actuel et état futur Andris Barblan ..................................................................................................................31 Le rôle de l’intellectuel - une incursion dans l’autocritique Johan Galtung....................................................................................................................59 Le rôle de l’intellectuel II - cette fois comme une critique de l’autre Johan Galtung ...................................................................................................................65 Repenser le financement de l’enseignement post-obligatoire Jean-Claude Eicher et Thierry Chevaillier........................................................................69 Le financement de l’enseignement supérieur: une décennie de changements Thierry Chevaillier et Jean-Claude Eicher........................................................................89 Le défi de l’unification et la réforme de l’enseignement supérieur en Allemagne Klaus Hüfner ....................................................................................................................101 La réforme de l’enseignement supérieur en République Tchèque: un témoignage personnel concernant l’impact des conseillers étrangers Ladislav Cerych .............................................................................................................111 La réforme de l’éducation en Roumanie dans les années 1990: une rétrospective Andrei Marga ..................................................................................................................123 Réflexions sur la réforme de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est Peter Scott .......................................................................................................................137

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La recherche et la formation dans l’enseignement supérieur: l’état actuel Philip G. Altbach ...........................................................................................................153 Notes sur les auteurs ......................................................................................................169

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Un numéro spécial pour une occasion spéciale - Le trentième anniversaire de l'UNESCO-CEPES JAN SADLAK Lancée il y a vingt-sept ans, la revue trimestrielle l’Enseignement Supérieur en Europe représente la plus longue activité continue entreprise par le Centre Européen de l'UNESCO pour l’Enseignement Supérieur (UNESCO-CEPES). En commençant modestement comme un bulletin d'information censé refléter les activités du Centre, il a évolué, durant ces années, en parallèle avec l’UNESCO-CEPES lui-même, en une des plus importantes publications scientifiques dans le domaine de l’enseignement supérieur. Il s’impose donc, à cette occasion, de féliciter en premier Leland Barrows, qui a été son rédacteur-en-chef pour presque vingt ans, pour cet exploit remarquable. Étant donné la place particulière occupée par la revue dans l’existence programmatique et organisationnelle du Centre, il paraît normal de publier un numéro spécial à l'occasion du Trentième anniversaire de l’UNESCO-CEPES. Le numéro s’ouvre sur un texte presque unique de Mircea Malitza qui, surtout du côté roumain et concernant l'histoire de l’établissement du Centre à Bucarest, devrait être considéré comme le principal "père fondateur" du Centre. Sa description, une très personnelle, sur l'origine politique, intellectuelle et diplomatique de l’UNESCO-CEPES, représente à la fois l'histoire de l'institution et une page de l’histoire roumaine et même européenne. L'article constitue clairement une lecture pour ceux qui veulent approfondir des sujets comme les relations internationales, l’UNESCO et le système de Nations Unies en général. Le croquis de l’auteur, qui paraît dans le texte, dessiné par Peter Ustinov, reflète l'optimisme et l’énergie débordants de Malitza. Le deuxième article est écrit par Andris Barblan, une figure de taille de la promotion de la coopération académique internationale. Il fut, pour beaucoup d’années, le Secrétaire général de la Conférence des recteurs, présidents et vice-présidents des universités européennes (CRE), et ensuite le premier Secrétaire général de l'Association des Universités Européennes (EUA), le résultat de la fusion, en 2001, de la CRE avec la Confédération des conférences des recteurs de l’Union Européenne. Il offre un profond tour d’horizon 1 de la question de la coopération internationale dans l’enseignement supérieur. Barblan ouvre sa rétrospective en consacrant une attention spéciale au rôle de la CRE pendant les années difficiles de l’Europe idéologiquement divisée. Il continue cette partie introductive de son essai par une évaluation de la nouvelle tournée d'événements qui ont mené, entre autres choses, à la création de l’UNESCO-CEPES, pour lequel la coopération avec la CRE a représenté un facteur important dans le traitement de questions qui ont été centrales à sa mission et à ses activités. Les conclusions tirées par Barblan sont particulièrement pertinentes pour une meilleure compréhension du contexte international de la forme émergeante de l’enseignement supérieur en Europe, dont le développement est fortement associé à l'apparition d’une Région européenne de l’enseignement supérieur, résultant de l'évolution lente mais stable du Processus de Bologne.

1 En français dans le texte.

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Comme on peut logiquement s’attendre, nous avons opté, dans la mesure du possible, pour une approche rétrospective dans l'élaboration de ce numéro spécial, en examinant les modalités de présentation de certains thèmes récurrents de par le passé et la manière dans laquelle les auteurs concernés peuvent évaluer leurs vues d’origine dans la perspective contemporaine. Nous exprimons notre reconnaissance envers trois auteurs qui ont accepté cette nouvelle façon de percevoir certaines problématiques perpétuelles de l’enseignement supérieur. Nous avons inclus ici leurs textes originaux, suivis par leurs réinterprétations et leurs réfutations. Le premier couple d’articles de cette partie de la revue représente le travail de Johan Galtung, dont les perceptions sur le "rôle de l'intellectuel" sont en égale mesure radicales et stimulantes pour la réflexion. Galtung a fondé ses analyses originales et sa réfutation actuelle sur sa distinction entre deux rôles différents (même si quelquefois complémentaires) de l'intellectuel; celui de l'intellectuel "à la recherche de la vérité" et celui de l'intellectuel "à la recherche du pouvoir". Dans le contexte d'aujourd'hui, Galtung préfère faire une distinction entre "l’intellectuel" - la personne à la recherche de la vérité, impliqué dans une quête pour explorer, dévoiler, relier, et comprendre - et "l’intelligentsia" - la personne qui met la quête pour le pouvoir de tout genre au-dessus de la quête pour la vérité. Le deuxième couple traite du financement de l’enseignement supérieur. Les opinions expertes formulées par Jean-Claude Eicher et Thierry Chevaillier au sujet de la nécessité de "ré-penser" le financement de l’enseignement supérieur sont aussi fraîches et pertinentes aujourd'hui comme elles l’étaient il y a une décennie, mais avec l'avertissement que la recherche de solutions est désormais plus urgente qu’il y a une décennie. Cette urgence est le résultat de l'impact global de la relative massification de l’enseignement supérieur et de telles tendances et développements comme les baisses dans les montants dépensés par étudiant par rapport au PNB par tête et l'augmentation des dépenses privées pour l’enseignement supérieur, souvent liées à l'introduction de frais d’études. Il semble évident de penser que du fait de l’établissement de l’UNESCO-CEPES à Bucarest il devrait être normal pour ce dernier de développer de plus en plus d’activités directement liées à l’enseignement supérieures en Europe Centrale et de l’Est, surtout dans le contexte des transformations qui ont commencé à la suite de l’écroulement des régimes communistes. Une expression symbolique, optimiste du commencement soudain de la transition, affectant en égale mesure l’enseignement supérieur, a été la chute du Mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne. En effet, le genre et l’ampleur des changements survenus n’ont pas nécessairement coïncidé avec les espérances initiales, comme il est démontré dans l’essai écrit par Klaus Hüfner. Il considère que la réforme radicale qui a eu lieu dans les "nouveaux Länder", les parties constituantes de l’État fédéral qui a été créé sur la base de l’ancienne République Démocratique Allemande, pourrait être décrite comme "une poussée de modernisation initiale nécessaire". Il affirme ensuite que, dans une certaine mesure, on a manqué l’occasion de provoquer une réforme totale de l’enseignement supérieur dans une Allemagne récemment unifiée. Plus de dix ans après, dans le contexte d’une nouvelle poussée en faveur de la modernisation, il s’impose d’entreprendre une réforme plus profonde, cette fois du système de l’enseignement supérieur allemand dans son entier.

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Ladislav Cerych, dont l’histoire personnelle d’exil de son pays natal représente un scénario familier pour beaucoup de familles de l’Europe Centrale et de l’Est, du fait de l’imposition brutale des régimes communistes, offre un compte personnel de son rôle dans le processus de réforme de l’enseignement supérieur après son retour dans sa Tchécoslovaquie natale, suivant la Révolution de velours. Il démontre combien sa familiarisation intrinsèque avec les institutions occidentales et sa compréhension des concepts occidentaux s’avéra utile dans les toutes premières étapes de la transformation, surtout dans le contexte de la mise en œuvre des projets TEMPUS et PHARE. Cerych se présente comme un réaliste sceptique (ce qu’il a toujours été), qui décrit en douceur les raisons objectives et subjectives pour lesquelles les compétences et le "conseil étranger(s)" peuvent fréquemment paraître comme étant ignorés lors de leur mise en œuvre. Une telle attitude peut être le résultat de contextes politiques et structures administratives qui caractérisent le fonctionnement de l’enseignement supérieur à un moment donné. Après un lapse de temps, cependant, une bonne partie des compétences et du conseil étrangers peuvent être assimilés dans le cadre des plans et des politiques nationaux. Si l'essai de Cerych est en premier lieu une description faite par un étranger bien informé, le texte qui suit dans ce numéro, celui d’Andrei Marga, nous met dans la lumière du développement de politiques et du processus politique qui accompagnent la mise en œuvre de réformes pédagogiques. Marga détient l’instrument approprié pour entreprendre une telle analyse, étant donné qu’il présente les fondements et les objectifs de "sa" réforme en tant que Ministre de l’Éducation de Roumanie, une des tentatives les plus complètes de modernisation du système éducationnel de son pays. Il décrit, avec franchise, les problèmes qui surviennent lorsqu’on entreprend de telles transformations majeures. Peter Scott est un de ces spécialistes en l’enseignement supérieur qui peuvent relever avec compétence le défi de présenter une large image panoramique des développements à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des systèmes d’enseignement supérieur et de leurs institutions. Dans ces pages, il reflète sur la réforme de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est, un des plus importants domaines d’activité de l’UNESCO-CEPES. Il présente une structure conceptuelle bien organisée pour comprendre les principales causes, objectifs, défis et directions d’une transformation très profonde qui touche tous les domaines majeurs de l’enseignement supérieur. La position sympathisante mais détachée de laquelle il écrit donne une crédibilité supplémentaire à son analyse. Ce numéro spécial se clôt sur un essai de Philip Altbach, une des figures clé dans la communauté des chercheurs en l’enseignement supérieures. Il analyse les raisons de l’apparition et du développement dynamique de ce relativement nouveau domaine d’étude scientifique. Altbach offre une image mise à jour de la dimension internationale de ces activités et des acteurs fondamentaux impliqués dans le soutien direct et indirect de ces efforts. Dans ce contexte, il reconnaît la contribution apportée par l’UNESCO-CEPES (avec lequel Altbach a collaboré presque depuis les premières années de son existence). Il conclut son essai par une liste bien choisie de quatorze tendances qui vont très probablement affecter la recherche sur l’enseignement supérieur dans les années à venir.

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Il est dans notre espoir que ce "numéro spécial" ne fera pas que fournir une meilleure appréhension des développements dans l’enseignement supérieur, mais apportera aussi à ces derniers une information essentielle concernant le rôle, passé et présent, de l’UNESCO-CEPES.

Jan Sadlak Directeur de l’UNESCO-CEPES

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Réflexions sur la création et le fonctionnement de l’UNESCO-CEPES : l’avis personnel de l’un des fondateurs MIRCEA MALITZA Un des principaux fondateurs du Centre Européen de l’UNESCO pour l’Enseignement Supérieur reflète sur les origines de l’UNESCO-CEPES, qu’il remonte jusqu’à une fortunée rencontre qu’il eut, en septembre 1954, avec René Maheu, futur Directeur Général de l’UNESCO. Inauguré en septembre 1972, comme partie à la fois du processus de détente de l’époque et des efforts de la Roumanie de développer la présence des Nations Unies et de ses agences spécialisées à Bucarest, le Centre s’assuma la tâche de promouvoir la coopération Est-ouest dans l’enseignement supérieur. L’auteur a été étroitement associé à l’évolution du Centre, qui a survécu à la période « froide » de la Roumanie des années 1980, et célèbre actuellement son trentième anniversaire. En guise d’introduction En publiant ce texte à l’occasion de l’anniversaire de l’UNESCO-CEPES, je fais appel à l’indulgence du lecteur car je me suis laissé emporter par des souvenirs qui débouchent sur d’autres antennes des Nations Unies proches de l’UNESCO et de la vie internationale. En aucun cas le lecteur ne doit avoir l’impression que je fus le héros principal de l’un de ces événements. Je n’ai d’autre mérite que celui de m’être trouvé dans les environs. Car, au fil de l’histoire, nous glissons entre des groupes et des équipes en étant accepté ou rejeté par eux, en faisant notre trou ou en gardant des cicatrices. En tentant de combler les lois de la probabilité avec des impératifs moraux ou des exercices de sens, nous conservons la consolation suprême des institutions qui résistent à l’épreuve du temps et des amitiés avec des souvenirs inoubliables. Et de ce point de vue, j’ai été assez chanceux d’avoir à faire à l’UNESCO et aux gens qui y travaillent. Le rôle de René Maheu Alors que René Maheu, le Directeur Général de l’UNESCO, était en train d’inaugurer l’UNESCO-CEPES à Bucarest, en 1972, et que, comme Ministre de l’Éducation du pays hôte, je l’invitais à prendre la parole, je pus dérouler dans mon esprit un film assez long de souvenirs qui me liaient à lui. Tout a commencé en septembre 1954, sur l’aéroport de Rio de Janeiro, quand je me suis frayé un passage à travers un barrage de police alors qu’un groupe de membres du Conseil de Direction de l’UNESCO embarquait dans un vol spécial pour Montevideo, où devait se tenir la Conférence Générale de l’UNESCO. Au milieu du groupe, René Maheu, un Assistant du Directeur Général fraîchement nommé, semblait surveiller les détails du départ. “S’il vous plaît, prenez-moi sur votre vol”, lui demandai-je avec audace. “Je suis l’un des observateurs roumains de la Conférence”. Maheu sembla assez surpris de cette approche par un jeune homme embarrassé qui essayait d’expliquer qu’il était à Rio de

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Janeiro depuis le milieu de la nuit précédente et qu’il avait manqué le vol régulier pour Montevideo à cause d’une panne de moteur du vol Pan Air do Bras il venant de Rome. Cette panne avait eu lieu au-dessus de l’océan et l’avion avait atterri à Recife, sur la côte. René Maheu procéda rapidement aux arrangements nécessaires et je me suis trouvé, assis à côté de lui, dans le petit avion, en train de décrire les heures dramatiques que j’avais traversées.

Mais que faisait la Roumanie à la Conférence Générale d’une organisation dont elle ne faisait pas partie ? Nous devons préciser qu’après la mort de Staline en 1953, un vent tiède soufflait sur les relations internationales. Certains le qualifièrent de “dégel”. La clôture de certains dossiers conflictuels était en préparation, et c’est d’ailleurs ce qui se passa en 1955, avec les accords sur l’Autriche, la Conférence de Genève sur l’Asie du Sud-est (Dien-Bien-Phu avait eu lieu en 1954) et la Conférence des Nations Unies sur la Coopération Scientifique Est-ouest (y compris l’Énergie Nucléaire Pacifique). La Roumanie avait repris sa campagne diplomatique pour devenir membre de l’Organisation des Nations Unies, mais on demeurait encore en grande partie dans une impasse. C’était une priorité absolue pour le Ministère des Affaires Étrangères. Selon un plan établi par le Directeur Alexandru Lăzăreanu et le Ministre Adjoint Grigore Preoteasa, les obstacles se trouvant sur la voie menant aux Nations Unies devaient être surmontés grâce à une adhésion préalable à l’UNESCO. Le plan a été en partie couronné de succès. Le Conseil Économique et Social des Nations Unies émit un avis favorable, tout comme le Comité Exécutif de l’UNESCO, et à ce moment, l’épreuve décisive devait être le vote de la Conférence Générale de l’UNESCO. Mais que faisais-je à la Conférence Générale ? Pour résumer, ce fut l’œuvre de la chance. J’ai souvent remarqué ceci dans la vie internationale, et par la suite j’ai même essayé de créer des modèles de probabilités pour ses développements. J’étais directeur de la bibliothèque de l’Académie Roumaine, qui, à cette époque, avait l’un des systèmes d’échanges internationaux les plus étendus, avec plus de 600 institutions. La Bibliothèque était aussi un centre de recherche et publiait une revue sur les titres roumains de bibliologie. Mon Directeur Général était l’Académicien Barbu Lăzăreanu, le père du Directeur du Ministère des Affaires Étrangères, que j’avais donc rencontré. La Délégation Roumaine à la Conférence Générale de l’UNESCO se composait de M. Roşianu, le président de l’Institut Roumain pour les Relations Culturelles Internationales, Bujor Ionescu, un professeur universitaire de mathématiques, l’Académicien Kreindler, un neurologiste ; le chef des opérations diplomatiques était Alexandru Lăzăreanu. J’étais là-bas car j’avais été poussé par l’Académie où, à de nombreuses occasions dans ma vie, je devais rencontrer des protecteurs avec un grand pouvoir.

Je suis resté à Montevideo pendant plus d’un mois et j’eus des contacts avec d’autres délégations, je donnai des présentations, je gagnai des votes favorables. De par ses responsabilités, qui le liaient aux pays membres de l’UNESCO, René Maheu était informé de toutes nos activités et nos approches, et il démontra sa compréhension et son soutien à la délégation roumaine. La conférence se tenait dans le bâtiment imposant du Parlement, symbole d’une démocratie stable et prospère. L’Uruguay se considérait fièrement comme “la Suisse du sud” et ses intellectuels était engagés dans l’UNESCO, tout comme ceux de l’autre “Suisse”, “la Suisse de l’Orient”, i.e. le Liban. Moins d’un quart de siècle après les deux “Suisse” sombraient dans la guerre civile.

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Nos rêves furent balayés à la Conférence au moment où la délégation des États-Unis, à qui on avait donné l’instruction de s’opposer à notre entrée, demanda aux délégations occidentales et aux autres de faire de même afin d’éviter la création d’un précédent qui aurait pu gêner les discussions politiques portant sur l’élargissement des Nations Unies. Au cours de plusieurs conversations préliminaires avec notre délégation, pourtant, la délégation des États-Unis ne nous avait pas fermé la porte au nez. Notre candidature n’obtint pas les votes nécessaires pour l’UNESCO. Un an plus tard, pourtant, la Roumanie fut la première à être admise à l’Organisation des Nations Unies, avec quinze autres États-candidats (décembre 1955) et immédiatement après, dans toutes les agences spécialisées des Nations Unies.

Je rappelle ces circonstances car j’ai remarqué leur récurrence au fil du temps. L’enthousiasme pour l’UNESCO, qui engendra l’épisode de Montevideo, a souvent été transmis d’une année à l’autre. L’intelligentsia roumaine formée à l’Ouest, durant l’entre-deux-guerres, se résignait difficilement à l’isolement et aux interdictions créés par les frontières étanches des blocs. La légère amélioration des relations encouragea les intellectuels roumains à chercher des fenêtres ouvertes et des ouvertures. Qu’est-ce qui pouvait être plus prometteur que d’assister à des réunions et d’avoir des contacts dans l’organisation culturelle mondiale où le critère de l’égalité était en vigueur ? L’enthousiasme des intellectuels roumains a depuis été manifeste et est demeuré constant à travers les décennies. Dix ans après, quand le “dégel” des années 1950 fut remplacé par la détente∗ des années 1960, l’intérêt de la société roumaine pour une “vie internationale normale”, présente dans l’expression des opinions personnelles et la recherche d’intérêts spécifiques, put trouver un terrain idéal et fertile avec l’Organisation des Nations Unies et à travers son système.

Il suffit de rappeler les noms des académiciens, professeurs et experts roumains qui se sont succédés à la tête de la Commission Nationale Roumaine à l’UNESCO pour voir que toute génération aurait des raisons d’être fière de tels noms : Mihai Ralea, Athanase Joja, Tudor Vianu, Emil Condurachi, Elie Carafoli, Grigore Moisil, Miron Nicolescu, Ştefan Milcu, Octav Livezeanu, Valentin Lipatti, Traian Ionaşcu, Andrei Oţetea, Alexandru Rosetti, et Alexandru Balaci. Ce fut à Montevideo que j’eus l’opportunité de comprendre en quoi consistent la stratégie et la tactique diplomatiques, d’apprécier la valeur des personnalités, de percevoir le rôle que les grandes puissances tiennent dans la prise de décision, ainsi que l’interaction impressionnante entre la concurrence et la collaboration entre divers acteurs et personnalités écrasantes.

Peu de temps après Montevideo, au printemps 1956, j’eus la chance de rencontrer René Maheu à New York, au siège des Nations Unies. Maheu avait été nommé le 1er janvier 1956 au bureau de New York en tant que représentant de l’UNESCO auprès des Nations Unies. En réalité, c’était un exil provoqué par des mésententes avec le Directeur Général de l’UNESCO de l’époque, M. Luther H. Evans. Ils avaient des personnalités et des styles différents, et leurs interprétations des rôles de Directeur Général et d’Assistant du Directeur Général divergeaient; peut-être y avait-il aussi une certaine tension entre les visions américaine et française du rôle de l’UNESCO. En outre, nous ne devons pas oublier le vif intérêt du pays hôte dans le fait qu’une organisation internationale de premier plan ait son siège à Paris.

∗détente: mot en français dans le texte.

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Pour ma part, j’étais membre de la première Délégation Roumaine aux Nations Unies, et j’arrivai à New York en mars 1956. Je fus nommé dans la Délégation grâce à l’expérience que j’avais acquise à Montevideo -même si le résultat premier avait été un échec- et aussi à la demande expresse de l’Académicien Athanase Joja, un logicien et spécialiste d’Aristote, qui avait été nommé Ambassadeur et chef de la Délégation Roumaine Permanente. Mon poste était un poste de conseiller sur les questions culturelles, économiques et sociales. Mon supérieur était un conseiller en chef sur les problèmes politiques, avec lequel A. Joja n’avait pas grand-chose en commun.

Ainsi, nous étions là, face à face: Maheu, fonctionnaire international de haut rang, désabusé, et écarté de son rôle, et un jeune diplomate pour lequel ses nouvelles fonctions représentaient un apprentissage du système international. Je me rappelle très clairement nos fréquentes rencontres dans le Salon des délégués, l’immense salle où se tenaient les discussions informelles, mais aussi notre présence sur les mêmes bancs du Comité Économique et Social (ECOSOC) et de ses réunions de Comité, quand quelques souvenirs communs suffisaient à fonder une relation de compréhension et de confiance mutuelle.

Dans les années 1950, il existait peu de sujets d’interférence entre les Nations Unies et l’UNESCO, cette dernière bénéficiant d’une grande autonomie. Le rôle de l’Observateur Permanent était d’envoyer des informations routinières sur ce qui se passait. Dans la Troisième Commission : Sociale, Humanitaire et Culturelle de l’Assemblée Générale, qui incluaient les droits de l’Homme et la condition de la femme, les affaires culturelles concernaient directement l’UNESCO.

J’appréciais les conseils de René Maheu pour le développement de l’initiative roumaine que j’avais proposée et qui devint par la suite le sujet officiellement avalisé sur l’Agenda de l’Assemblée Générale : elle concernait les mesures pour éduquer la jeunesse dans l’esprit de la paix, pour lesquelles j’avais activement milité au sein de la Troisième Commission. René Maheu observait d’un œil les jeunes diplomates de cette Commission, en retenant ceux qui étaient intelligents et actifs. Le Marocain Mahdi Elmandjara, par exemple, obtint une mission avec l’UNESCO après le retour de Maheu à Paris.

Le visage politique agité du monde se reflétait dans les agendas des Assemblées Extraordinaires de l’automne 1956 : la crise de Suez, le Liban et le Laos s’ajoutaient au panorama. Mais les réactions de Maheu étaient différentes des miennes. Maheu était très attaché à la vision de l’UNESCO selon laquelle “les guerres naissent dans l’esprit des gens” et il était réservé vis-à-vis de l’école réaliste du pouvoir et de la géopolitique. J’étais complètement absorbé par ce que je voyais en action : les intérêts économiques et pétroliers, la stratégie militaire des blocs, le jeu des grandes puissances, et la lutte pour la domination des zones d’influence. Je me suis converti à la vision de Maheu seulement en 1984, à la fin de ma carrière diplomatique, quand je me suis intéressé au thème des guerres identitaires ou culturelles.

L’attitude manifestement quelque peu réservée de René Maheu vis-à-vis des affaires des Nations Unies et de sa mission d’observateur s’expliquaient par son souhait ardent. Conscient du fait qu’il avait été injustement et arbitrairement éloigné du système de prise de décision de l’UNESCO, il voulait revenir à Paris “en force”∗. Il mena une intense activité pour établir des relations et ainsi se faire des alliés. Il était d’une

∗en force: en français dans le texte

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discrétion totale, mais depuis 1958 j’avais remarqué qu’à l’inverse de l’année précédente, il avait un agenda chargé, et qu’il était actif et préoccupé.

Sans entrer dans des détails trop poussés, il dévoila son objectif. Au moment ou je lui dis que Germán Arciniegas cherchait un soutien latino-américain pour sa candidature au poste de Directeur Général de l’UNESCO, Maheu devint pâle, et je fus déconcerté par sa réaction. Cela perturbait tous ses plans. Maheu ne souhaitait pas devenir Directeur Général aux élections de 1958, car cela impliquait une énorme campagne diplomatique de la part de la France. Il voulait seulement, pour le moment, occuper le poste de Sous-Directeur Général. Et c’est ce qui arriva : le 5 décembre 1958, la dixième Conférence Générale de l’UNESCO élut un Italien, Vittorino Veronese,2 comme nouveau Directeur Général de l’UNESCO. Avant même la clôture de la Conférence (le 5 décembre), Maheu fut rappelé à son poste le 30 novembre 1958. G. Arciniegas, l’écrivain éminent que je connaissais depuis les années précédentes, quand il était en exil à la Columbia University de New York, mena une campagne inefficace. Finalement, il devint l’Ambassadeur Colombien auprès du Saint Siège (1976).

Veronese et René Maheu étaient devenus amis depuis l’époque de Montevideo, quand Veronese était membre du Conseil de Direction. Je me souviens encore du Veronese de mon expérience à Montevideo, dans l’avion pour Rio, tenant un livre de prière dans sa main pendant le décollage et très ému par ma visite touristique au Vatican. Sa première préoccupation fut de rappeler Maheu, à qui il faisait totalement confiance pour ses capacités d’organisation, au siège de l’UNESCO à Paris. L’UNESCO SOUS MAHEU Du fait de la santé fragile de Veronese, René Maheu, en tant que Sous-Directeur Général, occupa son poste temporairement, de juin à septembre 1959. Le 1er décembre 1959, Veronese recréa le poste de Directeur Général Adjoint et Maheu y fut nommé. En 1961, le Conseil de Direction accepta la demande de Veronese d’être déchargé de ses devoirs pour raisons de santé, et désigna Maheu comme Directeur Général par intérim jusqu’à la douzième session de la Conférence Générale. Le 14 novembre 1962, Maheu fut élu Directeur Général pour un mandat de six ans.

En 1961, à la fin de ma mission à New York, je fus nommé Chef de la Division Culturelle du Ministère des Affaires Etrangères. J’étais heureux que les relations avec l’UNESCO incombent à la Direction Culturelle elle-même, et non à la Direction des Organisations Internationales, avec laquelle tout le reste du système des Nations Unies était relié. Je défendis cette anomalie avec fermeté. Je devais le regretter en 1962, quand je fus nommé ministre adjoint pour les relations avec les Nations Unies et que j’en vins à envier mon collègue, un architecte reconnu et homme de culture, Pompiliu Macovei, qui était responsable de l’entretien des liens avec l’UNESCO.

Je dois maintenant faire un bond de huit années pour arriver en 1970, une année où je fus impliqué dans le Ministère des Affaires Étrangères. J’étais plein d’admiration pour René Maheu, que je considérais comme l’un des chefs les plus compétents au sein de la direction des Nations Unies et de leurs organisations spécialisées. Ces organisations

2 Au sein de l’UNESCO, Vittorino Veronese avait déjà été membre du Conseil de Direction (1952-1958), puis Vice-Président du Conseil (1955-1956) et, enfin, Président en 1956-1958, pour les quarante-sixième et cinquantième sessions.

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étaient confrontées à des milliers de défis pour parvenir à une gestion juste, précise exigeante et efficace, à cause des conflits internes de la bureaucratie, des chamailleries politiques, et du formalisme extérieur imposé. Les Nations Unies sous Dag Hammarsjold et l’UNESCO sous Maheu en sont de bons exemples.

Au cours des douze ans (treize si l’on compte l’année d’intérim) durant lesquelles Maheu a assuré la direction de l’UNESCO, celle-ci a connu une période florissante. Il suffit de considérer le travail des six biennales, qu’il administra. Au contraire des autres organisations, la procédure de travail de l’UNESCO est basée sur des projets recensés dans le Programme Biennal de chaque Conférence et accompagnée par un soutien financier solide. Ainsi, son activité est régulée et prévisible, alors que, en même temps, une dimension prospective valable est introduite. L’UNESCO est à juste titre l’un des sept ou huit groupes de réflexion au sujet des perspectives internationales.

Les résultats exceptionnels obtenus par la gestion de l’UNESCO par René Maheu sont dus non seulement à ses qualités de gestionnaire, mais aussi, en grande partie, à sa clairvoyance vis-à-vis du monde contemporain, de l’arrière-plan historique, et des problématiques3 internationales. La place occupée par l’UNESCO durant cette période est reflétée dans son livre La civilisation de l’universel, que beaucoup considèrent comme le véritable slogan de l’organisation.

Essayons de déchiffrer son message. La croissance massive du nombre d’États indépendants dans les années 1960 a créé un important courant international pour la recherche de son identité propre dans les racines culturelles de chacun qui, par association avec le mouvement de puissante contestation contre les valeurs traditionnelles de la société occidentale et en conjonction avec un décollage économique lent et difficile, mena à une exacerbation de la dimension culturelle aux dépens de la science et de la technologie, dénoncés comme étant les outils de la suprématie occidentale contre laquelle les pays du Tiers-Monde se défendent avec l’illusion d’une civilisation alternative qui leur serait propre, adaptée à leurs cultures. Maheu fut capable de conserver un équilibre entre la science et les cultures, en introduisant la vocation internationale comme contrepoids à la fragmentation et à la variété des cultures. Ce qui arriva après le départ de Maheu en 1974 démontra que l’UNESCO perdit son équilibre, et une invasion de culturalisme basé sur la fragmentation de valeurs locales subjectives s’installa, avec l’effacement du soutien des faits et des vérités qui engendre un véritable liant pour l’humanité.

Le livre de René Maheu et les réflexions induites par le mouvement général de l’organisation ont inspiré mon livre, né beaucoup plus tard, en 1998, Dix Mille Cultures, Une Seule Civilisation.

Mais revenons à 1962, quand, avec l’aide de Maheu et en collaboration avec plusieurs collègues historiens, j’organisai une réunion du Sud-est européen à laquelle l’Albanie participait aussi, pour la première fois. La réunion de Sinaia - pour laquelle je travaillai avec Emil Condurachi et Virgil Cândea – fut un authentique succès. Ce fut à cette occasion que la délégation turque annonça, et c’était une première, qu’elle ouvrait ses archives, dont l’accès avait été interdit jusque là. Le résultat de cette réunion fut la création de l’Association pour les Études du Sud-est Européen, sous l’égide de l’UNESCO, basée à Bucarest (Condurachi, Cândea, et Răzvan Theodorescu furent ses directeurs successifs). Ce fut ma première expérience d’installation d’une organisation 3 problématiques: en français dans le texte

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internationale travaillant en Roumanie. Durant mon activité au Ministère des Affaires Étrangères, mon objectif directeur fut de recommencer de telles tentatives. A leur tour, avec l’aide de U Thant, qui nous rendit visite en 1963, le Centre d’Information des Nations Unies et le Bureau National du PNUD furent installés à Bucarest, successivement en 1970 et 1971. Plus tard, en 1972, la représentation de l’ONUDI fut établie à Bucarest.

Tout comme l’Association, ils fonctionnent toujours aujourd’hui. Évidemment, je n’étais pas seul dans mon aspiration ; plusieurs personnes cultivées et politiciens aimaient l’idée d’avoir autant de drapeaux bleus que possible flottant sur Bucarest, comme un encouragement tacite pour une politique roumaine indépendante qui avait commencé à être manifeste ces années-là, surtout en 1963 et 1964. En outre, en plus d’avoir une multitude de sièges internationaux, les réunions internationales allaient augmenter aussi. En fait, leur fréquence et leur qualité témoignaient du fait que la Roumanie était capable de les accueillir et qu’elle était complètement ancrée dans le système mondial. En 1968, lors de la session tenue à Bucarest, le Comité Administratif de Coordination et le Comité de Programme et de Coordination d’ECOSOC rassembla tous les responsables des agences spécialisées sous la présidence de U Thant. René Maheu se distingua comme l’un de ceux qui contribuèrent au succès de la session et qui aidèrent l’hôte à mener à bien une tâche plus qu’honorable. Au cours des années 1960, je rencontrai Maheu plusieurs fois, lors de diverses conférences internationales et Assemblées Générales des Nations Unies. En 1971, en tant que Ministre de l’Éducation, je participais au vingt-cinquième anniversaire de l’UNESCO à Paris. C’était une époque glorieuse pour l’UNESCO : elle était internationalement respectée, elle diffusait à travers le monde des centres efficaces et des réseaux institutionnels, elle organisait des débats de grande portée, elle publiait des standards pour la gestion culturelle des bibliothèques, des écoles et des musées, elle conduisait des campagnes d’enseignement, elle renforçait la coopération et construisait laborieusement, sous le signe de l’universalité, l’héritage culturel de l’humanité. LES RACINES DE L’UNESCO-CEPES L’offre roumaine d’accueillir une autre institution de la famille des Nations Unies dans les années 1960 rencontra un certain succès. Cette fois il s’agissait de l’UNESCO alors que le domaine qui apparaissait comme le plus probable était “l’Éducation”. Les pays avancés se concentraient sur le secteur de l’éducation après le choc des mouvements étudiants, alors que les pays en voie de développement faisaient de gros efforts pour développer de nouvelles institutions et de nouveaux réseaux. Si les images de la Sorbonne en 1968 avaient fortement marqué la mémoire collective, d’autres scènes montrant des universités assiégées par les étudiants, des professeurs défiés et exclus, et les violentes manifestations qui eurent lieu sur tout le continent eurent des effets durables. Les gouvernements qui oscillaient entre mesures drastiques et préventives construisirent en hâte de nombreux nouveaux campus. L’année 1970 avait été déclarée par les Nations Unies Année Internationale de l’Éducation, le coordinateur des différentes agences du système étant l’UNESCO. La seizième Conférence Générale examina les activités déployées au niveau mondial dans le domaine de l’éducation et autorisa le Directeur Général à présenter une enquête insistant sur l’importance de l’éducation permanente et

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en même temps à lancer de nouvelles activités pour le développement et l’amélioration de l’enseignement supérieur. Les débats débouchèrent sur la décision en grande partie harmonieuse et unanime d’établir un Centre Européen pour l’Enseignement Supérieur à Bucarest, le CEPES (dont l’acronyme s’étendit à UNESCO-CEPES après septembre 1999).

A l’époque de cette décision, effectuée à petits pas entre 1968 et 1970, l’approbation des autorités roumaines avait été obtenue, la candidature officielle soumise à l’UNESCO et l’accord du Conseil de Direction avait été donné. En tant que Vice-ministre des Affaires Étrangères jusqu’en 1970 et Ministre de l’Éducation cette année-là, j’étais étroitement lié à cette initiative, dans laquelle les autres protagonistes étaient Valentin Lipatti, Délégué Roumain Permanent auprès de l’UNESCO, et Pompiliu Macovei, l’adjoint concerné dans le Ministère.

Mais l’ensemble de l’activité diplomatique en vue de soutenir le projet incomba entièrement à Lipatti. Se souvenir de lui est un devoir pour ceux qui ont vécu pour témoigner de la longévité de trois décennies de l’UNESCO-CEPES.

Valentin Lipatti était un diplomate qui maîtrisait impeccablement les techniques de la diplomatie. Frère du grand pianiste Dinu Lipatti, qui mourut jeune à Genève, V. Lipatti avait le même goût de la perfection. La gloire de son frère lui pesait ; intelligent et compétent, il cherchait un domaine où s’affirmer. Être professeur à la Faculté de Lettres de Bucarest, dispenser ses cours et écrire des traductions, cela n’était pas suffisant pour lui. Il parlait et pensait en français comme dans une seconde langue maternelle. Il était cultivé, riche en références, et c’était un brillant orateur ; il possédait toutes les ressources pour les discours de la vie diplomatique et internationale. Comme nos sphères d’activité ne coïncidaient pas, nos relations étaient cordiales sans être très intimes : il faisait partie du secteur culturel dirigé par un homme doté d’une grande sensibilité artistique, et d’un comportement irréprochable, l’architecte Pompiliu Macovei, alors que je coordonnais le secteur des organisations internationales et des traités. Je ne partageais pas l’opinion de ceux qui, comme l’Ambassadeur A. Joja, considéraient Lipatti comme excellent seulement pour la technicité des problèmes.

Deux périodes différentes ont permis à Lipatti de faire preuve de ses talents. De 1965 à 1971, il a été le Représentant de la Roumanie auprès de l’UNESCO. Pendant les trois premières années il agit au sein du Conseil de Direction, dont la Roumanie était membre. (1962-1968). Il établit des relations étroites avec René Maheu, au sujet duquel Lipatti écrivit, “au cours du dîner d’adieu qu’il m’offrit, il me donna une lettre dans laquelle figurait la décision d’installer le Centre à Bucarest”. En 1969 et 1970, les liens de Lipatti avec l’UNESCO étaient par ailleurs déterminées par son savoir-faire en tant que président de l’important Comité du Siège4.

La seconde période d’affirmation de Lipatti a eu lieu entre 1972 et 1978, lorsqu’il a été chargé des problèmes de la Conférence Européenne et de ses conséquences. La presse internationale rapporta ce moment exceptionnel représenté par la motion pour un ordre de procédure soumise par Lipatti au début des préparatifs pour la Conférence d’Helsinki (22 novembre 1972), qui conduisit à l’adoption de la règle de comportement par laquelle les pays allaient parler en leur propre nom dans des conditions d’égalité, et non comme des parties d’un bloc.

4 Comité du Siège: en français dans le texte

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Depuis son avant-poste d’observation et d’action à Paris en 1970 et 1971, Lipatti me tenait informé des développements de l’opération pendant et après la Conférence Générale, et si besoin nous orientons notre action vers la direction souhaitée dans la routine administrative.

Les événement suivants se succédèrent rapidement: en 1970, la décision de la Conférence Générale d’établir le Centre; en 1971,la décision de l’UNESCO d’établir le siège du Centre à Bucarest ; en septembre 1972, l’inauguration du Centre; ensuite, le début des activités du Centre.

Je ne dois pas omettre un événement antérieur qui eut lieu aux Nations Unies. Laissez-moi seulement rappeler qu’en 1967, l’Assemblée Générale des Nations Unies était présidée par le Ministre Roumain des Affaires Étrangères, Cornélius Mănescu. Son mandat fut rempli honorablement et obtint des résultats substantiels. Ceci montre que, durant ces années-là, la Roumanie était active au plan international, et particulièrement au sein de système des Nations Unies.

Deux ans auparavant, en 1965, la Résolution sur l’Europe, à la préparation de laquelle j’avais consacré plusieurs années, avait été adoptée. Ceux qui l’avaient soutenue étaient neuf pays petits ou de taille moyenne (Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Finlande, Yougoslavie, et Hongrie) rejoints par la Turquie. L’idée fondamentale était d’instaurer de bonnes relations de voisinage entre des pays appartenant à des horizons différents, comme l’esprit tripartite de la Résolution le prévoyait : Est, Ouest et neutre.

L’écho le plus important eut lieu à l’UNESCO. Les auteurs de la Résolution furent les promoteurs d’un véritable plan de l’UNESCO pour l’Europe incluant des conférences des ministres de la Culture et des Sciences des États européens membres. L’Autriche, la Belgique, et la Roumanie lors de la Conférence Générale de l’UNESCO donnèrent un tel exemple quand ils insistèrent sur la convocation à Vienne, en 1967, de la première Conférence Générale Européenne des Ministres de l’Éducation. De tels événements offraient de façon évidente par la suite un soutien de confiance pour les objectifs plus larges de la Conférence Générale. Il faut remarquer que grâce à la CSCE, devenue plus tard l’OSCE, un thème actuel majeur de la collaboration internationale construisait sa propre structure d’organisation, née en dehors du système des Nations Unies. Quoiqu’il en soit, après Helsinki, les effets de la Résolution allaient se répercuter sur ce système, comme les initiatives de l’UNESCO l’ont prouvé.

La décision de créer l’UNESCO-CEPES et de l’installer à Bucarest me plaça dans une nouvelle position au sein du Ministère de l’Éducation et je la vis comme un bon présage pour la réforme de l’éducation à venir. J’étais totalement déterminé et encouragé par l’autonomie d’action du Ministère des Affaires Étrangères, où l’autorité du ministre Mănescu nous protégeait des interférences extérieures. Ainsi, j’entamai une réforme qui, en cette année 1970 propice, apporta de nombreuses améliorations dans l’étude des langues étrangères, des développements dans la formation mathématique par l’introduction de nouveaux champs d’étude, comme l’information et la gestion, et la législation sur la formation continue.

En juin 1971, un événement complètement imprévu changea toute l’orientation du pays, et eut des conséquences immédiates sur les activités dont j’étais responsable. Nicolae Ceauşescu, le Secrétaire Général du Parti Communiste Roumain (Partidul Comunist din România) visita plusieurs pays asiatiques, en commençant par la Chine, la Corée du Nord, le Vietnam, et la Mongolie. Au cours de la visite, il en vint à envisager

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l’opportunité d’une mini-révolution culturelle en Roumanie qui devait consolider les bases du socialisme scientifique, un nom donné au marxisme-léninisme, pour éliminer la possible menace d’une déviation idéologique, pour augmenter la confiance dans les propres forces du pays et pour réduire les contacts avec le monde occidental et pour parer son influence. De juillet à novembre, les réunions se succédèrent tout au long d’une grande campagne idéologique qui détruisit un à un tous les éléments de la réforme dont j’avais rêvé.

Les partisans de cette réforme disaient : “Pourquoi devrions-nous tolérer le mépris de ceux qui connaissent des langues étrangères envers ceux qui n’en connaissent pas ? Pourquoi devrions-nous avoir deux facultés de philosophie, l’une du parti, l’autre d’État ? Nous devons mettre un frein à l’obséquiosité des pays étrangers, qui gagne du terrain ! Le Ministère de l’Éducation devrait être mené par un personnel composé d’activistes du Parti, sous la tutelle directe des sections du Comité Central et le Comité Central devrait approuver les programmes de sciences sociales dans les écoles et les universités” (Plenara C.C. a PCR, 2-5 nov. 1971). C’est ce qui est effectivement arrivé. Je fus directement cité au cours de ces réunions comme quelqu’un qui méprisait le rôle et les conseils du Parti. Les reproches adressés au Ministère étaient particulièrement durs, comme les sections idéologiques du Parti et d’autres institutions culturelles socialistes cherchaient à diriger la critique de la révolution idéologique vers d’autres cibles.

Dans ces circonstances, je craignais que l’inauguration de l’UNESCO-CEPES ne soit vue comme une menace pour les idées du nouveau courant. Au cours du 25ème anniversaire de l’UNESCO à Paris, j’avais remercié René Maheu pour son soutien vis-à-vis de l’ensemble de l’initiative et j’avais réitéré mon désir de voir le centre s’installer aussi tôt que possible, en exprimant mon espoir que les engagements des parties étaient irréversibles. Dans mon pays, je rappelais sans cesse l’initiative officielle de la Roumanie, légalement sanctionnée et qui devait être correctement mise en pratique. Mais je remarquai que des dizaines d’initiatives qui avaient été approuvées à la même époque étaient désormais brisées. En outre, remarquant que l’orientation vers une ouverture ne fournissait plus des arguments solides, je commençai à chercher d’autres points de soutien pour permettre à l’UNESCO-CEPES de vivre. Ils apparurent dans des consultations avec mes collègues du Ministère des Affaires Étrangères.

L’ensemble de la politique étrangère de la Roumanie était désormais orienté vers la Conférence Européenne et le mot Européen(ne) (qui apparaissait dans l’en-tête de l’UNESCO-CEPES) était désormais devenu un mot-clé et était plus puissant que quoi que ce soit d’autre. En conséquence, nos documents internes pouvaient retenir des concepts tels que l’utilité du Centre pour devenir familier avec l’expérience internationale, les contacts avec les experts étrangers, et le soutien de la modernisation, alors que les avantages que l’accueil d’une institution européenne apporterait serait mis en valeur.

Le bâtiment n’était pas encore prêt. L’accord entre le gouvernement et l’UNESCO avait été mis au point et signé par Corneliu Mănescu et René Maheu (le 21 juin 1972, à Bucarest et le 4 juillet 1972, à Paris), mais les travaux continuaient pour adapter le bâtiment. Le Palais Kretzulescu, qui avait précédemment hébergé le Musée des arts religieux et servi ensuite en tant que siège du Conseil général des Syndicats du

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Commerce de Roumanie (Consiliul General al Sindicatelor din România), avait été assigné pour héberger l’UNESCO-CEPES.5

Le bâtiment était un édifice historique situé près du pittoresque parc Cişmigiu. Les ornements remarquables de l’édifice d’origine étaient maintenant recouverts d’une épaisse couche de chaux, et l’ensemble, installations, portes, fenêtres et sols, était délabré et détérioré. Les plans étaient de l’architecte Bujor Gheorghiu, avec le Département des Plans du Ministère. Je confiai au Professeur Constantin Iamandi6, un homme capable et méticuleux, le processus de restauration. Nous nous éclipsions souvent du Ministère et grimpions sur les échafaudages du bâtiment, qui devenait de plus en plus beau, pour admirer la structure d’une nouvelle institution internationale.

En Roumanie, les bâtiments pouvaient être construits ou restaurés rapidement, à condition qu’ils soient approuvés et examinés par le Parti en tant que priorités. Ce qui n’était pas exactement le cas de notre bâtiment. Pourtant nous tenions le Premier Ministre Ion Gheorghe Maurer et le Ministre des Affaires Etrangères, Corneliu Mănescu, informés des développements, et tous deux supportaient et assuraient la promotion du projet UNESCO-CEPES. MAHEU A BUCAREST Le jour de l’inauguration officielle du siège arriva. Le 21 septembre 1972, René Maheu était à Bucarest. Dans l’intervalle, j’avais été en contact avec le Directeur Général Adjoint, John E. Fobes7, et avec le Sous-Directeur Général pour l’Éducation, Amadou-Mahtar M’Bow8, que Maheu avait chargé de suivre les préparatifs sur place. Ils visitèrent Bucarest et nous eûmes ensemble des réunions cordiales. Comme lors de toutes les apparitions publiques de Ceauşescu, le lieu était rempli d’officiers de la Securitate. Maheu fut le premier à arriver. Ceauşescu était accompagné par le Premier Ministre Maurer. Un public choisi d’académiciens, de ministres, d’ambassadeurs, et de représentants d’institutions culturelles occupait le hall en bas des escaliers, où des micros avaient été installés. En tant qu’hôte, je fis les présentations. Une conversation cordiale et souriante s’instaura entre Maheu et Maurer, qui était à moitié Français. Je remarquai l’embarras de Ceauşescu, qui avait dénoncé peu de temps auparavant la prétendue supériorité de ceux qui pouvaient parler des langues étrangères. Il n’était visiblement pas à son aise et derrière son expression de vague mécontentement, il se demandait sûrement quel était le sens d’une telle entreprise, de toute façon. Bien entendu, une certaine consolation vînt des discours qui insistaient sur le fait que l’unique Centre Européen pour l’Enseignement Supérieur créé par l’UNESCO se trouvait à Bucarest, un argument qui ne le laissait pas indifférent. Quant au reste, il avait imposé

5 Le Dr Seth Spaulding, qui, à cette époque, était à la tête de la délégation de l’UNESCO qui procédait à une présélection des lieux appropriés pour le Centre, a récemment fait remarquer que la désignation d’un bâtiment si remarquable était vue comme un bon signe vis-à-vis de l’importance accordée par le gouvernement roumain pour accueillir le Centre de l’UNESCO. 6 Il a été rappelé en 2000 pour mettre au point un nouveau plan d’améliorations du siège de l’UNESCO-CEPES (Iamandi, 2000). 7 John E. Fobes, des Etats-Unis, fut Directeur Général Adjoint pour l’Administration (1964-1970) et Directeur Général Adjoint de l’UNESCO (1971-1977). 8 Amadou-Mahtar M’Bow, du Sénégal, fut Directeur Général Adjoint pour l’Education (1970-1973) et le sixième Directeur Général de l’UNESCO (1973-1987).

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aux universités le contrôle idéologique du Parti, ce qui n’était pas pour stimuler les contacts et la coopération avec les autres pays.

Dans mon discours introductif, je souhaitai la bienvenue à l’audience et j’adressai une phrase à René Maheu, “ bien connu et haut combien loué dans notre pays”, en le remerciant pour honorer de sa participation la création de cette nouvelle institution de coopération intellectuelle, dont le projet était l’objet de sa “sollicitude et [de sa] confiance constantes”. Je mentionnai plus loin que les quarante, à cette époque, institutions roumaines d’enseignement supérieur étaient activement impliquées dans la coopération internationale européenne et que le Centre allait certainement profiter du soutien total de la communauté universitaire du pays.

Une autre partie de mon discours était consacrée à l’UNESCO et à son rôle actif dans la promotion de l’enseignement supérieur. Comme contribution spécifique à “l’expérience européenne”, je citai le principe d’étroite alliance entre l’éducation, la recherche, et la production, les trois facettes de la construction de l’être humain moderne. Ceci était une th7se officielle que je soutenais malgré la résistance des traditionalistes et des humanistes, qui étaient opposés à l’interférence entre l’éducation et la vie économique et productive du pays. Je savais que l’Ouest aussi se dirigeait vers une formule pragmatique et qu’il serait d’accord avec une formation orientée vers le monde du travail”. Je savais aussi que, à l’inverse de l’Ouest, nous avions des carences dans la formation professionnelle et technique, en général.

Le discours de Ceauşescu au Directeur Général, aux ambassadeurs, et aux camarades me révéla trois choses importantes. D’abord, il reconnaissait l’importance de l’enseignement supérieur dans le développement économique et social de chaque nation ainsi que celle des échanges d’expériences, une idée qu’on ne pouvait négliger lors de cet événement précis. Je notai ceci dans mon esprit afin de ne pas oublier de le lui rappeler à l’avenir. Ensuite, l’idée du projet européen. Son discours confirmait ce sur quoi nous avions compté, c’est-à-dire, qu’Europe était devenu le mot-clé dans ce projet et l’avait tenu éloigné des pièges idéologiques. En fait, il parlait de l’attention particulière que portait la Roumanie à l’extension de la coopération en Europe. Ensuite, il parla enfin de créer une atmosphère de paix et de coopération en Europe. Puis, il aborda le rôle spécifique de l’UNESCO dans l’éducation à la paix. D’où le rôle du Centre: “d’unir les efforts des universités et des formateurs pour atteindre la sécurité, pour bâtir un monde meilleur, pour faire en sorte que plus jamais l’Europe ne connaisse des guerres, pour agir en faveur du désarmement, pour démanteler les blocs militaires, pour éliminer les restrictions de tous genres.” Ainsi le Centre eût de meilleures chances d’être ancré dans la politique officielle en tant qu’institution européenne, ce qui allongea aussi sa durée de vie, au moins pour la durée de la Conférence Européenne et la mise en place de ses résultats.

Dans son allocution, René Maheu renvoya magistralement la balle et rendit hommage à la vocation européenne de la Roumanie, qui est placée au carrefour de l’Europe, où une civilisation dace et latine avait été enrichie par ses contacts avec les cultures slave et germanique, ainsi qu’au gouvernement roumain, en tant que champion de la cause de la coopération européenne. Mais il expliqua ensuite que la mission de l’UNESCO-CEPES était avant tout celle d’un Centre d’enseignement supérieur et qu’il devrait se concentrer sur son amélioration, et ensuite, un centre européen, où “il insérera

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son effort dans le cadre géographiquement limité, mais d’une signification politique éminente” (Bulletin de la Commission Nationale de la R.S. de Roumanie pour l’UNESCO, 1972).

L’UNESCO s’était attachée aux questions européennes: en 1967, elle avait organisé à Vienne une Conférence Ministérielle Européenne sur l’Éducation; en 1970 celle sur les politiques scientifiques; à nouveau, en 1970, la conférence sur les politiques culturelles, plus un nombre incalculable de corps de recherche, de sciences sociales, de loisirs et d’éducation, sous le patronage de l’UNESCO. Maheu établit correctement les proportions en disant que “l’ouverture à Bucarest d’un Centre pour l’enseignement supérieur n’est donc pas une initiative isolée ; elle s’inscrit dans une série systématique d’entreprises destinées à donner une forme concrète à la coopération européenne” (Bulletin de la Commission Nationale de la R.S. de Roumanie pour l’UNESCO, 1972).

René Maheu rappela que la finalité de l’UNESCO était universelle. En se référant à une région comme l’Europe, l’UNESCO doit garder à l’esprit et s’adapter à une diversité de communautés historiques originales. “Variété des cultures, des régimes socio-politiques, des mœurs, telle est bien, en effet, la caractéristique dominante de cette région de vieille civilisation” (Bulletin de la Commission Nationale de la R.S. de Roumanie pour l’UNESCO, 1972). A ma connaissance, personne mieux que Maheu n’a utilisé de façon plus appropriée les termes de civilisation (de la région) et de cultures (leur diversité), dans un thème qui demeure ouvert aujourd’hui. Pour l’inspiration qu’un pays peut trouver dans un autre, elle peut être bénéfique quand elle ne vient pas seulement des pays les plus proches et les plus semblables, mais aussi de ceux qui semblent les plus éloignés et différents.

Le point fort de la présentation de René Maheu était l’analyse des problèmes de l’éducation. Ce n’était rien de moins qu’une “crise” et cela pouvait être le point de départ d’une “vaste tentative de rénovation”. Des événements dramatiques et des réactions d’une intensité particulière dévoilaient des tensions et des mutations face auxquelles il y avait un appareil “à certains égards fermé et donc le fonctionnement ordinaire paraît à beaucoup n’avoir d’autre effet, sinon d’autre but, que le maintien de statu-quo social” (Bulletin de la Commission Nationale de la R.S. de Roumanie pour l’UNESCO, 1972).

J’admirai la subtilité de René Maheu par laquelle, sous des apparences de politesse parfaite, il disait que, alors que les pays construisent leur culture “en empruntant à leurs voisins”, les Roumains n’étaient pas les premiers Européens à l’UNESCO, que le principe de la diversité était universel et qu’il n’allait pas avec le monolithisme politique et que, en conclusion, l’innovation et le changement étaient malmenés par l’inertie de l’appareil et l’obstination avec laquelle le statu-quo était défendu.

A nouveau, un dialogue amical entre René Maheu et Gh. Maurer eût lieu alors qu’ils prenaient une coupe de champagne, et enfin, la cérémonie prit fin. Les participants partaient à travers une double rangée de spectateurs. Ceux qui étaient importants recevaient un accueil respectueux et silencieux, mais quand Mănescu, le Ministre des affaires étrangères, sortit, il fut applaudi. Ceauşescu avait déjà ajouté une mauvaise note à son rapport. L’UNESCO-CEPES: DANS UN ENVIRONNEMENT PROPICE MAIS HOSTILE

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Quelques images simples m’aident à résumer des décennies du point de vue de mes expériences personnelles. Le vert pour l’espoir, l’intensité et les ouvertures, l’excitante ascension vers le sommet : ainsi furent les années 1960, à la différence de la grisaille de la fin de l’hiver de la deuxième partie des années 1950. Des jours d’été torrides et suffocants marquèrent les années 1970. Pendant un moment, l’UNESCO-CEPES s’est situé dans une extension hors du calendrier des propices années 1960. En tant que ministre, je pus de quelque manière surveiller son emménagement : la maintenance locale du budget et du personnel, la sélection du personnel roumain, l’assistance nécessaire. J’assistai à la première réunion de son Comité Consultatif, composé de personnalités remarquables sélectionnées avec la même attention soigneuse typique à Maheu.

Jusqu’à mon renvoi en 1973, j’essayai en différentes occasions, d’appliquer le principe d’ouvrir de nouvelles fenêtres. Des bourses universitaires, des échanges, des accords bilatéraux constituaient un chapitre entier. Nous nous rendîmes plusieurs fois mutuellement visite avec Margaret Thatcher, qui était à cette époque Ministre de l’Éducation et des Sciences du Royaume-Uni. Peu de temps avant que mon plan de réforme ne soit jeté à la poubelle, Margaret Thatcher l’avait trouvé “extrêmement intéressant”. Le même mois que l’inauguration de l’UNESCO-CEPES, j’avais invité à Bucarest une réunion mondiale de sciences du futur – au cours de laquelle fut décidée la création de la Fédération Mondiale des Sciences du Futur (WFSF) et un Centre International pour la Méthodologie des Sciences du Futur fut établi à Bucarest. Plus tard, le Centre fut évacué du bâtiment qui l’abritait sur ordre d’Elena Ceauşescu.

Au cours de cette décennie, je fus impliqué dans l’organisation des plus grandes conférences mondiales des Nations Unies. En tant qu’organisateur principal de la Conférence Mondiale sur la Population de 1974 à Bucarest, je me rendais souvent au siège des Nations Unies où le Comité de préparation travaillait. Puis, je fus membre de la Conférence des Nations Unies sur les Sciences et la Technologie pour le Développement (Vienne, 1979). Mes liens avec l’UNESCO étaient devenus des liens personnels; j’étais devenu un participant sans représenter mon pays ou une quelconque organisation. Pendant des années, je fus membre du Conseil de Rédaction d’Impact où je pus apprécier les qualités de Jacques Richardson, le rédacteur-en-chef de cette importante revue. Je fus aussi invité aux tables rondes en 1975, 1976 et 1977 où je fis plus ample connaissance avec nombre de personnalités qui jouèrent un rôle dans la vie internationale politique, culturelle, artistique, et économique: André Fontaine,9 Buckminster Fuller,10 Paolo Grassi,11 Han Suyin, 12 Paul-Marc Henry, 13 Arthur Koestler, 14 Sean MacBride, 15 V. S. Kemenov, 16 9 André Fontaine, commentateur politique et diplomatique français, ancien rédacteur en chef du Monde. 10 Richard Buckminster Fuller (1895-1983), mathématicien et philosophe, inventeur et designer de renom. 11 Paolo Grassi (1919-1981), directeur de théâtre et critique italien, l’un des fondateurs du Piccolo Teatro di Milano, également président du Conseil du “Teatro alla Scalla” et président de la RAI. 12 Han Suyin (n. 1917), romancière contemporaine d’origine belge et chinoise, auteur d’autobiographies, de fictions et d’essais socio-politiques. Son nom officiel actuel est Dr Elisabeth Comber. 13 Paul-Marc Henry, diplomate français, Docteur Honoris Causa de l’Académie Roumaine (1996) et Secrétaire de la mission des Nations Unies pour le Moyen-Orient (1949-1952). 14 Arthur Koestler (1905-1983), romancier, scientifique et journaliste d’origine hongroise. 15 Sean MacBride (1904-1988), lauréat du Prix Nobel de la Paix (1974), fut le co-fondateur d’Amnesty International et président de la Commission Internationale de l’UNESCO pour l’étude des problèmes de communication. 16 Vladimir Semenovitch Kemenov, critique d’art contemporain russe.

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Phillip Noel Baker,17 Sir Peter Ustinov (dont les talents, comme vous pouvez le voir avec le dessin reproduit à la fin de cet article, vont bien au-delà du jeu d’acteur),18 Bernard Zehrfuss, 19 Willy Brandt, 20 Samir Amin, 21 Prem Kirpal, 22 Peter Brook, Sir Ronald Syme,23 Victor Vasarely,24 et Iannis Xenakis25. Je mentionne ces noms pour apporter des preuves de mon expérience. Durant ces années de déclin, l’UNESCO était dominée par l’idéologie du Tiers-Monde, par ses revendications et particulièrement ses caractéristiques contre les civilisations classiques (science, technologie, savoir universel) qui étaient réduites à l’accident historique de l’Occident colonisateur. Je souffrais à cause de cet orgueil, de ce manque de mesure, et surtout parce que je m’étais engagé de toutes mes forces dans l’approche pour l’équité et la dignité dans le système international, et dans le soutien à la revendication légitime d’un nouvel ordre économique mondial. En dépit de ce dérapage et des mouvements anti-rationalistes ou anarchiques à la mode à cette époque, l’UNESCO pouvait toujours défendre sa vocation d’impartialité et d’excellence dans quelques domaines sauvegardés, dans des réunions ou des comités de penseurs isolés, comme celui de l’UNESCO-CEPES. A travers un seul mouvement se concentrant sur les problèmes du Tiers-Monde, L’UNESCO s’était exclue elle-même durant ces années des préoccupations européennes mais aussi du domaine de la science où elle avait tenu un rôle de mentor.

J’étais à Vienne, en 1979, lors de la Conférence sur la Science et la Technologie pour le Développement où, au Hofburg, je présidai la Quatrième Commission (sur l’Avenir de la Science) et je pus être le témoin du triste spectacle donné par le groupe de l’UNESCO mené par M. M’Bow errant de Commission en Commission et de délégation en délégation avec un succès minimal pour tenter d’obtenir pour l’UNESCO quelques responsabilités résultant de la Conférence.

Par la suite, j’assistai à l’ossification de l’appareil de l’UNESCO qui se manifestait par des “jalousies de territoire” et un manque d’ouverture pour le partenariat ou l’encouragement à l’innovation dans d’autres cadres que ceux de l’organisation. Avec Elmandjara et James Botkin (nous formions un trio originaire de trois continents et de trois horizons éducatifs différents), nous écrivîmes le rapport pour le Club de Rome, No Limits to Learning. En dépit de sa large circulation et du bon accueil reçu, toutes nos tentatives pour faire entrer le livre et ses applications dans le circuit de l’UNESCO furent inutiles. Les gens de l’UNESCO étaient fiers des rapports précédents de l’UNESCO, qui

17 Philip John Noel-Baker (1889-1982), lauréat du Prix Nobel de la Paix (1959), participa à la formation, l’administration, et aux délibérations législatives de deux grandes organisations politiques internationales du vingtième siècle – la Société des Nations et les Nations Unies. 18 Sir Peter Ustinov, acteur, écrivain, metteur en scène, Ambassadeur de l’UNICEF. Il est le dixième Recteur de l’Université de Durham, au Royaume-Uni. 19 Bernard Louis Zehrfuss (n. 1911), architecte français, l’un des trois architectes ayant co-préparé les plans des bâtiments du siège de l’UNESCO à Paris. 20 Willy Brandt (1913-1992), homme politique allemand, ancien Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne. 21 Samir Amin, économiste égyptien, directeur du Forum Tiers Monde (Third World Forum) à Dakar, Sénégal. 22 Prem Nath Kirpal, Conseiller pour l’éducation auprès du gouvernement indien et président du Comité Exécutif de l’UNESCO (1970-1972). 23 Sir Ronald Syme (1903-1989), historien britannique. 24 Victor Vasarely, architecte franco-hongrois. 25 Iannis Xenakis (n. 1922), compositeur grec.

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étaient indubitablement remarquables et tout à fait pertinents, et ils n’acceptaient pas de coopérer avec une ONG, bien qu’aucune autre agence internationale n’ait établi une telle ouverture envers les ONG (sauf l’OIT).

Tant que la Roumanie – comme prévu - était plongée dans les initiatives liées à la Conférence sur la sécurité et la Coopération, l’UNESCO-CEPES en tant qu’institution européenne située à Bucarest ne fut pas l’objet d’arguments hostiles. Et bien plus encore, à la suite de la Conférence Mondiale sur la Population qui s’était tenue en 1974 à Bucarest, le centre eût un frère: le Centre des Nations Unies pour la Démographie, CEDOR. J’avais fait la proposition sur le modèle de l’UNESCO-CEPES. Après la clôture de la Conférence d’Helsinki de 1975, il apparût que la question la plus embarrassante pour les pays socialistes était celle des droits de l’Homme. La sécurité était en bonne voie, de même que la coopération économique, mais pour les droits de l’Homme, eh bien, c’était la catapulte pointée sur le point vulnérable du socialisme totalitaire ou dictatorial, mais aussi l’étendard de ses opposants.

Un épisode intervenu en 1976 entraîna une scission entre la politique de la Roumanie et les organisations internationales. Sorin Dumitrescu, un fonctionnaire roumain haut placé à l’UNESCO, et un spécialiste d’hydrologie, fut retenu au pays sous de fausses accusations et empêché de retourner sur son lieu de travail à Paris. Je l’avais rencontré dans les organisations étudiantes d’après-guerre, au sein desquelles nous avions travaillé ensemble. Tout d’abord, l’UNESCO pensa qu’il s’agissait d’un malentendu, d’une erreur. Mais à cause de l’insistance des autorités roumaines à contrôler tout citoyen qu’il ait ou non un contrat international, en dépit des engagements du gouvernement roumain concernant cette catégorie, les choses s’envenimèrent, les résolutions commencèrent à affluer, et le Directeur Général M’Bow vint en personne pour demander au chef de l’État roumain de relâcher son fonctionnaire (mais sans résultat). Je regardai, impuissant, comment douze années de travail dévoué et patient des diplomates et des spécialistes roumains étaient balayées par un simple acte arbitraire et absurde.

Dans les couloirs de l’UNESCO, les responsables de l’association du personnel m’arrêtaient et me demandaient de leur expliquer les implications. L’un d’entre eux me dit : si la règle roumaine s’appliquait partout, je serais rappelé dans mon pays et pendu par le régime fasciste que j’ai fuit. La Roumanie ne comprend-elle pas cela ? La Roumanie comprenait parfaitement cela, c’était Elena Ceauşescu qui ne le comprenait pas, et c’était elle l’auteur principal de ces mesures.

Depuis 1972, l’ascension d’Elena Ceauşescu avait été continue. Tous les anciens conseillers et collaborateurs de son mari avaient été mutés. Elle gouvernait à ses côtés depuis ce que le pays appelait le “Cabinet 2”.26 Je ne veux pas dresser son portrait ici, mais je dois signaler le “syndrome d’égalité” dont elle souffrait et qui la faisait rejeter tout individu qui dépassait une certaine limite de célébrité, de richesse ou de réussite qui était statistiquement établie. Bénéficier d’un régime spécial, aller et venir comme bon vous semblait, faire exception vis-à-vis de l’ordre général et des stipulations de l’État, avoir un salaire dix fois plus élevé que ce que le budget autonome pouvait se permettre, tout comme tous les autres “privilèges” d’un employé international la repoussaient viscéralement. Elle était l’auteur de la loi selon laquelle tous les employés roumains de corps internationaux étaient obligés de verser à l’État roumain la différence entre leur

26 Le “Cabinet 1” et le “Cabinet 2” étaient les termes officieux que les Roumains utilisaient pour désigner les bureaux respectifs de Nicolae et Elena Ceauşescu.

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salaire et celui correspondant versé dans une ambassade roumaine (au moins 50 pour cent, mais souvent les deux tiers ou plus).

Le cauchemar se termina deux ans après quand les conséquences négatives de l’événement, que mes collègues et moi avions rapportées avec toute l’ambiance dramatique correspondante, dépassèrent finalement ce qu’elle avait prévu. En 1978, Sorin Dumitrescu rejoignit son poste.

Entre-temps, en plus d’avoir été associé aux mesures destinées à soulager leur collègue, l’UNESCO-CEPES avait aidé à transmettre sa correspondance et était ainsi passé aux yeux des autorités du côté des “actions inamicales”. Maintenant, ceux qui pensent que le passé est toujours utile pour éviter les erreurs dans l’avenir se trompe complètement car, en 1986, dans des conditions similaires, et pour la même durée, un autre Roumain, le fonctionnaire le plus important au sein des Nations Unies, Liviu Bota, fut abusivement retenu en Roumanie. Il fut relâché après que l’Assemblée Générale des Nations Unies avait placé son cas sur son programme et que les traducteurs s’étaient mis en grève, quittant leurs cabines quand les délégués roumains prirent la parole, et qu’il n’y avait pas un point de la politique étrangère roumaine qui n’était terni.

Le CEPES connaissait une brève période de regain, à la suite de la nomination de Franz Eberhard, l’ancien Secrétaire Général de la Conférence des Recteurs Autrichienne, au poste de Directeur du Centre en 1982.27 Il fut rejoint par le Professeur Dumitru Chiţoran, ancien Recteur adjoint pour les affaires universitaires et internationales à l’Université de Bucarest, qui fut nommé directeur adjoint en 198328, et par Dr. Leland Barrows, anciennement professeur d’anglais et d’histoire à l’Université de Constantine, en Algérie, qui fut nommé Éditeur-en-chef.29

Eberhard et Chiţoran prirent plusieurs initiatives, qui attirèrent l’attention de plusieurs gouvernements européens, tout comme d’universités européennes et de leurs organisations, sur le potentiel de l’UNESCO-CEPES pour servir de plate-forme unique pour le dialogue Est-Ouest et d’instrument pour la promotion d’une coopération paneuropéenne dans l’enseignement supérieur. Ceci se refléta dans plusieurs résolutions et recommandations concernant l’UNESCO-CEPES, adoptées par la Conférence Générale et le Conseil Exécutif de l’UNESCO, aussi bien que par la Conférence des Ministres européens de l’Éducation durant cette période.

Ces succès ont figuré parmi les raisons pour lesquelles, au Ministère des Affaires Étrangères, des gens de la direction du ministère et de ses départements étaient opposés à la décision de démanteler l’UNESCO-CEPES et invoquaient les difficultés légales dans le cas de l’UNESCO-CEPES. Des dizaines d’études furent requises: quels coûts de l’UNESCO-CEPES étaient couverts par le Parti roumain et quels en étaient les avantages en contrepartie, mais aussi des données: combien étaient payés les fonctionnaires internationaux, de quels avantages bénéficiaient-ils, quel loyer l’État roumain devait-il prélever, le bâtiment devait-il être loué à une ambassade étrangère, etc… Pourtant, à l’arrière-plan, le mécontentement à propos des interférences avec les questions des droits 27 Franz Eberhard quitta l’UNESCO-CEPES en juin 1986, pour devenir secrétaire général de l’Association Internationale des Universités (IAU). 28 Dumitru Chiţoran fut Directeur par intérim de l’UNESCO-CEPES entre 1986-1988. En juillet 1989, il fut muté à la Division de l’Enseignement Supérieur, à l’UNESCO Paris, et en 1990 il fut nommé Chef de la Section de l’Enseignement Supérieur. 29 Ce dernier, qui est toujours Editeur-en-chef à l’UNESCO-CEPES, a écrit deux brefs historiques du Centre (Barrows, 1992, 1997).

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de l’Homme persistait. En 1984, une année de tempête et de froid, l’UNESCO-CEPES et le CEDOR ont été désignés par le Parti comme susceptibles d’être fermés.

A travers une action intelligente, Franz Eberhard et Dumitru Chiţoran réussirent à renforcer l’idée du maintien de l’UNESCO-CEPES à Bucarest. L’insistance avec laquelle certains pays voisins exprimaient leur vif intérêt pour accueillir le Centre fut utilisée habilement comme un argument dans cette tentative. Comme pour défendre le CEDOR, ce rôle incomba à une fantomatique Commission Démographique Nationale. Et en conséquence, alors que le CEDOR fut démembré en 1984, le CEPES fut sauvé et continua à fonctionner jusqu’à nos jours.

J’ai passé la période 1980-1984 loin de mon pays. J’avais posé ma candidature pour une position importante aux Nations Unies que Kurt Waldheim m’avait promise, mais entre-temps elle avait été distribuée à l’Amérique Latine. Ainsi, je fus envoyé comme Ambassadeur à Berne et, en plus, plusieurs mois plus tard, comme représentant aux Nations Unies à Genève, dans la Commission du Désarmement. En 1982, je fus nommé Ambassadeur à Washington, D.C., où la Roumanie faisait campagne pour la clause de la nation la plus favorisée qui était sérieusement menacée. Je me sentais comme un “gestionnaire de crise” au cours de ces trois années, quand trois votes furent gagnés au Congrès américain en faveur de la clause. Puis, tout a coup, en 1984, je fus rappelé et démis de toutes mes fonctions. Cependant, je conservai mon poste de professeur à l’Université de Bucarest, obtenu par concours, et une relative immunité dont profitaient les membres de l’Académie Roumaine, où j’avais été élu Membre Correspondant dix ans auparavant.

