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État de la recherche sur la société de l'information
Publications de l ' U N E S C O pour le S o m m e t mondial sur la société de l'information
Édité par K w a m e Boafo
Les désignations employées dans cette publication et la présentation du matériel adoptée ici ne sauraient être interprétées c o m m e exprimant une prise de position du secrétariat de l ' U N E S C O sur le statut légal d'un pays, d'un territoire, d'une ville ou d'une région, ou de leurs autorités, non plus que sur le tracé de ses frontières. Les idées et opinions exprimées sont celles des auteurs de ce rapport et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Organisation.
Publié en 2 0 0 3 par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture ( U N E S C O ) , 7 , place de Fontenoy, F-75352 Paris 0 7 S P
©UNESCO 2003
PREFACE
L ' U N E S C O soutient pleinement, depuis le début, le processus de
préparation du S o m m e t mondial sur la société de l'information (SMSI). A ce
titre, elle est parvenue à définir et promouvoir ses positions tout en
articulant sa contribution à la Déclaration de principes et au Plan d'action
que le S o m m e t adoptera. Les éléments que propose l ' U N E S C O à fin
d'inclusion dans la Déclaration de principes et dans le Plan d'action sont
fondés sur son mandat, qui la m è n e à promouvoir le concept de sociétés de
la connaissance, plutôt que celui, général, de société de l'information. Il lui
semble en effet que se contenter de renforcer les flux d'information n'est
pas suffisant pour saisir l'ensemble des opportunités qu'offre le savoir mis
au service du développement. Il est ainsi nécessaire de définir une vision
plus complexe, complète et holistique de l'utilisation des technologies de
l'information au service du développement.
Les propositions que l ' U N E S C O a ainsi formulées sont des réponses
aux principaux défis posés par l'édification des sociétés de l'information : il
est tout d'abord nécessaire de réduire le fossé numérique qui augmente les
disparités dans le développement, excluant des bénéfices de l'information et
du savoir des groupes sociaux et nations entiers ; ensuite, de garantir la libre
circulation de et l'accès équitable aux données, à l'information, aux bonnes
pratiques et au savoir dans la société de l'information ; enfin, de bâtir un
consensus international sur les normes et principes qu'il est désormais
nécessaire de défendre.
Les sociétés de la connaissance doivent en effet être bâties sur un
engagement solennel en faveur des droits de l ' h o m m e et des libertés
fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d'expression. Elles
doivent par ailleurs assurer l'entier respect du droit à l'éducation et des
autres droits culturels. D e la m ê m e manière, l'accès au domaine public de
l'information et au savoir à des fins éducatives et culturelles doit être aussi
large que possible au sein des sociétés de la connaissance et permettre la
consultation d'une information fiable, diversifiée et de haute qualité. U n e
attention particulière doit enfin être portée à la diversité des cultures et des
langues.
E n outre, la production et la diffusion de contenus éducatifs,
scientifiques et culturels, la conservation du patrimoine numérique, la qualité
de l'enseignement et de l'apprentissage sont autant de composantes
essentielles des sociétés de la connaissance. Il faut enfin favoriser le
développement de réseaux de spécialistes et de groupes d'intérêt virtuels,
qui sont autant de vecteurs d'échange et de coopération réels et efficaces
dans les sociétés de la connaissance. Les technologies de l'information et de
la communication sont en effet autant une discipline à maîtriser qu'un outil
pédagogique au service de systèmes éducatifs efficaces et adaptés aux
besoins.
Enfin, ces technologies ne sont pas uniquement des outils, elles
informent et modèlent nos modes de communication, mais également nos
manières de penser et de créer. C o m m e n t agir de telle manière que cette
révolution mentale et instrumentale ne soit pas le privilège d'un petit
nombre de pays économiquement très développés ? C o m m e n t assurer que
tous puissent avoir accès à ces ressources informationnelles et
intellectuelles, en déjouant les obstacles sociaux, culturels ou linguistiques ?
C o m m e n t promouvoir la mise en ligne de contenus toujours plus diversifiés,
susceptibles d'être une source d'enrichissement pour l'ensemble de
l'humanité ? Quelles opportunités pédagogiques présentent ces nouveaux
moyens de communication ?
Il s'agit là d'autant de questions cruciales dont les réponses devront
être trouvées pour que les sociétés de la connaissance soient une réalité et
offrent un espace d'interaction et d'échange mondial. C e sont également des
questions auxquelles doivent répondre ensemble les acteurs du
développement de ces technologies, Etats, entreprises privées et société
civile.
A l'occasion du S o m m e t mondial sur la société de l'information,
l ' U N E S C O entend mettre à la disposition de tous les participants une série
d'ouvrages de synthèse sur certaines des questions les plus préoccupantes
que l'on vient d'évoquer. Il s'agit de prendre la mesure des bouleversements
induits par l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC), en évoquant les promesses de développement mais
aussi les difficultés rencontrées, les solutions possibles, et les projets mis en
œuvre par l ' U N E S C O et ses nombreux partenaires.
Abdul Waheed K H A N Sous-Directeur général de l 'UNESCO
pour la communication et l'information
Table des matières
I N T R O D U C T I O N 1
Í.Technologies de l'information et de la communication (TIC) et disparités entre les hommes et les femmes (Magdallen N. Juma)
Introduction 15 Méthodologie 15 La problématique 16 La communication par l'ordinateur 19 L'éducation assistée par les TIC 19 L'accès aux TIC et leur utilisation : disparités entre les sexes 21 Inégalité des sexes 21 Utilisation des TIC par les femmes dans les pays en développement 22 Principaux problèmes de l'inégalité des sexes devant les TIC 25
Rôle des femmes dans la prise de décisions sur les TIC et leurs techniques de production 25 Les femmes dans l'enseignement de la science et de la technologie 27 Les femmes et les connaissances élémentaires 28 Manque de temps 29 Coût de l'équipement et de la liaison 30 Problème de langue 30 Perspectives et champs de recherche pour l'avenir 30
2. Diversité culturelle et linguistique dans les médias et les réseaux d'information (Ruth Teer Tomaselli)
Introduction 39
Méthodologie 39
Aperçu général 40 Diversité culturelle et linguistique dans les technologies de l'information 43
Principaux problèmes 44 L'industrie du divertissement 44 Économie de marché 45
Domination de l'anglais sur l'Internet 45 Accès à la technologie de l'information 49 Sauvegarde de la diversité culturelle et linguistique et de la représentation des minorités ethniques 50 Perspectives 51
3 . Liberté de la presse et liberté d'expression dans la société de l'information - études et projets (Fédération internationale des journalistes)
Introduction 57 Aperçu général des problèmes 58
Conclusions et recommandations 64 Démocratie et pluralisme 65 Liberté de la presse 65 Questions de réglementation 66 Gouvernance mondiale 67
4. Les technologies de l'information et de la communicat ion et les personnes handicapées (Anuradha Mohit)
Introduction 69 La méthodologie 70 Vue d'ensemble 70 Ordinateurs 71
Éducation et sensibilisation 74 Les médias 76 Télécommunications 78
Conclusions et recommandations 80
5. Infoéthique et accès universel à l'information et au savoir (lia Joshi)
Introduction 85 Quelques questions d'éthique 86
Respect de la vie privée, confidentialité et sécurité 86 Confiance, propriété et validité de l'information.. 87 Bien public contre biens privés 87 Haine et violence sur l'Internet 88
Accès universel à l'information et au savoir 89 Enseignement assisté par l'électronique 91 Gouvernance en ligne 92 C o m m e r c e électronique 93 Conclusions 93
INTRODUCTION
S'il est vrai que « la société de l'information » est une notion dont
on entend beaucoup parler, elle recouvre une réalité complexe, qui se prête à
des interprétations très diverses. Q u e dire, alors, des travaux qui tentent de
définir cette notion ? Leur immense diversité est fonction non seulement de
la variété des médias et supports existants, mais aussi de la multiplicité des
thèmes susceptibles d'être analysés et, au final, bien évidemment, de
l'objectif et des méthodes choisies pour ce faire.
Ceci dit, c'est précisément parce qu'il s'agit d 'un domaine d'étude
en constante évolution qu'il nous a paru nécessaire de proposer un rapport
sur l'état d'avancement des recherches en cours, dans le champ de la société
de l'information. Nous ne pouvions, certes, nous lancer dans un inventaire
bibliographique qui se serait voulu exhaustif, les thèmes de recherche et les
sources de références étant bien trop variés, et leur nombre en constante
progression. C e que nous avons entrepris se rapproche donc davantage d'un
exercice méthodologique, et la présente publication en résume les
conclusions. C o m m e n t définir les thèmes d'analyse ? C o m m e n t classer et
évaluer les sources d'information disponibles ? C o m m e n t utiliser
l'information ainsi collectée ? Telles sont les principales questions que nous
aborderons au cours de cette étude.
Pour poursuivre dans ce sens, nous avons choisi cinq thèmes à
approfondir. Ils ont une caractéristique c o m m u n e : chacun d'eux représente
l'un des points forts que l ' U N E S C O croit indispensable de traiter, si nous
voulons créer une société de l'information qui soit juste et universelle. C'est
pourquoi la diversité culturelle et linguistique, la liberté d'expression et
l'infoéthique ont été retenues c o m m e des composantes essentielles de la
société de l'information, telle que l ' U N E S C O la conçoit. Deux autres points,
l'égalité des sexes et la situation des handicapés ont, selon nous, une valeur
symbolique. L'accès de tous aux technologies de l'information se heurte à
un certain nombre d'obstacles préexistants, auxquels nous devons nous
attaquer. E n ce sens ces deux derniers thèmes nous paraissent primordiaux.
L a simple évocation de ces thèmes donne un avant-goût de la
difficulté de la tâche. Il ne s'agit pas seulement de rassembler des
informations techniques ou de découvrir les chiffres les plus précis.
Cependant, m ê m e si les données sur ces thèmes ne sont généralement pas
quantifiables, il n'est pas totalement impossible d'analyser l'état actuel de la
recherche dans ces domaines. Mais cela demande une approche rigoureuse
et ordonnée des sources et des informations qu'elles offrent. Les études
respectent, dans leur principe, certaines règles essentielles, à commencer par
le souci de cerner le thème de recherche, en passant par l'établissement d 'un
classement typologique des études consultées et par la tentative de dégager
des conclusions d'ensemble ainsi que des perspectives, pour pousser plus
loin la réflexion.
Telle est l'ambition de cette collection. Plus qu'un simple panorama
de l'état actuel de la recherche, elle tend à donner à tous les chercheurs,
universitaires et professionnels qui le désirent les outils dont ils ont besoin
pour s'orienter dans l'énorme masse des recherches, en cours et terminées,
sur les divers aspects de l'utilisation des techniques de l'information et de la
communication.
Chapitre 1
Technologies de l'information et de la communication (TIC) et les disparités entre les h o m m e s et les f e m m e s
Magdallen N. Juma Université virtuelle africaine
Nairobi, K e n y a
Introduction
L e présent rapport s'intéresse principalement aux recherches qui ont
été menées de par le m o n d e sur la question de l'égalité des genres dans
l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC).
Il présente une brève analyse des divers travaux de recherche et publications
spécialisés qui ont été consultés, en mettant l'accent sur les grandes
tendances observées et les lacunes que présente ce corpus de documents. Il
formule également des recommandations concernant les recherches à
entreprendre dans l'avenir.
Méthodologie
Les informations ayant trait aux recherches effectuées dans ce
domaine entre 1998 et 2001 proviennent de sources très variées. Ont été
consultés des ouvrages, des articles de revues, des documents sur l'Internet
et des bases de données de bibliothèques afin d'en établir une bibliographie
aussi complète que possible. Les délais impartis à la recherche n'ont pas
permis d'élargir davantage l'éventail des publications. Compte tenu des
contraintes temporelles et financières, nous avons largement puisé dans
l'Internet c o m m e source principale d'informations pour notre compilation.
L'étude aurait été plus complète si nous avions pu contacter un plus grand
nombre de bibliothèques, mais nous s o m m e s convaincue que, telle quelle,
elle représente bien la diversité des travaux de recherche menés dans ce
domaine entre 1998 et 2001. Cela est d'autant plus vrai que cette période
correspond au m o m e n t où l'Internet a atteint sa maturité en tant que
dépositaire des travaux sérieux de la recherche universitaire. Lorsque nous
n'avons pu avoir accès à certaines ressources (le plus souvent, dans le cas
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État de la recherche sur la société de l'information
d'ouvrages publiés), nous avons en général réussi à trouver des articles de
presse ou les résumés analytiques des maisons d'édition qui nous donnaient
une idée assez exacte du contenu des ouvrages.
Notre examen des documents a mis au jour une abondance de rapports
pertinents, que nous n'avons cependant pas pris en compte car les
recherches n'entraient pas dans le cadre de la période 1998-2001. La
période 1993-1996, en particulier, semble avoir produit un grand nombre de
documents qui préfiguraient l'étude des TIC et de l'égalité entre h o m m e s et
femmes. E n 2002 aussi, il semble que l'intérêt pour ce sujet se soit ravivé,
notamment avec l'essor des TIC dans les pays en développement.
La problématique
L'examen attentif du W e b et des bases de données bibliographiques
montre qu'il existe un intérêt très vif chez les chercheurs pour la question
des TIC et des inégalités entre h o m m e s et femmes. Les sources des travaux
sont très variées mais deux d'entre elles semblent prépondérantes :
1. Les Départements d'universités, notamment dans les pays développés
(bien que cette observation soit peut-être faussée par la difficulté
d'accéder par l'Internet à des données sur les pays en développement) et
le plus souvent les facultés et unités consacrées aux études des genres ;
2. Les agences donatrices internationales, y compris les organisations telles
que la Banque mondiale, l ' U N E S C O et l'Union internationale des
télécommunications (UIT).
Parmi les autres sources on trouve des organisations non
gouvernementales ( O N G ) et des départements ministériels.