Les conditions étaient très mauvaises, je ne pouvais plus correspondre avec les organisations internationales - qui me croyaient perdu- et j’étais en proie au harcèlement le plus abject. Mais ensuite l’UNESCO-CEPES revint dans ma vie. En 1987, ses projets éditoriaux incluaient un travail sur “Les nouvelles technologies de l’information dans l’enseignement supérieur”. Le Professeur Dumitru Chiţoran savait que je dispensais un cours au Département de Sciences Informatiques de la Faculté de Mathématiques et il m’invita à me joindre au groupe de rédaction.

Avec le Professeur Cristian Calude, un représentant distingué d’une nouvelle génération de chercheurs éminents, nous acceptâmes. Le Professeur Chiţoran m’engagea tout en sachant que j’étais considéré comme persona non-grata par le Ministère des Affaires Étrangères et que je n’étais pas éligible pour des contacts avec l’UNESCO-CEPES. Mais il invoqua un contrat avec l’Université, qui m’avait désigné. La correspondance et l’écriture me firent souvent me rendre au siège du CEPES. George Preda, le futur Directeur Général de Radio Romania après 1990, m’a dit que pendant ces années il m’a rencontré une fois, devant les bâtiments du CEPES. Notre rencontre fut probablement trop cordiale, m’a-t-il raconté, car celui qui me “filait” commença à le prendre en filature pour découvrir qui était la personne que j’avais rencontrée. Pour se débarrasser de lui, Preda le fit le suivre jusqu’au magasin Adam le plus proche où il le perdit après une série de zigzags imaginatifs. Je pus par la suite comprendre pleinement ce que signifiait le fait de profiter de la protection d’un Centre international en dépit des mesures et de la surveillance abusive des autorités nationales. Le livre (Calude et alii, 1989) fut publié, et il constitua mon unique ouvrage paru durant cet “hiver de notre mécontentement”, avec un volume sur l’intelligence artificielle.

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UN EXERCICE DE PREVOYANCE Je ne pense pas être en mesure de fournir des recommandations crédibles sur l’avenir de l’UNESCO-CEPES à un moment où son destin est entre les mains d’un directeur comme le Dr. Jan Sadlak, que j’apprécie depuis qu’il a occupé son ancien poste à Bucarest. Il possède plus d’énergie et de clairvoyance que moi. Les compétences des personnalités qui composent l’actuel Conseil Consultatif de l’UNESCO-CEPES dépassent toutes les modestes recommandations que des possibles conseillers pourraient offrir. En conséquence, je me limiterai à quelques remarques soutenant les chances de la future mission de l’UNESCO-CEPES. Elles découlent de mes sept dernières années d’expérience avec l’Université de la Mer Noire qui, depuis sa fondation, a bénéficié du patronage de l’UNESCO et de l’UNESCO-CEPES.

Une première remarque va peut-être apparaître comme un lieu commun: les choses changent rapidement. Mais les sociétés peuvent changer même si les sociétés, avec leur caractère conservateur, ne réussissent pas à accomplir des changements majeurs dans leur structure et leurs activités. Pourtant, cette fois, elles ne peuvent éluder la situation.

Ce qui transforme les universités de manières significatives c’est la technologie de l’information et de la communication. Une personne n’a pas besoin d’être physiquement présente dans une salle de classe si elle possède un ordinateur. On n’est pas tenu d’assister à un cours si les cours accompagnées de films, de mélodies et de graphiques sont disponible grâce au multimédia.

Il y a pourtant, je le crois, un plus grand changement qui parcoure l’enseignement supérieur comme une vague à laquelle on ne peut échapper. C’est le fait que nous entrions dans l’ère du savoir. Pour le moment, on parle d’économie du savoir. Mais qui continue à penser que le savoir sera stocké, géré et transmis, comme jusqu’à présent, à travers des cours compacts et lourds, des livres épais et arides, dans des institutions divisées en départements qui communiquent à peine entre eux? Qui peut continuer d’une façon par laquelle ce système de savoir transmis peut être séparé de l’autre système vital, la mise en application du savoir dans le monde du travail ? En conséquence, le Vingt-et-unième siècle annonce des changements qui feront date dans l’éducation, comparables non au premier pas de l’Homme sur la Lune, mais au mystères du cerveau. Aucun congrès, aucune réunion ou aucun débat ne peut décider si l’innovation est adoptée, ni à quel point elle l’est, mais l’expérience le peut. Un vaste champ d’expérimentation, dans lequel tout un chacun peut être acteur, s’ouvre.

Le mot clé qui est déjà présent dans le discours éducatif est celui de “projet”. La chance du projet est d’être porté par un réseau de partenaires, peu importent leurs différences ou la distance qui les sépare. La géographie n’est pas très pertinente en Europe, où les quatre points cardinaux sont très mélangés. Officiel et non-officiel, formel et informel, gouvernemental et non-gouvernemental, public et privé, les anciennes dichotomies oppressives héritées de l’histoire passée de l’éducation ont perdu leur sens.

L’Europe, pauvre en innovations dans beaucoup de domaines, est de plus en plus ambitieuse pour adresser des idées et des messages au monde, et cela doit être pris en considération. Dans cette tentative, le fait qu’elle fut l’inventeur des universités sera moins pertinent que ses capacités d’entreprise et de gestion améliorées.

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C’est un avantage exceptionnel que d’avoir une reconnaissance officielle, d’avoir un statut et un siège, de pouvoir détenir des moyens et répondre aux défis de la concurrence afin d’approcher l’aventure du savoir basé sur les ressources intellectuelles de chacun et fournir des solutions pour les questions vitales d’un monde qui les attend avec avidité. Quoiqu’il en soit, j’affirmerais que les remarques susmentionnées s’appliquent à l’enseignement supérieur en général et détermineront en grande partie son chemin vers l’avenir.

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REFERENCES BARROWS, L. C. CEPES: European Centre for Higher Education - The First Quarter Century. La Haye, Londres et Boston: Kluwer Law International, 1997. [Extrait de l’International Encyclopedia of Laws – Suppl. 2 (septembre 1997). BARROWS, L. C. CEPES – 20 Years of Service. CEPES Papers on Higher Education, Bucarest, 1992. BOTKIN J., M. E. et Malitza, M. No Limits to Learning. A Report to the Club of Rome. Oxford: Pergamon Press, 1979. Bulletin de la Commission Nationale de la R.S. de Roumanie pour l’UNESCO. No. 4, 1972. CALUDE C., CHITORAN, D. et MALITZA, M. éds.. New Information Technologies in Higher Education. Bucarest: CEPES, 1989. Centrul european UNESCO pentru învăţământul superior. Reabilitarea imobilului sediului [Réhabilitation du bâtiment du siège]. UNESCO: Bucarest, 2000 (non publié). La culture, la société et l’économie dans un monde nouveau. Cultures, UNESCO, Vol. III, No.4, 1976. LIPATTI, V. In tranşeele Europei [Dans les tranchées de l’Europe]. Bucarest: Editura Militară, 1993. LIPATTI, V. Strada Povernei 23 [23 rue Povernei]. Bucarest: Editura Garamond, 1993. MAHEU, R. La civilisation de l’universel. Paris: Laffont-Gauthier, 1966. MALITZA, M. Romania at the UN 1956-1993. State, Society and the UN system. Eds.: K. Krause, W. A. Knight, UN University Press, 1995. Plenara C. C. a P.C.R. 2-5 Nov. 1971 [Séance Plénière du Comité Central du Parti Communiste Roumain]. Suicide ou survie ? Les défis de l’an 2000. Paris: UNESCO, 1977.

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Coopération et mobilité académique en Europe : état actuel et état futur ANDRIS BARBLAN L’auteur, de formation historien et l’administrateur, durant vingt-six ans, de l’ONG établie en vue de développer la dimension européenne de l’enseignement supérieur, la Conférence des Recteurs Européens (CRE), de 1959 et jusqu’à 2001, devenue désormais l’Association des Universités Européennes (EUA), place les développements inter-universitaires dans leur contexte historique. Il considère l’enseignement supérieur comme un domaine où les changements politiques et économiques déterminent des transformations. Son texte représente un témoignage du travail accompli par la CRE durant une période s’étendant sur plus de quarante ans. INTRODUCTION Plutôt que d’analyser la coopération et la mobilité académiques européennes pour elles-mêmes, j’ai essayé de placer les développements inter-universitaires dans leur contexte historique. L’enseignement supérieur n’est que l’un des domaines où les changements politiques et économiques déterminent des transformations, souvent par des modalités similaires à l’évolution subie par d’autres domaines du travail social, qu’ils soient privés ou publics.

En tant que locomotive du savoir, l’université devrait comprendre le changement social et le développement scientifique. A-t-elle réussi le faire pendant les dernières cinquante années, en contribuant ainsi à l’intégration économique de l’Europe? En considérant la complexité des influences qui ont modelé la vie universitaire depuis la Seconde Guerre mondiale, j’ai choisi de suivre le développement des faits et des tendances d’un point de vue personnel, celui d’un historien et d’un administrateur, pendant vingt-six années, d’une ONG établie pour développer la dimension européenne de l’enseignement supérieur. Cette ONG fut connue sous le nom de Conférence des recteurs européens (CRE) de 1959 jusqu’en 2001, et elle s’appelle aujourd’hui l’Association des Universités Européennes. LE CONTEXTE DE l’APRES-GUERRE En 1955, lorsque les recteurs et les présidents des universités se sont rencontrés pour la première fois à Cambridge pour réaffirmer le potentiel de la coopération internationale entre leurs institutions, le mouvement européen retrouvait son souffle après un recul important. En 1954, neuf ans après la Deuxième Guerre mondiale, Pierre Mendès-France n’a pas réussi à convaincre le Parlement français de la nécessité d’une politique de défense qui inclue les vainqueurs et les perdants dans une seule communauté de sécurité européenne, même si tous les pays en question faisaient déjà partie de l’OTAN, l’Alliance créée au printemps de 1949, sur la base de l’Union Européenne Occidentale, elle-même une organisation établie en 1948. Le Pacte de l’Atlantique a été possible grâce

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au Plan Marshall d’aide des Etats-Unis et à l’accomplissement du Programme européen de rétablissement, dont le but était l’intégration politique et économique de l’Europe de l’Ouest.

Au début des années 1950, on avait assisté à des discussions politiques animées sur la modalité de réaliser l’intégration ; c’était un débat qui opposait les “unionistes” et les “fédéralistes”, alors que, en même temps, le Mouvement européen devenait de plus en plus fort. En effet, en décembre 1947, le Comité international des mouvements pour l’unité de l’Europe a réuni sous son égide le Mouvement pour une Europe unie, présidé par Winston Churchill, l’Union européenne des fédéralistes, le Conseil français pour une Europe unie, et la Ligue économique pour la coopération européenne. En octobre 1948, grâce à l’impulsion donnée par le Congrès de la Hayes, ce Comité-là est devenu le Mouvement européen, lorsque le Comité international pour les États-Unis socialistes de l’Europe s’y joignit. A l’intérieur et à l’extérieur du Mouvement, on a exposé dans des virulentes échanges d’opinions des arguments en faveur et contre l’intégration politique, économique et sociale du continent.

En mai 1949, à la suite des résolutions du Congrès de la Hayes, on a créé le Conseil de l’Europe comme un forum des parlements nationaux et un comité des ministres. Une année plus tard, l’Allemagne est devenue membre associé de ce Conseil lorsque Robert Schumann, sur la recommandation de Jean Monnet, a proposé de placer toute la production française et allemande de charbon et d’acier, perçue comme un instrument économique pendant la guerre, sous la juridiction d’une seule autorité commune, en rendant ainsi impossible un autre conflit entre les deux nations.

L’idée, étendue aux pays du Benelux et à l’Italie, a conduit au traité qui a établi la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Ce traité a été signé en avril 1951, et l’Autorité supérieure, dirigée par Jean Monnet, a commencé à fonctionner en août 1952. Avant le printemps 1953, les “Six” avaient établi un marché commun du charbon, du minerai de fer et de l’acier. Mais ne serait-il recommandable d’étendre ce modèle pour y inclure le transport, la production et la distribution d’énergie et l’agriculture? Pour conclure la réorganisation de l’Europe de l’Ouest, et si l’Allemagne était à se réarmer, une “Communauté de la défense” ne la contrôlerait-elle en transformant la sécurité en un problème européen qui requiert une souveraineté nationale? Ce dernier plan a échoué en 1954, étant remplacé en 1955 par une Union de l’Europe de l’Ouest, renforcée dans le cadre de l’OTAN, l’Allemagne de l’Ouest devenant un partenaire à part entière du traité de Bruxelles. A partir de ce moment-là, le travail s’est concentré sur la coopération économique jusqu’à ce que le traité de Rome fût signé par les “Six” en mars 1957.

L’opposition au Marché commun, exprimée aussi pendant le débat sur une potentielle aire élargie de libre-échange qui inclue le Royaume-Uni, la Suisse, l’Autriche, le Portugal, la Grèce et les pays de Scandinavie s’adoucit en 1956, lorsque la faiblesse de l’Europe en ce qui concerne la politique mondiale est devenue évidente. Un exemple particulier fut le fait que la France et le Royaume-Uni n’aient pas réussi à conquérir le Canal de Suez et que l’Europe de l’Ouest n’ait pas réussi à soutenir les protestataires hongrois contre les troupes soviétiques qui envahissaient Budapest. En effet, la division de l’Europe, symbolisée par la prise de pouvoir par les communistes à Prague en 1948, s’était consolidée après la mort de Staline en 1953. On pouvait comprendre les différents mouvements d’opposition à l’Etat policier et à la domination étrangère qui s’étaient

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développés par la suite en Allemagne de L’Est, la Pologne et le Hongrie comme des réactions nationalistes contre l’autoritarisme de Russie et ses ambitions impérialistes. En effet, ces ambitions se sont manifestées d’une manière impressionnante par le lancement du satellite Sputnik, en 1957, par lequel la Russie a commencé “la course à la conquête de l’espace” contre les États-Unis d’Amérique. L’EUROPE CULTURELLE Pendant la Guerre, les gouvernements alliés étaient devenus conscients du fait que, pour donner une chance à la paix, il était nécessaire d’y impliquer les citoyens de toutes les nations. Après la Première Guerre mondiale, la coopération intellectuelle internationale était devenue une partie secondaire du travail de la Ligue des Nations. On ne répétera pas cette omission après 1945, lorsqu’on a initié l’UNESCO pour jouer un rôle central dans les nouvelles structures mondiales, particulièrement en ce qui concerne la coopération mondiale dans le domaine de l’éducation et de la science. Quant à la science, en 1946, l’UNESCO a proposé d’établir des liens avec la Conférence internationale des syndicats scientifiques [ICSU] créée en 1931. En 1947, comme un écho de la Conférence multilatérale des universités, organisée à Paris en 1937, la conférence de Utrecht a ouvert la voie à la création de l’Association internationale des universités. Elle a été officialisée en 1950, à Nice, en tant qu’association, le Bureau international des universités, dont on s’attendait à devenir “le bras dédié à l’enseignement supérieur” de l’UNESCO. Bien des membres qui subventionnaient l’AIU étaient des universités européennes qui pouvaient également envisager le développement de la coopération sur leur propre continent.

Au niveau régional, l’Union Européenne Occidentale, bien qu’elle fût une institution militaire, avait créé un Comité pour la coopération intellectuelle. En plus, le Congrès de la Hayes avait recommandé non seulement la création du Conseil de l’Europe comme un bras politique du Mouvement européen, mais aussi d’entreprendre des actions dans le domaine de la culture. Par conséquent, en octobre 1949 on a organisé une Conférence culturelle européenne à Lausanne, qui a conduit à l’établissement du Collège d’Europe à Bruges et du Centre culturel européen à Genève.

Sous la direction de Denis de Rougemont, le Centre a mis au point des réseaux européens de coopération entre des institutions et des gens intéressés à des activités similaires, tels que des festivals de musique, des instituts européens et des professeurs européens d’enseignement. Il a contribué à la création, en 1954, de ce qui allait devenir la plus grande entreprise coopérative dans la science européenne, l’Organisation européenne pour la Recherche Nucléaire (CERN). Pendant la même année, pour soutenir ce travail – qui a été complété par le Dialogue des cultures, c.a.d, de grandes conférences qui essaient de définir la spécificité de la culture européenne par rapport à d’autres civilisations du monde, le Centre a lancé la Fondation Culturelle européenne sur le modèle des grandes fondations américaines, une institution qu’on a transférée bientôt à Amsterdam où Prince Bernard, l’un des membres de son Conseil, a été capable d’assurer un financement régulier. LA COOPERATION ACADEMIQUE

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Pourtant ce ne fut pas le Centre qui initia le renouvellement de la coopération dans l’enseignement supérieur, mais le Comité culturel de l’Union européenne de l’Ouest, qui a financé la conférence des dirigeants des universités européennes de 1955, organisée à Cambridge, sous la présidence du duc d’Edimbourg. Presque cent participants de cinquante pays ont pris part à cette réunion-là, dont la CRE, la Conférence des recteurs européens, une organisation dont on a décidé l’institutionnalisation à la seconde conférence des dirigeants universitaires organisée en 1959, à Dijon, allait devenir la première Assemblée générale. En effet, ce fut seulement en 1964, à l’occasion de la troisième conférence de Göttingen, que la constitution de la Conférence Permanente des Recteurs et des Présidents des Universités Européennes fut adoptée formellement ; le siège de l’organisation fut placé à l’Université de Genève, dont le Recteur, Jacques Courvoisier, avait justement été élu Président de la nouvelle association.

Il faut se rappeler que, après la Deuxième Guerre mondiale, la mobilité n’était pas chose facile en Europe, à cause du manque de facilités appropriées, des insuffisances en ce qui concerne l’infrastructure de transport, et à cause des contrôles des changes et des contrôles à la frontière, qui prédominaient dans tous les pays. De plus, bien des liens académiques, qui constituaient quelque chose d’ordinaire dans la vie universitaire traditionnelle, avaient été rompus par le conflit mondial. Sans doute, n’étai-il pas une tâche facile de recréer une communauté académique européenne. Pourtant, il y avait des modèles de coopération inter-universitaire, tels que les conférences britanniques et autrichiennes des dirigeants universitaires, au niveau national – tous les deux remontant à la période précédant la Première Guerre mondiale ou, au niveau international, l’Association des Universités du Commonwealth, qui avait commencé ses activités en 1913. Ce n’est donc point étonnant que la restructuration de la communauté académique européenne ait commencé par le soutien du Royaume-Uni, où les universités avaient subi peu de pertes, en réussissant à garder leur prestige et conserver un sentiment fort de la tradition.

A Cambridge, les participants ont discuté les principes essentiels de l’université européenne, son besoin d’autonomie et d’indépendance intellectuelle (tous les deux concepts ont été influencés par l’organisation nationaliste de la guerre), son mélange de services (la culture générale contrebalançant la spécialisation utilitaire) et la sélection, la formation et l’intérêt de ses étudiants. Autrement dit, le sujet principal de la discussion a été le rôle de l’université dans la société européenne.

Après cette référence à la continuité de l’aventure intellectuelle au-delà des bouleversements politiques, la coopération a été développée, surtout par les Français et les Allemands, à la suite de leur alliance politique pour la construction d’une Europe intégrée. Cette coopération a été incarnée par Konrad Adenauer et par Charles de Gaulle; ce dernier est revenu au pouvoir à Paris, en 1958, pour fonder la Cinquième République et mettre fin à la Guerre algérienne d’indépendance et pour accorder l’indépendance à la plus grande partie de ce qui était resté de l’Empire français.

L’initiative pour une coopération supplémentaire dans le domaine de l’enseignement supérieur a passé du Royaume-Uni vers le continent, où la France et l’Allemagne s’étaient engagées à renforcer la coopération à tous les niveaux d’intérêt commun, techniques et opérationnels – y compris l’enseignement supérieur. Par conséquent, les sujets des deux assemblées de la CRE, de Dijon (1959) et Göttingen (1964), ont été beaucoup plus pratiques que celles d’Angleterre, de 1955. Etant donné le

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manque de scientifiques et de technologues dans une société qui se développait rapidement, les participants se sont demandés comment on pouvait former les étudiants comme des “Européens” dans des domaines tels que les humanités, les sciences sociales et l’économie. Ces réflexions faites en 1959, au début de l’aventure du Marché commun, ont impliqué pour les universités aussi une responsabilité civique vis-à-vis de la construction de l’Europe.

En 1964, lorsqu’il y avait des indices évidents du phénomène d’“enseignement supérieur de masse”, le débat se concentrait sur la dimension optime et maxime de l’institution académique. On exigeait une dimension qui prenne en considération les attentes de la société, le nombre de plus en plus grand des étudiants des institutions d’enseignement supérieur et la qualité supérieure désirée pour la recherche et les services destinés à l’industrie.

Indirectement, les différences entre une Europe étroitement unie de nations souveraines (ce qui a inspiré la création, sous la direction britannique, de l’Association européenne de libre-échange - European Free Trade Association -, comme un contrepoids au Marché commun) et une Europe dont les pays membres étaient prêts à renoncer à une partie de leur souveraineté pour atteindre des buts communs (la Communauté des “Six” pays qui s’étaient impliqués directement dans les querelles de la guerre) concernaient aussi la pensée sur le rôle de l’enseignement supérieur. Cette pensée, reflète-t-elle une convergence des politiques d ‘enseignement supérieur ou une impulsion pour des changements dans les systèmes nationaux, c.a.d. l’encouragement d’une valeur ajoutée européenne dans l’enseignement et la recherche?

On obtiendra une réponse à cette question à l’occasion de la cinquième assemblée organisée à Bologne en 1969. Une redéfinition de l’autonomie dans les sociétés développées allait déterminer la capacité des universitaires et des étudiants d’influencer la politique de la science et la formation pour la carrière. En effet, la CRE jouait déjà un rôle important dans le débat politique, son Comité agissant en tant qu’organisme non-gouvernemental du Comité pour l’enseignement supérieur et la recherche du Conseil de l’Europe, un comité où chaque pays pouvait avoir deux délégués et, en même temps, deux votes indépendants: l’un représentant les autorités, l’autre représentant l’enseignement supérieur. Le Comité, qui s’est réuni deux fois par année, a fait son compte-rendu aux ministres de l’éducation du Conseil et a discuté des sujets d’un intérêt commun pour les vingt-deux pays qui, à ce moment-là, étaient membres de l’organisation.

A cause des révoltes des étudiants, qui ont été très intenses à Bologne, on a décidé de se réunir à Genève. Jusqu-à ce moment-là, CRE avait été institutionnalisée, mais sa capacité d’influencer la prise des décisions politiques été mise en doute par la vague des troubles des étudiants, qui ont déstabilisé beaucoup de ses membres, puisque les institutions individuelles et des parties des systèmes nationaux d’enseignement supérieur étaient bouleversées.

Par exemple, les réformes d’Edgar Faure, en France, ont détruit un système qui n’avait pas trop évolué depuis le Dix-neuvième siècle. La carte de l’enseignement supérieur a changé dans quelques mois, et on a fondé de nouvelles universités partout dans le pays, en suivant souvent des lignes disciplinaires et idéologiques, pour satisfaire les besoins massifs de formation de la génération de l’explosion démographique d’après guerre. Tous les pays subissaient des transformations de ce genre, puisque les demandes

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étaient plus ou moins similaires partout. En effet, au milieu des années 1960, le système européen de l’enseignement supérieur avait atteint un seuil de son développement. Les institutions académiques respectives devaient faire face maintenant à de nouveaux groupes d’étudiants, de nouvelles évolutions de la carrière et de nouvelles relations avec l’industrie et la communauté.

En même temps, les difficultés de la reconstruction d’après guerre ont été surmontées par un redressement économique prospère qui a permis la démocratisation des sociétés traditionnelles européennes. Les nouveaux groupes obtenaient l’accès à la richesse et demandaient à avoir leur mot à dire sur les processus décisionnels. Dans les universités, ce processus a conduit à un excès de gouvernement par des assemblés, mais aussi à une participation organisée à la prise collégiale des décisions comme, par exemple, en Pays Bas. On a essayé de regarder l’enseignement supérieur comme un entier, les universités constituant seulement un secteur d’un système d’enseignement plus global. Les limites entre l’enseignement académique et l’enseignement professionnel se sont confondues, par exemple, dans le cas des Gesamthochschulen. On avait témoigné la disparition de tant de références classiques de l’université que, en 1974, lorsque les universités s’adaptaient encore aux nouvelles contraintes de l’enseignement supérieur de masse, l’Assemblée de la CRE réunie à Bologne put seulement faire le point des changements et des réformes qui avaient eu lieu partout en Europe, en essayant de s’imaginer comment elles influenceraient l’enseignement supérieur dans les années à suivre. Les acteurs de la coopération académique Qui était responsable de la coopération et la mobilité académiques? Principalement, les dirigeants des institutions individuelles, d’autant plus que, dans les universités traditionnelles, ils avaient peu de pouvoirs en dehors de leurs devoirs représentatifs. Par conséquent, pendant les années 1950 et au début des années 1960, il était évident que les relations internationales constituaient la tâche du chef académique, souvent un universitaire ou un savant connu dont le prestige pouvait soutenir les relations de l’institution, au niveau national ou international. Primus inter pares, le chef élu de l’institution recevait d’habitude un mandat court qui ne lui offrait pas assez de temps pour une politique indépendante de celle décidée par le Conseil d’une université donnée. A cette époque-là, les universités étaient plutôt petites, et le gouvernement collégial permettait aux dirigeants élus d’avoir une vision objective sur le rôle de leurs institutions – même dans les affaires européennes. De plus, à cause des difficultés de la reconstruction et des nombreux obstacles administratifs et financiers qui empêchaient les transformations, la mobilité du corps didactique et des étudiants était minime; cela souligne l’importance de la coopération en réseau, surtout dans la recherche scientifique, comme par le CERN à Genève. Par conséquent, au début de l’existence de la CRE, l’organisme clé de l’Association a été le Comité Permanent, le seul forum international où les universités puissent mettre en parallèle des commentaires sur leur évolution collective.

Après 1964, ce comité-là préparait les positions des universités avant les discussions sur la politique de l’enseignement supérieur avec les délégués ministériels du Comité de l’enseignement supérieur et de la recherche (CHER) – souvent, les mêmes

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personnes que les recteurs rencontraient au niveau national. En fait, chaque réunion de ce Comité était précédée d’une rencontre d’une journée des délégués universitaires, le Comité permanent de la CRE, pour développer des points de vue convergents en vue de la rencontre avec les représentants gouvernementaux. La “valeur ajoutée européenne a concordé avec le fondement défini pendant ces six mois de réunions. En dehors des Assemblées générales et avant les répercussions des troubles des étudiants de 1969, on n’avait pas mis en discussion des problèmes communs partagés par tous les membres de la CRE. Pourtant, il y avait un consensus général sur la fonction des universités dans la société et sur les tendances qu’on s’attendait à affecter les universitaires, et il n’était pas nécessaire d’affirmer ses propres opinions sur la contribution de l’enseignement supérieur au développement de l’Europe.

Pourtant, à cause des rôles nombreux et souvent divergents imposés aux institutions académiques par l’enseignement supérieur de masse, une tendance qui exigeait une comparaison internationale, découlant de l’apparition des moyens d’échange entre les institutions d’enseignement supérieur, au moins en Europe de l’Ouest et entre l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord (d’autant plus que la convertibilité des monnaies était devenue une règle), la présence diminuée de la CRE a été perçue comme un service plutôt discret – même minimal – destiné à ses membres. En considérant aussi le fait que le Conseil de l’Europe représentait seulement la partie de l’ouest du continent, en 1969 on a pris la décision de séparer la CRE du Conseil de l’Europe et de réaffirmer les ambitions paneuropéennes de l’association. Le résultat en fut que le Comité Permanent est devenu autonome, en se concentrant sur le développement académique comparatif et, pour encourager la participation, on a proposé de les associer à des séminaires thématiques, limités à environ soixante participants, où on discuterait les questions clef du gouvernement universitaire.

Certains ont décrit ces séminaires comme une “formation permanente” pour les dirigeants académiques qui, après les réformes qui ont suivi aux troubles induits par les étudiants en 1968, ont été obligés par les nouvelles réglementations de s’impliquer de plus en plus dans l’administration détaillée de leurs institutions élargies. Ce changement de pratique a eu souvent comme conséquence des changements en ce qui concerne la direction académique, bien des universitaires prestigieux de la période passée étant réticents à s’engager dans l’administration de l’université pour quatre jusqu’à huit années de leur vie, au risque de compromettre leur carrière scientifique. Par conséquent, pendant les années 70, l’administration stratégique est devenue le lieu de convergence d’une nouvelle “espèce” de dirigeants académiques, d’habitude des membres plus jeunes du corps didactique, intéressés à l’université en tant qu’entreprise. Pour ces dirigeants, qui avaient souvent moins des liens de recherche globaux que leurs prédécesseurs, la prise de décisions au niveau international était devenue plutôt une question ésotérique. Ils étaient plus intéressés aux détails pratiques concernant l’accès, la reconnaissance, l’efficacité éducationnelle, la décentralisation institutionnelle, l’intégration des étudiants minoritaires, des problèmes rencontrés avant tout au niveau institutionnel et dans un contexte national. Les comparaisons ont aidé à placer ses propres problèmes dans un contexte, plutôt qu’à trouver des solutions communes. Le futur a ressemblé à l’extrapolation des réalités présentes, et d’ici, le sujet de l’Assemblée de Bologne en 1974, “Les Universités européennes: 1975-1985”.

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Cet exercice de prévoyance collective a été éclipsé depuis 1969 par une autre question, longtemps négligée, mais qui venait désormais à attirer l’attention: Qu’est-ce que c’est que l’Europe? Le problème était essentiel pour la coopération et la mobilité européennes. LA QUESTION EUROPEENNE

En effet, 1968 a été aussi l’année du “Printemps de Prague” et, trois semaines avant l’Assemblée de Genève du début de septembre 1969, les chars soviétiques étaient rentrés en Tchécoslovaquie pour rétablir un régime plus sensible aux désirs de Moscou que le gouvernement d’Alexander Dubček. En deçà d’accueillir les réfugiés, les démocraties occidentales n’ont pas réagi, en respectant la division de l’Europe décidée lors de la Conférence de Yalta. Beaucoup, surtout parmi les intellectuels, ont senti que, par omission, ils avaient trahi leurs idéaux de démocratie et les droits de l’homme, les mêmes buts nobles qu’on avait pris pour des points de repère dans les réformes administratives et organisationnelles de l’enseignement supérieur de l’Europe de l’Ouest. Crûment dit, l’Europe de l’Est du rideau de fer, pouvait-elle jouer encore un rôle dans l’intégration régionale ou fallait-il que les membres du Conseil de l’Europe ou, en effet, seulement les pays qui construisaient la Communauté, monopolisent le concept d’Europe?

En effet, l’idéal européen semblait incompatible avec les objectifs communistes d’édifier une société internationale beaucoup plus étendue que le continent européen. Pourtant, le coût payé par les communistes pour mettre fin à la guerre, dans l’Union Soviétique et les pays qui se sont opposés à l’occupation nazi à l’Ouest, a déterminé les partis communistes à devenir, pendant le développement démocratique, des partenaires à part entière, même si difficiles, des pays membres du Conseil de l’Europe, surtout de l’Italie et de la France. Fallait-il qu’ils restent sans des responsabilités nationales lorsqu’ils faisaient la preuve de leurs bonnes habiletés managériales au niveau local et régional? Leur fidélité aux idéaux internationaux, devait-elle l’emporter sur les obligations nationales en cas de crise, pour ne pas mentionner les obligations européennes? C’était le dilemme qu’on allait résoudre par le compromesso storico qui a envisagé le partage du pouvoir entre les communistes et les démocrates chrétiens en la République Italienne.

La coopération possible entre Peppone et Don Camillo – pour mentionner les personnages populaires des romans de Guareschi – n’était pas seulement un problème d’urgence dans la Valée du Pô, mais c’était aussi un problème important pour l’Europe. Par exemple, les changements radicaux de la politique ibérique trébuchaient sur une question similaire: quelles responsabilités fallait-il confier aux représentants des idéaux communistes au Portugal et en Espagne après que les régimes installés par Salazar et Franco avaient disparus en 1974 et 1975? Les groupes européens de gauche, allaient-ils rester de simples marionnettes de la direction soviétique? Ou cette évocation de la fidélité nationale n’était-elle qu’un aspect de la propagande de l’OTAN contre les pays du COMECOM, surtout à cette époque-là où la détente devenait à Moscou un mot-clé pour les stratégies internationales? En effet, on allait remplacer la politique de la guerre froide avec la concurrence déclarée entre deux concepts d’organisation sociale par rapport aux domaines politique, économique et culturel. Mais ce scénario, n’était-il pas qu’une autre modalité de l’Union

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Soviétique de jouer la politique de la grande puissance, en maintenant en même temps la séparation de l’Europe en deux blocs opposés? En effet, pour essayer d’éclaircir le problème, les pays de l’Ouest ont convenu d’organiser la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) avec leurs homologues de l’Est et de lancer les négociations qui ont conduit aux accords de Helsinki de 1975, dont on a consacré une section complète à la coopération intellectuelle et à la mobilité des personnes pendant la séparation Est-Ouest, un problème important pour les universités qui, tout comme celles représentées dans la CRE, prétendaient que l’Europe constituait un seul tout, allant de l’Océan Atlantique jusqu’aux Montagnes de l’Oural.

Bref, après les mesures sévères de Prague de 1969, les deux groupes de nations se trouvaient encore en concurrence, en se faisant concurrence et en coopérant, par leurs substituts dans biens des régions du monde, mais aussi directement dans les arènes internationales où les codes de la confrontation paisible avaient évolué lentement pendant les années. Ce modèle était particulièrement valable pour les institutions des Nations Unies, par lesquelles les pays socialistes développaient des contacts plus proches avec les économies en plein essor du capitalisme occidental.

L’UNESCO est devenue un centre d’intérêt pour les relations gouvernementales Est/Ouest en ce qui concerne l’enseignement supérieur, alors que la coopération inter-universitaire était considérée une responsabilité publique, et le développement de la connaissance était considéré un instrument du développement social dont l’importance justifiait la conduite de l’Etat, si non le contrôle gouvernemental. Dans ce contexte, les efforts basés sur les institutions d’enseignement supérieur elles-mêmes (comme celles composant la CRE) semblaient aux politiciens marginaux au mieux, et ennuyeux au pire. Par conséquent, on a fait de nombreuses suggestions pour rationaliser l’action dans l’enseignement supérieur et dans la recherche, avec le but de stimuler leur contribution à la solution des problèmes urgents, de nature politique et économique. Un plan de ce genre a conduit à la création de l’Université des Nations Unies, un groupe de réflexion pour le système des Nations Unies et un réseau d’institutions se concentrant sur les problèmes concernant la pauvreté, la faim et la solution des conflits, plutôt qu’une université ordinaire avec des étudiants et des professeurs.

Par conséquent, en 1971, on a consulté la CRE sur la création de l’Université des Nations Unies, étant donné qu’en 1967 elle avait reçu un statut consultatif auprès du Conseil social et économique des Nations Unies de Genève (ECOSOC) et de l’UNESCO à Paris. L’année suivante, on a sollicité l’opinion de la CRE sur un autre projet gouvernemental, la création à Bucarest du Centre Européen pour l’Enseignement Supérieur (CEPES), un forum censé permettre des comparaisons entre les politiques d’enseignement supérieur des deux côtés du Rideau de fer. Après une période de réflexion, la CRE a décidé d’encourager le développement de ces nouveaux organismes, même si le CEPES risquait de devenir un concurrent dans la coopération inter-universitaire, d’autant plus qu’il bénéficierait du soutien public dont la CRE, en tant qu’organisation gouvernementale, ne pouvait pas bénéficier. Pourtant, le nouveau Centre bénéficierait de la capacité de stimuler les rapports officiels avec les universitaires et les institutions “socialistes” que la CRE ne pouvait pas aborder qu’avec de grandes difficultés, puisqu’elle était une association privée de dirigeants universitaires. Par conséquent, la coopération avec le CEPES a représenté une modalité opportune de préserver le potentiel des activités communes dans une Europe élargie.

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Simultanément, on progressait dans les préparatifs pour la Seconde Conférence des Ministres de l’Enseignement de la région européenne de l’UNESCO. La réunion a été organisée à Bucarest, les 26 novembre - 3 décembre 1973 et, sous l’égide soviétique, on a fait des propositions pour la création d’une organisation, financée par les gouvernements, des universités d’Europe où les institutions des “pays socialistes” pourraient se sentir comme étant une partie intégrale. Pourtant, la délégation yougoslave a introduit dans la recommandation finale une proposition qui indiquait qu’il faudrait établir une nouvelle association de ce genre “en utilisant les structures existantes”. La CRE, en tant que telle, n’a pas été mentionnée, mais le Conseil et le Comité ont décidé que les seules “structures existantes” dans la coopération inter-universitaire étaient la CRE. Par conséquent, en réponse à la recommandation des Ministres de Bucarest, on a fait une proposition de réviser les statuts de l’association en discutant les modifications particulièrement demandées par les universités non-membres de l’Europe de l’Est. Il faut se rappeler pourtant que, au début des années 70, parmi les 300 membres de la CRE en provenance de vingt et un pays, il y avait des universités de Tchécoslovaquie, de Hongrie, de Pologne, de Roumanie et de Yougoslavie. Par conséquent, une autre possibilité se présentant à la CRE était celle de rester dans des bons termes avec sa politique traditionnelle.

En septembre 1974, la Cinquième Assemblée Générale de la CRE de Bologne a autorisé le Comité à préparer cette révision. Lors de la clôture de l’Assemblée, les participants se sont réunis de nouveau, constituant “une conférence des pairs” avec les représentants des institutions non-membres de l’Europe de l’Est, sous la direction du Recteur de Bologne, le professeur Tito Carnacini. La conférence a décidé de créer un Groupe de travail en vue d’explorer le potentiel d’une coopération inter-universitaire élargie à l’ensemble de l’Europe. En s’appuyant sur ses conclusions, le groupe devrait rencontrer la Commission désignée par le Comité de la CRE afin de discuter les changements dans le Statut. Il fallait finaliser ces négociations à l’occasion de l’Assemblée Générale Extraordinaire de la CRE prévue pour avoir lieu à Vienne en juin 1975, avant l’Assemblée générale de l’AIU qui allait avoir lieu à Moscou en août, lorsque “L’Association des Universités Européennes” était censée être créée comme une contribution à l’accord de Helsinki qui allait définir plus tard, pendant la même année, les conditions d’une détente plus accentuée en Europe – surtout en ce qui concerne la mobilité et la coopération intellectuelles.

Alors que les gouvernements essayaient d’effectuer un rapprochement entre les deux parties de l’Europe, ils étaient également actifs à un niveau sous-régional, surtout en Europe de l’Ouest. Par conséquent, à la fin des années 60, on a demandé de nouveau l’avis de la CRE sur la création d’une institution universitaire sous l’égide des Communautés Européennes. Les membres de la CRE, représentant beaucoup d’autres pays que les six pays du Marché Commun, étaient peu disposés à créer une université supranationale, même si une institution de ce genre pouvait devenir un point de référence en Europe pour les institutions nationales et régionales d’enseignement supérieur. Elle pouvait devenir un établissement modèle qui attire les meilleurs cerveaux et offre les services les plus prestigieux, une institution qui serait imitée et dont on adopterait le modèle dans toute l’Europe, dans la Communauté Européenne et au-delà de celle-ci, en offrant ainsi un centre d’intérêt pour la convergence académique, au moins pour l’ensemble de l’Europe de l’Ouest.

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Pourtant, on considérait la dimension européenne de l’enseignement comme importante puisque le continent avait besoin de citoyens et d’élites intellectuelles conscients de leur héritage commun. Une super-université était-elle vraiment indispensable pour l’accomplissement d’un objectif de ce genre? Le Comité de la CRE estimait qu’une sorte de groupe de réflexion pour la recherche (très similaire à l’Université des Nations Unies, mais au niveau européen), ouvert aux diplômés souhaitant explorer la dimension européenne de leurs sujets d’intérêt, serait ainsi. Comme la position adoptée a coïncidé, plus ou moins, avec les idées dominantes des autorités nationales qui n’étaient pas prêtes à renoncer à leurs prérogatives traditionnelles dans le domaine de l’enseignement, la Commission de Bruxelles a accepté de réduire les ambitions des projets initiaux pour créer l ‘Institut Universitaire Européen de Florence – en étroite coopération avec les universités existantes, qui ont offert des professeurs transférés à Badia Fiesolana, le siège de cette institution. On a utilisé un type similaire d’argument dans le débat concernant la création de la Fondation Européenne de la Science, vue au début comme une organisation qui suivrait le modèle de la Fondation Nationale de la Science des Etats-Unis. On a demandé de nouveau l’avis de la CRE. Se méfiant de toute institution supranationale, les universités considéraient en général, comme dans le cas de l’Institut de Florence, que le rôle de la Fondation Européenne de la Science était de se concentrer sur le développement de dimension européenne de la coopération intellectuelle en coordonnant simplement les divers conseils nationaux pour la recherche de sorte que leurs politiques concernant les subventions convergent dans une sorte d’interprétation globale de la valeur ajoutée européenne par la coopération transfrontalière dans la recherche.

Ainsi, les gouvernements ont pris une fois de plus l’initiative dans l’histoire de la CRE. Ils l’avaient fait au début des années 1950 pour impliquer les institutions dans la coopération académique. Cet engagement antérieur a conduit à la première réunion des recteurs de 1955 et à la création de l’association en 1959. Pendant la plus grande partie des années 60, on a fait des efforts pour affirmer l’autonomie collective des institutions académiques par rapport au gouvernement, par exemple, en devenant le contrepoids à la représentation gouvernementale dans le Comité de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans le Conseil de l’Europe.

Les bouleversements de 1968 ont montré la précarité de cet essai de construire un sens de la communauté académique en Europe. Lorsque la CRE a décidé en 1969 de rompre ses liens institutionnels avec Strasbourg, l’action a représenté une initiative courageuse puisqu’elle imposait aux universités le besoin d’un “but commun” à une époque de fragmentation et de diversification continue de l’enseignement supérieur. Mais la déstabilisation avait également affecté l’association, et la crédibilité européenne de l’organisation a été mise à l’épreuve par les difficultés rencontrées quant à l’accueil de nouveaux membres de l’Est du continent.

Autrement dit, la CRE n’a pas été assez forte en tant qu’ONG pour accomplir ses ambitions politiques. Le résultat en fut que la Grande Europe, au lieu de renforcer la Conférence des Recteurs Européens, a mené à la création de groupes concurrentiels: le CEPES, comme partie de l’UNESCO, d’une part; la nouvelle association requise par les Ministres de l’Éducation de la région européenne, d’autre part. En effet, les gouvernements ont pu imposer leurs priorités du fait que la CRE n’eusse pas atteint un niveau de développement – et un consensus interne – qui lui permette de faire face, dans

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ses propres termes, aux demandes difficiles provenant des autorités publiques. Ce problème est devenu très grave au début des années ‘70 lorsque, partiellement à cause de la crise du pétrole de 1973, on a diminué partout les budgets de l’enseignement supérieur, malgré le nombre de plus en plus grand d’étudiants, en rendant les institutions d’enseignement supérieur de plus en plus dépendantes de leurs gouvernements nationaux. Par conséquent, la CRE a dû être plutôt réactive que proactive. Le point principal du débat de Bologne, en 1974, a été le suivant: comment garder la spécificité en acceptant l’ordre du jour de la réunion des Ministres à Bucarest pour organiser la détente à leur propre manière?

Dans ce contexte, l’Assemblée Générale Extraordinaire de 1975 n’a pu qu’élargir la distanciation entre ces membres (principalement de l’Europe méditerranéenne et partialement d’Allemagne), convaincus que les changements d’attitude des partis et des pays communistes permettaient une coopération renouvelée et fiable entre toutes les régions de l’Europe, un pari politique, et ces autres membres (principalement d’Europe du Nord-Ouest et du Nord), réticents à s’impliquer dans des coopérations étroitement surveillées par les gouvernements. Les neuf mois entre la réunion de Bologne et l’Assemblée de Vienne n’ont pas suffi pour éliminer la distance, d’autant plus que le groupe de travail était composé de membres – et de non-membres – qui s’étaient engagés à faciliter l’intégration des universités qui n’étaient pas encore affiliées à CRE.

Le débat de Vienne s’est concentré sur la continuité de la CRE en tant qu’organisation dans le cadre de la nouvelle Association des Universités Européennes qui serait constituée à Moscou deux mois plus tard. Les membres du groupe de travail étaient arrivés à la conclusion qui les membres qui adhéraient à l’Association de Moscou pouvaient considérer l’organisation comme nouvelle de leur point de vue, alors que les anciens membres de la CRE pouvaient considérer l’Association des Universités Européennes, dont ils devenaient automatiquement des membres, comme le véritable successeur légal de la CRE. Cette ambiguïté a été rejetée à Vienne et, lorsqu’il est devenu évident que le besoin de continuité légal reflétait l’opinion majoritaire, les partisans du compromis ont quitté la réunion, ce qui a conduit à l’impossibilité de prendre des décisions par manque de quorum. Les participants qui sont restés ont voté ensuite une résolution qui demandait au Conseil d’“assurer des négociations renouvelées avec nos partenaires de l’Est de l’Europe”.

Le résultat en fut que les universités russes ont rompu tous les liens avec la CRE, alors que les membres de Roumanie, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ont démissionné. Pourtant, les six universités membres de Pologne sont devenues des membres associés. A la veille du mouvement Solidarnosc, c.a.d. à la fin des années ‘70, ces derniers ont payé l’ensemble de leurs frais et cotisations délayés, en indiquant ainsi qu’il n’y avait pas eu d’interruption en ce qui concerne leur appartenance à la CRE depuis 1975. Quant aux universités de Yougoslavie, qui n’avaient pas encore demandé l’adhésion à la CRE, elles l’ont fait à cette occasion.

Autrement dit, la question académique, “ Qu’est-ce que c’est que l’Europe?”, a reçu une réponse peu concluante, si on se rappelle les espoirs d’extension exprimés en 1969. Six ans plus tard, la CRE était plus occidentale que jamais auparavant et n’avait pas réussi à devenir le partisan précoce du compromesso storico. La CRE couvrait les pays qui étaient des membres du Conseil de l’Europe, comme auparavant, mais le lien

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privilégié30 avec le Comité pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche avait été rompu. Bref, il y a eu un échec pour toutes les parties impliquées, surtout pour Konrad Raiser, l’ancien Recteur de Tübingen, qu’on avait élu à Bologne en vue de définir le nouveau statut de l’association.

En effet, la majorité des membres se sont mis d’accord sur le besoin d’une représentation élargie, même s’ils n’avaient pas été d’accord sur la modalité d’atteindre ce but. En 1979, après quatre ans de consolidation basée sur le renforcement interne des activités de base, l’Assemblée générale de Helsinki a confirmé ce choix, qui avait été implicite à Vienne, en éliant comme président Gerrit Vossers, le Recteur de l’Université d’Eindhoven. Ce dernier avait été l’un des partisans de la continuité de la CRE. Il a eu comme contre-candidat François Luchaire, président de Paris I, qui avait été un membre clé du groupe de travail qui avait négocié la métamorphose de la CRE en l’Association des Universités Européennes. DE LA COOPERATION ACADEMIQUE A LA MOBILITE De 1955 à 1975, la coopération académique s’était développée principalement au niveau institutionnel, les dirigeants des universités étant responsables des relations internationales, exprimées par des accords bilatéraux qui annonçaient l’extension possible de la coopération entre leurs propres institutions et leurs homologues étrangers. La coopération multilatérale se manifestait par des organisations internationales, telles que l’AIU ou la CRE, mais rarement a-t-elle impliqué d’autres membres de l’université que les recteurs, les présidents ou les vice-présidents.

L’Union des Universités Latino-Américaines (UDUAL), une autre organisation régionale, avait déjà développé des réseaux de doyens permettant aux responsables dans l’enseignement et la recherche en diverses disciplines de se rencontrer régulièrement pour échanger des idées et pour élaborer des projets de potentielle coopération. Pourtant, à cause de ses ambitions pan-européennes et de la séparation Est-ouest, un développement de ce genre était impossible en Europe en tant que région. On a reconnu très tôt cette réalité, car il était évident qu’on concevait la CRE comme un groupe de dirigeants qui se rencontraient en tant que personnes à cause de leurs fonctions communes, plutôt qu’en tant que délégués de leurs universités. Les troubles étudiantes de 1968 ont prouvé que d’autres membres des institutions pouvaient prétendre la représentation pour leurs besoins présents et leur développement futur. En effet, les hiérarchies ont été renversées après 1968, alors que de nouvelles structures de gouvernement et de participation démocratique étaient mises en place. Comme on l’a déjà mentionné, ces changements exigeaient une nouvelle génération de dirigeants, des personnes beaucoup plus impliquées que leurs prédécesseurs dans les opérations. Par conséquent, à Vienne, la proposition de changer le nom de la CRE (une association des recteurs) en Association des Universités Européennes (un réseau d’institutions) n’a pas constitué de véritable sujet de dispute – même si, à cause du manque de détermination de la réunion, le nouveau nom n’a été officiellement adopté qu’en 1989.

Vers 1975, les universités avaient intégré les changements exigés par l’enseignement supérieur de masse demandé par les conditions égalitaires de 1968. Elles avaient aussi appris à faire face aux changements concernant les exigences de 30 En français dans le texte.

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l’enseignement, en recevant en même temps moins de soutien par étudiant. Cette réduction du financement par étudiant a contribué au besoin de nouvelles structures de décision, aussi bien qu’au développement de nouvelles institutions qui ont concurrencé les anciennes universités. En effet, le paysage académique avait complètement changé. Par conséquent, la seconde phase du développement de la CRE en tant qu’organisation (en fait, jusqu’au début des années 90) s’est fondée sur la satisfaction des besoins des dirigeants des universités – en ce qui concerne les stratégies d’administration et les dilemmes du développement institutionnel.

Sur la base d’un développement opérationnel de ce genre, on a pu réclamer l’autonomie universitaire par rapport aux gouvernements qui accordaient les subventions et, dans le cadre de l’association, on a pu renforcer l’autonomie collective de sorte qu’on puisse à la longue considérer comme normale l’intégration des partenaires de l’Europe Centrale et de l’Est dans la communauté académique européenne. Des universités fameuses telles que celles de Prague, Halle, Leipzig, Budapest, Pécs, Cluj, Cracovie, Varsovie, Vilnius ou Tartu avaient joué des rôles historiques clé, similaires à ceux des institutions de l’Ouest, en fournissant à leurs pays des références culturelles et en les rendant des membres à titre entier de la famille européenne des nations. Cette évolution serait d’autant plus naturelle qu’elles doivent répondre aussi aux demandes d’un nombre de plus en plus grand d ‘étudiants et faire face à la marginalisation budgétaire dans les allocations de l’Etat.

Par conséquent, durant les années ‘70, on a muté tout d’abord l’accent du développement institutionnel sur la coopération inter-universitaire, en passant lentement des accords d’administration centrale aux joint-ventures départementales. A un niveau inférieur, la même situation caractérisait les universités de l’Est de l’Europe. Dans la mesure où les références nationalistes sapaient les prétentions internationalistes d’une Europe “socialiste”, ils y avaient en effet des opportunités pour une coopération académique véritable censées relier les institutions, malgré la complexité inhabituelle des consultations et des procédures.

On a rapporté ces efforts lors de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, lorsque la CSCE s’est réunie à Belgrade en 1977 pour faire le point sur l’implémentation des recommandations faites à Helsinki en 1975. En 1978, le Recteur de l’Université de Varsovie a réitéré l’invitation faite à Trieste et a offert une plate-forme pour la discussion de l’impact de l’accord d’Helsinki sur les problèmes de l’environnement et de l’enseignement supérieur. Pour réaffirmer la convergence de l’esprit de l’accord de 1975 avec la politique des portes ouvertes de la CRE, l’organisation a également accepté d’organiser en 1979 sa Septième Assemblée générale dans la capitale de la Finlande. Autrement dit, après 1975, les institutions ont dû démarrer un processus de redécouverte de l’autre – en Europe de l’Ouest aussi – où un désaccord important entre le Nord et le Sud était devenu évident. Au début, la CRE a maintenu un profil bas – dû en partie aux difficultés financières déterminées par l’Assemblée de Vienne et par sa préparation. Pourtant, elle a continué d’organiser ses conférences bisannuelles réunissant des recteurs de différents pays en vue de comparer des problèmes communs de leur point de vue de “non-spécialistes”, chaque session étant facilitée par un membre. Cette procédure a prouvé la multiplicité des expériences existantes en Europe en ce qui concerne le développement institutionnel. Cette discussion a également exigé une réflexion sur le

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caractère commun des situations dominantes en diverses parties du continent, pour les cas où les tendances européennes deviendraient évidentes. Cette tournure vers les problèmes académiques internes de la part de la CRE n’a été compensée que partiellement par la participation aux discussions externes organisées par l’AIU, le Conseil de l’Europe et l’UNESCO.

Les membres de la CRE ont également joué un rôle dans la première étape du développement des Programmes communs d’études (Joint Study Programmes - JSP), organisés par l’Institut pour l’Éducation de la Fondation Culturelle Européenne de Paris, des programmes qui expérimentaient les idées qui allaient devenir essentielles pour le Programme ERASMUS (Le Plan d’action de la Communauté Européenne pour la mobilité des étudiants des universités), lancé par la Commission Européenne dans la seconde moitié des années ‘80. En s’écartant du niveau de responsabilité institutionnelle, les JSP abordaient en effet les universités au niveau des départements qui assuraient l’enseignement des diverses disciplines dont on encourageait le rapprochement 31 international et multilatéral. Cette tendance s’est avérée le moteur principal de la coopération académique de la fin des années ‘80 et ‘90. A la fin des années 1970, le futur impact n’était pas encore évident et le travail de la CRE se concentrait encore sur la responsabilité institutionnelle globale des dirigeants académiques par rapport à la place de l’université dans la société.

Si de 1975 à 1979 la CRE avait été obligée de se mettre en pénombre, de 1979 à 1984, sous la direction du Président Vossers, elle est redevenue très active. La Septième Assemblée de Helsinki avait demandé une “intensification en ce qui concerne l’implication des membres dans les processus analytiques, en insistant surtout sur les dimensions régionales et sectorielles des universités en tant qu’institutions”.

A part le forum représenté par les conférences bisannuelles, on a organisé des séminaires plus restreints pour étudier les problèmes quotidiens d’administration, en rendant ainsi les dirigeants d’universités qui y participaient conscients de la convergence et la divergence qui caractérisaient les politiques universitaires européennes. Pendant ce quinquennat, on a organisé cinq séminaires d’administration pour les dirigeants exécutifs récemment nommés, conjointement avec le Programme d’administration internationale de l’enseignement supérieur (International Management of Higher Education - IMHE) de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économiques (OCDE), un nouveau partenaire de la CRE.

On a organisé quatre autres réunions, conjointement avec les conférences nationales des recteurs, dans l’intention d’offrir une perspective internationale sur une question brûlante qui était au premier plan dans chacun des pays respectifs. La CRE devait composer l’équipe européenne de visite, alors que la conférence nationale organisait la réunion avec ses membres. Par conséquent, en 1981, à La Rábida, en Espagne, on a placé les problèmes de l’autonomie universitaire, comme ils étaient traités par la nouvelle loi universitaire, dans le contexte des pratiques dominantes dans d’autres pays du continent. Quelques mois plus tard, on a étudié le même sujet avec des universités de Turquie, où on envisageait aussi des changements importants en ce qui concerne la législation. En 1983, la régionalisation pendant une époque de récession économique a été le sujet d’une autre réunion avec les recteurs espagnols, cette fois-ci à Córdoba, alors que, en automne, à Dubrovnik, les recteurs de Yougoslavie ont demandé 31 En français dans le texte.

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qu’on compare le système d’administration de leurs universités avec la prise de décisions académiques dans les autres configurations institutionnelles européennes.

Au cours de ces sessions, le motif sous-jacent a été la nouvelle identité de l’université dans un système d’enseignement supérieur de masse. En plus, les universités pourraient-elles avoir une spécificité européenne commune dans un contexte social modifié? En 1981, le Conseil a créé un Consortium des Chercheurs pour répondre à cette question. Soutenus par les universités membres, ils se sont lancés dans une investigation interdisciplinaire dans le but de placer la situation présente dans son contexte historique. Après tout, ce n’était pas la première fois que les institutions académiques soient transformées en vue de correspondre aux nouvelles conjonctures sociales. Par conséquent, ces experts ont proposé d’analyser l’évolution de la fonction sociale des universités.

En 1984, à l’occasion du Vingt-cinquième anniversaire de l’association, la CRE a présenté à ses membres une Petite encyclopédie des universités européennes (Jilek, 1984). Cet effort a représenté une étape préliminaire d’un effort beaucoup plus ambitieux, la préparation d’une Histoire de l’Université en Europe (de Ridder-Symoens, 1992-1996), un ouvrage de quatre volumes utilisant des grilles analytiques similaires pour décrire l’évolution de l’université dans la société européenne. Sa périodisation couvre l’aube du Moyen Age, le début de la Période moderne (jusqu’à la Révolution française), l’industrialisation et la période coloniale (jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale), ainsi que l’après-guerre. Avec un grand retard, les premiers trois volumes ont abouti à la publication chez Cambridge University Press, et les traductions en allemand, portugais, russe, espagnol et chinois sont en cours. Le dernier volume est toujours en préparation. L’espoir du Comité, au début des années 1980, était de développer un modèle de coopération inter-universitaire où la CRE serait le catalyseur de nouvelles idées, le sponsor et le coordonnateur d’études effectuées à l’aide des membres et avec le soutien d’agences externes de financement.

D’une certaine façon, les universités apprenaient comment “lire réciproquement le contexte des autres universités” et comment identifier les problèmes des institutions sœur, tout en devenant conscientes de leur propre spécificité. On ne demandait point aux institutions de changer en raison des développements internationaux, mais simplement de devenir conscientes de leur place dans le système de l’enseignement supérieur de l’Europe. Le rôle de la CRE était celui d’un courtier qui réunit les partenaires, sans avoir de parti-pris.

Ce premier pas dans le domaine des relations internationales était sans doute nécessaire à ce moment-là, comme il le demeure aujourd’hui. Il a justifié la position prise par l’Association en tant que tout, même si les déclarations d’intention tendaient à rester plutôt superficielles aussi longtemps que les membres ne se lançaient pas dans des changements convergents qui expriment le caractère européen commun de leurs situations variées. En février 1980, à Hambourg, la CSCE a organisé un Forum Scientifique où on a présenté un mémorandum de ce type sur les conditions de développement de la recherche internationale. Quelques mois plus tard, en juin, la Troisième Conférence des Ministres de l’Éducation de la Région Européenne de l’UNESCO s’est réunie à Sofia où on a présenté le compte-rendu de la CRE sur les négociations Est /Ouest engagées par les universités à la suite de la recommandation de Bucarest de 1973. Les Ministres ont accepté le status quo et ont indiqué que toute

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participation élargie des universités dans l’intégration européenne devrait utiliser le canal de la CRE afin de progresser aussi vite que possible.

Il s’est avéré cependant difficile de tirer profit de ce moment, que les partisans de la continuité considéraient une victoire, dans le sens de l’accroissement du nombre de membres de la CRE parmi les universités de l’Europe de l’Est. En juin 1981, on a organisé à Genève une réunion spéciale du Conseil pour explorer de nouvelles formes de coopération. On y a officiellement invité les recteurs des universités situées dans les capitales des pays qui n’étaient pas encore représentés dans l’association. Du fait qu’aucune université n’a répondu positivement à cette invitation, il a fallu remettre la réunion à plus tard, alors qu’on a gardé les rapports par des visites lors des conférences régionales des recteurs, telles que celle de la région balkanique, et par la participation au séminaire de Dubrovnik, Univerzitet Danas, ou par la participation à l’activité du CEPES.

Cette difficulté de progresser a été sans doute accrue par la situation politique du moment. L’un des résultats indirects de l’Accord de Helsinki avait été le développement du mouvement Solidarnosc de Pologne, qui a conduit en 1981 à la création d’un gouvernement soutenu par les syndicats, un gouvernement qui a travaillé pour la transformation démocratique et économique du pays. On a voté de nouvelles lois, surtout dans le domaine de l’enseignement supérieur. Sera-t-il l’exemple de la Pologne suivi dans d’autres parties de l’Europe “socialiste” ou la transformation sera-t-elle bloquée – comme à Prague en 1969 – avant de s’avérer trop dangereuse pour le système en tant que partie entière de l’Est du Rideau de Fer ? Lorsque le général Jaruzelski prit le pouvoir en 1982 et essaya d’annuler les accomplissements de la Solidarnosc, la CRE a demandé immédiatement à ses membres de renforcer leurs liens avec les universités polonaises, alors que son président et son vice-président ont visité les Universités de Varsovie et de Cracovie, pour y affirmer clairement leur soutien à l’organisation démocratique de l’enseignement supérieur. En l’occurrence, on n’abrogea point la loi, même si on l’interpréta d’une manière stricte et mit les principaux partisans de la réforme en état d’arrestation à domicile pour de bonnes années. A l’Ouest, le gouvernement de 1981 de François Mitterrand incluait des ministres communistes, mais en Italie, par l’assassinat d’Aldo Moro en 1978 et par l’attaque armée de la gare de Bologne en 1980, les Brigades Rouges ont mis en péril toutes les tentatives de partage du pouvoir entre les démocrates chrétiens et les communistes. Bref, la situation politique de l’Europe était trop explosive pour permettre la coopération institutionnelle entre les universités situées des deux parties du continent.

Ensuite, sur la base des contacts faits à l’AIU, dans le Conseil de laquelle la CRE était représentée en tant que membre associé, on a initié de nouvelles coopérations avec d’autres partenaires, comme le Conseil Américain de l’Éducation (ACE), l’Organisation InterAméricaine des Universités, et l’Union des Universités Latino-Américaines (UDUAL). L’Amérique latine n’était-elle pas l’une des régions du monde les moins connues aux universités non-ibériques de l’Europe mais, en même temps, l’une des plus “européennes” quant à l’organisation académique et à la culture? Ce caractère commun, ne justifierait-il un programme de coopération ouvert aux membres des deux associations? L’idée nécessitera quelque quatre ans de plus avent de devenir une réalité.

La présence de plus en plus marquante de la Commission Européenne dans l’enseignement supérieur, en principal pour permettre la liberté de mouvement des ouvriers et des professionnels, exigée par le traité de Rome, a amené les membres du

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Comité, représentant les pays de la Communauté dans la CRE, à créer leur propre groupe pour discuter les problèmes de la Commission Européenne. Ce groupe, connu sous le nom de Comité de Liaison, est devenu en 1995 la Confédération des Recteurs de l’Union Européenne, après s’être éloigné de la CRE, en partie avec le soutien du Groupe de travail pour l’éducation de la Commission, qui avait besoin d’une organisation homologue dans une “Europe plus petite”, afin de se consulter au sujet des propositions de la Communauté Européenne dans le domaine de l’enseignement supérieur.

Pourtant, dans le but de maintenir une compréhension plus profonde de l’Europe, la CRE a également stimulé les relations régulières avec les conférences nationales des recteurs, qui étaient membres de son Comité, surtout par des réunions de secrétaires des conférences nationales, pour surveiller le potentiel de convergence en ce qui concerne les politiques de l’enseignement supérieur dans toute l’Europe. Par conséquent, sur un continent encore officiellement divisé en deux parties, la coopération académique a dû, pour devenir crédible, d’une part s’éloigner de l’“obsession” Est/Ouest, en considérant les liens avec les pays socialistes comme une question relative à la coopération universitaire avec le reste du monde et, d’autre part, ancrer son développement européen aux similitudes des transformations nationales dans le domaine de l’enseignement supérieur – qu’elles soient encouragées par la Commission Européenne ou par les gouvernements des différents pays du continent.

LA CREATION D’UNE COMMUNAUTE ACADEMIQUE EUROPEENNE: DE 1984 A 1989 A Athènes, la Huitième Assemblée générale de la CRE a élu comme président Carmine Romanzi, Recteur de l ‘Université de Gênes. Héros de guerre italien, microbiologiste de renommée dans son pays, descendant d’une famille distinguée de professeurs universitaires et président, bien placé du point de vue politique, de la Conférence des Recteurs Italiens, il a incarné l’équilibre entre tradition et progrès, le thème adopté par le Comité pendant son quinquennat. Son passé glorieux ne constituait point une raison d’atermoyer mais, au contraire, d’agir, d’ajuster et de changer. Si Gerrit Vossers, son prédécesseur, avait présidé la CRE en agissant en tant que courtier entre ses membres et ses partenaires, en reconnaissant leur existence respective, le nouveau président devrait ouvrir une nouvelle étape pour l’organisation dans le sens du développement de son rôle de médiateur. Après une période de “tâtonnement”, les membres seront invités à coopérer pour le développement mutuel par des activités communes, en générant ainsi le sentiment d’une responsabilité commune qui rende possible l’appartenance à une même communauté culturelle. Il s’agirait d’une communauté où les universités seraient le lieu de l’intégration européenne.

C’est dans les choses ci-dessus mentionnées qu’on peut trouver le sens des festivités organisées en 1988, à l’occasion du Neuvième Centenaire de l’Université de Bologne, nommée aussi Alma Mater des Universités de l’Europe. En suivant l’exemple de Giosuè Carducci, le poète et le professeur de littérature italienne qui avait organisé les cérémonies du huitième centenaire autour du rôle des universités en tant que l’institution commune de l’unité italienne, un siècle plus tard, on reconnaîtra les universités comme les institutions communes pour tous les pays de la région, en effet, le creuset de l’Europe

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dans cette entreprise. Avec le soutien principal du gouvernement italien et de FIAT, Fabio Roversi-Monaco, le Recteur de l’Université de Bologne et Giuseppe Caputo, son conseiller, ont proposé un programme complet d’activités sur une période de plus d’une année. Ces activités incluaient la rénovation et l’inauguration de bâtiments académiques, l’organisation d’innombrables réunions scientifiques, et des doctorats honorifiques accordés non seulement aux savants les plus connus, mais aussi aux personnalités de prestige du continent – du Pape Jean Paul II jusqu’à Mikhaïl Gorbatchev.

Le but était de réaffirmer la fonction politique de l’université dans le développement intellectuel de la société. On a demandé aux dirigeants des différents gouvernements de l’Europe de reconnaître le rôle décisif de l’université dans la formulation des idées qui avaient conduit à l’intégration des différentes cultures du continent dans une Europe unitaire et harmonieuse. D’ici, la proposition de faire le projet d’un document de référence au sujet de l’identité européenne des universités, la Grande Charte Universitaire (Magna Charta Universitatum), rédigée sous l’égide de la CRE, son président étant le premier signataire du document le 18 septembre 1988, pendant la grande cérémonie occasionnée par les festivités du neuvième centenaire.

Ces festivités ont impliqué quelque 430 de recteurs des universités de toute l’Europe, de l’Ouest et de l’Est (y inclus de l’Union Soviétique), et d’autres parties du monde aussi, qui ont solennellement signé la Charte, alors que les partenaires traditionnels de l’université ont assisté à cette affirmation symbolique de l’autonomie universitaire et de la liberté académique. Ces autorités étaient représentées par le Président de la République Italienne, plusieurs Ministres, un hôte des Ambassadeurs, aussi bien que les prélats de l’Eglise et les dirigeants de la Ville.

Pour la CRE, la participation aux festivités du Neuvième Centenaire de Bologne n’a été qu’une partie, une partie essentielle en effet, d’un programme complet d’activités destinées à analyser la tension constructive de la polarisation de l’université entre tradition et progrès. On a débattu sur des thèmes comme l’excellence académique, les nouvelles technologies de l’information, les rapports université/industrie, l’internationalisation et les dirigeants académiques en tant qu’agents du changement. Précédemment, en 1985, le Comité avait demandé aux gouvernements d’investir dans les réseaux de communication en tant que soutien de la coopération inter-universitaire et, une année plus tard, a pressé les autorités européennes de lancer le programme ERASMUS pour la mobilité académique et d’éviter les objections de dernière minute.

Jusqu’à ce moment-là, les membres de la CRE, devenus conscients de leurs besoins comparables, ont pu envisager des domaines communs d’action qui ont conduit au développement supplémentaire de leur identité partagée. La CRE avait aussi perçu son rôle en tant que médiateur pour les nouveaux partenariats potentiels. De bons exemples en seraient les initiatives dans les domaines qui suivent. LES RAPPORTS UNIVERSITE - INDUSTRIE En 1987, le Comité, en tenant compte des nouveaux liens créés avec les fournisseurs principaux de la technologie de la communication, a établi que la CRE deviendrait l’un des membres fondateurs du Programme Euro PACE Programme, proposant une formation permanente pour l’industrie, un Programme dirigé par un comité exécutif ayant à sa tête Hubert Curien, ancien ministre français de la recherche, et où Gerrit Vossers,

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l’ancien président de la CRE, représente le monde universitaire. En plus d’un délégué la Société européenne pour l’enseignement technique (SEFI), il y ont participé onze membres représentant autant de sociétés industrielles dominantes de l’Europe. Plusieurs de ces industriels étaient aussi membres de la Table ronde européenne des industriels (ERT), une association créée par Per Gyllenhammar, le président d’alors de Volvo en Suède. Le groupe de travail de l’ERT pour l’enseignement était dirigé par le président de Nokia, Kari Kairamo qui, en septembre 1987, avait organisé à Helsinki une réunion exploratoire avec une délégation du Comité. Cette action a conduit à la création du Forum CRE/ERT Université/Industrie qui a été lancé à Bologne en septembre, avec un discours programme sur les attentes de l’industrie en ce qui concerne l’université, prononcé par Giovanni Agnelli de FIAT.

Le Forum s’est réuni pour la première fois en février 1989 à Londres et ensuite en juillet à Paris, en réunissant un petit groupe de dix jusqu’à douze dirigeants universitaires et industriels sous la présidence du vice-président de la CRE, le professeur Heinrich Seidel, de l’Université de Hanovre. De la part de l’ERT, Olivier Lecerf, le président de Lafarge-Coppée, avait remplacé Kari Kairamo de Nokia. Le groupe a décidé de concentrer ses activités sur la formation permanente, un domaine clé pour la coopération université/industrie en Europe. Les études du Forum allaient conduire à des positions communes censées être présentées à la Commission Européenne et aux gouvernements nationaux. LE DIALOGUE TRANSATLANTIQUE En novembre 1986, à Ravello, en Italie, à l’occasion du quarantième anniversaire du Programme Fulbright, la CRE a co-financé, avec l’Université de Salerno, une conférence où quinze représentants des associations universitaires américaines et canadiennes ont rejoint autant de délégués des universités européens pour discuter la modalité de développer un dialogue transatlantique à une époque où l’intérêt américain se déplaçait de l’Europe vers d’autres partenaires, le Japon en particulier. Cette réunion a eu peu de résultats; pourtant, avec la participation directe du Conseil américain pour l’éducation, depuis 1989, les sessions du dialogue transatlantique, sous le patronage des CRE/ACE, ont été organisées toutes les deux ans à tour de rôle entre Europe et Amérique. LE PROJET COLUMBUS En avril 1987, environ trente recteurs européens et latino-américains se sont réunis à Buenos Aires pour définir le domaine d’une possible coopération, par. ex., l’administration des universités et le développement institutionnel – des questions brûlantes pour plusieurs pays de l’Amérique Latine, tels que l’Argentine, qui était récemment revenue aux structures démocratiques de gouvernement. On y a présenté les résultats des discussions à Raul Alfonsin, le Président récemment élu de la République. Le débat a été médié par Federico Mayor-Zaragoza, ancien ministre de l’éducation en Espagne, alors professeur à l’Université Autonome de Madrid, qui allait devenir le prochain Directeur Général de l’UNESCO. Dans cette qualité, il s’est avéré d’une grande aide pour le nouveau programme qu’on a connu par la suite comme le Programme COLUMBUS (Le programme pour le développement institutionnel entre les universités

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de l’Europe et de l’Amérique Latine). Le programme s’est concentré sur les activités de coopération, sur l’évaluation institutionnelle dans le domaine de l’enseignement et sur les relations université/industrie dans le développement économique. Pendant plusieurs années, le programme a été soutenu financièrement par la Commission Européenne (jusqu’en 1998) et par l’UNESCO (jusqu’en 2001).

Tout cela constituait un nouveau domaine d’intérêt pour la CRE. L’association a essayé de servir de stimulus pour la coopération internationale et l’échange académique dans des domaines d’un intérêt grandissant pour les universités membres: les technologies de l’information et de la communication, les relations université/industrie et la présence de l’Europe dans le monde en général: l’Amérique Latine, la Chine, etc. La préoccupation continue pour les liens Est/Ouest est restée une grande priorité; pourtant, grâce à Franz Eberhard, le Directeur du CEPES de 1981 à 1986, il à été possible d’organiser en avril 1985, suite à la Vingt-huitième Conférence Bisannuelle de la CRE à Vienne, une réunion du Conseil à Budapest, avec les délégués des universités membres et non-membres de l’Est de l’Europe. Les participants ont réitéré l’importance que leurs institutions accordent à l’intensification des contacts entre les deux parties de l’Europe. Il y avait des signes évidents que les modalités de coopération dans l’enseignement supérieur étaient re-évaluées en Union Soviétique, idée confirmée par la présence des universités russes à Bologne en 1988.

En effet, en février 1987, à la conférence des universités des pays socialistes, organisée à Moscou, on a pris la décision d’étendre les possibilités de coopération institutionnelle avec les universités de l’Ouest, comme partie de la politique de perestroïka. Ceci étant, les recteurs des universités des villes capitales de l’Europe socialiste ont demandé à leurs collègues polonais – toujours membres de la CRE – d’organiser à Varsovie une réunion selon le modèle des conférences bisannuelles de la CRE. On a organisé une réunion de ce genre à Varsovie en juin 1988 et son sujet a été “l’Université en tant que creuset de la culture européenne”. Les plus de quatre-vingt-dix participants, trente d’entre eux représentants des universités des pays non-membres (seulement la Roumanie et l’Albanie ont été absentes), ont insisté sur leur appartenance à une culture européenne commune qui a subsumé les différences idéologiques et a fait de la coopération académique une nécessité. L’idée de la CRE était de lancer un programme de coopération Est/Ouest dans le domaine des sciences de l’environnement, qui est devenu le premier Programme COPERNICUS (Le Programme de coopération en Europe pour la recherche dans le domaine de la nature et de l’industrie par des études universitaires coordonnées - Co-operation Programme in Europe for Research on Nature and Industry through Co-ordinated University Studies), un hommage rendu aux hôtes polonais de la réunion.

Pour atteindre ce but, après les festivités du Neuvième Centenaire de Bologne, où les recteurs de la majorité des pays de l’Est de l’Europe avaient signé la Grande Charte Universitaire (Magna Charta Universitatum), les séries de réunions entre la CRE et les dirigeants universitaires de l’Est se sont intensifiées de manière considérable. C’est dans ce contexte que, en septembre 1989, la Neuvième Assemblée générale accueillira environ vingt-cinq nouveaux membres de Bulgarie, Tchécoslovaquie, Hongrie, et d’Union Soviétique, en mettant ainsi fin à l’épopée qui avait commencé au début des années 1970. Le rôle de courtier, développé auparavant, n’a pas disparu, malgré le développement de la fonction de médiateur de la CRE durant cette période. Par conséquent, on a continuer à

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organiser annuellement, avec le soutien de l’OCDE, les séminaires pour les dirigeants exécutifs récemment nommés, alors que le Conseil éditorial du projet d’histoire tenait ses sessions régulières afin de planifier les différents volumes. Le mot “courtage”32 peut résumer aussi l’effort fait en vue de développer un réseau de vingt maisons d’édition universitaires, de l’Est et de l’Ouest, connu sous le nom de Groupe Viterbo, du fait que l’Université de Tuscia a été l’hôte de sa première session en novembre 1987. Pouvaient-elles s’entraider dans la présentation des activités des universités européennes? Il y avait sans doute la possibilité d’une coopération basée sur la confiance réciproque, et le groupe s’est réuni de nouveau à Bologne en 1988 et à Durham en 1989.

Le renforcement de la coopération universitaire, soutenu par la CRE, dont on a pu témoigner entre 1984 et 1989, a été imité dans le cadre de la Communauté Européenne, qui comprendra douze pays membres à la suite de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal en 1986, par l’Acte Unique proposé par Jacques Delors en 1985. En 1992, on allait atteindre une nouvelle étape de l’intégration, la Communauté se transformant en une Union. En fait, la Communauté demandait à ses membres de passer des projets communs, basés sur des approches comparables, sur la compatibilité de leurs décisions, c.a.d. sur une acceptation totale d’une Europe intégrée. Autrement dit, l’Europe en tant que telle, au lieu d’être un élément marginal des affaires nationales, deviendra essentielle au développement de tous les pays participants. Vers le début des années 1990, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche atteindra-il ce niveau novateur de coopération et de “compatibilité” – la conséquence normale d’une grande transparence et d’une “comparabilité” bien réglée ? DES OPPORTUNITES GAGNEES – DES REFERENCES PERDUES A la fin de l’Assemblée de Durham, la CRE semblait avoir réduit l’écart entre l’Est et l’Ouest et elle semblait prête pour la consolidation supplémentaire du sens européen de l’identité de ses membres. Des programmes comme COLUMBUS, COPERNICUS, et le Forum CRE/ERT Université/Industrie abordaient des problèmes courants du développement scientifique et institutionnel des universités, en offrant la possibilité des forums de discussion sur les pratiques d’administration, pour essayer des nouvelles modalités d’action. On avait modifié le statut pour s’assurer que le Comité de la CRE deviendrait un forum clé pour les universités d’Europe pour lesquelles les affaires internationales constituaient le noyau de leur développement. En effet, on avait développé des projets et on avait initié de nouvelles activités de coopération. Pourtant, suite à la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, l’organisation, tout comme la majorité de ses partenaires et de ses dirigeants de l’Europe – ou même du monde en général – a traversé une période de turbulences politiques et sociales profondes, avec bien des opportunités, mais aussi des dangers. Comment l’association s’adaptera-t-elle à cette situation nouvelle? En effet, la polarisation de la politique européenne avait disparu soudainement, en balayant plus de quarante années d’habitude intellectuelles, réflexes politiques et préjugés en matière de politique, basés sur la peur manichéenne de l’autre “partie”. La Grande Europe, de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, était devenue une réalité mais l’essai de la faire vivante s’est avéré plus difficile que jamais, puisque sa dimension même a ouvert la voie pour la différentiation régionale alors que, à 32 Brokerage, dans l’original anglais.

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son centre, l’Allemagne réunifiée a dû assumer un nouveau rôle, celui d’être l’axe de la coopération régionale, plutôt que de rester à ses frontières.

Les obligations, nationales et régionales, ont commencé à changer. Les anciennes identités sont réapparues, rapportées à des mythes culturels oubliés depuis longtemps. En fait, à l’époque de l’ouverture et de la suppression des frontières, l’Europe, plutôt que de s’unifier, s’est fractionnée en parties de plus en plus petites, alors que les différences de revenu entre pays, régions et groupes sociaux sont devenues rapidement évidentes. Du fait des coûts de la modernisation économique et de la transformation sociale de l’Est, on acceptait de moins en moins la solidarité comme modèle d’action politique. La solution la plus simple semblait résider dans une sorte de laissez-faire issu du Dix-neuvième siècle. L’attitude se concentrait sur l’individu en tant que porteur principal du futur du continent, en réduisant ainsi l’horizon temporel des décisions à l’urgence individuelle.

En peu d’années, l’Europe est passée des grands idéaux à la myopie de la précarité, à un monde sans références, une société des groupes d’intérêts qui se disputent, pas seulement en l’ex-Yougoslavie, mais aussi dans les sociétés occidentales. Ici, les délits et l’insécurité semblaient connaître un boum important, au moins dans la tête des citoyens. Dans ce contexte turbulent, où était-il possible de trouver les opportunités pour reconstruire la confidence et le sens commun du but, les ingrédients de l’efficacité sociale? La subsidiarité était-elle suffisante pour rendre les décisions plus proches des citoyens ayant besoin de confiance, ou était-il nécessaire d’inventer de nouveaux modes de concertation afin de retrouver le consensus et les références partagées? Des références, mais dans quel but, pour quelle société – à long terme ?

Les universités ne devraient-elles pas être le centre traditionnel de la réintégration d’une société libre? En effet, en tant que réseau d’institutions du savoir, les universités pourraient prouver que la coopération est possible sur un continent européen où les conditions de travail et de vie sont de plus en plus différentes.

Au-delà des ambiguïtés de choix dictées par la perte des références sociales, la CRE développera les projets et les programmes préparés à l’avance et soulignera leur potentiel pour l’intégration – la phrase clé dans une société qui subissait des pertes. Le fait de fonder ses efforts sur le passé impliquait une triple approche: d’intégrer les universités de l ‘Europe Centrale et de l’Est dans l’association, d’intégrer les politiques de coopération académique européenne et d’intégrer des institutions membres dans un contexte atlantique plus large de coopération avec l’Amérique du Nord et du Sud. Dans tous les cas, on mettra l’accent sur les réseaux inter-institutionnels, puisqu’ils permettent la flexibilité et l’implication directe, avec les problèmes à proximité, en représentant ainsi une clé possible pour la stabilité dans un contexte de turbulences. L’engagement vers l’Europe, qui semblait raisonnable à Durham, devra ainsi devenir un engagement pour les autres Européens, personnes et institutions, si on veut rétablir un ordre social dans les affaires du continent. Différents réseaux d’institutions et de personnes se concentrant sur les préoccupations partagées, le sens commun des identités ou le développement des projets mixtes, étudieront le contenu de cet ordre social. Lorsqu’ils ont connu le succès, ces réseaux, plutôt que de disparaître, se sont transformés institutionnellement dans des associations après avoir atteint leurs objectifs initiaux, en conduisant ainsi à l’apparition d’une série de nouveaux acteurs dans le domaine de l’enseignement supérieur en Europe. Plusieurs de ces nouvelles organisations considéraient la CRE, un des plus anciens

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acteurs, comme un partenaire. Cependant, afin de rester crédible, elle a dû également renforcer son programme et son profil.

Pour marquer cette nouvelle dimension de la coopération européenne, la CRE a organisé en mai 1991 une réunion dans la ville qu’on appelait encore Leningrad. Les participants ont étudié l’administration de la qualité dans l’enseignement supérieur dans le contexte où l’excellence était devenue un concept relatif dans un monde entièrement diversifié de l’enseignement supérieur.

En févier 1993, pour donner suite à cet engagement en faveur des universités de l’autre Europe, la CRE a organisé, de paire avec l’Université de St. Petersbourg, un séminaire pour les dirigeants politiques et académiques de la CEI intéressés par l’extension du Programme TEMPUS (Le Programme pour la mobilité trans-européenne pour les études européennes) aux républiques de l’ancienne Union Soviétique. Le résultat en fut le futur TEMPUS-TACIS (Assistance Technique pour la Communauté des Etats Indépendants - Technical Assistance to the Community of Independent States), un autre ensemble de réseaux variés de coopération entre les institutions.

Pour renforcer ses activités, l’association avait également besoin du soutien de plusieurs groupements permanents d’universités. La CRE jouait encore son rôle bien étudié de courtier. Ainsi, en mars 1990, elle a soutenu la création à Gdansk de la Conférence des recteurs des universités baltiques, ayant en quelque sorte pour modèle la déjà existante Conférence des recteurs du Danube, ces deux associations devenant des partenaires clé dans le développement du programme COPERNICUS. Le secrétaire général et son adjoint se sont également impliqués dans la première étape de développement de l’Université de l’Europe Centrale à Prague et, en 1993, la Fondation Soros, le principal supporter de l’Université de l’Europe Centrale (CEU), a demandé à la CRE et à l’ACE d’entreprendre une étude des problèmes concernant l’administration universitaire en Russie.

Dans d’autres parties de l’Europe, les réseaux étaient devenus aussi des caractéristiques principales de la coopération académique, grâce au développement des programmes de mobilité de la Communauté Européenne, dont la totalité étaient basés sur des regroupements multilatéraux d’universités. Les programmes ERASMUS, COMETT (Le programme communautaire pour l’enseignement et la formation techniques), et LEONARDO (Le programme européen d’action pour la coopération dans le domaine de la formation et de l’enseignement professionnels) ont mené aussi, de manière indirecte, à la création de réseaux. Pour profiter du soutien de l’Union Européenne, bien des universités ont développé des groupes associatifs, construits autour de certaines caractéristiques communes (le type ou la dimension de l’institution, la situation géographique ou le profil thématique, par exemple). C’est ainsi que sont apparus en premier lieu le groupe Coimbra (Réseau des universités européennes traditionnelles), en grande partie conjointement au 900éme anniversaire de Bologne, et ensuite les réseaux Santander (Association des universités communautaires), Compostela et Utrecht ou UNICA (Réseau des universités des capitales de l’Europe), pour n’en nommer que quelques-uns. Ces groupes réunissant de trente à quarante institutions ont essayé de développer le profil d’une Europe partagée par des activités communes, des études mixtes et des projets convergents.

D’autres groupes, dont quelques-uns existent encore, ont trouvé leur raison-d’être dans l’approche des aspects spécifiques de la coopération académique en Europe. Ces

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réseaux “thématiques” s’intéressaient à l’enseignement virtuel – comme le Réseau de l’enseignement à distance européen (European Distance Education Network - EDEN) et l’Association européenne des universités à distance (European Association of Distance Teaching Universities - EADTU), ou à la formation permanente – le Réseau de formation permanente des universités européennes (European Universities Continuing Education Network – EUCEN), et se basaient sur les membres institutionnels, alors que, dans l’enseignement international – l’Association européenne pour l’enseignement international (European Association for International Education - EAIE), dans la recherche sur l’enseignement supérieur – le Consortium des chercheurs dans l’enseignement supérieur (Consortium of Higher Education Researchers- CHER) et l’Association européenne pour la recherche institutionnelle (European Association for Institutional Research - EAIR), ou dans l’administration universitaire – le Réseau des dirigeants et des administrateurs universitaires d’Europe (Heads of University Management and Administration Network in Europe - HUMANE) – les participants étaient des membres individuels, principalement dans ce dernier cas, des fonctionnaires dans les institutions d’enseignement supérieur qui avaient découvert des intérêts professionnels communs à une dimension européenne. Tous ces réseaux sont devenus des organisations dans les années ‘90.

La majorité des membres institutionnels de ces groupes étaient aussi affiliés à la CRE, dont les attributions étaient plus nombreuses et, probablement, moins opérationnelles quant au développement professionnel. La CRE avait reconnu l’importance de ces groupes dans le processus d’européanisation des institutions académiques et avait commencé à coopérer avec eux sur des projets spécifiques, par exemple, avec le groupe Coimbra sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Elle a soutenu aussi la conférence de la Table ronde internationale pour le développement du conseil (IRTAC) de Bordeaux, en 1993, où on a discuté les modalités d’amélioration des services d’assistance pour les étudiants. En 1993, elle a adhéré au conseil consultatif de l’Association pour la coopération académique (ACA), qui avait été créée par les agences nationales pour la coopération nationale, dont la majorité avaient été des partenaires de la CRE dans le groupe de développement du programme TEMPUS. Elle a donné sa bénédiction pour la création en 1991, à Amsterdam, de l’Association européenne pour l’enseignement international (EAIE) et a participé régulièrement à ses activités. Elle a coopéré avec le Réseau des universités européennes pour la formation permanente (EUCEN), et a participé dans le conseil scientifique de son Projet des réseaux thématiques pour la formation universitaire continue en Europe (THENUCE), lors de sa création, en 1996. Elle a développé des projets communs avec le Centre européen pour la gestion stratégique des universités (ESMU). On a intitulé un projet de ce genre La Cohésion européenne des universités.

Dans le paysage changeant de la politique européenne, le développement de l’Union Européenne semblait constituer l’un des rares et stables points de repère auxquels les gens pouvaient se rapporter. Son pouvoir d’attraction s’est exprimé dans l’affiliation de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède en 1995, en apportant ainsi le nombre de membres de la Communauté à quinze. L’Union Européenne était destinée influencer, même de manière plus tardive, les relations académiques et l’université en général. On a fondé ainsi l’intégration sur le concept d’euro-comparabilité des instruments, dont l’utilisation exigeait un sens du caractère commun qui souvent n’était pas présent dans les

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pays qui reconnaissaient l’existence des autres plutôt que de s’adapter aux besoins des autres – au moins au niveau des peuples. Le progrès dépendait de la bonne volonté des Parlements plutôt que de la conviction des citoyens – les Danois refusant le Traité de Maastricht en juin 1992, alors que les Français l’ont accepté avec une marge faible (51.01 pour cent), en septembre. Plutôt que de hisser le drapeau et d’appeler à l’intégration comme une nécessité politique, la Commission de Bruxelles a multiplié ses initiatives dans plusieurs domaines, sous différents prétextes instrumentaux.

La fédération du continent a progressé sous le voile d’une confédération des nations, en permettant aux eurosceptiques d’indiquer les prétendus ordres du jour cachés des eurocrates, dont on présentait les ambitions comme non-démocratiques. Le système s’arrêtera-t-il net, surtout si on permet à certains nouveaux pays, principalement de l’ancienne “Europe socialiste” d’adhérer au processus? Pourront-ils les pays de l’Union Européenne imposer, d’une manière stricte, les acquis communautaires aux pays candidats, alors que, en même temps, elle hésite en ce qui concerne la profondeur et l’amplitude du processus fédératif pour les pays-mêmes qui la composent? L’Europe, en tant que force d’équilibre par rapport aux idéaux internationaux, a-t-elle perdu son aplomb après l’effondrement du communisme?

Dans les années 1990, les universités étaient absorbées par l’ampleur croissante des échanges d’étudiants, surtout par le succès du programme ERASMUS, la vedette de la coopération européenne, ayant impliqué des milliers de participants. La capacité d’intégration du programme se basait sur l’engagement des professeurs prêts à comparer leurs cours à ceux des collègues des autres pays et à adapter l’enseignement de manière à ce que les étudiants locaux et visiteurs développent le sens d’une valeur commune – qu’on a traduit par le Système européen pour le transfert des crédits. Ce succès a déterminé la Commission à publier en automne 1991 un Mémorandum sur l’enseignement supérieur dans la Communauté Européenne, en ouvrant ainsi un vaste débat sur l’avenir de la coopération académique en Europe, surtout après que le Traité de Maastricht a accordé à la Commission certains droits de travailler sur un nombre de questions éducationnelles.

Le Comité de la CRE a décidé de préparer en collaboration avec le Comité de liaison des conférences nationales de recteurs de l’Union Européenne une réponse commune et, après consultation des membres et discussion des recommandations, on a fait parvenir les conclusions au Groupe de travail pour l’enseignement de l’Union Européenne en novembre 1992, en stimulant en général une intensification des activités de coopération. Aussi, on a également entrepris un travail de conseil aux demandes de la Commission relatives au développement du réseau, aux stratégies de soutien des universités d’Europe Centrale et de l’Est, à la mobilité internationale du corps enseignant et sur l’internalisation de la direction dans l’enseignement et dans la recherche. Autrement dit, l’action limitée de l ‘Union Européenne avait de plus en plus besoin, d’une part, d’une compréhension plus profonde de l’Europe, puisque les universités de l’Est se confrontaient à un mélange de préférences traditionnelles d’avant-guerre, d’une part, et de modèles américains de la modernité, de l’autre. En particulier, elles essayaient des solutions commerciales sur le développement organisationnel qui n’étaient pas connues ou, au moins, qu’on n’avait pas exploré dans les pays de l’Union Européenne. Dans cette situation, il y avait un besoin de plus en plus grand de convergence d’objectifs entre le point de vue de la “Petite Europe”, représentée essentiellement par le Comité de

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Liaison, et la compréhension élargie de l’Europe, qui avait accompagnée la CRE depuis ses débuts remontant aux années 1950.

Cependant, en 1995, la responsabilité des échanges d’étudiants a passé des milliers de départements impliqués dans les activités liées à la mobilité à un nombre beaucoup plus réduit d’institutions auxquelles ces départements appartenaient. Pour simplifier le tableau organisationnel de l’Union Européenne, on a donné une structure commune aux divers programmes, le cadre SOCRATES (le Plan d’action de la Communauté Européenne dans le domaine de l’éducation). L’accent que mettait l’ERASMUS sur le contrat institutionnel a donné à la CRE, en tant qu’association d’institutions individuelles, une nouvelle visibilité à Bruxelles. Cette transformation correspond au changement qui a eu lieu dans le cadre de la CRE, de la présidence de Hinrich Seidel, président de l’Université de Hanovre et ancien président de la Conférence des Recteurs Allemands, à la présidence de Josep Bricall, ancien recteur de l’Université de Barcelone et ancien vice-président de la CRE.

Pour la CRE, dont le nouveau président avait été étroitement lié au développement des programmes de mobilité, ce changement a entraîné surtout la supervision des stratégies européennes des institutions impliquées dans l’ERASMUS dans le cadre du SOCRATES. Le travail résulté a conduit aux recommandations pour l’amélioration du programme en tant qu ‘instrument de l’européanisation, qu’on présentait régulièrement au Comité pour l’éducation de l’Union Européenne, réunissant les représentants des gouvernements participants. Le résultat en fut l’augmentation de la crédibilité de la CRE – dans la Commission et dans les cercles gouvernementaux – en tant que partenaire fiable de l’intégration européenne.

En parallèle, depuis 1995, la CRE avait augmenté son soutien au développement institutionnel de ses universités-membres. Dans certains pays comme la France, le Royaume-Uni et les Pays Bas, l’évaluation de la qualité s’était déjà développée pendant les années ‘80. Dans d’autres pays, le besoin s’est fait sentir d’évaluer l’enseignement supérieur, principalement en ce qui concerne la pertinence, les coûts et l’efficacité des services et des programmes académiques, plutôt qu’en ce qui concerne l’adéquation institutionnelle à l’enseignement et à la recherche. L’accent, qu’on mettait généralement sur les programmes, reflétait le besoin de responsabilité sociale, alors que l’accent sur l’administration de la qualité soutenait la capacité interne de changer les institutions confrontées à une grande variété de demandes. Dans ce domaine, la CRE a lancé un projet visant les stratégies concernant la qualité. Une approche de ce genre, orientée sur le processus, était plus ouverte sur les comparaisons européennes que l’évaluation des programmes d’études dont le contenu dépendait d’habitude des règlements concernant l’élaboration des programmes curriculaires.

L’évaluation institutionnelle a constitué le corollaire de l’implication de la CRE dans le processus de l’européanisation. Depuis 1995, l'Association a offert à ses membres la possibilité de passer en revue leur adaptation aux besoins de changement visant l’enseignement et l’instruction, aussi bien que la recherche, par rapport à l’administration de la qualité. Par conséquent, depuis 1998, plus de cinquante institutions avaient demandé des analyses de leur capacité de développement, c.a.d. environ 10 pour cent des membres, alors que des universités d’autres régions du monde, principalement de l’Amérique Latine, se sont montrées intéressées à essayer le système d’“audit” de la

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CRE. Simultanément, depuis 1996, la CRE a également offert à ses membres la possibilité d’évaluer leurs politiques concernant les TIC.

D’une certaine façon, tout comme les gouvernements, les universités avaient accepté le besoin d’approfondir leur compréhension de leurs techniques de développement et de vérifier leurs coûts et leurs bénéfices pour élargir ou réduire leur évolution vers des solutions européennes qu’on atteindrait par une sorte de processus incrémental. Les ambitions européennes liées aux projets de ce genre étaient très limitées; pourtant, en Europe Centrale et de l’Est, les universités essayaient d’évaluer l’euro-compatibilité de plusieurs de leurs réformes après la disparition du communisme. Par conséquent, en 1996, la Commission a demandé à la CRE d’analyser l’impact de 300 projets TEMPUS sur l’administration et la réforme dans cette partie du continent. On a préparé un rapport sur la base des documents d’évaluation interne et sur les visites auprès de dix-huit institutions de onze pays pour contribuer à l’étape suivante du programme TEMPUS. En 1997, on a rédigé à nouveau ce rapport sous la forme d’un Manuel de gestion universitaire dans les pays inclus dans le projet PHARE, un document qu’on a utilisé dans le cadre des ateliers de formation de divers pays.

Une initiative importante de la CRE, relative à l’Europe Centrale et de l’Est et, encore plus, à l’Europe de Sud-Est, a été le Groupe de travail académique (ATF) qu’on avait créé en 1990. Les ressources provenaient des universités membres et de certains gouvernements (de l’Autriche, de la Suède et de la Suisse, en particulier) et étaient destinées à soutenir l’intégration dans la communauté académique européenne des institutions dont le développement a été gravement freiné par les conflits politiques et par le manque des ressources. Après 1994, et après la guerre de Bosnie et de Croatie, l’ATF a réuni annuellement, à Dubrovnik ou Sarajevo, les universités de la région et des membres d’autres parties de l’Europe pour coopérer sur des projets spécifiques de développement. Pour les universités touchées par la guerre, on a organisé des séminaires d’administration en 1997 et 1998 en Bosnie, Autriche et Espagne, en offrant ainsi à la CRE assez de visibilité pour qu’on lui confie en 2000 le secrétariat du Groupe pour l’enseignement supérieur du Pacte de stabilité. Cet engagement pour la solidarité entre l’Est et l’Ouest de l’Europe a renforcé aussi la coopération avec les partenaires de jadis, tels que le Conseil de l’Europe et l’UNESCO-CEPES, et a ouvert la voie à de nouveaux partenariats, tels que celui avec le Séminaire de Salzbourg. Le Projet universitaire de ce dernier assistait des institutions de l’Europe Centrale et de l’Est, y compris la Russie et d’autres pays de la CEI, à tester leur capacité de réforme relative au programme de changements qui prédominait en Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis.

Pour rester fidèle à son acception traditionnelle de l’Europe élargie de la présence de ses membres dans le monde, la CRE a renforcé dans les années 1990 sa présence dans l’enseignement supérieur mondial par le biais de différents programmes. Depuis la fin des années ‘80, la coopération avec l’Amérique de Nord s’est appuyée, en ce qui concerne la partie américaine, sur le Conseil américain de l’éducation (ACE), qui avait soutenu le développement du dialogue transatlantique qui était devenu une chose habituelle, toutes les deux années, dans le programme des deux organisations – le dernier étant organisé au Québec en juin 2001 avec le soutien de l’Association des Universités et des Collèges du Canada (AUCC). Le futur des universités dans une communauté transatlantique – partageant des objectifs scientifiques et organisationnels communs – a constitué aussi le sujet d’une conversation structurée sur l’ACE/CRE, soutenue par la

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Fondation Pew et l’Institut de recherche dans l’enseignement supérieur de l’Université de Pennsylvanie, qui a réuni environ vingt dirigeants universitaires et experts académiques de l’Europe et de l’Amérique de Nord, pour une série de réunions organisées des deux côtés de l’Atlantique en 1991 et en 1992. Ces accomplissements ont formé un numéro spécial de Policy Perspectives (Volume 5, Numéro 1, 1993), qui a souligné les risques et les opportunités liés au développement massif de l’enseignement supérieur et a indiqué le potentiel des stratégies de développement communes aux universités de l’Europe et de l’Amérique.

L’accent sur la direction universitaire et sa capacité de déterminer des changements dans les institutions d ‘enseignement supérieur a constitué le noyau du programme COLUMBUS qui, au début des années ‘90, a établi des liens entre environ trente universités latino-américaines et environ quinze institutions européennes, dans le but de coopérer dans le domaine du développement institutionnel et des stratégies d’administration. De 1989 à 1993, la phase pilote du Programme a été financée par la Commission Européenne, en bénéficiant en même temps un soutien de projet de la part des gouvernements et de fondations de France, de Portugal, et d’Espagne, alors que le Brésil, le Chili, le Mexique et le Venezuela ont également contribué au développement du Programme qui, jusqu’à ce moment-là, s’était déroulé au siège de l’UNESCO à Paris.

Pour la première fois, les universités de toute l’Amérique Latine développaient des contacts multilatéraux et initiaient une coopération en réseau dans les domaines essentiels du développement institutionnel, en suivant le modèle européen d’interconnexion. Par conséquent, en 1990 on a organisé des visites d’étude dans les universités européennes pour des recteurs de l’Amérique Latine, alors que, en 1992, les recteurs européens ont étudié l’utilisation des nouvelles technologies au Mexique. Sur la base des visites des experts européens et latino-américains dans les relations industrielles, on a transformé ces discussions dans des activités courantes incluant des ateliers consacrés aux droits de propriété intellectuelle, des séminaires de formation consacrés aux entreprises en développement et des visites d’étude consacrées aux modèles européens d’évaluation de la qualité. Tous ces événements ont déterminé l’apparition de différentes publications en espagnol et en anglais. En 1994, on a élargi le débat à l’évaluation de la qualité et à l’éducation permanente, en tant que domaines de changement dans le domaine de l’administration universitaire.

La Commission a utilisé l’expérience acquise durant ces activités pour organiser le programme ALFA (L’enseignement supérieur en Amérique latine) qui, après 1994, est devenu sa priorité en ce qui concerne l’enseignement supérieur latino-américain, marginalisant ainsi son intérêt pour COLUMBUS. Par conséquent, on a demandé aux quarante universités qui, jusqu’à ce moment-là, avaient bénéficié de ce programme de la CRE, de prendre la responsabilité de leur développement et de créer un réseau autonome qui reflète leurs propres ambitions en matière de coopération transatlantique. La CRE et l’AULA (Association des universités latino-américaines soutenant le programme) resteront impliquées en tant que pères fondateurs de la nouvelle association qui, jusqu’à la fin des années ‘90, pourra compter sur environ cinquante membres en Amérique Latine et vingt en Europe.

On peut tirer une leçon de l’histoire du programme COLUMBUS, avec tous ses hauts et ses bas: la coopération intercontinentale a permis à la CRE d’entreprendre des essais dans beaucoup de domaines de l’enseignement supérieur, que le Mémorandum sur

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l’enseignement supérieur de l’Union Européenne a présenté comme des questions d’un grand intérêt, mais pour lesquels il était difficile de trouver en Europe des ressources et des partenaires prêts à tester de nouvelles modalités de coopération. On a considéré que ce rôle d’avant-garde était assez important pour les universités participantes pour y investir du temps et de l’argent, souvent dans une large mesure, pour garantir le succès des projets. Les résultats de ces projets ont validé la relevance de l’expérience européenne pour les partenaires latino-américains – et vice-versa, puisqu’on n’a jamais considéré le programme comme un simple effort d’assistance au développement. Autrement dit, il était nécessaire que les universités européennes comprennent leurs propres points forts et points faibles pour tirer un profit maximum des projets de coopération lancés conjointement avec l’Amérique Latine, cette dernière tenant un miroir où les universités européennes pouvaient voir leurs reflets, en devenant ainsi conscientes de leur raison-d’être et de leur identité.

Par conséquent, dans les années ‘90, la CRE a fait des essais au nom de ses membres dans deux domaines de la coopération inter-universitaire, la coopération transatlantique et le développement soutenable. Tous les deux domaines étaient axés sur l’administration universitaire; pourtant, le développement du programme d’études, en matière de contenu, a joué un rôle important dans COPERNICUS, l’accent étant mis, durant quelques années, sur la durabilité des institutions académiques en tant que partenaires dans le développement écologique. Lorsqu’on a considéré ces programmes assez forts, on les a multipliés, en créant de nouveaux réseaux. Une autre leçon que la CRE a tirée de son travail est que toute organisation qui vise à être considérée comme un partenaire important doit avoir un programme propre, fort et très visible, auquel les autres puissent adhérer. Comme la période était caractérisée par des efforts fragmentés et multiples en matière de coopération universitaire, on avait désormais besoin d’un essai d’apporter une cohérence à ces développements distincts. Lorsque le Mur de Berlin est tombé, l’Europe a perdu un sentiment de l’identité qu’elle avait depuis longtemps. Sera-t-elle capable, après quelques années, de redevenir au moins en partie consciente de sa spécificité par rapport aux Etats-Unis et à la commercialisation croissante du savoir qui se développait en divers pays où les universités recherchaient de nouvelles ressources à une époque de grandes restrictions budgétaires?

En septembre 1998, l’UNESCO a organisé à Paris une Conférence Mondiale sur l’Enseignement Supérieur, dans le but d’essayer de replacer l’enseignement supérieur sur les ordres du jour gouvernementaux comme une première priorité pour le développement social. En vue de la préparation de cet événement mondial, on a demandé à chaque région d’organiser des conférences préparatoires. En Europe, la CRE, en coopération étroite avec le CEPES de Bucarest, a organisé à Palerme, en septembre 1997, un Forum européen, destiné non seulement aux dirigeants universitaires, mais aussi aux délégués d’organisations des étudiants, aux syndicats de professeurs, aux associations scientifiques, aux groupes industriels et aux ministères de l’enseignement. On a demandé à ce groupe de participants d’esquisser l’avant-projet du Programme européen pour le changement dans l’enseignement supérieur du XXIe siècle, qu’on proposerait à la Conférence Mondiale une année plus tard. Cela était censé être la contribution européenne aux modalités de changement dans l’enseignement et l’instruction, la formation professionnelle, les bourses et la recherche, aussi bien que dans la transmission des valeurs culturelles qui indiquent la spécificité de l’Europe en tant que civilisation. La

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question européenne était de nouveau au centre du débat, surtout en ce qui concerne la nécessité que la région détermine à la Conférence Mondiale sa capacité de coopération et sa volonté de compétition avec les autres parties du monde.

On a préparé l’ensemble du débat par de nombreuses études de cas des universités membres alors que, en même temps, pour structurer l’Assemblée générale de Berlin de 1998, on a développé un projet, avec le soutien de la Commission Européenne, visant à déterminer les attentes des autorités régionales, des sociétés locales, des chambres de commerce et d’industrie, des étudiants et de leurs familles, des lycées et des institutions d’enseignement supérieur, des associations culturelles et d’autres décideurs vis-à-vis33 des services universitaires dans le domaine de l’enseignement et de la recherche, en essayant en même temps d’évaluer la capacité des universités de satisfaire les demandes de ce genre.

Quatre aspects de relevance académique ont été considérés comme essentiels pour accroître le rôle actif des institutions d’enseignement supérieur en Europe: (i) le développement des ressources humaines; (ii) le développement social et culturel; (iii) le développement régional et économique; (iv) le développement de la communication. Les études des membres et les visites auprès des institutions ont conduit à la compréhension du caractère commun du but et de la situation qui allaient au-delà des frontières nationales pour regrouper les institutions selon la spécificité régionale: (i) les régions périphériques; (ii) les régions de ré-industrialisation; (iii) et les régions de boom économique.

Jusqu’en août 1998, on a observé des signes clairs que la perte du sens européen, qui avait suivi après la fin de la séparation Est-Ouest, était remplacée par la conscientisation de plus en plus profonde du destin européen commun. Cette nouvelle observation a mis en évidence les réalités problématiques causées par le fait que la dérégulation de l’enseignement supérieur était interprétée d’une manière restrictive. Le rôle de l’enseignement supérieur en tant que bien public exigeait plus d’attention, et le rôle des universités quant à l’intégration de la société en matière de culture, économie et diversité sociale, étaient de nouveau dans le centre de l’intérêt. Les pays de l’Europe avaient appris les uns des autres, avaient découvert leurs différences et leurs caractéristiques communes, et avaient saisi les dangers des allégeances qui sèment la discorde qui, lors de l’implosion de la Yougoslavie, ont apporté de nouveau les hostilités et la guerre au centre de l’Europe. La discipline exigée par les Etats membres de l’Union Européenne pour le lancement d’une monnaie commune visait de nouvelles stimulations fédéralistes. En effet, l’Europe représente plus que la somme des parties qui la composent, et les universités étaient préparées de comprendre cette réalité, puisqu’elles étaient devenues conscientes de la multitude de leurs caractéristiques communes. Après un détour par l’engagement pour les institutions et les citoyens européens, l’enseignement supérieur pourrait-il revenir à l’engagement pour l’Europe en tant que centre d’intégration?LE NOUVEAU SIECLE: L’EUROPE REGAGNEE L’union économique et monétaire était un processus lent qui avait commencé en février 1969, lorsque Raymond Barre avait proposé “une politique visant à relever le défi économique et monétaire de l’époque”. Pourtant, à la fin du siècle, deux générations 33 En français dans le texte.

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après la Deuxième Guerre mondiale, fallait-il que la construction lente et lourde du consensus soit de nouveau la règle en vue d’atteindre une intégration supplémentaire dans tous les domaines européens d’activité parmi les quinze membres de la Communauté ou, dans un sens plus large, parmi le groupe plus large de nations qui constituaient une Europe élargie ?

En mai 1998, la conférence organisée a Sorbonne pour célébrer le 800ème anniversaire de l’Université de Paris a proposé une première réponse à cette question concernant l’enseignement supérieur. Le ministre français de l’enseignement, Claude Allègre, avait invité ses homologues de Grande Bretagne, d’Allemagne et d’Italie à participer à un symposium ouvert aux membres de la communauté universitaire. Pendant cette réunion, ils ont pu se faire une idée de l’existence d’opinions multiples, avant de signer une Déclaration qui invitait les institutions et les gouvernements à “harmoniser” les services académiques et l’offre universitaire. Le mot “harmoniser”, est équivalent d’anathème dans le jargon européen, ça sent l’uniformité, même si cela devait inviter au concert, si on veut prendre la référence musicale au sérieux.

D’autres gouvernements de l’Union Européenne ne voulaient pas être exclus de ces développements; par conséquent, lorsque le ministre italien de l’enseignement a proposé l’organisation d’une réunion similaire à Bologne en juin 1999, bien des pays ont décidé d’y participer, y compris ceux qui n’étaient pas membres de l’Union Européenne.

L’Université hôte a demandé à son ancien partenaire de 1998 de préparer la réunion, et le Groupe ministériel qui a soutenu l’événement a demandé à la CRE et à l’ancien Comité de liaison, institutionnalisé depuis 1995 sous la forme de la Confédération des Conférences des Recteurs de l’Union Européenne, de représenter l’enseignement supérieur au cours des actes finaux de la réunion et dans la préparation du projet de la Déclaration de Bologne qui développera et se fondera sur la Déclaration de Sorbonne, signée à Paris une année auparavant. Le 19 juin 1999, vingt-neuf pays ont signé la Déclaration, en ré-confirmant solennellement le rôle des universités en tant qu’institutions du caractère commun européen.

Avant la fin du siècle, les organisations nées du mouvement d’intégration d’après-guerre étaient devenues des partenaires à part entière dans les délibérations politiques concernant le futur de l’enseignement supérieur. Ce fait a suscité la nécessité de leur fusion, de sorte que les universités de l’Europe parlent, de nouveau, d’une seule voix, en représentant en même temps les institutions en tant que telles, en tant que membres individuels, aussi bien que leur organisation dans les systèmes nationaux, en tant que membres collectifs. Il a fallu deux années de délibérations pour atteindre ce but et, le 31 mai 2001, on a créé à Salamanque l’Association Européenne des Universités.

La Déclaration de Bologne proposait un but simple: développer une Région européenne de l’enseignement supérieur avant 2010. Elle indiquait les moyens d’atteindre ce but: l’utilisation d’instruments ordinaires tels qu’une structure de diplômes universitaires à deux niveaux (diplôme universitaire en lettres et sciences humaines et maîtrise en lettres), le Supplément de diplôme, le Système européen de transfert des crédits (ECTS), l’évaluation de la qualité, et l’européanisation des programmes d’études. Ces instruments correspondaient aux niveaux de plus en plus profonds d’intégration. Le supplément de diplôme et l’architecture du diplôme universitaire en lettres et sciences humaines et de la maîtrise en lettres ont constitué une invitation à des changements au niveau national, mais ceux-ci n’ont pas exigé une adaptation aux besoins et aux ambitions

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des autres membres. L’application de l’ECTS exigeait des adaptations encore plus importantes, puisque la comparaison des résultats de l’enseignement pouvait entraîner des changements dans les programmes nationaux d’études et dans les cours institutionnels, des changements destinés à faciliter la mobilité et, dans une étape ultérieure, à permettre l’accumulation de crédits. La coopération dans le domaine de la qualité a traduit la comparabilité en compatibilité, de sorte qu’on puisse accorder de la confiance au niveau atteint dans le fournissement de l’enseignement supérieur dans toute l’Europe.

Chaque étape exige un engagement de plus en plus fort envers le caractère commun du but et de l’action dans le domaine de l’enseignement supérieur, de sorte qu’avant 2010 les services éducationnels soient libres de circuler d’une région du continent à l’autre, tout comme les biens matériels le font aujourd’hui. Un fonctionnement de ce genre implique que les fournisseurs d’enseignement attirent des ressources (des personnes et de l’argent) de toutes les parties de la région, de la manière dont les sociétés industrielles le font de nos jours lorsqu’elles assemblent des automobiles ou des téléphones, pour développer et emballer les produits les plus intéressants, qu’ils soient des cours ou des projets de recherche, des données ou des publications. Cela signifie aussi que les fournisseurs ne seront pas seulement des institutions semblables aux universités d’aujourd’hui, mais aussi des réseaux impliquant des maisons d’édition, des sociétés de médias et d’autres communicateurs spécialisés. Les étudiants de tous âges préféreront les services les plus pratiques et les plus adéquats en ce qui concerne leurs intérêts intellectuels, leur développement de carrière ou leurs engagements sociaux. Et il existera une mesure commune pour comparer la qualité du service, un Euro de l’intelligence, qui permette la compatibilité et la cohésion de la société du savoir promise, tout comme la monnaie commune d’aujourd’hui impose le commerce des biens dans toute l’Europe.

Pour les étudiants, les professeurs et les administrateurs, la liberté de mouvement dans un espace intellectuel européen commun offrira des conditions égales d’accès à la multitude de fournisseurs et d’utilisateurs de l’enseignement supérieur, des conditions égales d’assistance pour le développement de la connaissance, en ce qui concerne les gens et les institutions, des conditions égales d’évaluation et de reconnaissance des services, des qualifications et des compétences et des conditions égales de travail et d’emploi. Autrement dit, les instruments offerts par la Déclaration de Bologne sont destinés à inventer un modèle européen de l’enseignement supérieur suffisamment fort pour susciter des débats sérieux quant aux choix de la société, comme il est requis par des questions de substance telles que l’enseignement permanent, la contribution sociale des étudiants au développement institutionnel, ou l’intérêt de l’enseignement européen par rapport au reste du monde, des thèmes rajoutés au processus de Bologne par le Sommet des Ministres Européens responsable de l’enseignement supérieur, organisé à Prague le 19 mai 2001, le premier essai de faire le point, entrepris par les trente-deux gouvernements disposés à superviser la mise en œuvre de la Déclaration de Bologne.

En effet, puisqu’elle n’avait pas de valeur juridique, puisqu’elle accentuait l’importance des instruments d’adaptation plutôt que les changements de substance, la Déclaration a permis la prolifération de nouvelles initiatives au niveau institutionnel, régional, national et européen. Son leitmotiv est la convergence de l’action conduisant à la cohérence du développement, de sorte que les citoyens européens se reconnaissent

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eux-mêmes et entre eux comme des partenaires à part entière dans une société cohésive du savoir. Par conséquent, de Bologne à Prague, la CRE et la Confédération ont raccompagné le processus, en participant à de nombreuses réunions afin d’expliquer sa portée et son but, pour encourager les institutions à adhérer au mouvement européen du changement et de l’adaptation et à définir l’euro-compatibilité de l’action académique dans les différentes régions du continent. Dans ce sens, les associations universitaires ont compté sur le soutien des partenaires traditionnels. Ces derniers ont inclus le Conseil de l’Europe et le TEMPUS, lorsque l’intégration de l’Europe de Sud-Est dans le processus de Bologne constituait le centre d’intérêt; l’UNESCO-CEPES, lorsqu’il s’agissait d’établir la définition de l’Europe par rapport aux autres parties du monde; le programme IMHE de l’OCDE, lorsqu’il fallait discuter les conséquences de la convergence en ce qui concerne l’administration universitaire; l’Union Européenne, lorsque la supervision du Processus de Bologne, sa validation en termes expérimentaux, et le caractère commun du changement exigeaient une compréhension globale.

La création de liens plus étroits avec les autres secteurs de la communauté de l’enseignement supérieur implique aussi des contacts plus proches avec les organisations d’étudiants telles que les Unions nationales des étudiants d’Europe (ESIB), ou avec l’Association des institutions pour l’enseignement supérieur professionnel (EURASHE). En outre, une Europe cohérente et cohésive comporte une influence sur le rôle de la région dans l’enseignement supérieur mondial. Par conséquent, la CRE et l’EUA, l’organisation qui lui a succédé, travaillent plus étroitement que jamais avec l’ACE et l’AUCC, en Amérique de Nord, avec l’Association des universités arabes (AARU), et avec l’Association des universités de l’Asie-Pacifique (AUAP), pour développer des projets mixtes et pour élargir le travail commun dans l’administration universitaire quant à l’évaluation de la qualité, les stratégies de changement et la diversité culturelle.

EN GUISE DE CONCLUSION L’évolution de l’Europe d’après la Deuxième Guerre mondiale, divisée par des frontières et de toute sorte d’obstacles physiques et intangibles, à une Union qui regroupe désormais 400 millions de gens a pris plus de cinquante ans. Dans leur développement, les universités ont incorporé la plupart des changements, parfois en devançant les développements généraux, parfois en les suivant. Elles ont souffert de la séparation Est/Ouest, ont essayé de construire des ponts au-dessus du gouffre politique et sont devenues des partenaires à part entière de la mobilité académique par l’intermédiaire d’ERASMUS, l’un des programmes les plus réussis dans le domaine et une prévision de l’Europe ouverte. Elles ont participé à la reconstruction de l’Europe élargie, gérant ses plaies en Yougoslavie ainsi que ses réussites, en particulier le programme TEMPUS. Elles sont désormais invitées à inventer ou réinventer l’Europe ouverte des esprits qui modèleront la société du savoir, que la région espère développer par le Processus de Bologne. Les universités se sont déplacées de la périphérie du mouvement de l’intégration européenne en son centre. Le défi de l’adaptation n’a jamais été plus grand. En outre, comme l’enseignement supérieur n’a jamais été si bien placé dans la lutte pour l’influence politique, les instruments pour réinventer l’Europe de l’intelligence y sont.

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Le Processus de Bologne est puissant, mais il pourrait néanmoins faillir, car il est basé sur des processus d’instrumentation qui pourraient échouer lorsqu’il faudra faire des choix idéologiques. Quel type de société les Européens désirent-ils ? Que signifie-t-elle la cohésion dans la prise démocratique des décisions? Le service de l’intelligence est-il réellement un bien public? Ceux-ci sont les problèmes de demain. L’université se trouvera bien placée pour contribuer à l’identification de solutions à ces problèmes si elle reste fidèle à son identité, comme la seule institution qui soit commune à tous les pays du continent et comme le lieu qui donne un sens à l’Europe et ou l’Europe a un sens. REFERENCES DE RIDDER-SYMOENS, H. éd. A History of the University in Europe. Cambridge: University Press, 1992-1996. JILEK, L. Historical Compendium of European Universities. Genève: CRE, 1984. Policy Perspectives 5 1 (1993).

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Le rôle de l’intellectuel – une conclusion dans l’autocritique JOHAN GALTUNG Actuellement, le Professeur Johan Galtung est directeur et professeur d’études de la paix dans le cadre du Réseau de la paix et du développement pour la transformation du conflit par des moyens pacifiques (TRANSCEND), France. L’article ci-dessous, publié originairement dans l’Enseignement Supérieur en Europe en 1976*, présente les vues personnelles de l’auteur sur des problèmes qui, selon lui, sont significatifs pour l’évolution de l’enseignement supérieur. Nous devons faire la distinction entre deux types différents d’intellectuels, bien que ces deux types se recoupent souvent : l’intellectuel en quête de vérité et l’intellectuel en quête de pouvoir. Le premier est peut-être, d’un point de vue sociologique, plus proche de l’artiste. Le second est d’un type tout différent et forme probablement l’essentiel de la “nouvelle classe” dans tous les pays, indifféremment de leur système politique.

Historiquement, on peut constater que la montée de l’intellectuel vers le pouvoir - outre d’occasionnelles fonctions de conseiller- se rattache de près à l’apparition des États-nations et du capitalisme centralisé, plus particulièrement du capitalisme industriel. En d’autres termes, il s’agit d’un phénomène récent dans l’histoire de l’Occident (moins récent néanmoins dans l’histoire de la Chine où existaient traditionnellement les examens de mandarins). Depuis le dix-septième siècle en France et le dix-huitième siècle en Angleterre, la pente de la courbe s’est accentuée ; elle se trouve encore très certainement dans une phase exponentielle et ne s’est pas encore stabilisée. Pourquoi donc établir ce rapport entre les fonctions élevées, qu’elles soient bureaucratiques ou capitalistes (et dans ce dernier cas, qu’il s’agisse du secteur privé ou public), et la montée au pouvoir des intellectuels ?

La réponse est probablement très simple : les intellectuels avaient quelque chose à offrir dont ils détenaient un monopole de facto, à savoir les outils permettant de rendre les systèmes non seulement compréhensibles mais encore [aptes d’être manipulés]. L’outil de base était et demeure l’abstraction, c. à. d. la capacité à réduire la réalité naturelle, sociale et humaine, à des schémas idéaux, caractérisables au moyen d’un nombre limité de variables; il s’agit, par exemple, de ce que je fais ici en essayant d’analyser la position des intellectuels. Les variables sont ensuite combinées pour former ce qu’on appelle en langage technique, des produits cartésiens; des hypothèses, propositions ou lois sont alors énoncées en choisissant certaines combinaisons de variables et en éliminant les autres. Il importe peu que ces hypothèses soient établies par déduction à partir d’hypothèses d’un niveau plus élevé (théorèmes, axiomes) ou par induction à partir d’observations - ceci ne nous concerne pas ici -; en fait, les deux méthodes font également appel à l’abstraction et tentent de construire des systèmes de phrases. C’est cela justement qu’offrent les intellectuels: un assemblage de mots permettant en principe de rendre transparent ce qui

* Plus précisément, l’article parut dans le Volume 1, Numéro 6, pp. 25-30. On a repris ici l’article dans son état d’origine, en 1976, avec seulement quelques changements mineurs censés mettre le texte en conformité avec les normes de l’actuel éditeur.

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est opaque et l’ingouvernable [apte d’être manipulé]. Cette [capacité] comporte une conséquence importante, l’intérêt que portent les intellectuels aux systèmes de vaste envergure tels que les grands États-nations, les empires, les sociétés transnationales, les grandes agences de planification nationale, ou les organisations intergouvernementales.

Imaginez en contrepartie une petite unité autosuffisante (d’un ordre de grandeur de 103 ou 104), une sorte de fédération de villages, par exemple. Dans l’ensemble, cette unité produit ce qu’elle consomme et consomme ce qu’elle produit ; de plus, l’activité de l’unité est relativement transparente pour tous ceux qui y participent. Sans vouloir nier la nécessité d’une certaine administration la science administrative dans ce cas s’avère superflue, et si des informations numériques peuvent être utiles, les membres de cette communauté peuvent, quant à eux, être considérés comme tels, c’est à dire, comme des êtres humains ; il n’y a nul besoin de les analyser au moyen de tableaux statistiques. Les transactions dans les domaines de la production et de la consommation peuvent encore être élaborées et s’accompagner de certains rites et cérémonials sociaux, et ne sont pas simplement réduits à un étiquetage de prix. La nature conserve encore sa beauté et son pouvoir, sans se trouver ramenée à des formules chimiques et à des propriétés physiques, ce qui se produit normalement lorsque les matières premières proviennent de pays lointains et que les seules questions proposées à leur sujet se rapportent à leur composition. Les vastes cycles économiques, ceux mêmes qui affectent la terre entière, et les grandes sociétés complexes, ne peuvent être appréhendés qu’en faisant appel à l’abstraction - ce dont s’occupe la science - et non par une perception directe et éminemment subjective ou particulariste de simples éléments ou unités, y compris les êtres humains. Si les êtres humains sont essentiellement liés entre eux par les rapports complexes connus sous le nom d’amour, d’amitié ou de népotisme, il devrait y avoir des limites bien inférieures à la dimension des systèmes. De telles limites existent de nos jours ; on effet, même une armée de docteurs en philosophie ne pourrait diriger un grand Etat ou une grande société sans l’aide d’une “intelligence artificielle”, qui pour le moment se présente sous la forme d’ordinateurs, mais qui à l’avenir pourrait prendre des formes plus dramatiques encore. Il va sans dire que les intellectuels auront tout intérêt à conserver le monopole qu’ils se sont acquis, et à se rendre indispensables en tant qu’intermédiaires, traducteurs et interprètes entre les masses et les machines.

Trois types d’intellectuels apparaissent ainsi clairement: le bureaucrate (né de l’extension des dimensions territoriales), le capitaliste (né du capitalisme à grande échelle) et le chercheur (engendré par les besoins de l’abstractionnisme). Au fil du temps, cette dernière catégorie s’est mise à dominer les deux autres, transformant les intellectuels des deux premiers types en intellectuels d’exécution pratique, chargés tout d’abord de problèmes juridiques, puis de sciences politiques, sociales et économiques ; le chercheur se réservait à lui-même la production de nouveaux outils intellectuels et le droit extrêmement important de confirmer les compétences des deux autres catégories. Les données ne sont pas disponibles, mais on peut affirmer que la plupart des personnes appelées à prendre des décisions de grande portée, et notamment des décisions relatives aux facteurs de production, que ce soit dans le cadre d’un système de gestion centralisé ou d’un système capitaliste d’État ou privé, ont passé des examens et ont vu leurs compétences confirmées par un intellectuel davantage axé vers la recherche (appelé “professeur”) ; l’inverse par contre n’est généralement pas vrai. Les deux autres catégories peuvent trouver une compensation à cet état de choses en limitant l’accès aux

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emplois par des contraintes administratives ou financières, mais ils n’ont pas la faculté de confirmer les compétences. Au cas où ils s’y essayeraient, un problème relatif aux droits civils se poserait dans la majorité des pays, car les intellectuels se retireraient, au sens propre du mot, dans leurs ghettos, et refuseraient de livrer la marchandise, conduisant ainsi le système à sa perte. Certes, il se trouvera toujours des intellectuels disposés à “coopérer” ; aucun État, aucune entreprise commerciale n’a jamais péri faute de services rendus par les intellectuels, mais les États et les entreprises n’en savent pas moins qu’il existe une limite au contrôle et aux pressions qui peuvent s’exercer sur les intellectuels, au-delà de laquelle leur “rentabilité” risque de baisser considérablement.

Tel est donc l’état des rapports entre les trois représentants de la trinité technocratique d’aujourd’hui : le bureaucrate, le capitaliste et le chercheur - tous trois titulaires de doctorats, tous trois d’apparence à peu près semblable, conditionnés par les mêmes systèmes d’éducation avec leurs composantes primaire, secondaire et tertiaire. L’analyse marxiste s’est concentrée sur le capitaliste à l’exclusion des deux autres, ce qui a conduit aux résultats qu’on connaît dans les pays à orientation marxiste: élimination du capitaliste privé, mais certainement pas du bureaucrate ni du chercheur, qui jouent actuellement un rôle primordial. La thèse soutenue dans cet article est en effet que ces derniers se sont largement substituées au capitaliste en voie de disparition. Pour mieux s’en convaincre, il serait utile de pratiquer une analyse quasi marxiste en se référant à des catégories telles que la propriété des moyens de production et le processus d’expropriation/appropriation.

Il n’existe en principe qu’un seul moyen de production intellectuelle : le cerveau humain dont les besoins matériels fondamentaux sont satisfaits à partir du moment où ce cerveau peut fonctionner et que la communication s’établit. Mais ajoutez à cela les composantes matérielles de la production intellectuelle connues à ce jour - immeubles assez grands pour abriter de vastes équipes, bibliothèques, ordinateurs, participation à de coûteuses conférences internationales pour sonder les collègues avant publication, la machinerie de publication elle-même, sans mentionner tout ce qu’implique la collecte de données et vous comprendrez facilement que les moyens de production intellectuelle ainsi définis dépassent largement les possibilités du plus grand nombre d’individus. Les sociétés pourraient fournir de tels moyens en utilisant les surplus du processus de production, mais ceci soulèverait des problèmes de propriété et de droit d’accès. Il est bien connu que, privés ou publics, ces moyens de production sont répartis de façon fort peu équitable du point de vue géographique, car ils sont concentrés dans les villes universitaires qui constituent elles-mêmes généralement de grandes métropoles. L’accès est limité par l’application de critères fondés sur l’argent, le pouvoir, les privilèges, l’intelligence et/ou la loyauté ; en d’autres mots, par les critères mêmes qui régissent généralement l’accès à la classe dirigeante. On peut imaginer que plus les moyens de production sont complexes, plus ces critères sont sévèrement appliqués. Pour devenir un étudiant universitaire, il y a relativement peu de barrières à franchir, tandis que pour devenir un professeur de recherche de haut niveau, il est nécessaire de satisfaire à des critères très particuliers. Par conséquent, il existe bien un monopole de fait sur l’accès aux moyens de production intellectuelle.

En termes généraux, ce qui s’est passé au cours de la dernière génération peut être défini comme étant la transition entre le mode artisanal et le mode industriel de production intellectuelle : le passage du maître entouré d’une poignée de disciples et se

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servant surtout de ses mains, de son cerveau et de quelques outils, au réseau complexe de laboratoires, d’ordinateurs, de banques de données etc., qui caractérise la recherche moderne. Une évolution identique a marqué le domaine de l’enseignement : depuis les formes artisanales représentées par les leçons particulières, jusqu’à la production de masse dans des usines universitaires comptant 100.000 étudiants ou davantage. Ceci entraîne d’importantes conséquences d’ordre méthodologique, car on en arrive généralement à affirmer que les produits scientifiques obtenus de la sorte sont plus valables parce que produits de cette manière, et non parce qu’ils représentent une analyse plus approfondie ou parce qu’ils correspondent davantage aux faits. Ceux qui contrôlent les moyens de production intellectuelle industrialisée se trouveront ainsi encore davantage renforcés dans leurs positions, car ils disposeront non seulement d’un pouvoir préalable, mais jouiront en outre du privilège de produire une science considérée à priori comme valable. Le savant solitaire, habitant une ville de province dans un pays marginal pourra avoir les idées les plus brillantes, jamais il ou elle ne sera capable de les présenter d’une manière acceptable, c’est à dire en les accompagnant, comme il se doit, de notes en bas de page, d’une terminologie moderne, et de données obtenues en laboratoires ou par ordinateur. De ce fait, jamais il ne sera officiellement reconnu. Le savant en question fera donc tous ses efforts pour se rendre là où ces moyens sont aisément accessibles, ou se résignera à perdre la bataille. Etant donné que la plus grande partie de la science produite jusqu’à la dernière génération et même jusqu’à tout récemment, a été engendrée par ce type de savant, ceci équivaut à dire que ce qui se fait aujourd’hui est beaucoup plus valable et justifie un changement dans le mode de production intellectuelle. Le parallélisme avec la production matérielle est évident. Personne ne contesterait que des progrès ont été réalisés sur le plan de la quantité, et que certains produits inconnus par le passé sont actuellement disponibles ; mais le problème est de définir dans quelle mesure la qualité a été améliorée. Puisque les anciens modes de production intellectuelle n’exigeaient ni gros capitaux, ni vaste main d’œuvre, mais une grande consommation de matière grise, on pourrait en conclure par contre que le mode de production actuel, faisant largement appel aux capitaux et à la main d’œuvre, réalise pour sa part, de grandes économies cervicales. Entre l’énorme quantité de thèses en sciences sociales produites depuis 10 ou 20 ans, au titre de projets financés par des fondations, et ce qu’ont produit quelques savants au cours du dernier siècle, on ne voit pas bien comment la comparaison pourrait s’établir en faveur des premiers.

N’insistons plus sur les aspects centralisateurs de la production intellectuelle et sur son analogie croissante avec la production industrielle, en opposition avec la production artisanale. Qu’en est-il des rapports entre les intellectuels et les non-intellectuels ? Selon la thèse soutenue ici, on assiste à un changement accéléré au niveau de ces rapports, qui passent d’un plan relativement horizontal à un plan beaucoup plus vertical. On peut donc imaginer qu’un jour viendra où l’intellectuel sera pour la société ce qu’est l’artiste, de nos jours. Il pourra être riche ou pauvre, avoir ou ne pas avoir un style de vie différent, plus aisé (et donc plus irritant) ou moins confortable, on ne pourra en aucun cas lui reprocher de priver ses semblables d’une expérience importante. Au contraire, on dira probablement qu’il les enrichit, dans la mesure où son produit sera présenté sous une forme propre à la consommation et au progrès de tous puisque aussi bien il aura fait partager aux autres sa vision de la vérité.

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Pour les intellectuels en quête do pouvoir, il s’agit d’autre chose. En effet, ceux-ci s’attachent essentiellement à répartir le travail de manière à soustraire certains problèmes de la sphère d’activité quotidienne d’autres personnes, pour les confier à des intellectuels. C’est pourquoi, les problèmes administratifs et financiers de quelque complexité aboutissent en dernier ressort à des organismes de décision centralisés, tandis que les problèmes relatifs à la science sont soumis aux chercheurs. Pour tous ces intellectuels, les problèmes constituent la matière première dont ils tirent leur produit final - une décision, un investissement, une solution - qui est ensuite renvoyé à la source où le problème a été posé. Or cette répartition du travail profite essentiellement à ces chercheurs pour qui le défi, l’expérimentation et le développement du pouvoir créateur, la joie de se trouver à l’avant-garde de quelque chose, la faculté de modeler non seulement sa propre existence mais celle de vastes groupes d’hommes constituent des avantages appréciables. En général, les profits matériels ne sont pas non plus négligeables, étant donné que ces rôles sont assortis de salaires substantiels et de profits supplémentaires sous forme d’honoraires pour des consultations et d’émoluments pour des conférences et des articles qui ont déjà fait l’objet d’une rémunération, etc. ; mais ceci n’est que secondaire. Ce qui est beaucoup plus significatif est l’apparition d’une société où ceux qui devraient normalement s’occuper de certains problèmes, en sont dépossédés au profit de certains intellectuels, à qui ils servent de stimulants et souvent même, d’hyper-stimulants.

Ainsi donc, nous voici revenus à l’ancien système d’une petite élite détenant le monopole des moyens de production et canalisant à son profit l’un des biens les plus précieux de toute vie humaine. Il est difficile d’évaluer son importance numérique; les statistiques sociales ne comportent ni unités de “défi”, ni unité de “créativité perdue et gagnée” - mais seulement des unités reflétant les préoccupations pratiques de notre civilisation. D’ailleurs, la théorie que prônent ces intellectuels n’est généralement pas une théorie qui leur prête - ou qui nous prête - le rôle d’exploiteurs. Les propriétaires terriens, les princes et les prélats, les capitalistes, les riches et les puissants, qui possèdent généralement ce que les intellectuels n’ont pas, servent davantage à alimenter les théories et à cristalliser les indignations. À la limite, on peut même concevoir une société où les moyens de production intellectuelle seront monopolisés à tel point par une élite intellectuelle formant bloc et loyale à elle-même, qu’une toile situation ne sera même plus mise en cause ni par les intellectuels, ni par les masses demeurées ignorantes en raison d’un manque de contact avec les problèmes, sinon les plus futiles, et d’une totale réceptivité à des solutions qui leur seront proposées par d’autres.

Si l’on accepte cette analyse comme thème de discussion, une question se pose évidemment: que faire ? À ma connaissance, une seule société - mais une société de dimensions considérables - a formulé sa problématique sociale on ces termes; il s’agit de la société chinoise au cours de sa révolution culturelle de 1966-1969. Un aspect essentiel de ce phénomène historique complexe consistait dans l’idée de garantir à chacun quelque possibilité d’accéder aux problèmes, de résoudre des difficultés, d’être stimulé afin de satisfaire au besoin de créativité. Une partie des solutions adoptées à cet égard par les Chinois est bien connue : réduction de la durée des études universitaires théoriques (ramenées en fait à dix-huit mois) ; intégration de la théorie et de la pratique ; alternance aux postes de responsabilités, des intellectuels et des non-intellectuels. De plus, les ouvriers se sont vus assigner certaines tâches incombant aux ingénieurs et les ingénieurs travaillent certains temps dans les ateliers d’usines, afin de former de nouveaux ouvriers-

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ingénieurs. Enfin une grande partie de l’économie (les communes) a été organisée selon des modes de production non industriels. D’autres méthodes pourraient encore être imaginées. On pourrait, par exemple, modifier le système des qualifications universitaires, de manière à promouvoir les “produits” impliquant un considérable investissement de l’esprit et peu de capitaux, plutôt que les produits exigeant beaucoup de capitaux et peu de réflexion. Une autre approche consisterait à accepter certaines mesures de centralisation, tout on permettant à “cent fleurs de s’épanouir”. En d’autres termes, il s’agirait d’adopter une approche plus réaliste de la production intellectuelle, en établissant une certaine concurrence entre les établissements d’enseignement et en délivrant les non-intellectuels de l’oppression d’un monopole monolithique. C’est partiellement ce qui se passe actuellement pour les sciences sociales dans les pays à régime libéral; il existe des écoles concurrentes; leurs points de vue sont divergents; le profane demeure libre de se constituer sa propre opinion et, s’il a du jugement, il comprendra que cet ensemble contradictoire constitue justement les sciences sociales, et que ce qu’il doit faire n’est pas d’effectuer un choix, mais de contribuer à l’enrichir davantage.

Une autre approche encore serait de faire de chaque membre de la société un intellectuel attaché à la solution de problèmes formulés en termes abstraits, et d’abandonner l’ennuyeuse routine qu’impose toute société, aux substituts modernes des esclaves et des femmes, c. à. d. à l’automation. Sans chercher à savoir si cette hypothèse est réalisable ou si faisant appel à des matières premières non renouvelables et à l’énergie en particulier, elle ne ferait que peser sur notre équilibre écologique déjà menacé, il convient néanmoins de souligner qu’une telle approche comporte une erreur grave. En effet - nous le savions déjà -, lorsque les non-intellectuels deviendront des intellectuels, les intellectuels d’aujourd’hui deviendront des super-intellectuels, armés notamment de cette “intelligence artificielle” dont il a été question plus haut. Après tout, n’est-ce pas précisément ce qui est arrivé au cours de la génération précédente ? Un pourcentage accru des différents groupes d’âge a accédé à l’enseignement supérieur, dit “tertiaire”; en conséquence, des formes d’enseignement supérieur d’un niveau toujours plus élevé (quaternaire, quinternaire, etc.) se développent sous la forme de cours post-doctoraux, et des sortes de “super-cerveaux” rattachés aux “services d’informations” et aux laboratoires secrets des sociétés transnationales font ainsi leur apparition, conformément à notre théorie. Bref, rien ne témoigne que l’écart aille en se comblant, bien au contraire.

Ce qui nous reste n’est pas forcément la première alternative mentionnée, mais quelque chose de plus important : un défi qui pourrait réclamer tout l’effort créateur dont nous sommes capables, afin de dominer la situation avant qu’elle ne nous domine.

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Le rôle de l’intellectuel II - cette fois comme une critique de l’autre JOHAN GALTUNG Dans cet article, l’auteur reflète sur les observations faites, il y a vint-cinq ans, sur le rôle de l’intellectuel dans la société. Il distinguait, alors, l’intellectuel en quête de la vérité et l’intellectuel en quête du pouvoir. Il divisait ce dernier groupe en trois sous-catégories: les intellectuels issus du territorialisme sur grande échelle, du capitalisme sur grande échelle et de l’abstractionnisme sur grande échelle. Il est désormais arrivé à la conclusion qu’uniquement les intellectuels en quête de la vérité sont des vrais intellectuels; le reste constitue ce qu’il appelle l’“intelligentsia”. Comme J. A. Hobson, l’auteur décrit les plusieurs manières de “vente” des intellectuels auprès de leurs sponsors. Même si le précédent article de l’auteur comportait des conclusions pessimistes concernant la domination continue de la génération de pensées et de connaissances par des intérêts spécifiques, il exprime ici un optimisme prudent relatif à la tendance de l’Internet et de la révolution informatique de démocratiser le savoir et la créativité et de rompre le monopole du pouvoir financier et des intérêts spécifiques sur la génération d’intellectuels et de connaissances. Il y a vint-cinq ans, j’écrivais dans mon article “Le rôle de l’intellectuel – une incursion dans l’autocritique”34 :

Nous devons faire la distinction entre deux types différents d’intellectuels, [bien que] ces deux types se recoupent souvent : l’intellectuel en quête de vérité et l’in-tellectuel en quête de pouvoir. Le premier est peut-être, d’un point de vue sociologique, plus proche de l’artiste. Le second est d’un type tout différent et forme probablement l’essentiel de la “nouvelle classe” dans tous les pays, indifféremment de leur système politique.

Et j’ajoutais:

Trois types d’intellectuels apparaissent ainsi clairement: le bureaucrate (né de l’extension des dimensions territoriales), le capitaliste (né du capitalisme sur grande échelle) et le chercheur (engendré par les besoins de l’abstractionnisme sur grande échelle).

Il y a ici un monopole de facto sur l’accès aux moyens de la production intellectuelle. Et je reste certainement fidèle a cet avis aujourd’hui, vint-cinq ans après. Cependant, j’utilise désormais le mot "intellectuel" uniquement pour définir la personne en quête de la vérité, qui est conduite par la volonté d’explorer, de découvrir, de connecter, de comprendre, et le terme "intelligentsia" pour définir la personne qui met la quête du pouvoir de tout genre au-dessus de la quête de la vérité. Habituellement, ce dernier travaille pour l’État ou pour le Capital, et il est commandité, n’acceptant de rendre 34 Originairement publié dans l’Enseignement Supérieur en Europe 1 6 (1976): 25-30.

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disponibles ses découvertes qu’à des initiés déterminés, parce que les découvertes ont été "classifiées" par l’État, ou à ceux qui sont capables le rémunérer, parce que les découvertes ont été commandées ou patentées. Mais qu’en est-il du troisième type mentionné, le chercheur, impliqué dans "l’abstractionnisme sur grande échelle"? Et qu’en est-il du troisième pilier de la société moderne, en plus de l’État et du Capital, la Société civile ? Y a-t-il un rapport ici ? Pas nécessairement. Un individu peut commencer comme intellectuel et ensuite s’impliquer dans un mouvement, une ONG, comme une église, un syndicat, un parti politique, un mouvement en faveur de valeurs-clé promues, par exemple, par les Nations Unies et par ses agences, comme la paix, le développement, l’environnement ou les droits de l’homme.

Mais on découvre par la suite que l’intellectualité a ses limites.35 Un intellectuel véritable posera toujours une question supplémentaire, "Pourquoi cela?", supposant un questionnement de ses produits intellectuels et l’organisation hôte en soi. Mais un avocat ou un scientifique politique employé par l’État, ou un économiste employé par le Capital auront de réticences à critiquer ouvertement son employeur. Le même cas peut s’appliquer au sociologue (un cas assez fréquent) qui travaille pour les acteurs de la Société civile ; "travailler pour", dans le sens de mettre leur accès à la production intellectuelle, et les produits de cette production, à la disposition de l’organisation ou du mouvement. Mais de tels mouvements disposent le plus souvent de peu de moyens, en opposition avec l’État et le Capital, capables d’acheter des intellectuels, en les transformant en intelligentsia, fournissant des prémisses pour toute conclusion possible, même en tant que "docteurs d’image".