M ê m e si on ne saurait trop généraliser, les recherches conduites par les
universités s'intéressent davantage aux questions de TIC et de disparité entre
les sexes, en s'appuyant, le plus souvent, sur des études de cas choisis dans
des pays développés. À l'inverse, les recherches commanditées ou financées
par des agences donatrices portent, au premier chef, sur l'emploi des TIC
dans les pays en développement ; il en va de m ê m e des O N G . Les
recherches initiées par les gouvernements sont habituellement destinées à
instruire leurs commanditaires sur la politique du développement. E n termes
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État de la recherche sur la société de l'information
quantitatifs, des études bien plus nombreuses ont été effectuées dans les
pays développés, concernant leur propre utilisation des TIC, bien que l'on
observe depuis 1999 une croissance régulière du nombre de recherches sur
les pays en développement. O n peut remarquer cependant que les documents
dont ces pays font l'objet possèdent une qualité scientifique moindre que
celle des pays développés : dans les pays en développement, en effet, la
plupart des documents proviennent de travaux de recherche financés par des
agences donatrices internationales, dont les exigences en la matière sont
moins strictes que celles des universités. Il existe bien quelques projets de
recherche traitant d'études de cas relevés dans des pays en développement,
mais on peut conclure, à l'évidence, que les recherches sur un thème aussi
pointu que la dynamique de l'emploi des TIC en relation avec le sexe des
utilisateurs sont à la fois plus nombreuses et plus rigoureuses dans les pays
développés que dans les pays en développement. Les informations
disponibles ainsi que les recherches antérieures sur le problème qui nous
occupe ont un caractère trop général et ont tendance à se focaliser sur
l'accès des femmes aux TIC et sur leur expérience dans ce domaine.
D'autres travaux portent sur l'emploi des TIC dans des secteurs précis, tels
que l'éducation ou l'agriculture, mais ils sont assez peu nombreux. Notre
analyse des documents, axée sur la période 1998-2001 a mis en lumière
deux thèmes principaux : (a) dans quelle mesure les femmes ont-elles accès
aux TIC et à leur utilisation et (b) les différentes utilisations que les femmes
font des TIC, et l'impression qu'elles en retirent. Ainsi que des aspects plus
spécifiques, c o m m e la disparité entre h o m m e s et femmes dans l'accès aux
TIC et leur utilisation, l'égalité des sexes, la situation inégalitaire des
h o m m e s et des femmes, sur le plan social, juridique, politique et culturel.
S'agissant du comportement des femmes qui utilisent les TIC, il est
intéressant de remarquer que de nombreux travaux s'attachent à tester
l'hypothèse selon laquelle, du fait que l'Internet est un média virtuel, les
problèmes de l'inégalité entre h o m m e s et femmes disparaîtront et que tous
les utilisateurs pourront se conduire et réagir les uns avec les autres d'égal à
égal. Dans les travaux que nous avons examinés, une analyse très poussée
des études de cas montre cependant que rien ne vient étayer cette hypothèse.
A u contraire, la plupart des études tendent à confirmer que les h o m m e s
dominent l'Internet depuis le début. M ê m e si l'emploi de l'Internet par les
femmes a connu un développement remarquable ces dernières années, les
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État de la recherche sur la société de l'information
f e m m e s et les filles utilisent moins l'Internet, et l'utilisent d ' u n e manière
différente des h o m m e s .
L a faible utilisation de l'Internet par les f e m m e s a non seulement pour
effet de leur offrir un moindre accès à l'information et aux services en ligne,
mais peut aussi avoir des conséquences économiques et éducatives. A u
cours de l'histoire, les f e m m e s ont été moins promptes que les h o m m e s à
adopter les nouveautés technologiques ; cette attitude négative explique leur
moindre familiarité avec l'ordinateur, leurs moindres compétences en
informatique et leur attitude moins favorable que celle des h o m m e s à
l'égard des ordinateurs. Les disparités entre les sexes en matière de
communication se font également sentir dans les interactions sur l'Internet :
elles se traduisent par la domination des h o m m e s dans les groupes de
discussion virtuels. Les recherches ont montré que dans l'ensemble, pour u n
h o m m e la communication en ligne est valorisante et incite à la controverse
alors que pour une f e m m e elle renforce la concordance et l'hésitation. C e
type de communication peut décourager la participation des f e m m e s à la
communication en ligne et provoquer des disparités entre h o m m e s et
f e m m e s . Tous ces problèmes semblent susciter plus d'inquiétude dans le
cadre des pays développés, où les difficultés d'accès aux T I C sont
relativement mineures, comparées à celles des pays en développement. C'est
pourquoi, dans toute recherche effectuée sur les T I C et l'inégalité entre
h o m m e s et f e m m e s effectuée dans les pays en développement, l'accent est
mis le plus souvent sur l'aspect socio-politique et sur l'analyse des obstacles
rencontrés par les f e m m e s pour l'accès aux T I C et à leur utilisation. A la
différence de ce qui se passe dans les pays développés, ce type de recherche
a une finalité pragmatique et aboutit souvent à suggérer c o m m e n t rendre les
T I C plus accessibles aux f e m m e s , ou c o m m e n t surmonter les difficultés qui
s'y opposent. L'analyse des T I C et des disparités entre h o m m e s et f e m m e s
dans les pays en développement est souvent étroitement liée avec celle de la
pauvreté, d u fait que les f e m m e s pauvres semblent, de surcroît, y être les
personnes les plus défavorisées de la société.
E n conséquence notre rapport se concentre sur la problématique et les
études se référant à (a) la communication par l'ordinateur ; (b) l'éducation
assistée par les T I C ; (c) les disparités d'accès aux T I C entre h o m m e s et
f e m m e s ; (d) l'inégalité des sexes dans leur traitement social, juridique,
politique et culturel ; (e) l'emploi des T I C par les f e m m e s dans les pays en
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État de la recherche sur la société de l'information
développement ; (f) quelques problèmes clés de la différence des sexes dans
l'utilisation des TIC ; et enfin (g) les perspectives et suggestions pour des
recherches futures.
La communication par l'ordinateur
E n examinant les recherches effectuées dans ce domaine on a
découvert qu'il existe deux théories contradictoires au sujet de la
communication par ordinateur. L'une soutient que la communication en
ligne est égalitaire. E n s'exprimant par ordinateur les personnes sont
dénuées de toute inflexion vocale, de langage du corps et autres signes
habituels de la conversation, ce qui permet aux femmes de participer
exactement c o m m e les h o m m e s à ce type de communication. L'autre théorie
concerne la tendance qu'ont les utilisateurs de l'Internet à faire état dans
leurs messages des particularités culturelles liées à leur sexe ; les disparités
liées au sexe joueraient alors au détriment des femmes. Selon cette dernière
théorie, l'interaction en ligne entre les sexes ne fait que reproduire ce qui se
passe dans la conversation en m o d e réel, où les h o m m e s dominent : le
problème du pouvoir dans le cyberespace serait comparable à celui qui se
joue dans l'espace physique. L a notion de liberté de parole a été invoquée
pour défendre le harcèlement en ligne, au n o m de la liberté d'expression et
pour faire passer pour « acte de censure » la résistance des femmes à ce
harcèlement. Si on est d'accord avec cette conception, il devient évident que
la parité sociale ne peut exister que dans une ambiance de tolérance et de
respect de la diversité des personnes qui vivent parmi nous. L a majorité des
études que nous avons consultées tend à infirmer la première de ces deux
théories en posant le principe, à la lumière de l'analyse approfondie des cas
étudiés, que les TIC ne contribuent pas, en réalité, à faire disparaître les
différences acquises par la culture entre les h o m m e s et les femmes (Barrett,
1999 ; Herring, 1998 ; Herring, 1999 ; Millar, 1998 ; Soukup, 2001).
L'éducation assistée par les TIC
Certaines études de cas ont utilisé l'analyse contextuelle des
dialogues en ligne pour observer le comportement socio-émotionnel. Les
recherches de ce type ne font souvent qu'approfondir les questions que nous
venons d'évoquer, au sujet de la différence des rôles joués par les h o m m e s
19
État de la recherche sur la société de l'information
et les f e m m e s en matière d'apprentissage en ligne. L à aussi, les faits
semblent indiquer que les h o m m e s et les f e m m e s endossent des rôles qui les
différencient nettement. Il est prouvé que le contenu cognitif et
« métacognitif » de la participation aux séminaires en ligne était semblable
chez les h o m m e s et les f e m m e s , mais que leur comportement social et
interactif différait de façon significative. Il est apparu, par exemple, dans
l'une des études, que dans u n environnement d'enseignement formel en
ligne, les h o m m e s envoyaient u n plus grand n o m b r e de messages que les
f e m m e s , que leurs messages étaient deux fois plus longs et plus chargés de
contenu socio-émotionnel. Les participants masculins paraissaient également
plus agressifs, portés à la contestation et à la prise de pouvoir. Quan t aux
f e m m e s , elles semblaient composer des messages plus « interactifs » que les
h o m m e s , recherchaient la concordance et l'intimité ; elles étaient souvent
dominées et dépassées par le discours agressif des participants masculins.
U n e nouvelle disparité entre les sexes a été décelée quant à l'interaction
physique entre garçons et filles durant les cours d'informatique. O n a
remarqué que la majorité des filles y paraissaient malheureuses car les
garçons se moquaient d'elles et qu'elles craignaient de s'adresser aux autres
filles. C'est là u n thème qui court tout au long des études sur les différences
entre les sexes, qui déborde le domaine des T I C et concerne le fait que les
écolières sont « conditionnées » ou « encouragées » à ne pas s'engager dans
des domaines d'étude tels que les mathématiques, la science et la
technologie.
Cela prend des dimensions extrêmes dans les pays en développement, o ù
les filles se heurtent à des barrières encore plus difficiles à franchir que dans
les pays développés pour accéder aux T I C . Ainsi les filles peuvent-elles être,
par exemple dissuadées d'entrer au collège (où les pouvoirs publics tendent
à concentrer la majeure partie des investissements en infostructures) et sont
supposées effectuer toute une g a m m e de tâches ménagères dont les garçons
sont exemptés. Les recherches montrent que dans ces conditions les filles
ont beaucoup de peine à accéder aux T I C . Si elles le font, elles sont
exposées au m ê m e type de problèmes que ceux qui sont décrits dans le
paragraphe précédent. Quoiqu'il en soit, la recherche sur les pays en
développement est dominée par le fait que, pour la majorité des enfants
20
État de la recherche sur la société de l'information
(filles et garçons) l'accès aux TIC, sous quelque forme que ce soit, est tout
simplement impossible (Barrett, 1999 ; Burka, 2001 ; Daly, 2000 ; Freeman,
1999).
L'accès aux TIC et leur utilisation : disparités entre les sexes
Ces deux dernières années, les études ont démontré que h o m m e s et
femmes ont des chances inégales d'utiliser des ordinateurs et cela tend à se
confirmer, selon les recherches menées entre 1998 et 2001. Les disparités se
manifestent de diverses façons. Les garçons suivent un plus grand nombre
de cours qui font appel aux ordinateurs, ils les utilisent plus souvent pendant
leurs loisirs et ils y passent plus de temps que les filles. Plusieurs théories
bien connues sur les disparités dans ce domaine ont été examinées.
Historiquement, trois hypothèses sont évoquées : (a) les différences
génétiques, (b) les différences d'aptitudes à l'apprentissage, (c) un mélange
des deux. Or nombre de recherches montrent que, dans l'ensemble, les
h o m m e s et les femmes ne sont pas différents biologiquement mais ont une
vision différente des ordinateurs et de leur utilisation.
Certaines études vont dans le m ê m e sens. Elles alimentent le débat en
suggérant que les disparités dans l'utilisation des TIC sont de nature
sociologique. Bien que ce fait ait certaines conséquences négatives (dans la
mesure où, notamment les filles et les femmes sont dissuadées d'utiliser
couramment les TIC) , cela donne à penser, a contrario que les TIC peuvent
donner naissance à des applications plus constructives, en dépit de ces
différences. L'exemple cité ci-dessus des divers types d'interaction en jeu
dans la sphère de l'éducation en ligne suggère qu'il peut y avoir un meilleur
parti à en tirer, sur le plan social, en mettant l'accent sur les TIC qui font
appel à l'interactivité et à la création de liens plutôt qu'à celles qui suscitent
confrontation et antagonisme (Green et A d a m , 2000 ; Kirkpatrick, 1998 ;
Martin, 1998).
Inégalité des sexes
Lorsque l'on parle du « fossé numérique », on pense avant tout à
l'inégale répartition de la technologie à l'intérieur des sociétés, aussi bien
qu'entre les différents pays du m o n d e . L'utilisation de l'Internet sert souvent
d'indicateur normatif de l'emploi des TIC. Le projet Learnlink de
21
État de la recherche sur la société de l'information
l'Académie pour le développement de l'éducation a effectué, ces dernières
années, des recherches sur l'emploi des TIC en relation avec les femmes
dans les pays en développement. Elles concluent que celles-ci se heurtent à
des obstacles considérables pour avoir accès aux TIC. Les chercheurs ont
examiné les données concernant près de 30 pays et conclu que moins de 1 %
de la population totale de l'ensemble des pays en développement utilise
l'Internet. Ces utilisateurs appartiennent en général à l'élite urbaine,
éduquée, qui utilise essentiellement l'ordinateur sur le lieu de travail pour
des tâches de routine. Selon cette étude et d'autres travaux similaires, parmi
les obstacles à l'accès des femmes aux TIC on trouve la faiblesse du niveau
d'alphabétisation et d'éducation, la langue, le temps, le prix, la localisation
des services, les normes sociales et culturelles ainsi que le manque de
compétences en informatique et en gestion. Il convient cependant de
remarquer que, dans l'ensemble, les travaux de recherche sur le sujet se
caractérisent par la faiblesse des données statistiques. Il ne s'agit pas de
critiquer ces travaux de recherche en eux-mêmes , mais de reconnaître la
difficulté de recueillir des données quantitatives dans les pays en
développement. Et cela s'avère plus compliqué encore lorsqu'il s'agit
d'études sur la disparité des sexes car très peu de données quantitatives
distinguent le cas des h o m m e s de celui des femmes. Cela ne signifie pas que
les conclusions obtenues, c o m m e celles qui viennent d'être citées, soient
suspectes, mais qu'il reste à trouver des méthodes plus précises pour
mesurer l'étendue des problèmes concernant l'utilisation des TIC par les
femmes, en améliorant notamment la collecte systématique des données
quantitatives sur les modes d'utilisation des TIC par les h o m m e s d'une part
et par les femmes d'autre part.
Utilisation des TIC par les femmes dans les pays en développement
Il est toujours difficile d'obtenir des données sur l'utilisation de
l'Internet par pays, selon le sexe, surtout dans les pays en développement.
L'Union internationale des télécommunications (UIT) recueille des données
par pays sur l'utilisation de l'Internet, mais pas selon le sexe de l'utilisateur.
Les sources d'information doivent être, dès lors, recherchées dans les études
de marché et autres projets particuliers. D e ces données il ressort qu'il
semble qu'il n 'y ait aucune corrélation entre l'emploi de l'Internet par les
femmes et les indicateurs habituels, à savoir sur leur taux d'alphabétisation,
22
État de la recherche sur la société de l'information
le P N B par habitant, leur représentation dans les postes techniques ou dans
les postes de pouvoir. Parmi les pays ayant un taux élevé d'utilisatrices on
trouve en effet des pays où son utilisation reste limitée à une très petite élite,
notamment dans les pays les moins industrialisés (Hafkin et Taggard, 2001).
Les statistiques par régions montrent que plus de 90 % des utilisateurs de
l'Internet appartiennent aux pays industrialisés, dont 57 % aux seuls Etats-
Unis et au Canada. O n observe actuellement des taux de croissance élevés
ainsi qu'une importante marge de croissance en Asie, notamment en Chine
et en Inde. O n a observé que, parallèlement à la croissance rapide du
pourcentage des femmes parmi les utilisateurs aux Etats-Unis - où elles
constituent déjà la majorité - le nombre d'utilisatrices s'est accru dans les
pays en développement. Mais cette tendance n'est pas suffisamment prise en
compte dans les données, par manque de statistiques précises. L ' U I T indique
qu'aux Etats-Unis, où 46 % des foyers sont reliés à l'Internet, beaucoup de
femmes s'y sont mises, autant que les h o m m e s , et utiliser l'Internet est
passé dans les m œ u r s domestiques c o m m e une activité qui occupe les
femmes plusieurs heures par semaine.
Par contraste, en dehors des niches de revenus supérieurs, la possession
d'ordinateurs et la connexion à l'Internet chez soi ne sont pas courantes
dans les pays en développement. Lorsque les femmes y ont accès, c'est en
général au travail, et c'est là qu'elles s'en servent. C o m m e le fait remarquer
Bautista, en Inde tous les médias électroniques, depuis la télévision par
satellite jusqu'à la messagerie et l'Internet ne sont accessibles qu'aux
classes privilégiées et répondent presque exclusivement aux besoins et aux
désirs d'information et de divertissement, qui sont essentiellement le fait des
h o m m e s (Bautista, 1999). A u Bangladesh on pourrait nourrir une famille
pendant un an avec le prix d'une connexion à l'Internet. Dans le contexte de
l'Afrique, Morna et Khan déclarent que la plus grande partie des femmes
qui ont accès à la technologie de l'information l'ont exclusivement au
travail (Morna et Khan, 2000). Parmi ces utilisatrices on distingue deux
catégories : celles qui s'en servent essentiellement c o m m e outils de
production, c'est-à-dire pour des travaux ordinaires de bureau -
enregistrement de données, programmation et autres - et celles qui les
utilisent c o m m e instruments de communication, c'est-à-dire pour créer et
échanger des informations, notamment lorsqu'elles travaillent dans des
O N G , des services universitaires, ou dans les secteurs public et privé.
23
État de la recherche sur la société de l'information
Il convient de souligner que la technologie de l'information a été un
instrument de progrès social dans les pays en développement et qu'elle a fait
cause c o m m u n e avec la quête de démocratie et de protection de
l'environnement. Hafkin (2000) signale que l'on a commencé à étudier les
liens entre inégalité des sexes et technologie de l'information dans les pays
en développement lorsque N G O N e t s'est mis en place pour préparer le
S o m m e t de la Terre de 1992, organisé par la Conférence des Nations Unies
sur l'environnement et le développement, à Rio de Janeiro (Brésil). N G O N e t
avait pour objet de donner aux femmes et autres groupes de la société civile
des pays en développement une chance d'utiliser les moyens électroniques
pour exprimer leurs opinions dans un forum mondial du développement.
N G O N e t a inspiré la création du Programme A P C de soutien à l'accès des
femmes aux réseaux ( W N S P ) qui est devenu le plus grand mouvement
d'idées au monde consacré à stimuler l'emploi des technologies de
l'information à l'intention des femmes des pays en développement (Hafkin,
2000). Le volet consacré aux femmes de l'Association en faveur de la
communication pour le progrès (APC) a non seulement utilisé les nouveaux
médias pour les échanges d'information mais a également pris la tête
d'actions pour favoriser l'accès des femmes à la formation dans ce domaine.
Cela a donné lieu, pour les O N G féminines du monde entier à une profusion
d'activités facilitées par l'emploi des technologies de l'information.
Brisco (2000) a signalé le fait que certaines femmes des pays en
développement utilisent les moyens électroniques de communication pour
créer des réseaux qui servent les intérêts de leurs entreprises commerciales.
Bien que ce domaine soit nettement moins développé que celui des réseaux
d'activistes politiques, c'est un domaine intéressant, destiné à se développer.
Des fédérations de femmes d'affaires et d'autres professions de nombreux
pays se sont constituées en réseau et se sont rattachées à un réseau de
femmes d'affaires d'Amérique du Nord en tant que partenaires
commerciales, fournisseuses et points de contact pour la mise en réseaux. Il
est regrettable que cette entreprise ait dû arrêter totalement son activité à la
fin de l'an 2000 (Brisco, 2000). Les femmes entrepreneurs dans les petites et
moyennes entreprises utilisent la technologie de l'information pour faire
fonctionner et gérer leurs affaires. M ê m e si elles ne le font pas à la m ê m e
échelle que les groupes comparables d ' h o m m e s , les O N G et les entreprises
dirigées par des femmes utilisent, à n'en pas douter, la technologie de
l'information pour améliorer l'efficacité et la rentabilité de leurs entreprises.
24
État de la recherche sur la société de l'information
Gallagher (2000) ajoute que, depuis que les femmes des Etats-Unis ont
dépassé les h o m m e s dans l'utilisation de l'Internet, au cours du premier
trimestre 2000, les commerces électroniques de détail se tournent de plus en
plus, dans leurs contacts sur le W e b , vers les consommatrices. Les forces
vives du négoce commencent à s'adresser aux femmes des pays en
développement : des portails commerciaux destinés aux consommatrices
sont apparus, ciblant les femmes de Chine, de l'Inde et de l'Amérique latine
(Gallagher, 2000). Hafkin et Taggart (2001) précisent que le courrier
électronique est la principale application des TIC utilisée par les
organisations féminines et par les femmes en général dans les pays en
développement. L a prédominance du courrier électronique sur toutes les
autres applications est presque universelle chez les femmes, en raison du
manque de temps qui leur est c o m m u n . Dans ces pays-là, toutefois, le choix
des applications est surtout conditionné par la largeur de la bande passante
et la vitesse de débit des liaisons. L à où l'infrastructure des
télécommunications est satisfaisante et le nombre de femmes connectées est
élevé, on utilise davantage le W e b . Là où la concentration est moindre, le
choix se porte sur le courrier électronique et les groupes de discussion
(Hafkin et Taggart, 2001).
Principaux problèmes de l'inégalité des sexes devant les TIC
Rôle des femmes dans la prise de décisions sur les TIC et leurs techniques de production
E n dépit du progrès spectaculaire de l'emploi des TIC par les
femmes, les analyses démontrent l'absence manifeste des femmes dans les
rouages de la prise de décisions. Il s'agit des conseils d'administration et
des cadres supérieurs des sociétés privées en TI, des cadres supérieurs et des
conseillers des organisations de réglementation telles que l'UIT,
l'Organisation mondiale du commerce, l'Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle, des organismes, des industries et des associations
professionnels qui fixent des normes techniques, telles que la Société de
l'Internet, les organisations nationales de décision et de réglementation, les
ministères de tutelle du secteur des TI ainsi que des organisations et des
agences internationales de développement. Pourtant, c o m m e le signale
Marcelle (2000), une analyse empirique confirme que la prise de décisions
en matière de technologie ne prend pas en compte, le plus souvent, les
25
État de la recherche sur la société de l'information
exigences et les aspirations des f e m m e s , sauf à faire figurer dans l'analyse
les distinctions selon le sexe. Il remarque, en outre, que m ê m e si la notion
de sexe est prise en compte au plan conceptuel, les décideurs se fondent
souvent sur des données médiocres, dépassées, incomplètes et inexactes.
Pour leur part, les f e m m e s sont très rares parmi les producteurs de
contenus, de p r o g r a m m e s , de conception, d'invention et de réparation
d'ordinateurs. Cette question a provoqué une grande inquiétude, surtout à
l'égard des pays les moins industrialisés, où les f e m m e s restent des
consommatrices passives des T I C et n o n des productrices, qui manquen t de
compétences et ont peu de chances d'accéder à des postes de responsabilités
dans ce c h a m p d'activité. Miller (2000) s'inquiète surtout en constatant que,
au m o m e n t où les modèles économiques de l'avenir s'appuient de façon
croissante sur les T I C , les f e m m e s qui se contentent de les utiliser risquent
de se voir écarter des postes de c o m m a n d e en liaison avec les T I C et de se
trouver dans l'incapacité de concevoir des T I C qui répondent aux besoins,
aux préoccupations et aux priorités des f e m m e s , toutes choses que les
h o m m e s ont tendance à négliger lorsqu'ils conçoivent et produisent cette
technologie.
Les f e m m e s ont en général tendance à se porter sur les emplois o ù elles
utilisent les T I C en tant que consommatrices, pour le traitement de texte et
l'enregistrement de données ; elles comptent pour u n faible pourcentage
dans les effectifs de direction, d'entretien et de conception des réseaux, des
systèmes de fonctionnement o u de logiciels. O n peut objecter que leur faible
représentation dans la production et la conception des T I C découle de leur
moindre accès à l'éducation, des normes socio-culturelles qui découragent
les filles d'étudier les sciences et la technologie, et de la féminisation des
emplois qu'elles occupent dans les T I C . Miller (2000) remarque que leur
sous-représentation ou leur absence dans le processus de prise de décisions,
tant dans les pays développés que dans les pays en développement, est
particulièrement frappante dans les nouvelles industries nées des T I C , qui
ont pourtant relativement échappé à la division traditionnelle d u travail en
fonction d u sexe, et où l'on pourrait s'attendre à ce que les f e m m e s aient
une meilleure réussite. Il semble en définitive que cette disparité ne fasse
que refléter la division du travail dans le m o n d e entier où les f e m m e s sont
en général reléguées dans les postes inférieurs et sont incapables de briser
les cloisons invisibles de l'ordre social.
26
État de la recherche sur la société de l'information
Marcelle (2000) observe que tout récemment encore on ne s'intéressait
pas aux incidences de l'inégalité entre h o m m e s et femmes dans la
formulation des politiques. Il semble que le paysage change sous l'influence
de l'Institut des nouvelles technologies de l'Université des Nations Unies
( U N U - I N T E C H ) et du Fonds de développement des Nations Unies pour la
f emme . L ' U I T a inscrit la question de l'inégalité entre les sexes à l'ordre du
jour de la Conférence mondiale sur le développement des
télécommunications, en mars 1998 et, dans le droit fil de cette ligne
politique l'UIT a elle-même mis en place un groupe spécial chargé de cette
question en intégrant les problèmes d'inégalité entre h o m m e s et femmes
dans toutes ses activités. Le programme de ce groupe engage l 'UIT à aider
les Etats membres à intégrer l'analyse de la disparité des sexes dans leurs
politiques nationales de planification des télécommunications, l'introduction
de la distinction du masculin et du féminin dans les enquêtes statistiques, et
à prendre en compte les considérations d'inégalité dans des programmes tels
que le droit universel de communiquer, la télémédecine, l'enseignement à
distance, les télécommunications et l'environnement (Marcelle, 2000).
A u x Etats-Unis, où beaucoup de femmes utilisent les technologies de
l'information, le nombre de femmes qui fréquentent les instituts de formation
aux télécommunications - dont les diplômés réussissent souvent à occuper
ensuite des postes de commandement dans les domaines des TIC - connaît
une augmentation rapide. Ces instituts ont pour mission implicite d'accroître
la participation des femmes dans la réforme des télécommunications et des
règlements qui les concernent. Le Bureau de développement des
télécommunications, dont les travaux sont nettement axés sur les TIC,
incorpore régulièrement des messages adressés aux femmes dans ses
principales communications sur les activités de développement.
íes femmes dans l'enseignement de la science et de la technologie
L e savoir scientifique et technologique est évidemment indispensable
à tout emploi dans le domaine de la technologie de l'information, notamment
pour les programmeurs, techniciens, analystes de systèmes et autres
personnels. O n dit qu'aux Etats-Unis les effectifs de filles en classes
préparatoires de mathématiques et de science sont en augmentation constante
depuis une trentaine d'années. E n Californie par exemple, elles sont plus
nombreuses que les garçons. Rathgeber (2002) signale cependant que ce
27
Etat de la recherche sur la société de l'information
n'est pas le cas en sciences physiques et en informatique : elles ont bien plus
de chances de s'orienter vers la biologie et les sciences de la santé que vers
la physique, l'ingénierie ou la technologie. O n s'est beaucoup inquiété aux
Etats-Unis du faible nombre d'étudiantes diplômées en informatique. E n
1998, par exemple, les femmes ne constituaient que 15 à 20 % des étudiants
de premier cycle en informatique dans les grandes universités. E n fait, la
proportion de femmes obtenant la licence dans cette spécialité est tombée de
37 % en 1984 à 27 % en 1995, selon une étude (Margolis et coll., 1999).