Oui, je "rebute" mon article d’il y a vint-cinq ans dans le sens que tout cela semble avoir devenu encore plus persistent et visible. Pourquoi ? Possiblement parce que les moyens de production intellectuelle peuvent être convertis en moyens de consommation, et plus particulièrement des maisons avec des emprunts-logement assez importants pour tranquilliser les intellectuels du doctorat et jusqu’à la retraite. Serait-ce une des raisons pour lesquelles on retrouve des étudiants mécontents, dirigés (quelqu’un pourrait dire aussi incités) par des enseignants aux cheveux blancs, pendant que la catégorie intermédiaire dessert ses emprunts-logement ? Perdus pour quarante ans ? Le monde a récemment perdu un vrai intellectuel, Pierre Bourdieu. Mais on peut célébrer un autre, Jean Ziegler; les deux sont des sociologues dédiant leur travail aux démunis, les deux affirmant des vérités gênantes pour les oreilles de l’État et du Capital. Et, bien évidemment, on tient encore beaucoup d’intellectuels véritables dans les universités et les académies, et probablement de plus en plus à l’extérieur des institutions, pour des raisons qui seront explorées en ce qui suit. Mais ceux-ci semblent constituer des rara avis – des oiseaux rares – en spécial dans les universités "d’élite" établies.

Une simple raison est celle que de plus en plus du travail de recherche (et d’enseignement) est commandité par l’État et le Capital. Les Super-États, comme il est réellement le cas des États-Unis et de la future Union Européenne, sont bien capables de diriger la recherche et l’éducation dans les directions qu’ils considèrent avantageuses.

35 Pour une vision différente, plus sceptique, de l’“intellectuel public”, voir Posner (2001). L’intérêt de Posner, un vrai problème, va dans le sens de ceux qui sont plus publics qu’intellectuels, et qui devraient être responsabilisés par rapport à leurs semblables. Mon problème est plutôt du côté de ceux qui sont uniquement intellectuels et qui ne sont pas responsables par rapport au public.

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Et je m’attends à ce que cette perception de la recherche et de l’éducation devienne de plus en plus prononcée, étant donné que les institutions d’enseignement supérieur dépendront de plus en plus des financements provenant de ces agences, et ajusteront leur recherche par rapport aux sources de financement plutôt que vice versa. Il existe un mécanisme simple au niveau institut(ionnel), que j’ai observé maintes fois :

Un Grand projet est obtenu avec succès par le Directeur, et comme tout Grand Poisson est ensuite partagé avec les membres du personnel affamés de projets. Mais même les Grands projets ont une vie courte, et dans l’intervalle on a pu employer du corps de soutien, prêt à servir (ayant des emprunts-logement à servir), à l’exception des plus jeunes n’ayant pas de charges familiales, et les très anciens ayant remboursé leurs emprunts. La pression sur le Directeur est considérable, de même que sa capacité de faire des concessions. L’argent coule à nouveau ; les conditions sont un peu plus strictes ; les découvertes un peu plus prévisibles ("Dis-moi qui finance ton projet et je te dirai quelles seront tes découvertes"), car celui qui emploie l’orchestre choisit la mélodie. En d’autres mots, les intellectuels deviennent de l’intelligentsia sur le chemin de devenir des "experts"; ce qui équivaut en pratique à une intelligentsia autorisée par l’État, pensant dans les mêmes paradigmes et tenant les mêmes propos que ceux qui la nourrissent – jamais dans la situation de mordre ces mains.

Le remède ? Évidemment – l’intellectuel indépendant, prêt à suivre son chemin où qu’il le mène. Depuis la publication de Jacoby de son bien fameux ouvrage The Last Intellectuals en 1987, on peut témoigner une tendance croissante vers la production de nouvelles perspectives en provenance d’individus qui ne sont employés ni par l’État ou la Capital, ni par le monde académique, comme on peut s’en apercevoir à partir des classements de meilleurs ventes d’ouvrages non-fiction aux États-Unis, en France ou en Allemagne. Une des raisons pour cette situation consiste en un fait point prévu dans mon premier article, la Révolution Internet. Le monopole de l’accès a été jusqu’à un certain point démantelé. Même un village pauvre, sans électricité ou services téléphoniques, peut entretenir un ordinateur alimenté par panneaux solaires, et se connecter avec un téléphone mobile si le signal est assez puissant. Il peut télécharger des technologies créées par des intellectuels qui n’ont pas vendu leurs âmes dans ces marchés faustiens avec l’État et le Capital. Et ils peuvent eux-mêmes contribuer au Produit de la Grande Idée Mondiale. Tôt ou tard ces nouveaux moyens auront un impact révolutionnaire, surtout sur la position de l’intelligentsia. Les bibliothèques du monde sont disponibles, les moteurs de recherche effectuent la recherche, les personnes qui n’ont pas été éduquées, mais ont subi plutôt un lavage de cerveau par les institutions établies pourront entrevoir de nouveaux rapports, ou préféreront travailler sur la base d’une expérience immédiate, moins médiée. Il n’y a de limite que le ciel.

A tout cela vient se rajouter la révolution dans l’éducation, qui est en marche depuis longtemps, touchant à l’autre sexe, à plus de générations (comme dans le cas de l’éducation pour adultes, par exemple), à d’autres classes (comme extension, les universités populaires), à d’autres nations. Donc, qui sait ?

Mettons les deux perspectives ensemble et on tombe sur toute une dialectique. Les forces que j’ai essayé de décrire il y a vint-cinq ans sont certainement là. Mais les contre-forces y sont également. Les médias importants sont souvent gérées dans des conditions de censure étatique (facilement détectable dans le bureau proche de celui de

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l’éditeur, mais plus subtile lorsqu’elle se trouve dans la tête de l’éditeur), ou fortement influencées par la publicité, voire la propriété du Capital – ou par les goûts faciles du public de masse, rendus encore plus faciles par les médias faciles. Mais lisez le matériel média disponible aux ONG ! Très sceptique, très critique, mais souvent également constructif. Je suppose qu’une prochaine transition du moderne au post-moderne devrait être rajoutée à ma description de la transition de la production artisanale intellectuelle d’un Aristote et d’un Kant à la production industrielle massive intellectuelle/de l’intelligentsia dans les "think tanks" d’aujourd’hui (souvent plus tank que think)36. Le post-moderne semble-t-il être plus diversifié, poins général ou abstrait, pas nécessairement individualiste, mais plutôt basé sur des petites unités qui peuvent également être intellectuellement autosuffisantes ? Reconquerrant le droit et le défi (!) de produire leur propre compréhension de soi, comme les femmes le font depuis des décennies, rompant avec le monopole patriarcal ? Moins chargées de la tyrannie intellectuelle de certains, souvent auto-intitulés, "centres d’excellence ?” Si oui, cela signifierait-il un retour à la production centrée sur les cerveaux plutôt qu’à celle centrée sur les capitaux, représentant un mode de production, pour utiliser le jargon marxiste, plus similaire à celui qu’on associé, ici en Occident, avec les Grecs ? Qualité, plutôt que de la quantité produite à la chaîne ?

Si oui, on peut aussi prévoir une autre tendance : un renversement de la machine de transformation intellectuels-en-intelligentsia. Peut-être que le marché faustien n’est pas si irréversible ? Peut-être que ceux jurant obéissance envers un pays, signifiant un État, sous l’œil de Dieu ou pas, chercheront la liberté même avant la retraite ? Peut-être que ceux dont les idées concernant les modalités de nourrir et de guérir des millions de personnes ont été patentées et jamais appliquées préféreront-ils, un jour, communiquer leurs découvertes directement à ceux qui en ont besoin, parfois de manière critique ? Mais une condition pour que cela se produise peut être moins de demande pour les derniers et les plus chers modes de consommation, une sorte de "simplicité volontaire", en d’autres mots. Il est difficile de prédire comment ce mouvement évoluera-t-il ; il se peut aussi qu’il se présente comme une nécessité si l’actuelle récession se transforme en une dépression de longue durée, en particulier dans son centre, les États-Unis. Qui vivra, verra.37

Qu’en est-il de la Chine ? J’avais écrit dans un article, à la suite d’une visite en Chine en 1973, à la fin de la Révolution culturelle : "Un aspect important concernant ce phénomène complexe et à multiples facettes était l’idée de garantir à tous un type d’accès aux problèmes, une sorte de défi, un stimulus pour nourrir le besoin de créativité". J’avais écrit "idée" sans soutenir que cela représentait la réalité. Il est également facile aujourd’hui de ridiculiser des milliers de fonderies d’acier, ainsi que le travailleur-ingénieur qui va avec, comme il est facile de ridiculiser des milliers, des millions d’expériences de laboratoire manqués et d’étudiants agissant comme s’ils étaient des professeurs. Et si on n’apprend que des erreurs et si tout ce qui compte n’est que le traitement des défis ? Et si on n’arrive pas à prêter oreille aux réussites parce qu’on se concentre trop sur les faillites ? Et si cela représente un des plusieurs facteurs justifiant la phénoménale croissance économique de la Chine, à la suite du relâchement du joug du

36 Think tank = groupe ou cellule de réflexion. 37 En français dans le texte.

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capitalisme étatique – pas uniquement la concentration sur la santé et l’éducation pour tous, comme au Meiji Japan ? Et si cela constitue aussi un des facteurs basiques de la croissance aux États-Unis, cette foi en le "on peut faire", cette capacité de répondre aux défis même lorsqu’il n’est pas envisageable de le faire, parfois échouant, parfois réussissant brillamment (et peut-être dans le cas américain on a tendance à se focaliser plutôt sur les succès que sur les échecs) ?

Comment l’avenir se présentera-t-il une fois que cette dialectique avance quelques pas de plus, dans le grand puzzle de l’histoire ? Mon avis est que les jours des think tanks de l’État ou du Capital ou des grandes entreprises pour la production de masse de la future intelligentsia sont comptés. Le modèle alternatif fleurit déjà à travers le monde, et c’est l’Internet café. Équipons-les avec des ustensiles de dialogue pour l’instruction en groupe et l’avenir se présente brillant. En bref : Intellectuels du monde, unissez-vous ; vous n’avez que votre intelligentsia à perdre ! REFERENCES JACOBY, R.. The Last Intellectuals: American Culture in the Age of Academe, New York: Noonday, Farrar, Straus, and Giroux, 1987. POSNER, R. D. Public Intellectuals: A Study of Decline. Cambridge: Harvard University Press, 2001.

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Repenser le financement de l’enseignement post-obligatoire* JEAN-CLAUDE EICHER et THIERRY CHEVAILLIER Dans le monde entier, le financement de l’éducation est en état de crise, situation rendue encore plus grave par l’apparition d’une crise doctrinale quant aux fins et à l’utilité de l’éducation. Pour l’enseignement supérieur européen, cette conjoncture appelle une diversification des mécanismes de financement. Les autorités publiques, lesquelles jusqu’à présent ont couvert presque la totalité du fardeau représenté par le financement de l’enseignement supérieur, doivent transférer une bonne partie de ce poids aux utilisateurs, c’est-à-dire, aux parents et aux étudiants eux-mêmes, et au secteur privé. L’article met en valeur divers moyens de diversifier le financement de l’enseignement supérieur et de mettre en place des méthodes de financement par l’utilisateur. INTRODUCTION Le financement de l’enseignement traverse une crise sérieuse un peu partout dans le monde. La crise financière de l’enseignement ne saurait se limiter à la question du devoir de la société de dispenser à tous ses élèves un minimum d’enseignement obligatoire. Ce minimum n’est pas à même d’assurer une formation appropriée de la force de travail dans un monde qui progresse constamment du point de vue technologique et dans lequel une économie compétitive exige le remplacement des processus traditionnels de production par des processus basés sur le capital et sur le travail complexes. L’expansion rapide des systèmes d’enseignement post-obligatoire ne représente plus un luxe, mais une nécessité pour l’industrialisation et le développement économique. Les ingénieurs, les managers et les spécialistes ayant reçu une formation appropriée ainsi que les personnels auxiliaires de haut niveau technique et administratif ont un rôle crucial à jouer dans l’établissement d’industries et de services gouvernementaux efficaces et, par conséquent, dans la création d’emplois pour ceux qui n’ont suivi que l’enseignement obligatoire.

Cela ne signifie pas que les hauts niveaux du système éducatif doivent bénéficier, maintenant et dans tous les pays, d’une priorité financière absolue. L’enseignement de base est encore loin d’être généralisé dans bon nombre de pays en voie de développement, notamment en Afrique sub-saharienne et, dans bien des cas, sa qualité a baissé, parfois d’une manière dramatique. Là où c’est le cas, l’enseignement de base reste une priorité et sa part dans le budget de l’éducation devrait plutôt être accrue.

Néanmoins, l’expansion et l’amélioration de l’enseignement post-obligatoire (EPO) sont considérées comme cruciales dans les pays industrialisés et semi-industrialisés et constituent, en fin de compte, une condition pour le développement des pays les plus pauvres, surtout si l’on se souvient que l’EPO revêt plusieurs formes, c’est-à-dire non seulement l’enseignement de niveau universitaire mais aussi, dans maints

* L’article a été originairement publié dans l’Enseignement Supérieur en Europe 17 1 (1992), pp. 6-32. On a repris ici l’article dans son état d’origine, avec seulement quelques changements mineurs censés mettre le texte en conformité avec les normes de l’actuel éditeur.

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pays, l’enseignement secondaire supérieur et post-secondaire, comme les instituts technologiques dispensant des cours de brève durée, les établissements communautaires ainsi que les programmes de formation gérés par les entreprises ou les syndicats.

A tous les niveaux du système éducatif, le financement de l’enseignement post-secondaire peut être considéré comme particulièrement problématique. Cela est dû au fait que la crise financière, à présent beaucoup plus ample et profonde qu’à la fin des années soixante lorsqu’elle a été annoncée par P. Coombs, est devenue encore plus aiguë à la suite d’une crise croissante de confiance qui rend les gouvernements moins disposés à subventionner l’enseignement de façon aussi généreuse que par le passé. Ces crises ont déjà entraîné de nombreux changements dans le financement et la gestion des écoles et notamment des établissements d’enseignement supérieur. Les différents types d’arrangements institutionnels qu’on a pu observer dans les années soixante sont moins évidents à réaliser aujourd’hui, au moment où on remarque une tendance au financement mixte. Bien que la plupart des innovations aient été appliquées en quelque sorte individuellement, comme des mesures d’urgence, il existe de nombreuses alternatives ingénieuses qui méritent d’être évaluées et d’être considérées comme un point de départ pour des réformes plus amples. LA CRISE FINANCIERE Depuis les années cinquante, dans les pays développés et plus tard dans les pays en voie de développement, la demande d’enseignement a enregistré une croissance spectaculaire, parfois même explosive. Tant les facteurs démographiques que les exigences croissantes des familles ont eu un rôle important dans l’expansion de l’enseignement post-obligatoire, notamment dans le tiers monde. Pour répondre à cette situation nouvelle, des fonds furent alloués et le nombre des inscriptions connut une augmentation spectaculaire.

Dans l’enseignement supérieur, le nombre de nouveaux inscrits a atteint des niveaux jamais rencontrés auparavant. La croissance a été explosive dans la plupart des pays en voie de développement. Par exemple, dans la période allant de 1955 à 1986, le nombre des inscriptions a été multiplié par 36 en Indonésie, par 33 en Thaïlande, par 63 au Venezuela, par 60 au Congo, par 87 au Madagascar, par 103 au Kenya et par 112 au Nigeria.

La croissance a été également très rapide dans les pays les plus développés, au moins jusqu’en 1980. On a vu le nombre des inscriptions multiplié par 15 en Espagne entre 1955 et 1986, par 9,7 en Suède, par 9,4 en Autriche et par 6,7 en France. Néanmoins, la croissance s’est ralentie partout depuis la fin des années soixante-dix, à l’exception des pays en voie de développement qui ont créé des “universités libres”, tels l’Indonésie, la République de Corée ou la Thaïlande.

Cette expansion considérable laisse supposer un formidable soutien financier accordé à l’enseignement. Au début, les budgets publics affectés à l’enseignement ont enregistré une augmentation très importante. La part du Produit National Brut (PNB) allouée par les pouvoirs publics à l’enseignement s’est accrue très vite durant les années soixante : en moyenne, les dépenses ont augmenté deux fois plus vite que le PNB pendant la première partie de la décennie et, quoique relativement plus lentement, de plus de moitié, de nouveau, jusqu’en 1970. Bien qu’une tendance à la stabilisation ait été notée dans les années soixante-dix, l’augmentation a continué dans la majorité des pays du

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monde jusqu’aux alentours de 1980. Depuis, on assiste à un renversement de tendance, de sorte qu’à présent, la plupart des pays, développés et en voie de développement, ont soit stabilisé, soit, le plus souvent, ont réduit leurs efforts dans ce domaine.

Au-delà de la tendance générale à la hausse qui apparemment s’est ralentie et dans plusieurs cas s’est renversée vers la fin de la période étudiée, il est possible de dégager six phénomènes : Bien que les pays en voie de développement semblent aujourd’hui accorder une partie moins importante de leurs ressources à l’enseignement, ils “rattrapent” les pays développés, ce qui signifie que leur effort a été plus intense dans le passé et qu’il sera donc plus difficile de le soutenir à long terme.

Au début des années soixante-dix, la tendance à la stabilisation de cet effort a été plus nette dans le premier groupe que dans le second (le pourcentage moyen est seulement passé de 3,63 à 3,69 alors qu’il est passé de 4,86 à 5,24 dans les pays développés), ce qui peut signifier que, comme l’avait prévu Philip Coombs en 1965, la crise financière a d’abord touché la plupart des pays en voie de développement.

La crise économique qui a frappé les économies de marché après le premier “choc pétrolier” de 1973 a provoqué un fort accroissement apparent de l’effort public en faveur du financement de l’enseignement, et cela tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. Il est cependant difficile d’en déduire l’existence d’une grande priorité à l’enseignement dans une période où les ressources diminuent. Bien au contraire, une analyse plus détaillée montre qu’il s’agit là d’une inertie : celle-ci s’explique par la flexibilité réduite à court terme des dépenses affectées à l’enseignement et constituées de salaires dans une proportion plus grande que la majorité des autres budgets publics.

Le renversement de tendance est plus net au sortir des années soixante-dix dans les pays où l’enseignement recevait moins de subventions de l’État. C’est là la conséquence d’une plus grande flexibilité dans le financement aussi bien que d’un changement plus rapide d’attitude à l’égard de l’enseignement.

A tous les niveaux, dans les pays en voie de développement, et, dans la plupart des cas, au niveau du tertiaire dans les pays développés, la stabilisation de l’effort s’est traduite par une dépense moindre par étudiant, étant donné que le nombre d’inscriptions a augmenté plus vite que le PNB et/ou les budgets publics. La propension à dépenser l’argent public pour l’enseignement post-obligatoire (et même post-secondaire) a enregistré une diminution plus sensible que celle qui consiste à allouer des fonds publics en faveur de l’enseignement obligatoire.

Il est évident que le renversement de la tendance à la hausse, qui, dans certains cas, a été suffisamment fort pour entraîner une réduction non seulement de l’effort mais également des sommes destinées à l’enseignement, n’a pas été provoqué par une baisse de la demande d’enseignement. Il est vrai que dans les pays développés le déclin de la fertilité depuis le milieu des années soixante a entraîné une diminution du nombre d’élèves, d’abord à l’école primaire et ensuite dans tout le cycle obligatoire. Toutefois, dans l’enseignement post-obligatoire, ce déclin ne s’est fait sentir que dernièrement, et la demande s’accroît encore. Des études statistiques portant sur le chômage des jeunes montrent que la probabilité de devenir chômeur est négativement corrélée avec le niveau de scolarisation. Les jeunes en sont conscients et ils essaient de prolonger leurs études aussi longtemps que possible.

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Dans les pays en voie de développement, à l’exception de la Chine, le ralentissement de la croissance démographique n’est nulle part suffisamment important pour qu’il puisse provoquer une baisse du nombre absolu des enfants en âge d’être scolarisés. En Afrique, la révolution démographique est encore dans sa phase explosive, et le nombre des étudiants potentiels s’accroît de trois pour cent par an dans la majorité des pays. Les bénéfices présents et futurs de l’enseignement ainsi que les frais de scolarité modérés ont conduit bon nombre de diplômés de l’école secondaire à s’inscrire à l’université au cours des périodes à taux de chômage très élevé.

En même temps, dans tous les pays, s’est intensifiée la pression exercée sur les budgets publics. D’une part, le ralentissement de l’activité économique a eu une influence défavorable sur les impôts sur le revenu ; d’autre part, les dépenses “rivales” telles que l’indemnité de chômage, les fonds pour l’agriculture, la santé, la dette extérieure et parfois même les dépenses militaires, ont tendance à s’accroître au détriment de l’enseignement.

La conclusion est claire : il y a une crise financière de l’enseignement dans la ma-jorité des pays ; cette crise est beaucoup plus profonde que ne le montrent les macrostatistiques, et elle ne disparaîtra pas de sitôt, surtout dans les pays en voie de développement, si l’on ne trouve pas des solutions nouvelles. Mais la crise s’est également intensifiée parce que l’enseignement n’est plus considéré comme une panacée : il s’agit donc aussi d’une crise doctrinale. LA CRISE DOCTRINALE L’expansion extraordinaire de l’enseignement dans les années soixante a été rendue possible par le fait que la plupart des gouvernements ont affecté davantage de ressources publiques à ce secteur. Ils ont réagi d’une façon aussi positive que rapide, car la théorie économique dominante à l’époque présentait l’enseignement comme un investissement hautement profitable.

Cependant, vers le milieu des années 1970, cet optimisme excessif et l’obligation de donner la priorité à l’enseignement ont considérablement diminué quand, étant donné l’accroissement du chômage chez les diplômés, on a mis en doute la capacité du système éducatif à fournir des spécialistes adaptés aux besoins du marché du travail, surtout dans les pays en voie de développement où l’on a reproché au système d’enseignement en place de reprendre les programmes de l’ancien colonisateur. La capacité et la volonté des décideurs publics à allouer des ressources en fonction des préférences sociales ont également été contestées par les nouvelles théories économiques. Toutes ces nouvelles tendances ont finalement conduit à l’émergence d’un point de vue plus critique à l’égard de l’éducation et d’une volonté moins absolue pour accroître la contribution publique dans ce domaine, ce qui n’a fait qu’aggraver la crise financière de l’enseignement.

Ainsi, pressés par l’urgence de la situation, la plupart des pays ont commencé à expérimenter ou, du moins, à rechercher de nouvelles possibilités pour financer l’enseignement ainsi que de nouveaux types de rapports entre l’État et le système éducatif, notamment au niveau post-secondaire.

Alors que les cadres institutionnels et financiers de ces pays sont très différents, parfois même opposés, on y observe une tendance à éviter les solutions extrêmes : les pays à financement et contrôle publics souhaitent plus d’autonomie et de financement

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privé, du moins aux niveaux supérieurs du système ; les pays, comme le Japon, où les établissements privés, non subventionnés par l’État, étaient prédominants, ont eu tendance à introduire ou à accroître les subventions et le contrôle publics dans le secteur privé.

Bien que la grande majorité des mesures prises durant les vingt dernières années, notamment dans l’enseignement supérieur, aient eu plutôt un caractère d’urgence au lieu de mener à des réformes soigneusement élaborées, l’analyse économique conclut nettement qu’il faut les encourager aussi longtemps qu’elles aboutiront à des solutions mixtes quant au financement de l’enseignement. Néanmoins, les contraintes sont fortes et variées. L’histoire a modelé de manière différente les divers systèmes d’enseignement de chaque pays, de sorte qu’il n’existe pas de solution “scientifique” optimale au problème du financement de l’enseignement post-obligatoire. Il faut avoir conscience de la dangereuse erreur que représenterait l’imposition de changements radicaux sans que soient prises en compte les contraintes pratiques et sociales de même que les évolutions politiques propres à chaque société donnée.

Cependant, si l’on tient compte de ces contraintes, il est encore possible de trouver des solutions appropriées à chaque situation concrète, aussi longtemps qu’on aura une idée claire des priorités et des objectifs à atteindre. Bien que chaque pays ait ses propres particularités et qu’il doive prendre des mesures spécifiques, il est possible de faire des recommandations qui soient largement valables pour les groupes de pays confrontés aux mêmes problèmes de gestion et de financement. Il faut néanmoins distinguer entre les problèmes et les solutions de l’enseignement supérieur, d’une part, et ceux de l’enseignement secondaire post-obligatoire, d’autre part, car dans le dernier cas, le financement public restera probablement dominant et le con-trôle public rigoureux. De toute façon, les mêmes questions attendent des réponses dans tous les cas. LES QUESTIONS PRINCIPALES La première et la plus générale de ces questions est : qui doit payer pour l’enseignement ? Ce sont en fait les circonstances qui ont conduit le système et/ou ses institutions à mettre en œuvre les innovations qui ont mené à un élargissement de la base de ressources par la contribution d’un nouveau groupe (ou par l’accroissement de la contribution d’un groupe déjà existant). Il n’est pas évident que ces changements aient eu un effet optimum. C’est la raison pour laquelle il nous faut écouter ce que la science économique peut nous apprendre concernant le financement optimum de l’enseignement. Comme nous le verrons, la conclusion générale est que le financement mixte est meilleur que le seul financement public ou privé.

En retour, cela soulève une seconde question : le financement mixte implique-t-il un double système d’enseignement, les écoles publiques étant financées par l’argent public et les écoles privées étant subventionnées uniquement par des sources privées ? Notre conclusion est que l’on peut recommander le financement mixte aussi bien pour les établissements publics que pour les établissements privés.

Les trois questions suivantes se rapportent d’une manière plus spécifique au financement des services éducatifs offerts par les écoles.

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La première est : à supposer que ces services doivent être subventionnés par l’État, faut-il donner l’argent aux établissements ou bien aux étudiants qui les fréquentent ?

Deuxièmement, si l’on peut trouver d’autres sources de financement - entreprises, dons philanthropiques et, dans les pays sous-développés, aide étrangère - quelle devrait être leur contribution et comment celle-ci devrait-elle être fournie et reçue ? Plusieurs variantes peuvent se présenter mais, au moins en ce qui concerne le financement par les entreprises, deux conclusions semblent s’imposer : tout d’abord, ce type de subvention pourrait et devrait s’accroître dans plusieurs pays ; ensuite, il devrait être accordé sur la base d’arrangements contractuels.

Troisièmement, est-il possible d’utiliser les ressources d’une façon plus efficace, de manière à diminuer le coût par unité ? La dernière question se rapporte au coût de l’enseignement pour l’étudiant, y compris les frais d’entretien durant la durée des études. En admettant que l’étudiant ne devrait pas payer le coût total, comment faut-il aider l’étudiant ? Doit-il recevoir des bourses, des prêts ou une combinaison des deux ? Qui doit payer et quoi dans l’enseignement post-secondaire ? L’enseignement est un processus qui transforme ceux qui y participent, de sorte qu’il leur permet d’en recevoir certaines satisfactions, tout de suite ou plus tard. Il est également apprécié par la société en général, qui, pour différentes raisons, sent qu’il ne saurait être acheté et vendu comme une marchandise. En d’autres termes, on peut faire un plaidoyer en faveur du financement tant public que privé de l’enseignement. Plaidoyer pour le financement public de l’enseignement Dans les économies de marché, la compétition parmi les acheteurs et les vendeurs autant qu’entre les deux groupes est supposée conduire à la meilleure utilisation possible des ressources disponibles. Mais les manuels d’économie nous apprennent aussi que plusieurs conditions sont requises afin d’obtenir ce résultat optimum. Certaines de ces conditions ne sont pas remplies dans le cas de l’enseignement.

Tout d’abord, certains biens peuvent être utilisés par plusieurs personnes d’une manière non-concurrentielle, c’est-à-dire consommés entièrement et simultanément par chacune d’entre elles. De tels biens ne seront pas achetés spontanément sur le marché, tant qu’il sera possible, techniquement ou économiquement, à n’importe qui d’en jouir, en raison de leur mise en libre service dès leur production. Ce phénomène, connu sous l’appellation de “ticket gratuit”, dissuade les entreprises privées de les produire. Si les biens en question sont considérés comme importants par la société, ils devront donc être financés par des moyens extérieurs au marché, tels les impôts ou les dons philanthropiques, et offerts à tous. Au sens strict, l’enseignement ne rentre pas dans cette catégorie des “biens purement publics”, puisqu’il est toujours possible d’interdire à un élève potentiel de s’asseoir dans une salle de classe. Souvent, on avance l’argument qu’il s’agit là d’une combinaison de traits caractéristiques, relevant à la fois d’un bien public et privé, car la qualité de l’enseignement est indivisible, au moins pour un établissement donné. Lorsque le nombre d’étudiants réunis dans la même salle s’accroît, la qualité diminue, non seulement pour les nouveaux venus mais également pour ceux qui y étaient

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déjà. Cela constitue un plaidoyer pour le financement public en vue de produire ou de maintenir la qualité de l’enseignement. Les étudiants et leurs familles n’ont pas le moyen d’évaluer correctement la qualité de l’enseignement. Les investisseurs privés pourraient alors être tentés d’accroître la quantité, c’est-à-dire le nombre de places qu’ils offrent, même si cela a une influence négative sur la qualité.

D’autre part, l’information qui se trouve à la disposition des étudiants est également imparfaite. L’objectif dernier de l’enseignement se réalise dans le temps et pourrait être affecté par quantité d’événements dont la plupart ne peuvent être prévus. On avance souvent l’argument que cette incertitude conduit beaucoup de jeunes à sous-estimer la réalité des bénéfices futurs de l’enseignement et donc à moins investir dans leurs études s’ils doivent en supporter le coût intégral. Dans le même esprit, on peut affirmer que l’incertitude liée aux futurs gains des diplômés dissuade les prêteurs de financer les études au taux courant du marché. Cela accroît le coût de l’enseignement pour ceux qui ne peuvent pas financer leurs études par leurs propres ressources et diminue par conséquent la demande d’enseignement.

Un autre argument en faveur du financement public de l’enseignement est l’existence de ce que les économistes appellent les externalités positives. La majorité des biens ne procurent de satisfactions ou d’autres avantages qu’à ceux qui les acquièrent. Quelques biens apportent des bénéfices à d’autres groupes ou même à la société tout entière, au-delà de la somme des avantages individuels qu’ils offrent à leurs possesseurs. Ces bénéfices extra-sociaux sont attribués aux effets externes ou externalités.

L’enseignement est censé produire de telles externalités positives tant de nature économique que non-économique. Elles peuvent aller de la contribution au progrès scientifique, à la croissance économique et à l’accroissement de la flexibilité des marchés du travail jusqu’à la transmission des connaissances, des valeurs esthétiques et culturelles, en passant par la participation plus efficace à la vie politique. Ce large consensus a conduit à la conclusion généralement admise selon laquelle ces externalités positives justifient une intervention substantielle du gouvernement.

Enfin, le financement public peut être justifié d’un tout autre point de vue, à savoir celui de l’État. Si on considère le gouvernement non comme un représentant de la communauté tout entière mais comme une institution essayant de maximiser son revenu, il faut alors prendre en compte l’influence exercée par l’enseignement sur la capacité des diplômés à payer des impôts élevés. Si le gouvernement estime qu’il obtiendra plus d’argent des revenus et des dépenses futures des diplômés qu’il n’en dépense habituellement pour développer et améliorer l’enseignement, il trouvera alors une justification au maintien d’un budget pour l’éducation. Il faut toutefois remarquer que, si tous les arguments examinés ci-dessus sont en faveur d’une contribution publique au financement de l’enseignement, ils ne nous amènent pas pour autant à conclure que cette contribution doit couvrir la totalité des frais. Plaidoyer pour le financement privé de l’enseignement On connaît très bien la principale raison pour laquelle les individus (ou leurs familles) doivent payer pour l’enseignement qu’on leur dispense, du moins au-delà du niveau obligatoire. Ils en retirent des avantages personnels : un revenu et un statut social plus

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élevés, une consommation plus efficace, une meilleure santé, une compétence politique accrue et un accès plus facile à la culture, à la science et à la technologie.

On peut trouver des arguments en faveur du paiement des droits d’inscription par les étudiants si l’on prend en compte la dimension de l’offre. Premièrement, il s’agit du phénomène bien connu sous le nom de “usager payeur de taxes symboliques”. Les gens sont enclins à ne pas apprécier ce pour quoi ils ne paient pas et consomment ces biens gratuits d’une manière indistincte et excessive. Par contre, quand il s’agit de payer un droit, même modeste, la consommation tend à devenir plus rationnelle.

Deuxièmement, lorsque le client paie ce qu’il consomme, il a le droit de porter un jugement sur le produit concerné. Quand les écoles perçoivent des droits d’inscription, elles doivent prendre en compte les préférences des étudiants et organiser les programmes d’études en conséquence. Cela accroît “l’efficacité interne” des institutions d’enseignement. Troisièmement, les droits d’inscription représentent un revenu supplémentaire pour les écoles financées publiquement et leur permettent de maintenir la qualité de l’enseignement au cours des périodes de restrictions budgétaires.

L’enseignement procure également des avantages aux entreprises privées : l’enseignement général réduit la nécessité d’assurer la formation des personnels et diminue le coût du recyclage lorsqu’on change les produits et les technologies, tandis que la formation spécialisée et les programmes de recherche peuvent accroître la productivité. Les entreprises n’ont aucune raison de ne pas payer pour ce qui finalement leur procurera des avantages. Enfin, si les philanthropes trouvent une satisfaction dans le développement de l’enseignement, on peut s’attendre ce qu’ils allouent des fonds à cet effet.

Les arguments ci-dessus montrent très clairement qu’on peut tenir un plaidoyer convaincant en faveur du financement public et privé de l’enseignement. La solution optimale semble être un système mixte. Cela laisse cependant sans réponse une question très importante : quelle doit être la part de la contribution de chaque participant ? En principe, la réponse est simple chaque entité ou composante devrait contribuer au financement de l’enseignement en fonction des bénéfices qu’elle en retire. Mais nombre de ces avantages sont difficiles ou impossibles à évaluer. Aucun(e) étudiant(e) ne sait raisonnablement avec certitude combien d’argent il/elle va gagner dans sa vie active ; il/elle n’est pas non plus capable de quantifier les bénéfices non pécuniaires qui résulteront de la fréquentation du système scolaire au-delà de la période obligatoire. Les entreprises ont tendance à minimiser les avantages qu’elles obtiennent des diplômés. Pour distribuer leur argent les philanthropes, eux, doivent choisir entre différentes destinations concurrentes. Ils s’intéressent à la rentabilité de leurs dons mais ils ne possèdent pas un critère objectif qui puisse les guider dans leur choix.

Tout bien considéré, le choix de proportion idéale dépend dans une plus large mesure aussi bien des contraintes pratiques et sociales d’une société donnée et des évolutions politiques que des considérations rationnelles des chercheurs et des statisticiens. Cela ne signifie pas qu’on ne puisse rien dire sur les conséquences d’un choix donné. Enseignement privé contre enseignement public

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Les différents pays font des choix largement différents quant au partage de la responsabilité de l’EPO entre le public et le privé, notamment au niveau supérieur. Par ailleurs, il existe de bonnes raisons pour recommander le financement public aussi bien que privé de ce type d’enseignement. Est-ce à dire que la solution optimale réside dans un système dual comportant, d’une part, des établissements publics subventionnés par des fonds publics et, d’autre part, des établissements privés percevant des droits d’inscription couvrant l’intégralité du coût de l’enseignement ? Les observations empiriques montrent que cette solution extrême est très rarement adoptée et que la logique plaide pour des solutions mixtes. Il y a plusieurs arguments en faveur des subventions publiques accordées aux écoles privées. - Les subventions publiques peuvent représenter une condition nécessaire à l’expansion significative de l’enseignement privé. Les coûts de I’EPO et notamment ceux de l’enseignement supérieur sont élevés. Peu d’étudiants (ou leurs familles) sont à même de couvrir ces frais intégralement. Les établissements privés ne peuvent espérer attirer un grand nombre d’étudiants qu’à condition qu’ils prélèvent des frais de scolarité réduits. Les subsides peuvent entraîner des économies dans les budgets publics s’ils éloignent des écoles publiques plus d’étudiants que ne le feraient les écoles privées non-subventionnées. Les subventions publiques peuvent à la fois aider à atteindre des objectifs culturels et économiques et assurer la stabilité politique si elles permettent aux minorités de fréquenter les écoles de leur choix à un coût raisonnable. Les subventions publiques peuvent permettre de transférer une part du poids financier vers les ménages, lorsque la loi ou la tradition empêche ou rend très difficile le recouvrement des droits d’inscription par les établissements publics. Ces subventions peuvent permettre à l’État de contrôler les écoles privées moyennant des subventions et, par conséquent, de s’assurer qu’elles ne diffusent pas d’idées subversives ou, plus généralement, qu’elles dispensent un enseignement d’une qualité au moins minimale. Il y a aussi des arguments en faveur d’un financement privé partiel des institutions publiques.

- L’argument du “phénomène de l’usager payeur de taxes symboliques” cité ci-dessus.

- L’argument du taux de rentabilité : pourquoi les étudiants devraient-ils bénéficier d’un enseignement gratuit s’ils gagnent d’avantage à la fin de leurs études ?

- L’argument relatif à l’autonomie qui sera développé plus tard. Conclusion: la distinction entre l’enseignement public et privé n’est pas toujours aussi nette qu’elle le paraît. La gestion privée ne suppose pas toujours le seul financement privé. Favoriser l’expansion du secteur privé subventionné par des fonds publics peut alléger l’effort budgétaire ; encourager les établissements publics à chercher d’autres sources (privées) de revenu aboutira au même résultat. Le financement public de l’enseignement : les subventions accordées aux établissements ou aux étudiants

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Même si l’on admet, en général, que l’enseignement post-obligatoire doit être subventionné par l’État, les voies institutionnelles par lesquelles ces subventions sont allouées diffèrent beaucoup pour chaque pays (et pour chaque État dans les pays fédéraux). Ces dispositions ont des effets différents sur le fonctionnement des systèmes, et ils doivent être clairement compris afin de pouvoir guider les choix publics. Globalement, il existe deux solutions “pures” (opposées). On accorde les subventions soit aux établissements, soit aux étudiants. Dans le dernier cas, l’établissement perçoit des droits d’inscription qui couvrent le coût intégral des services qu’il offre, tandis que l’étudiant reçoit une bourse ou un prêt d’études subventionné par l’État. Dans le premier cas, l’établissement détermine la quantité et la qualité des services qu’il offre, selon les subventions d’État ou les autres ressources qu’il est en mesure d’obtenir (frais d’études payés par les étudiants, bourses accordées par les entreprises, etc.). Les subventions accordées aux établissements Cette aide peut revêtir deux formes : générale et spécifique. Dans le premier cas, les fonds publics sont utilisés pour subventionner les fonctions éducatives générales des établissements, sous forme de budgets annuels établis selon un calcul plus ou moins compliqué ; ils sont versés comme allocations budgétaires ordinaires par les institutions gouvernementales habilitées. Par contre, les subventions spéciales sont accordées aux établissements pour des objectifs bien précis.

Traditionnellement, l’argent public était accordé aux établissements principalement sous forme de subventions spécifiques ou limitées. Les salaires des personnels étaient payés soit directement par l’État, soit, à l’échelle nationale, par chaque établissement à partir d’une subvention d’État. Ce type de rapports institutionnels avait tendance à exclure les innovations, voire à lier les mains des payeurs et des bénéficiaires.

Apparemment, les subventions non-réglementées, quand elles existaient, étaient en général si modestes qu’elles ne laissaient aux établissements aucun choix, à l’exception toutefois du Royaume-Uni où, pendant longtemps, des subventions généreuses et non réglementées étaient accordées aux universités et leur laissaient une grande liberté d’action. Mais on considère en général que ce système n’a pas plus favorisé les innovations et la concurrence que les subventions réglementées qui étaient allouées à d’autres établissements d’enseignement supérieur du pays, comme les écoles polytechniques et les “colleges”.

Aucune solution ne conduit à un résultat optimal : les subventions sans réglementations ne sont pas stimulantes et tendent à diminuer avec le temps. Les subventions spécifiques n’assurent pas la stabilité à long terme dont les établissements ont besoin et, de surcroît, il est possible qu’elles soient accordées selon les priorités et les caprices éphémères des corps élus plutôt que suivant un plan rationnel de développement.

L’impulsion nécessaire pour promouvoir l’innovation pourrait être donnée par la combinaison d’une allocation de base comportant une formule de financement liée à des critères objectifs tels que le nombre d’étudiants, et de subventions spécifiques aux programmes de développement agréés conjointement par l’établissement et par l’organisme financeur, sur une base contractuelle et susceptible d’être évaluée. De telles

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procédures sont expérimentées et mises en œuvre dans quelques pays européens et semblent donner de bons résultats. Cette combinaison peut également accroître le total du financement de deux manières : premièrement, en accordant des subventions plus généreuses aux établissements qui innovent, deuxièmement, en ajoutant aux subventions spécifiques des ressources supplémentaires provenant d’autres sources publiques ou privées. Une condition à laquelle doivent satisfaire ces nouvelles procédures afin d’atteindre les résultats escomptés est de permettre aux établissements d’utiliser librement l’argent public. Les subventions accordées aux étudiants Les subventions accordées aux étudiants se présentent sous deux formes : les bourses (allocations d’études ou bourses destinées à couvrir les frais d’entretien) et les prêts. De toute évidence, si les autorités publiques s’orientaient vers des subventions aux étudiants, les subventions budgétaires destinées aux établissements diminueraient, provoquant par là une hausse des droits d’inscription à payer par les étudiants. Ceux-ci seraient alors obligés de payer des droits d’inscription plus élevés avec les subventions qu’ils reçoivent de l’État. Les établissements d’État bénéficieraient toujours du soutien de l’État, d’une façon indirecte, par les fonds publics alloués aux étudiants, ainsi que des subventions directes.

Cette solution est susceptible d’offrir aux étudiants la liberté du choix surtout si les établissements privés peuvent y participer. Elle est également susceptible de promouvoir l’équité, car le montant du soutien peut être ajusté aux besoins économiques de l’étudiant. Elle stimule la concurrence entre les établissements en vue d’attirer les étudiants. D’autre part, elle comporte aussi des aspects négatifs, car si elle accroît la diversité et, en un certain sens, la productivité, elle favorise également la stratégie à court terme au détriment d’une planification à plus long terme ; en outre, elle encourage parfois la médiocrité et le manque d’exigence dans le but d’attirer les étudiants. Enfin, elle entraîne probablement une réduction des programmes qui bénéficient plutôt à la société tout entière qu’aux étudiants pris individuellement.

À considérer les résultats mixtes de chaque solution, il semble raisonnable de recommander une combinaison des soutiens financiers accordés aux établissements et aux étudiants. Plus précisément, aussi longtemps que les établissements d’enseignement post-secondaire apporteront des bénéfices sociaux à l’État, autres que ceux reçus par les étudiants et leurs familles, on peut conclure à la nécessité de soutenir les établissements. Les bénéfices dépendant uniquement des options et de la participation des étudiants doivent, eux, être financés par les subventions aux étudiants. En général, une chose est claire : c’est là un plaidoyer pertinent en faveur d’un soutien financier plus important octroyé aux étudiants dans nombre de pays, notamment en Europe où les subventions publiques sont accordées, pour la plupart, aux établissements.

Évidemment, cela ne résout pas le problème du type de soutien à apporter aux étudiants (bourses ou prêts) et de la façon la plus appropriée de le gérer. Les autres sources de financement

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Les établissements d’enseignement ne vivent pas uniquement des subventions publiques et/ou des droits d’inscription payés par les étudiants. On considère en général que le monde des affaires à un intérêt légitime dans l’EPO, ce qui, pour les entreprises, représente aussi une invitation à supporter une partie de ses frais. Mais les établissements, notamment les universités, peuvent également toucher un revenu de leur propre patrimoine. Les philanthropes peuvent être conduits à fournir des ressources supplémentaires. Enfin, l’assistance internationale peut être parfois sollicitée dans les pays en voie de développement. Le financement par les entreprises Les entreprises contribuent aux subventions publiques accordées aux établissements ou aux étudiants par l’intermédiaire des impôts. Il y a, cependant, d’autres moyens de les convaincre ou de les obliger à assumer cette responsabilité, comme les taxes spéciales pour l’enseignement, perçues en fonction du chiffre d’affaire ou du nombre de salariés, ou comme l’exemption d’impôts pour les donations. Un exemple intéressant est la Taxe d’Apprentissage (France), une taxe perçue sur la feuille de paye (0,5%) qui est supprimée si les entreprises font une donation d’une valeur égale à des établissements d’enseignement professionnel et technique de leur choix, soit directement, soit par l’intermédiaire des associations patronales.

Parfois, il n’est pas nécessaire de les stimuler ou de les obliger à contribuer au financement de l’enseignement, si elles trouvent une possibilité pour résoudre leurs propres problèmes en passant des contrats avec les établissements d’enseignement en vue d’offrir des services spécifiques.

Dans un monde caractérisé par des changements technologiques rapides, les firmes ont besoin d’une main d’œuvre plus spécialisée qu’auparavant. La formation sur le tas demeure encore importante, surtout pour adapter à leur emploi les ouvriers récemment embauchés. Mais il est beaucoup plus important de former de nouveaux savoir-faire, d’adapter la main d’œuvre aux nouveaux processus et à une nouvelle organisation du travail.

Les entreprises ne sont pas à même d’atteindre seules ces objectifs ; il faut qu’elles passent des contrats avec les établissements d’enseignement. Les écoles techniques et les universités peuvent dispenser une partie de cette formation, mais la plupart des cours ne sont pas adaptés à cette nouvelle exigence. Elles doivent donc créer des départements pour la formation permanente, financés par les droits d’inscription que paient les entreprises pour leur personnel en formation. Cependant, le corps enseignant peut hésiter à s’engager dans cette activité nouvelle qui est parfois plus exigeante, à moins de recevoir une compensation financière appropriée. Du point de vue de l’établissement, il ne peut être intéressant de développer ces départements que si une partie des ressources supplémentaires est susceptible de stimuler la recherche et l’enseignement traditionnels ou si cela assure le développement des liens avec le monde des affaires, facilitant ainsi le placement des fonds dans les entreprises et procurant des emplois aux étudiants.

En fait, les firmes peuvent aussi contribuer au progrès de l’enseignement en donnant aux étudiants, lors des stages pratiques qu’elles leur offrent, la possibilité de franchir le fossé entre les connaissances abstraites et l’expérience pratique.

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Bien que ces contributions soient réelles, il ne faut toutefois pas les considérer comme une diversification des ressources financières des institutions d’enseignement supérieur, mais plutôt comme une conséquence de la diversification de leurs objectifs et de leurs activités. La recherche scientifique au profit des entreprises La recherche “pure” est menée soit conjointement avec l’enseignement, étant financée par celui-ci, soit indépendamment, étant subventionnée dans ce cas par l’État ou par les philanthropes. La recherche appliquée comble le fossé entre la recherche “pure” et la production de biens et de services. Elle est directement reliée au processus de production et peut être considérée comme une modalité spécifique d’investissement productif par les firmes et par les organisations publiques. La formation et la recherche appliquée étant étroitement liées, les firmes et les établissements d’enseignement peuvent passer des contrats réciproquement avantageux qui ne seront efficaces qu’aussi longtemps qu’ils resteront précis et limités quant à leurs objectifs.

La recherche appliquée pourrait créer d’autres ressources si les universités, dans le cadre de ce qu’on appelle le transfert de technologie, exploitaient les droits de propriété intellectuelle en vendant à l’industrie les brevets et les licences des inventions de leurs laboratoires. C’est là une voie pleine de promesses, mais difficile : d’un côté, la tradition de la recherche universitaire et la diffusion libre des connaissances sont difficilement compatibles avec le secret qui doit être gardé lorsqu’on fabrique un nouveau produit dans un monde compétitif : la publication des résultats est souvent considérée comme l’aboutissement essentiel de l’activité scientifique. De l’autre côté, nombre d’universités ne sont pas assez professionnelles pour protéger et commercialiser leurs idées. De toute façon, les inventions couvées dans les laboratoires des universités ne sauraient aller faire la fortune des firmes privées ; malgré les difficultés, les établissements d’enseignement supérieur doivent essayer de convertir leurs droits de propriété intellectuelle en sources supplémentaires de financement. Revenus obtenus de la propriété, des avoirs industriels ou financiers La dotation des écoles et des universités en terres ou en propriétés a été depuis longtemps une manière simple d’assurer leur indépendance financière mais elle ne saurait plus être considérée comme le moyen principal de subventionner tous les établissements d’enseignement post-obligatoire. En effet, ceux-ci devraient contrôler une très large part des terres, des bâtiments et des affaires du pays pour être capables d’en tirer les ressources nécessaires à leurs dépenses courantes.

Certains donateurs préfèrent pourtant faire des donations en vue d’un objectif spécifique (par exemple la dotation des chaires), et les universités, même quand elles souhaiteraient dépenser immédiatement l’argent ainsi obtenu, doivent parfois accumuler et gérer les fonds reçus.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, les dotations se sont de plus en plus transformées en valeurs financières qui rapportent des bénéfices plus substantiels mais qui comportent aussi plus de risques. Gérer ces avoirs financiers suppose des compétences coûteuses et peut créer des problèmes aux établissements d’enseignement

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qui ont une destination différente. Étant donné le caractère particulier de leur fonctionnement, les établissements universitaires peuvent être tentés d’exercer des pressions sur les entreprises où ils détiennent des actions, pour que celles-ci réorientent leurs activités vers des buts plus nobles et plus hauts (cf. les campagnes contre les recherches dans le domaine militaire, contre le nucléaire, contre la pollution ou l’apartheid en Afrique du Sud). Ils peuvent aussi s’adonner à des activités financières spéculatives ou “créatives” en utilisant des moyens destinés à accroître le revenu par le financement d’une subvention fiscale ou par des procédés légaux permettant de participer au développement des entreprises commerciales (la création de filiales ou de fondations dans le seul but de bénéficier des mesures concernant les impôts sur le chiffre d’affaires). Créer une fondation pourrait donner aux établissements d’enseignement la possibilité de tirer des avantages de leurs dotations sans avoir à s’occuper de problèmes aussi étrangers à leur mission.

De toute façon, les universités ne doivent pas hésiter à créer ou à favoriser la création de différentes entreprises chaque fois que celles-ci ont un certain rapport avec l’enseignement ou la recherche : firmes de conseil, dirigées par les enseignants ou par les étudiants, parcs scientifiques, couveuses. On peut envisager des initiatives de groupe afin de mettre en œuvre des inventions produites dans les universités, des agences destinées à exploiter les ressources disponibles par l’organisation de conférences, etc. ... Philanthropes, bienfaiteurs et sponsors La philanthropie des individus et des entreprises s’épanouit dans un cadre spécifique, caractérisé par un système fiscal favorable et par une tradition nationale de solidarité au niveau des communautés locales, en opposition avec un État centralisé. Faute de quoi, même les campagnes les mieux organisées en vue d’accroître les subventions ne réussissent pas à collecter des fonds substantiels pour les établissements de l’EPO. Quand ils satisfont à certaines conditions de responsabilité et d’équilibre financier, les établissements dispensant un enseignement post-obligatoire doivent être traités comme des fondations ou comme des œuvres de charité exemptes d’impôts et habilitées à recevoir des donations de la part des firmes et des personnes privées. Alors, chaque établissement pourrait avoir recours à un ou plusieurs facteurs (anciens étudiants, entreprises commanditaires, etc. ...) selon le type de projet qu’il entend financer avec l’argent obtenu par de telles donations. L’assistance internationale La situation financière de certains pays envoie de développement est telle que, à court et à moyen terme, ils ne seront probablement plus capables de maintenir un niveau minimum de qualité et d’affronter l’expansion démographique sans l’aide extérieure. Mais, dans le passé, l’aide internationale n’a toujours pas été une gratification illimitée. Ces faits bien connus mènent à la conclusion suivante : l’assistance internationale doit s’accroître, au moins pour certains pays en voie de développement, mais elle devrait aussi être réorganisée. Moins de subventions aux professeurs, moins de “cadeaux”, mais plus d’assistance aux programmes locaux, plus de subventions afin de couvrir les dépenses courantes des institutions clés (par exemple, des imprimeries pour les manuels).

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Les effets des changements dans le financement Tout bien considéré, la diversification des sources accordant des subventions aux établissements de l’EPO est tout à fait possible, mais elle n’est pas sans conséquences sur leur organisation. En général, cela renforce leur autonomie mais suppose également une meilleure gestion étant donné qu’il est plus difficile de réaliser un consensus.

Il faut cependant souligner que tout changement de source de financement affecte considérablement le fonctionnement de tout le système ou de chaque établissement en particulier. Les effets des diverses innovations qui modifient un système donné peuvent être évalués selon quatre critères.

L’efficacité et l’équité, les deux critères de la prospérité économique. L ‘élargissement des ressources, c’est-à-dire la capacité de créer de nouvelles ressources en identifiant de nouveaux pourvoyeurs de fonds ou en persuadant les souscripteurs existants d’accroître leurs subventions. Mais les nouveaux modes de financement peuvent entraîner des coûts administratifs susceptibles de diminuer la valeur nette des fonds obtenus. Si, par exemple, on prend en considération un système financé notamment par des subventions accordées sans réglementation aux établissements, les effets moyens des principaux changements financiers peuvent être résumés dans le tableau ci-dessous. En certains cas, il n’est pas possible d’en prévoir les conséquences sans avoir plus de détails sur la manière dont on met en œuvre les changements. Aucune source prise isolément n’atteint des résultats élevés pour chacun de ces quatre critères. Si la situation initiale était différente, on arriverait à la même conclusion. Cela signifie deux choses : premièrement, le choix final dépend du poids que le décideur final assigne à chaque critère ; deuxièmement, dans la majorité des cas une combinaison des diverses sources est préférable à une source unique de revenu. Tableau 1 : Évaluation des différentes méthodes utilisées pour subventionner le coût de l’enseignement Méthode Efficacité Équité Élargissement

des ressources

Coût administratif

Subventions spéciales aux établissements

+ = = ou + .

Coupons pour les étudiants + = + . Frais de scolarité Taxes symboliques + = + . Taxes uniques + . ++ . Taxes variables ++ .. ++ . Total ++ .. ++ . Financement par les firmes Contribution à l’enseignement + = ou . + .

Services de recherche + = + . Sur la feuille de paie + = ou . ++ . Dotations et dons + ? + .. Réduire les coûts ou chercher de nouveaux moyens de financement

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Dans une situation de crise, le problème pour les écoles et pour les universités est de réussir à accroître ou, du moins, à maintenir leur rendement. Chercher de nouvelles ressources n’est pas la seule solution. Il faut aussi envisager de trouver de nouveaux moyens susceptibles de permettre une utilisation plus efficace des ressources existantes. Il existe deux sortes d’arrangements financiers pouvant conduire à un accroissement du rendement (ou, tout au moins, de l’efficacité).

Premièrement, il s’agit de la réduction des subventions publiques. Si le montant des subventions publiques (et/ou le nombre de postes) diminue nettement, les établissements sont obligés de réduire les dépenses qui ne sont pas essentielles à leur fonctionnement quotidien et, si on le leur permet, de redistribuer leur personnel. Toutefois, il n’y a pas de rapport étroit entre les effets anticipés des politiques restrictives en matière de financement et leurs conséquences réelles. L’évaluation des conséquences de ces politiques d’économies dans différents pays européens montre que leurs effets ont eu un rapport direct avec les consultations entre le ministère de l’éducation et les établissements d’enseignement aussi bien qu’avec le degré d’autonomie de ces derniers.

En gros, on peut constater que les résultats ont été positifs là où les universités ont joui d’une autonomie réelle et se sont étroitement associées en vue de concevoir le plan de redistribution (le cas des Pays-Bas) plutôt que là où les décisions ont été imposées, sans consultation préalable, par le ministère ou par une agence centrale (le cas du Royaume-Uni), pour ne pas parler des pays où les universités ont eu une autonomie très restreinte et où, par conséquent, la restriction des ressources a été provoquée par les rigidités structurales du système (le cas de la France).

Il faut également admettre que l’accroissement de l’efficacité de l’enseignement et de la recherche ne saurait être, dans la plupart des cas, démontré, étant donné que très souvent il n’existe pas d’indicateurs de performance dignes de confiance.

Deuxièmement, l’efficacité par rapport au coût peut être accrue si l’on procède à des changements dans la manière dont on dispense les services pédagogiques. L’enseignement traditionnel est organisé de telle sorte que les coûts par unité ont tendance à augmenter, puisque sa matière première principale est un travail exigeant une haute qualification dont le prix relatif monte. Mais l’histoire économique a montré qu’il était possible de faire baisser les coûts par unité, en remplaçant le travail par le capital. Pendant longtemps, les innovations technologiques n’ont guère été appliquées dans l’enseignement, en raison des caractéristiques de son “produit”. Avec la révolution des médias, les choses sont pourtant destinées à changer : ce qui est considéré en général comme le but essentiel de l’enseignement, c’est-à-dire la transmission de connaissances, devrait être fortement influencé par la disponibilité des nouveaux médias qui, à leur tour, doivent venir à l’aide de la recherche, un autre objectif primordial de l’enseignement.

On a bâti de grandes espérances sur la première génération des médias, la radio, la télévision et, en général, tous les types d’appareils audiovisuels. Les résultats en ont été plus que décevants. Dans l’ensemble, les observateurs ont estimé que ces instruments étaient coûteux, insuffisamment utilisés et souvent sans effet significatif sur le processus d’enseignement. La plupart de ces évaluations concernaient cependant des projets développés dans le système d’enseignement post-obligatoire et appliqués dans les écoles.

Le bilan semble beaucoup plus positif lorsqu’on ne prend en considération que l’enseignement post-secondaire et à distance. Les évaluations faites dans les pays

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développés à la fin des années soixante-dix ont donné un avantage important aux établissements ouverts. Par exemple, dans Evevyman‘s University d’Israël le coût de l’enseignement est seulement de 60 pour cent par rapport à celui des autres universités du pays, alors que le coût par étudiant dans la Open University britannique a été estimé à seulement 70 pour cent de celui des autres universités britanniques et cela à une époque où elle n’avait pas encore bénéficié des économies substantielles rendues possibles par l’enseignement à distance.

Certes, la différence est due aussi au fait qu’une plus large proportion d’étudiants dans l’enseignement à distance font des études de sciences humaines ou de droit dont le coût par étudiant est relativement bas, mais il n’en est pas moins vrai que le coût reste en général plus bas pour chaque spécialité.

La seconde génération des nouvelles technologies de la communication (micro-ordinateurs, vidéodisques, télévision par câble, etc. ...) a un potentiel beaucoup plus important et transformera peu à peu l’enseignement supérieur.

Virtuellement, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) comportent trois effets qui, directement ou indirectement, peuvent avoir des conséquences sur le financement de l’enseignement post-obligatoire. Premièrement, elles permettent aux étudiants de bénéficier d’un enseignement de haute qualité sans quitter leur lieu de résidence. On peut faire appel aux meilleurs spécialistes dans chaque domaine afin d’élaborer les logiciels des cours, de sorte que chaque étudiant puisse suivre, pour ainsi dire, les conférences des meilleurs professeurs du pays. De surcroît, l’étudiant peut choisir d’étudier selon son propre emploi du temps, pendant la nuit ou dans les week-ends, par exemple. Outre qu’elle est convenable pour l’étudiant, cette situation participe aussi à l’effet suivant.

Deuxièmement, les NTIC peuvent contribuer à la diminution du coût de l’enseignement. En permettant aux étudiants de choisir leur emploi du temps et le nombre d’heures par semaine, elles réduisent ou suppriment les dépenses prévues pour les adultes, lesquels peuvent ainsi étudier sans renoncer à leur occupation habituelle. D’autre part, si chaque cours enregistré est utilisé par un grand nombre d’étudiants, le coût par étudiant de chaque professeur sera très bas en comparaison avec l’enseignement traditionnel où il y a un professeur pour chaque classe ou, au mieux, pour un petit nombre de classes. Certes, le gain sera plus important au niveau des écoles, où le même programme est suivi par plusieurs élèves; il n’en va pas de même dans l’enseignement pour les adultes où la demande est beaucoup plus diversifiée ou bien dans l’enseignement supérieur où les étudiants sont beaucoup plus autonomes que dans l’enseignement secondaire. Dans ce dernier, des contacts fréquents entre le professeur et les élèves s’avèrent encore nécessaires.

Il faudrait également se rappeler que des coûts supplémentaires sont ajoutés, tels ceux du matériel, du logiciel des cours, de la transmission, etc., mais, avec le temps, ils ont tendance à diminuer.

Troisièmement, l’enseignement à distance qui utilise les NTIC peut permettre de déplacer le fardeau financier de l’enseignement, au moins partiellement, vers les étudiants. Ceux-ci devront, par exemple, acheter le matériel (micro-ordinateurs, périphériques, interfaces, etc.). Il est possible qu’ils préfèrent payer pour les cours mêmes, c’est-à-dire payer le logiciel des cours, et ceci pour trois raisons : s’ils sont des adultes déjà engagés dans des activités professionnelles, le fait qu’ils ne prévoient aucun

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gain ou qu’ils n’envisagent qu’un petit gain leur permet d’avoir à leur disposition un revenu plus important. S’ils anticipent une augmentation du revenu après avoir obtenu le diplôme ou l’attestation qu’ils souhaitent, ils seront alors d’autant plus disposés à supporter les frais de leurs études. En certain cas, ils peuvent recevoir une aide financière de leur employeur qui peut être prêt à acheter le logiciel des cours. Si, au contraire, ils ne travaillent pas encore, ils peuvent se rendre compte que c’est là la seule occasion pour eux de continuer leurs études, s'ils n’ont pas d’assez bonnes références pour être admis aux cours ordinaires ou bien s’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas se déplacer jusqu’au lieu où les cours sont dispensés.

Aussi les nouvelles technologies peuvent-elles, pour les raisons mentionnées ci-dessus, être un moyen de baisser le coût de l’EPO et/ou de transférer une partie du fardeau financier vers les étudiants dans les pays où les frais de scolarité n’existent pas ou sont très bas. Il y a pourtant deux objections à faire. Premièrement, les évaluations montrent qu’il y a encore une grande distance entre l’efficacité potentielle de ces technologies et leur efficacité pratique, de sorte qu’on peut s’attendre à ce que leur diffusion soit plus lente que prévu. Deuxièmement, ces instruments sont sophistiqués, et certains le sont même au plus haut degré. En outre, ils ne peuvent fonctionner que dans un environnement approprié ; le matériel exige d’être protégé contre les variations de température et de courant électrique, d’être entretenu et réparé. Si les pays développés satisfont d’habitude à ces conditions minimales, il n’en va pas de même dans les pays en voie de développement, notamment dans les zones rurales.

Aussi peut-on pronostiquer en toute confiance un puissant développement de l’enseignement supérieur à distance, de sorte que, dans les vingt ans à venir, l’enseignement se déroulera, dans la plupart des cas, en dehors des universités. Cela permettra à ces établissements d’obtenir une partie importante de leurs ressources en fixant des prix plus hauts pour le logiciel des cours que pour les cours ordinaires. Dans le monde en voie de développement, on peut prévoir la même évolution dans les pays semi-industrialisés, tels ceux de l’Asie. Mais ces changements seront plus lents dans les pays moins développés, notamment en Afrique, où l’enseignement à distance devrait utiliser plutôt la technologie communicationnelle de la première génération que celle des NTIC. Néanmoins, partout il sera nécessaire d’accroître le soutien public octroyé aux étudiants. L’aide aux étudiants Les étudiants peuvent contribuer au financement de leurs propres études, surtout en premier et deuxième cycles, avec l’argent gagné pendant les vacances ou dans des emplois au campus. Ces emplois doivent être organisés et subventionnés selon le modèle américain par les établissements et par les agences gouvernementales responsables de l’aide aux étudiants et doivent être favorisés par le développement des études à temps partiel. Les frais d’études à la charge des étudiants et de leurs familles peuvent être échelonnés par différents moyens de financement de l’éducation. Toutefois, il ne faut pas s’attendre à ce que les étudiants (ou leurs familles) couvrent intégralement les frais de scolarité. Cette situation soulève trois questions fondamentales :

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• Premièrement, faut-il subventionner uniquement le prix des services pédagogiques offerts par le système d’enseignement (le coût de l’enseignement), ou bien le coût total, y compris les frais d’entretien pendant la durée des études, doit-il être supporté par l’État (ou par d’autres sources) ?

• Deuxièmement, les étudiants doivent-ils être aidés par des bourses, par des prêts ou bien par les deux à la fois ?

• Troisièmement, faut-il utiliser l’aide de manière à orienter les étudiants vers certaines disciplines ?

Il y a de bonnes raisons pour ne pas séparer complètement le problème de la subvention du coût des services pédagogiques et celui des frais d’entretien de l’étudiant. Puisque les étudiants, afin de pouvoir suivre les cours, sont obligés de renoncer à un emploi (du moins à plein temps) qui rapporte un gain, ils ne peuvent pas gagner leur vie ; aussi longtemps que les étudiants au-dessous de l’âge adulte sont officiellement classifiés comme dépendants, normalement il ne faut pas s’attendre à ce que leurs familles les prennent en charge. On ne doit cependant pas mêler les deux problèmes. Les raisons pour lesquelles il faut subventionner l’enseignement ne sont pas exactement les mêmes que celles qui plaident en faveur d’une aide apportée aux étudiants pour couvrir leurs frais d’entretien. Bourses ou prêts d’études ? Faut-il aider les étudiants par des bourses ou par des prêts ? L’objectif de ces deux genres de soutien financier est double. Du point de vue de l’efficacité sociale, il s’agit de maximiser l’effectif des étudiants capables, en vue de maximiser la formation supérieure des gens. Du point de vue de l’équité, il s’agit de permettre à chaque étudiant de fréquenter les cours, quelle que soit sa situation économique. Le plaidoyer pour chaque type de soutien devrait constamment faire venir à l’esprit ces deux objectifs. Les bourses Les effets concrets des bourses sont fonction de la manière dont on les attribue et on les gère, ainsi que de leur but : couvrir le coût intégral ou une partie du coût de l’enseignement (subventions pour les frais de scolarité), ou bien subventionner le coût de la vie (bourses pour les frais d’entretien). Les subventions pour les frais de scolarité sont nécessaires aussi longtemps qu’il y a pénurie de main d’œuvre qualifiée, étant donné que peu d’étudiants (et/ou leurs familles) sont à même de payer les frais de scolarité. De telles bourses peuvent être payées aux étudiants ou peuvent se présenter sous forme de coupons. Un tel coupon est un bon ayant un certain pouvoir d’achat qui peut être encaissé dans n’importe quel établissement d’enseignement. La délivrance de ces coupons est supposée atteindre deux objectifs à la fois : la mise en application du droit à l’éducation pour tous et la liberté de choisir. On peut le réaliser avec un coût administratif beaucoup plus bas en subventionnant les établissements en fonction de leur nombre d’étudiants, afin qu’ils ne perçoivent pas de frais de scolarité ou seulement des frais uniques très bas, afin que les étudiants puissent choisir librement entre les institutions d’enseignement.

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Les bourses pour les frais d’entretien peuvent être accordées en nature (logement, nourriture et transport) ou en espèces. Dans le premier cas, il est évident qu’elles ne sauraient être allouées qu’aux établissements qui offrent lesdits services. Dans le second cas, il est préférable de les accorder aux étudiants mêmes et non à leurs parents, étant donné qu’il est difficile de s’assurer que ceux-ci dépenseront l’argent uniquement pour couvrir les frais d’entretien de leurs enfants. Les bourses ordinaires accroissent nettement le taux de participation, mais elles doivent être considérées comme inéquitables vu qu’elles viennent en aide autant aux riches qu’aux pauvres. Elles peuvent même équivaloir à une distribution régressive des revenus si la structure des impôts n’est pas très progressive et si les taux de participation sont nettement supérieurs pour les enfants des familles aisées. En outre, elles sont moins efficientes quant à l’accroissement des taux de participation, que les subventions accordées en fonction des revenus.

Les bourses attribuées selon certains critères peuvent être de deux types. Les bourses accordées en fonction des revenus sont destinées à accroître l’égalité des chances. Elles doivent être préférées si l’équité est le critère principal de sélection. Les bourses de mérite sont attribuées en fonction des réussites scolaires ; elles augmentent l’efficacité en maximisant la formation supérieure mais leur effet sur l’équité est probablement nul sinon négatif.

Pourtant, on considère toujours qu’il est important de promouvoir l’équité dans l’enseignement bien que peu de gens pensent encore que l’expansion de celui-ci favorise une distribution plus équitable du revenu. L’égalité des chances dans l’enseignement signifie que tous les étudiants ayant un niveau minimal de compétence doivent être capables de poursuivre leurs études au-delà du niveau obligatoire, quelle que soit leur situation matérielle. L’aide financière accordée en fonction des besoins des étudiants est destinée à franchir l’obstacle financier, souvent considéré comme insurmontable.

L’aide apportée aux étudiants a nettement accru le taux d’inscriptions dans l’enseignement supérieur, a permis à plus d’étudiants de fréquenter des établissements prestigieux et relativement coûteux ainsi que de poursuivre plus longtemps leurs études. Mais il est aussi évident que cette aide n’a pas réussi à éliminer les effets dus au milieu social. La promotion de l’équité dépend de la manière dont cette aide est accordée. Il faut s’en souvenir maintenant qu’on va examiner les prêts d’études. Les prêts d’études Les changements les plus frappants et les plus considérables dans la structure du financement de l’enseignement post-secondaire se rapportent aux sources privées : dans la majorité des pays où l’enseignement post-obligatoire était, traditionnellement, “gratuit”, on a demandé de plus en plus aux bénéficiaires, c’est-à-dire aux étudiants et à leurs familles, de contribuer aux coûts de l’enseignement.

Premièrement, les frais d’entretien sont peu à peu passés à la charge des étudiants : l’aide en nature, par la subvention des repas, du logement, du transport et de l’assistance sociale, n’a pas suivi le nombre d’inscriptions, en obligeant les étudiants à payer une plus large part de ces services. Dans maints pays, ces services sont largement autofinancés, les étudiants qui sont dans la gêne étant soutenus directement par des bourses ou par des prêts subventionnés.

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Deuxièmement, certains coûts de l’EPO ont été transférés vers les étudiants par le recours à des frais spécifiques pour l’équipement et les services supplémentaires (laboratoires, ordinateurs, bibliothèques) qui, étant faciles à identifier, ont été plus facilement acceptées par les étudiants et leurs familles. Dans certains pays (Belgique, Espagne, Pays-Bas, Suisse), les frais de scolarité ont augmenté à des niveaux qui ne sont plus nominaux (de 200$ US à 800).

Les revenus des familles ou le budget de l’État n’ont plus été à même de couvrir le coût toujours croissant de l’EPO, de sorte qu’on a fait appel à une autre source majeure de financement - les prêts d’études, préconisés de plus en plus pour les raisons suivantes : Étant donné que l’enseignement constitue un investissement rentable pour la majorité des étudiants même dans les pays où une grande proportion des élèves poursuivent leurs études au-delà de l’enseignement obligatoire, il n’y a pas de raisons pour que la société supporte son coût intégral. Si les possesseurs d’un diplôme gagnent plus que ceux qui n’en ont pas, ils doivent être capables de consacrer une partie de leur revenu supplémentaire au remboursement d’un prêt.

En outre, les étudiants qui empruntent de l’argent pour payer leurs études ont tendance à choisir avec plus de discernement leur domaine d’études et essaient d’achever leur formation le plus vite possible afin de réduire au minimum le montant du prêt. Au contraire des bourses attribuées en fonction des revenus qui laissent les étudiants des familles aisées à la bonne volonté de leurs parents, les prêts permettent aux étudiants de choisir librement, selon leur capacité et leurs propres préférences. En général, on peut distinguer trois types principaux de prêts : Prêts commerciaux Ces prêts sont organisés comme une hypothèque ou comme un prêt bancaire ordinaire. Le taux d’intérêt est celui du marché et la période du remboursement est fixe.

Une telle méthode présente plusieurs désavantages : Comme moyen de financer l’enseignement, elle est plus risquée que la plupart des autres prêts, tant pour l’emprunteur que pour le prêteur. Un étudiant qui fait un emprunt non seulement ne sait pas avec certitude quel sera le profit éventuel de son diplôme, étant donné que cela dépend des conditions futures du marché du travail et d’autres facteurs imprévisibles, mais il n’est même pas sûr d’obtenir ce diplôme. Contrairement à ceux qui empruntent pour acheter une maison, il ne saurait offrir de garantie. Le résultat en est que les banques sont très peu disposées à accorder de tels prêts sans une garantie gouvernementale et, par conséquent, ont tendance à fixer des taux d’intérêt élevés. Pour les mêmes raisons, elles auront tendance à offrir seulement des prêts à court terme, ce qui accroît la somme à rembourser à chaque échéance. Les programmes publics pour les prêts d’études La contribution publique aux prêts d’études peut revêtir la forme d’une subvention publique permettant au prêteur d’offrir un taux d’intérêt plus bas et de différer le remboursement (période de répit). Elle peut aussi consister en une garantie contre le non-paiement.

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Étant donné la grande incertitude planant sur l’avenir, les prêteurs commerciaux ont tendance à percevoir une prime afin de se protéger contre certains emprunteurs qui, ayant mal estimé leur revenu futur, seront incapables de rembourser l’argent. Cela accroît nettement les frais de scolarité pour ceux qui doivent contracter des emprunts par rapport à ceux qui sont soutenus par leurs familles. Une garantie publique ou une subvention assez élevée pour éliminer cette différence serait à même de recréer, pour ainsi dire, un “marché parfait” et de corriger la distorsion quant à l’allocation des ressources. De telles garanties ou subsides pèsent sur le budget public, mais elles sont probablement plus faciles à supporter que les subventions directes. En réalité, les prêts sont souvent subventionnés, plus qu’il n’est nécessaire, pour corriger les imperfections du marché. Ces subventions généreuses sont justifiées par les arguments qui invoquent l’efficacité et l’équité.

S’il existe des externalités positives, c’est-à-dire si l’enseignement a des effets positifs sur la société en général, au-delà des bénéfices qu’il apporte à chaque diplômé, il ne faudrait pas obliger les étudiants à supporter intégralement les frais de scolarité. Leur offrir des prêts subventionnés serait un moyen d’alléger une part des frais de scolarité. Si toutefois les établissements d’enseignement sont déjà subventionnés par l’État afin de percevoir des frais plus bas, subventionner les prêts au-delà de ce qui est nécessaire pour corriger les imperfections du marché reviendrait à subventionner deux fois la même chose, ce qui paraît compliquer la gestion du système sans en accroître l’efficience.

Quant à l’équité, les subventions substantielles sont justifiées seulement si elles sont limitées aux étudiants “pauvres”. Outre que, dans la majorité des pays, il est difficile de mesurer la capacité réelle de payer, il paraît plus logique de chercher à atteindre le même objectif par un troisième genre de prêts : les prêts à remboursement en fonction du revenu.

En tout cas, les prêts subventionnés présentent des désavantages évidents : premièrement, étant donné qu’ils représentent des dépenses périodiques pour le budget public, ils tendent à être rationnés dans les périodes de difficultés financières, limitant ainsi l’accès à l’enseignement, comme l’a récemment montré le projet allemand largement subventionné (BAFÔG). Deuxièmement, ils ne peuvent pas résoudre le problème des soi-disant “dots négatives”, c’est-à-dire le transfert vers les conjoints du remboursement des prêts contractés par les diplômés mariés qui ne travaillent pas. Ce dernier problème disparaît dans le cas du troisième type de prêts. Prêts à remboursement en fonction du revenu L’incertitude quant à l’investissement éducationnel peut dissuader les étudiants éventuels de s’inscrire à l’université même si cet investissement s’avère être profitable. Cette incertitude conduit à des décisions inefficaces et donc à une mauvaise allocation des ressources. Cette situation peut être évitée par la création d’une sorte d’assurance contre le risque que présente pour un individu le fait de ne pouvoir toucher un revenu qui rende profitable l’investissement dans l’enseignement. Ce genre d’assurance peut être réalisé par un système de prêts où le remboursement soit fonction du revenu réel de l’emprunteur.

Il existe deux types possibles de rapports entre le remboursement et le revenu :

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Premièrement, le remboursement pourrait être accru ou diminué selon le niveau atteint par le revenu. Ce procédé assure l’emprunteur individuel contre les fluctuations du revenu. Si son revenu baisse à cause des circonstances défavorables et imprévues, l’emprunteur verra les versements de son remboursement diminuer automatiquement. Cela oblige les “riches” à rembourser plus que les pauvres et peut être plus qu’ils ont emprunté.

Les prêts à remboursement en fonction du revenu présentent deux inconvénients bien connus des spécialistes des assurances. Le premier est appelé “le risque moral” et se rapporte au comportement conscient ou non conscient des individus, qui vise à accroître l’occurrence des événements contre lesquels ils sont assurés, dans la mesure où ils peuvent les contrôler. Si nombre d’étudiants ayant contracté un tel emprunt abandonnent ou choisissent de vivre avec un revenu inférieur, le système va subir des pertes qui devront être supportées par les finances publiques.

Le second inconvénient se rapporte à la “sélection contraire”. S’il est possible de “ne pas participer” à un système de prêt à remboursement en fonction du revenu, les étudiants qui s’attendent à des revenus substantiels choisiront de financer leurs études en contractant des emprunts aux banques ou en faisant appel à leurs familles et ainsi la source pour les éventuels remboursements supplémentaires tarira. Seuls ceux qui s’attendent à faire moins bien emprunteront selon ce système, ce qui créera une autre source de déséquilibre susceptible d’être compensée par des allocations budgétaires.

Deuxièmement, le prêt pourrait être remboursé plus ou moins vite suivant le revenu de l’emprunteur. Les individus “riches” rembourseraient par an plus que les “pauvres”, mais le remboursement cesserait pour les deux catégories au moment où la somme totale du prêt serait payée avec l’intérêt fixé. Cela réduirait considérablement le risque d’une sélection adverse mais n’éliminerait probablement pas le risque moral. Les chômeurs et autres personnes qui ne travaillent pas ne devraient pas rembourser l’argent, à moins qu’ils n’aient leur revenu non-gagné assuré, alors que ceux qui ont des revenus inférieurs pourraient rembourser seulement une partie du prêt avant la retraite. Certes, plus le délai du remboursement sera long plus on paiera d’intérêts, de sorte que les pauvres payeront plus d’intérêts que les riches.

S’ils remplaçaient les bourses, les prêts accordés en fonction du revenu pourraient toutefois réduire le budget public avec le montant des bourses, à deux exceptions près. Premièrement, les prêts initiaux, avant que les remboursements ne commencent à rentrer, devraient probablement être financés avec l’argent public ou au moins subventionnés pour aider le système à décoller. Deuxièmement, comme on l’a montré plus haut, même après le lancement, un tel système est destiné à produire régulièrement un déficit, quelle qu’en soit la solution choisie. En tout cas, une “clause de grâce” qui renonce au remboursement d’un prêt peut être utilisée par les gouvernements comme un stimulant afin d’attirer les étudiants vers certains emplois dont on a particulièrement besoin (comme une solution de rechange pour l’engagement, c’est-à-dire le financement des étudiants avec l’obligation pour ceux-ci de servir le gouvernement pendant une certaine période après avoir obtenu leur diplôme). Par une telle clause, il est également possible d’atteindre d’autres objectifs - récompenser les étudiants éminents ou encourager une obtention rapide des diplômes.

En résumé, il existe de solides arguments en faveur des prêts. Lorsque les circonstances locales sont favorables, ces prêts doivent être à remboursement en fonction

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du revenu, afin de consolider l’assurance mutuelle. Le montant à rembourser ne devrait pas excéder ou du moins pas de beaucoup - la somme empruntée plus l’intérêt et la commission. Les diplômés plus riches devraient payer plus vite que leurs collègues moins chanceux et il faudrait établir un seuil de revenu au-dessous duquel le remboursement pourrait être suspendu.

La subvention de ce système par l’État, bien qu’inévitable, devrait être réduite au minimum, afin de ne pas influencer le libre choix des étudiants. Elle devrait principalement consister en une garantie publique des prêts (qui baisse le coût de l’emprunt en éliminant la composante risque du taux d’intérêt) plutôt que dans la subvention directe du taux d’intérêt. Remplacer du jour au lendemain les bourses pour les frais d’entretien par les prêts n’est pas envisageable, car ce serait se heurter à une grande résistance de la part des étudiants et de leurs syndicats et d’ailleurs ce ne serait pas non plus satisfaisant du point de vue objectif. Cela affecterait négativement l’équité étant donné que les plus pauvres ne pourraient jamais emprunter assez pour poursuivre de longues études et, plus généralement, cela découragerait un nombre croissant d’étudiants à s’inscrire, notamment pour une période plus longue.

La conclusion est qu’une combinaison de prêts, garantis pour tous les étudiants, et de bourses, pour les frais d’entretien à l’intention des étudiants plus pauvres, serait la solution optimale. Afin de rendre les étudiants plus responsables et d’alléger le fardeau financier qui pèse sur le budget public, on peut envisager d’attribuer des bourses pour les frais d’entretien uniquement aux étudiants qui demande un prêt de valeur faible. RESUME En résumé, le cadre financier optimal pour l’enseignement supérieur, qui pourrait être étendu, avec quelques restrictions importantes, à l’enseignement secondaire supérieur, paraît être le suivant : Le financement public :

- devrait être prédominant, - devrait être composé de : - une subvention de base, sans restriction, accordée aux établissements,

subvention assurant un minimum de sécurité et de continuité ; - subventions spéciales négociées entre chaque établissement et un ou plusieurs

organismes publics, sur une période de plusieurs années, susceptibles d’évaluations provisoires et de renégociations ;

- bourses en fonction du revenu pour les étudiants, destinées à couvrir les frais de scolarité et les frais d’entretien ;

- garantie pour les prêts d’études.

Le financement privé : - sous forme de taxes : - frais de scolarité de base, uniques et substantiels : - taxes spéciales supplémentaires pour des services spéciaux, fixées par les

établissements, dans certaines limites ;

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- contributions des entreprises : - qui devraient être limitées, dans le secteur public et dans le secteur

subventionné par des fonds publics, au financement de la formation et de l’éducation permanentes, de la formation pratique comprise dans le programme des diplômes ordinaires et de la recherche appliquée,

- qui pourraient être obligatoires en partie, grâce à la taxe pour l’enseignement perçue sur la feuille de paie.

- dons et dotations, qui pourraient être facilités par des changements opérés dans le règlement des taxes mais qui resteront probablement nominaux dans le proche avenir pour les pays où ils ne sont pas enracinés dans la tradition.

Pour la majorité des pays d’Europe de l’Ouest et pour d’autres pays ayant un système de financement similaire de l’enseignement supérieur cela signifierait :

- dans la plupart des cas, une réévaluation sévère des rapports entre les autorités publiques et les établissements d’enseignement ;

- une élimination progressive des diverses subventions aux services pour les étudiants ;

- l’élimination de la taxe de secours aux étudiants dépendants, - un accroissement substantiel des frais de scolarité ; - la mise en place d’un système de prêts garantis pour les étudiants et - une participation accrue des entreprises.

Certes, chacun de ces pays fera son propre choix selon ses conditions et son option politique, mais la logique de la situation présente devrait les conduire tous à des choix largement semblables. REFERENCES BLAUG, M. An Introduction to the Economics of Education. Penguin: Harmondsworth, 1970. COOMBS, P. The World Educatlon Crisis: The View from the Eighties, New York: Oxford University Press, 1985. GEIGER, R.L. Privatization of Higher Education: International friends and Issues. New York: I.C.E.D., 1988. HUSEN, T. The School in Question. Oxford: Oxford University Press, 1979. LESLIE, L.L. and P. T. BRINKMAN. The Economic Value of Higher Education. New York: American Council Education and Mac-Millan, 1988. MONK D. H., Educational Finance. New York: Mac Graw Hill, 1990. PSACHAROPOULOS, G. and M. WOODHALL, Education for Development. New York: Oxford University Press, 1985.

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WOODHALL, M. Student bans in Higher Education, IEEP Dissemination Programme, Educational Forum, Series 1, Paris: IEEP, 1990.

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Le financement de l’enseignement supérieur: une décennie de changements THIERRY CHEVAILLIER et JEAN-CLAUDE EICHER Les auteurs, deux spécialistes français en financement de l’enseignement supérieur, réfléchissent sur les conclusions qu’ils ont tirées dans un article intitulé “Repenser le financement de l’enseignement post-obligatoire”, qui a été publié dans cette revue il y a dix ans. 38 Comme ils avaient prévu, le financement de l’enseignement supérieur est devenu de plus en plus basé sur des sources mixtes, avec des étudiants qui sont censés contribuer plus au coût de leur instruction. Cependant, on a également identifié des mécanismes en vue de rendre le partage des coûts plus équitable. En même temps, la détermination des coûts effectifs par institution, par programme d’étude, voire par cours, est devenue de plus en plus pertinente, et le financement prends en compte de plus en plus le verdict des indicateurs de performance de différents types. Le financement de la recherche se distingue progressivement du financement destiné à l’enseignement ou à la formation. En fin de compte, les institutions d’enseignement supérieur ont dû faire plus pour moins. Il y a dix ans, nous avons publié un article dans l’Enseignement Supérieur en Europe (Eicher et Chevaillier, 1992)38, dans lequel nous analysions le financement de l’enseignement "post-obligatoire", dans un essai de prévoir les évolutions qui allaient avoir lieu dans le domaine, comme résultat de la situation de crise avec laquelle celui-ci se confrontait. Nous étions particulièrement conscients des problèmes provoqués par le développement sans précédent de la population étudiante, qui a défié les méthodes traditionnelles de financement, à un moment où la confiance publique en la capacité de l’enseignement de promouvoir la croissance économique se trouvait sérieusement ébranlée.

Depuis, les initiatives se sont multipliées et un nombre de changement a eu lieu. Les années 1990 ont été riches en expériences, innovations et discussions.39 Sous la pression de la communauté financière internationale et l’expansion du phénomène de la mondialisation des économies, des pays africains, latino-américains et asiatiques, ainsi qu’un nombre de pays “en transition” ont introduit, encouragé ou permis le développement du secteur privé de l’enseignement “tertiaire”. Confrontés à une baisse des revenus ou à l’accroissement progressif des coûts sociaux, un grand nombre de pays, à différents stades de développement, ont tenté de limiter l’expansion du financement public de l’éducation en général, et de l’enseignement supérieur en spécial. Les solutions qui se sont imposées par elles-mêmes ont été celles de réduire les coûts et d’en imposer le partage avec ceux qui profitent en partie de l’éducation et de la formation : 38 Plus précisément dans le Volume 17, No. 1, pp. 6-32. 39 Une synthèse de ces développements a été présentée dans le rapport Higher Education, the Lessons of Experience, publié en 1994 par la Banque Mondiale, ainsi que dans les documents de la Conférence Mondiale sur l’Enseignement Supérieur, organisée par l’UNESCO en 1998.

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• Le coût par étudiant rapporté au PNB par tête d’habitant a baissé dans la plus grande partie des pays développés. Entre 1995 et 1998, seulement l’Italie et la Grèce, parmi les pays de l’OCDE, ont témoigné une augmentation des dépenses par tête d’étudiant supérieure au revenu par tête d’habitant (OCDE/CERI, 2001).

• Les investissements privés dans l’enseignement supérieur a augmenté dans dix-sept des pays de l’OCDE, parfois de manière significative, comme en Turquie, au Portugal et en Italie. Ils n’ont visiblement baisé que dans trois pays, le Mexique, l’Autriche et la République Tchèque. Dans la plupart des pays, on a introduit des frais d’étude là où ils n’existaient pas

et on les a augmentés là où ils existaient déjà. Les institutions se sont vues forcées, par la stagnation ou la baisse du financement public, d’identifier de nouvelles ressources ou de développer des ressources jusqu’alors négligées.

Le recours croissant aux ressources familiales dans le contexte de la démocratisation de l’enseignement supérieur a rendu évident la nécessité du développement ou de la réorganisation des systèmes d’aide pour les étudiants. Les considérations concernant l’efficience et l’équité ont induit un réarrangement des systèmes d’aide, qui étaient conçus dans le contexte d’un enseignement supérieur plus élitiste. Néanmoins, le niveau de redistribution des fonds publics par rapport aux fonds privés a été assez limité sur une échelle mondiale, même si, concernant l’enseignement supérieur, il a dépassé les normes observables dans d’autres niveaux de l’éducation. LE DEVELOPPEMENT DU FINANCEMENT PRIVE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR Une augmentation des ressources privées dans l’enseignement supérieur peut être réalisée par la création ou l’expansion d’institutions privées financées en partie ou en totalité par les contributions des étudiants et de leurs familles, ainsi que par la mobilisation de nouvelles ressources par le secteur public, parmi lesquelles les contributions des utilisateurs jouent un rôle de premier plan. Ces différentes méthodes, regroupées de manière simpliste dans la catégorie de la "privatisation", valent la peine d’être distinguées les unes des autres. Le financement par l’utilisateur Les premiers moyens de diversification des ressources de l’enseignement supérieur passe nécessairement par les contributions des étudiants aux coûts de leur instruction. Cette participation est justifiée par le fait que l’éducation apporte certains avantages à ceux qui en bénéficient. Les bénéfices qu’ils arrivent à tirer de cette dernière au niveau individuel sont substantiels : des gains culturels et intellectuels, difficiles à estimer, mais surtout des avantages en termes de revenu qu’on peut évaluer en comparant les salaires des employés ayant obtenu différents diplômes et niveaux d’éducation.

Même s’il y a des bénéfices sociaux qui ont également un effet sur l’ensemble de la société et qui peuvent justifier la contribution de la communauté qui y alloue une partie de ses ressources, les bénéfices individuels obtenu par le biais de l’éducation ne peuvent pas être contestés. Pour cette raison, les organes internationaux, comme la Banque

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Mondiale, qui sont impliqués dans le financement et le développement de l’éducation, considèrent qu’il s’impose d’encourager le "partage des coûts", c.a.d. la contribution de l’utilisateur à une partie des coûts de son instruction.

Le financement par l’utilisateur peut prendre différentes formes, en fonction de la conjoncture où il apparaît et de son niveau de redistribution incorporé. A un bout du spectre des possibles solutions on trouve les universités qui chargent des frais d’études à certains étudiants, couvrant le coût entier des programmes dans lesquels il sont inscrits, ainsi que le coût de l’hébergement et de la cantine. La logique est ici celle du marché, où les coûts de production doivent être couverts par une taxe payée par le client. Il existe d’autres alternatives et moyens à l’autre bout du spectre, comme la taxation de diplôme que les diplômés pourraient avoir à payer une fois entrés sur le marché du travail, afin de rembourser leur dette envers la communauté pour une partie de leurs dépenses éducationnelles acquittées par cette dernière. Les frais d’études Il est important de rappeler, en premier lieu, la distinction entre frais d’études et coûts d’entretien. Il y a un nombre très limité de pays qui peuvent de nos jours assurer l’instruction gratuite pour tous leurs étudiants, tout en couvrant leurs dépenses d’entretien. Ces coûts sont parfois indirectement assumés par la communauté, qui couvre certaines dépenses concernant l’hébergement ou l’alimentation des étudiants. Les universités commencent de plus en plus à charger des frais pour les services qu’elles fournissent aux étudiants. Dans l’intérêt d’une bonne gestion, elles quantifient les coûts précis de ces services, afin d’éviter leur sous-estimation et donc la réduction des ressources destinées aux activités éducationnelles.

Avant les années 1980, il y avait une nette distinction entre les pays où les institutions d’enseignement supérieur chargeaient des frais d’études substantiels et ceux qui appliquaient le principe de l’enseignement supérieur gratuit. Dans l’Europe continentale et du Nord, les seules contributions requises de la part des étudiants étaient des contributions de nature sociale ou administrative (frais d’inscription, frais d’examen, contributions sportives ou syndicales) ou pour des services spécifiques, autres que les services éducationnels. Dans les pays de deuxième type, la question des frais d’études a dépassé son statut de tabou et a fait relancer un débat public. Les frais d’études ont été introduits ou largement augmentés dans la majorité de ces pays, en particulier en Espagne, aux Pays-bas, en Belgique et en Irlande dans les années 1980, au Portugal, en Italie, au Royaume-Uni dans les années 1990, en Autriche en 2000, pour ne pas mentionner les pays de l’Europe Centrale et de l’Est, où ils ont été introduits partout.

Néanmoins, la controverse autour de la légitimité des frais d’études est loin d’être épuisée, comme le montre la très basse croissance observable en France depuis la moitié des années 1980, ou leur recul à la suite d’un changement de majorité politique dans certains pays, comme le Portugal et l’Irlande, ainsi que l’Écosse, après la loi de la dévolution. Cependant, dans ces pays le principe des frais d’études a été appliqué et reste effectif. On n’envisage que quelques exemptions ou renvois des payements à la fin des études pour certaines catégories d’étudiants. Ainsi, en Irlande (Clancy et Kehoe, 1999),

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un étudiant qui redouble une année d’études universitaires ou qui est inscrit dans le troisième cycle d’études doit payer des frais d’études plus élevés. Hors Europe, la tendance générale va vers l’augmentation de ces frais, surtout en Amérique latine et en Inde. Aussi, des changements de régime ont apporté avec eux l’introduction des frais d’études, comme il est le cas de la Chine. Des frais d’études sélectifs Dans certains pays qui n’ont pas adopté les frais d’études on a introduit d’autres taxes applicables à des catégories spécifiques d’étudiants. Certaines ont un caractère contraignant, comme il est le cas au Land de Baden-Würtemberg où, à compter de 1997, les étudiants dont le séjour d’études dans une université dépasse la durée moyenne d’études sont tenus de payer une taxe de 1.000 DM par semestre. Il y a aussi d’autres catégories d’étudiants qui sont tenus de payer des frais d’études. Ces derniers peuvent inclure les étudiants étrangers inscrits dans des programmes spécifiques ou admis au-delà du nombre de places financées par le budget public. Ainsi, les universités australiennes ont le droit, dans certaines limites, d’avoir des étudiants à plein tarif. Au Royaume-Uni, les étrangers peuvent être inscrits dans des conditions similaires au-delà du nombre de places financées par le budget public. On peut témoigner dans la plupart des pays du développement de l’éducation permanente ou de programmes courts dans les domaines où il existe la plus grande demande (Gestion des affaires, sciences informatiques, etc.). Ces programmes peuvent impliquer l’application de frais d’études librement fixés par les institutions concurrentes. En Hongrie, la Loi sur l’enseignement supérieur de 1996 distingue deux types de programmes d’études, ceux qui sont financés par l’État et ceux qui impliquent le paiement de frais d’études, ce qui signifie que dans le cadre des universités publiques coexistent effectivement deux catégories d’étudiants.

Cette possibilité est parfois perçue comme une nécessité par les institutions des pays où l’enseignement supérieur, financé de manière traditionnelle à partir de ressources publiques, ne peut pas se développer ou se maintenir du fait du lent développement ou de la désorganisation de leur administration fiscale. Dans la Fédération Russe, le gouvernement s’avère incapable d’assumer les coûts totaux de l’enseignement supérieur (OCDE/CERI, 1999). La levée de taxes est problématique et est principalement axée sur les entreprises. Les universités ont le droit d’accepter des étudiants payants en proportion de 25 pour cent de leur capacité totale, et l’absence de supervision permet souvent le dépassement de cette limite.

Dans l’Afrique Subsaharienne commence à se manifester une tendance vers l’augmentation des frais d’études dans des pays comme l’Ouganda, l’Afrique du Sud, le Nigeria et, plus récemment, le Togo. Les modèles actuels varient et prennent la forme d’un système double, où les meilleurs candidats sont admis sans frais, pendant que d’autres étudiants sont également inscrits et payent des taxes assez élevées (comme en Ouganda et au Nigeria). Les universités et leurs départements sont encouragés à créer de nouveaux programmes dans le but de puiser dans la demande effective, tout en préservant une partie des nouvelles ressources obtenues de cette manière et en les dirigeant vers l’augmentation des salaires des membres du corps enseignant (Mayanja, 2001).Le payement différé des frais d’études

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On a proposé deux moyens de remboursement différé par les étudiants des fonds investis dans leur éducation : les prêts pour étudiants, utilisés pour payer les frais d’études, et le remboursement par des moyens fiscaux des sommes investies par la communauté (la "Taxe sur le diplôme").

En Australie, le Projet de participation à l’enseignement supérieur, introduit en 1989, a attiré un intérêt étendu au niveau mondial. La méthode consiste en l’introduction de frais d’études relativement élevés (environ 20 pour cent du coût total de l’instruction), tout en différant leur payement jusqu’après l’obtention du diplôme pour les étudiants qui le demandent. (Les étudiants qui souhaitent payer leurs frais d’études au début de chaque année peuvent procéder ainsi, en bénéficiant de 25 pour cent de réduction). Le remboursement démarre une fois que le revenu des anciens étudiants atteigne un certain niveau (correspondant au revenu moyen imposable du pays), par le biais de versements proportionnels au revenu, effectués par l’administration fiscale, en plus des taxes payés normalement par tout citoyen. L’expérience accumulée dans le cadre de ce projet suggère le fait que cette mesure confère des avantages réels (Chapman, 1997). Le taux de remboursement est excellent, si on le compare à d’autres modes d’emprunt pour étudiants. Contrairement à toute prévision, l’application de ce système n’a pas provoqué une réduction du nombre d’inscriptions dans l’enseignement supérieur.

Cet exemple australien a inspiré l’Écosse, où le Parlement, nouvellement installé par le processus de dévolution, a choisi de se séparer du reste du Royaume-Uni et d’adopter un système de frais d’études à payement différé. Pour ce qui est du Rapport Cubie, on a pris la décision d’appliquer la mesure des payements différés à partir de 2001, la collection de contributions des étudiants jusqu’après la finalisation des études (ce qui a été présenté comme une suppression des frais d’études), offrant à chaque étudiant le choix de payer en liquide ou à crédit. Pour ceux ayant choisi le système de crédit, les conditions seront les mêmes que celles des prêts pour les étudiants, ce qui leur permettra de combiner ces derniers avec des prêts déjà contractés au cours de leurs études. La commercialisation de services par les institutions La commercialisation de services, ayant trait ou pas à l’activité éducationnelle de l’institution, représente une partie de plus en plus importante des ressources des institutions d’enseignement supérieur. Pour les universités nord-américaines, elle représente environ 20 pour cent de leur ressources, indifféremment de la nature privée ou publique des institutions. Les institutions d’enseignement supérieur sont de plus en plus susceptibles, surtout en Afrique, de demander des frais à plein tarif pour les services pour les étudiants, en particulier pour la restauration et l’hébergement.

On peut aussi remarquer, surtout en Europe, que certaines universités commencent à montrer des signes d’esprit d’entrepreneur (Clark, 1998), qui les encourage à trouver des sources variées de financement et ainsi de réduire leur dépendance par rapport à la communauté. Celles-ci ont crée de nouvelles entités qui sont censées agir en tant qu’interfaces avec les milieux social et économique. Ces entités sont gérées de manière professionnelle, selon des logiques commerciales similaires à celles des corporations avec lesquelles elles entrent en contact. Elles sont chargées de la commercialisation des résultats de recherche et de la valorisation des transferts de

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technologies ou d’expériences qui se déroulent dans les universités. De telles entités, ou les universités elles-mêmes, peuvent offrir de la formation professionnelle continue. Cette activité, qui génère des ressources financières supplémentaires, mobilise également les secteurs de l’enseignement et de la recherche des ces institutions.

Les universités peuvent également bénéficier de ressources supplémentaires de l’exportation de programmes éducationnels. Sans compter le nombre d’inscriptions d’étudiants étrangers, les universités américaines, britanniques et australiennes ouvrent des filiales dans des pays de l’Asie et de l’Europe Centrale et de l’Est qui proposent des cours qui sont très demandés. Elles peuvent également autoriser les institutions sous franchise à délivrer leurs diplômes, en échange de frais et de royalties. La commercialisation des programmes d’instruction et de ressources éducationnelles est en pleine expansion, avec le soutien des nouvelles technologies de l’information et des communications. Les revenus du patrimoine Même dans les pays bénéficiant des plus développés patrimoines institutionnels, les revenus que les institutions individuelles d’enseignement supérieur en tirent restent limités. Aux États-Unis, ce revenu représente une moyenne de 1 pour cent du revenu des universités d’État et 7 pour cent de celui des universités privées (Vossensteyn et Canton, 2002:67), mais avec des fortes disparités. (En 1991, une douzaine d’universités gagnaient plus d’un milliard de dollars de cette source, le patrimoine financier général des universités étant estimé à 72 milliards (NCES, 1994).) Les revenus du patrimoine pourraient acquérir plus d’importance si on appliquait une proposition actuelle faite par le Parti Conservateur du Royaume-Uni. La proposition demande la dotation en ressources financières de toutes les institutions d’enseignement supérieur, afin que leur fonctionnement et leurs investissements puissent être assurés à partir du revenu apporté par l’investissement de ces ressources. (Funding Options Review Group, 2001). En dépit du soutien accordé en vue de l’adoption de ce système, il est peu croyable qu’il arrive à remplacer le système actuel de financement publique récurrent. Les évaluations faites par Universities UK ont estimé la somme nécessaire à la dotation des universités britanniques à plus de 100 milliards de livres sterling. Bourses et donations Si on encourage les donations par l’offre d’avantages fiscaux, cela équivaut à une réduction des ressources publiques. Pour les donateurs, cela présente l’avantage de pouvoir être capable de déterminer les destinataires de leur générosité, ce qu’ils n’arrivent pas à faire avec les taxes qu’ils payent. Pour les bénéficiaires, un tel système présente l’avantage de rendre les résultats dépendants des efforts faits en vue de les acquérir. Cependant, les efforts en question représentent un coût tiré des sommes collectées. La situation est quasi similaire à celle de la Taxe d’apprentissage française, un impôt sur le salaire qui peut être couvert par les entreprises par le transfert de certains bénéfices à des institutions d’enseignement de leur choix). Les limites à la diversification des ressources

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La tendance vers l’expansion du niveau de financement privé investi dans l’éducation n’est pas générale. Certains pays ont témoigné un accroissement du financement public (OCDE/CERI, 2001), comme il est le cas du Japon, de la République Coréenne, du Mexique et de l’Irlande. Dans certains de ces pays, ce phénomène peut s’expliquer par l’existence de nouvelles sources publiques de financement, comme le financement européen dans le cas de l’Irlande. Dans d’autres, on a formulé des politiques spécifiques censées encourager plus d’équité dans l’accès à l’enseignement supérieur. Dans la plupart des cas, la limitation des ressources privées a été provoquée par des contraintes économiques ou sociales dépendantes des niveaux de développement et d’organisation des pays concernés. Lorsque l’austérité dans la formulation des politiques publiques s’est trouvée à l’origine des initiatives de diversification des ressources prises dans l’enseignement supérieur aux niveaux institutionnel ou systémique, son impact sur les universités s’est avéré plus rude dans les pays où cette diversification est limitée (Johnstone, 2001).

La capacité des étudiants et de leurs familles de financer une partie des coûts de leur éducation peut rencontrer certaines limites. D’un côté, les parents n’ont pas toujours la possibilité, ou même s’ils possèdent les ressources nécessaires, n’ont pas toujours la volonté de contribuer à l’éducation de leurs enfants, cette dernière situation soulevant la question de l’autonomie financière des jeunes adultes. De l’autre côté, les caractéristiques des marchés du travail ne permettent pas toujours aux étudiants de payer eux-mêmes leur entretien ou leurs études, dans des conditions compatibles avec la continuation normale du processus d’étude et de formation. Les système de prêts pour étudiants ou de remboursement différé nécessitent un développement supplémentaire du système fiscal et financier, qui n’est d’actualité que dans les pays les plus développés.

La diversification des ressources institutionnelles rencontre aussi des limitations dans le cadre des milieux économiques et sociaux nationaux. Les disciplines où les entreprises sont censées chercher la collaboration ou l’assistance des universités sont très fréquemment celles qui sont le plus sous-représentées dans le cadre des universités des pays du Tiers-monde. Elles sont également assujetties au phénomène de la fuite de cerveaux, ayant des difficultés à retenir sur place les spécialistes formés localement ou à rapatrier ceux qui sont formés à l’étranger.

Enfin, la philanthropie ne constitue point une source substantielle de financement, à l’exception des pays où l’enseignement supérieur est solidement implanté et où existent des motivations en faveur de la participation financière du privé. Généralement, un système fiscal lourd est censé encourager les donations. LE DEVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT PRIVE L’enseignement privé est perçu parfois comme le palliatif permettant l’expansion rapide de l’enseignement supérieur en vue de satisfaire le boum de la demande. Tel est le cas dans un grand nombre de pays asiatiques et latino-américains, où sont apparues différentes institutions privées, surtout dans les secteurs de l’éducation à bas coûts et haute demande. Une telle expansion peut néanmoins poser certaines questions relatives à la qualité, en particulier lorsque les frais d’études sont limités par l’État à un niveau insuffisant, comme il est le cas aux Philippines. Elle peut aussi poser des questions d’équité dans les pays où les candidats à revenus bas qui n’ont pas été admis dans les

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institutions publiques doivent payer des frais d’inscription élevés dans le secteur privé, comme en Inde, au Chili ou en Corée.

C’est dans le but d’éviter ce genre d’effets pervertis que les autorités japonaises ont été forcées d’augmenter de manière considérable les subsidies publiques pour les institutions privées à la fin des années 1970. Il n’y a pas eu d’initiative similaire en Corée. Ici, les institutions privées, qui concentrent à présent 75 pour cent du nombre total d’étudiants, sont dépendantes à 95 pour cent des frais d’inscription. Ce genre de taxes couvrent seulement 40 pour cent des ressources des institutions publiques.

Dans d’autres pays, principalement en Europe et en Amérique du Nord, l’enseignement supérieur privé est bien établi et concurrence en termes de qualité l’enseignement supérieur public. Dans ces pays, les institutions privées reçoivent des subsidies des autorités publiques, parfois au même niveau que les institutions publiques, comme en Belgique et aux Pays-Bas. Aux États-Unis, de telles subsidies, quoique non négligeables, sont plus réduites et ont connu une baisse au courant des dernières décennies. Représentant 20 pour cent du revenu institutionnel en 1980, elles ne représentaient en 1995 que 16 pour cent. TYPES DE FINANCEMENT PUBLIC Indifféremment de sa taille, le financement public exerce une certaine influence sur le fonctionnement des institutions d’enseignement supérieur, en fonction de la manière dans laquelle leur parviennent les fonds. Pour les autorités publiques, cette réalité a résulté en une quête constante des meilleures procédures de financement qui stimulent le type de comportement considéré comme étant le plus souhaitable pour les acteurs concernés. Le "pilotage" des systèmes d’enseignement supérieur par l’encouragement des mécanismes financiers appropriés a été le mot d’ordre des politiques adoptées dans plusieurs pays. Le financement par activités De plus en plus fréquemment, le financement de l’enseignement supérieur a été rapporté aux indicateurs du volume de l’activité institutionnelle. Cette option est la première qui vient à l’esprit lorsque, dans un pays où les fonds de l’État constituent la plus importante proportion des coûts de l’éducation, les autorités décident de rationaliser les procédures de distribution des ressources de l’enseignement supérieur et de renoncer à une méthode de routine ou traditionnelle de distribution.

Cette activité peut être évaluée par le volume de ressources utilisées – les "inputs" du processus de production. On élabore des modèles de financement qui tiennent compte des salaires du personnel et de l’équipement utilisés. Cette méthode présente le défaut qu’elle reproduit les inégalités historiques qui ont conduit aux actuelles différences en termes de moyens.

Une autre vision des inputs considère comme meilleur indicateur de l’activité le nombre d’étudiants inscrits. La plupart des systèmes européens de financement public sont basés sur cette option (Vossensteyn, et al., 1998). Le nombre d’étudiants inscrits, dans les modèles les plus complexes, est évalué par rapport au niveau d’études et à la discipline donnés afin de prendre en compte les différentes conditions d’enseignement ou de formation.

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Le cas le plus extrême de modèle de financement basé sur l’activité mesurée en termes de nombre d’étudiants est certainement le système des coupons éducationnels, ou de "vouchers", qui a été loué ces dernières décennies comme étant un des moyens les plus efficaces d’introduire la flexibilité et le dynamisme de marché dans le secteur éducationnel. Les familles ou les étudiants reçoivent des coupons qui leur permettent de payer les frais d’études dans les institutions de leur choix. Les institutions en question monnayent par la suite les coupons obtenus. Les ressources sont ainsi dirigées par les bénéficiaires de l’éducation vers les institutions qui satisfont au mieux leurs besoins. Le système des coupons, qui a été testé dans des écoles secondaires dans certains États des États-Unis, a connu peu de succès dans l’enseignement supérieur. Ce manque de succès a résulté de la diversité de types d’institutions et de domaines d’études, dont certains requéraient plus de fonds que d’autres. Ainsi, les choix des étudiants doivent être déterminés avant de pouvoir donner à tous les coupons une valeur spécifique ou une valeur de base que les familles données puissent supplémenter avec une contribution ultérieure. En tout cas, les systèmes de financement public basés sur le nombre d’étudiants inscrits dans différents domaines et dans différents types d’institutions sont plus facilement applicables et ont exactement le même effet que l’utilisation de coupons éducationnels, pour ce qui est de la liberté de tous de choisir leur institution et leur domaine d’études. Le financement basé sur les résultats Même dans une situation où chaque étudiant est complètement libre de choisir ses études, on ne peut toujours pas supposer que les fonds iront aux institutions les plus "efficaces", à moins que l’information disponible aux jeunes gens et à leurs parents suffise à ce qu’ils arrivent à identifier l’institution la plus appropriée dans le domaine. Étant donné l’imperfection de l’information, la liberté du choix ne garantit pas qu’un financement correct assure un résultat correct.

Certains pays sont arrivés à relier assez bien le financement public et la performance institutionnelle. En 1993, les Pays-Bas ont introduit un critère de performance dans la formule de financement des universités, allouant une proportion du financement total sur la base du nombre de diplômes délivrés. Afin de ne pas déstabiliser les institutions, cet élément, qui avait représenté à l’origine 20 pour cent du total, était censé augmenter progressivement jusqu’à ce qu’il devienne le seul critère pour l’allocation de fonds pour l’enseignement. On est revenus sur la méthode lorsqu’il est devenu évident que la concurrence entre les universités pour attirer plus d’étudiants risquait d’entraîner une fluctuation trop importante dans le niveau de leurs ressources (Koelman, 1998). A compter de 1998, les résultats, au lieu d’être utilisés de manière rétrospective, sont appliqués d’une manière prospective dans l’établissement des contrats à mi-terme basés sur des objectifs qui sont négociés avec chaque université.

Au Danemark, le financement basés sur les résultats prend la forme du "Taximètre" : l’indemnisation allouée à chaque institution est calculée, non sur la base du nombre d’étudiants inscrits, mais en fonction du nombre d’étudiants qui passent leurs examens et progressent normalement vers l’obtention de leurs diplômes. L’autonomie et le financement institutionnels

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On a pu observer deux tendances contradictoires dans les années 1990 : une séparation plus nette entre le financement de la recherche et de l’enseignement et un effort de mondialiser les contributions publiques. Partout en Europe, à l’exception de l’Allemagne et de la Suède, et à un certain niveau des Pays-Bas, la recherche est de plus en plus envisagée et financée selon des critères et des procédures distinctes de celles utilisées dans l’enseignement. Cette évolution, qui est contraire à la tradition académique humboldtienne, est en train de provoquer des tensions internes dans le cadre des institutions et contribue à l’accroissement de la différentiation institutionnelle.

La division du financement en plusieurs secteurs isolés, qui est contraire à l’affirmation de l’autonomie et de la responsabilisation institutionnelles, mène également à une utilisation incorrecte des ressources et une incapacité d’aboutir aux compromis nécessaires au développement des institutions d’enseignement supérieur, qui sont en effet leurs mêmes sources de survie.40

Dans le but de réconcilier la nécessaire autonomie des institutions et leurs responsabilités vis-à-vis des financeurs publics, certains pays, comme le Danemark et les Pays-Bas, suivis par la France (Chevaillier, 1998), ont introduit dans leurs procédures de financement la négociation de contrats pluriannuels basés sur des projets stratégiques élaborés par chaque université. Cette approche, une adaptation spéciale de la "nouvelle gestion publique", permet aux autorités publiques de désigner les priorités nationales, tout en offrant aux institutions de fortes motivations pour anticiper l’avenir et développer leur gestion.

Mais cette préoccupation d’assurer la direction du système d’éducation n’est pas partagée par tous les acteurs politiques. Rappelons-nous la proposition du Parti Conservateur du Royaume-Uni de retirer certaines universités du système de financement public, tout en leur assurant un patrimoine, dont les revenus suffiraient à assurer leur fonctionnement perpétuel. L’aide pour les étudiants Dans les pays où les frais d’études dans l’enseignement supérieur étaient traditionnellement inexistants ou très réduits, leur introduction et leur augmentation substantielle a demandé, en particulier en Europe, le réaménagement des standards d’aide pour les étudiants, afin de prendre en compte l’augmentation des coûts de l’éducation. tel est le cas des Pays-Bas, où chaque étudiant reçoit une allocation de base qui dépasse largement la somme qui doit être payée pour les frais d’études, et où les étudiants les plus démunis bénéficient d’une bourse supplémentaire qui leur permet de couvrir les coûts de vie.

Dans tous les pays du monde, et en particulier en Europe, il est toujours d’actualité le débat concernant les standards d’aide pour les étudiants et les moyens de livraison. Il y a deux points de vue qui s’affrontent. Le premier soutient que l’étudiant devrait être autonome, une vision qui prédomine dans les pays scandinaves. Le deuxième soutient qu’il est nécessaire de tenir compte des ressources des parents en vue de déterminer la dimension de l’aide publique à accorder.

Dans certains pays, où les frais d’études sont très élevés, des institutions elles-mêmes ou des fondations de charité ont développé certaines politiques d’aide, en vue de 40 Voir en particulier le Chapitre 6 de Sanyal (1997).

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fournir un supplément à l’aide publique. Aux États-Unis, en particulier, les universités privées ayant des frais d’études prohibitifs ont établi, afin d’attirer les meilleurs étudiants, un système privé d’aide pour les étudiants qu’elles financent en partie à partir des frais d’études qu’elles encaissent. De cette manière, elles fournissent un niveau de redistribution qui vient compléter le système d’aide du gouvernement fédéral. Ainsi, la progression des frais d’études et les coûts de l’enseignement supérieur ont été rendus plus tolérables pour la société, même si les coûts ont continué de monter. A-T-ON ATTEINT LES PREVISIONS ? En mettant en balance les tendances observables au début des années 1990 qu’on avait cité dans notre article de 1992, on peut aujourd’hui attirer l’attention sur un système mixte d’enseignement supérieur qui combinerait à la fois les ressources publiques et privées, tout en préservant l’équité requise. L’établissement de frais d’études substantiels, accompagnés de bourses pour étudiants en fonction de critères sociaux, permettent aux étudiants les plus démunis de couvrir ces coûts et une partie de leur dépenses quotidiennes. Les prêts publiquement garantis requièrent que leurs destinataires – les étudiants eux-mêmes – assument la responsabilité d’une partie des coûts de leur éducation. Le financement institutionnel public basique alloué selon des méthodes stables garde un niveau suffisant de motivation pour stimuler une amélioration des performances et pour rendre les institutions de plus en plus autonomes et responsables. On témoigne une implication accrue de la part du secteur corporatiste dans l’éducation d’une force de travail hautement qualifiée, à la fois par des contributions volontaires ou par le biais de nouveaux types d’imposition compulsoire. Une telle vision impliquerait certains mouvements de reconversion de la part des pays ayant des systèmes d’enseignement supérieur radicalement différents par rapport à ceux présentés. En Europe, le débat sur le financement de l’enseignement supérieur n’est pas à sa fin. Au Royaume-Uni, par exemple, les programmes électoraux de différents partis politiques offrent une large variété d’options et de philosophies : l’introduction d’une taxe sur le diplôme, des frais d’études selon le domaine d’étude, la différenciation des taxes établie par les universités, voire même le remplacement du financement public par une dotation en capital unique.

Le recours aux frais d’études est en expansion, mais le principe même de ces frais n’est pas acceptable pour tous les observateurs, même si on peut remarquer des signes de changement des attitudes publiques dans les pays scandinaves et en Allemagne. Cependant, les expériences apparemment réussies de payement rétroactif des études après l’entrée sur le marché du travail, comme dans le système australien d’enseignement supérieur, ont ouvert le chemin à une meilleure distribution des charges entre la communauté et l’individu.

Le caractère inéquitable des aides indifférenciées pour étudiants semble être également de plus en plus reconnu. On peut ainsi témoigner des réformes convergentes des politiques de soutien financier pour les étudiants. On est souvent arrivé à accorder les allocations et les bourses sur la base de situations individuelles et plus en vertu du simple fait d’être étudiant. Le développement des systèmes de prêts pour les étudiants pourrait permettre la ré-allocation de l’argent public vers la création de places de travail, renforçant ainsi l’équité dans l’accès à l’enseignement supérieur.

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La convergence vers un système mixte de financement donne lieu à un renversement de l’évolution dans les pays qui se trouvaient initialement dans des situations différentes. Une telle situation donne une impression confuse à l’observateur normal. Lorsque l’État semble se retirer du secteur de l’enseignement supérieur et d’abdiquer à ses responsabilités, il peut, en fait, choisir d’autres moyens d’action et tenter de mieux définir son rôle en tant que garant de la cohésion sociale.

Donc, la redistribution observable au niveau mondial, mais relativement modeste, de l’effort de financement de l’enseignement supérieur du secteur public vers celui privé peut cacher deux phénomènes importants : la convergence vers un système mixte de financement et la transformation des modalités publiques d’intervention. REFERENCES CHAPMAN, B. J. “Conceptual Issues and the Australian Experience with Income Contingent Charges for Higher Education”, Economic Journal 107 442 (1997): 738-751. CHEVAILLIER, T. "Moving away from Central Planning: Using Contracts to Steer Higher Education in France", European Journal of Education 33 1 (1998). CLANCY, P., et KEHOE, D. “Financing Third-level Students in Ireland”, Student Costs and Financing, Special Issue, European Journal of Education 34 2 (mars 1999). CLARK, B. R. Creating Entrepreneurial Universities: Organizational Pathways of Transformation. Oxford, New York: International Association of Universities and Pergamon, 1998. EICHER, J.-C. et CHEVAILLIER, T. “Rethinking the Financing of Post-Compulsory Education”, Higher Education in Europe 17 1 (1992): 6-32. FUNDING OPTIONS REVIEW GROUP. New Directions for Higher Education Funding. Londres: Universities UK, 2001. JOHNSTONE, D. B. Responses to Austerity: The Imperatives and Limitations of Revenue Diversification in Higher Education. Buffalo: State University of New York at Buffalo, 2001. KOELMAN, J. B. J. “The Funding of Universities in the Netherlands: Developments and Trends”, Higher Education 35 (1998): 127-141. MAYANJA, M. K. “Makerere University and the Private Students Scheme”, International Higher Education 25 (automne) 2001. NCES. Digest of Education Statistics. Washington D. C.: National Center for Educational Statistics, US Department of Education, 1994.

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Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Le défi de l’unification et la reforme de l’enseignement supérieur en Allemagne KLAUS HÜFNER Du fait de la réunification rapide de l’Allemagne sous la forme de l’adhésion de l’ex-République Démocratique Allemande (RDA) à la République Fédérale d’Allemagne (RFA), l’unification des systèmes d’enseignement supérieur des deux parties de l’Allemagne a subi le même cours. Comme une conséquence, les institutions d’enseignement supérieur du système de l’ex-RDA ont assimilé un grand nombre de problèmes du système de la RFA. Il s’est avéré impossible d’unifier progressivement les systèmes pendant qu’ils subissaient des réformes individuelles. Plus de dix ans après la réunification de l’Allemagne, il est venu le moment d’entreprendre une réforme du système éducationnel du pays dans son entier. Les propositions de réforme sont nombreuses. INTRODUCTION – LE CONTEXTE GEOPOLITIQUE La chute du mur de Berlin, qui représente aujourd’hui le symbole des importants changements politiques, économiques, sociaux et culturels d’après 1989, est arrivée comme une grande surprise pour tous, pour les spécialistes en sciences sociales et politiques comme pour les décideurs politiques. Personne ne s’attendait à une si pacifique révolution. Les événements de 1989-1990 ont impliqué un bon nombre de changements, pas uniquement pour l’anciennement divisée ville de Berlin, pour l’Allemagne unifiée,∗ mais aussi pour l’Europe et les autres régions du monde.

La déclaration d’oracle de Mikhaïl Gorbatchev affirmant que “ceux qui viendront en retard seront punis par l’histoire” a conduit, juste quelques mois après l’écroulement du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, à un changement du slogan: “Nous sommes le Peuple” [Wir sind das Volk] en “Nous sommes un Peuple” [Wir sind ein Volk], affirmant ainsi une claire demande en faveur de la réunification allemande, avec toutes ses implications. Cependant, le 28 novembre 1989, le chancelier Helmut Kohl a présenté au Bundestag, le parlement allemand, un plan à dix points pour la réunification de l’Allemagne qui envisageait, en premier lieu, des structures confédérées pour les deux États allemands plutôt qu’une rapide unification.

Il semblait qu’un processus rapide d’unification, comme il est advenu sous la forme de l’adhésion de la RDA à la RFA, n’était pas faisable, à cause des problèmes d’affaires étrangères plutôt compliquées. Mais le nouveau et démocratiquement élu gouvernement de la RDA a décidé d’accepter la proposition de l’option de l’adhésion et

∗ Dans cet article, on utilisera les abréviations suivantes : RDA pour l’ex-République Démocratique Allemande et RFA pour l’ancienne République Fédérale d’Allemagne (pour des raisons politiques, aux États-Unis ces deux États allemands étaient aussi appelés “Allemagne de l’Est” et “Allemagne de l’Ouest”). Lorsqu’on parle des anciens Länder, on fait référence au territoire de l’ancienne RFA, pendant que les nouveaux Länder concernent l’ex-RDA. Aussi, le terme Allemagne se réfère à l’espace compris entre les frontières actuelles des deux anciens États allemands.

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de poursuivre l’indépendance de la RDA par une étape intermédiaire d’union monétaire, économique et sociale, comme il s’est passé le 1er juillet 1990, lorsque le Deutschemark comme monnaie commune précéda l’union des deux États allemands.

Les négociations 2+4 (les deux États allemands et les quatre puissances alliées de la Deuxième Guerre mondiale), ainsi que les négociations directes entre Kohl et Gorbatchev de juillet 1990 ont mené à un nombre de décisions quasi-simultanées qui ont pavé la route vers la réunification des deux États allemands:

Gorbatchev a accepté que l’Allemagne puisse rester dans l’OTAN (le nombre futur des troupes allemandes dans l’OTAN a été fixé à 370.000). Les Quatre Puissances Alliées ont renoncé à leurs droits concernant Berlin et l’Allemagne dans son entier.

Le Traité d’unification entre la RFA et la RDA a été signé le 31 août 1990 et ratifié par la Volkskammer de la RDA le 20 septembre et par la Bundestag de la RFA le 21 septembre. Le Traité est entré en force le 29 septembre, et le 3 octobre 1990 les nouveaux Länder de la RDA ont rejoint la République fédérale d’Allemagne.

La Loi fondamentale (Grundgesetz) de la RFA stipulait deux possibles options : pendant que l’Article 23 affirme que la Loi fondamentale est applicable aux Länder existants dans la RFA et que “dans d’autres parties de l’Allemagne, celle-ci doit entrer en force dès leur adhésion”, l’Article 146 affirme que “cette Loi fondamentale cesse d’être valide le jour où une nouvelle Constitution entre en force, après libre décision du peuple allemand”.

On a décidé de baser l’adhésion sur l’Article 23, ce qui impliquait que le corps juridique entier de la RFA était étendu aux cinq Länder nouvellement créés (plus le Berlin de l’Est) de l’ancienne RDA.

Du point de vue de la politique étrangère, cette décision avait l'avantage que, puisque aucun nouvel État n'était créé, l'adhésion à l’Union Européenne (avec l’adhésion de facto de l’ex-RDA) ne nécessitait pas de nouvelles négociations, et la reconnaissance internationale de l’entité réunie n’est pas devenue nécessaire. L'unification sur la base de l’Article 23 a signifié en effet l’adhésion de l’Est à l’Ouest, en augmentant ainsi le nombre de Länder par cinq, de onze à seize.

L’article 37 du Traité de l’unification faisait référence à l’éducation, et l’Article 38 à la science et à la recherche et demandaient leur "Einpassung" (mise en accord). Selon l’Article 37, les décisions pertinentes de la Conférence des Ministres de la Culture (Ständige Konferenz der Kultursminister der Länder in der Bundesrepublik Deutschland) constituaient les fondements pour la réforme des systèmes éducationnels dans les nouveaux Länder (pour des détails voir Rust et Rust, 1995, pp. 31-34 et 165-166). Ce processus de réforme a été accéléré et, bien évidemment, hautement influencé par les "partenariats" entre les anciens et les nouveaux Länder (Pritchard, 1999, p. 38).

Cet événement a impliqué, pour la population de l’ex-RDA, un échange rapide et fondamental d'institutions. Du coup, l’ordre ouest-allemand est devenu la structure décisive juridique et politique. Par contraste avec la première "révolution d’en bas", cet événement est devenu une deuxième révolution, "d’en haut", à la suite de négociations intensives entre les représentants des deux gouvernements librement choisis et de la ratification par les deux parlements.

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Plus de quarante ans de séparation ont impliqué l'existence et le développement de deux systèmes sociaux complètement différents. Pour beaucoup, il a paru impossible de les intégrer "d’un jour à l’autre." LE SYSTEME D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DE L’EX-RDA Sans procéder à une analyse approfondie du développement des deux systèmes d’enseignement supérieur entre 1945 et 1989, on peut identifier certaines différences majeures, caractéristiques au système de la RDA dans la période 1989-1990 par comparaison à celles de la République Fédérale, surtout relatives au cadre institutionnel et à l’organisation des études :

La RDA a développé un système d’enseignement supérieur hautement centralisé. Le service secret de l’État, Stasi, était très actif dans le cadre des institutions d’enseignement supérieur. Les soi-disant sections (qui ont remplacé les anciennes facultés) était assujetties à des instructions du ministère et étaient censées agir en conformité avec les décisions du Parti pour l’Unité Socialiste (SED). Ce dernier exerçait son contrôle sur les politiques d’embauche de personnel à tous les niveaux, ainsi que sur celles d’admission d’étudiants;

Le système d’enseignement supérieur dans son ensemble était hautement fragmenté, divisé en seulement neuf universités et universités techniques et quarante-cinq institutions spécialisées, dont vingt-deux ayant moins de 1.000 étudiants, qui étaient tenues de fonctionner en conformité avec les nécessités de main d’œuvre de l’économie planifiée et centralisée, comme il était prévu par les plans quinquennaux de développement socio-économique;

La recherche, et en particulier la recherche basique, était exclue des universités de manière considérable et organisée dans le cadre des académies et d’autres institutions, dont la plupart fonctionnaient sous l’égide de différentes divisions industrielles et organisations étatiques. Le principal des activités de recherche se déroulait dans les soixante instituts de l'Académie des Sciences (Akademie der Wissenschaften), de l’Académie des Sciences de l’Agriculture, et de l’Académie des Sciences Pédagogiques;

Tous les étudiants étaient tenus d’étudier le marxisme-léninisme comme unique doctrine officielle sur laquelle étaient basées les disciplines universitaires (Socialisme scientifique). Cela correspondait à quelques 20 pour cent du temps d’étude envisagé (Bieber, 1994, p. 63). Il n’y avait pratiquement point d’autonomie, dans l’enseignement ou la recherche, surtout dans les sciences sociales; Le programme d’étude était attentivement conçu, et les cours structurés en détail et dessinés comme hautement basés sur l’étude en classe; Un changement de sujet d’étude était impossible, tout comme il l’était un changement de lieu d’étude ou une interruption de période d’étude; En 1990, le taux d’inscription (pour le groupe d’âge 19-23) de 13 pour cent était relativement bas, en comparaison avec celui de la RFA (25 pour cent);

Un rapport étroit étudiants par enseignant de 6:1 en 1989-1990 (en RFA: 15,5:1) a conduit à des taux de réussite élevés (79-86 pour cent) dans le cadre de périodes normales de quatre à cinq ans, pendant qu’en RFA, la période moyenne d’accomplissement des études dans les universités était de 6,8 ans, et les taux d’abandon scolaire étaient extrêmement plus importants (30 pour cent et plus);

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Presque les deux tiers des étudiants vivaient dans des résidences universitaires (en RFA, y vivaient seulement 10 à 12 pour cent des étudiants);

La proportion de femmes parmi les étudiants était, à l’exception des arts, généralement plus élevée que celle dans la RFA, surtout en sciences économiques (79,0 pour cent), droit (66,2 pour cent), et ingénierie (21,3 pour cent, selon les données pour 1987).

Le 18 mars 1990 ont eu lieu pour la première fois en la RDA des élections libres, et un nouveau gouvernement central s’est installé au pouvoir, ayant à sa tête les Chrétiens Démocrates (CDU) comme le parti le plus important. Durant ces mois, les institutions d’enseignement supérieur de la RDA ont été largement laissées à leur aise, avec l’imposition d’une autorité externe relativement réduite.

Juste avant l’unification, le dernier Ministère de la RDA de l’enseignement supérieur et la science a contribué à l’établissement par le gouvernement d’un Décret provisoire sur l’enseignement supérieur (Vorläufige Hochschulordnung), afin de faciliter la transition, qui était fidèlement structuré sur la législation de la RFA.

Suivant l’unification, l’éducation est devenue la responsabilité des nouveaux Länder, auxquels on a fait appel en vue de passer la législation des Länder sur l’enseignement supérieur, sur la base de la Loi-cadre fédérale sur l’enseignement supérieur (Hochschulrahmengesetz), valide jusqu’au 3 octobre 1993. LE CONSEIL DE LA SCIENCE EN TANT QU’ACTEUR DANS LE PROCESSUS DE TRANSFORMATION Le nombre d’acteurs impliqué dans ce processus a été assez important : le Ministère fédéral pour l’éducation et la science (Bundesministerium für Bildung und Wissenschaft), la Conférence des ministres de la culture, et les ministres chargés de l’enseignement supérieur dans les nouveaux Länder au niveau politique. On peut également mentionner le Conseil de la Science (Wissenschaftsrat) qui a servi en tant qu’institution tampon chargée de conseil en politiques, composée de représentants des Länder, du gouvernement fédéral, des institutions d’enseignement supérieur et de la vie publique (Krull, 1994, pp. 207-208). En ce qui suit on analysera en particulier l’activité du Conseil de la Science. Son activité reflète assez bien les problèmes et les dilemmes de ce processus rapide de transformation de l’enseignement supérieur dans l’ex-RDA.

A compter de janvier 1990 déjà, le Conseil de la Science, en tant que principal corps général de conseil pour l’enseignement supérieur et la science de la RFA, a établi un groupe de travail sur “les relations scientifiques germano-allemandes”, qui a tenu sa première réunion en mars. Des scientifiques de renom de la RDA étaient membres de ce groupe de travail où ils bénéficient d’une situation de parité avec les membres de l’Ouest. Selon Dieter Simon (1996), l’ancien directeur du Conseil de la Science, l’intention du groupe était de travailler sur les recommandations de “joindre” les deux systèmes scientifiques dans l’intention de “former un nouveau monde allemand de la science”. Les “Douze recommandations”, adoptées le 9 juillet 1990, stipulaient de manière explicite que le système scientifique de la RFA ne pourrait pas être tout simplement transféré à la RDA, que le processus de l’unification offrait également à la RFA l’opportunité d’évaluer de manière autocritique la mesure dans laquelle différentes parties de son système éducationnel et de la recherche pourrait envisager un nouvel ordre.

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Cela représente les bonnes intentions de la première heure. Cependant, comme ailleurs dans le cadre des systèmes scientifiques et de l’enseignement supérieur, l’union s’est déroulée essentiellement comme un “transfert d’institutions de l’Ouest à l’Est” et, a impliqué ainsi une adaptation structurelle fondamentale du système de l’ex-RDA.

En d’autres mots, il n’y a pas eu de reconstruction d’un nouveau système commun de la science et de l’enseignement supérieur – principalement du fait du rapide processus d’unification. La même rapidité a également signifié que des aspects et des conséquences de crise des institutions d’enseignement supérieur ouest-allemandes ont été introduites par inadvertance dans les nouveaux Länder de l’ex-RDA. Pour les instituts et les académies on a établi un comité d’évaluation (Evaluierungsausschuß), et pour les institutions d’enseignement supérieur un comité pour la structure (Strukturausschuß).

On a chargé une commission coordinatrice (Koordinationskommission) de combiner l’activité des deux comités. Cependant, les deux comités ont élaboré des recommandations indépendamment l’une de l’autre. La commission coordinatrice, qui a été chargée de prévoir une série générale de recommandations pour les nouveaux Länder, ne s’est jamais rassemblée en séance (Bieber, 1994, p. 64; Schluchter, 1996, pp. 75-76).

Les académies ont été immédiatement dissoutes. Leurs instituts ont pu exister jusqu’à la fin de 1991. Après, les résultats de l’évaluation et des recommandations du Conseil pour la Science ont formé les fondements des décisions envisageant l’avenir des instituts individuels, leur taille, leurs modes de financement, leur structure et affiliations organisationnelles et leurs priorités de recherche. En ce qui concerne l’envergure générale du personnel, d’environ 30.000, on prévoyait une réduction de 50 pour cent. Le Conseil pour la Science a proposé la création d’instituts de recherche pour les nouveaux Länder à l’extérieur des universités, avec un total de 11.000 de postes. Aussi, un sous-programme distinct était censé intégrer environ 2.000 chercheurs des académies dans les institutions d’enseignement supérieur. Ce programme d’intégration universitaire (Wissenschaftler-Integrationsprogramm) était également censé réintégrer et élargir la fonction de recherche dans les institutions d’enseignement supérieur. Néanmoins, après 1996, seulement un nombre relativement limité d’anciens chercheurs ont bénéficié de postes permanents dans les institutions d’enseignement supérieur.

La création annoncée de Commissions sur la structure de l’enseignement supérieur (Hochschulstruktur-Kommissionen), qui ont été créées dans tous les nouveaux Länder entre automne 1990 et été 1991 (pour une étude comparative, voir Teichler, 1994), impliquait, inter alia, la création de nouvelles institutions, la restructuration ou l’introduction de nouveaux sujets, des investissements nécessaires dans l’infrastructure, et des nominations pour les chaires. Mais les décisions finales ont été prises par les gouvernements spécifiques des nouveaux Länder. Cette procédure confirme le fait que l’Allemagne en tant qu’État fédéral semble plutôt décentralisé ; cependant, dans chaque Land, le contrôle bureaucratique sur les institutions d’enseignement supérieur est extrêmement centralisé et ne diffère pas, en termes structurels, du système de contrôle de l’ex-RDA. Lorsque j’ai expliqué le “système” d’enseignement supérieur de la RFA à mes collègues de l’Académie de Sciences Pédagogiques au printemps 1990, ils se sont montrés plutôt surpris par rapport à cette caractéristique.

En général, il n’y avait point de mécanisme de liaison propre avec le Conseil pour la Science ; aussi, il manquait une coordination systématique entre le Bund et les

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nouveaux Länder. En comparaison avec le rôle des instituts des académies, le Conseil pour la Science a joué un rôle moins décisif dans la restructuration des institutions d’enseignement supérieur, qui n’ont pas été officiellement évaluées. Les nouveaux Länder eux-mêmes ont dû décider quelles institutions – ou quelles parties de celles-ci – méritaient ou pas de survivre, pendant que le Conseil n’a fait que des recommandations de procédure. Dans la plupart des cas, les sections de marxisme-léninisme ont été fermées (abgewickelt), ainsi que la plupart des sections dans le droit ; en grande partie aussi dans le cas des sciences économiques et sociales ; dans certaines institutions ont été touchées des sections de pédagogie, de philosophie et d’histoire. La fermeture d’institutions entières n’a été pratiquée que dans très peu de cas. En partie, les bâtiments et autres facilités ont été retenues en vue de la création de nouvelles institutions d’enseignement supérieur.

Dans ses Douze recommandations, le Conseil pour la Science offre quelques directives à suivre (Wissenschaftsrat, 1990). Le Conseil était censé promouvoir la l’autonomie de la recherche et de l’enseignement. Il a trouvé le secteur universitaire de la RDA sous-développé, et sa plus forte préférence allait dans le sens de s’assurer que la recherche, y inclus la recherche basique, sera effectuée dans le cadre des institutions d’enseignement supérieur. En analysant l’infrastructure du système d’enseignement supérieur de l’ex-RDA, il a estimé à 6,5 milliards de deutschemarks (environ 3,9 milliards de dollars USD) les coûts de la réhabilitation des manques résultant du déficit de littérature occidentale, d’ordinateurs et d’équipement de laboratoire. En plus, on avait besoin de fonds pour la promotion des relations internationales et pour les professeurs invités des anciens Länder.

On a mis en œuvre des Programmes spéciaux pour l’enseignement supérieur (Hochschulsonderprogramme), qui sont devenus des instruments financiers puissants pour le processus de réforme. Aussi, un Programme de renouveau pour l’enseignement supérieur (Hochschulerneuerungsprogramm) destiné aux nouveaux Länder a été approuvé le 11 juillet 1991, pour être déroulé jusqu’au 31 décembre 1996. Durant cette période, le gouvernement fédéral y a investi plus de 2,4 milliards de deutschemarks (environ 1,6 milliards de dollars USD) (Kehm, 1999, p. 21).

Concernant les institutions spéciales d’enseignement supérieur, le Conseil pour la Science a proposé leur intégration en tant que facultés dans les universités existantes ou leur transformation en de nouvellement crées Fachhochschulen (universités de sciences appliquées), avec un spectre élargi de sujets. En général, le Conseil pour la Science a suggéré l’introduction immédiate de Fachhochschulen dans les nouveaux Länder, censées être fondées comme une alternative aux universités des anciens Länder, et spécialisées en des sujets comme l’économie, l’informatique et l’ingénierie.

Le Conseil pour la Science a accordé une priorité particulière aux investissements en infrastructure des institutions d’enseignement supérieur existantes. Il s’est montré très réticent au sujet de la création de nouvelles universités qui ont été néanmoins planifiées et ensuite établies dans le nouveau Länd du Brandebourg (l’Université Européenne Viadrina de Francfort/Oder, l’Université Technique de Cottbus, et le développement d’un collège pour la formation des enseignants à Potsdam au niveau d’université générale) et du Thuringe (une nouvelle université à Erfurt).

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L’entier processus d’adaptation du système de la science et de l’enseignement supérieur dans les nouveaux Länder s’est déroulé par une sorte d’inouï tour de force41. Il n’y a jamais eu de dialogue réel sur les changements requis par les deux systèmes des deux anciens États allemands.

En 1993, le Conseil pour la Science a publié son ouvrage “Dix thèses sur les politiques d’enseignement supérieur”, qui remettait en question les valeurs et les structures de l’enseignement supérieur, tellement appréciées, des anciens Länder et exprimait ses réserves quant à l’opportunité d’exporter ce modèle aux nouveaux Länder. Les “Dix thèses...” attirait l’attention sur un système sous-financé, avec des taux élevés d’abandon scolaire et un niveau excessif de durée des études, des structures administratives dépassées, un grande disparité entre la taille importante du secteur universitaire et le plus réduit secteur des Fachhochschulen, et le manque d’une évaluation systématique de l’enseignement. Le Conseil pour la science a demandé une analyse critique et une réforme fondamentale du système d’enseignement supérieur de toute l’Allemagne. LA DIMENSION HUMAINE On a demandé au personnel dans l’enseignement supérieur des nouveaux Länder de se montrer loyaux envers la Loi fondamentale. Il était devenu évident qu’une grande partie d’entre eux doit être remplacée, en particulier dans ces disciplines qui étaient idéologiquement chargées, comme la philosophie, l’histoire, l’économie, les sciences sociales et le droit. En plus, les rapports étudiants/personnel étaient tellement généreux selon les standards des anciens Länder qu’il était impossible de garder tous les employés existants à la charge de l’établissement.

Le processus de transformation de l’enseignement supérieur dans les nouveaux Länder a eu lieu à un moment où prévalaient encore l’opposition contre l’introduction des indicateurs de performance, de la responsabilisation et des procédures d’évaluation – par opposition aux pratiques déjà expérimentées dans les années 1980 dans certains pays de l’Europe de l’Ouest, comme la Finlande, la France, les Pays-Bas et le Royaume Uni. Lorsque les Commissions sur la structure de l’enseignement supérieur ont commencé à travailler, leur volonté d’évaluer a augmenté – mais, on devrait le souligner, d’évaluer “les autres”. Même si les Commissions ne bénéficiaient pas de mandat explicite, on a mis en marche, d’une manière ou d’une autre, des activités d’évaluation compréhensives ; cependant, ces dernières n’étaient pas basées sur une “culture de l’évaluation” généralement adoptée, qui fait toujours défaut en Allemagne (Teichler, 1994, p. 235). Le processus dans son entier s’est déroulé sous l’égide de la supposition héroïque que les représentants reconnus de leurs sujets seraient en mesure de juger à la suite de brèves entrevues individuelles, parfois complétées par des échanges d’opinions avec d’autres experts.

L’Abwicklung impliquait que les employés dans les sections affectées soient congédiés après une brève période transitoire. Par exemple, dans le cas de l’Académie de Sciences Pédagogiques, qui a été fermée le 31 décembre 1990 (par malheur, dans l’opinion de l’auteur, parce que l’Allemagne manque désormais un institut de recherche sur l’éducation pour l’ensemble de la fédération, ayant un mandat sociétal et 41 En français dans le texte.

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international), les 600 employés renvoyés se sont confrontés à la même situation : ceux ayant moins de 55 ans ont reçu des compensation sur six mois, et ceux ayant plus de 55 ans, des compensations sur neuf mois. On leur a conseillé de s’enregistrer auprès du bureau pour l’emploi et de chercher de nouveaux postes et/ou de s’inscrire dans un programme de requalification professionnelle (Rust et Rust, 1995, p. 168).

Les statistiques officielles indiquent que le nombre de personnel dans les institutions d’enseignement supérieur dans les nouveaux Länder a été réduit de 48,8 pour cent entre 1989 et 1993. Cependant, étant donné le manque de différenciation concernant leurs origines (environ 50 pour cent provenaient des anciens Länder), on peut supposer que moins de la moitié du personnel employé en 1989 en RDA a continué de travailler dans les institutions d’enseignement supérieur des nouveaux Länder (Mayntz, 1994a et b, p. 303).

Suivant la fermeture des sections, les membres du personnel qui ont appliqué pour de nouveaux postes ont été soumis à un processus d’évaluation qui a commencé par un investigation sur leur intégrité personnelle et politique et s’est poursuivie par une estimation de leurs compétences académiques. Ce processus a suscité des importants sentiments de peur et de ressentiment parmi ceux qui ont été évalués, ainsi que de fortes impressions d’injustice. Une course aux postes s’est déclenchée, qui a engendré certains résultats plutôt ambigus. La plupart des personnes responsables de l’évaluation provenaient des anciens Länder. Ceux-ci ont évalué l’excellence académique, souvent sans prendre en compte la situation spécifique de l’ex-RDA : les restrictions de voyager, le manque d’accès à la littérature occidentale, l’inexistence de revues de spécialité dans la RFA, etc. En plus, certains d’entre ceux qui ont effectué l’évaluation ont appliqué par la suite pour obtenir des postes dans les chaires vacantes. Les “gagnants” en provenance des anciens Länder n’étaient pas toujours de second choix, mais souvent bénéficiant de chances infimes de nomination dans les anciens Länder (Neidhardt, 1996, p. 17, et Simon, 1996, p. 208).

Toute révolution suppose une redistribution des opportunités de vie ; il y a des gagnants et des perdants qui affectent des biographies individuelles, surtout dans une période de terrible incertaineté, d’augmentation des taux de chômage dans les nouveaux Länder, et de récession économique générale. Comme résultat, un climat de “nostalgie de la RDA” retroactive a influencé le climat politique général des nouveaux Länder. Pour les personnes concernées, l’ex-RDA avait signifié “de la sécurité sans liberté”, pendant que l’Allemagne unifiée avait mené à une “liberté sans sécurité”, qui demandait un changement radical de mentalités et d’attitudes. Les perdants provenaient de ces catégories sociales qui incluaient également les perdants du processus d’unification qui n’étaient pas impliqués dans l’enseignement supérieur. Pour beaucoup d’enseignants de l’ex-RDA, surtout ceux de plus de 50 ans, la vie de tous les jours était devenue extrêmement difficile. N’étant pas préparés pour une “société de la compétition” et ayant des opportunités limités d’une nouvelle carrière à l’extérieur du monde académique, ils se confrontaient uniquement à une stratégie de survie.