Les taux d'inscription des femmes en sciences sont, dans l'ensemble,
apparemment inférieurs à ceux des h o m m e s . M ê m e lorsque la proportion
des filles fréquentant l'école augmente, une mauvaise scolarité et des
attitudes dissuasives à l'égard des filles en général, et notamment dans les
sections de mathématiques et de science, ont pour résultat qu'elles
n'atteignent pas un niveau suffisant pour poursuivre des études scientifiques
ou technologiques. Dans les pays en développement, les filles ont bien
moins de chances que les garçons de s'inscrire dans les filières scientifiques
et technologiques, de mathématiques ou d'informatique, m ê m e dans
l'enseignement secondaire (Hafkin et Taggart, 2001). Des enquêtes sur les
programmes d'enseignement de science et de technologie, au plan mondial,
montrent que les idées reçues sur la science et l'ingénierie ne sont pas
étrangères au faible taux d'inscription des femmes dans le troisième cycle
de ces filières. U n e étude menée en 2002 par l'Association américaine des
femmes universitaires ( A A U W ) conclut que les filles et les femmes trouvent
les emplois dans la technologie peu attrayants car elles les voient c o m m e
des emplois « où l'on travaille seuls », « passifs » et « sédentaires »
( A A U W , 2000). U n e autre enquête a montré qu'elles ont l'idée préconçue
que l'ingénierie offre des postes « salissants », très physiques ou manuels ;
elles ne semblent pas très bien comprendre ce que font les ingénieurs
(Hersh, 2000). E n dehors des Etats-Unis également les femmes font preuve
d'aversion pour l'étude de la technologie de l'information.
Les femmes et les connaissances élémentaires
D ' u n e façon plus générale, h o m m e s et femmes doivent savoir lire et
compter pour comprendre et composer de simples messages, naviguer sur
l'Internet et obéir aux instructions, avec la plupart des logiciels. D u fait que
les femmes représentent près des deux tiers de la population analphabète du
28
État de la recherche sur la société de l'information
m o n d e et qu'une f emme sur deux dans les pays en développement est
analphabète, elles ont deux fois moins de chances que les h o m m e s de ne pas
posséder les connaissances élémentaires et les aptitudes à l'informatique
indispensables pour profiter des nouvelles chances offertes par la
communication mondiale, c o m m e le signalent Fraser-Abder et Mehta
(2000). Les femmes se heurtent à de plus grandes difficultés, à tous les
stades de leur vie, pour poursuivre leur éducation, par manque de temps
pour aller à l'école, en raison des tâches familiales et domestiques à
accomplir, par manque d'argent pour les frais de scolarité, et à cause des
normes socioculturelles qui accordent une faible importance à l'éducation
des femmes. Dans les pays en développement surtout, si le fossé entre
garçons et filles quant au niveau de scolarisation dans le primaire et le
secondaire tend à se combler ces dernières années, les filles représentent
encore les deux tiers des enfants d'âge scolaire à ne pas bénéficier d'une
éducation de base ; elles ont donc bien moins de chances que les garçons de
s'inscrire à des cours de mathématiques ou d'informatique.
Mangue de temps
Les femmes des pays en développement connaissent encore
beaucoup d'autres circonstances qui les empêchent de profiter des TIC.
Huyer (1999) estime que le principal obstacle est le manque de temps, du
fait que les soins à donner aux enfants reposent sur les épaules des femmes
et des filles : elles ont donc moins de chances de disposer de temps libre à
passer sur l'Internet, que ce soit à la maison, au travail ou dans les lieux
publics d'Internet. « Le manque de temps » revient dans de nombreuses
études c o m m e principal obstacle à « la recherche d'informations », « la
familiarisation avec l'ordinateur », « se faire aider », « préparer les éléments
à enregistrer », « les transmettre », « répondre aux messages électroniques »,
et « créer un site sur le W e b ». Cette question du temps est étroitement liée
à la localisation spatiale des lieux publics d'Internet, ce qui est très gênant
pour les femmes des pays en développement. Ils se trouvent généralement
dans les grandes villes, parfois très loin des lieux d'habitation. C o m m e plus
de femmes que d ' h o m m e s vivent en zones rurales, la disparité entre
h o m m e s et femmes quant à l'accès à l'Internet suit la m ê m e ligne de
partage que le fossé rurale/urbaine. Les zones rurales, où les femmes
représentent 60 % de la population, ne disposent souvent pas des ressources
et des infrastructures d'accès aux TIC.
29
État de la recherche sur la société de l'information
Coût de l'équipement et de la liaison
Les coûts d'équipement et de liaison sont en général excessifs pour
la majorité des habitants des pays en développement. C o m m e la plupart des
foyers n'ont pas d'ordinateurs, les femmes ont très peu de chances de
pouvoir s'offrir les services de l'Internet dans des centres publics. Quant au
coût horaire d'utilisation de ces installations, il dépasse souvent les moyens
dont disposent les femmes, qui ont, dans l'ensemble, moins de ressources
que les h o m m e s pour payer des services. D u fait que les femmes entrent de
plus en plus nombreuses dans le monde du travail, l'accès aux TIC sur le
lieu de travail constitue une possibilité pour les femmes éduquées, de la
classe moyenne, qui occupent des emplois de bureau. Cependant, dans la
plupart des pays en développement, les femmes ont bien plus de chances de
trouver un emploi dans le secteur informel - domesticité, travail à domicile,
ou à l'usine - que dans des bureaux. Et dans ces emplois-là elles n'ont
guère de chances d'avoir accès à des ordinateurs.
Problème de langue
Le Global Networking for Change (Réseau mondial en faveur du
changement) considère la langue c o m m e un obstacle important à la
participation des femmes aux TIC. L a domination écrasante de l'anglais
dans l'Internet, et dans une moindre mesure, des autres grandes langues
internationales, en interdit l'accès à la majorité de la population mondiale,
qui parle d'autres langues. C e facteur a une incidence considérable sur les
femmes et sur d'autres groupes marginalisés, privés d'accès à la
scolarisation formelle qui leur permettrait d'étudier des langues
internationales. Il est à signaler que m ê m e des utilisateurs ayant d'assez
bonnes connaissances en anglais sont découragés d'utiliser l'Internet par
leur manque d'aisance dans cette langue. L a domination actuelle de l'anglais
dans l'Internet souligne l'importance du flux d'informations qui circule des
Etats-Unis et d'Europe occidentale vers les pays en développement, ce qui
rend assez difficile l'échange d'informations entre les populations
n'appartenant pas aux élites de ces deux mondes.
Perspectives et champs de recherche pour l'avenir
Les TIC pourraient aider les femmes à améliorer l'efficacité et la
productivité du travail qu'elles accomplissent et à saisir les chances nouvelles
30
État de la recherche sur la société de l'information
offertes par l 'économie de l'information. L a présente section traite des
chances que peut leur ouvrir l'utilisation des T I C dans l'agriculture, le petit
c o m m e r c e , la défense de leurs intérêts, leur participation à l'innovation
technologique, et dans d'autres domaines de recherche possibles.
À la lumière de cette analyse, il est indéniable que les f e m m e s ont accédé
à des emplois hautement qualifiés en matière de technologie de
l'information, surtout dans les pays dont les politiques nationales ont mis
l'accent sur l'enseignement de la science et de la technologie. Il existe des
domaines importants dans lesquels les f e m m e s ont nettement progressé,
dans le secteur des emplois nouveaux de la technologie de l'information. U n
plus grand n o m b r e de f e m m e s effectue des travaux qui étaient autrefois
l'apanage des h o m m e s et s'aventurent dans les nouveaux types de travaux
nés de la mise en place de cette technologie. U n plus grand n o m b r e de
f e m m e s , surtout dans les pays développés, étudient l'informatique et les
matières apparentées. C e faisant, elles rendront les choses plus faciles à
toutes les autres. Pour préserver et renforcer les percées qu'elles ont
effectuées en matière d 'emploi, grâce à la mondialisation et à la technologie
de l'information, il faut que les f e m m e s accèdent à des emplois plus orientés
vers la technique, plus qualifiés et mieux rétribués. Encore faut-il qu'elles
aient la possibilité d'étudier et de se former pour pouvoir s'adapter aux
exigences d ' u n e technologie en constante évolution. U n haut niveau de
connaissances va de pair avec la technologie de pointe. Les f e m m e s ont
également besoin de prendre conscience des obstacles dus à l'inégalité des
sexes et à leurs charges domestiques plus lourdes. D a n s la mesure où la
technologie de l'information dépend de plus en plus d u développement de
l 'économie du savoir, l'éducation des jeunes f e m m e s prend d'autant plus
d'importance. L e faible taux d'alphabétisation des f e m m e s , n o t a m m e n t en
Afrique, fait barrage à leurs progrès dans les emplois faisant usage de la
technologie de l'information ainsi q u ' à leur utilisation de cette technologie
en général. Les f e m m e s africaines sont censées avoir le taux de participation
le plus bas du m o n d e en matière d'apprentissage de la science et de la
technologie, et ce, à tous les niveaux.
O n a tenté d'explorer les domaines où l'on pourrait développer l'utilisation
de la technologie de l'information, non seulement pour améliorer les activités
économiques des f e m m e s mais aussi pour toucher u n plus grand n o m b r e de
f e m m e s , surtout dans les zones rurales. C o m m e l'indique M u n y a (2000),
31
État de la recherche sur la société de l'information
bien que les femmes jouent un rôle prépondérant dans l'agriculture, principal secteur d'activité dans la plupart des pays en développement, elles ont très
peu de possibilités de s'informer sur ce qui pourrait les aider à améliorer leur
productivité et accroître leur contribution à l 'économie. Étant donné le
m a n q u e de sources d'information disponibles aux agricultrices, les T I C ont
engrangé u n grand potentiel d'informations pour aider les f e m m e s des zones
rurales en leur fournissant des conseils sur les c h a m p s à ensemencer, la
période favorable, c o m m e n t récolter et commercialiser leurs produits pour
éviter de les vendre à perte. Les agricultrices ont certainement u n grand
besoin d'être informées sur les techniques culturales améliorées, sur
l'obtention de crédits, les entrants dans l'agriculture, les systèmes de
transport, le potentiel des produits agricoles, les nouveaux marchés,
l'ensilage et tant d'autres sujets. L a radio est certainement la technique de
communication la plus accessible aux agricultrices dans les pays moins
industrialisés. L ' U n i o n des radios et des télévisions nationales d'Afrique
( U R T N A ) et la Fondation spatiale mondiale sont des sources potentielles
dont le contenu pourrait être utilisé par les agricultrices. E n Afrique d u Sud ,
le W o m e n ' s Ne t a un p r o g r a m m e qui associe d 'une part les stations radio et
d'autre part des organisations et des c o m m u n a u t é s de f e m m e s pour mettre au
point des émissions d'intérêt local. Il reste toutefois que le prix d'achat et de
réparation des postes de radio constitue u n obstacle important à leur
multiplication. Quan t au problème des langues, des compétences techniques
et des dépenses, ils pourraient être résolus par l'intervention d'intermédiaires
de l'information, qui seraient des animateurs, des travailleurs de la
c o m m u n a u t é ou des représentants d'autres groupes.
Les T I C pourraient aussi s'avérer très utiles pour les f e m m e s qui gèrent
des petits c o m m e r c e s . Selon la Fondation nationale pour les f e m m e s chefs
d'entreprises des Etats-Unis, les c o m m e r c e s détenus par des f e m m e s
constituent entre un quart et u n tiers de l'ensemble des c o m m e r c e s d u
secteur formel. D e m ê m e que pour les autres activités de l 'économie
féminine, l'application la plus adaptée aux besoins des petits c o m m e r c e s est
une information qui faciliterait leur activité. Malgré les coûts initiaux très
élevés de certaines charges telles que l'installation de l'électricité et d u
téléphone, l'achat d'ordinateurs et l 'abonnement à u n serveur d'Internet, la
masse des informations disponibles sur l'Internet est é n o r m e par rapport aux
dépenses. C e s commerçantes ont besoin de s'informer sur l'achat des
entrants, les nouveaux marchés, l'environnement de leur c o m m e r c e et les
32
État de la recherche sur la société de l'information
savoir-faire. Elles ont tendance à faire confiance à des sources informelles
qui pourraient bien être inexactes. Outre leur manque d'information, la
plupart des femmes chefs d'entreprise auraient intérêt à améliorer leurs
connaissances de la technique et de la gestion.
E n réalité, il existe beaucoup de domaines où les femmes ont besoin des
TIC. Elles peuvent les utiliser pour travailler de concert, s'assurer le soutien
de leurs collègues, lancer des campagnes fructueuses et partager la création
et le contrôle des TIC au mieux de leurs intérêts. À cet effet, les T IC
peuvent permettre aux femmes de se projeter dans l'avenir et d'introduire
leur propre vision des choses lorsqu'elles défendent leurs solutions, leurs
opinions et leurs expériences. Prises isolément, les femmes dépendent des
sources traditionnelles et locales d'information politique et civique, qui ne
sont pas toujours fiables. E n utilisant les TIC, elles peuvent vaincre leur
isolement géographique, favoriser l'interactivité, la mise en réseau, le
partage et la formulation de stratégies communes , et défendre leurs intérêts.
Les TIC permettent également aux femmes de communiquer entre elles au
plan local et international sans avoir à se déplacer et en dehors de toute
contrainte de temps. Les TIC peuvent aussi contribuer à élargir leur horizon,
les faisant passer d'une vision locale ou nationale à une vision internationale
de la vie. Dans de nombreuses régions du monde , les femmes mettent à
contribution les T T C dans leurs mouvements de lutte pour leurs droits et leur
autonomie, communiquant avec des réseaux dispersés, mobilisant leurs
forces en périodes de crise, participant à des débats politiques ou inventant
de nouvelles solutions. Nous en avons eu une parfaite illustration lors de la
quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1995). D e très
nombreuses femmes du m o n d e entier ont collaboré par le truchement de
l'électronique à piloter les travaux de la conférence. L'Internet a servi à
échanger des informations et à préparer les participations, à mettre au point
la formulation de la Plate-forme d'action des gouvernements et à façonner
les stratégies des O N G au forum. Les femmes ont utilisé, et continuent à le
faire, des outils aussi variés dans le domaine des T I C que le courrier
électronique, la téléconférence, le W e b , le C D - R O M et les disquettes, les
portails de l'information, les serveurs de fax etc.
Les efforts doivent également être poursuivis pour s'assurer que les
femmes soient présentes dans la conception m ê m e de l'innovation
technologique. Il faut créer des programmes de bourses et de subventions
33
État de la recherche sur la société de l'information
pour les femmes en matière de science et de technologie, ainsi que des p r o g r a m m e s de recherche et de formation. L'objectif visé est de veiller à ce
que des filles et des f e m m e s soient présentes parmi le personnel formé à la
technologie. Elles devraient jouir d ' u n accès équitable à la formation, à tous
les niveaux, y compris à la conception de systèmes, à la mise au point de
logiciels et à la gestion de l'information. L a condition la plus importante
concernant l'amélioration des capacités des filles et des f e m m e s des pays en
développement pour qu'elles bénéficient pleinement des possibilités offertes
par la technologie de l'information, c'est d'accroître les efforts pour les
éduquer, à tous les niveaux, depuis l'apprentissage de la lecture jusqu'à
l'enseignement scientifique et technologique. U n tel progrès réclame des
interventions à tous les stades d u système éducatif. Les technologies de
l'information devraient être intégrées au p r o g r a m m e des apprentissages
élémentaires des filles et des f e m m e s , de façon à les familiariser très tôt aux
nouvelles technologies. Il est, par ailleurs, indispensable d'introduire dans
les méthodes d'enseignement de la science et de la technologie des
changements qui contribueraient à les rendre plus attractifs pour u n plus
grand n o m b r e de f e m m e s . Et, par-dessus tout, mettre en œ u v r e une politique
de T I C non seulement aux niveaux national et international, mais aussi au
niveau de l ' O M C , de l ' U I T et des autres organisations
intergouvernementales.
D e tels efforts ont besoin d'être complétés par des travaux de recherche
constants et soutenus, sur les obstacles qui empêchent les f e m m e s d'utiliser
leurs aptitudes aux T I C . Il conviendrait de poursuivre les travaux, en
particulier sur les problèmes suivants :
1. Les ressources disponibles en matière d'information à l'intention des
petites entreprises de c o m m e r c e et les m o y e n s de communicat ion
efficaces et b o n marché entre f e m m e s travaillant dans ce domaine .
2 . L'acquisition de connaissances et de savoir-faire qui permettraient aux
f e m m e s de prendre part aux divers p r o g r a m m e s et activités des T I C .
3. Les stratégies d'intervention susceptibles de faciliter la participation des
filles et des f e m m e s à l'éducation, à tous les niveaux, et à l'étude de la
science et de la technologie.
4 . L'élaboration d ' u n e politique des T I C qui garantirait la participation
effective des f e m m e s aux discussions politiques et assurerait une plus
34
État de la recherche sur la société de l'information
grande contribution des technologies de l'information au développement
socio-économique.
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37
Chapitre 2
Diversité culturelle et linguistique dans les m é d i a s et les réseaux d'information
Ruth Teer T o m a s e 11 i Étude de la culture, de la communication et des médias,
Université du Natal, Durban Afrique du Sud
Introduction
C e rapport traite des travaux de recherche menés entre 1998 et 2001,
au niveau international, sur la diversité linguistique dans les médias et les
réseaux d'information. Il présente une brève analyse des diverses études et
publications scientifiques qui ont été passées en revue, il en dégage les
principales orientations et signale les lacunes observées dans le corpus des
documents consultés.
Méthodologie
Les informations sur les recherches effectuées de 1998 à 2001
proviennent de sources diverses. Des documents du W e b , des articles de
revues, des thèses de maîtrise et de doctorat, des bases de données de
bibliothèques ont été examinés pour constituer une bibliographie aussi
complète que possible. U n e vaste recherche sur le W e b a été effectuée mais
la possibilité de passer en revue la documentation a été limitée par les délais
imposés par l ' U N E S C O pour la remise du rapport. L'Internet a été utilisé de
façon intensive pour trouver les informations nécessaires à la compilation
des études pertinentes effectuées sur le sujet, car la majeure partie des bases
de données est disponible en ligne. Lorsque des articles, des thèses ou des
ouvrages ne pouvaient être lus en ligne in extenso les services de prêt inter
bibliothèques de l'Université du Natal ont été utilisés, et nous avons pu, par
ailleurs, découvrir des articles de presse et des résumés analytiques rédigés
par les maisons d'édition qui nous ont donné une idée assez précise du
contenu de la publication. L'enquête a révélé une abondante documentation
sur le sujet, dont certains éléments sortaient du cadre de la période
39
État de la recherche sur la société de l'information
considérée (avant 1998 ou après 2001). Ceux-ci n'ont donc pas été pris en
compte dans cette étude.
Aperçu général
L a diversité culturelle et linguistique dans les médias et les systèmes
d'information suscite un vif intérêt chez les chercheurs. Dans la diversité
des sources, quatre sources primaires se détachent :
1. Des institutions telles que l'International Clearing House for Endangered
Languages, le British Film Institute, Cable News Network, l'Internet
Content Ratings Association et le Summer Institute of Linguistics
International ;
2. Des facultés de pays développés et de pays en développement, mais les
documents proviennent en majeure partie de ces premiers, notamment
des facultés de communication, de services d'information, de linguistique
ou de pédagogie ;
3. D e services ministériels (les documents de cette catégorie étaient pour la
plupart des rapports succincts provenant de pays en développement,
notamment d'Afrique du Sud), tels que des rapports de ministres et de
présidents sur des problèmes de télédiffusion ;
4. Des organisations internationales, y compris des entités telles que la
Banque mondiale et l ' U N E S C O .
Il ressort des documents examinés que les facultés se sont intéressées à
des questions telles que (a) l'encouragement au multiculturalisme sur
l'Internet, (b) le recours aux nouvelles technologies en ligne pour la
renaissance des langues et l'étude de la diversité linguistique et culturelle,
(c) les incidences de la mondialisation sur la diversité culturelle et
linguistique, (d) la disparition des langues, (e) la réflexion pour repenser le
langage, (f) les politiques culturelles et éducatives destinées à renforcer la
diversité linguistique et culturelle, (g) l'emploi des langues vemaculaires
c o m m e véhicules de l'instruction, (h) la façon d'aborder les problèmes
d'accès et la diversité culturelle. L a majeure partie du matériel de ces
travaux provient d'études de cas effectuées dans des pays développés et en
développement. Quant aux recherches commanditées par des agences
donatrices, elles étaient axées sur : (a) des campagnes de protection de la
40
État de la recherche sur la société de l'information
diversité culturelle dans des pays développés c o m m e dans des pays en
développement, (b) les problèmes que pose la diversité des langues dans la
société de l'information, (c) l'encouragement au multilinguisme et à son
utilisation et l'accès de tous au cyberespace, (d) la diversité culturelle au
21 è siècle et (e) le rôle du savoir autochtone dans le développement.
E n ce qui concerne les O N G , leurs recherches portaient sur des thèmes
proches de ceux des facultés, mais s'y ajoutaient des études sur : (a) la
production de programmes et d'émissions attrayants pour des publics de
cultures différentes, (b) la participation de membres de minorités dans les
salles de rédaction, et d'acteurs représentatifs de la composition de
l'audience, (c) la nécessité de former des enseignants capables de valoriser
la diversité culturelle et linguistique dans les salles de classe, (d) l'évolution
de la répartition linguistique de l'ensemble de la population en ligne et de la
population non anglophone en ligne, (e) la façon dont les nations perçoivent
la domination de la langue anglaise sur le W e b , et (f) l'appel à la
coopération internationale pour combler le fossé numérique dans les pays en
développement. Quant aux recherches commanditées par des instances
gouvernementales, elles mettent l'accent sur : (a) la diversité culturelle et
l'identité nationale, (b) la réglementation des émissions, (c) les dilemmes
des langues minoritaires dans le contexte de la mondialisation, (d) la
diversité culturelle et la discrimination positive et (e) la législation
concernant la reconnaissance de la diversité culturelle
L e nombre de travaux portant sur la diversité culturelle et linguistique
dans les médias et les réseaux d'information est nettement plus important
dans les pays développés, bien que quelques études aient été faites sur les
pays en développement. Les documents sur ces derniers ont été en grande
partie commandés par les O N G et les agences internationales de
développement, dont les exigences scientifiques sont en général moins
rigoureuses que celles des universités. Deux sujets principaux ressortent de
l'analyse de ces études :
1. U n e certaine appréhension en constatant à quel point la culture
mondialisée et homogénéisée, dominée par les modes de vie et les
valeurs des Etats-Unis et de l'Occident et portées par l'idéologie
consumériste du marché libre et du complexe transnational de l'industrie
des loisirs a envahi tous les points de la terre, ce qui pourrait détruire la
diversité culturelle et linguistique ;
41
Etat de la recherche sur la société de l'information
2 . D e s appels à la protection de la diversité culturelle et linguistique dans la
société de l'information, et à l 'encouragement du multilinguisme et de
l'accès de tous au cyberespace.
A u sujet de l'homogénéisation de la culture mondiale sous influence des
Etats-Unis, les travaux de recherche étudient, par exemple, l 'engouement
des jeunes en Asie, en A m é r i q u e latine, dans la région d u Pacifique, en
Afrique et dans les pays industrialisés, pour les chaussures Nike, les
vêtements G a p , les tricots Michael Jordan, les derniers C D , les films à grand
succès de Hol lywood , les émissions de télévision d ' A m é r i q u e d u N o r d et les
livres à gros tirage. Grande est la crainte que, partout dans le m o n d e , la
culture exportée par les firmes américaines ne détruise les traditions, les
connaissances, les savoir-faire, les artisanats et les valeurs locaux. Les
groupements d'artisans essayant de vendre leurs produits dans leur propre
pays ont été éliminés par les m o d e s « mondialisées », ce qui conduit à
l'érosion de la diversité culturelle d u m o n d e à brève échéance. L a
mondialisation de la culture américaine s ' accompagne de l'usage dominant
de la langue anglaise c o m m e langue exclusive des échanges internationaux.
Les travaux de recherche montrent à quel point l'anglais est devenu la
langue prédominante dans les échanges en ligne et c o m m e n t sous l'influence
de l'anglais, les minorités linguistiques sont laminées et menacées de
disparition, ce qui m è n e tout droit à l'érosion de la diversité linguistique du
m o n d e . Peu de recherches posent la question de savoir dans quelle mesure
la culture mondialisée et l'usage de l'anglais c o m m e langue véhiculaire pour
les échanges internationaux peuvent être ou n o n bénéfiques pour les
c o m m u n a u t é s n o n anglophones.
S'agissant de la protection de la diversité culturelle et linguistique et de
l'encouragement à l'emploi d u multilinguisme et de l'accès universel au
cyberespace, les travaux de recherche préconisent des stratégies telles que :
1. appel aux gouvernements pour qu'ils mettent en place des politiques de
sauvegarde de leur diversité culturelle et linguistique ;
2 . formulation de politiques et de p r o g r a m m e s pédagogiques qui valorisent
l'enseignement de la diversité culturelle et linguistique ;
3. incitation à utiliser les langues des minorités dans le contexte de
l'Internet ;
42
État de la recherche sur la société de l'information
4. conception de logiciels d'Internet allant dans le sens du multilinguisme,
et qui puissent servir à instruire des personnes de cultures diverses ;
5. incitation à lancer des campagnes qui contribuent à sauvegarder les
nombreuses langues en voie de disparition dans le m o n d e , par des efforts
de recherche, de documentation et de sensibilisation du public ;
6. appel à la coopération internationale pour qu'elle comble le fossé
numérique, notamment dans les pays en développement.
Diversité culturelle et linguistique dans les technologies de l'information
L'analyse des recherches effectuées sur ce thème a montré la
coexistence de trois théories principales sur l'aspect culturel de la
technologie. L'une, souvent qualifiée de vision autonomiste et déterministe
(Ebersole, 1995) pose que la technologie est devenue un type nouveau et
autonome de système culturel qui restructure l'ensemble du m o n d e social,
c o m m e devenant objet de domination (Pacey, 1992). D e nombreux partisans
de cette théorie soulignent ce qu'ils perçoivent c o m m e les conséquences
indésirables des progrès technologiques sur le pluralisme culturel, à savoir la
destruction de diverses cultures et langues dans le sillage de l'avancée
inexorable de la technologie (Ellul, 1990 ; Heidegger, 1977). U n e deuxième
théorie, la vision instrumentale ou neutraliste (Ebersole, 1995) estime que la
technologie est dénuée de contenus ou de valeurs propres, et qu'elle est
donc indifférente aux divers objectifs qu'elle est appelée à remplir
(Freenberg, 1991). Dans cette optique, ce n'est pas la technologie en soi qui
crée des problèmes ou des solutions, mais bien la manière dont on l'utilise.
Critiquant ces deux théories, Freenberg (1991) en propose une autre, où la
technologie n'est ni déterministe ni totalement neutre mais plutôt
ambivalente. L'ambivalence de la technologie se distingue de la neutralité
par le rôle qu'elle reconnaît à l'intention et pas seulement à l'utilisation des
systèmes techniques. Toutefois les valeurs que l'on attribue à certaines
technologies particulières ne signifient pas que leurs effets soient connus
d'avance : la technologie n'est pas une destinée mais un combat à mener.
Cette perspective critique est utile lorsqu'il s'agit d'interpréter l'usage que
font les peuples autochtones et autres populations non occidentales des
nouvelles technologies en ligne, notamment quand on se rend compte du fait
que les machines nécessitent une organisation sociale pour devenir des
technologies (Hodas, 1993). Les populations qui acceptent la technologie
43
État de la recherche sur la société de l'information
sans faire preuve d'esprit critique c o m m e culturellement neutre et c o m m e
l'expression la plus récente du progrès moderne, ne seront pas en mesure de
voir à quel point leur interaction avec la technologie est en train de les
transformer elles-mêmes (Bowers, 2001). C e qui doit être pris en compte,
pour juger de la neutralité ou non de la technologie, ce ne sont pas
seulement les bytes ou les bits de l'Internet, mais l'organisation sociale
qu'elle implique. Les publications de recherche que nous avons examinées,
soutenaient telle ou telle de ces trois théories, cependant la plupart d'entre
elles inclinaient vers la première, en insistant sur les effets indésirables des
progrès technologiques.