Le plus important groupe de “perdants” (par comparaison à la situation des anciens Länder) provenait du groupe relativement grand des Mittelbau (assistants universitaires). Seulement environ 25 pour cent des assistants ont pu maintenir leurs postes – en principal pour des périodes limitées. Étant donné que les Mittelbau étaient

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bien agés, ceux qui ont été renvoyés sont restés sans emploi. Parmi ces derniers, un grand nombre de femmes ont perdu leur emploi.

Su côté des gagnants on doit citer les étudiants. Leurs possibilités ont visiblement augmenté. Cependant, ils se voient confrontés aux aspects négatifs de l’enseignement supérieur de masse, du transfert du “noyau pourri”, de la concurrence accrue, et du découplage de l’enseignement supérieur du système de l’emploi. OBSERVATIONS CONCLUSIVES On pourrait dire que, à la fin des années 1980, les deux systèmes d’enseignement supérieur étaient considérablement différents l’un de l’autre. Le Rideau de Fer, qui a divisé l’Europe, a également agi comme une ligne de frontière académique entre les deux États allemands, qui n’a pas permis trop de contacts entre les scientifiques et les chercheurs des deux côtés.

En principe, il y avait trois options en 1990: • Le maintien de deux systèmes différents d’enseignement supérieur, au moins pour

une relativement longue période de transition; • Des efforts parallèles de réforme dans les deux systèmes, censés mener à un

nouveau système commun d’enseignement supérieur en Allemagne; et • L’adaptation fidèle du système de la RDA au système d’enseignement supérieur

de la RFA, malgré toutes ses faiblesses reconnues, et ultérieurement un processus global de réforme.

Comme on vient de l’expliquer, une discussion élargie n’a pas eu et n’a pas pu avoir lieu, du fait de différentes contraintes politiques générales. La brève période entre le 9 novembre 1989 et le 3 octobre 1990 a révélé un processus d’unification extrêmement rapide, suivant l’écroulement de la RDA. Ainsi, la première partie de la troisième option est devenue une réalité.

Durant la brève période de transition, tous les acteurs de l’ex-RFA ont agi selon leurs “identités fonctionnelles établies” (Mayntz, 1994b, p. 293). A la suite de l’union à travers l’adhésion et d’une situation de grande insécurité et de manque de temps disponible, ils ont poursuivi les mêmes buts et rempli les mêmes tâches. Le résultat a consisté en un pur transfert d’institutions (“incluant le noyau pourri”), sans aucun changement innovateur. Il n’y a eu de coordination systématique ni au niveau des Länder ni au niveau fédéral. Les gouvernements des nouveaux Länder ont appliqué leur droit d’Abwicklung dans des degrés différents, comme le montre un bon nombre d’études (voir, par exemple, les articles dans Mayntz, éd., 1994b, ainsi que dans Muszynski, éd., 1993).

On ne peut pas affirmer avec aise si une réforme des institutions d’enseignement supérieur orientée vers l’avenir ait été possible ou non sans ce genre d’intervention externe. La réforme radicale qui a eu lieu dans les nouveaux Länder peut être perçue comme une poussée nécessaire de premier degré vers la modernisation, qui, malgré les faiblesses du système transféré, a été unique par rapport aux transformations dans les systèmes d’enseignement supérieur dans d’autres pays ex-socialistes de l’Europe Centrale et de l’Est.

On n’a pas fait appel à une réforme générale vers la modernisation des deux systèmes d’enseignement supérieur (deuxième option) – d’un côté, du fait des restrictions juridiques et des limitations de temps et à cause du manque de volonté et, de l’autre côté,

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du fait d’une acception préétablie de la réforme. En plus, il s’impose de souligner le fait qu’il n’y a eu aucun acteur dominant dans une Fédération de seize Länder qui aurait pu entreprendre la programmation d’une réforme compréhensive et assurer sa mise en œuvre.

Plus de dix ans après l’union, le temps est arrivé pour une poussée de modernisation supplémentaire et fondamentale, cette fois pour le système allemand d’enseignement supérieur dans son ensemble. Il existe plusieurs propositions en la matière, qui sont également induites par les réglementations revues de la nouvelle Loi-cadre fédérale sur l’enseignement supérieur d’août 1998. On envisage une déréglementation et une décentralisation supplémentaires, une orientation vers la performance, et une responsabilisation menant vers une concurrence et une différenciation accrues entre les institutions d’enseignement supérieur. On dispose d’un grand nombre de propositions conceptuelles (voir, par exemple, Daxner 1996 et 1998, Glotz, 1996, Mittelstrass, 1998, Solga, 1998), qui dépassent le but de cet article.

Dans ce contexte, on devrait se rappeler que le processus rapide d’adaptation a été mené comme une “affaire interne de l’Allemagne”. Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays socialistes (comme la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, et même l’Union Soviétique), il n’y a pas eu de conseillers étrangers, d’équipes d’experts de différentes organisations internationales (l’OCDE, le Conseil de l’Europe, la Banque Mondiale). Il s’imposera dans les années à suivre, entre autres, une transcription des expériences des années 1990, en vue de la préservation de témoignages historiques sur cette importante période de l’histoire de l’enseignement supérieur allemand.

A compter des années 1960, l’OCDE finance et organise des Études sur les politiques nationales pour l’éducation à la demande de ses États membres. La RFA n’a utilisé cette opportunité unique qu’une seule fois, au début des années 1970. La préparation d’un rapport “interne” compréhensif et d’une analyse “externe” dans le cadre de ce type d’étude effectuée par l’OCDE pourrait mener à la poussée vers la modernisation nécessaire mentionnée plus haut, afin de mieux traiter les problèmes dérivant de l’intégration des deux États, ainsi que ceux ayant trait à la création de la Région européenne de l’enseignement supérieur, qui ne peut être réalisée qu’à la suite d’efforts aux niveaux national et institutionnel. REFERENCES BIEBER, H.-J. “Die Empfehlungen des Wissenschaftsrates für die Hochschulen in den neuen Ländern”, Das Hochschulwesen 2 (1994): 62-71. DAXNER, M. “Die deutschen Universitäten, der Aufmerksamkeit der Öffentlichkeit empfohlen!”, Aus Politik und Zeitgeschichte B 15 (1998): 12-19. DAXNER, M. Ist die Uni noch zu retten? Zehn Vorschläge und eine Vision. Reinbek bei Hamburg: Rowohlt Taschenbuchverlag, 1996.

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Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

La reforme de l’enseignement supérieur en République Tchèque : un témoignage personnel concernant l’impact des conseillers étrangers LADISLAV CERYCH L’auteur, un scientifique émigré tchèque, réfléchit au sujet de son retour dans sa patrie, après la Révolution de Velours de 1989, en tant que conseiller du Ministère tchèque de l’éducation, de la jeunesse et des sports, aussi bien qu’à la question générale de l’influence des conseillers étrangers (occidentaux) dans les pays de l’Europe Centrale et de l’Est subissant un processus de transition. Il a été en premier lieu conseiller étranger, grâce à son expérience et au nombre d’années qu’il a passé loin de son pays d’origine. En plus de tenir des conférences au sujet de la réforme dans l’enseignement, il a participé à la création de programmes TEMPUS et à la préparation de l’étude de l’OCDE de 1992 concernant l’enseignement supérieur en République Tchèque et en Slovaquie. Par la suite, il a contribué à l’élaboration de l’étude concernant l’ensemble su système éducationnel de la République Tchèque pendant la période 1995-1996, en tant qu’universitaire tchèque rapatrié plutôt qu’en qualité de conseiller étranger. Sa conclusion générale est que l’activité des conseillers étrangers peut être importante à condition que ces conseillers-là appréhendent réellement le milieu et la langue locaux; pourtant, il est possible de témoigner une certaine période de retard avant l’adoption de leurs recommandations. INTRODUCTION Cet article comporte un double but. D’une part, il propose une analyse de ce que son titre indique: l’influence que les conseillers étrangers ont eu – ou n’ont pas eu (pendant les premières cinq années environ après le changement de régime de la fin de 1989) – sur la réforme de l’enseignement supérieur en République Tchèque. Il faut souligner que cette analyse est incomplète et qu’elle est certainement influencée par ce qui constitue, d’autre part, le deuxième et le principal but de l’article, celui de faire un compte-rendu de mon expérience personnelle en ce qui concerne le processus de réforme en République Tchèque. Je devrais mentionner en tout début une situation un peu particulière, qui influence sans doute ce compte-rendu et témoignage. Pendant la période en question, j’occupais presque simultanément deux postes différents. J’ai acquis une partie importante de mon éducation et toute mon expérience professionnelle en dehors de la République Tchèque (ou de la Tchécoslovaquie). Pendant plusieurs années, la majorité de mes contacts avec les spécialistes dans mon domaine ont été avec des personnes qui n’étaient pas de Tchéquie ou d’autres pays de l’Europe Centrale et de l’Est. A cet égard, la création du Centre Européen de l’UNESCO pour l’Enseignement Supérieur, avec son siège à Bucarest, a constitué un développement positif. L’ensemble de mes lectures professionnelles et de mes textes n’a eu presque aucun rapport avec des problèmes spécifiques à l’espace tchèque, mais ils se sont concentrés sur des questions plus générales relatives au cadre de la Communauté Européenne et de l’Organisation pour la Coopération et le

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Développement Économiques (OCDE). Dans ce sens, j’étais tout à fait un “expert étranger”, avec tout ce que le terme “expert” implique. Pourtant, en même temps, je n’étais pas seulement un “expert étranger qui parlait le tchèque”, mais j’étais aussi, probablement, une personne avec une certaine sensibilité aux problèmes, à la pensée, aux attitudes et aux modèles tchèques/tchécoslovaques. J’avais acquis cette sensibilité, je le crois, par l’intermédiaire de ma famille et de mes relations personnelles. Par conséquent, j’ai commencé ma carrière universitaire en République Tchèque en tant qu’expert de la Commission Européenne et de l’OCDE et, quelques années plus tard, j’ai assumé la position de “Tchèque normalement qualifié”, une position que tout le monde ne reconnaît pas nécessairement en tant que telle.

L’éditeur de la revue de UNESCO-CEPES, L’Enseignement Supérieur en Europe, m’a indiqué que la nature et le but de ce numéro spécial, qu’on prépare dans le contexte du trentième anniversaire du Centre, ne devraient pas être “trop académiques”, qu’ils n’étaient pas censés faire une nouvelle analyse de la réforme de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est, mais qu’ils devraient se concentrer sur des mémoires personnelles ou sur ce que présente le sous-titre de cet article, une sorte de témoignage personnel lié au développement et à la réforme de l’enseignement supérieur – et à mon rôle dans ce processus.

Bien évidemment, j’ai eu en effet un rôle dans ce processus, et pourtant il ne faut pas l’exagérer. Il est étroitement lié au rôle des conseillers étrangers dans le processus de la réforme en général. Le but principal de cet article est d’éclaircir un peu ce problème par l’intermédiaire de mon expérience personnelle. Pour commencer, je me propose de présenter quelques considérations générales pour faciliter la compréhension du contexte de mon “témoignage”. CONSIDERATIONS GENERALES Juste après 1989, la République Tchèque, comme la majorité des pays de l’Europe Centrale et de l’Est, a été inondée par des experts étrangers, des équipes d’experts de la part de diverses organisations internationales, des représentants des fondations, de nombreux universités de l’Ouest et d’autres personnes dans ce genre. Il n’y a pas de doute que, directement ou indirectement, implicitement ou explicitement, leur influence, aussi bien que l’influence des modèles externes, ait joué un rôle important dans l’initiation de la réforme éducationnelle dans le pays. Le Fachhochschule allemand, le HBO hollandais ou le concept d’enseignement supérieur à “cycle court” ou “de secteur non-universitaire” de l’OCDE, les modèles australiens de financement de l’enseignement, la structure américaine des titres universitaires et beaucoup d’autres caractéristiques des développements de l’Ouest, ont inspiré sans doute les réformes dans l’enseignement tchèque. L’acceptation initiale ne signifie pas qu’on n’ait pas mis de côté et ignoré bien des recommandations externes et que, dans certaines situations, surtout dans une période ultérieure, il n’y ait eu une certaine résistance ou même un rejet des conseillers et des modèles étrangers. En fait, il y a eu un conflit latent à cause du changement de régime, qui se trouvait entre l’influence et l’intérêt pour les modèles étrangers et ce qu’on peut nommer, et ce qui a été en fait, la tendance vers la restauration – un retour aux modèles et aux traditions d’avant guerre. En République Tchèque – le pays de Comenius – comme

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dans tout autre pays, l’éducation est, plus que tout autre secteur ou sous-système social, profondément enracinée dans l’histoire et dans les traditions nationales.

Ces traditions avaient été complètement abandonnées après la prise du pouvoir par les communistes, et un nouveau modèle s’était imposé. Un certain retour à la situation pré-communiste et plus particulièrement à la situation d’avant guerre était dans une certaine mesure un développement inévitable et normal.42 Dans une certaine mesure, ce conflit entre l’aspiration de “rattraper l’Europe” et la tendance de la restauration prédomine également de nos jours, même si dans une forme plus atténuée qu’au début des années 90. En plus, il ne s’agit plus d’un conflit entre les conseillers étrangers et les protagonistes du retour aux modèles d’avant 1938, mais il s’agit plutôt d’une dispute classique, qui existe dans tous les pays, entre les adeptes du changement et de l’innovation et ceux qui défendent une approche plus traditionnelle et plus conservatrice.

Que faudrait-il dire en particulier concernant la situation de la Tchéquie/ Tchécoslovaquie au début des années 90?

Tout d’abord, en ce qui concerne le contexte politique: pour ceux comme moi qui, pendant les dernières quarante années, ont vécu et travaillé principalement dans un climat académique occidental où les opinions politiques de gauche étaient prédominantes, la première surprise a été la situation presque contraire de l’atmosphère en Tchéquie. A l’époque, le Premier ministre britannique, Margaret Thatcher, était un héros admiré (même pour les questions concernant l’enseignement supérieur), et on bannissait tout ce qui évoquait le vieux contrôle central, y compris les pouvoirs et les attributions des recteurs et des doyens en tant qu’administrateurs efficaces des institutions d’enseignement supérieur. Le Weltanschaung prédominant était une position libérale radicale, impliquant une intervention minime de l’Etat et une confiance presque illimitée dans les forces du marché libre.

Sans doute, les politiques pratiques n’ont pas suivi tout à fait cette philosophie: le contrôle des loyers a continué, aussi bien que le contrôle des prix pour l’énergie et, dans une certaine mesure, des salaires. Pourtant, la doctrine libérale a eu un impact considérable dans le domaine de l‘éducation, y compris de l’enseignement supérieur. Cet impact a impliqué essentiellement l’apparition – en fait l’explosion – des écoles privées dans l’enseignement secondaire (et point dans l’enseignement supérieur jusqu’en 1998) et le développement de l’autonomie institutionnelle. Cette dernière a été appliquée aussi aux universités et à leurs facultés qui, après l’adoption d’une nouvelle Loi compréhensive de l’enseignement supérieur en mai 1990, sont devenues à bien des égards plus indépendantes que la plupart de leurs homologues de l’Ouest, en ce qui concerne le contrôle de l’Etat, à l’exception de leur financement.

Même ceux qui défendent un rapprochement en ce qui concerne les tendances occidentales, qu’on a ignorées en grande partie jusqu’à ce moment-là, telles que la disponibilité de l’enseignement supérieur par rapport aux intérêts sociaux plus amples, le développement régional et l’expansion radicale, et la diversification de l’enseignement supérieur, ont eu et continuent à avoir des difficultés avec certains problèmes de terminologie et, plus généralement, avec la compréhension et la communication avec des secteurs plus larges de la société, y compris des cercles d’experts adeptes de certains

42 Pour une analyse plus détaillée de ce phénomène, voir J. Sadlak (1995), pp. 43-62.

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concepts clé qui avaient constitué la monnaie courante43 depuis les années 60 dans la plupart des pays de l’Ouest.

Le cas le plus typique à cet égard comprend les termes et les concepts liés à la notion globale d’égalité et d’opportunité et, particulièrement, au terme d’“équité” – pour lequel il n’y a pas d’équivalent tchèque. En plus, tout ce qui se rapportait à la notion d’égalité a été après 1989, pendant plusieurs années, quelque chose de suspect. La résistance ci-dessus mentionnée à tout ce qui évoquait l’ancien système s’applique dans ce cas. Pour bien des gens de la République Tchèque, les mots égalité, équité et d’autres termes similaires, sont liés au concept d’égalitarisme qui a été mal employé à l’époque communiste. Beaucoup d’autres termes et concepts étaient complètement inconnus, peu compris ou interprétés assez différemment par rapport à l’Ouest. C’était par exemple le cas des notions de “modèles sociaux”, “dirigeant” ou, plus généralement, du concept de “participation“ ou de “décentralisation“. De la même manière, le nombre d’enfants inscrits dans l’enseignement pré-primaire a baissé après 1989, puisque bien des gens considéraient ce secteur de l’éducation comme un instrument du pouvoir communiste, destiné à limiter l’influence de la famille en faveur d’un contrôle idéologique plus important de l’Etat. MON RETOUR - 1990-1992 Je suis rentré en Tchécoslovaquie pour la première fois après quarante-deux années de ce qu’on appelle “émigration” ou “exil”44, en janvier 1990, environ deux mois après la fameuse “Révolution de velours”. Mon retour a été déterminé par deux raisons. D’une part, je voulais, bien sûr, revoir au moins quelques-uns de mes vieux amis, ma famille et les endroits que je connaissais. D’autre part, j‘avais reçu l’invitation d’un professeur tchèque, qui allait devenir bientôt le doyen de l’École d’éducation de l’Université Charles, Jiri Kotasek, d’y tenir plusieurs conférences sur les principaux problèmes et tendances concernant le développement de l’enseignement supérieur en Occident pendant les dernières quarante années. J’estime que cette deuxième raison a été pour moi encore plus importante que la première, non pas que je m’attende ou que j’espère devenir un acteur ou une personnalité dans le développement de l’enseignement supérieur de Tchécoslovaquie, mais simplement puisque je considérais qu’il était utile que je fasse un compte-rendu des événements et des tendances dans l’enseignement supérieur – c.a.d. mon domaine d’intérêt, où j’étais plus ou moins spécialisé – dont la Tchécoslovaquie avait été isolée pendant plus de quatre décennies.

Bien que mes contacts personnels et mes “retrouvailles” aient été sans doute très importants, les conférences que j’allais faire ont dominé mon premier retour dans mon pays d’origine. Cela s’est passé à l’Université Charles, une institution de grand prestige, dans la salle qu’on appelait (et je suppose, on appelle toujours) “L’auditorium bleu”, avec un public de deux à trois cent personnes. J’y ai tenu trois conférences (chacune d’entre elles durant d’habitude environ une heure) sur trois thèmes:

43 En français dans le texte. 44 Que je n’ai jamais considéré comme un exile ou une émigration au sens strict, mais comme une partie d’une nouvelle période de ma vie, sans un “esprit de retour”.

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• Les principaux problèmes et tendances concernant le développement de l’enseignement supérieur en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord pendant les dernières quarante ans, l’accent portant principalement sur les aspects innovateurs de ces tendances tels que l’enseignement virtuel, la disponibilité des universités par rapport aux besoins de la société et la fonction de service public des universités;

• la diversification de l’enseignement supérieur, surtout les nouveaux modèles institutionnels, l’enneigement supérieur à cycle court et les institutions non-traditionnelles;

• le concept de “système d’enseignement supérieur” comportant différentes composantes traditionnelles et non-traditionnelles;

• les possibilités et le potentiel d’une aide externe pour l’enseignement supérieur de Tchécoslovaquie, par des initiatives telles que les programmes de la Communauté Européenne, surtout TEMPUS, et le rôle des autres organisations internationales, etc.

Ce n’est pas à moi de dire si mes conférences ont été bonnes ou mauvaises ou

d’apprécier l’impact qu’elles ont eu. Je peux seulement dire que le public de ma troisième et dernière conférence est resté aussi nombreux que pendant la première conférence. En général, on m’a posé des questions très intelligentes et j’ai été surpris par le grand intérêt pour les nouvelles tendances de développement. A l’époque, je ne me suis point confronté à l’argument que les tendances étrangères peuvent être intéressantes, mais plutôt à l’affirmation : “on a ses propres traditions et méthodes et on n’a pas besoin de modèles externes.”45

Donc, ma première impression quant à la réaction du public tchèque intéressé par les nouveaux développements dans l’enseignement supérieur a été positive. En général, l’audience était assez ouverte. Plusieurs années plus tard, j’ai rencontré des personnes qui m’ont dit qu’elles avaient participé à mes conférences de “L’Auditoire bleu” et qu’elles les avaient appréciées. Les remarques de ce genre n’impliquent pas du tout le fait que mes conférences aient été très pertinentes, mais elles indiquent le fait que le climat général était favorable aux nouvelles tendances et influences.

A l’époque de mes “conférences de l’Auditoire bleu”, j’ai eu deux rencontres qui vaillent leur mention en ce qui suit. L’une a été avec Jiri Dienstbier, le Ministre des Affaires Etrangères de ce moment-là, et l’autre avec Václav Havel, le Président de la Tchécoslovaquie. On ne peut dire rien de sensationnel de ces rencontres, mais elles ont été intéressantes dans une certaine manière. En parlant avec Dienstbier, j’ai été frappé par son ignorance de certaines choses fondamentales concernant les organisations européennes et internationales. Je me suis rendu compte qu’il ne faisait pas la différence entre le Conseil de l’Europe et la Communauté Européenne. Le Président Havel, d’autre

45 Un souvenir plutôt personnel de mes conférences intitulées “Blue Auditorium” concerne le fait que cette occasion constituait la première fois dans ma vie que je prononçasse une conférence en tchèque. En fait, je n’avais jamais lu ou écrit quoi que ce soit en tchèque dans mon domaine de compétence. Evidemment, je m’inquiétais pour cette situation, mais les choses se sont passées sans problèmes. Même le Recteur de ce moment-là, en concluant ma suite de conférences, a évalué positivement la manière dont j’utilisais la langue, ce qui signifiait probablement que j’avais simplement évité la déformation de la langue tchèque à cause de l’influence de la période communiste.

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part, s’intéressait principalement aux questions concernant la création d’une Université de l’Europe Centrale par George Soros et il ne savait pas très bien qui était Jacques Delors, le Président de ce moment-là de la Commission Européenne, que je voulais qu’il rencontre.

Ce que je veux souligner ici, ce n’est pas que, deux mois après le changement de régime, Havel and Dienstbier, deux fonctionnaires de haut rang, n’avaient pas une connaissance adéquate (ou minime) du cadre international où leur pays fonctionnait. Leur niveau de connaissances était probablement assez normal et compréhensible. Ce que j’ai admiré c’est que, dans une période relativement courte, quelques mois plus tard, voire une ou deux années au plus, les “spécialistes” tchèques ont acquis le savoir et les compétences nécessaires pour faire face à la complexité des sollicitations et des règlements de la Communauté Européenne (ERASMUS, TEMPUS, etc.).

Stanislav Hanzl, le feu recteur de l’Université Technique Tchèque de Prague, m’a dit une fois que l’importance du programme TEMPUS n’a pas résidé simplement dans le fait qu’il a contribué financièrement au développement de l’enseignement supérieur en Tchéquie et à la mobilité des étudiants, mais dans le fait qu’il a renforcé et développé considérablement l’intérêt des institutions d’enseignement supérieur de Tchéquie, de ses chefs et de ses acteurs principaux, pour les impératifs et les types de coopération européenne.

Un aspect intéressant de mes premières années d’expérience en Tchécoslovaquie a concerné les relations tchéco-slovaques. Très succinctement, elles n’ont point correspondu avec ce qui s’était passé du point de vue politique après 1992, c.a.d. la séparation des deux pays. Au contraire, “les milieux”46 ou je vivais et travaillais – c.a.d. le contexte académique – ne semblaient pas touchés par les disputes et les tensions qui ont mené finalement à la séparation des deux pays. On peut spéculer sur le fait de savoir si la raison de cette harmonie était la relative insignifiance des problèmes académiques pour les discussions tchéco-slovaques ou si les Tchèques et les Slovaques avaient été assez sages pour séparer suffisamment les choses de sorte que ces problèmes ne deviennent pas des “pommes de discorde”47.

Sans doute, au début des années 1990, les relations entre les deux communautés académiques, aussi bien que les contacts et la coopération entre les deux Ministères de l’Education, étaient aussi paisibles que possible. En tant qu’Etat fédéral depuis 1968, les deux parties du pays avaient bénéficié d’indépendance et de quasi-souveraineté dans le domaine de l’éducation, et par conséquent il y avait deux Ministères de l’Education distincts.

Un signe de ce climat tchéco-slovaque positif a été, par exemple, le fait que, même plusieurs années après la séparation, la nouvelle République Tchèque, et sa communauté académique, a maintenu la plupart des vieilles lois tchécoslovaques concernant l’éducation et, surtout, la Loi de l’enseignement supérieur de mai 1990. Il est encore plus significatif que les négociations entre les deux ministères, concernant la distribution des fonds PHARE destinés à l’éducation, ont été très paisibles et presque sans problèmes, après la séparation formelle des deux pays le 1er janvier 1993.

En général, on reconnaît sans doute que dans la plupart des domaines – économique, politique, financier – le processus de séparation dans son ensemble s’est 46 En français dans le texte. 47 En français dans le texte.

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déroulé relativement sans peine, contrairement à ce qui s’est passé en Yougoslavie mais, à ma connaissance et à mon expérience, l’enseignement supérieur est un domaine où les relations ont été et demeurent jusqu’à nos jours très aisées et cordiales. LES PROGRAMMES TEMPUS ET PHARE La Tchécoslovaquie a été, après la Pologne et l’Hongrie, le premier pays post-communiste qui devienne éligible et qui puisse bénéficier de ces deux programmes importants de la Communauté Européenne (en fait, un seul programme, puisque le TEMPUS a été et constitue toujours de manière formelle une partie du PHARE). Pour l’enseignement supérieur tchèque, l’apparition des programmes PHARE et TEMPUS a constitué un développement important puisqu’elle a représenté une sorte de nouvelle ouverture du système sur le monde extérieur, une plate-forme pour une mobilité élargie des étudiants et des professeurs européens et – même si on ne l’a pas complètement reconnu au début – un instrument puissant et un facteur de réforme et d’innovation dans l’enseignement supérieur.

Pour moi aussi, TEMPUS a été très important. D’une part, j’ai été consultant au bureau de Bruxelles du programme et, d’autre part, j’ai été, pour ainsi dire, l’un de ses “agents de ventes” dans les pays de l’Europe Centrale et de l’Est et notamment en Tchécoslovaquie. Je ne dis pas que “la vente” ait exigé un grand effort. Au contraire, l’intérêt pour le programme était énorme, et le seul problème était la modalité de le satisfaire.

Pendant les premiers dix ans, on a pu satisfaire seulement environ dix pour cent des candidatures. Naturellement, une situation de ce genre a pu fréquemment conduire à des frustrations parmi les candidats malchanceux, étant donné la quantité de travail exigée par la préparation des candidatures. Pourtant, je dois souligner une fois de plus ma surprise quant à la rapidité avec laquelle les Tchèques et les Slovaques – et je suis sûr que cela est également valable pour les Hongrois, les Polonais et d’autres spécialistes d’Europe Centrale et de l‘Est – ont acquis les compétences et le savoir nécessaires pour faire face avec succès aux réglementations très complexes de ces programmes de la Communauté Européenne.

Ce qui suit constitue un autre argument qui soutient mes observations précédentes. Les réglementations du TEMPUS stipulaient que l’une des institutions participantes dans un programme approuvé (il était nécessaire qu’il y ait au moins deux institutions des pays membres de la Communauté Européenne et une de l’Europe Centrale et de l’Est) soit désignée en tant que coordonnateur de l’ensemble du projet. Au début, le coordonnateur était presque toujours une institution occidentale. Très vite – après un an ou deux – on a transféré, dans la plupart des cas, ce rôle de coordination et de direction, y inclus l’administration financière du projet, aux institutions d’enseignement supérieur de l’Europe Centrale et de l’Est.

Personnellement, je n’ai rencontré aucun problème pour ce qui est de mes rapports avec les responsables tchèques et slovaques des différents projets TEMPUS et PHARE. Cette situation a été peut-être le résultat de ma double qualité, d’expert étranger et, en même temps, de Tchèque capable de traduire les concepts occidentaux en des mots et des concepts compréhensibles au niveau local. Ce ne fut pas toujours le cas de tous les experts étrangers. Plusieurs d’entre eux n’ont pas résisté plus d’une année ou deux en tant

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que conseillers dans le cadre du programme. Si ce résultat peut servir de critère dans la sélection future des conseillers étrangers (bien qu’ils ne soient vraisemblablement plus très nécessaires en Europe Centrale et de l’Est dans l’avenir), c’est une question qui reste ouverte mais, en tout cas, une connaissance approfondie et plusieurs années d’expérience dans le pays, y compris au moins une connaissance partielle de sa langue, paraissent des arguments nécessaires pour le travail d’un conseiller étranger efficace.

L’un des facteurs favorables au développement du TEMPUS en Tchécoslovaquie a été la création de bureaux TEMPUS très efficaces à Prague et à Bratislava. Mon rôle dans le lancement du programme dans le pays a été presque automatiquement repris et, très rapidement, je ne suis devenu qu’un “sage vieil homme”.

Finalement, il faut souligner un autre aspect concernant les TEMPUS et PHARE. Ces deux programmes étaient inter-institutionnels, plutôt qu’intergouvernementaux. Pour les universités et pour la communauté académique, cet aspect était révolutionnaire et attrayant à la fois puisque, de par le passé, il fallait obtenir l’approbation du gouvernement, en fait du Comité central du parti communiste, pour tout projet ou programme international. Tout à coup, un programme international excluait, pour ainsi dire, le gouvernement. “La Commission Européenne“ et les divers institutions et programmes “initiés à Bruxelles“ sont apparus sans doute comme des nouveaux acteurs-clé, mais ils n’avaient pas les mêmes pouvoirs que le Ministère de l’éducation dans le passé. Par exemple, le bureau TEMPUS de Tchéquie avait la responsabilité de sélecter les projets autorisés et subventionnés. Bien qu’il ait été créé dans le cadre du Ministère de l’éducation, il est resté un organisme quasi autonome, limité dans ses activités principalement par les instructions de Bruxelles et non pas de Prague.

J’ai beaucoup insisté sur la nature “non-gouvernementale” du TEMPUS lorsque j’ai informé la communauté académique tchèque sur le programme. Mon argument était sans doute très attrayant pour mes auditeurs - “il ne faut plus subir la bureaucratie gouvernementale ” mais, je doute qu’il ait été complètement compris et, surtout, je crois que la dépendance des règlements gouvernementaux était si profondément enracinée qu’il n’était pas possible de l’effacer d’un jour à l’autre. En plus, le ministère en tant que tel avait ses propres inerties et essayait de maintenir certains règlements traditionnels, même si ceux-ci n’étaient pas indispensables du point de vue du programme TEMPUS. En tout, je voudrais pourtant réitérer mon affirmation antérieure: les TEMPUS et PHARE sont devenus relativement indépendants de la structure gouvernementale traditionnelle et, personnellement, je n’ai point rencontré de problèmes relevant de l’intervention du gouvernement dans mon activité de conseiller dans le cadre des programmes TEMPUS et PHARE. LES ANALYSES DE L’OCDE CONCERNANT LES SYSTEMES D’EDUCATION Dans ma carrière professionnelle, aussi bien que dans mes rapports avec la Tchécoslovaquie – et, plus tard, avec la République Tchèque - les analyses de l’OCDE ont joué un rôle clé.48 La première d’entre elles a été initiée par Dorothea Furth, feu mon

48 Pour ceux qui ne sont pas familiarisés au système d’analyse de l’OCDE, je voudrais en décrire les faits principaux. Depuis les années 1960, l’OCDE a soutenu et a organisé des “Analyses des politiques nationales d’éducation” sur la demande des pays membres et, exceptionnellement, d’un pays non-membre, la Tchécoslovaquie, en 1991 et 1992. L’activité consiste en trois étapes. Tout d’abord, une équipe d’experts

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épouse, à l’époque le chef de la section d’enseignement supérieur de l’OCDE, et j’ai été nommé « rapporteur »49 du groupe d’examinateurs externes, donc par conséquent expert étranger en mission en Tchécoslovaquie. L’analyse se limitait à l’enseignement supérieur et on s’attendait à couvrir toutes les deux parties, tchèque et slovaque, de l’Etat, qui sont restées autonomes – comme on l’a déjà mentionné - dans le domaine de l’éducation (OCDE, 1992).

Les examinateurs externes ont formulé seulement dix recommandations, un nombre limité qui semblait constituer un avantage considérable. Le rapport a été relativement bien reçu par les communautés académiques tchèque et slovaque, mais avec certaines réserves de la part du Ministère de l’Education, surtout en ce qui concerne deux des six recommandations des examinateurs. La première recommandation concernait la création d’une sorte de conseil trans-sectoriel responsable de la coordination de la politique et de la consultation, en représentant non seulement le Ministère de l’Enseignement, mais aussi d’autres ministères et institutions impliqués (ou censées être impliqués) dans les problématiques concernant l’enseignement supérieur, comme les employeurs, les syndicats, “le lobby scientifique”, etc. Le but était d’offrir à l’enseignement supérieur un contexte plus vaste, une perspective sociétale plus large et de diminuer la domination d’un lobby académique restrictif. On n’a mis en œuvre cette recommandation que dans une forme diluée, à la fin des années 1990, lorsqu’on a créé un Conseil pour les Politiques dans l’Éducation (Rada pro vzdelavaci politiku), assez inefficace.

La deuxième recommandation concernait le développement de l’enseignement supérieur. Les examinateurs de l’OCDE ont suggéré que, jusqu’en 2000, le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur augmente de 15-20 pour cent du groupe d’âge concerné, comme il était la situation en 1992, à 25-30 pour cent. Un représentant du Ministère de l’Education considérait ce but comme trop ambitieux. Pourtant, on l’a atteint bien avant 2000, fait qui m’a confirmé l’ancienne thèse formulée par Martin Trow, concernant le passage inévitable d’un enseignement supérieur des élites à un enseignement de masse, ce que bien de personnes de la communauté académique et du Ministère n’ont pas accepté avec aise. En fait, à l’époque, il y avait en République Tchèque une résistance bien considérable, qui a perduré au cours des années suivantes, en ce qui concerne le concept et les buts de “l’enseignement supérieur de masse”, qu’on considérait, implicitement ou explicitement, comme impliquant inévitablement une baisse de la qualité. Il a fallu encore dix ans pour surmonter ce qui j’ai hautement considéré

du Ministère de l’Education du pays qui fait la demande prépare – après consultations avec le secrétariat de l’OCDE – un “Rapport général”, analysant le développement et les problèmes du système de l’éducation dans son ensemble ou de l’un de ses secteurs (par ex., l’enseignement professionnel ou l’enseignement supérieur). Deuxièmement, l’OCDE nomme de trois jusqu’à cinq “examinateurs externes”, des spécialistes d’une autre nationalité que celle du pays qui fait l’objet de l’analyse, qui, après l’analyse du Rapport national général, effectuent une visite de deux-trois semaines dans le pays visé, ont des entrevues avec des spécialistes et des acteurs locaux (des directeurs d’écoles au ministre de l’éducation) et qui, finalement, préparent leur propre rapport avec un certain nombre de recommandations pour les autorités nationales. Dans la troisième étape, ce rapport, ainsi que le Rapport national général, constituent la base d’une réunion et d’une discussion entre les représentants du pays respectif, les délégués des pays membres de l’OCDE, le secrétariat de l’OCDE et, bien entendu, les “examinateurs externes nommés”. 49 En français dans le texte.

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comme une fausse conviction concernant les aspects nécessairement négatifs du développement quantitatif. La recommandation concernant le développement de l’enseignement supérieur comprenait aussi une disposition importante, qui énonçait que le développement futur de l’enseignement supérieur devrait impliquer sa diversification et, surtout, que l’augmentation future des inscriptions devrait être accomplie avec au moins 20 pour cent des inscriptions dans de nouveaux types d’enseignement supérieur non-traditionnels/non-universitaires. Cette proposition semble presque futile aujourd’hui, mail il ne faut pas oublier que, à la fin des années 1990, les systèmes tchèque et slovaque étaient tout à fait non-diversifiés.

Une jeune personne ayant fini sa scolarité de niveau secondaire n’avait que deux possibilités: faire une demande d’inscription et être accepté dans un cycle de six années d’études dans l’enseignement supérieur ou être embauché. Il n’y avait pas de solution intermédiaire, à l’exception d’un nombre limité de ce qu’on appelait des “cours post-Maturita”, durant une année ou deux. Le premier essai majeur de diversifier l’enseignement supérieur a été la Loi de mai 1990 par laquelle on a créé les études nommées de licence, conduisant à une licence obtenue après trois années (au lieu de six) de cours d’enseignement supérieur, avec un certain accent sur les études orientées vers la pratique (la profession). En fait, on utilisait la majorité de ces formes théoriquement nouvelles d’enseignement supérieur comme une étape intermédiaire dans le long cycle traditionnel.

J’ai attiré l’attention sur le risque de cette tendance, mais en vain. L’inertie du système existant était trop forte et il était difficile de la surmonter – probablement un problème pour tous les conseillers externes.

La diversification de l’enseignement supérieur a été suivie, comme l’Analyse de l’OCDE le recommandait, par la création d’un nouveau type d’institution d’enseignement supérieur, l’école professionnelle supérieure (Vyssi odborna skola), influencée initialement par un modèle hollandais. Les institutions de ce genre sont devenues en fin de compte une partie intégrale du système tchèque de l’enseignement supérieur, ou en fait du “secteur de l’enseignement tertiaire tchèque”. Si ce fut l’influence des conseillers étrangers, y compris la mienne, ou celle des modèles étrangers, qui a conduit à cette diversification du système tchèque, cela s’avère difficile à constater ; pourtant, il n’y a pas de doute que le but de la diversification ne soit pas devenu, au moins officiellement, une partie intégrale de la politique de l’enseignement supérieur et de la stratégie du gouvernement tchèque.

On a renforcé la politique et la stratégie par un nouvel accent que le Ministère et les institutions d’enseignement supérieur ont mis sur le développement des études de licence, aussi bien que par la création, en 1998, de ce qu’on appelle les institutions d’enseignement supérieur non-universitaires. En tant qu’observateur externe, je soutiens avec enthousiasme cette tendance, en exprimant en même temps mes doutes en ce qui concerne ses effets réels, mes doutes étant causés principalement par l’inertie sous-mentionnée des vieilles règles et attitudes.

Depuis l’année 2001, les études de licence sont restées marginales en tant que nouvelles formes d’enseignement supérieur. On a créé un nombre très limité d’institutions d’enseignement supérieur non-universitaires. En même temps, la situation des écoles professionnelles supérieurs est encore très incertaine.

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Comme on l’a déjà mentionné, l’un des avantages de la première analyse de l’OCDE et du Rapport des Examinateurs a été le nombre assez restreint de recommandations (seulement six) qu’on a formulées. Cette concision a rendu le rapport facilement lisible et tout à fait compréhensible pour les médias et le grand public, y compris les experts. Pour moi, cette expérience a représenté également une leçon importante. Bien des rapports internationaux que j’ai découvert plus tard, sinon pas la majorité, malgré leur qualité souvent incontestable, ont eu un impact dilué et réduit par le trop grand nombre de propositions d’action et de mesures politiques suggérées, sans une image claire des priorités proposées et des points d’intérêt particulier.

L’impact de l’Analyse de l’OCDE concernant l’enseignement supérieur tchèque (et slovaque) pendant la période 1991-1992 n’a été certainement pas négligeable mais, dans l’ensemble, il est resté indirect, limité à la sphère académique, ayant une influence relativement faible auprès du Ministère tchèque de l’éducation, et encore plus faible auprès du Ministère slovaque. Dans tous les deux cas il y a eu pourtant des cas de personnalités-clé particulièrement intéressées par les activités de l’OCDE.

La deuxième Analyse de l’OCDE, concernant les politiques de la République Tchèque dans le domaine de l’éducation, accomplie pendant la période 1995-1996, a couvert tout le système éducationnel, contrairement à la première analyse, à l’exception de l’enseignement supérieur. Cette analyse a exigé que j’assume un nouveau rôle. Dans le cadre de la première Analyse, j’avais été un représentant de l’OCDE et un expert qui devait poser des questions pertinentes aux spécialistes tchèques et formuler, de paire avec mes collègues de l’équipe d’examinateurs, des recommandations destinées aux autorités tchèques, après avoir analysé les points faibles du système. Dans le second cas, je devais présenter, aussi objectivement que possible, de paire avec mon équipe formée d’experts tchèques, la situation et les problèmes du système tchèque de l’éducation, y compris ses défauts.

En fait, la différence entre mon travail de rapporteur 50 de l’OCDE et mon rôle de chef de l’équipe responsable du Rapport général tchèque n’était pas si grande qu’elle aurait pu paraître. Cette moindre différence était déterminée essentiellement par ce qui je considérais une attitude très favorable et très tolérante de la part du Ministère de l’Education, qu’on affirmait clairement dans l’introduction du Rapport général de la seconde Analyse de l’OCDE. “Il faut considérer ce rapport [on y affirmait] comme une analyse d’un groupe indépendant d’experts, nommés par le Ministère de l’Education, et pas nécessairement comme un document reflétant les idées et les points de vue actuels du Ministère.” On avait utilisé cette formule à plusieurs occasions pour différents projets de l’OCDE. Ce fait nous a rendu, nous, le groupe d’auteurs tchèques responsables du Rapport général, relativement indépendants en ce qui concerne notre analyse et nos conclusions, malgré le fait que nous fassions partie d’une structure qui était officiellement soutenue et même financée par le Ministère de l’Education. Je voudrais exprimer mon remerciement pour l’attitude du Ministère à cet égard, qui a impliqué cependant un inconvénient. Le Ministère ne s’est senti engagé, et n’a jamais été engagé à suivre ce qu’on a indiqué dans le Rapport général et, sans soute, il s’est senti encore moins engagé à suivre le Rapport et les Recommandations des examinateurs.

Cette réalité me détermine à mettre en doute l’impact et l’influence des Analyses de l’OCDE sur les politiques poursuivies par les autorités de ces pays-là. 50 En français dans le texte.

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Quant à la première Analyse de l’OCDE, on a déjà atteint l’objectif principal. Elle a influencé sans doute la pensée de la communauté académique et, seulement dans une mesure limitée, celle du Ministère de l’Education. En ce qui concerne la deuxième Analyse, la situation est plus complexe. Les examinateurs de l’OCDE ont fait onze recommandations concernant des problèmes liés au programmes d’étude et à la structure de l’enseignement secondaire général, aussi bien que des questions liées à la formation des enseignants. La réaction du Ministère a été apathique. Il a soutenu, au fond, que presque une moitié jusqu’à deux tiers des recommandations de l’OCDE se trouvaient sur l’ordre du jour du Ministère ou avaient déjà été mises en œuvre, et que les autres recommandations ne pouvaient pas être appliquées et mises en ouvre dans le contexte tchèque actuel. Néanmoins, il est curieux et significatif le fait que les onze recommandations de la seconde Analyse de l’OCDE sont devenues une sorte de texte de référence, invoqué à plusieurs reprises lors des débats sur les futurs développements dans l’éducation.

La différence est intéressante et suggère des différences en ce qui concerne l’influence et les recommandations des experts étrangers. Certaines recommandations peuvent sembler hors de propos ou irréalistes au moment de leur présentation initiale, et elles peuvent en effet être hors de propos et irréalistes. Cependant, certaines recommandations peuvent subir “un processus de maturation” ou un processus de décalage, les rendant de plus en plus susceptibles d’être acceptées par une majorité de plus en plus large de décideurs. J’oserais dire que c’est un processus de ce genre qui a caractérisé les recommandations de l’Analyse de l’OCDE.

Une illustration importante de ce point de vue est constituée par le cas de ce qu’on a intitulé le Livre blanc sur l’avenir de l’enseignement tchèque, présenté par le Ministère au début de l’année 2001 (Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports, 2001). L’un des auteurs principaux de ce document m’a communiqué (et j’ai pu vérifier son affirmation) que, à bien des égards, sinon pas dans une large mesure, il a reflété les recommandations de l’OCDE de 1996 et celles de l’exercice de suivi de 1999.

Autrement dit, il est très important de prendre en considération la question du décalage en ce qui concerne l’influence de toutes ou de la majorité des évaluations des experts étrangers dans la prise des décisions et la mise en œuvre de ces dernières au niveau national. CONCLUSIONS Il est très difficile d’évaluer l’impact global que les conseillers étrangers ont eu ou pas sur la réforme et le développement de l’enseignement supérieur en République Tchèque, et ailleurs en Europe Centrale et de l’Est. Tout d’abord, l’impact a été sans doute différent d’un cas à l’autre et d’un conseiller à l’autre. Il est impossible de dire que les experts étrangers ont été plus efficaces que les experts locaux ou l’inverse. Dans les deux situations, on peut trouver des cas de succès et d’échec, et on assiste partout à un phénomène très fréquent que je pourrais appeler “la dossiérisation des rapports”. Les experts étrangers et locaux ont produit des centaines et des milliers de pages. Seulement une petite partie a conduit à des résultats concrets, c.a.d. à la mise en œuvre des politiques proposées. Je pense qu’on n’a pas encore pertinemment évalué les facteurs qui contribuent à la dossiérisation ou, au contraire, à la formulation et la mise en œuvre de

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politiques. Ce problème est peut-être trop complexe pour être étudié de manière adéquate. Trop de facteurs et leur interaction y sont impliqués. Ce n’est pas la qualité du rapport e, soi qui constitue le problème.

Un bon exemple de ce fait est un rapport intitulé Qualité et responsabilité, concernant le développement futur de l’enseignement et les principes sous-jacents de ce développement, publié en République Tchèque en octobre 1994 par le Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports. On a reconnu la qualité de ce rapport au niveau national et international. Pourtant, le rapport n’a eu aucune conséquence. On ne l’a pas soumis au gouvernement et d’autant moins au Parlement en vue de l’ériger, comme on s’était initialement proposé, en le fondement d’une politique à long terme.

Quelles sont les raisons? Il y a eu plusieurs causes. Le Ministère avait d’autres préoccupations et priorités. La bureaucratie ministérielle n’a pas voulu se déranger. Les auteurs du rapport n’ont pas eu une influence suffisante pour imposer leurs points de vue auprès du Ministère. Le rapport n’était pas suffisamment réaliste et ne comprenait pas des dispositions adéquates quant à une stratégie efficace de mise en oeuvre.

Toutes les raisons ci-dessus mentionnées et d’autres similaires, ainsi que d’autres facteurs, sont importantes si on veut répondre à la question concernant l’impact des conseillers étrangers. Leur qualité et leur compétence individuelles, aussi bien que leur sensibilité et leur connaissance du contexte national, sont sans doute d’une importance primordiale, mais il faut prendre en considération bien d’autres forces et circonstances, y compris la question, déjà mentionnée, du décalage. Il est possible que l’aspect positif d’une recommandation devienne évident et soit reconnu seulement après une certaine période. Si ce principe est valable aussi pour les experts individuels, cela constitue une autre question que je laisserai en suspens.

Je ne suis pas certain que mon compte-rendu puisse mener à des recommandations et des conseils adressés surtout aux organisations européennes et internationales avec lesquels j’ai travaillé pendant bien des années. Mais, en tenant compte de l’occasion spéciale pour laquelle j’ai écrit ce texte, permettez-moi d’ajouter que l’UNESCO-CEPES continuera à être une institution très nécessaire. Evidement, par rapport à la période d’avant 1989, son rôle présent a changé considérablement. De par le passé, elle a eu le grand mérite d’être l’une des très rares places où les experts et les chercheurs en enseignement supérieur des pays communistes de l’Europe Centrale et de l’Est pouvaient se rencontrer et avoir des discussions relativement libres avec leurs homologues occidentaux. La mission et les responsabilités modifiées, mais point moins importantes, de l’UNESCO-CEPES, devraient transformer cette institution en une place qui, à part de nourrir des débats libres, sera aussi une place permettant une synthèse des différentes expériences, une place où on puisse réfléchir sur l’avenir du développement de l’enseignement supérieur dans la Région de l’Europe. Et, probablement, dans une situation de ce genre, il y aura aussi un rôle pour “le conseil étranger”.

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REFERENCES MINISTERE DE L’EDUCATION, LA JEUNESSE ET LES SPORTS. Narodni program rozvoje vzdelavani v České republice - Bila kniha. Prague: Ministère de l’éducation, la jeunesse et les sports, 2001. MINISTERE DE L’EDUCATION, LA JEUNESSE ET LES SPORTS. Quality and Accountability - The Programme of Development of the Education System in the Czech Republic. Prague: Ministère de l’éducation, la jeunesse et les sports, 1994. OCDE. Review of Higher Education in the Czech and Slovak Federal Republic: Examiners’ Report and Questions. Paris: Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques, 1992. SADLAK, J., “In Search of the ‘Post-communist’ University – The Background and Scenario of the Transformation of Higher Education in Central and Eastern Europe,” in, K. Hüfner, éd. Higher Education Reform Processes in Central and Eastern Europe. Frankfurt sur Main: Peter Lang, 1995, pp. 43-62.

Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

La réforme de l’éducation en Roumanie dans les années 1990 : une rétrospective ANDREI MARGA L’auteur, universitaire et homme politique roumain reconnu, reflète sur les presque trois ans, à partir de décembre 1997, où il a servi en tant que ministre de l’éducation nationale. Membre du gouvernement de la Coalition Démocratique, il a relevé le mandat d’entreprendre une réforme massive et compréhensive du système éducationnel roumain dans son ensemble. Son but a été celui d’en effacer les derniers vestiges de l’héritage communiste, de l’adapter en conformité avec les normes de l’Union Européenne, afin de permettre à la Roumanie de satisfaire les critères éducationnels en vue de l’accession à l’Union Européenne. Il a mis en œuvre un processus de réforme qui a été encore plus profond que la précédente réforme communiste de l’éducation roumaine de 1948. UNE EVIDENTE NECESSITE CROISSANTE DE REFORME EDUCATIONNELLE J’ai été chargé du Ministère roumain de l’Education nationale en décembre 1997, devenant ainsi membre du gouvernement de la Coalition Démocratique qui a pris le pouvoir à la suite des élections de 1996. A partir d’un programme rendu public et largement discuté, j’ai essayé de mettre en marche – dans les conditions culturelles, administratives et économiques données – une nécessaire réforme élargie de l’éducation en Roumanie. Dans un ouvrage récent, Anii reformei (1997-2000) [Les années de réforme] (Marga, 2000), j’ai présenté l’état de l’éducation roumaine au moment de mon arrivée au Ministère, les principaux objectifs de mon projet de réforme, et les actions que j’ai entrepris. En publiant ce texte, j’ai voulu tant offrir un compte rendu des événements que contribuer à un débat analytique concernant l’éducation en Roumanie dans la période comprise entre décembre 1997 et décembre 2000.

J’ai mentionné tout cela parce que, en matière d’éducation – et on doit le souligner encore et encore – presque tout le monde a une “opinion d’expert”, qui n’est pas nécessairement mauvaise lorsqu’elle s’inspire d’un intérêt général pour l’éducation et son développement. Cependant, une telle compétence peut être sérieusement mise en cause lorsque l’ignorance, les perceptions anachroniques et les buts de divers groupes d’intérêt limités sont à l’œuvre. Ce genre d’attitudes ont eu lieu spécialement lors de l’application de changements réels dans l’éducation et, suivant nos connaissances, elles ont requis de nouveaux arrangements organisationnels, ainsi que des changements de mentalités.

C’est dans ce contexte que je mes suis confronté à des requêtes du genre : “Ne décentralisez pas!” “Nous voulons des salles de classe supplémentaires!” “Le programme d’études est surchargé!” “Les directeurs d’écoles devraient être forcés d’introduire nos cours!” “Ne soyez pas trop sévères dans l’utilisation et l’évaluation des examens!” “On n’a pas besoin d’écoles professionnelles!” “Ne touchez pas aux structures existantes!” “On n’a pas besoin de l’Europe!” “Non aux manuels alternatifs!” etc. Comme le lecteur

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peut facilement s’en apercevoir, ces points de vue n’étaient pas uniquement antédiluviens, mais aussi très contradictoires.

Il vaut la peine de démarrer cet essai en soulignant que, sur la période 1997-2000, l’éducation est devenue un sujet brûlant du débat publique en Roumanie. Ce qui avait commencé comme un débat sur les résultats principaux a donné naissance à un phénomène d’obturation des problématiques systémiques essentielles par des sujets intéressants mais aussi moins importants. On a dédié une bonne quantité de temps et d’attention publique à des questions comme : Les notes reflètent-ils l’instruction ? Les examens d’admission devraient-ils avoir la priorité sur les examens de capacité et de baccalauréat ? Devrait-il y avoir des manuels d’histoire alternatifs ? Les enseignants sont-ils capables d’évaluer correctement ? etc. Une affirmation qui n’a pas vraiment affaire à l’éducation y revenait constamment: “Il n’y a pas d’argent!”, comme si les problèmes pourraient s’arranger en restant passifs à cause de ce problème. On n’a pas effectué de manière satisfaisante une analyse pertinente, qualifiée de l’éducation en tant que telle. Personne dans le pays, individu ou organisation, n’a pas pu produire une analyse de l’éducation susceptible de servir en tant qu’alternative à celle effectuée par le Ministère de l’éducation nationale dans la période 1997-2000, et aucun programme de réforme n’a été proposé dans le domaine de l’éducation. On n’a élaboré point d’alternative à notre réforme de l’éducation.

Dans la plupart des cas, le seul écartement du corps d’opinions subjectives passe par les appels aux observateurs externes, un principe qui reste valide même en matière de la réforme de l’éducation. En 1997, la Commission Européenne avait objecté que le plus grand obstacle pour la réforme de l’éducation était le niveau réduit de financement gouvernemental. D’autres barrières importantes au succès de la réforme étaient celles relatives à la faible capacité institutionnelle du Ministère de l’Education concernant l’application de la réforme et la résistance au changement manifestée aux niveaux national et local (Commission Européenne, 2000, p. 52).

De telles remarques avaient occupé ma pensée en 1997, avant que j’accepte le poste au Ministère de l’Education. Pour une longue période, ma conviction la plus ferme a été celle que, dans un pays bénéficiant d’un remarquable potentiel, mais appauvri, comme c’est malheureusement le cas de la Roumanie, son système éducationnel ne pourrait pas être perçu comme satisfaisant. LES PREMIERES INITIATIVES J’ai pris des initiatives à partir de la conviction présentée plus haut. Des audits spécialisés, à la fois internes et internationaux, qui ont présenté leurs conclusions dans la période allant de décembre 1997 à septembre 2000, ont servi à soutenir cette conviction. Ce qu’un audit de l’OCDE avait enregistré et publié en 2000, sous le titre Reviews of National Policies for Education: Romania (OCDE, 2000) reste toujours valide. Pour un pays ayant le niveau de revenu et l’histoire politique de la Roumanie, son système d’éducation offre un service public impressionnant, qui s’implique dans un changement d’envergure, visant le développement de la qualité de l’instruction, de l’enseignement, et de l’ensemble de l’organisation et de la gestion de l’éducation. A partir du début de 1998, le Ministère de l’éducation nationale a accéléré les réformes dans pratiquement tous les secteurs de l’éducation. Même si les changements requis ont apporté des troubles, et

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même si les contraintes matérielles et psychologiques résultant de la réforme se poursuivent, les directions et les buts principaux de la réforme en cours ont été perçus comme valant la peine d’être soutenus (OCDE, 2000, p. 147). On pourrait également ajouter qu’en 2000, l’éducation a été le premier domaine principal dans les négociations concernant l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne. Celle-ci a passé “l’examen” de Bruxelles avec des félicitations, une chose qui ne devrait cependant point être interprétée comme une indication qu’il n’y a plus besoin de réforme.

On devrait également mentionner le fait qu’en 2000 l’administration actuelle a adopté la “Stratégie de développement à moyen terme de la Roumanie”, qui incluait aussi les options de 1997-2000 pour la réforme de l’éducation. Comme on peut facilement le remarquer en parcourant et en comparant les textes, les options de la Stratégie ont été reprises et assumées dans le “Plan gouvernemental d’action pour la période 2001-2004”, publié par l’administration actuelle dans le Monitorul Oficial 267 (2001).

Toute réforme de l’éducation peut débuter de plusieurs manières : par la formation des enseignants, par la restructuration des réseaux, par l’élaboration de nouveaux codes moraux gouvernant les rapports, par la réorganisation de l’infrastructure, etc. En 1997, lorsque j’ai assumé la responsabilité pour la réforme de l’éducation roumaine, j’ai proposé deux options distinctes : celle d’une réforme compréhensive (le programme d’étude, le caractère de l’éducation, l’interaction avec le milieu social, l’infrastructure, les communications, la gestion, les formes de coopération, etc.) ; et celle de changements organisationnels (législation, institutions, politiques, etc.), qui pourrait par la suite se refléter dans les approches et les attitudes.

C’est avec satisfaction que je peux invoquer l’excellente documentation et le conseil expert que le Ministère a reçu de la part du Centre Européen de l’UNESCO pour l’Enseignement Supérieur (UNESCO-CEPES). En plus de l’information fournie par cette institution au sujet du développement des systèmes européens d’éducation, les experts offerts par le Centre ont également collaboré à l’analyse de la situation en Roumanie effectuée par le Ministère de l’Education et, ce qui a été particulièrement précieux, ont attiré notre attention sur les expériences d’autres pays et leurs réformes éducationnelles. LES OBJECTIFS PROPOSES ET LEUR ACCOMPLISSEMENT Qu’a-t-on réalisé dans l’éducation dans la période 1997-2000? Je mentionnerai brièvement les plus importantes mesures de la réforme de l’éducation appliquées dans la période 1997-2000 et qui ont eu des effets évidents de réforme.

En 1997, on a établi les suivants objectifs principaux du processus de réforme :

• Un concept et un programme de la réforme censé rapprocher la transition de sa fin ;

• Une réforme censée raccorder le système d’éducation aux besoins et aux traditions de la Roumanie ;

• Une réforme censée rapprocher le système d’éducation roumain des points de référence européens.

Le programme, qui était basé sur nos propres analyses et sur le conseil des experts

occidentaux, envisageait six changements fondamentaux :

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• Une réforme du programme d’étude (plans d’enseignement, syllabus et manuels); • Le remplacement de l’instruction reproductive par l’instruction dirigée vers la

résolution de problèmes et la revalorisation du rôle de la recherche dans les institutions d’enseignement supérieur;

• Le développement des infrastructures et des dotations matérielles des écoles secondaires et des universités par les dotations en équipement informatique;

• Une interaction renouvelée entre les écoles et les communautés locales; • La décentralisation et la restructuration de la gestion scolaire et universitaire; • Une progression vers les formes actuelles de coopération internationale.

Si ce programme est complètement appliqué, il constituera la réforme la plus

compréhensive de l’éducation roumaine depuis la réforme communiste de 1948. Dans tous les pays, la réforme éducationnelle représente une entreprise à long terme. En Roumanie, les conditions du départ étaient particulièrement difficiles. En 1996, l’infrastructure souffrait des déficiences sérieuses (Miroiu et Miroiu, 1997; OCDE, 2000). Il était évident que la situation économique du pays posera des problèmes à l’accomplissement de la réforme de l’éducation.

Néanmoins, c’était dans ce contexte que la responsabilité pour la réforme devrait être prise. La réforme était cruciale pour plusieurs raisons. La Roumanie était resté un pays pauvre pour des décennies, en dépit de son remarquable potentiel naturel et humain. Le système de l’éducation devrait être restructuré en conformité avec les normes d’une société basée sur la propriété privée, la liberté individuelle, le libre marché, la concurrence, l’état de droit et l’intégration européenne. Le niveau d’accomplissement du système scolaire roumain devrait être accru. En 1995, à l’occasion de la dernière évaluation internationale, sa recherche scientifique validée a rangé la Roumanie au bout de la liste des pays comparables. L’éducation était censée générer la capacité pour les autres secteurs de se réformer eux-mêmes et de stimuler le développement d’une culture civique, d’une culture des opinions, dont la nécessité était fortement ressentie. Il était évident que l’éducation ne pourrait pas être considérée comme adéquate tant que la Roumanie reste pauvre et les produits roumains manquent de compétitivité sur le marché.

Dans le cas de l’éducation préscolaire, le nombre de maternelles a été augmenté afin de contribuer à une cristallisation de l’éducation pré-primaire. L'éducation primaire a remplacé l'évaluation du niveau par l’évaluation à travers l’appréciation descriptive. Dans le domaine de l’enseignement professionnel, les écoles commerciales ont commencé à s’associer aux compagnies commerciales, pendant que les écoles professionnelles se sont rapprochées des entreprises. Les étudiants des écoles professionnelles ont gagné le droit de transfert direct en terminale, et leur admission dans les collèges universitaires technologiques a été facilitée. L'accès à l’enseignement supérieur a été élargi à travers la création de places payantes en plus des places gratuites. A la suite d’une décision du Ministère de l’éducation nationale de 1998, et après une parenthèse de cinquante ans, l'utilisation de manuels scolaires alternatifs a été reprise. L’enseignement secondaire a été organisé sur une base moderne. L'enseignement religieux laïque a été réorganisé et étendu. A la suite des mesures appliquées ces dernières années, l’abandon scolaire en Roumanie a diminué de 3 pour cent en 1996, à 1,06 pour cent en 2000.

A compter de l’année scolaire 1998-1999, le Nouveau Programme scolaire national a été appliqué dans l’éducation pré-universitaire. Elaboré en 1998, le Nouveau

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Programme scolaire national représente une des productions intellectuelles majeures de la décennie en Roumanie. Il a changé la tradition du système roumain d'éducation à travers de telles solutions comme "le développement local du programme scolaire", "les sujets facultatifs pour les étudiants", "les arts pour les étudiants", et une liste mise à jour de sujets d'étude. En 1997-2000 on a redessiné les syllabus pour toutes les disciplines. Jusqu'en 1996, les manuels scolaires alternatifs avaient été publiés uniquement pour deux niveaux de l’enseignement primaire. Pendant la période 1997-2000, on a préparé et on a publié des manuels scolaires alternatifs pour huit niveaux de l’enseignement obligatoire. On a finalement rompu le monopole du manuel scolaire, et la Roumanie a rejoint les meilleures traditions européennes en la matière. Les manuels scolaires de l’enseignement obligatoire sont rendus disponibles par l'Etat. L’ensemble de la gamme de manuels scolaires est disponible sur le marché libre.

En 1999 on a préparé le premier programme d'éducation pour le développement civique et moral, "Valeurs et moyens d'éducation aujourd'hui", et on a arrêté et appliqué les premières "Réglementations Scolaires", basées sur les valeurs du monde libre. En 1999, la division en semestres de l'année scolaire, liée au système européen occidental, a remplacé la division en trimestres de l'année scolaire.

L'évaluation des connaissances a changé à travers les efforts de réduire le nombre d'examens, de réintégrer le rôle de la culture générale, et de préparer des niveaux d'évaluation. Les examens de capacité et de baccalauréat sont devenus des examens nationaux aussi bien que les fondements pour l’admission à des niveaux supérieurs d'éducation: études secondaires et supérieurs, dans un effort de réévaluer la culture générale qui avait été affaiblie après la Deuxième Guerre mondiale. Le Service National d’Examen et d’Evaluation (Serviciul Naţional de Evaluare şi Examinare) a été créé en 1998 dans le but de préparer des examens spécialisés pour garantir des niveaux similaires à la formation internationale. Après des décennies de corruption et de superficialité, l'évaluation des connaissances est devenue, pour la première fois en Roumanie, une activité spécialisée, comme dans les autres pays européens.

Egalement nouveau en Roumanie, l'évaluation des connaissances a commencé à être liée aux niveaux professionnels. En 1999 on a créé le Conseil pour les Niveaux Professionnels (Consiliul pentru Standarde Ocupaţionale), avec le mandat de préparer des niveaux professionnels. Son établissement a représenté une première pour la Roumanie - la première fois que les niveaux occupationnels et professionnels avaient été explicitement préparés.

En 1998, le baccalauréat a été développé comme examen national. En 2000, on a introduit un baccalauréat professionnel, et aussi un baccalauréat international. L'abitur allemand a été introduit dans certains lycées.

En Roumanie, l'évaluation institutionnelle systématique des écoles primaires et secondaires a commencé en 1999, avec la création de la Commission Nationale pour l’Évaluation et l’Accréditation de l’Enseignement Pré-universitaire (Comisia Naţională de Evaluare şi Acreditare a Invăţământului Preuniversitar). L’enseignement pré-universitaire privé s’est considérablement répandu. La Commission accorde l’autorisation et l’accréditation, d'après la législation en force, à des unités d’enseignement publiques et privées. La création de cette commission a représenté la première fois que les écoles primaires et secondaires étaient assujetties en Roumanie à des procédures d’autorisation et d’accréditation.

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Les procédures pour la formation initiale et la formation continue du personnel enseignant ont changé de manière fondamentale. La formation des enseignants incombait désormais aux collèges universitaires. L'itinéraire de l'enseignement partagera un itinéraire commun avec la formation dans la recherche dans les institutions académiques. Le réseau des Maisons du personnel enseignant a été réorganisé. Le système national pour la formation continue a été modifié à la suite de la création en 2000 du Centre National pour la Formation Continue (Centrul Naţional al Formării Continue). La nouvelle institution favorise une diversité d’offres de formation et accroît les opportunités de participation du personnel enseignant. Pour la première fois en Roumanie, tout membre du personnel enseignant peut participer à tout moment à la formation continue. Aussi, on a introduit en 2000, pour la première fois en Roumanie, la formation des administrateurs dans l’enseignement, une activité qui est administrée par le Centre National pour la Formation des Administrateurs dans l’Enseignement (Centrul Naţional de Formare a Managerilor din Învăţământ).

L'enseignement pré-universitaire a été décentralisé. Une école donnée a le droit de déterminer une partie du programme scolaire. Les dépenses capitales ont été dévolues aux budgets locaux (1999), à la suite de la dévolution des dépenses d'entretien aux budgets des conseils locaux, selon la Loi de l’Education de 1995. Certaines écoles sont autorisées de prendre elles-mêmes des décisions relatives à l'emploi de leur corps enseignant. Toutes les unités pédagogiques sont autonomes quant à l’utilisation de leurs ressources extrabudgétaires. En 2000, l’ensemble des propriétés des écoles est devenu la propriété des autorités locales. Pour la première fois dans la Roumanie d’après la Deuxième Guerre mondiale, la décentralisation a commencé à prendre une forme tangible.

Le système de financement de l’enseignement pré-universitaire a été modifié pour favoriser un financement per capita et l'autonomie institutionnelle des inspectorats scolaires, des écoles et des lycées. En 2000 on a fondé le Conseil National pour le Financement de l’Enseignement Pré-universitaire (Consiliul Naţional de Finanţare a Învăţământului Preuniversitar). Ainsi, le système de financement de l’éducation dans la Roumanie d’après la Deuxième Guerre mondiale a pris pour la première fois une forme pertinente. Les investissements dans les infrastructures ont été augmentés. Beaucoup d'écoles primaires et secondaires ont été rénovées et ont bénéficié de plus d’espace de cours à la suite de financements en provenance de sources multiples: le budget central, le budget local et les parrainages. En 1999 on a créé le Fonds Spécial pour l’Éducation.

En 1998, pour la première fois, le Ministère de l'éducation nationale a exigé que toutes les écoles primaires et secondaires obtiennent des licences des autorités sanitaires en vue de pouvoir fonctionner. En 2000 on a élaboré des standards éducationnels nationaux pour les projets de création d’écoles.

En 1998 on a commencé à appliquer le Programme pour la réhabilitation de l’école et, dans la même année, on a formulé le Programme pour le renouveau de l’enseignement rural. Des parties de ce dernier programme ont commencé à être appliquées en 1999. Celles-ci incluaient : les centres d’information dans les régions rurales, le transport scolaire, les bibliothèques scolaires, les cantines scolaires, ainsi que l’introduction des technologies de l’information dans les écoles rurales. Pour la première

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fois de la période d’après la Deuxième Guerre mondiale on mettait en ouvre un programme global pour les écoles rurales. Durant l’année scolaire 2000-2001 on a finalisé la dotation en micro-réseaux d’ordinateurs reliés à l’Internet des écoles de commerce et secondaires. On a conçu en 1998 le programme de dotation minimale des écoles primaires et secondaires. On a commencé à élaborer des partenariats entre les écoles et les compagnies. Les bibliothèques scolaires ont été également inclues dans la réforme. En 2000, sur l’initiative du Ministère de l’éducation nationale, la Roumanie à rejoint le Programme GEANT de l’Union Européenne.

On a traité toutes le requêtes d’enseignement en langue maternelle en conformité avec les réglementations en force. Pour la première fois, on a introduit dans le programme scolaire une information et une éducation systématiques sur l’Holocauste. On a concrétisé et appliqué le programme spécial pour les enfants rroma (Tsiganes) et le programme pour l’Éducation de la seconde chance.

Pour la première fois en Roumanie, on a conçu et appliqué un programme d’éducation pour adultes, qui est devenu fonctionnel en 2000. Toujours en 2000 on a introduit la formation pour les entrepreneurs.

Les arts (musique et beaux-arts) ont été réintroduits dans le programme scolaire secondaire, et le nombre de cours d’éducation physique a été augmenté à trois pour chaque année d’études. L’étude des langues modernes (anglais, français, allemand, italien, portugais, etc.) a été étendue plus que jamais auparavant. En 1998, le Centre pour l’Éducation Continue en Allemand (Centrul pentru Educaţie Permanentă în Limba Germană) a été créé à Mediaş.

En 1997, l’ensemble des programmes de réforme du Ministère de l’éducation nationale, basés sur le financement international, enregistrait un retard important, avec des délais de deux ou de trois ans. La raison de cette situation était que la mise en œuvre de ces programmes dépendait d’une réforme qui était constamment attardée. En 1997-2000, le Ministère de l’éducation nationale a pris, une fois de plus, des mesures pour mettre en œuvre tous les dus programmes. Certains, comme la Réforme de l’enseignement supérieur, ont été finalisés. D’autres, comme la Réforme de l’enseignement pré-universitaire, se trouvent près de leur conclusion.

En 1998, pour la première fois, le Ministère de l’éducation nationale a initié l’application de bonus ou suppléments salariaux. Ces derniers ont été autorisés par la législation sur l’éducation pour le corps enseignant et incluaient des bonus importants pour les enseignants des régions rurales. Tous les bonus alloués dans le budget du Ministère de l’éducation nationale ont été accordés. Dans l’enseignement pré-universitaire, le salaire mensuel brut a augmenté de 63,38 dollars USD en 1997 (pour un enseignant débutant) à 112,29 dollars USD en 2000, auquel on a rajouté un supplément de 50 pour cent, et de 188,46 dollars USD en 1997 à 286,96 dollars USD en 2000 pour les enseignants bénéficiant d’un diplôme pédagogique de premier degré.

Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, les examens d’admission sont devenus, depuis 1998, la prérogative exclusive des universités individuelles agissant de manière autonome. Le nombre d’étudiants des universités publiques a augmenté à 403.000 en 2000, du nombre de 250.000 étudiants en 1997. On a également créé un réseau national de collèges universitaires qui fonctionne désormais en quarante-cinq villes. On a autorisé les universités à rajouter à leurs places gratuites un nombre de places

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payantes. La législation sur l’enseignement à distance est entrée en force, et l’enseignement à distance a été lancé, sur une base systématique, dès 2000. On a rehaussé la qualité de l’enseignement dans les universités privées. En 2000, on a lancé un projet d’action universitaire concertée.