Principaux problèmes
L'industrie du divertissement
Pour un grand nombre de sociétés, notamment celles des
autochtones, la culture est leur patrimoine le plus précieux, hors duquel elles
n'ont pas de racines, d'histoire ou d ' â m e . Sa valeur se situe au-delà de
l'argent, et en faire une « denrée » c'est la détruire. Or l'industrie du
divertissement considère la culture c o m m e une affaire, qu'il faut faire
fructifier par des accords commerciaux internationaux, dans le cadre de
l'Organisation mondiale du commerce ( O M C ) , par exemple. U n e immense
et solide coalition rassemble aux Etats-Unis en un « front c o m m u n » les
secteurs des médias du divertissement et de la technologie de l'information
pour s'opposer à toute mesure de protectionnisme des autres pays ; les
acteurs de ce secteur, tels que America Online/Time Warner et Disney
travaillent en étroite coopération avec le gouvernement pour protéger leurs
intérêts particuliers. Ces dernières années l ' O M C a adopté des règles de
liberté du commerce au bénéfice des puissantes organisations transnationales
(Barlow, 2001). Cette législation a des répercussions profondes sur toutes
les cultures du m o n d e en imposant à tous les aspects de la vie sociale un
modèle fondé sur le profit, et en dévalorisant toute activité qui ne serait pas
d'essence commerciale (Barlow, 2001). E n outre, si le marché américain
reste quasiment fermé aux importations, les grands studios américains
peuvent se louer à des prix intéressants, maintenir des normes de production
plus élevées et dépenser davantage en marketing que les compétiteurs
locaux, de sorte qu'il est moins coûteux pour des pays c o m m e l'Afrique du
44
État de la recherche sur la société de l'information
Sud d'acheter des émissions anglophones aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ,
au Canada ou à l'Australie, plutôt que d'apporter leur soutien aux
productions locales (Jenkins, 2001).
Économie de marché
À en croire les défenseurs de la mondialisation sous la bannière des
grandes compagnies, la culture, sous toutes ses formes et dans toutes ses
manifestations, devrait être déréglementée ; cela la revaloriserait, la ferait
mieux connaître et comprendre et la mettrait à la portée d 'un auditoire
mondial (William 2000). Les adversaires de la mondialisation économique
soutiennent que la culture n'est pas un produit c o m m e les autres. L a traiter
c o m m e telle c'est risquer de voir disparaître la diversité et advenir un
m o n d e uniformisé, gouverné par la logique du marché. Plus l'offre des
médias grandit et plus - peut-on craindre - la marge de manoeuvre des
décideurs nationaux pour réguler la diffusion de leur culture diminue. Cela
se répercute sur la conceptualisation des politiques nationales visant à
promouvoir la diversité culturelle dans des sociétés fragmentées et
inégalitaires. Si le choix et la concurrence sont soumis aux lois du marché,
cela distord la représentation des intérêts et des préférences. L a Fondation
d'Afrique du Sud pour la recherche sur la publicité, par exemple, baromètre
des médias et des modes de consommation, continue à recueillir ses données
selon les catégories raciales et ethniques héritées de l'apartheid, ce qui en
dit long sur la réalité bien enracinée des divisions sociales que les politiques
d'apartheid ont activement cultivées et perpétuées. E n conséquence, la
relation d'affaires qui lie publicitaires et diffuseurs en Afrique du Sud tend à
ne refléter les goûts que d'une très petite minorité, celle qui parle l'anglais
et l'africaans (Barnett, 2000).
Domination de l'anglais sur l'Internet
L a technologie, elle aussi, favorise l'existence d'une seule culture et
d'une seule langue. L'anglais est utilisé sur 80 % des sites W e b , alors qu'il y
a dans le m o n d e moins d'une personne sur 10 qui parle cette langue. L e
Réseau mondial pour le changement estime que la domination écrasante de
l'anglais et, dans une moindre mesure, des autres grandes langues
internationales dans l'Internet exclut la majorité de la population mondiale
45
État de la recherche sur la société de l'information
de l'accès à l'Internet. C e facteur a des effets très sensibles sur les groupes
marginalisés, privés d'accès à une scolarisation normale leur permettant
d'apprendre des langues internationales. M ê m e les utilisateurs ayant une
assez bonne connaissance de l'anglais sont découragés d'utiliser l'Internet
parce qu'ils ne se sentent pas à l'aise dans cette langue.
M o n k e (1999) prévoit que la moitié des 6 0 0 0 langues d u m o n d e pourrait
avoir disparu au cours d u siècle prochain et que 2 0 0 0 des 3 0 0 0 langues
restantes seront menacées au cours d u siècle suivant. W a t s o n (1999), lui,
pense que ce sont 8 0 % des langues d u m o n d e qui pourraient disparaître au
siècle prochain. L'expansion de l'Internet - qui a renforcé le désir d'utiliser
des langues régionales, nationales et mondiales c o m m e l'anglais, l'allemand
et le japonais pour traiter les affaires - va contribuer à l'extinction de ces
langues locales, et avec elles des cultures qu'elles véhiculaient ( M o n k e ,
1999).
Alors que l'anglais et l'invasion de la culture américaine continuent à
dominer le cyberespace, la résistance semble se faire jour au plan mondial.
Le Directeur d'un fournisseur de services russe de l'Internet, par exemple, a
décrit le W e b c o m m e « l'acte suprême du colonialisme intellectuel ». Pour
ces raisons idéologiques il existe une certaine opposition à l'usage de
l'anglais sur l'Internet c o m m e langue véhiculaire du commerce et des
affaires, de la gestion des crises et du discours savant et intellectuel. Le
Président français Jacques Chirac a décrit la prépondérance de l'anglais
c o m m e « un risque majeur pour l'humanité ». L a menace de l'uniformité
linguistique et culturelle qui pèse sur le m o n d e a incité le gouvernement
français à ordonner que sur tous les sites W e b de France les textes soient
rédigés en français (Nunberg, 2000).
Si le désir de préserver les langues va croissant, des mouvements en sens
inverse s'emploient à éliminer les langues des minorités (Ostler, 2000). E n
Afrique de l'Est, par exemple, certains gouvernements encouragent
vivement les citoyens à abandonner des langues vernaculaires en faveur du
Swahili ou d'une autre langue c o m m u n e « unificatrice », en gage de loyauté
envers l'État, tandis qu'en Serbie les Kosovars se battent pour continuer à
parler l'albanais, en contravention avec les politiques gouvernementales. Par
ailleurs, les politiques linguistiques officielles ne sont pas nécessairement le
moyen le plus efficace pour infléchir l'évolution de l'emploi d'une langue
46
État de la recherche sur la société de l'information
dans les sociétés multilingues ( Astro ff, 1992). E n Afrique du Sud,
l'utilisation de 11 différentes langues « locales » pour la répartition des
émissions de radiotélévision a joué en faveur de certains groupes apparentés
par la langue qui, ainsi réunis, atteignent presque le seuil d'une catégorie de
marché publicitaire viable. C'est ainsi que la South African Broadcasting
Corporation a implicitement adopté une distinction entre grandes et petites
langues africaines, où le xhosa, le zoulou, le sesotho et le tswana
appartiennent aux premières et le tsonga, le venda, le ndebele et le swati aux
secondes (Barnett, 2000).
Si l'on veut que le développement de la société de l'information se fasse
de façon harmonieuse il faut favoriser l'existence d'une information
multilingue. Son inexistence pourrait entraîner la perte des cultures locales.
M ê m e dans les pays industrialisés, où l'usage de l'ordinateur est assez
répandu, où le niveau de formation est élevé et où les traditions semblent
s'accommoder de l'innovation technologique, les barrières linguistiques ont
le pouvoir de restreindre la communication avec le reste du m o n d e .
L ' U N E S C O a exprimé le souhait que la traduction électronique et la mise au
point de normes, de standards, d'instruments juridiques, de principes et de
codes de conduite permettent d'ouvrir le champ des connaissances,
favorisent le respect de l'usage de toutes les langues, élargissent la diversité
des langues dans le cyberespace et facilitent l'accès de l'information
culturelle et scientifique par l'établissement de sites W e b multilingues.
La défense des langues, de leur variété et de leur pluralité a suscité aussi,
au plan international, l'appui d'organisations non gouvernementales telles
que Terralingua, Lingualsphere Observatory, Summer Institute for Linguistics
International, la Fédération internationale des professeurs de langues
vivantes, et Language Rights. La création par le Conseil de l'Europe du
Bureau des langues moins parlées et la Charte européenne de 1992 des
langues régionales et minoritaires reconnaissent la nécessité de protéger les
langues minoritaires en exigeant que l'on apporte une aide aux langues
traditionnellement parlées dans un territoire par des citoyens minoritaires
dans l'État. Les États doivent reconnaître officiellement une langue
minoritaire ou régionale et assurer l'éducation dans cette langue, à tous les
niveaux, de la maternelle jusqu'aux cours pour adultes et à l'éducation
permanente. E n Afrique, par le biais du projet Linguapax lancé en 1986,
l ' U N E S C O fournit des guides et des manuels aux professeurs et aux
47
État de la recherche sur la société de l'information
gouvernements de pays qui désirent intégrer les langues locales dans leurs
systèmes d'enseignement. Le pouvoir législatif de l'État d'Alaska a été
parmi les premières autorités à faire des efforts organisés pour préserver une
langue en créant, en 1972, le Centre des langues autochtones d'Alaska. C e
Centre se consacre à la documentation et soutient l'éducation bilingue
(Ostler, 2000).
A u final, la survie d'une langue dépend de décisions prises par des
individus désireux d'apprendre et d'utiliser une langue, et d'États désireux
de former des enseignants capables d'enseigner cette langue (Sutherland,
2000). L'adoption d'une politique linguistique multiculturelle, visant à
encourager la participation de ses locuteurs minoritaires à la vie publique, a
toutes les chances d'apporter une réponse aux dilemmes structurels auxquels
sont confrontés les États nations modernes, tout en respectant les critères
internationaux des droits de l ' h o m m e (Koning, 1999). Traitant de la
diversité linguistique c o m m e un droit de l ' h o m m e dans le domaine éducatif,
Skutnabb-Kangas (2000) affirme qu'une politique d'éducation multilingue
accroît l'aptitude à la mobilité et les chances de trouver un emploi, stimule
l'innovation et la création propres aux sociétés pluralistes pour lutter contre
l'analphabétisme, encourage le respect de l'opinion d'autrui, favorise la
cohésion nationale, élève le degré de participation au processus
démocratique et s'avère indispensable pour protéger les langues et les
cultures minoritaires.
L a domination de l'anglais a été en partie renforcée par les difficultés du
multilinguisme en informatique. Rien ne s'oppose, techniquement, à
l'utilisation en informatique, des alphabets et des scripts variés, et on
dispose virtuellement de plusieurs systèmes de transcription universels, mais
les concepteurs d'ordinateurs personnels et de l'Internet n'ont pas considéré,
dès l'origine, qu'il était primordial de penser l'informatique en termes de
multilinguisme. D e sorte que le Code américain des normes d'échange de
l'information (ASCII) est très mal équipé pour traiter les langues autres que
l'anglais. Cependant, l'Internet offre une grande chance à toutes les langues
minoritaires du m o n d e de se faire entendre au niveau international (Felix,
1999). Les progrès se poursuivent en matière de traitement de texte, de
création de matériel et de logiciels, depuis l'ASCII à 7 bits jusqu'aux
normes ISO. L e tout récent Unicode (ISO 10646), système d'encodage
capable de traiter presque toutes les écritures du monde , constitue un
48
État de la recherche sur la société de l'information
progrès dans les communications électroniques. Il reste cependant des
problèmes à résoudre : lorsque l'Unicode est activé dans un contexte de
recherche mondiale, les idéogrammes chinois, japonais et coréens occupent
le m ê m e espace sur le code (Agence japonaise de télégraphie et de
téléphonie, N T T J ) . O n a aussi mis au point des logiciels de traduction
automatique. L e logiciel Babelfish d'Altavista traduit des expressions ou une
page entière du W e b vers l'anglais et à partir de cette langue et permet le
traitement de plusieurs grandes langues européennes, telles que l'espagnol,
l'allemand et le portugais (Legert, 1999). Babylon, un autre outil
téléchargeable, permet le traitement par exemple, du hollandais, du japonais
et de l'hébreu en plus des langues européennes les plus répandues.
L'autre problème étroitement lié à l'accès à une information multilingue
c'est l'éventualité d'élargir le domaine public en matière d'information en y
ajoutant, par exemple, les œuvres dont les droits de propriété sont prescrits,
les œuvres anonymes et les connaissances populaires qui ne sont pas
considérées c o m m e propriété de communautés autochtones. Il existe dans
chaque pays, chaque culture, chaque langue, un immense corpus de
connaissances : faciliter sa sauvegarde et sa diffusion sur les réseaux
mondiaux d'information contribuera puissamment à leur accès universel et
au multilinguisme.
Accès à la technologie de l'information
Mettre à la disposition du public des réseaux et des services
télématiques est une condition essentielle pour faire en sorte que tous les
citoyens aient accès aux contenus de l'information par l'Internet, dans
n'importe quelle langue. Il existe cependant des lacunes ou des insuffisances
dans les politiques nationales concernant la mise en place et l'utilisation des
technologies de l'information, et des contraintes administratives pèsent sur
les organismes du service public désireux de prendre part à la société de
l'information. Pour que se réalise une véritable mondialisation, du point de
vue de la diversité culturelle, l'Internet doit être considéré c o m m e un
service public d'information et non c o m m e un simple produit commercial. Il
faut imaginer et mettre en œuvre des technologies, des politiques et des
règlements adéquats, à l'échelle nationale, régionale et internationale. O n
doit fixer le prix d'installation et de fonctionnement de l'Internet dans les
organismes publics de telle sorte qu'il facilite l'accès universel au réseau et
49
État de la recherche sur la société de l'information
à son contenu multilingue. Encourager la collaboration entre institutions
permettra de réduire le prix de la connexion aux réseaux et aux services de
télématique. Les pays membres du G - 1 5 ont, par exemple, exhorté la
communauté internationale à promouvoir l'accès universel au numérique en
adoptant des mesures et des partenariats innovants entre gouvernements,
secteur privé, société civile et organisations non gouvernementales.
Sauvegarde de la diversité culturelle et linguistique et de la représentation des minorités ethniques
Dans son effort pour sauvegarder les traditions et les langues locales, le
Canada a décrété que 30 % des programmes de radio anglophones doivent
être produits au Canada et que 65 % des émissions diffusées par la radio
francophone devaient être en français. A u Royaume-Uni , VInternational
Television Network (ITN) ainsi que la B B C tentent de mieux équilibrer leur
représentation des minorités ethniques dans toutes les catégories du
personnel et, en s'associant à d'autres sociétés de diffusion, ils ont créé le
Réseau de la diversité culturelle (Cultural Diversity Network, C D N ) afin de
fixer des normes pour l'emploi des minorités ethniques, créer une base de
données en ligne sur les artistes appartenant à ces minorités, moderniser
dans la programmation la distribution des rôles et l'image des minorités
ethniques, mettre en c o m m u n des recherches d'intérêt non commercial sur la
diversité culturelle et garantir la vérification officielle des progrès accomplis.