Dans la Roumanie des années 1990-1993, l’enseignement privé a été développé en rapport avec la législation commerciale plutôt qu’avec la Loi de l’éducation. Dans la période 1990-1996, les autorités roumaines ont refusé l’évaluation internationale des universités roumaines. En 1999, pour la première fois dans la Roumanie d’après-guerre, les universités roumaines ont été soumises à l’évaluation internationale. En 2000, le Ministère de l’éducation nationale et le Conseil national pour l’évaluation et l’accréditation académiques (Consiliul Naţional pentru Evaluare şi Acreditare Academică) ont lancé une action élargie de purification du système éducationnel, une mesure en première venant une décennie après le commencement de la transition vers une économie de marché en Roumanie.

La liste de spécialisations universitaires a été rendue compatible avec la liste de spécialités des universités de l’Union Européenne. On a commencé a organiser des études de mastère en conformité avec les pratiques internationales. Les études ont été restructurées en conformité avec la Déclaration de Bologne de 1999. Les études doctorales ont été réorganisées suivant des standards modernes et ont également été introduites dans les arts et le sport, en 1999.

L’emprunt externe pour la recherche scientifique universitaire a été entièrement alloué. On a commencé la définition de centres d’excellence, en conformité avec les pratiques de l’Union Européenne. Ils sont apparus les premiers centres de transfert de technologies. Les universités ont commencé à développer des instituts de recherche. En 2000, les Gouvernement roumain a autorisé le Ministère de l’éducation nationale à contracter un crédit substantiel (plus de 375 millions de dollars USD), destiné à la dotation des universités.

On a construit de nouveaux bâtiments pour les facultés et on a acquis des bâtiments pour un grand nombre d’universités (à Timişoara, Piteşti, Constanţa, Cluj, Baia Mare, Suceava et Bucarest). On a commencé la construction de résidences universitaires, censées pouvoir héberger 12.000 personnes. Les administrations universitaires ont bénéficié d’équipement informatique par le biais d’un programme de l’Union Européenne. Le réseau RoEduNet a été développé. Aujourd’hui, il inclut la totalité des universités et aussi un grand nombre d’écoles secondaires et primaires.

On a institué en 1999 le financement global des universités, ayant comme résultat une autonomie financière institutionnelle et le accordage des institutions au système international des universités roumaines. On a distingué, sur une base moderne, la gestion administrative de la direction universitaire. En conformité avec les tendances européennes, les universités se sont dirigées vers des sources multiples de financement.

La Ministère de l’éducation nationale a initié et a développé ses accords d’équivalence des diplômes avec beaucoup de pays. En 1999, la Roumanie est devenue un des signataires des Déclarations de Bologne et de Florence. Le Ministère de l’éducation nationale a initié des réunions communes des recteurs roumains avec des recteurs ou des présidents d’universités des États-Unis, de Pologne, de Grèce, etc. On a légalisé en 1998 les extensions universitaires par les franchises. Les premiers filiales d’Universités roumaines sont apparues à l’étranger. En 2000 on a introduit dans le

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programme pré-universitaire des éléments d’études européennes ? Dans la même année on a introduit le Supplément de diplôme, en conformité avec la Déclaration de Bologne. Le Bureau national pour le bourses d’étude à l’étranger (Oficiul Naţional al Burselor de Studii în Străinătate) a été créé en 1998. Le Centre national pour la reconnaissance et l’équivalence des diplômes (Centrul Naţional de Recunoaştere şi Echivalare a Diplomelor) (1999) est arrivé à éliminer la corruption existante dans le système des bourses d’étude et à rendre les bourses disponibles aux demandeurs sur la base de concours ouverts. En 2000, en signe de reconnaissance du progrès fait par le système roumain de l’éducation, la Quatrième Conférence des ministres de l’éducation des pays européens, intitulée “Le renforcement de la maison européenne commune de l’éducation : cohésion sociale et qualité – un défi pour l’éducation”, a été conjointement organisée à Bucarest par le Ministère de l’éducation nationale de Roumanie et la Présidence portugaise de l’Union Européenne (le Ministère de l’éducation) et la Commission Européenne (juin 2000).

Le système salarial anachronique, traditionnel, applicable au corps enseignant des universités roumaines a été remplacé en 2000 par un système où l’université elle-même établit les échelles salariales. Le salaire brut mensuel d’un professeur universitaire à augmenté de 386,77 dollars USD en 1997 à 443,57 dollars USD en 2000. Les assistants universitaires recevaient un salaire brut mensuel de 212,10 dollars USD en 1997, leurs salaires atteignant en 2000 231 dollars USD. En plus, les allocations budgétaires pour les salaires sont désormais supplémentées, dans le cas d’enseignants spécifiques, par leurs propres ressources (conseil, recherche scientifique, bourses, etc.), donc les salaires du personnel universitaire peuvent également augmenter sur ces bases, après décision conséquente de la direction de l’institution donnée.

On a introduit en 1999 les bourses de mérite pour les étudiants et les bourses sur contrat. On a créé en 1998 l’Agence sociale des étudiants (Agenţia Socială a Studenţilor). On a alloué des fonds supplémentaires aux bourses pour les étudiants: 20,5 millions de dollars USD en 1997 et 25,8 millions de dollars USD en 1998. Le budget pour l’éducation a présenté une tendance croissante (1.073 milliards de dollars USD en 1996; 1.134 milliards de dollars USD en 1997; 1.396 milliards de dollars USD en 1998). Le budget pour l’enseignement supérieur a enregistré un développement positif (1,2 milliard de dollars USD en 1995; 1,43 milliard de dollars USD en 1996; 1,55 milliard de dollars USD en 1997; et 1,88 milliard de dollars USD en 1998). En plus des allocations budgétaires, les universités publiques ont commencé à partir de 1998 à recevoir des ressources en provenance des frais d’étude (qui se sont élevées en 2000-2001 à 2,53 milliards de dollars USD).

Entre 1997 et 2000, la législation concernant l’éducation a subi un nombre de modifications. L’effort que j’ai fait dès le début de mon mandat a été celui d’éliminer ces options centralisatrices, étatisantes, qui reflétaient une image anachronique. Ces options étaient présentes à la fois dans la Loi sur l’éducation de 1995 et dans d’autres lois adoptées entre 1993 et 1996.

Une version revue de la Loi sur l’éducation a été adoptée en 1999 et incluait quelques nouvelles solutions promues par le Ministère de l’éducation nationale. Ces dernières incluaient : l’enseignement obligatoire de neuf ans, le franchisage, l’évaluation institutionnelle des écoles primaires et secondaires, la décentralisation du système de l’éducation, l’organisation des études post-universitaires, une structure décentralisée pour

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le programme d’étude, l’introduction de l’enseignement à distance, etc. On a adopté des réglementations ayant force de loi et ainsi l’éducation en Roumanie a été développée, diversifiée et décentralisée. LA REFORME DE L’ADMINISTRATION CENTRALE DE L’ENSEIGNEMENT Le Ministère de l’éducation nationale a été restructuré en 1998. Des nouveaux administrateurs ont été sélectionnés sur la base de leurs compétences. L’argument général pour la sélection était la capacité de communiquer en langues étrangères et la capacité d’entreprendre des réformes. L’institution du Ministère de l’éducation a été décentralisée, en conformité avec les pratiques en Europe occidentale. Les agences spécialisées, les centres et les bureaux nationaux ont été structurés en tant qu’unités autonomes. On a créé de nouveaux bureaux et services en 1998-2000. On a créé en 1998 le Service national pour l’évaluation et l’examen (Serviciul Naţional de Evaluare şi Examinare), le premier service de ce genre en Roumanie. Par son activité, l’évaluation des connaissances était censée acquérir une méthodologie formative analogue aux pratiques majoritaires dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Le Bureau national pour les bourses d’étude à l’étranger (Oficiul Naţional al Burselor de Studii în Străinătate), le premier dans son genre en Roumanie, a été créé en 1998. C’est par son intermédiaire que les bourses d’étude à l’étranger sont délivrées aux gagnants des concours publiquement annoncés.

Le Centre national pour la reconnaissance et l’équivalence des diplômes (Centrul Naţional de Recunoaştere şi Echivalare a Diplomelor), établi en 1999, est aussi la première organisation de ce type en Roumanie. Il applique les procédures internationales à la reconnaissance et l’équivalence des diplômes.

L’Agence nationale pour les colonies de vacances et du tourisme scolaire (Agenţia Naţională a Taberelor şi Turismului Şcolar), créée en 1999, est responsable de la coordination du réseau de colonies de vacances pour les élèves et de l’organisation du tourisme scolaire au niveau national et international.

Le Centre pour l’éducation continue en allemand (Centrul de Formare Continuă în Limba Germană) a été fondé en 1998 dans le but de former par l’éducation continue le personnel enseignant qui enseigne en langue allemande. La Commission nationale pour l’évaluation et l’accréditation de l’enseignement pré-universitaire (Comisia Naţională de Evaluare şi Acreditare a Învăţământului Preuniversitar), établie en 1999, a été créée dans le but d’évaluer, autoriser et accréditer les écoles primaires et secondaires. Elle est la première organisation dans son genre à être créée en Roumanie.

L’Agence pour le soutien social des étudiants (Agenţia de Sprijin Social pentru Studenţi), aussi la première de ce type en Roumanie, a été créée en 1999 en vue d’élaborer des politiques sociales pour les étudiants et de gérer les biens destinés aux étudiants. Le centre national pour le développement de l’enseignement supérieur technique (Centrul Naţional pentru Dezvoltarea Invăţământului Superior Tehnic), établi en 1999, fournit des méthodologies éducationnelles pour l’enseignement professionnel et technique.

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La Fédération des sports scolaires et universitaires (Federaţia Sportului Şcolar şi Universitar), créée en 1999, a la responsabilité de coordonner les activités sportives de performance dans les clubs scolaires et universitaires.

L’Institut de la langue roumaine (Institutul Limbii Române), créé en 1999, coordonne et accorde du soutien logistique aux programmes de conférences sur la culture et la civilisation roumaines tenues à l’étranger.

Le Centre national pour la formation continue du corps enseignant (Centrul Naţional pentru Formarea Continuă a Corpului Didactic) a été fondé en 2000. Le Centre national pour la formation de dirigeants dans l’enseignement (Centrul Naţional de Formare a Managerilor pentru Învăţământ) a été créé en 2000. Le Centre national pour le programme scolaire (Centrul Naţional pentru Curriculum) a été créé en 2000.

Ainsi, par ces moyens, la Roumanie a pu bénéficier, pour la première fois, des institutions vitales requises par une organisation moderne de l’éducation, selon le modèle occidental.

Les décisions ministérielles ont été rendues publiques pour la première fois, en 1997, par le biais de bulletins d’information du Ministère de l’éducation nationale. A compter de 1999, les décisions prises par le Ministère de l’éducation nationale ont été disponibles sur l’Internet.

Les sources de corruption reconnues dans le Ministère ont été éradiquées par l’interdiction de toute exception aux règles existantes, par l’offre de bourses et d’autres formes de soutien pour les étudiants sur une base compétitive, et par la décentralisation du système éducationnel. Les procédures concurrentielles de sélection pour les directeurs généraux, les directeurs et les inspecteurs ont été développées afin d’inclure aussi les inspecteurs scolaires et universitaires de par le pays. Les “clans” qui influençaient les nominations sur les postes dans le Ministère ont été éliminés. Le Ministère a bénéficié des contributions de véritables experts, sélectionnés par de moyens concurrentiels comme jamais appliqués auparavant, dans l’histoire roumaine de la période d’après la Deuxième Guerre mondiale.

A partir de l’année 2000, le corps dirigeant du Ministère de l’éducation nationale et des inspectorats scolaires ont acquis le statut de fonctionnaires publics. UNE RECAPITULATION DU PROCESSUS DE REFORME UNIVERSITAIRE Les options les plus importantes qui constituent le fil rouge des politiques appliquées de 1997 à 2000 peuvent être résumées comme il suit :

La réforme de l’éducation malgré un contexte problématique : Les réformes éducationnelles ne peuvent pas attendre le renouveau économique, et la Roumanie n’est pas une exception à cette règle. C’est plutôt la réforme de l’éducation celle qui devrait soutenir le renouveau économique. Une observation faite, entre autres, par R. Seton-Watson (1934), soulignant que les difficultés de la Roumains puisaient leurs racines dans l’éducation, s’est avérée bien vraie.

Une réforme compréhensive: Ceux qui prennent leur temps d’analyser, avec lucidité, la situation de la Roumanie des dernières décennies remarqueront le fait qu’elle est restée, en dépit de ses ressources humaines et naturelles considérables, un pays pauvre. En 1995, le niveau de sa production scientifique était à la traîne des pays comparables. L’efficience des activités était médiocre. Les réformes se déroulaient avec

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une extraordinaire lenteur. Le débat public était d’un niveau assez profane, etc. Il était évident que les changements superficiels effectués dans l’éducation jusqu’à ce moment n’étaient pas productifs et qu’il s’y imposait une réforme globale.

La réforme à son temps – la réforme aujourd’hui: Dans la Roumanie d’après-guerre, les réformes ont failli ou ont été ajournées avec la justification qu’“il n’en était pas encore le temps”. Cette justification est devenue une pratique courante. J’ai essayé de réfuter cette position.

Un concept de la réforme de l’éducation conforme aux normes de l’Union Européenne: Nous devons constamment déclarer qu’il n’est plus nécessaire d’inventer la roue et que les expériences des autres pays sont édificatrices. A partir des besoins du système éducationnel roumain dans la période invoquée, le Ministère de l’éducation nationale a promu un programme de réforme universitaire en six points : (i) la réforme des programmes d’étude; (ii) le renoncement à l’accent mis sur la reproduction du savoir en faveur de la résolution de problèmes; (iii) l’interaction innovatrice de l’université avec le milieu économique et administratif; (iv) la décentralisation; (v) un nouveau système de gestion universitaire; et (vi) des formes avancées de coopération internationale.

Des critères de qualité non-provinciales appliqués aux études supérieurs: Il s’imposait de renoncer à la tentation de juger une université par ces résultats ou ses échecs pris à part. Il fallait admettre le fait que des diplômés bien préparés n’étaient pas nécessairement un signe de bonne qualité pour une université. On a promu ainsi des critères communs pour l’évaluation de la qualité des études. Les critères sont inévitablement complexes (on demande des projets compétitifs, une organisation flexible, un programme d’étude, un corps enseignant et une infrastructure de qualité, une utilisation pertinente des ressources, une compétitivité scientifique, etc.) et ils ont trait en dernier lieu aux niveaux économiques, administratifs et culturels du pays et aussi aux capacités générées par le renouveau.

Une autonomie universitaire efficace: L’autonomie administrative universitaire devait être complétée par une autonomie financière, pendant que l’autonomie dans la prise de décisions devait être développée. Dès 1998, l’admission dans les collèges et les facultés a été complètement subordonnée aux principes de l’autonomie universitaire, et en 1999 on a introduit les contrats généraux de financement et institutionnels. En plus, on a accordé aux universités le droit de la prise de décision dans la plupart des domaines. L’accroissement des opportunités d’étude dans les collèges et les facultés: Dans les décennies d’après la deuxième Guerre mondiale, la Roumanie a appliqué une politique d’admission restrictive. Elle a également disqualifié l’enseignement de court cycle dans les collèges. Le taux de diplômés de l’enseignement supérieur dans la population est resté relativement bas. A partir de 1998 on a rendu opérationnel le réseau national des collèges universitaires, qui déroule ses activités désormais dans plus de cinquante villes. Le nombre de places d’entrée a augmenté (en 2000, 138.000 étudiants en première année ont été admis dans les universités publiques, par rapport à 52.000 en 1997). La Roumanie a atteint le plus haut niveau du nombre d’étudiants inscrits dans les universités publiques de toute son histoire (plus de 405.000 étudiants en 2000, par rapport à 250.000 en 1997).

La réforme du programme d’étude comme noyau de la réforme après 1989: Même s’ils ont existé des essais de promouvoir une réforme, la réforme du programme d’étude, le noyau de la structure universitaire, a été évitée. Conjointement, dans un grand nombre de facultés, le développement universitaire s’est limité à l’introduction de nouvelles

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spécialités et de nouveaux cours et à l’accroissement du nombre d’heures de cours. On est arrivés ainsi à un système de l’éducation excessivement surchargé. En 2000, la liste de spécialités a été rendue compatible avec les pratiques occidentales, incluant l’introduction de “filières élargies et de spécialisations [plus précises]”. Un effort important a consisté en l’établissement du placement, du contenu et de la durée normale des études universitaires, post-universitaires, de mastère et doctoraux et en la réglementation de la confusion créée après 1989.

Des examens moins fréquents et plus dignes de confiance: Le nombre d’examens qu’un étudiant roumain est censé passer a été est demeure excessivement élevé. La superficialité, irrépressible dans cette situation, et la tentation de la corruption y ont toujours été présentes. Dans un tel cas, le niveau de confiance dans les résultats des examens ne peut être que bas. A compter de 1997, le Ministère de l’éducation nationale a demandé aux universités de prendre en considération les résultats du baccalauréat dans les buts de l’admission, de renoncer de manière graduelle la forme de concours d’entrée utilisée après la Deuxième Guerre mondiale, de réduire le nombre de cours et d’examens requis, de normaliser le programme d’étude, et d’appliquer le transfert de crédits (ECTS).

L’institutionnalisation des études post-universitaires: En Roumanie, la perception qui confond les études supérieures et les études secondaires menant à un diplôme est plutôt générale, avec toute la confusion impliquée. En 1999, on a éliminé la confusion provoquée par la Loi de l’éducation et, en conformité avec les nouvelles réglementations, les études de mastère et doctorales, ainsi que les études post-universitaires, ont pris de nouvelles formes, compatibles avec les pratiques modernes. L’accent mis sur le diplôme a été déplacé et a commencé à être posé sur toute la gemme des offres universitaires.

De la reproduction du savoir à l’application et à l’organisation du savoir: La vision prédominante de la Roumanie d’avant 1989 a persisté au long de la période d’après 1989. Le fait d’être qualifié, pensait-on, équivaut à la possibilité de reproduire une considérable quantité de connaissances. Le Ministère de l’éducation nationale a pris des mesures dans le but de souligner la tangibilité de la perception moderne selon laquelle la qualification signifiait la capacité d’utiliser le savoir dans différents contextes, en vue de son organisation.

Le relancement de la recherche universitaire: Selon la perception populaire, un universitaire est vu en tant que le professeur qui tient des cours dans une ou plusieurs universités. Dans beaucoup de domaines, il y a beaucoup d’universitaires, donc il pourrait ne pas y avoir de solutions pratiques. Ainsi, on nécessite des visions adaptées. Ce concept plutôt simple a dû être remplacé une fois que l’universitaire a été redéfini en tant que le spécialiste qu’il (ou elle) devrait être, entreprenant des activités personnelles de recherche et capable de répondre aux requêtes de conseil. Après 1997, le Ministère de l’éducation nationale s’est abstenu de toute sorte d’intervention bureaucratique dans les procédures de validation des professeurs universitaires et a demandé que tous les universités haussent leurs standards pour la nomination des professeurs universitaires.

La concurrence dans et entre les universités: On a dû renoncer à l’égalitarisme exagéré existant en Roumanie. Les universités ont dû être stimulées afin de se profiler elles-mêmes sur la base de la concurrence réelle. Les universités étatiques et privées ont dû se concurrencer afin d’améliorer le niveau des programmes d’étude proposés. A partir de 1997, et sur la base de l’autonomie universitaire renforcée, les fonds désignés ont été alloués de manière différenciée, en conformité avec la loi en vigueur, mais aussi tenant

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compte des niveaux de qualité des universités. En dépit de la pression systématique en faveur d’une résolution populiste des questions relatives aux performances scientifiques et à l’efficience administrative, le Ministère de l’éducation nationale est arrivé à promouvoir une approche différenciée des universités.

Le développement de l’infrastructure: Dans un grand nombre de cas, l’infrastructure universitaire s’avère dépassée ou insuffisante. Le Ministère de l’éducation nationale a financé la construction de bâtiments, a acquis d’autres bâtiments dans le bénéfice des universités, et a demandé aux universités d’assurer le financement de leur propre infrastructure à partir de trois ressources : le budget central, les ressources des universités données et les contributions des communautés et des autorités locales.

La technologie de l’information: L’utilisation des ordinateurs et des réseaux électroniques dans la communication doit être constamment développée. Après 1997, on a finalisé l’opération de connexion des universités publiques à l’Internet. Les bureaux administratifs des universitaires ont également bénéficie de dotations en ordinateurs, et certaines universités ont développé de l’équipement pour l’enseignement interactif à distance.

Le financement par sources multiples: Dans aucun pays le financement des budgets universitaires n’a un caractère suffisant ou exclusif. Les allocations budgétaires destinées aux universités roumaines ont augmenté après 1997, malgré la difficile situation économique du pays. Le Ministère de l’éducation nationale a demandé aux universités publiques de couvrir, par leurs propres efforts, leur financement à partir de sources multiples. Ces sources peuvent inclure le financement primaire, le financement complémentaire, les bourses, l’application de frais d’étude pour les étudiants étrangers ou pour les doctorants, d’autres types de frais d’étude et de charges administratives en général, des services spéciaux de conseil, et les bourses, les donations, les sponsorisations internationales.

La gestion basée sur des projets spécifiques: On a du également renoncer à la mentalité étatiste qui s’est poursuivie après 1989. A compter de 1997, le Ministère de l’éducation nationale a renforcé l’autonomie universitaire et a demandé aux universités qu’elles deviennent responsables pour ce qui est de leur administration et de leur développement.

L’approche basée sur le contrat: Pour assez longtemps, les universités ont été considérées comme étant des unités closes, éloignées de leur milieu, un concept qui a dû être changé. Le Ministère de l’éducation nationale a promu la vision d’une insertion active des universités dans les milieux technologiques, économiques et administratifs, par le biais de rapports contractuels avec leurs étudiants, leurs employés et leurs partenaires.

Des formes avancées de coopération internationale: Traditionnellement, la coopération internationale entre les universités était limitée aux échanges réciproques et, ensuite, à la mobilité. En 1997, le Ministère de l’éducation nationale a posé la question de pouvoir utiliser des formes avancées de coopération internationale, comme les programmes d’étude communs, les unités de recherche communes, etc.

L’évaluation européenne: L’évaluation externe des universités roumaines était rarement acceptée auparavant, et même alors avec des réserves. Le Ministère de l’éducation nationale a dénoncé cette situation et a promu l’évaluation des universités roumaines, en conformité avec les normes de l’Union Européenne. Un premier groupe

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d’universités roumaines a été inclus dans le cadre d’une évaluation internationale en 2000. LA REFORME DE L’EDUCATION – UN PROCESSUS CONTINU ET ESSENTIEL Les changements dans l’éducation demandent du temps et ne peuvent avoir lieu que dans des circonstances appropriées. Les conditions de la réforme de l’éducation entre 1997 et 2000 étaient difficiles. L’économie nationale demeurait en état de crise. La corruption était endémique. Les démagogues en tiraient de gros bénéfices. L’attrait exercé par le travail honnête était loin de l’exceptionnel. Il n’y avait pas trop d’espace de manœuvre pour le changement, étant donné qu’un grand nombre de dilettantes pullulaient dans le domaine de l’éducation et se manifestaient comme nulle part ailleurs dans les Balkans. Néanmoins, la Roumanie devrait procéder à une réforme de l’éducation. Le devoir patriotique demandait que les réformes soient développées avec compétence, courage et netteté et d’être appliquées de manière accélérée. La “Stratégie de développement à moyen terme de la Roumanie”, initiée en 2000, incluait les options suivantes pour les futurs années de réforme à venir :

• La décentralisation du système national de l’éducation; • Le soutien des rapports contractuels entre les unités d’enseignement et les

communautés locales; • L’organisation d’un système national pour la formation des dirigeants dans

l’enseignement; • Le développement des technologies de communication et d’information dans

l’éducation; • Le développement de l’enseignement à distance; • L’application du programme national pour l’éducation pour adultes et du

programme “Une deuxième chance par l’éducation”; • La formation professionnelle continue, harmonisée avec les politiques similaires

existantes dans l’Union Européenne; • La restructuration des mécanismes de financement de l’éducation.

Les dirigeants de tous les partis représentés dans le Parlement ont souscrit à cette stratégie. Chaque étape du processus de réforme engendre des débats. Chacune est ouverte à l’analyse à partir de différentes perspectives. On peut toujours trouver des raisons pour renoncer au changement. J’ai déjà affirmé le fait que le retardement des changements nécessaires est par soi même coûteux et qu’une réforme retardée est plus chère que la réforme initiale en soi. On doit souligner le fait que les politiques d’avant 1997 n’auraient pas pu proliférer sans une injection massive de fonds bien prohibitifs. Le maintien de ces politiques ne pourrait pas bénéficier d’une justification objective. Les études internationales ont montré que le coût de ces politiques consisterait en un infini retardement des efforts de la Roumanie de se joindre et de bénéficier des développements économiques et sociaux de la communauté européenne. Les mêmes conditions se sont appliquées dans le cas des autres pays de l’Europe Centrale et de l’Est. Une recherche détaillée (Rosati, 1998) a montré que, dans le cas de la Roumanie, ce retard pourrait durer plus de soixante ans.

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Réflections sur la reforme de l’enseignement supérieur en Europe centrale et de l’est PETER SCOTT L’essai de généraliser sur la réforme de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est depuis la fin du communisme est compliqué par la difficulté d’identifier des attributions et des points de comparaison clairs. Le domaine et les systèmes d’enseignement supérieur visés ne sont point homogènes, car l’homogénéité imposée par le communisme et la domination soviétique n’a pas duré. Lorsqu’on compare les systèmes d’enseignement supérieur de l’Europe Centrale et de l’Est à ceux de l’Ouest, on est confronté aux systèmes d’enseignement supérieur de l’Ouest, qui sont assez hétérogènes et subissent elles-mêmes des changements. Les chemins de la transition dans l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est sont aussi divers que les systèmes et les pays visés. Les deux catégorisations standard de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est, l’exceptionnalisme et le sous-développement, sont inexactes. If faut plutôt considérer l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est comme intégré dans un effort élargi de réorientation de l’ensemble de l’enseignement supérieur européen vers la société du savoir. Dans cette entreprise, il se peut que l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est présente certains avantages qui ne sont pas si évidents à l’Ouest. INTRODUCTION Deux cadres de références interdépendants sont nécessaires pour comprendre la réforme de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est depuis 1989. Le premier d’entre eux réside dans le fait que l’unité de l’Europe Centrale et de l’Est est un artifice résultant d’un demi-siècle de gouvernement communiste. Les États-nations, qui occupent la région délimitée à l’Ouest par l’Elbe et les montagnes de la Bohème, à l’Est par les plaines de la Russie, au Nord par la Mer Baltique et qui, à Sud, va jusqu’à la Mer Adriatique et (presque) la Mer Egée, sont aussi hétérogènes que les États-nations qui occupent l’Ouest de l’Europe, s’étendant de l’Arctique jusqu’à la Méditerranée.

L’Europe Centrale et de l’Est constitue une partie d’un ensemble plus large et, en même temps, elle est subdivisée en plusieurs régions. Ses institutions, y compris ses universités, reflètent cette variété. Sans doute, malgré leurs expérience communiste commune, les universités d’Europe Centrale et de l’Est ont moins de choses en commun que, par exemple, les universités d’Amérique Latine. En tout cas, les universités se ressemblent en ce qui concerne leur conception historique et les pressions socio-économiques et scientifiques culturelles qu’elles subissent. Elles différent par le fait que leurs structures administratives, leurs régimes de financement et leurs cultures académiques sont déterminés par les milieux nationaux.

Le second cadre de référence réside dans le fait que, étant donné que l’Europe Centrale et de l’Est est un artifice (et que l’impacte du communisme a été plus nuancé et moins totalitaire que l’on considère ordinairement), l’enseignement supérieur dans la

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région – tout comme la société dans son ensemble – a traversé une période de transition, plutôt que de transformation. Le vocabulaire choisi est révélateur. La “transition” suggère un processus considérablement moins radical que la “transformation”. Dans ce contexte élargi (mais aussi plus limité ?), il y a deux explications distinctes du développement de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est pendant sa première décennie post-communiste. La première suggère que l’enseignement supérieur a dépassé une faille spatio-temporelle totalitaire et qu’il s’est engagé par conséquent dans un processus, difficile et encore incomplet, de rattrapage de l’Ouest. A cause du fait que l’enseignement en Europe Centrale et de l’Est a dû faire face à l’effondrement des valeurs et des structures associées au gouvernement communiste, la seconde explication suggère que celui-ci a été à la fois libre et obligé à intégrer la privatisation et d’autres remèdes radicaux, auxquelles l’enseignement supérieur occidental, et en spécial de l’Europe de l’Ouest, s’était opposé et, donc, qu’il a le potentiel de créer de nouveaux modèles d’enseignement supérieur au Vingt-et-unième siècle.

Ces deux explications sont à la fois vraies et exagérées. Il y a eu un élément de rattrapage, puisque la majorité des systèmes d’enseignement d’Europe Centrale et de l’Est ont eu tendance à stagner pendant les dernières deux décennies du gouvernement communiste. Les taux de croissance, par exemple, ont diminué, alors qu’à l’Ouest ils ont augmenté, et la productivité scientifique a baissé. En grande partie, il est vrai que la réaction immédiate d’après 1989 a été la réaffirmation d’un idéal classique, même élitiste, de l’Université, qui allait à l’encontre de l’adhésion à l’Etat, l’économie et la société qui caractérisaient les systèmes d’enseignement supérieur de l’Europe de l’Ouest. Il semble qu’on a fait peu de choses – à l’heure qu’il est, au moins - pour mettre l’enseignement supérieur au service de la tâche urgente de la transition vers une société post-communiste.

Une différence essentielle est que les réformes d’après 1989 ont été essentiellement organisationnelles. Bien qu’on ait effacé le rude marxisme-léninisme, les fondements scientifiques du système sont restés presque intacts. Les universités d’Europe Centrale et de l’Est aspirent et contribuent effectivement aux cultures intellectuelles plus larges, scientifiques et “métropolitaines”. Elles ne défient pas ces cultures de la “périphérie”. Même pendant la période communiste, ce scénario était en grande partie valable.

Il y a eu sans doute un élément radical, même expérimental, dans la reconstruction de l’enseignement supérieur d’après 1989. L’effondrement des systèmes de contrôle de la période communiste et le défaut du soutien de l’Etat ont forcé bien d’institutions d’enseignement supérieur à s’adapter ou à disparaître.

Ce choix est évident à beaucoup de niveaux. Dans certains pays d’Europe Centrale et de l’Est on a accompli une restructuration radicale, même si cela est arrivé parfois comme une conséquence d’un effondrement institutionnel, plutôt que par suite à un plan. Les sciences naturelles et la technologie, qui ont prédominé dans bien d’universités d’Europe Centrale et de l’Est entre 1945 et 1989, ont été remplacées par le commerce et l’administration et la technologie de l’information. Les institutions privées ont proliféré (là où le régime juridique a permis des développements de ce genre), et les institutions publiques ont adopté une conduite de plus en plus entreprenante (que les critiques ont considéré à la limite de la légalité). Pourtant, plus récemment, l’enthousiasme pour le marché libre et les idées néo-libérales a diminué – et d’ici, la

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pression sur l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est de fournir un banc d’essai pour la réforme radicale de droite.

Toute analyse sur l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est à l’aube du Vingt-et-unième siècle doit inclure des éléments de ces deux caractéristiques, le rattrapage et l’expérimentation radicale – mais elle doit également éviter le piège d’accorder trop d’importance à l’une ou l’autre d’entre elles. Les deux caractéristiques doivent être mises en rapport avec des cadres de référence plus larges – premièrement, que l’idée d’Europe Centrale et de l’Est est un artifice qu’on a déconstruit progressivement durant la dernière décennie et, deuxièmement, que le mot clé des réformes dans l’enseignement supérieur d’après 1989 (et des réformes socio-économiques en général) est plutôt la transition que la transformation (Hüfner, 1995). Cet article, qui se base sur une étude de la réforme dans l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est, entrepris par l’auteur pour le Centre Européen de l’UNESCO pour l’Enseignement Supérieur en 1999-2000 (Scott, 2000)51, est divisé en quatre sections:

• Une analyse du contexte historique où s’est développé l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est jusqu’en 1989;

• Une analyse du développement des systèmes modernes d’enseignement supérieur et, surtout, des tendances essentielles qui ont transcendé les effets spécifiques de l’ancienne division de l’Europe;

• Une analyse des plus importants thèmes concernant le développement de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est après 1989;

• Une analyse des interprétations alternatives de la signification globale des réformes entreprises après 1989 et leurs implications pour la direction future de l’enseignement supérieur dans la région.

LE CONTEXTE HISTORIQUE En 1945, il y avait des différences importantes d’ordre économique et social à l’intérieur de l’Europe Centrale et de l’Est, liées en grande partie à l’histoire d’avant-guerre de chaque pays de la région.

Bien que le gouvernement communiste ait eu tendance à réduire et même à supprimer ces différences nationales, on ne les a pas éliminées complètement. L’application des économies planifiées, accompagnée par l’industrialisation forcée et (à une échelle plus restreinte) la collectivisation de l’agriculture, a conduit à un processus simultané de réajustement (dans le cas des économies “paysannes”) et, finalement, de nivellement par le bas (dans le cas des économies “avancées”). Le résultat en fut que les différences économiques se sont réduites, même si elles ont eu tendance à réapparaître après 1989, étant donné que les pays respectifs ont administré d’une manière plus ou moins réussie la transition à l’économie de “marché”. Il est possible que les différences sociales se soient réduites aussi pendant la période de gouvernement communiste, étant

51 Cette étude a couvert douze institutions des pays suivants : la Bulgarie, la République Tchèque, l’Estonie, l’Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la République Slovaque et la Slovénie. L’auteur profite de cette occasion pour exprimer son reconnaissance envers Jean Bocock, un ancien collègue et chercheur associé au Centre pour des Études en Politiques Éducationnelles à l’Université de Leeds, qui l’a aidé avec l’analyse des études de cas et avec des commentaires sur cet essai.

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donné que les groupes sociaux auparavant favorisés avaient perdu leurs privilèges et/ou avaient été éliminés. Pourtant, ce nivellement social a été considérablement réduit par l’apparition de la nomenklatura sous l’égide du Parti Communiste.

Depuis la chute du communisme, ces différences ont réapparu partiellement dans certains pays de l’Europe Centrale et de l’Est, étant donné que les écarts en termes de revenus ont augmenté depuis 1989.

Aussi, les divisions politiques à l’intérieur de la région ont été amoindries et supprimées, par l’obligation d’adhérer au Pacte de Varsovie, dominé par l’Union Soviétique. L’accès et l’éligibilité pour l’adhésion à l’Union Européenne et/ou l’OTAN ont introduit de nouvelles divisions depuis 1989. Les différences ethniques ont été aussi recouvertes par l’uniformité imposée du rôle communiste, à l’exception importante de l’ancienne Yougoslavie, et l’homogénéité ethnique a été promue par l’expulsion des minorités allemandes pendant la période suivant la guerre. Cependant, ces différences ont eu tendance à réapparaître après 1989, en révélant de nouveau le caractère multiethnique et multiconfessionnel de bien des sociétés d’Europe Centrale et de l’Est.

Pourtant, même pendant la période du gouvernement communiste, on peut identifier des phases historiques différentes, où on a imposé des niveaux d’uniformisation plus hauts ou plus bas:

Dans la période immédiate d’après guerre, malgré la présence de troupes soviétiques dans la plupart de ces pays, les partis communistes ont dû en tout début partager le pouvoir avec d’autres groupes politiques.

A la fin des années 1940, le début de la Guerre froide et l’imposition des structures staliniennes ont mené à une période de gouvernement totalitaire intense, caractérisée par des épurations et des répressions, tout comme il était advenu dans l’Union Soviétique pendant les années 1930. Pendant cette deuxième phase, toute idée de “société civile” indépendante a disparu presque complètement. Sa survie est due aux efforts prudents des universités de maintenir quelques espaces autonomes, pourtant restreints et discrets. Pourtant, il a suivi rapidement une troisième phase, déclenchée par la résistance populaire au gouvernement stalinien, d’abord en la République Démocratique Allemande de cette époque-là, ensuite en Pologne et finalement en Hongrie, et par les pas prudents envers la déstalinisation de l’Union Soviétique même. Bien que cette troisième phase ait commencé par la répression de ces révoltes populaires, on lui a apposé finalement l’étiquette de “dégel”. Elle a correspondu à une libéralisation sociale encore plus dramatique et à des taux de développement économique impressionnants en Europe de l’Ouest. Elle a culminé avec le “Printemps de Prague” de 1968.

Le “dégel” a été suivi par une période de néo-stalinisme associé au dirigeant soviétique Leonid Brezhnev, la “normalisation”. Dans cette quatrième phase, on n’a pas témoigné d’un retour total à la terreur de la deuxième phase. Ses caractéristiques principales ont été néanmoins la répression administrative et la stagnation économique. De nouveau, on peut identifier des parallèles intéressants avec l’Europe de l’Ouest. Les années 1970 ont constitué une décennie difficile pour toutes les deux moitiés du continent, étant donné que la prédominance et la prépondérance des vieilles industries se trouvaient érodées par les nouveaux défis globaux. Cette quatrième phase a été suivie, vers 1980, par une cinquième phase finale, la crise du gouvernement communiste. Dans certains pays d’Europe Centrale et de l’Est on a

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introduit des réformes importantes, surtout en Hongrie et en Pologne. Cependant, c’est en Union Soviétique même, soumise à des tensions encore plus importantes à cause de sa position de grande puissance, qu’on a entrepris une libéralisation radicale. Le projet de la perestroïka de Gorbatchev a échoué, à la fois à cause des aléas de la politique et des personnalités soviétiques, et de son invraisemblance inhérente. Après avoir perdu son centre militaire et idéologique, le communisme s’est effondré à la fin de la décennie.

Pendant les années 1990, tout naturellement, il y a eu une tentation accablante de considérer la période communisme comme une déviation, un cul-de-sac52 historique. Il s’est avéré que cette position n’était ni possible ni même raisonnable. Premièrement, l’histoire ne contient pas des trous noirs. La Révolution russe de 1917 a été un événement mondial, tout comme la Révolution française de 1789. Les opposants et les adeptes sont soumis au même titre à son importance à long terme. Deuxièmement, l’époque du communisme n’était pas monolithique. Il y avait des différences temporelles importantes – comme les cinq phases (libération, terreur, dégel, stagnation et crise) qu’on vient de décrire dans leurs grandes lignes. Troisièmement, il y avait aussi des différences spatiales importantes. En Hongrie, la période du dégel a persisté en dépit du brejnévisme, alors que, en Roumanie, le néo-stalinisme a duré jusqu’à la fin (amère) du régime de Ceauşescu. Ces différences ont persisté pendant la période communiste, en modelant à la fois les cultures politiques et les compétences administratives. Quatrièmement, les deux moitiés du continent n’ont pas été complètement isolées pendant cette période.53 L’Ouest, aussi bien que l’Est et le Centre de l’Europe, ont subi des processus de modernisation au courant de ce demi-siècle, l’un sophistiqué, peut-être, et l’autre cruel, qui a transformé pourtant les conditions sociales. Les deux moitiés ont été également soumises à des forces globales similaires. Leurs systèmes politiques et économiques ont été peut-être différents, mais elles ont habité le même monde. LE DEVELOPPEMENT DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR Au milieu du Vingtième siècle, il y avait trois modèles généraux d’enseignement supérieur – celui humboldtien, qui mettait la “connaissance” au centre de la mission de l’université ; celui “napoléonien”, qui mettait l’accent sur la formation professionnelle (et qu’on a mis en œuvre sur une large échelle dans les grandes écoles54 de France); et celui anglo-saxon, où l’éducation libérale occupait la position la plus importante (bien que pratiquée par des formes académiques traditionnelles). Le modèle dominant en Europe Centrale et de l’Est avant 1939 était celui humboldtien, bien que les influences “napoléoniennes” soient aussi présentes, notamment en Roumanie. Néanmoins, il y avait des différences importantes, dont un grand nombre a persisté malgré l’uniformité imposée pendant la période communiste, et a réapparu encore plus fortement après 1989.

Dans la mesure où on a réduit ces différences traditionnelles après 1945, on peut attribuer cette réduction de manière égale aux forces générales, qui ont remodelé aussi l’enseignement supérieur de l’Europe de l’Ouest, et à l’uniformité imposée par les

52 En français dans le texte. 53 Des institutions telles que l’UNESCO-CEPES ont joué un rôle positif en vue du rapprochement dans le domaine de l’enseignement supérieur. 54 En français dans le texte.

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communistes par l’imitation de ce qu’on appelle le “modèle soviétique” d’enseignement supérieur.

Premièrement, tous les systèmes d’enseignement supérieur, de l’Est et de l’Ouest, ont connu un développement rapide après la Seconde Guerre mondiale, culminant avec l’expansion extraordinaire des années 1960. Ce développement reflétait la reconfiguration de la société à travers l’Europe, étant donné que les élites traditionnelles de l’Europe avaient perdu du terrain, n’étant pas capables de suivre l’avancée de la modernisation. C’est seulement pendant les dernières deux décennies de communisme que les taux de développement se sont différenciés, étant donné que l’Europe de l’Ouest avait subi une deuxième vague d’expansion et que l’Europe Centrale et de l’Est avait stagné de point de vue politique et économique.

Deuxièmement, l’accroissement du nombre d’électeurs sociaux au service desquels se trouvait l’enseignement supérieur était une caractéristique commune à travers le continent, même si, dans l’Ouest, elle a pris la forme d’une réponse aux pressions démocratiques pour une participation plus large et, en Europe Centrale et de l’Est, elle a pris la forme des changements imposés dans le domaine des politiques d’entrée à l’université, pour favoriser les groupes sociaux, conformément à une hiérarchie marxiste (“les travailleurs” et “les paysans” – et, sans doute, les cadres du Parti Communiste).

Troisièmement, la planification de la main d’œuvre a constitué une préoccupation commune. La volonté d’ajuster les résultats de l’enseignement supérieur à la demande de main d’œuvre a été prédominante. Cette volonté constituait une partie du projet plus compréhensif de modernisation qui avait saisi toutes les deux moitiés du continent. En Occident, sans doute, les essais de planification de la main d’ouvre étaient rarement allés au-delà de l’exhortation politique et des stimulations financières en vue de l’accroissement de la production de diplômés “utiles”, à l’exception des domaines comme que la médicine et la formation des enseignants. Dans l’Est communiste, on a fait un essai déterminé, mais finalement infructueux, de subordonner complètement l’enseignement supérieur à la demande de main d’œuvre de l’économie planifiée.

Quatrièmement, à travers l’Europe il y avait une tendance générale de développer des formes “alternatives” d’enseignement supérieur, des formes institutionnelles, des organisations d’études, aussi bien que des programmes de cours, en parallèle avec les universités traditionnelles et, parfois, aux coûts pratiqués par ces dernières. Cinquièmement et dernièrement, à travers l’Europe on établissait des instituts de recherche séparés, étant donné que le développement de l’enseignement supérieur de masse affaiblissait les affinités traditionnelles entre la formation des élites futures et la recherche et la formation, et que les liens entre la “production de la connaissance” et le développement social et économique ont été renforcés.

Par conséquent, il peut s’avérer risqué de surévaluer l’exceptionnalisme de l’expérience de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est pendant le gouvernement communiste. Pendant cette période, celui-ci a développé des caractéristiques particulières et, dans l’ensemble, négatives. Pourtant, ces caractéristiques n’ont pas éliminé les importantes différences entre les universités de la région ayant existé avant 1945, et il ne faudrait pas exagérer leur importance au détriment d’autres influences plus générales qui ont affecté l’ensemble des systèmes d’enseignement supérieur d’Europe.

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Cette compréhension est importante pour deux raisons. Premièrement, elle nous détermine à mettre en doute les interprétations historiques qu’on a développées en Europe Centrale et de l’Est après 1989. Il est possible que la continuité présente un caractère plus considérable qu’on ne le veuille l’admettre, pas seulement dans le sens qu’on ne peut ignorer simplement et pertinemment les développements de la période communiste, mais aussi dans le sens que les régimes communistes qui ont gouverné la région entre 1945 et 1989 n’ont jamais été capables d’exclure, bien qu’elles aient été capables d’altérer, les influences externes, qui ont joué un rôle important dans la construction de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est pendant ce demi-siècle.

Même pendant la période stalinienne, le communisme n’a jamais été capable de supprimer l’idéal et le fonctionnement d’une société civile autonome ou d’exclure complètement les influences externes. Josef Jařab a offert un rectificatif salutaire dans le cas de (ce qui était encore à cette époque-là) la Tchécoslovaquie:

Dans les refus politiques radicaux de l’ancien régime, on a considéré ses objectifs effroyables et déshumanisants comme des résultats vraiment accomplis. Mais, heureusement, ils n’ont jamais atteint leurs buts dans la mesure où ils l’ont peut-être pensé. A cause de la bureaucratie inefficace et de l’attitude plutôt apathique de bien des gens travaillant dans le cadre du système, surtout après 1968, le projet éducationnel totalitaire ne pouvait réussir et n’a pas réussi complètement. Il vaut aussi se souvenir et rappeler à nos collègues de l’Ouest que l’enseignement de qualité n’a pas disparu complètement de nos écoles après l’introduction de l’idéologie communiste (Jařab, 1993).

Deuxièmement, une compréhension de ce genre suggère qu’il serait erroné de regarder les universités de la région comme sous-développées, dans le plus superficiel sens économique. Elles ont toujours été tout à fait “européennes” – avant 1945 et après 1989 – mais aussi, argument décisif, pendant la période d’entre les années ci-dessus mentionnées. Jusqu’à la stagnation des régimes communistes des années 1970, les systèmes d’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est (et de l’ancienne Union Soviétique) ont été capables d’obtenir des performances remarquables, surtout dans les sciences naturelles, visant en même temps l’expansion du nombre d’étudiants (et, par conséquence, l’expansion des opportunités sociales qui, malheureusement, n’a pas été accompagnée par le développement d‘une culture démocratique véritable) et la recherche, notamment dans les sciences physiques et mathématiques et la technologie. THEMES-CLE Cet article se base sur les cinq thèmes majeurs de l’étude de l’UNESCO-CEPES: l’ampleur et la portée de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est, la diversité de l’enseignement supérieur à travers la région, l’ordre des phases successives de la réforme de l’enseignement supérieur après 1989, le rapport entre les continuités et les discontinuités et les réformes structurales ou la création de nouveaux cadres juridiques, administratifs et académiques. L’expansion

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Dans les dix pays de l’Europe Centrale et de l’Est couverts par l’étude de l’UNESCO-CEPES, le nombre d’étudiants inscrits dans les institutions d’enseignement supérieur a augmenté d’environ 1.2 millions à plus de 2.1 millions en 1996. Et cette tendance se maintient, même avec une dynamique réduite. Pourtant, dans le cadre de cette expansion globale, il y a eu quelques tendances significatives:

En 1989, presque 40 pour cent des étudiants d’Europe Centrale et de l’Est étudiaient les sciences naturelles. Jusqu’en 1996, la proportion avait baissé à 10 pour cent. En même temps, le nombre d’étudiants en sciences humaines et en sciences sociales a augmenté de trois fois, de 27 pour cent à 43 pour cent du nombre total. Le nombre d’étudiants en éducation, médicine et technologie est resté stable ou a augmenté plus lentement.

Le nombre de diplômés a augmenté de seulement 45 pour cent, malgré l’augmentation de 66 pour cent dans les inscriptions d’étudiants. Dans certains pays, il n’y a presque pas eu d’augmentation, et dans l’un des pays il y a eu une baisse absolue. Les chiffres suggèrent que les taux d’inachèvement des études ont augmenté à travers la région, fait qu’on peut attribuer à l’expansion globale du nombre d’étudiants et au glissement vers les sciences humaines et sociales.

Le nombre de professeurs de niveau tertiaire a augmenté dans une proportion encore plus limitée, seulement 27 pour cent. Pourtant, par rapport aux standards de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique de Nord, le rapport corps enseignant – étudiants est encore très favorable. Diversité ou caractère commun ? Un thème majeur, découlant de l’analyse de l’UNESCO-CEPES, a été l’essai de trouver le juste milieu entre l’accent mis sur les caractéristiques communes des systèmes d’enseignement supérieur et des institutions de la région et l’accent mis sur les différences. Une autre complication résulte du fait que certaines de ces caractéristiques communes sont rétrospectives, puisqu’elles reflètent l’uniformité imposée pendant l’époque communiste (et, par conséquent, peut-on s’attendre que leur importance s’amoindrisse ?), alors que d’autres en sont prospectives, puisqu’elles se rapportent aux demandes auxquelles tous les systèmes d’enseignement supérieur du monde développé sont soumis (et qui vont sans doute augmenter). Une complication supplémentaire résulte du fait que ce dilemme entre le caractère commun et la différence en Europe Centrale et de l’Est est recouvert par le débat plus général sur la question de savoir si les systèmes d’enseignement sont convergents ou divergents.

On a déjà examiné le cas où on met l’accent sur la différence. Avant 1945, les universités de la région avaient peu de choses en commun, sans doute, mais pas plus (ou moins) qu’avec les universités d’autres parties de l’Europe. Parmi ces universités, il y avait quelques-unes des plus anciennes universités d’Europe – Prague (1347) et Cracovie (1364) –, qui ont bien précédé le développement des États-nation ou de la conscience nationaliste. Cependant, la première université roumaine n’a été établie qu’en 1860, alors que la première université bulgare a été créée seulement en 1904. Dans ces deux cas, les rapports avec la construction de la nation étaient explicites. C’est seulement en tant que résultat de leur assujettissement forcé au communisme que leurs caractéristiques

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communes ont apparu. Avec l’effondrement du communisme, non seulement ces différences originaires basées sur les orientations traditionnelles ont réapparu, mais les directions et les vitesses de changement différentes adoptées par les développements post-communistes ont créé de nouvelles différences. Certaines universités ont eu plus de succès que d’autres à s’adapter au nouvel environnement de pluralisme politique et d’engagement envers le marché, dans certains cas parce qu’elles étaient des fondations (littéralement) nouvelles, et dans d’autres parce qu’elles avaient une marge de manœuvre plus large ou parce que leurs gouvernements nationaux avaient adopté le changement avec plus d’enthousiasme et/ou de succès.

Le cas où on met l’accent sur le caractère commun a par conséquent deux facettes. Premièrement, l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est a dû supporter presque un demi-siècle les régimes communistes qui étaient animés par la même idéologie (avec certaines particularités locales/nationales), qui ont créé des structures étatiques analogues et, qui n’ont finalement eu qu’un seul point de référence, dans le sens qu’ils étaient subordonnés à la volonté de la direction soviétique. La Conférence des Ministres de l’enseignement supérieur des pays socialistes a été déterminante pour l’officialisation de cette orthodoxie. (Seulement la Slovénie, en tant que république de l’ancienne Yougoslavie, était une exception, puisque le principe titiste de l’autogestion a été également appliqué dans l’enseignement supérieur.) Deuxièmement, pendant la période 1945-1989, l’ensemble des systèmes européens ont manifesté des tendances similaires, telles que l’expansion du nombre d’étudiants et la massification qui en a découlé, la subordination aux exigences socio-économiques et une responsabilité accrue devant les intérêts politiques.

L’effondrement du communisme a apparemment éliminé l’impératif numéro un du caractère commun – mais seulement pour en introduire un autre, les dilemmes communs créés par la transition vers la société post-communiste à travers la région. Par conséquent, même après que le communisme ait cessé d’exister, on a continué à promouvoir l’homogénéité. Sans doute, les tendances en l’Europe entière – même celles globales – ont été intensifiées par l’effondrement du communisme et par son remplacement avec des régimes démocratiques capitalistes. Le résultat en fut que les universités de toute la région ont dû développer des politiques de recyclage du corps enseignant, formé de manière inadéquate, et reconsidérer leurs portefeuilles de programmes académiques, afin de refléter les nouvelles conditions politiques et sociales, les deux constituant à la fois des exemples d’adaptation post-communiste, et aussi pour développer des cours de commerce, d’administration et de technologie de l’information, un exemple de l’impact élargi des forces globales.

Jan Sadlak a essayé de conceptualiser ces transitions par trois modèles d’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est : le pré-communisme, le communisme et le communisme modernisé, dans un cadre analytique qui fait ressortir les caractéristiques communes, plutôt que les différences (Sadlak, 1995).

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Tableau 1. Trois modèles d’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est

PRE-COMMUNISTE Implicite et autocontrôlé

COMMUNISTE Contrôlé de manière centralisatrice

POST-COMMUNISTE Explicite et autocontrôlé

Caractéristiques principales

Confiance dans les valeurs de la liberté académique spécifique

Buts, tâches et ressources de l’enseignement et de la recherche définis par le Parti communiste et alloués par l’Etat

Compétition pour les étudiants, financement; importance de l’institutionnel /du programme, réputation académique; formes multiples d’autoreprésentation; adhérence à la liberté académique

Contrôle au niveau du système

Minimum

Obligatoire et des règlements détaillés du parti/de l’Etat

De préférence, avec un rôle étatique de contrôle élargi

Approche de planification du système

Inexistante ou très limitée

Compréhensive: un instrument de contrôle politique

Très importante au niveau institutionnel

Responsabilité Limitée aux propres décideurs

Surtout devant les autorités politiques (Parti communiste)

Responsabilité devant multiples électeurs principaux

Autonomie

Oui – mais ses paramètres étaient définis différemment par rapport à nos jours

Inexistante – ou à la discrétion des autorités politiques

Déterminée par le niveau de responsabilité devant les décideurs spécifiques

Stimulants

Confiance en la motivation intrinsèque dans l’enseignement et la recherche

Atteinte des buts établis par le parti et l’Etat

Bien-être de l’institution et de ses décideurs principaux

Financement et budget

Budget très dépendant des frais d’études et orienté vers la contribution

Système complètement dépendant de l’Etat, mais relativement “sans soucis”; budget rigide

Instruments et sources multiples de financement et de budget

Rapport avec le marché du travail

Minimum et seulement indirect

Coordination étroite avec la planification de la

Important mais indirect/ Résultat de l’interaction de

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PRE-COMMUNISTE Implicite et autocontrôlé

COMMUNISTE Contrôlé de manière centralisatrice

POST-COMMUNISTE Explicite et autocontrôlé

main d’œuvre, décideurs multiples

Gouvernement et structure internes

Fédération de sub-unités (chaires) relativement indépendantes

Déterminés de l’extérieur et contrôlés politiquement (nomenklatura)

Concentration du pouvoir administratif/ diversité de la structure

Planification stratégique

Parfois au niveau sub-unitaire/ point essentielle pour le gouvernement

Presque inexistante au niveau institutionnel et sub-unitaire

Essentielle pour la survie et/ou le bien-être de l’institution; approche importante dans le gouvernement

Le tableau élargi de Sadlak met l’accent sur les caractéristiques générales de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est pendant ces trois périodes. Il y a, sans doute, des exceptions à la règle. L’argument de Peter Darvas (1998), affirmant que “s’il y a une particularité de la région [de l’Europe Centrale et de l’Est], c’est le niveau de complexité des changements qui excède peut-être celui qu’on peut remarquer sur le plan global”, peut s’avérer utile pour la résolution de cette apparente contradiction. L’enseignement supérieur de la région a suivi une trajectoire post-communiste quasi similaire – mais une qui est caractérisée par une différenciation croissante. Les étapes de la réforme Le troisième thème étudie la réforme des systèmes d’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est, qui a déjà passé par deux étapes (et commence maintenant la troisième). La première étape a été caractérisée par deux impératifs. Le premier était la volonté de détacher le système académique de l’association étroite avec le système économique, qui a prévalu pendant la période communiste, et de la subordination à celui-ci. Le second impératif était de libéraliser les structures académiques, comme partie d’une libéralisation plus large des structures politiques, le premier élément étant en grande partie un effet contingent du deuxième.

La conclusion de ce qu’on a appelé un Dialogue transatlantique organisé par Pew Charitable Trusts au début des années 1990 et impliquant des présidents de collèges et d’universités américains, aussi bine que des recteurs européens de l’Est et de l’Ouest de l’Europe, a été claire: “L’autonomie est le premier des nombreux pas nécessaires en vue de rendre à l’université d’Europe Centrale et de l’Est sa vitalité initiale”. L’auteur de cet article a été l’un des participants aux trois séminaires – de Trento, d’Olomouc et de Madison – qui ont constitué le Dialogue. Son impression a été nette aussi:

Les participants d’Europe Centrale et de l’Est ont insisté sur une réaffirmation retentissante de cette idée [de l’université libérale] dans les termes les plus clairs, même

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absolutistes. Selon les Européens de l’Est, il était nécessaire de rétablir des universités libres – tout comme des parlements libres et des tribunaux libres.... Dans bien de débats pendant le Dialogue, les membres d’Europe Centrale et de l’Est ont insisté sur les grandes raisons morales, alors que leurs collègues d’Europe de l’Ouest et d’Amérique étaient préparés à se contenter de la vie de la “responsabilité de l’Etat et du marché” (Scott, 1993).

Pourtant, vers le milieu des années 1990, il était devenu évident que ce détachement du système académique par rapport au système économique et l’octroi de l’autonomie (formellement) sans restriction pour l’enseignement supérieur avaient conduit à des difficultés considérables.

Premièrement, à cause des tensions produites par la transition de l’économie à planification centralisée à l’économie de marché dans la majorité des pays de l’Europe Centrale et de l’Est, des tensions qui ont été très intenses dans le secteur public, il n’a plus été possible de maintenir ce détachement. Dans un sens négatif, l’enseignement supérieur a été affecté par l’érosion de sa base de ressources, ce qui a sapé son autonomie effective. Dans un sens positif, les universités avaient évidemment joué un rôle clé dans le processus de transition économique.

Deuxièmement, l’autonomie accordée aux universités a été utilisée – ou perçue comme étant utilisée – pour bloquer la réforme. Bien qu’on ait accompli des changements structurels de substance dans tous les systèmes d’enseignement supérieur de la région pendant les années 1990 (y compris des changements importants quant au corps enseignant), peu de systèmes d’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est ont subi la reconstruction radicale subie par le système de l’Allemagne de l’Est après la réunification. On a estimé que presque la moitié des membres du corps enseignant de l’ancienne République Démocratique d’Allemagne ont perdus leurs emplois, par rapport à moins de 10 pour cent dans le reste de l’Europe Centrale et de l’Est.55

Troisièmement, la libéralisation des structures académiques, entreprise à la suite de l’effondrement du communisme s’est avérée peu pratique dans certains cas. Parfois, les nouvelles lois de l’enseignement supérieur étaient utopiques dans leurs formulations – et difficiles à mettre en œuvre sur un fond de continuité substantielle du personnel et de considérable érosion des ressources. Par exemple, on a accordé aux recteurs des pouvoirs formels qu’ils n’ont pas été souvent capables d’exercer en pratique. Des questions de gouvernement et d’administration sont restées indéterminées.

Par conséquent, la seconde phase de la réforme post-communiste, à partir du milieu des années 1990, a essayé de remédier ces faiblesses. Les universités se sont retirées de ce qu’on pourrait nommer “l’absolutisme libéral” des années d’après 1989, lorsque les opposants des anciens régimes communistes, aussi bien que leurs partisans passifs, ont insisté sur la nécessité d’un niveau élevé d’autonomie institutionnelle, mais pour des raisons différentes. L’autonomie, vue initialement comme une absence du pouvoir de l’Etat, a été graduellement remplacée par des nouvelles notions de responsabilité civique et de marché. On a reconnu plus facilement l’importance de l’enseignement supérieur du point de vue du développement économique et du renouvellement politique et culturel, puisqu’on a muté l’accent mis sur la subordination aux besoins en main d’œuvre des économies planifiées sur l’engagement envers une “société du savoir”, même s’il s’agissait du contexte de la transition post-communiste. On 55 Pour une analyse plus détaillée de la question, voir K. Hüfner (1995), présent dans ce numéro.

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a payé une attention plus pratique aux questions de gouvernement et d’administration institutionnels.

Par conséquent, cette deuxième étape a été l’étape d’un nouveau pragmatisme. Après la première étape caractérisée par l’utopie et dominée par les problèmes politico-économiques, qui a duré dans la plupart des pays jusqu’en 1992 ou 1993, on a remis l’accent sur le besoin d’élargir et diversifier l’enseignement supérieur afin de satisfaire les demandes socio-économiques. La moitié des années 1990 a été dominé par ces efforts. Plus récemment, il semble que l’attention se concentre de nouveau sur les problèmes de structure – et par conséquence, on revient au gouvernement et à l’administration (mais dans des termes bien plus pragmatiques). On reconnaît désormais bien plus facilement le besoin de systèmes et d’institutions d’être assez robustes pour faire face, premièrement aux implications pratiques de l’autonomie institutionnelle et de la liberté académique accordées après 1989 et, deuxièmement, aux tensions de l’expansion et de la diversification qui ont eu lieu au milieu des années 1990. On peut donc considérer cette troisième étape comme une période de normalisation, sous deux aspects. Le premier serait que les structures (et les mentalités) devaient systématiser et institutionnaliser les réformes post-communismes qu’on met en ouvre au présent; le deuxième serait que les agendas de l’enseignement supérieur des deux parties de l’Europe, de l’Est et de l’Ouest, convergent rapidement. La séduction de l’Ouest? Il n’est pas étonnant que ceux qui entreprennent la réforme de l’enseignement supérieur dans les pays de l’Europe Centrale et de l’Est soulignent assez souvent l’importance des modèles de l’Europe de l’Ouest (et, dans une certaine mesure, de l’Amérique du Nord) dans l’inspiration et le modelage de la reconstruction de l’enseignement supérieur de la région. Le corps enseignant et le personnel administratif avec une orientation forte vers l’Ouest ou avec une expérience directe dans l’enseignement supérieur occidental sont identifiés comme appartenant à la catégorie des adeptes les plus déterminés de la réforme, alors que ceux dont l’expérience s’est limitée aux systèmes communistes sont identifiés comme passifs, sceptiques et même réfractaires à la réforme. Dans certains pays de la région, les “rapatriés” de l’Ouest ont joué un rôle important.

Il est facile à comprendre les raisons de cette orientation. Premièrement, pendant la période communiste, l’Ouest était “l’autre” et, par conséquent, constituait un foyer pour les espoirs de ceux qui s’étaient opposés et avaient résisté aux anciens régimes. Lorsqu’on a enlevé le rideau de fer, il était naturel que cette aspiration vers l’Ouest soit exprimée par l’admiration et l’imitation de ses valeurs. Deuxièmement, plus concrètement, l’Ouest offrait des exemples d’institutions libres, qui fonctionnaient efficacement, y compris, bien sûr, des universités. C’était donc également naturel que ces institutions fournissent des modèles pour la réforme des structures totalitaires héritées de la période communiste. Le modèle occidental était particulièrement nécessaire dans le développement des écoles de commerce, qui n’avaient existé dans les universités d’avant 1989 que sous la forme guindée des facultés d’économie, et des institutions privées d’enseignement supérieur, qui n’étaient point permises pendant la période communiste.

Troisièmement, la tendance vers l’Ouest constituait un essai de relier les universités de l’Europe Centrale et de l’Est à ce qu’on nomme à présent, à la suite de la

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Déclaration de Bologne de 1999, “L’Espace européen de l’enseignement supérieur”. L’accent mis sur l’internalisation dans bien des universités d’Europe Centrale et de l’Est est une expression de cette aspiration concrète. Pourtant, cet accent porte en grande partie sur la construction de liens renforcés avec l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord. En tant que tel, il est très différent du sens attaché à l’internalisation dans les universités de l’Ouest, qui se fond déjà en quelque chose de très différent, la globalisation (Högskoleverket, 1997). Quatrièmement, on considérait l’Ouest comme une source de financement nécessaire à la reconstruction, ce qui constitue une autre raison de l’accent aigu mis sur l’internalisation.

Pourtant, cette identification avec l’Occident a rencontré certaines difficultés. La première et la plus évidente peut être résumée dans une simple question – quel Occident? Il y a plusieurs modèles d’enseignement supérieur en Europe de l’Ouest, (qui découlent de la taxonomie traditionnelle des modèles humboldtiens, napoléoniens et anglo-saxons évoqués dans la première partie de cet article, mais qui ont été considérablement modifiés par la récente massification). Il y a également un grand nombre de types différents d’institutions, universitaires et non-universitaires, dans la majorité des systèmes d’Europe de l’Ouest (le Royaume Uni et la Suède sont les seuls deux pays avec des systèmes approximativement unifiés d’enseignement supérieur). La deuxième difficulté est que le modèle occidental de l’enseignement supérieur n’est pas seulement de plus en plus pluraliste; il est aussi très changeant. Des réformes importantes ont eu lieu pendant les années 1990. Pour ne citer que deux exemples, en Angleterre, les anciennes polytechniques sont devenues des universités en 1992 et, vers la fin de la décennie, on a développé en Autriche des Fachhochschulen selon le modèle allemand, dans une multitude d’écoles professionnelles et de commerce.

En conséquence, du fait de l’approfondissement de l’engagement impliquant l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est et les universités d’Europe de l’Ouest (et d’Amérique de Nord), il est également devenu plus complexe. Juste après la période communiste, l’enseignement supérieur de l’Ouest a offert un modèle stylisé – et idéalisé ? -. Au début, on n’a pas vraiment remarqué des caractéristiques comme : la subordination à l’autorité politique, pas du point de vue des structures administratives et des régimes de financement mais, de plus en plus, de point de vue de l’assurance de la qualité et d’autres mesures de performance, étant donné que l’Etat s’était redéfini comme un client (surpuissant ?); la responsabilité devant l’opinion publique, qui a obligé les universités à “gérer” leur réputation avec un professionnalisme de plus en plus élevé; l’exposition aux influences du marché; dans l’ensemble, l’engagement volontaire envers la société. A présent, on peut remarquer une relation plus nuancée avec l’Ouest – qu’on peut expliquer partiellement par l’influence continuelle, même croissante, des partis socialistes/néo-communistes réformés dans certaines régions de l’Europe Centrale et de l’Est, mais qu’on peut attribuer principalement à une appréhension accrue des circonstances réelles de l’enseignement supérieur occidental. La restructuration de l’enseignement supérieur dans la région Le cinquième et dernier thème majeur est constitué par l’ampleur et la complexité de la restructuration des systèmes d’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est (Aaviksoo, 1997).

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Il a fallu reconstruire l’enseignement supérieur de la région à une échelle et à une vitesse qu’on n’a jamais atteint dans l’Ouest. Il a fallu faire en quatre ou cinq années des changements qui, à l’Ouest, avaient exigé une longue période de mûrissement. Par exemple, en Occident on a géré des problèmes complexes comme le rapport entre les universités et d’autres institutions d’enseignement supérieur et entre l’enseignement supérieur et la recherche par un long processus de réforme et de négociation qui a duré plusieurs décennies. En Europe Centrale et de l’Est, il a fallu résoudre les problèmes de ce genre immédiatement après 1989.

Dans certains pays, la reconstruction a été totale. Il a été nécessaire de commencer avec les premiers principes. Il n’a pas fallu seulement entièrement refaire le cadre juridique où fonctionnaient les institutions d’enseignement supérieur, mais il a été également nécessaire de reconsidérer la mission fondamentale des institutions et leur articulation dans des systèmes plus larges. Autrement dit, la restructuration institutionnelle a eu lieu sur le fond d’une incertitude normative qui n’avait jamais existé dans l’Ouest.

Il n’y a pas eu de solutions-type qu’on puisse appliquer dans la région. Les différents pays de l’Europe Centrale et de l’Est ont réussi plus ou moins dans leurs tentatives d’accomplir la réforme économique (ce qui a déterminé leur capacité de financer et d’administrer la réforme de l’enseignement supérieur), et ils ont adopté des positions différentes par rapport à leur passé communiste (ce qui a influencé leur volonté d’entreprendre la réforme). Pourtant, les modèles institutionnels et les processus administratifs ont été différents à travers la région. Par exemple, dans certains pays, il y a eu le besoin de renforcer l’université en tant qu’institution centrale au détriment des parties constitutives; dans d’autres, de décentraliser la prise de décisions. Donc, même lorsqu’on a suivi des objectifs communs, il a été nécessaire de trouver des solutions différentes (EURYDICE, 1997, 1999).

A l’exception d’un nombre réduit d’institutions, qui ont reçu un soutien financier généreux de l’extérieur de la région et/ou ont pu établir des taxes élevées puisqu’elles se concentraient sur des cours dans le domaine de l’administration et de la technologie de l’information, l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est a été extrêmement sous-financé (Dincă et Damian, 1997). Ce sous-financement a affecté de manière défavorable la situation du corps enseignant (obligé souvent à se charger de plusieurs postes d’enseignant, surtout dans les institutions privées d’enseignement supérieur) et a entravé de manière considérable les essais d’accomplir un renouvellement institutionnel. Bien qu’il y ait, dans certains pays de la région, des signes que la transition vers l’économie de marché a (relativement) réussi, et que la région ait connu, pendant les années 1990, un taux de développement économique qui a dépassé substantiellement celui de l’Europe de l’Ouest, la restructuration économique de la région dans l’ensemble est loin d’être complète (et il y a des difficultés spécifiques quant à la reconstitution d’un secteur public viable et moderne qui inclue la majorités des éléments des systèmes d’enseignement supérieur). L’un des résultats est que les institutions publiques sont devenues semi-privatisées, étant de plus en plus dépendantes du revenu provenant des taxes. Le “secteur privé” est à l’intérieur, non pas à l’extérieur.

Les systèmes d’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est ont subi un remodelage considérable depuis l’effondrement du communisme. Au niveau systémique, trois caractéristiques générales sont peut-être particulièrement importantes.

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La première est que, dans certains pays, on a développé un secteur privé important (qui, du point de vue de la proportion du nombre d’étudiants, est plus grand que dans presque tout pays de l’Europe de l’Ouest). Certains considèrent le secteur privé comme plus dynamique et plus flexible que l’enseignement supérieur soutenu à l’aide de fonds publics. Il n’est pas clair si le secteur privé se développera, en accord avec la tendance globale de privatisation de l’enseignement supérieur, ou diminuera, puisque, lorsque les institutions qui bénéficient de fonds publics deviennent plus flexibles et on leur met à la disposition plus de ressources, les institutions privées perdront leur avantage comparatif. La Pologne a le nombre le plus élevé d’institutions privées. Dans certains pays, comme la Roumanie, le développement des institutions privées a rencontré des obstacles encore plus importants.

La seconde caractéristique est l’intégration dans le cadre des universités des instituts de recherche, administrés autrefois par les académies de sciences ou par les ministères centraux, afin d’obtenir ainsi une meilleure intégration de l’enseignement et de la recherche et pour obtenir en égale mesure des ressources supplémentaires pour le corps enseignant. Pourtant, bien que ce soit un processus général, la tendance vers l’incorporation présente un caractère inégal. Souvent, on ne peut pas dire avec précision si on a accompli ou pas une intégration véritable. Il semble que cette situation risque de durer.

La troisième caractéristique va dans le sens des efforts faits en vue de créer des systèmes binaires systématiques. Pendant l’époque communiste, l’enseignement supérieur non-universitaire était décrit au mieux comme pré- ou photo-binaire. L’enseignement avancé à l’extérieur des universités a généralement pris deux formes: a) des institutions mono-techniques spécialisées (administrées souvent par d’autres ministères que celui de l’éducation – ou de l’enseignement supérieur) et b) des écoles techniques supérieures, dont l’essence était souvent liée plutôt à l’enseignement secondaire. Pendant les années 1990, bien de pays de l’Europe Centrale et de l’Est ont décidé sinon pas d’intégrer tout simplement les institutions mono-techniques dans des universités à plusieurs facultés, au moins de développer des cadres communs de planification, et d’améliorer aussi les écoles techniques supérieures (ce qui a impliqué souvent, comme en Hongrie, des fusions, dans le but de créer des institutions de plus grande envergure). Conclusions Les deux catégorisations-type de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est sont l’exceptionnalisme (l’idée que l’enseignement supérieur de la région est catégoriquement différent, soit dans un sens négatif, à cause de l’expérience démoralisante du gouvernement communisme, soit dans un sens positif, puisqu’il a été capable d’entreprendre des réformes radicales qui n’avaient pas été possibles dans l’Ouest); et le sous-développement (l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est a été à la traîne de l’enseignement supérieur occidental, qui offre le seule modèle de développement). Pourtant, aucune des catégorisations n’est satisfaisante. Toutes les deux saisissent seulement les éléments de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est qui ont été affectés de la manière la plus directe par l’expérience du gouvernement communiste, et qui diminuent en importance, au détriment de la totalité.