E n Afrique du Sud, les institutions gouvernementales existantes ont été
restructurées, libérées de la tutelle de l'État et chargées de faire valoir les
intérêts et les missions du service public (Teer-Tomaselli, 1996 ; Teer-
Tomaselli et Tomaselli, 1996). Par ailleurs, une nouvelle série d'organismes
publics indépendants a été créée, tels que le Bureau de toutes les langues
d'Afrique du Sud, la Commission du rapport hommes- femmes , la
Commission des droits de l ' h o m m e , une Autorité de radiotélévision
indépendante (IBA), toutes destinées à stimuler les conditions d'exercice des
droits spécifiques de la « citoyenneté culturelle » inscrits dans la
Constitution de l'Afrique du Sud (Barnett, 2000). Cela a favorisé la
naissance d'un secteur de production d'émission de télévision, de musique
et de cinéma jaloux de son indépendance. L e principal groupe d'activistes
dans ce secteur, l'Organisation des producteurs indépendants (IPOSA)
50
État de la recherche sur la société de l'information
estime que les sociétés locales de production indépendante devraient fournir
pour la programmation dans son ensemble l'essentiel des émissions
produites localement, puisqu'elle est tenue par son règlement de promouvoir
les cultures de l'Afrique du Sud. Programmer des émissions produites par
les indépendants, c'est garantir la représentation des points de vue variés,
sur le plan social et historique, de créateurs jeunes, inventifs et ambitieux.
E n Inde, la production locale ne risque pas d'être accaparée par les grandes
firmes américaines ou indiennes, elle est entre les mains de petits opérateurs
« d'arrière-cours ». Le problème est qu'ils ne disposent pas de capital-risque
et que les solutions que chacun propose sont incompatibles avec les
solutions du voisin. Mais la créativité est là, et c'est de ces opérateurs
« d'arrière-cours » que finira par venir la production locale (Keniston, 1998).
Perspectives
D e nombreux pays en développement et développés reconnaissent le
danger d'une monoculture mondiale, crypto-américaine, reléguant toutes les
autres cultures à un niveau subalterne, obsolète et de second ordre. Pour
entretenir la libre circulation des créations intellectuelles et artistiques tout
en encourageant la diversité et en s'opposant à la culture et aux forces de
destruction gigantesques, centralisées, monolithiques, des grandes
compagnies, adossées aux règlements du commerce international, il est
indispensable de proposer un choix pour que, dans le déluge des produits
culturels offerts, les citoyens puissent décider de regarder, d'écouter ou de
lire des livres, des revues, des films ou des documents sonores qui reflètent
leur m o n d e et leur réalité. Devant le déséquilibre actuel des flux et des
échanges mondiaux de biens et de services culturels, il devient nécessaire de
renforcer la coopération et la solidarité internationales pour permettre que se
joue une véritable concurrence, au niveau international et national. Il faut
établir des relations de partenariat entre le secteur public, le secteur privé et
la société civile. Laissées à elles seules, les lois du marché ne peuvent
garantir la protection et la promotion de la diversité culturelle, clés du
développement humain durable ( U N E S C O , 2001). Ainsi donc, une
intervention déterminée des personnalités des milieux de la politique, des
grandes compagnies et des affaires pourrait tempérer les forces du marché et
ambitionner des objectifs par-delà la simple recherche du profit, tels que
l'élimination de la pauvreté, la généralisation de l'éducation, la liberté
51
État de la recherche sur la société de l'information
politique et la démocratie, la protection et l'approfondissement de la
diversité culturelle.
M ê m e si les citoyens et leurs gouvernements sont très désireux de voir
exporter leurs productions culturelles et de conserver le droit de fixer des
conditions de c o m m e r c e équitables afin de protéger et faire valoir leur
littérature, leur histoire et leur culture spécifiques, la culture ne doit pas être
soumise aux accords de libre échange, n o t a m m e n t ceux de l ' O M C . Il faut
élaborer u n nouvel instrument international concernant ces questions. Cet
instrument ne peut remplir sa mission que s'il jouit d ' u n statut équivalent à
celui des accords commerc iaux , reconnaissant l'intérêt de préserver la
diversité culturelle et fixant des règles, qui pourront évoluer avec le temps,
car nous ne pouvons savoir aujourd'hui quelles formes prendra, à l'avenir,
l'expression culturelle. Afin de préserver la diversité culturelle, les créateurs
de contenus sur l'Internet devraient investir sur le savoir et les valeurs
autochtones, rendre autonomes et efficaces les c o m m u n a u t é s locales en
soutenant leur culture (Gorjestani, 2000) et les langues maternelles sur
l'Internet, s'intéresser aux problèmes locaux et créer des réseaux locaux
fondés sur des préoccupations c o m m u n e s . C'est ainsi q u ' u n capital social
pourra se construire, l'intégrité culturelle se maintenir et la diversité
s'épanouir. L'Internet peut faciliter la communicat ion interculturelle en
anglais, mais il peut, à l'opposé, permettre à des locuteurs d'autres langues
éparpillés dans le m o n d e , de c o m m u n i q u e r dans leur propre langue.
Tout en assurant la circulation des idées et des œuvres, les politiques
culturelles doivent créer u n climat favorable à la production et à la diffusion
de biens et de services culturels diversifiés par le biais d'industries
culturelles ayant les m o y e n s de s'affirmer au plan local et mondial, dans le
respect des droits et de la dignité de l ' h o m m e . Pour ce faire, les conseillers
politiques doivent pouvoir présenter u n panorama de la diversité des
cultures de la c o m m u n a u t é , au m o m e n t o ù sont élaborées et discutées les
politiques à adopter. Cela peut se faire par participation directe ou par
consultation préalable, et impliquer des personnes d'origines culturelles et
linguistiques diverses.
Il est nécessaire, en outre, de faire reconnaître les droits linguistiques de
l ' h o m m e , tant dans les pays développés que dans les pays en
développement. Les droits linguistiques de l ' h o m m e sont indispensables
52
État de la recherche sur la société de l'information
pour maintenir la diversité des langues et prévenir le « génocide
linguistique » (Skutnabb-Kangas, 2000). Par rapport à la Déclaration
universelle des droits linguistiques, proclamée à Barcelone, ces droits se
situent au carrefour de l'individuel et du collectif ; individuellement ils
renforcent la libre identification à la langue maternelle, collectivement ils
permettent à un groupe d'exister et de se perpétuer au travers de sa langue
et de sa culture. Pour ce qui est de l'éducation, les droits linguistiques de
l ' h o m m e devraient garantir la préservation de l'identité liée à la langue,
l'enseignement étant dispensé dans la langue maternelle. Ces droits
devraient aboutir au droit pour un individu de choisir s'il veut changer de
langue. Aucune différence ne devrait être faite entre immigrants et personnes
natives du pays car, dans le cadre des droits linguistiques de l ' h o m m e le
multilinguisme est toujours une aventure culturelle et personnelle et, dans de
nombreux pays ce choix devient nécessaire dans l'intérêt de la démocratie
(Skutnabb-Kangas, 2000).
Les nombreux pays qui sont hostiles à la mondialisation de la culture
pourraient s'inspirer du cas de l'Inde où, au cours du demi-siècle passé, les
Indiens ont trouvé c o m m o d e d'utiliser l'anglais c o m m e langue de liaison
entre les diverses populations du sous-continent. Il a été possible à cette
nation diversifiée de mener ses affaires, et les relations entre l'Inde et le
reste du m o n d e ont bénéficié du fait que l'Inde possède la deuxième
population anglophone du m o n d e . Et pourtant, l'Inde a réussi à conserver sa
culture spécifique (Keniston, 1998). Pour dépasser l'idée que la culture de
l'informatique (que l'Internet n 'a fait que renforcer) menace les modes de
vie traditionnels (Bowers, 2001 ; Postman, 1993), les communautés doivent
tirer parti des aspects de l'Internet qui sont les plus compatibles avec leurs
propres modes de communication et de savoir. C o m m e le souligne Agre
(1997), ce n'est pas la machine qui réforme la société, améliore les
institutions, échafaude des réseaux sociaux ou produit une culture
démocratique. C e sont les populations, et l'Internet n'est qu'un instrument
parmi ceux qui peuvent perfectionner les réseaux de la société.
Tous les pays doivent comprendre que l'éducation, dans son acception la
plus complète (y compris le savoir-faire informatique et - très importante -
l'acquisition d 'un nouveau sens du civisme dominé par les principes
d'égalité, de justice et de respect mutuel) constitue la réponse suprême de
l'accès universel à l'information, au partage du savoir et au multilinguisme.
53
État de la recherche sur la société de l'information
Les décisions prises par les nations à cet égard montreront si elles veulent se
rattacher au processus de mondialisation o u s'en exclure. L a participation
effective des nations est indispensable pour défendre la diversité culturelle et
le multilinguisme dans le cyberespace. M a i s ce qui est encore plus
nécessaire, c'est la volonté politique d'adopter les mesures que nous avons
proposées ici.
E n parcourant la documentation, on trouve peu d'analyses significatives
sur les incidences des nouvelles technologies de l'information sur la culture,
n o t a m m e n t sur la sauvegarde de la diversité culturelle à l'ère des réseaux
mond iaux . Il existe une abondante documentation sur l'extinction des
langues dans les pays occidentaux, n o t a m m e n t en Europe, mais peu d'études
sur leur extinction dans les pays en développement, particulièrement en
Afrique. C e sont là des domaines qui méritent l'attention de la c o m m u n a u t é
internationale des chercheurs.
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56
Chapitre 3
Liberté de la presse et liberté d'expression dans la société de l'information - études et projets
Fédéra t ion internationale d e s journalistes Centre international de la presse
Bruxelles, Belgique
Introduction
C e rapport présente un bref examen et un commentaire concernant
les questions de liberté d'expression et de liberté de la presse dans la société
de l'information, à partir d 'un choix d'exemples pris dans des travaux de
recherche et des publications. Il aborde certaines questions essentielles
touchant à l'impact de la société de l'information sur la liberté d'expression
et plus particulièrement sur ce que signifie la liberté d'expression dans le
cadre de la liberté de la presse. L e rapport analyse et évalue les travaux de
recherche sélectionnés et se termine sur des recommandations sur la
poursuite des recherches à effectuer dans ce domaine. Le choix des études et
des projets de recherche répondait à trois critères principaux : (a) la
pertinence : par rapport aux thèmes essentiels de la liberté d'expression et
de la liberté de la presse ; (b) le caractère contemporain : celles-ci ne sont
pas antérieures à 1999 et (c) l'intérêt général : l'étude intéresse spécialement
les droits des citoyens et/ou le travail des journalistes.
L e rapport passe en revue 20 exemples de recherches et de projets
concernant plus de 50 pays de toutes les parties du m o n d e . Dans chacun des
cas les auteurs ont étudié le projet en examinant les travaux imprimés et
publiés ainsi que le matériel présenté sous forme électronique. Les
informations ont été complétées par des entretiens et des commentaires
autour de la première rédaction du rapport, lorsqu'il a été présenté en juillet
20021 à un forum spécial d'experts réuni par F U N E S C O et l'Association
internationale de recherche sur les médias et la communication,
1. Forum U N E S C O - I A M C R sur la communication, la recherche sur les technologies de l'information et la société de l'information de Barcelone, en Espagne, en juillet 2002.
57
État de la recherche sur la société de l'information
Aperçu général des problèmes
L a société de l'information a parcouru u n long chemin depuis
l 'époque d u triomphalisme technologique d u milieu de la décennie 1990 . L e
reflux de l 'économie, l'effondrement de nombreuses entreprises phares d u
c o m m e r c e électronique et les incertitudes politiques qui ont suivi les
événements d u 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont transformé le paysage
des communications, soulevé des questions nouvelles et renforcé les
inquiétudes existantes. D e s questions fondamentales concernant les droits
des citoyens dans le m o n d e virtuel - accès aux services, fiabilité et qualité
des contenus, règles appliquées à la production et à la diffusion de
l'information - sont toujours présentes au c œ u r d u débat sur l'avenir de la
société de l'information. Les questions de liberté d'expression ne peuvent
être dissociées de celles des droits civiques2.
L a liberté d'expression permet, d u moins en théorie, d'exprimer n'importe
quelle opinion, sans restrictions. M a i s cette liberté, sous quelque forme
qu'elle s'exerce, dans les arts oratoires, visuels ou d u spectacle, dans la vie
scolaire et la vie publique, la littérature, la musique o u le journalisme est,
dans la pratique, encadrée par les règlements des législations nationales et, à
u n moindre degré, internationales. L a liberté d'expression n'est pas une
abstraction, elle concerne les actes pratiques de la communicat ion publique,
dont les médias de communication de masse sont une production de
première importance. C e qui distingue la liberté de la presse de la liberté
d'expression en général, c'est qu'elle est définie, dans une large mesure , par
des critères éthiques, m o r a u x et économiques qui ont été fixés par les
professionnels de l'industrie des médias. C'est, à proprement parler, la
liberté de publier et de recueillir, de préparer et de diffuser des informations
sans autres restrictions que celles qu' imposent le respect volontaire de
normes d'éthique décidées par le consentement des professionnels. L a
liberté de la presse se concrétise dans la société par la libre circulation de
l'information par le canal des m o y e n s traditionnels de diffusion -
publication de textes (journaux, périodiques et magazines), services
audiovisuels (radio et télévision) - et réseaux électroniques (agences de
2. Cette liberté est définie par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l ' h o m m e : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque m o y e n que ce soit. »
58
État de la recherche sur la société de l'information
presse). C e processus et, avec lui, le travail des journalistes se trouvent, sans
l'ombre d'un doute, confronté à la société de l'information.
L e journalisme a pour fonction de découvrir et de publier des
informations qui soient exactes et fiables. Dans l'idéal, le journalisme aide
les individus à mieux se comprendre et à mieux comprendre le m o n d e qui
les entoure, et remplace avantageusement dans l'esprit du public la rumeur
et la spéculation. Normalement, le journalisme trouve sa place dans le cadre
d'un style narratif qui lui est propre : le « récit journalistique ». L a
publication de « récits » par les reporters des journaux est un m o y e n
d'adapter les informations pour les ajuster aux normes politiques, sociales et
morales de la société. C e processus, c o m m u n à toutes les formes de
journalisme, assure les fondements de la liberté de la presse dans la société.