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L’exceptionnalisme Il est évident que, entre 1945 et 1989, le développement de l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est a été modelé de manière décisive par l’expérience du gouvernement communiste. Pourtant, cette influence a été considérée sous trois aspects:

• L’expérience du gouvernement communiste a varié par rapport aux différents pays de la région et aux différentes périodes de temps.

• L’enseignement en Europe Centrale et de l’Est n’a pas été hermétiquement sécurisé contre les influences externes.

• Les impératifs de la modernisation ont modelé l’enseignement supérieur de l’Est et de l’Ouest à la fois.

Le sous-développement La seconde catégorisation, celle concernant le fait que l’enseignement en Europe Centrale et de l’Est est sous développé, est aussi peu satisfaisante. Il y a sans doute certains égards (limités) où la notion de sous-développement peut être utile. L’égard le plus évident est le taux plus réduit de développement en termes de nombre d’étudiants après 1970, ce qui pourrait signifier, dans un sens quantitatif, que l’enseignement supérieur en Europe Centrale et de l’Est soit moins mûr que celui en Europe de l’Ouest ou en Amérique. Comme on l’a déjà souligné, il y avait peu de différences entre les taux de développement de l’Est et de l’Ouest avant 1970. Seulement la stagnation des dernières deux décennies de gouvernement communiste a contribué à la création d’un écart. Bien que l’Europe Centrale et de l’Est ait connu la première vague d’expansion de l’enseignement supérieur d’après-guerre, dans la plupart des pays de la région la seconde vague a été en retard jusqu’après l’effondrement du communisme en 1989.

On pourrait dire que la réduction des taux de développement d’après 1970 signifierait que les institutions ont eu moins de stimulants pour innover, et qu’elle aurait contribué au conservatisme sous-jacent de l’enseignement supérieur dans la région (ce qui était, sans doute, un autre produit des cultures politiques et des systèmes sociaux qui ont prédominé jusqu’en 1989). Mais, il faut aussi prendre en considération avec attention l’argument concernant les effets évolutionnistes de l’expansion retardée. Dans le cadre de l’Europe de l’Ouest, il y avait des variations importantes en ce qui concerne la synchronisation de la deuxième vague d’expansion d’après-guerre.

Les questions qui préoccupent l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est sont en grande partie similaires à ceux qui préoccupent l’enseignement supérieur d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Nord: l’équilibre, dans le cadre des institutions, entre l’administration centrale et les facultés, les écoles ou les départements; le rapport entre la recherche et l’enseignement; la livraison des programmes d’enseignement supérieur (liée souvent à un agenda régional); la tension entre la planification systémique et l’initiative institutionnelle; le maintien de la diversité institutionnelle dans des systèmes de plus en plus “changeants”; de nouveaux modèles de financement où l’importance des taxes d’études et de l’exploitation de la propriété intellectuelle (dans le sens le plus large) croît au détriment du financement par l’Etat; et le renouvellement de la profession académique (en ce qui concerne le recrutement et le recyclage).

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Des caractérisations alternatives? Il y a deux caractérisations de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est qui semblent être plus prometteuses que l’exceptionnalisme ou le sous-développement. La première met l’accent sur l’importance des dimensions spatiales et comporte deux aspects distincts.

Bien qu’on n’ait pas effectué un nombre suffisant de recherches pour comparer l’expérience des “grands” pays, comme la Pologne ou la Roumanie, avec celle des “petits” pays, comme la Lituanie ou la Slovénie, les études d’autres pays suggèrent qu’on peut obtenir des résultats considérables par ce type d’approche. Par exemple, une étude récente sur la prise de décisions éducationnelles en Angleterre, Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord (les parties constitutives du Royaume Uni) a souligné l’importance de l’ampleur dans la création des communautés de politique générale adéquates, qui modèlent les cadres de direction et qui influencent les transferts de politiques (Raffe et al., 1999). On pourrait soutenir qu’il est plus plausible que les réformes et les autres initiatives politiques apparaissent dans des “grands” pays, puisque la pluralité d’intérêts crée un environnement plus créatif, mais qu’il est plus facile à les mettre en œuvre dans les “petits” pays, grâce à la proximité accrue des réseaux administratifs et politiques.

La cohérence de l’Europe Centrale et de l’Est a été directement dépendante de son incorporation dans le bloc communiste. L’artificialité de cette incorporation a été dévoilée par l’effondrement du système communiste. Premièrement, les anciennes affinités réapparaissent – autour de la Baltique, dans les Balkans et même dans le vieux concept de Mitteleuropa du Dix-neuvième siècle. Deuxièmement, on crée des groupes ou on élargit ceux existants, les meilleurs exemples dans se sens étant l’Union Européenne et, relativement à celle-ci, le projet de créer jusqu’en 2010 un Espace européen de l’enseignement supérieur. Troisièmement, l’impact de la globalisation devient plus intense. Prises ensemble, ces trois tendances produisent des changements importants quant à l’identité nationale (et individuelle) et l’orientation de tous les systèmes socio-économiques, y compris les systèmes d’enseignement supérieur.

La seconde caractérisation souligne la relation qui se développe entre l’enseignement supérieur et ce qu’on nomme la “société du savoir”. Aucun des trois aspects de la tradition universitaire européenne – humboldtien, napoléonien ou anglo-saxon – n’est pas nécessairement compatible avec un projet d’enseignement supérieur de masse du genre de celui qu’on a essayé aux Etats-Unis. Tous gardent des éléments qui peuvent inhiber l’engagement total de l’enseignement supérieur vers “la société du savoir”. L’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est et celui d’Europe de l’Ouest se ressemblent à cet égard. La “société du savoir” est, sans doute, un phénomène hybride – ou, plus précisément, un ensemble de phénomènes intimement liés. Le plus souvent, on met l’accent sur l’importance croissante des technologies de l’information et de la communication, sur le pouvoir de plus en plus grand des marchés mondiaux et de type 24 heures sur 24 et sur le triomphe apparent de l’idéologie néolibérale. Pourtant, il y a d’autres phénomènes d’une importance similaire, ou même plus importantes, notamment la résistance (globale) aux marchés globaux, ce qu’on appelle la “société du risque” et, d’une importance particulière pour l’enseignement supérieur, les nouveaux modèles de production du savoir distribué sur une échelle plus large.

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A certains égards, l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est peut se trouver en avantage. Par exemple, il est possible que le déclin de l’autorité de l’Etat et de l’exigence financière ait réduit les barrières de la privatisation à un niveau opérationnel même si, à un niveau normatif, la nostalgie d’un idéal classique de l’Université peut représenter une inhibition. A d’autres égards, l’enseignement d’Europe Centrale et de l’Est peut être désavantagé. Par exemple, son exposition à la globalisation est réduite dans une bonne mesure et les systèmes de production du savoir distribué sont moins développés. Mais, la somme de ces avantages et désavantages comparatifs peut conduire à un équilibre et, en tout cas, elle constitue une réflexion mineure si on considère les défis plus importants auxquels les systèmes d’enseignement supérieur doivent faire face lorsqu’ils sont confrontés à ces nouvelles formes sociales, économiques et culturelles.

Aucune des caractérisations n’est assez développée pour contester certaines des suppositions faites au sujet de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est – qui, malgré l’évidence, reflète encore les caractérisations de l’exceptionnalisme et du sous-développement. Cependant, ces deux caractérisations sont dignes d’une élaboration supplémentaire. La première interprétation, spatiale, serait plus adéquate pour expliquer les différences qui apparaissent dans la région (et qui ont subsisté, dans une forme réprimée, pendant toute la période communiste). La deuxième interprétation pourrait offrir une explication meilleure des inhibitions, même du conservatisme occasionnel de l’enseignement supérieur de la région – en mettant l’accent pas seulement sur les particularités de l’expérience communiste, mais aussi sur les caractéristiques communes de la tradition universitaire européenne, qui est peut-être de masse, du point de vue de son ampleur et de sa structure, mais qui est élitiste et hiérarchique en ce qui concerne ses valeurs fondamentales (sans doute, par contraste avec le système d’enseignement supérieur américain, plus ouvert). Si on considère l’une des interprétations, ou toutes les deux, comme présentant une certaine importance, les défis auxquels se confronte l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est apparaissent dans une nouvelle lumière, pas comme un “rattrapage” de l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est, un projet limité (qui limite ?), mais comme une partie d’une entreprise plus vaste de réorientation de l’ensemble de l’enseignement supérieur européen, en tendant au-delà des élites anciennes et nouvelles, culturelles ou techniques, vers les communautés qui constituent l’Europe moderne, et en considérant le potentiel des nouvelles synergies entre le savoir et la société et l’économie, l’identité et la culture. Ce n’est pas l’enseignement supérieur d’Europe Centrale et de l’Est qui est en transition, c’est l’enseignement dans son ensemble. REFERENCES AAVIKSOO, J. “Priorities for Higher Education in Central and Eastern European Countries”, Higher Education Management. Paris: OCDE, 1997. DARVAS, P. “The Future of Higher Education in Central-Eastern Europe: Problems and Possibilities”, European Review (Octobre 1998).

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La recherche et la formation dans l’enseignement supérieur : l’état actuel 56 PHILIP G. ALTBACH L’auteur présente un tour d’horizon dans le domaine des études concernant l’enseignement supérieur, en citant les collections de publications et les journaux pertinents qui traitent du sujet, les institutions les plus importantes de par le monde qui offrent des études de niveau universitaire dans le domaine, et les antécédents de l’initiative. Cette question est de plus en plus importante puisque les systèmes et les institutions d’enseignement supérieur se développent, se diversifient et deviennent de plus en plus complexes, nécessitant des perspectives plus nombreuses et plus profondes en ce qui les concerne, pour des buts variés. Il est nécessaire que le domaine exploite les conclusions d’une manière plus adéquate dans les domaines pluridisciplinaires parallèles et qu’on publie les résultats des initiatives institutionnelles privées telles que la recherche institutionnelle. L’article fait des pronostics très optimistes au sujet des études sur l’enseignement supérieur. Dans la majorité des pays, l’enseignement supérieur est devenu une entreprise vaste et complexe. Les universités et d’autres institutions post-secondaires ont grandi, en développant des structures administratives élaborées qui nécessitent des dépenses majeures de fonds publics et, souvent, privés. Plus important encore, peut-être, on considère l’enseignement post-secondaire comme un élément central de la société moderne. On compte les universités parmi les moteurs principaux de l’époque post-industrielle et de l’économie basée sur le savoir. De plus, l’enseignement supérieur est une entreprise vaste, en expansion, complexe. Les institutions académiques seules emploient des milliers de personnes et instruisent des dizaines de milliers ou, dans certains cas, des centaines de milliers. On offre des diplômes en une multitude de disciplines et de spécialisations. En 1971, Eric Ashby a caractérisé le système académique américain comme offrant “toute sorte d’études à n’importe qui”, en soulignant sa diversité et son accessibilité (Ashby, 1971) et son évolution de l’élite vers l’enseignement supérieur de masse. Les nations industrialisées, au moins, ont atteint l’accès de masse, et plusieurs pays ont passé à un accès semi universel, en inscrivant la moitié du groupe d’âge concerné. Les pays en voie de développement, même enregistrant un retard, subiront un développement durant les décennies suivantes (La Banque Mondiale, 2000).

Dans ce contexte, il y a un grand besoin de connaissances et de données concernant tous les aspects de l’enseignement supérieur et un besoin encore plus grand de compréhension affinée de la nature des institutions académiques. Cela nécessite une direction profonde et compétente. La recherche sur l’enseignement supérieur et la formation dans l’art et la science de l’administration et la direction académique sont importantes pour le futur de l’université. Les décideurs de l’extérieur des institutions 56 Cet essai est une version revue et actualisée de Philip G. Altbach, “Recherche sur l’enseignement supérieur: Perspectives globales,” in, Sadlak et Altbach (1997). Voir aussi Teichler et Sadlak (2000).

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académiques, se trouvant dans le gouvernement et dans le secteur privé, qui exercent un pouvoir de plus en plus grand sur le futur de l’université, requièrent des connaissances et des analyses pour coordonner efficacement ces systèmes et ces institutions complexes.57 UN DOMAINE NAISSANT La recherche sur l’enseignement supérieur constitue un domaine relativement nouveau pour les préoccupations des spécialistes. Jusqu’au milieu du Vingtième siècle, dans la plupart des pays, les institutions d’enseignement supérieur étaient de petite taille et jouissaient d’une autonomie considérable. Bien qu’on considère les universités comme quelque chose d’important, elles n’étaient pas des institutions sociales majeures. Les spécialistes en sciences sociales ont préféré concentrer leur attention dans d’autres directions, sur des sujets qui pouvaient produire des théories susceptibles de généralisation. Ceux qui s’intéressaient à la pédagogie et à l’enseignement étaient en général axés sur les écoles primaires et secondaires, et non pas sur l’enseignement supérieur. Par conséquent, l’enseignement post-secondaire a été ignoré par les chercheurs travaillant dans le domaine de l’enseignement, aussi bien que par les spécialistes en sciences sociales.

L’absence d’intérêt, de la part des institutions académiques et des entités responsables du financement de l’enseignement supérieur, pour la recherche concernant l’université, a signifié un financement et un soutien insuffisants pour la recherche. Les universités avaient un modèle traditionnel de gouvernement et d’organisation. Les administrateurs des universités étaient recrutés parmi les professeurs de niveau supérieur et il y en avait peu qui souhaitaient poursuivre une carrière dans l’administration. Les actuelles structures académiques complexes des institutions d’enseignement supérieur n’existaient pas à l’époque. On ne fournissait aucune sorte de formation à ceux qui occupaient des positions de direction.

Les raisons du manque de données, de recherches et d’analyses concernant l’enseignement supérieur peuvent nous donner une idée sur l’origine du domaine. Peu de personnes prétendent que l’étude de l’enseignement supérieur soit une discipline académique dans le sens propre du mot. Par conséquent, les structures impliquées par une discipline scientifique – départements académiques, chaires et ainsi de suite – manquent en grande partie. Cela est dû en partie au fait que l’enseignement supérieur n’a pas de base disciplinaire et n’a aucun foyer académique clair. Aux Etats-Unis, au Royaume Uni, au Canada et en Australie, des pays avec une tradition académique anglo-saxonne, mais aussi dans d’autres pays, l’étude de l’enseignement supérieur a été incorporée dans la recherche et dans les activités d’enseignement des universités, surtout des écoles d’éducation, où on la considère souvent comme secondaire par rapport aux missions principales de ces unités.58

L’étude de l’enseignement supérieur est un effort interdisciplinaire – ce qui constitue à la fois un avantage et une faiblesse. C’est un avantage puisque des chercheurs de plusieurs disciplines des sciences sociales – y compris, mais sans se limiter à la sociologie, les sciences politiques, la psychologie, l’économie et l’histoire – ont contribué considérablement au développement de la recherche dans le domaine de l’enseignement

57 Pour une réflexion antérieure sur des sujets similaires, voir Altbach (1985). 58 Voir les chapitres relevants de Sadlak et Altbach (1997).

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supérieur. Les chercheurs dans le domaine des études éducationnelles ont commencé peu à peu à manifester un intérêt croissant pour l’enseignement supérieur. Cela inclut les spécialistes en programmes d’étude, les responsables éducationnels et d’autres qui travaillent actuellement sans le domaine du post-secondaire.

Le nombre réduit de chercheurs axés sur l’enseignement a constitué un obstacle pour l’apparition d’un domaine distinct. En partie à cause du fait que la recherche sur l’enseignement supérieur n’a pas une méthodologie établie, constituant un domaine interdisciplinaire. Elle emprunte des aspects d’autres domaines. De nouveau, cette caractéristique est à la fois un point fort et une faiblesse. L’interdisciplinarité a créé la possibilité d’une recherche originale et très innovatrice. D’autre part, elle a empêché la création d’une communauté permanente de recherche.

Jusqu’à récemment, il y a eu relativement peu de sollicitations de données et d’analyses sur l’enseignement supérieur de la part des utilisateurs potentiels. Les institutions académiques elles-mêmes étaient régies conformément aux normes traditionnelles et, jusqu’à l’époque d’après la Deuxième Guerre mondiale, elles étaient assez réduites. Les gouvernements avaient tendance à accorder aux institutions académiques une autonomie considérable, même si l’enseignement post-secondaire était en grande partie financé par l’Etat. Lorsqu’on prenait des décisions, les données et les analyses basées sur la recherche n’étaient pas considérées comme utiles pour le processus de prise des décisions.

Le financement stimule la recherche ; pourtant, jusqu’ici il y avait peu de fonds disponibles pour la recherche sur l’enseignement supérieur. Les rares exceptions n’ont pas perduré et, alors qu’on fournissait des données et des analyses, la recherche n’était pas soutenue. Par exemple, les efforts majeurs de réformes du Royaume Uni (la Commission Robbins) et de la Suède (le Rapport U-68) ont stimulé la recherche (Robbins, 1966). Plus récemment, des initiatives gouvernementales telles que le renoncement, décidé par le gouvernement Thatcher, au système binaire pendant les années 1980 ou, encore plus récemment, la Commission Dearing, n’ont pas été accompagnées par des études majeures de recherche. La Fondation Carnegie pour le développement de l’enseignement aux États-Unis et Leverhulme Trust du Royaume Uni ont soutenu des importantes études sur l’enseignement supérieur afin de comprendre les systèmes universitaires qui se trouvaient en plein changement et se confrontaient à des défis considérables.59

Dans le cadre de l’enseignement supérieur, il y a certains domaines qui présentent une base de recherche assez solide. Par exemple, l’économie de l’enseignement supérieur est un sujet de grand intérêt dans une période où l’allocation des ressources est une préoccupation importante. L’Institut de recherche sur l’économie de l’éducation de Dijon,

59 Au début des années 1970, sous la direction de Clark Kerr, la Commission Carnegie pour l’enseignement supérieur a financé plus de cinquante volumes qui ont offert une base de recherche extraordinaire pour l’enseignement supérieur américain. La Commission a publié aussi un nombre de rapports orientés sur les politiques. A la fin de la décennie, sous la même direction de Kerr, le Conseil Carnegie pour l’étude de politiques dans l’enseignement supérieur a financé des études et des rapports supplémentaires. Ces efforts extraordinaires ont été financés par la Fondation Carnegie pour le progrès de l’enseignement. La Fondation continue à s’impliquer activement dans le soutien de la recherche et manifeste un intérêt spécial vis-à-vis des études orientées sur les politiques. Presque en même temps, le Leverhulme Trust du Royaume Uni a sponsorisé au moins une douzaine de volumes concernant l’enseignement supérieur à la suite du Rapport Robbins.

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France et l’Institut pour la recherche dans l’enseignement supérieur de l’Université de Pennsylvanie se sont concentrés tous les deux sur les problèmes économiques de l’enseignement supérieur. Le rassemblement d’informations statistiques concernant l’enseignement supérieur a été considéré comme une priorité par l’UNESCO, qui s’est impliqué dans ce domaine pendant plusieurs décennies. L’Organisation pour la Coopération et le Développement Économiques (OCDE) et la Banque Mondiale se sont également impliquées dans la compilation statistique. Aux Etats-Unis, le Centre national pour la statistique éducationnelle du gouvernement des Etats-Unis a développé récemment des initiatives destinées à assurer des statistiques internationales exactes quant à l’enseignement supérieur. Les agences nationales de beaucoup de pays rassemblent des statistiques nationales, mais on fait peu d’efforts en vue de corréler ces statistiques ou d’assurer la compatibilité entre celles-ci. Malgré ces efforts, on ne dispose pas d’informations statistiques cohérentes, sûres et comparatives relatives à l’enseignement supérieur. Étant donné que les systèmes académiques du monde se confrontent à des problèmes similaires et à cause de l’augmentation du nombre d’étudiants internationaux et de la mobilité du corps enseignant, on nécessite des données statistiques cohérentes. Les études comparatives sur l’enseignement supérieur constituent aussi une tendance identifiable dans la littérature du genre et elles sont destinées à offrir aux décideurs une base de comparaison. La recherche comparative, dans le sens propre du mot, est à la fois difficile et coûteuse, et il n’est pas étonnant qu’il y ait peu d’études comparatives.60 Les compilations d’études de cas concernant un thème spécifique sont plus fréquentes.61

Bien des recherches et des données concernant l’enseignement supérieur n’ont pas été formellement publiées dans des livres et des revues standard et on peut les considérer comme faisant partie d’une “littérature grise” à laquelle on accède difficilement et qui, souvent, n’est pas disponible dans les bibliothèques ou dans d’autres collections. Ces données concernent souvent des institutions académiques individuelles et sont diffusées seulement dans le cadre limité de l’institution. Les rapports gouvernementaux ou d’autre nature sont fréquemment publiés seulement pour une audience limitée, et on ne fait aucun effort pour les diffuser sur large échelle. De la même manière, bien des études commandées par la Banque Mondiale sont considérées confidentielles et ne sont pas disponibles à la communauté des chercheurs.

L’enseignement supérieur, après presque un siècle de développement intellectuel en tant que domaine de recherche, a développé une littérature, un réseau de communications et une communauté de chercheurs assez importants. Les responsables de la planification et de l’administration des systèmes et des institutions d’enseignement supérieur reconnaissent la nécessité des données et de leur interprétation. Pourtant, il n’y a pas de théories largement acceptées dans le domaine. Les décideurs et les administrateurs considèrent souvent que les résultats des recherches entreprises par la communauté des chercheurs ne sont pas directement applicables. Pourtant, le domaine a grandi et a mûri. L’EXPANSION ET LE DEVELOPPEMENT D’UNE INFRASTRUCTURE DE LA RECHERCHE SUR L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

60 Voir Altbach (1996) pour un exemple récent d’étude comparative. 61 Les exemples de cette tendance de la recherche incluent Neave et van Vught (1994) et Altbach (2000).

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En grande partie, le domaine de la recherche dans l’enseignement supérieur s’est développé du fait des conditions qui ont créé la nécessité d’une recherche de ce genre, aussi bien que les moyens pour la mener. 62 Les circonstances objectives de l’enseignement supérieur ont changé: l’accroissement du nombre d’inscriptions, du corps enseignant et des budgets, l’accent mis sur la mission de recherche des universités et l’importance de l’enseignement supérieur dans la société post-industrielle sont tous des sujets qui ont stimulé l’attention prêtée à l’enseignement supérieur dans la plupart des sociétés. Voilà en ce qui suit quelques-uns des facteurs qui ont contribué à l’expansion de la recherche dans l’enseignement supérieur et à l’infrastructure de plus en plus complexe du domaine.

Puisque les institutions académiques se développent, elles ont besoin de plus d’informations sur elles-mêmes, y compris sur des questions telles que les tendances des inscriptions, les données concernant le taux de réussite des étudiants, et de l’information sur le corps enseignant et le personnel administratif. Ce rassemblement de données porte le nom de “recherche institutionnelle” et se concentre sur une seule institution, mais elle présent de l’intérêt pour un public élargi.63 Il y a des bureaux de recherche institutionnelle dans des milliers d’institutions académiques de par le monde. Ils sont fréquents dans les grandes universités de pays comme les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Australie et le Canada et sont d’une importance croissante en Europe de l’Est et au Japon. Ailleurs, la recherche institutionnelle est moins organisée, mais elle est généralement accomplie comme partie de l’activité administrative des universités.64 Les réseaux de chercheurs dans ce domaine sont bien organisés en Amérique du Nord et en Europe.65 Le résultat des missions de recherche institutionnelle des universités individuelles constitue probablement la partie la plus importante de la recherche dans l’enseignement supérieur. Pourtant, bien des recherches présentent seulement un intérêt local, et on n’arrive à mettre à la disposition d’un public élargi qu’une petite partie.

On a créé dans certains pays, autour des universités ou des départements, des centres axés sur l’enseignement supérieur, dans le but de former les chercheurs et les professionnels de l’enseignement supérieur. Ces départements et ces programmes universitaires, se trouvant principalement dans des institutions académiques de pays anglo-saxons, ont également constitué la source de beaucoup de recherches. Il y a probablement presque 200 programmes basés sur l’université dans le monde entier. Seulement aux Etats-Unis, presque 100 universités ont des programmes d’enseignement supérieur se déroulant dans des écoles d’enseignement qui offrent des degrés post-baccalauréat. Alors que bon nombre de ces programmes américains sont peu importants 62 En 1981, l’UNESCO a publié un catalogue des instituts de recherche dans l’enseignement supérieur. Voir Sadlak (1981). 63 Les chercheurs institutionnels sont organisés en plusieurs groupes nationaux et régionaux. L’Association pour la recherche institutionnelle (AIR) des États-Unis est une des plus grandes organisations axées sur la recherche du monde. En Europe, l’Association européenne pour la recherche institutionnelle (EAIR) a élargi son intérêt au-delà de la recherche institutionnelle, en se concentrant aussi sur des questions plus générales de l’enseignement supérieur. 64 En Chine, par exemple, il y a environ 400 instituts et centres d’enseignement supérieur auprès des universités. Bon nombre d’entre eux fournissent aux institutions qui les soutiennent des données et des analyses de recherche institutionnelle. 65 Aux États-Unis, l’Association pour la recherche institutionnelle a joué un rôle actif pendant plusieurs décennies, alors que l’Association européenne pour la recherche institutionnelle est plus récente et reflète un intérêt croissant pour la question.

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et manquent d’intérêt spécial pour la recherche, certains ont contribué considérablement à la recherche dans ce domaine, parmi les plus importants se trouvant l’Université de Californie de Los Angeles, l’Université d’Etat de Pennsylvanie, l’Université de Michigan, l’Université de Pennsylvanie et d’autres. Des exemples européens importants en la matière sont le Centre pour la recherche sur l’enseignement supérieur et le travail de l’Université de Kassel, en Allemagne, le Centre pour l’étude des politiques dans l’enseignement supérieur (CHEPS) de l’Université de Twente, aux Pays-Bas, et l’Institut pour l’étude sur l’enseignement supérieur de l’Université de Londres. Les centres de Kassel et Twente, par exemple, ont mené des recherches importantes pour l’Union Européenne et pour certaines agences, et ils ont publié un bon nombre d’études de cas. Ces centres, à la différence de leurs homologues américains, n’offrent pas de formation de niveau universitaire pour les professionnels.

L’Institut de recherche pour l’enseignement supérieur de l’Université de Hiroshima, un centre similaire de l’université Tsukuba de Tokyo, et une demi-douzaine de nouveaux centres d’enseignement supérieur situés dans les universités nationales importantes constituent des exemples japonais (y inclus les universités de Nagoya et Kyoto), alors que l’Institut d’enseignement supérieur de l’Université de Beijing et l’Institut d’enseignement supérieur de l’Université de Xiamen sont les plus importantes institutions chinoises. Certains de ces centres autour des universités se concentrent principalement sur la recherche; d’autres, sur l’enseignement. Pourtant, hors des pays anglophones, il y a peu de programmes universitaires qui offrent des études de degré dans l’enseignement supérieur, même si leur nombre est de plus en plus élevé. Certains instituts autour des universités sont financés par le gouvernement. Par exemple, le Centre national pour le développement de l’enseignement post-secondaire, qui se trouve de nos jours à l’université Stanford des Etats-Unis, est financé par le gouvernement fédéral dans le but de mener des recherches destinées au développement de l’enseignement supérieur.

Les gouvernements ont besoin de recherches et de données nationales pour la planification de l’enseignement supérieur, l’allocation des fonds et des buts connexes. Dans certains pays, on a créé des instituts nationaux de recherche et on a financé la collection de données et la recherche sur l’enseignement supérieur.66 Ponctuellement, des agences soutenues par le gouvernement participent à l’innovation et à la réforme de l’enseignement supérieur. Ces agences sont responsables du rassemblement d’informations statistiques concernant l’enseignement supérieur, et certaines d’entre elles ont aussi une mission de recherche. Les instituts de recherche sont très différenciés pour ce qui est de leur taille, leur mission et leur orientation. Certains sont associés aux institutions académiques, alors que d’autres fonctionnent auprès des ministères de l’éducation. Au Japon, par exemple, le centre de l’université de Hiroshima est financé par le gouvernement national dans le but de rassembler des données et d’effectuer des analyses concernant l’enseignement supérieur japonais, aussi bien que les tendances de l’étranger.

On a créé dans beaucoup de pays des agences étatiques de coordination et planification, et ces organisations financent parfois des recherches et rassemblent des

66 Des exemples d’organisations nationales focalisées sur les informations et la recherche dans l’enseignement supérieur sont, parmi bien d’autres, le Hochschul-Information-System (HIS) de l’Allemagne, l’Institut de recherche sur l’enseignement supérieur, en Russie, et le Centre national pour les statistiques éducationnelles (NCES), aux États-Unis.

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statistiques pour les aider dans leur activité. Ces agences ont été créées dans les années 1960 voire, dans certains cas, plus récemment, pendant la période d’expansion de l’enseignement supérieur, afin de satisfaire le besoin d’informations et d’analyses pertinentes. Qu’on ne s’étonne pas du fait que les anciens pays “socialistes” de l’Europe Centrale et de l’Est et de l’ancienne Union Soviétique, avec leurs économies de planification centralisée, aient créé des grandes agences de recherche sur l’enseignement supérieur pour fournir les données nécessaires pour la planification et le développement, ainsi que pour la coordination avec les autres entités économiques et politiques.67 Le Conseil pour le financement de l’enseignement supérieur de l’Angleterre (HEFCE) est l’organisme gouvernemental responsable de l’allocation de fonds aux institutions académiques. Il mène aussi des recherches de moindre envergure. L’Écosse a une agence similaire. Aux États-Unis, la majorité des gouvernements des États comportent des organismes de coordination pour l’enseignement supérieur financé par l’Etat et, dans certains cas, ces agences rassemblent et publient des recherches. Le gouvernement fédéral des États-Unis ramasse des données, publie des analyses sur les développements de l’enseignement supérieur et commande certaines recherches par le biais d’agences de ce genre, comme le Centre national pour les statistiques éducationnelles. La Commission pour les Subventions de l’Université Indienne comporte une fonction de recherche et elle est responsable de l’allocation aux institutions d’enseignement des fonds pour la recherche et d’autres fonds provenant du gouvernement national. Le Conseil coréen semi-gouvernemental pour l’enseignement universitaire a des responsabilités concernant le financement et la coordination et il finance également certaines recherches. D’autres pays ont des agences et des organisations similaires.

Les associations universitaires de bien des collèges entreprennent des recherches au niveau interne et, dans une centaine mesure, sur le plan international. Aux États-Unis, le Conseil américain pour l’éducation (ACE), l’Association nationale des universités et des collèges d’État (NASULGC), le Conseil des écoles supérieures, et beaucoup d’autres entités ont entrepris des recherches et ont diffusé des informations concernant leurs missions. L’institution allemande Hochschulrektoren Konferenz (HRK) finance des publications et sponsorise certaines recherches. L’Association des universités indiennes publie des livres et des journaux et soutient certaines recherches. Ce sont seulement quelques exemples d’organisations soutenues par les universités, qui mènent des recherches et des analyses et qui représentent en même temps les intérêts des institutions d’enseignement supérieur devant le gouvernement et le public. Au niveau régional, l’Association des universités africaines (AUA) et l’Association des universités européennes (AUE) diffusent des informations et soutiennent des travaux analytiques concernant les différents aspects de l’enseignement supérieur et de la politique de la science. Pendant plus de cinquante ans, l’Association internationale des universités (AIU) a promu la recherche et la diffusion au niveau international.68

Les organisations internationales et régionales sont parmi les plus importantes en termes de rapprochement de spécialistes en l’enseignement supérieur et de création d’un 67 Pour une analyse détaillée de ce sujet, voir H. Jabłońska-Skinder et J. Sadlak, in Sadlak et Altbach (1997), pp. 137-161. 68 Récemment, l’Association internationale des universités (AIU) a joué un rôle actif dans le soutien des publications traitant de problématiques de l’enseignement supérieur, en rétablissant de cette manière une ancienne tradition. L’AIU Press, en coopération avec les éditions Pergamon, finance une série d’ouvrages importants, publiés par Pergamon Publishers, ainsi que la revue Higher Education Policy.

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forum de discussion concernant les problèmes dans l’enseignement supérieur. L’UNESCO s’est impliquée dès le début dans l’enseignement post-secondaire, en finançant un grand nombre de conférences, en stimulant la recherche et en publiant des ouvrages et des rapports. L’UNESCO a également créé des bureaux régionaux qui se concentrent sur l’enseignement supérieur, comme le Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur (UNESCO-CEPES) de Bucarest, Roumanie, et l’Institut international pour l’enseignement supérieur de l’Amérique latine et des Caraïbes (IESALC) de Caracas, Venezuela. La Banque Mondiale a financé des recherches et a distribué des publications concernant l’enseignement supérieur. Bien que beaucoup de ses recherches concernent des projets et des prêts de la Banque Mondiale et ne sont pas disponibles au public, on a publié un nombre de plus en plus important d’études qui constituent à présent une partie des meilleurs ressources de recherche sur l’enseignement supérieur dans les pays en voie de développement. L’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), une agence représentant les nations industrialisées, a été longtemps impliquée dans la recherche sur l’enseignement supérieur et les activités connexes, initiant une série d’études nationales qui offrent des analyses utiles. En plus, l’OCDE s’occupe de la Gestion institutionnelle de l’initiative de l’enseignement supérieur et sponsorise une revue, Higher Education Management.

La nécessité de données et d’analyses a mené à la création d’une multitude d’organisations et d’agences fournissant des informations. Parmi ces dernières, beaucoup sont nouvelles, reflétant ainsi la nature innovatrice du domaine, et existent au niveau institutionnel, national, régional et international. Il y a peu d’interaction ou de coopération entre celles-ci. Presque toute l’infrastructure de la recherche sur l’enseignement supérieur est un phénomène apparu après la Deuxième Guerre mondiale – un résultat de l’expansion des années 1960 et de l’accent mis sur la responsabilisation et sur l’évaluation, du fait des problèmes financiers enregistrés par l’enseignement supérieur durant les années 1980 et 1990. L’INFRASTRUCTURE DE L’INFORMATION DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR Tout comme les centres et les agences de recherche s’occupant de l’administration de l’enseignement supérieur, la coordination et les politiques ont proliféré, et il s’est développé un réseau de publications et d’autres moyens de transmission des bases de connaissances dans l’enseignement supérieur. Un nombre important de pays ont des revues sur l’enseignement supérieur, qui s’adressent aux chercheurs et à d’autres professionnels dans le domaine. La liste des revues inclues dans cet inventaire offre un indice de la portée des publications. Bien que leur diffusion soit généralement limitée, ces revues donnent accès à des recherches pertinentes, à des données actuelles et à des analyses concernant le domaine. Il y a aussi un nombre significatif d’éditeurs qui publient systématiquement des livres et des monographies concernant le domaine de l’enseignement supérieur. L’Internet a stimulé le développement de sites Internet dédiés à l’enseignement supérieur, qui constituent à présent des sources importantes de données et d’analyses. Aujourd’hui, certaines revues sont également disponibles sur le web; pourtant, il n’y a pas encore de revues sur l’enseignement supérieur exclusivement électroniques.

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Il n’est pas possible, dans le contexte de cet essai, d’invoquer toutes les publications nationales, régionales et internationales dans le domaine. Pourtant, il serait utile de se concentrer sur des ressources d’informations sélectionnées. Comme on l’a déjà souligné, une bonne partie de la base de recherches de l’enseignement supérieur n’est pas accessible étant donné que les études n’ont pas été publiées ou que les institutions les ont distribuées seulement comme “littérature grise,” dans des éditions limitées. Généralement, on n’inclut pas ces documentations dans les bases de données type ou dans les sources de référence. Une bonne partie de ces études concernent seulement des institutions d’enseignement supérieur spécifiques et, par conséquent, ne sont pas très significatifs pour un public élargi, mais il y a des documents et des études concernant la planification institutionnelle, des rapports de la réforme et des documentations similaires concernant la politique qui s’avèrent d’une utilité réelle. Malheureusement, il n’y a pas de bureau central ou de centre de ressources pour la “littérature grise” sur l’enseignement supérieur. La base de données et les bibliographies de l’ERIC (le Centre informatique de ressources éducationnelles), financées par le Département de l’éducation des États-Unis, constituent la plus grande source unique d’informations bibliographiques. Celles-ci incluent une partie de cette littérature grise. Pourtant, l’ERIC rassemble principalement des études américaines et il est d’une importance limitée pour le reste du monde.

En plus de l’ERIC, il y a plusieurs sources bibliographiques pour l’enseignement. Contents Pages in Education, un magazine qui couvre les journaux académiques et ceux concernant la recherche dans l’enseignement, y inclus l’enseignement supérieur, constitue une source importante pour le monde entier, même si elle se limite aux publications de langue anglaise. Plusieurs revues de compilation d’études sur l’enseignement supérieur du Royaume Uni et des États-Unis couvrent assez bien les problèmes de leurs pays. Pourtant, comme on l’a déjà souligné, ces publications incluent seulement des références publiées dans des revues ou, dans certains cas, dans des ouvrages.

On peut trouver des contributions supplémentaires à la littérature de recherche dans deux encyclopédies concernant l’enseignement supérieur dans un contexte international.69 Ces volumes de référence couvrent l’enseignement supérieur au niveau mondial et, en même temps, incluent des essais actuels sur des sujets clé de la littérature de recherche. Ce sont des repères pour le domaine, en indiquant que l’étude de l’enseignement a atteint la maturité et a produit un corps cohérent et assez compréhensif de recherches. Une encyclopédie internationale antérieure, publiée en 1976, a aidé à affirmer les études concernant l’enseignement supérieur comme domaine de recherche (Knowles, 1976). Il y a aussi quelques encyclopédies ou manuels.

Le nombre de revues de recherche et autres se concentrant sur l’enseignement supérieur a augmenté ces dernières décennies. La majorité des magazines à distribution internationale est apparue à partir des années 1960. Ces dernières années justement on a créé des journaux de spécialité à portée internationale, traitant de l’évaluation, des problèmes de qualité, de la technologie et de l’instruction dans l’enseignement supérieur, pour refléter les nouvelles tendances dans le domaine.

69 Clark et Neave (1992) et Altbach (1991). L’encyclopédie de Clark et Neave a été actualisée et publiée dans une version CD-ROM, ensemble avec les dix volumes de l’encyclopédie de l’éducation de chez Pergamon, en 1999.

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De nombreux magazines et revues à circulation internationale, se concentrant sur des problèmes plus généraux concernant l’enseignement supérieur, fournissent des nouvelles, des commentaires et des rapports sur la recherche et les initiatives politiques. Les plus importantes publications de ce genre sont le Chronicle of Higher Education des États-Unis, le Times Higher Education Supplement (The Higher) du Royaume Uni et Le Monde de l’Education de France. Toutes les trois ont une diffusion internationale considérable et toutes font un compte-rendu des développements internationaux, aussi bien que des nouvelles nationales. Il y a aussi beaucoup de périodiques nationaux ayant des buts similaires - par exemple, le University News en Inde, le Forum Akademickie en Pologne , le Alma Mater et le Visheyie obrozovanye sevodnya (l’Enseignement supérieur aujourd’hui) en Fédération Russe, le Universitàs en Italie, le Universidades 2000 au Mexique, et bien d’autres.

Il y a un nombre réduit de magazines de recherche sur l’enseignement supérieur qui aient une circulation internationale. Ces publications établissent des standards internationaux pour la recherche et diffusent des informations essentielles dans le domaine. Pratiquement, la totalité est publiée en anglais, et la majorité est éditée et publiée aux États-Unis ou en Europe de l’Ouest. Higher Education, Higher Education Management et Higher Education Policy sont les magazines internationaux les plus importants. Parmi les autres publications importantes on peut citer: Studies in Higher Education et Higher Education Review, Journal of Higher Education, Review of Higher Education et Research in Higher Education. Le Higher Education in Europe et le European Journal of Education se concentrent sur l’enseignement supérieur d’une perspective plutôt européenne.

Il y a déjà des centaines de revues nationales. En général, on ne les diffuse pas à l’extérieur du pays d’origine. Parmi les magazines les plus importants de ce type on dénombre le IDE Journal du Japon, le Universidad Futura du Mexique, le Canadian Journal of Higher Education et le Change and Lingua Franca des États-Unis. D’autres, tels que le Journal of Higher Education de l’Inde et le South African Journal of Higher Education sont moins connus sur le plan international, mais ils publient des études précieuses.70

La publication d’ouvrages sur l’enseignement supérieur a également augmenté considérablement. Plusieurs éditeurs se spécialisent à présent en des ouvrages sur l’enseignement supérieur. Les exemples incluent, parmi d’autres, Jessica Kingsley Publishers, Pergamon Press et Open University Press au Royaume Uni, Routledge/Falmer Publishers, Jossey-Bass, Oryx Press, Agathon Press et Johns Hopkins University Press aux États-Unis; Tamagawa University Press au Japon; Campus Verlag en Allemagne; et Lemma Publishers aux Pays-Bas.

Les institutions de recherche et d’autres organisations publient aussi des volumes et des monographies sur ce sujet. Parmi celles-ci, l’Institut de recherche sur l’enseignement supérieur de l’Université de Hiroshima, au Japon, l’Institut russe de recherche sur l’enseignement supérieur de Moscou, le Conseil américain pour l’éducation (ACE), aux États-Unis, et d’autres. La Société pour la recherche sur l’enseignement supérieur (SRHE) du Royaume Uni a peut-être la plus grande collection d’ouvrages dans

70 Une source bibliographique essentielle pour repérer des articles apparus dans des journaux de langue anglaise du monde entier est la Contents Pages in Education, une publication bimensuelle qui liste des articles apparus dans des centaines de périodiques éducationnels.

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le domaine de l’enseignement supérieur, publiée en coopération avec les éditions Open University Press. UNE CARTE DU DOMAINE Bien que le domaine des études sur l’enseignement supérieur n’ait pas existé avant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait eu toutefois une littérature restreinte mais pertinente sur l’enseignement supérieur, qui a modelé la réflexion sur la nature de l’enseignement supérieur. Par exemple, l’histoire de l’université médiévale de Hastings Rashdall (1895) reste un chef d’œuvre d’érudition. Les savants arabes qui ont créé l’Université Al-Azhar du Caire ont pensé à l’enseignement supérieur, tout comme l’ont fait ceux qui ont créé les universités de l’Europe du Moyen Âge (Makdisi, 1981). Des philosophes comme John Henry Newman (1899) et des sociologues comme Max Weber (Shils, 1974) et Emile Durkheim71 ont étudié l’enseignement supérieur. On dit que le psychologue G. Stanley Hall est le premier qui ait enseigné un cours universitaire sur l’enseignement supérieur, à l’Université Clark, en 1893 (Goodchild, 1996). Des dirigeants universitaires visionnaires, d’Alexander von Humboldt à Robert M. Hutchins, ont exprimé leurs points de vue sur le développement de l’université. Platon et Aristote ont traité de l’enseignement avancé dans leurs travaux, et Confucius a eu un impact considérable sur la nature de l’enseignement supérieur en Chine et en Asie de l’Est.

L’une des toutes premières études se concentrant sur la politique officielle a été le rapport influent d’Abraham Flexner sur l’enseignement médical américain, qui a inspiré des réformes importantes des politiques concernant la formation des médecins (Flexner, 1910). Par la suite, Flexner écrira l’un des premiers livres qui ait utilisé une approche comparative de l’enseignement supérieur et qui ait recommandé une politique. Son ouvrage, Universities: American, English, German était censé stimuler les réformes dans l’enseignement supérieur américain (Flexner, 1930). L’un des premiers rapports sur l’enseignement supérieur financés par le gouvernement a été mené, comme partie d’un effort de réforme, à l’Université de Calcutta en Inde, en 1911. Ce document et d’autres commandés afin de ciseler les politiques de l’enseignement supérieur dans les régions coloniales ont influencé l’utilisation ultérieure des rapports officiels sur l’enseignement supérieur (Ashby, 1966). Il y a une riche littérature concernant l’histoire de l’enseignement supérieur, axée surtout sur l’histoire des universités individuelles.

Ce compte-rendu montre que, malgré la dispersion et le manque de focalisation de la recherche, on a produit des travaux pertinents de bonne qualité. Les scientifiques et les chercheurs ont travaillé sur le terrain de leurs disciplines, souvent sans aucune communication entre les domaines. Par conséquent, l’enseignement supérieur n’a pas constitué un sujet négligé, même s’il ne s’est pas remarqué en tant que domaine d’analyses scientifiques et de recherche jusqu’à récemment.

Alors que l’enseignement supérieur se développait comme un domaine interdisciplinaire, les chercheurs d’autres sub-spécialisations s’occupaient de sujets relatifs à l’entreprise de l’enseignement supérieur. Par exemple, la sociologie de la science a progressé extraordinairement une fois que les chercheurs se sont intéressés à comprendre comment fonctionnent les réseaux de recherche dans les disciplines

71 Emile Durkheim, The Evolution of Educational Thought (London: Routledge et Kegan Paul, 1977), travail publié pour la première fois en français en 1938 et écrit initialement par Durkheim en 1904–5.

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scientifiques, comment on pratique la recherche et comment les savants et les chercheurs mesurent la productivité et l’influence de la science. On a créé des magazines et d’autres infrastructures spécifiques pour ce sous-domaine. La sociologie de la science, aussi bien que l’histoire de la science ont seulement des liens indirects avec les études sur l’enseignement supérieur.72 Les chercheurs des deux domaines n’entrent que rarement en contact et la littérature sur les études scientifiques est souvent utilisée par les spécialistes de l’enseignement supérieur. Pareillement, les chercheurs du domaine de l’enseignement supérieur ne prêtent pas, en général, trop d’attention au sous-domaine de la bibliométrie, qui étudie l’impact de la recherche et de la diffusion des travaux de spécialité.

Les rapports entre le domaine de l’enseignement supérieur et celui des études sur les politiques scientifiques sont plus étroits. Le magazine Minerva, surtout sous la direction éditoriale d’Edward Shils, a prêté son attention à ces deux domaines et a essayé de rapprocher les préoccupations des chercheurs des deux branches. D’autres publications, comme le Technology and Society, couvrent l’intersection de ces domaines. Pourtant, la hybridation n’a réussi que dans une petite mesure et il ne s’agit que d’un nombre restreint de chercheurs qui prêtent leur attention aux deux domaines. A présent, les politiques scientifiques sont essentielles pour l’enseignement supérieur puisqu’elles essayent d’étudier les réseaux de recherche qui s’étendent au-delà des universités, par exemple aux rapports entre l’industrie et l’université.

La communauté des chercheurs qui s’occupent de la planification pour les collèges et les universités est liée d’une manière plus profonde à l’enseignement supérieur. Ce domaine a ses propres organisations professionnelles et un petit réseau de recherche.73 L’administration de l’enseignement supérieur s’est aussi illustrée récemment en tant que sous-spécialisation distincte mais, dans ce cas, il y a des relations étroites avec la recherche sur l’enseignement supérieur. Higher Education Management, une revue de l’OCDE, offre une perspective internationale sur ce sujet. Planning in Higher Education, une revue américaine et Tertiary Education and Management, publié au Royaume-Uni, se concentrent aussi sur des problèmes académiques et de gestion. A cause de la complexité croissante des institutions universitaires et de la professionnalisation accentuée de l’administration universitaire, il y a un intérêt accru pour les problématiques de gestion. Pour l’instant, il semble qu’il y a peu de liens entre le domaine plus étendu des études d’administration et l’enseignement supérieur.74 En fait, les études d’administration et l’administration commerciale sont très importantes pour l’enseignement supérieur.

Une autre filière de recherche se rapporte à l’éducation internationale et aux étudiants internationaux. L’internalisation de l’enseignement supérieur est devenue un sujet d’intérêt dans bien des pays. L’Union Européenne, par le biais de TEMPUS et d’autres programmes, a encouragé l’éducation internationale et l’échange de spécialistes. Il y a plus d’un million d’étudiants qui étudient en dehors de leur pays d’origine, comme le font un grand nombre de chercheurs et de spécialistes invités. Les problèmes relatifs à l’éducation internationale sont de plus en plus importants dans un environnement

72 Voir, par exemple, Ben-David (1991). 73 La Society for College and University Planning des Etats-Unis est probablement la plus grande organisation dans ce domaine. Celle-ci publie ses propres revues et organise des réunions professionnelles. 74 Pour l’une des rares contributions des chercheurs du domaine des études d’administration, voir Cohen et March (1986).

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universitaire mondialisé. Des organisations telles que l’Association nationale pour les affaires des étudiants étrangers (National Association for Foreign Student Affairs - NAFSA) des États-Unis et l’Association européenne pour l’éducation internationale (European Association for International Education - EAIE) s’occupent de problèmes de ce genre. Les publications éditées par ces organisations, comme le Journal of Studies in International Education, offrent des sources supplémentaires de résultats de la recherche dans ce domaine. L’Institut pour l’éducation internationale a publié une série d’études sur des problématiques de l’éducation internationale.75

Les centres internationaux appartenant à ce domaine contrôlent la plupart des publications et les paradigmes de recherche les plus importants ont vu le jour, en grande partie, dans les grands pays anglophones. Ils ont joué un rôle essentiel dans la définition des centres d’intérêt dans le domaine. D’autres régions du monde sont, en grande partie, d’une importance secondaire quant à la création de programmes pour la recherche et à la détermination des tendances majeures. L’emplacement des publications, de la direction éditoriale et des bases de données principales dans le centre constituent des facteurs clé. Selon mes évaluations, approximativement 75 pour cent de la recherche qui circule au niveau international dans le domaine de l’enseignement supérieur provient des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie. Pendant les années 1990, les communautés de recherche de pays comme le Japon, les Pays-Bas, la Chine et l’Allemagne sont devenues plus vastes, ayant une portée plus étendue. Les initiatives de petite envergure mais de plus en plus importantes de la région du Pacifique et de l’Amérique latine ont conduit au développement de l’analyse et de la recherche sur l’enseignement supérieur, ainsi qu’à la création de centres et d’instituts. 76 Alors que les plus importants pays anglophones continuent à dominer les réseaux de recherche, l’équilibre est en train de changer une fois que d’autres pays développent une capacité de recherche dans l’enseignement supérieur. A cet égard, d’importants développements nouveaux ont lieu en Europe Centrale et de l’Est où, après la disparition presque totale des instituts spécialisés en la recherche sur l’enseignement supérieur, on peut remarquer une croissance du potentiel de la recherche et de l’intérêt pour les politiques scientifiques dans l’enseignement supérieur. Cependant, toujours est-il que le domaine de l’enseignement supérieur présente la même inégalité géographique que la plupart des disciplines scientifiques, probablement dans une mesure plus restreinte que beaucoup de domaines des sciences naturelles. LA RECHERCHE INSTITUTIONNELLE La recherche institutionnelle se répand rapidement, à mesure que les institutions d’enseignement supérieur se développent et la responsabilisation devient une partie de plus en plus importante des ordres du jour gouvernementaux de par le monde. A certaines exceptions, on ne diffuse pas à l’extérieur de l’institution les données rassemblées comme partie de la recherche institutionnelle et l’accès à ces données est souvent limité. Dans 75 L’Institut pour l’éducation internationale (IIE) est une organisation américaine avec des succursales dans bien des pays. Ses responsabilités principales incluent l’administration des programmes d’échanges entre les Etats-Unis et d’autres pays. 76 Comme, par exemple, l’Institut pour la recherche sur l’université de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), un groupe de recherche de l’Université autonome métropolitaine et l’Association des universités américaines (ANUIES), tous de Mexico City. Ces organisations constituent à présent une communauté de recherche impressionnante.

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l’ensemble, les rapports institutionnels concernant des questions comme les tendances des taux d’inscription, la réussite des étudiants et les règlements fiscaux intéressent peu le public large, malgré l’importance de ces données pour la planification et l’évaluation institutionnelles.

Certaines données fournies par la recherche institutionnelle présentent un bon nombre d’utilisations au-delà des besoins institutionnels directs et immédiats, mais leur potentiel n’est presque jamais exploité. La comparaison entre les tendances institutionnelles des secteurs d’un pays, au niveau régional ou international, pourrait représenter une bonne solution. On commence à mettre en œuvre, dans un grand nombre de pays, l’idée d’évaluer de manière comparative les tendances internationales dans l’enseignement supérieur, et les données fournies par la recherche institutionnelle s’avèrent utiles dans cette entreprise.

La communauté de la recherche institutionnelle est organisée de manière pertinente seulement dans quelques pays. Il y a peu de liens internationaux à l’extérieur de l’Europe et de l’Amérique de Nord. Les possibilités de publier et d’analyser les données sur la base d’une recherche institutionnelle sont limitées. Aux États-Unis, l’Association pour la recherche institutionnelle offre un forum institutionnel pour la communauté de la recherche ; pourtant, il n’y a pas de coordination entre les chercheurs institutionnels et la communauté élargie de la recherche sur l’enseignement supérieur. L’Association européenne pour la recherche institutionnelle (EAIR) a élargi récemment sa mission afin d’y inclure la recherche sur l’enseignement supérieur.

Il n’y a pas de magazines à diffusion internationale sur la recherche institutionnelle et il y a peu de forums internationaux de discussion sur ce domaine, à l’exception de ceux relevant des conférences organisées aux États-Unis ou en Europe. La recherche institutionnelle s’épanouit en tant que sous-domaine de la recherche sur l’enseignement supérieur, en devenant petit à petit une partie du courant dominant. L’EDUCATION DANS LE DOMAINE ADMINISTRATIF L’administration universitaire est devenue de plus en plus complexe. Puisque les institutions sont devenues de plus en plus étendues et complexes, en fournissant bien plus de services et de spécialisations, le besoin de fournir une administration et une gestion qualifiées a augmenté aussi. Il n’est plus acceptable que des amateurs sans aucune formation adéquate et sans un intérêt majeur dans l’administration dirigent les universités modernes.

Les dirigeants universitaires haut placés, comme les présidents, les recteurs, les vice-recteurs et les doyens proviennent encore des professeurs ayant des grades supérieurs. D‘habitude, ils ne bénéficient d’aucune formation spécifique pour les rôles administratifs qu’ils remplissent, et la plupart de ceux qui assument ces fonctions reprennent leur activité d’enseignement ou de recherche après un trimestre ou deux. L’exemple des États-Unis est en quelque sorte unique, du fait que beaucoup d’administrateurs universitaires haut placés se lancent dans des carrières administratives, allant d’un poste administratif à l’autre, souvent dans des institutions différentes, et ils ne reprennent pas leurs postes de professeurs.

La situation est différente pour les dirigeants de niveau moyen de l’enseignement supérieur, qui sont de plus en plus nombreux, et c’est dans ce domaine que l’expansion

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majeure a eu lieu. Ce n’est pas étonnant que les États-Unis, ayant le système universitaire le plus vaste, diversifié et complexe, aient développé les premiers cette profession. On a reconnu ainsi le fait que ce nouveau poste d’administrateur exige une formation spécifique. Le domaine de l’administration de l’enseignement supérieur s’est développé après la Deuxième Guerre mondiale et, en l’année 2000, plus de 100 universités américaines offraient des spécialisations de troisième cycle dans l’enseignement supérieur. 77 La première sous-spécialisation dans l’enseignement supérieur a été l’administration du personnel au service des étudiants, qui s’occupe de la formation des personnes responsables de l’assistance, des activités hors-programme des étudiants et de la gestion des résidences universitaires et des autres facilités pour les étudiants. Par la suite, la formation en administration universitaire générale et le développement de sous-spécialisations telles que l’administration financière et les affaires juridiques des universités ont évolué aussi. De nos jours, les programmes d’enseignement supérieurs sont offerts comme des études de troisième cycle (après le baccalauréat) et s’adressent en même temps aux étudiants qui viennent d’être admis et qui souhaitent poursuivre des carrières dans l’administration, et aux administrateurs expérimentés qui souhaitent améliorer leurs compétences ou acquérir les connaissances requises en vue d’une potentielle promotion. Traditionnellement, on embauchait des diplômés de l’enseignement supérieur pour des positions administratives de niveau bas ou moyen dans les collèges et les universités, ainsi que pour des postes dans les agences gouvernementales s’occupant de l’enseignement supérieur, les groupes de réflexion et d’autres emplois connexes. Souvent, les chercheurs institutionnels sont titulaires de titres universitaires dans l’enseignement supérieur. Ces dernières années, des diplômés de l’enseignement supérieur ont assumé la présidence ou d’autres positions administratives supérieures, surtout dans le secteur des centres universitaires de premier cycle et dans les institutions de niveau inférieur offrant des études de quatre ans.

A compter de l’année 2000, l’administration de l’enseignement supérieur est un domaine bien défini. Les programmes se déroulent dans des écoles d’éducation dans beaucoup d’universités importantes des États-Unis. Les professeurs impliqués dans ces programmes sont les auteurs d’une grande partie des travaux de recherche sur l’enseignement supérieur publiés et ils sont fréquemment sollicités en tant que consultants ou conseillers par les institutions post-secondaires.

On a également créé des programmes similaires dans d’autres pays, mais leur évolution a été très lente si on tient compte de l’augmentation du nombre d’administrateurs dans le monde. Les pays anglophones les plus importants, surtout l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont à présent des programmes universitaires qui forment des administrateurs universitaires. D’autres pays, comme le Japon, sont en train de créer des institutions de formation des administrateurs, alors que d’autres commencent à y penser. Ce domaine continuera probablement à se développer pour répondre au besoin d’administrateurs de carrière bien documentés sur l’enseignement supérieur et instruits en ce qui concerne l’application de la théorie de

77 L’Association pour l’étude de l’enseignement supérieur (ASHE) est une organisation professionnelle qui représente les membres du corps enseignant qui travaillent dans le domaine de l’enseignement supérieur. L’Association du personnel des collèges américains (ACPA) représente les professionnels qui se concentrent sur les services pour les étudiants.

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l’administration, les questions juridiques, le développement psychologique des étudiants et d’autres disciplines sociales scientifiques. LES TENDANCES FUTURES On reconnaît l’utilité de la recherche sur l’enseignement supérieur dans la compréhension des institutions d’enseignement supérieur. Pourtant, beaucoup de ceux qui travaillent dans le gouvernement et l’administration universitaire estiment que la recherche sur l’enseignement supérieur ne s’occupe pas de problèmes quotidiens avec lesquels se confrontent les administrateurs de l’enseignement post-secondaire. Cette tension est probablement inévitable et insolvable. Une partie des travaux de recherche produits par les spécialistes en l’enseignement supérieur essaient d’examiner des questions plus générales ou de créer des méthodologies ou une base de connaissances du domaine; par conséquent, ces travaux ne peuvent conduire que dans une certaine mesure à une solution immédiate aux problèmes avec lesquels se confrontent les systèmes ou les institutions universitaires. Les professionnels et le public attendent souvent des résultats très rapides. En même temps, au moins une partie de cette activité constitue une base nécessaire pour une recherche plus appliquée. A bien des égards, la tension entre les deux pôles du domaine constitue en effet un avantage. Ceux qui contrôlent le financement de la recherche ne se consacrent pas suffisamment au besoin de créer une base solide de connaissances, à la rigueur méthodologique et aux perspectives théoriques du domaine. En même temps, il existe souvent une distanciation inutile entre les chercheurs universitaires et les “utilisateurs” de la recherche dans l’administration académique et les agences gouvernementales.78 Voici quelques tendances qui pourraient caractériser le développement futur dans le domaine des études sur l’enseignement supérieur:

Le domaine s’étendra dans des régions où il est à présent faible ou inexistant. La reconnaissance de la valeur des informations et de l’analyse concernant l’enseignement post-secondaire stimulera un développement continu dans ce domaine. Il y aura une expansion des sources d’information – revues, ouvrages et d’autres publications pour ces nouvelles communautés de la recherche.

Il est possible que les centres actuels de recherche sur l’enseignement supérieur perdent une partie de leur prépondérance, du fait des réductions financières dans l’enseignement supérieur et du développement de nouvelles communautés de recherche dans d’autres régions. Selon toute probabilité, malgré ces tendances, les centres traditionnels du domaine garderont leurs positions en tête du peloton.

On se focalise de plus en plus sur le processus d’enseignement, d’étude et d’évaluation dans l’enseignement supérieur. L’instruction, l’élément central de l’enseignement supérieur, est appréhendée d’une manière inexacte. En partie à cause de la volonté d’améliorer l’instruction et de créer des modalités évoluées d’évaluation des résultats de l’enseignement supérieur, on a témoigné un intérêt de plus en plus important pour l’évaluation de l’instruction, pour l’évaluation des résultats éducationnels et pour la comparabilité. Dans le monde on prête une attention plus grande à l’évaluation de

78 Aux États-Unis, ainsi que dans d’autres pays, on a vivement critiqué les résultats de la communauté de recherche sur l’enseignement supérieur à cause du fait que ces résultats ne répondaient pas aux besoins des administrateurs et des décideurs.

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l’instruction. L’orientation générale vers la responsabilisation dans l’enseignement supérieur a contribué aussi à la structuration de l’accent qu’on met actuellement sur l’évaluation et la comparabilité.

Le fossé qui sépare la recherche institutionnelle et les autres types de recherche sur l’enseignement supérieur reste considérable. On n’utilise que dans une certaine mesure la recherche institutionnelle à l’extérieur des universités individuelles. Il serait dans l’avantage de ce domaine qu’il y ait de meilleurs liens entre la recherche institutionnelle et la communauté élargie de la recherche. De façon similaire, la tension entre la recherche élémentaire et la recherche appliquée sur l’enseignement supérieur demeurera, avec certaines confusions concernant le public de la recherche dans le domaine.

L’enseignement supérieur est sans aucun doute un domaine de recherche interdisciplinaire. Celui-ci ne pourra point devenir une discipline scientifique distincte.

La reconnaissance du fait que les institutions d’enseignement supérieur nécessitent un personnel administratif qualifié conduira de par le monde à l’expansion des programmes universitaires de formation en l’enseignement supérieur. Il est possible que certains programmes offrent des diplômes universitaires et exigent un programme d’études rigoureux. D’autres peuvent être des cours plus courts, des séminaires ou d’autres types d’expériences universitaires. Cette tendance aura comme effet l’établissement d’une communauté élargie de la recherche, puisque les professeurs qui seront formateurs dans le cadre de ces programmes effectueront aussi de la recherche sur l’enseignement supérieur.

La recherche sur large échelle, à l’intérieur d’un pays ou au niveau international, sera limitée à cause de l’absence de fonds.

Un meilleur équilibre entre les agendas de recherche des chercheurs sur l’enseignement supérieur et des utilisateurs renforcera la communauté de la recherche. Les agences de financement ont tendance à soutenir la recherche qui produit des réponses spécifiques à des questions d’intérêt immédiat. A long terme, cette approche risque d’affaiblir la base de connaissances. Ce type de conflit entre la recherche “élémentaire” et la recherche “appliquée” est loin de se limiter au domaine de l’enseignement supérieur.

Le renforcement des réseaux régionaux et internationaux dans le but de vulgariser les données et les résultats de la recherche développera la communication et créera la base de connaissances dans le domaine. Il faudrait développer aussi les organisations, les bases de données et les publications qui réunissent des chercheurs de pays différents. En bref, il est nécessaire de créer de meilleurs réseaux pour la communauté de la recherche sur l’enseignement supérieur. Il faut accorder un soutien supplémentaire aux publications régionales (revues et ouvrages). Des données internationales compréhensives, comparables et exactes concernant l’enseignement supérieur sont essentielles à la fois pour la recherche et pour le développement de politiques. Les organisations internationales les plus importantes peuvent offrir les fondements pour un rassemblement plus efficace des données.

L’inclusion des communautés de recherche, actuellement périphériques, dans le courant dominant constitue une priorité clé.

Une meilleure intégration de la communauté de recherche institutionnelle et de la recherche institutionnelle dans le système de recherche sur l’enseignement supérieur

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mènera à un financement plus substantiel pour cette partie ignorée de la communauté de recherche sur l’enseignement supérieur.

L’amélioration des liens entre la communauté de recherche sur l’enseignement supérieur, qui déroule maintenant son activité dans les facultés des universités, les agences gouvernementales et les centres indépendants de recherche, entre ses propres membres et avec les chercheurs en sciences sociales, renforcera ce domaine.

Une accentuation supplémentaire de la nature interdisciplinaire de ce domaine, un développement qui est déjà caractéristique pour une partie de la recherche. Cela peut inclure des liens entre la communauté de recherche sur l’enseignement supérieur et des groupes de recherche de domaines connexes, y compris les politiques scientifiques, l’éducation internationale et l’éducation comparative. CONCLUSION La recherche sur l’enseignement supérieur, ainsi que la formation dans ce domaine, s’est développée de manière impressionnante durant les dernières trois décennies. On a développé les infrastructures organisées d’un domaine de recherche. Il y a aussi une communauté de chercheurs et de spécialistes qui travaillent de manière active. Le développement géographique du domaine, malgré sa concentration dans quelques centres, reste assez impressionnant. Le domaine a contribué considérablement à une compréhension élargie de l’université, et surtout de la complexité du monde académique dans une période d’expansion, aussi bien des nécessités politiques spécifiques des administrateurs universitaires et des autorités politiques.

Ces accomplissements sont importants, surtout pour un sujet nouveau et assez restreint. L’enseignement supérieur s’est légitimé en tant que domaine de recherche dans le cadre des études éducationnelles, gagnant l’approbation de ceux responsables de la direction de l’enseignement supérieur. Un petit nombre, mais en continuelle expansion, de spécialistes en sciences sociales ont adopté l’enseignement en tant que domaine de recherche. Cette tendance a donné du poids à la littérature dans le domaine et a contribué à la constitution d’une base analytique.

Dans certains pays, la recherche sur l’enseignement supérieur a été également renforcée par la création de programmes universitaires de formation pour les administrateurs universitaires. Ces programmes ont contribué à l’expansion et à la légitimation de la recherche sur l’enseignement supérieur. Les spécialistes apportent leur contribution à la littérature dans le domaine. Une partie des diplômés de ces programmes deviennent eux-mêmes des chercheurs dans le domaine; pourtant, la majorité d’entre eux préfèrent l’administration universitaire et les organismes de décision, où ils peuvent mettre en œuvre les résultats de la recherche. Cette tendance va probablement s’étendre à d’autres pays, puisqu’il existe un besoin évident d’administrateurs professionnels pour les systèmes et les grandes institutions post-secondaires.

Les résultats de la recherche dans le domaine restent hétérogènes et difficiles à caractériser. Ceux-ci varient de ce que les spécialistes des sciences sociales appelleraient “la théorie de gamme moyenne” aux données les plus appliquées, qui réunissent ce qui est essentiel pour un problème spécifique dans une université particulière. Les spécialistes en sciences sociales d’un nombre de disciplines ont essayé de théoriser sur la nature de l’université, sur la dynamique de la direction dans l’enseignement supérieur et

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sur la nature de l’enseignement et de l’étude. Pourtant, il y a peu de théories acceptées qui s’appliquent de manière générale aux institutions post-secondaires. La qualité des résultats de la recherche est hétérogène aussi, ce qui est probablement inévitable pour un domaine qui se trouve aux premières étapes de son évolution.

Le domaine de la recherche sur l’enseignement supérieur attend le changement. Dans les centres traditionnels, le rythme de croissance a diminué à cause de la limitation des ressources; pourtant, on requiert encore de la recherche. L’expansion sera plus lente dans ces régions. En même temps, la recherche sur l’enseignement supérieur devient de plus en plus importante et légitime dans les régions du monde qui ont été traditionnellement défavorisées de ce point de vue. Le domaine a atteint un degré de légitimité dans la communauté académique et les décideurs des organisations nationales, régionales et internationales reconnaissent son importance. REFERENCES ALTBACH, P. G. “Perspectives on Comparative Higher Education: A Survey of Research and Literature,” in, P. Altbach et D. Kelly, éd. Higher Education in International Perspective: A Survey and Bibliography. Londres: Mansell, 1985. ALTBACH, P. G., éd. International Higher Education: An Encyclopedia. 2 vol. New York: Garland, 1991. ALTBACH, P. G., éd. The International Academic Profession: Portraits from 14 Countries. Princeton: Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching, 1996. ALTBACH, P. G., éd. Private Prometheus: Private Higher Education and Development in the 21st Century. Westport: Greenwood, 2000. ASHBY, E. Universities: British, Indian, African: A Study in the Ecology of Higher Education. Cambridge: Harvard University Press, 1966. ASHBY, E. Any Person, Any Study: An Essay on Higher Education in the United States. New York: McGraw-Hill, 1971. BEN-DAVID, J. Scientific Growth: Essays on the Social Organization and Ethos of Science. Berkeley: University of California Press, 1991. CLARK, B. et NEAVE, G. éds. The Encyclopedia of Higher Education. 4 vol. Oxford: Pergamon, 1992. COHEN, M. D., et March, J. D. Leadership and Ambiguity: The American College President. Boston: Harvard Business School Press, 1986. DURKHEIM, E.. The Evolution of Educational Thought. Londres: Routledge and Kegan Paul, 1977.

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Enseignement supérieur en Europe, Vol. XXVII, No. 1-2, 2002

Notes sur les auteurs AUTEURS ET CO-AUTEURS DES ARTICLES ALTBACH, Philip G., Professeur d’enseignement supérieur, Directeur Adresse: Boston College, Center for International Higher Education, School of Education, 207 Campion Hall, Chestnut Hill, Massachusetts 02467-3813, Etas-Unis d’Amérique. Tél.: +1-617-552-4236; Fax: +1-617-739-3638; E-mail: <[email protected]> BARBLAN, Andris, Secrétaire général Adresse: Association des Universités Européennes / EUA, 10, rue du Conseil-General, CH-1211 Genève-4, Suisse. Tél.: +41-22-329-2644; Fax: +41-22-329-2821; E-mail: <[email protected]> CERYCH, Ladislav, Dr., Directeur Adresse: Centre pour les Politiques Éducationnelles, 7, Myslikova, Prague 1, République Tchèque. Tel.: 420-2-2491-0151; Fax: 420-2-2491-0151 E-mail: <[email protected]> CHEVAILLIER, Thierry, Maître assistant Adresse: Institut pour la recherche sur l’économie de l’éducation (IRÉDU), Université de Bourgogne, 9, avenue Alain Savary, B.P. 47870, F-21078 Dijon Cedex, France. Tél.: +33-3-8039-5456; Fax: +33-3-8039-5479 E-mail: <[email protected]> EICHER, Jean-Claude, Professeur émérite Adresse: Institut pour la recherche sur l’économie de l’éducation (IRÉDU), Université de Bourgogne, 9, avenue Alain Savary B.P. 47870, F-21078 Dijon Cedex, France. Tél.: +33-3-8039-5450; Fax: +33-3-8039-5479 GALTUNG, Johan, Directeur, Professeur d’études sur la paix Adresse: TRANSCEND: A Peace and Development Network for Conflict Transformation by Peaceful Means, 51 Bois Chatton, F-01210 Versonnex, France. Tél.: +33-4-5042-7306; Fax: +33-4-5042-7506 E-mail: <[email protected]> HÜFNER, Klaus, Professeur, Président du Conseil Consultatif de l’UNESCO-CEPES Adresse: Institut pour les politiques économiques, Université Libre de Berlin, Boltzmannstrasse 20, D-14195 Berlin, Allemagne Tél.: +49-30-771-8282; Fax: +49-30-771-4525 E-mail: <[email protected]> MALITZA, Mircea, Acad., Professeur, Président de la Fondation de l’Université de la Mer Noire

NOTES SUR LES AUTEURS

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Adresse: Université de la Mer Noire, 50, Boul. Primăverii, RO-71297 Bucarest 1, Roumanie. Tél.: +40-21-222-4118; Fax: +40-21-222-7001 E-mail: <[email protected]> MARGA, Andrei, Professeur, Recteur Adresse: Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, Faculté d’études européennes, 2-4, rue Mihail Kogălniceanu, RO-3400 Cluj-Napoca, Roumanie. Tél.: +40-64-405-390/ext. 5937; Fax: +40-64-191-906 E-mail: <[email protected]> SCOTT, Peter, Vice-président Adresse: Kingston-University, River House, 53-57 High Street, Kingston-upon-Thames, Royaume-Uni. Tel.: +44-181-547-7010; Fax: +44-181-547-7009 E-mail: <[email protected]>