L a société de l'information a élargi le champ du reportage et le lectorat du
journalisme. L e reportage est devenu autre chose que la simple collecte de
nouvelles et leur analyse. Il a offert à la liberté de la presse une latitude qui
déborde largement les conventions qui définissaient jusqu'alors le travail
journalistique, par l'intrusion de nouvelles sources et de dialogues, d'idées
et d'opinions qui, tout récemment encore, se trouvaient au-delà de l'horizon
des médias traditionnels.
D u fait que les lecteurs et les téléspectateurs sont plus facilement
accessibles aux producteurs d'information, le pouvoir semble se déplacer
des structures des médias traditionnels vers ces premiers. C e glissement
pourrait avoir d'immenses répercussions. Les consommateurs de médias
sont plus que jamais parties prenantes dans le processus de la liberté de la
presse. L e journalisme se met à l'heure des « nouvelles du W e b » et ainsi
vont les médias. Désormais, les médias d'information utilisent régulièrement
les sites W e b et les services d'abonnement pour profiter des nouveaux
marchés. Les consommateurs de médias, à leur tour, participent partout plus
directement au fonctionnement du journalisme. Les forums de débat et de
discussion en ligne se multiplient sur des sujets très pointus, ou bien de
grands sujets d'intérêt général. Les messages électroniques venus d'horizons
très éloignés des salles de presse viennent alimenter en temps réel le courant
principal du reportage. D e nouveaux publics, toutes générations confondues,
s'intéressant à une multitude de sujets et appartenant à une communauté
sans frontières connues, apparaissent de plus en plus dans le paysage des
médias.
59
État de la recherche sur la société de l'information
O n ne saurait dire si ces mouvements annoncent un véritable changement
de pouvoir. Il existe bien peu de travaux de recherche ou d'analyse émanant
de l'industrie des médias pour prédire si cette évolution aboutira à un
profond remaniement des structures des médias en faveur des
consommateurs. C e que l'on peut dire, en fonction de l'évidence et
d'expériences personnelles certaines, c'est que cette « expansion » du
journalisme n'est utile que si elle s'accompagne d 'un travail très sophistiqué
d'élaboration et de contrôle du flux et du reflux des informations provenant
des diverses sources. Il est bon, également, d'être très au fait des aspects
éthiques, des goûts du public et des techniques de présentation des
nouvelles. Lorsque ces conditions sont réunies, le journalisme peut donner
sens à la « surcharge d'informations » qui inonde la société de l'information.
A u m o m e n t où semble s'élargir le champ de la « liberté de la presse »
traditionnelle, la société de l'information c o m m e n c e à révéler - notamment
par l'utilisation de l'Internet et du courrier électronique - la faiblesse des
législations nationales concernant le développement de la liberté
d'expression par-delà les frontières. La majeure partie des travaux de
recherche sur l'impact de la société de l'information sont consacrés à ce
problème.
L a mondialisation est un facteur décisif du développement de la liberté
d'expression. Les nouvelles technologies repoussent de façon spectaculaire
les limites de l'information pour les particuliers et pour les communautés.
L a possibilité pour tout un chacun de consulter des informations en quelque
point que ce soit du m o n d e a pour conséquence qu'il est très difficile de
maintenir une société en vase clos et d'exercer un contrôle gouvernemental
efficace sur les médias. Difficile, mais non pas impossible, c o m m e
l'indiquent les conclusions de certains travaux de recherche examinés ici.
Ces conclusions prouvent que de nouvelles formes de censure peuvent
contrarier les bienfaits de la société de l'information, que ce soit sous des
prétextes de sécurité, de goûts, de décence ou de « correction politique ». L a
liberté d'expression est menacée lorsque des impératifs politiques ou
économiques prennent le pas sur des impératifs culturels et démocratiques
de liberté individuelle, ou de liberté de parole. Il n 'en reste pas moins que
l'Internet contrarie inévitablement les gouvernements qui désirent contrôler
l'information. L a censure s'exerce toujours - par des pressions sur les
fournisseurs de services, par exemple ou, c o m m e cela a été le cas en
septembre 2002 lorsque le gouvernement chinois a déclaré illégaux tous les
60
État de la recherche sur la société de l'information
grands moteurs de recherche parce qu'ils permettaient aux utilisateurs
d'obtenir, à partir de l'étranger, des informations sur leurs gouvernants.
Mais l'époque de l'oppression politique ouverte est sinon révolue, du moins
en voie de disparition.
Il reste cependant de grandes menaces. L a plus grave pour la prochaine
génération pourrait venir de forces plus subtiles et plus complexes,
notamment dans le domaine économique. Et lorsque les intérêts
économiques et politiques convergent, les résultats sont préjudiciables pour
la liberté de la presse c o m m e pour la liberté d'expression. E n 2001, par
exemple, deux des plus grandes sociétés du m o n d e en matière de médias,
AOL Time Warner et News Corporation, ont négocié un accord avec le
gouvernement chinois pour qu'il accueille sur ses réseaux de télévision
terrestre des émissions de leurs sociétés, à la seule condition qu'ils en
éliminent les programmes d'information et de débats sur l'actualité.
Il n'est donc pas surprenant que de nombreux travaux de recherche et
d'observation, surtout chez les groupements de défense de la liberté de la
presse, portent sur le problème de la censure - intervention directe destinée à
réprimer ou à interdire l'utilisation de technologies satellitaires, ou à
contrôler les contenus de l'information. D e nombreux champions des libertés
civiques considèrent la censure c o m m e la plus grave des menaces qui pèsent
sur la liberté de la presse et la liberté d'expression dans la société de
l'information. Surveiller l'évolution dans ce domaine est le premier souci des
professionnels des médias et des militants de la liberté de la presse qui se
sont affiliés au Réseau d'échanges internationaux pour la liberté d'expression
(IFEX)3. Plusieurs rapports détaillés, aux plans régional et international
étudient l'impact de la censure officielle, s'exerçant notamment par la
réglementation et la mainmise sur les ressources technologiques de l'Internet,
qui concourent toutes à menacer l'accès des citoyens à l'informatique, tout
en créant une ingérence directe dans le travail des journalistes.
Dans un autre ordre d'idées, la protection des particuliers dans la société
de l'information exige que l'on respecte la vie privée et le droit des citoyens
à garder l'anonymat. Mais cela est-il vraiment possible ? La société de
3. Cf. H u m a n Rights Watch (1999-2001); Reporters sans frontières et Transfert (2000) ; Association for Progressive Communications (1999-2001).
61
État de la recherche sur la société de l'information
l'information n'est pas u n domaine privé. S a réussite repose m ê m e sur
l'aptitude à faire circuler l'information de la manière la plus large possible.
C'est une force et une faiblesse. P e u de gens ont confiance dans l 'anonymat
des communications électroniques par l'Internet. L e prix à payer pour
améliorer le confort, la rapidité et la g a m m e des services proposés par la
société de l'information fait perdre une part de l 'anonymat. Plusieurs projets
de recherche se penchent sur les m o y e n s d'améliorer la protection de la vie
privée ; d'autres révèlent que, au n o m de la sécurité, l'observation et la
surveillance de la circulation des communications sur l'Internet sont plus
intenses que jamais.
L a volonté d'obtenir des informations personnelles est aussi vive dans le
secteur public que dans le secteur privé. Qu'elles y soient poussées pour
faire appliquer la loi ou pour d'autres motifs de sécurité publique, les
autorités ont intérêt à recueillir des renseignements sur les citoyens. L a
liberté d'expression à des fins malveillantes, n o t a m m e n t par-dessus les
frontières nationales, inquiète le législateur et les défenseurs des droits
constitutionnels nationaux. Quoiqu'il en soit, la protection des individus
exige que l'accès officiel aux informations de caractère prive soit strictement
contrôlé et soumis à des lois publiques, sous contrôle et transparentes.
C o m m e n t cela fonctionne-t-il, c'est là u n chapitre mystérieux dans
l'évolution de la société de l'information.
Sont recherchées, n o t a m m e n t des règles pour traiter le problème des
contenus nuisibles, qu'ils véhiculent des images violentes, de la
pornographie en ligne, de la propagande raciste o u des politiques
extrémistes. À ce sujet, les études font état de deux points de vue : l'un
privilégie l'aspect positif de la réglementation et des valeurs culturelles4,
l'autre va nettement dans le sens de la libre parole et de la défense d u degré
minimal de restriction5. D u fait que la réglementation de la communicat ion
est u n élément bien établi et légitime de la politique sociale et culturelle, les
questions soulevées par la société de l'information se résument le plus
souvent à des questions de méthode et de responsabilité plutôt que de
principes.
4. Voir Elizabeth Staksrud (1999): How to censor the Internet. 5. Voir David Hudson (1998): Cybersmut: how restricting online indecency may restrict first amendment
freedoms.
62
État de la recherche sur la société de l'information
D e nombreux gouvernements sont à la recherche de nouveaux dispositifs
techniques, tels que les systèmes de filtrage6 pour maintenir des normes
réglementaires quant à la qualité de l'information dans le nouveau m o n d e du
numérique. L a liberté de choix et la liberté d'expression demandent des
systèmes de contrôle qui soient souples et n'aillent pas jusqu'à l'ingérence.
Des différences d'attitudes à ce sujet se font jour cependant dans les travaux
de recherche. Les nations exigent des garde-fous contre l'utilisation des
technologies de l'information et de la communication, qui vont à rencontre
des droits et des libertés fondamentales de leurs citoyens. Les événements
du 11 septembre 2001 ont provoqué un brusque changement de politique et
l'adoption de mesures qui restreignent, au n o m de la sécurité, la capacité de
communiquer librement. Cela a de graves répercussions sur l'utilisation des
technologies de l'information, des libertés civiques et de la liberté de la
presse7.
L a situation mondiale concernant les disparités économiques qui
subsistent toujours entre les zones géographiques et entre les différents
secteurs de la population est très préoccupante car elle est la cause première
de graves problèmes d'accès à la technologie, aussi bien qu 'à l'information
et qu'elle fait craindre un surcroît d'exclusion sociale8. L'évolution
technologique peut aggraver les disparités géographiques et sociales, et
désavantager plus encore des groupes de personnes qui sont déjà dans une
situation relativement plus fragile que les autres catégories de la société.
D ' u n autre côté, il est certain que leur m o d e de vie peut être amélioré si les
personnes peuvent accéder plus facilement à de nouveaux services
d'information et de communication.
L a place occupée par les réseaux alternatifs d'échange d'information et
les forums de discussion dans la « communication transfrontalière »9 et les
réglementations dont ils font l'objet au plan international sont également à
prendre en compte lorsque l'on étudie la libre circulation de l'information et
les technologies de l'information. La future société de l'information sera
6. Voir David Kerr (2000) The Safer Internei Action Plan: Self Labelling and Filtering.
7. Voir Fédération internationale des journalistes: Journalism And the War on Terrorism:Final Report.
8. Voir l'Article 19 (1999). The right to communicate: The Internet in Africa ; Toshimaru Ogura (2001), Internet and Communication Rights in Asia; Sara Bentivegna (1998), Talking Politics on the Net; ct R o m a n Herzog et coll. (2002) Internet and Politics in Latin America.
9. Voir Christian Sandvig (2000).
63
État de la recherche sur la société de l'information
aussi extrêmement sensible au degré de pluralisme10 et à la variété des
opinions, des idées et des modèles d'information qui seront disponibles. L e
marché a-t-il vraiment les moyens d'offrir aux consommateurs des chances
pluralistes, et quelles sont les perspectives des médias de service public ?
O n peut douter de l'aptitude des forces du marché à produire, à lui tout seul,
les services et les structures qui permettraient à la société de l'information
d'offrir un assortiment de moyens d'information qui reflète véritablement la
riche diversité de la société mondiale.
Conclusions et recommandations
Les projets et les travaux de recherche analysés dans ce rapport
mettent en lumière les défis auxquels la société de l'information est
confrontée. Les nouvelles technologies de l'information et à la
communication ont, en principe, la capacité de donner une nouvelle
signification à la qualité de la liberté d'expression qui prévaut dans le
m o n d e entier. Dans la décennie de 1990 la société de l'information a
provoqué l'euphorie. Mais des questions cruciales sur l'avenir des
communications - réglementation, gouvernance, droits d'accès et libertés
civiques - restent sans réponses et demandent une nouvelle réflexion.
Essentiel est le débat sur des accords internationaux viables qui feraient part
égale entre l'exigence de liberté d'expression et de liberté de la presse d'une
part, et la protection des impératifs culturels nationaux d'autre part.
Tout le m o n d e est d'avis que la société de l'information -
particulièrement avec l'Internet - donne des possibilités remarquables de
promouvoir la libre expression, la diversité des opinions et la liberté de la
presse. Mais les travaux de recherche n'indiquent pas si ces possibilités sont
en voie de se concrétiser. L a plupart des travaux effectués jusqu'ici
s'intéressent aux applications commerciales des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Il manque une étude approfondie des
effets du changement sur la vie sociale, démocratique et culturelle,
notamment sous le rapport de leur aptitude à créer des conditions
démocratiques pour la communication, à obtenir un accès équitable et
effectif, à conforter les principes de pluralité et de diversité. Il manque aussi
10. Voir Conseil de l'Europe (2001).
64
État de la recherche sur la société de l'information
une étude des implications de la société de l'information quant aux notions
traditionnelle de liberté de la presse. Parmi les problèmes et les questions
qui réclament davantage d'attention, d'un point de vue mondial aussi bien
que régional, on peut citer :
Démocratie et pluralisme
1. Quel est l'impact des nouveaux médias sur la vie politique ? Ces médias
sont-ils, par essence, plus démocratiques que les médias traditionnels ?
Donnent-ils à entendre des voix critiques et indépendantes ? L a
facilitation des conditions d'accès à un moyen de communication
implique-t-elle nécessairement une baisse de sa qualité ?
2. Quelles menaces la concentration des médias fait-elle peser sur le
pluralisme ? L a vie démocratique locale et régionale tire-t-elle avantage
de l'introduction des exigences editoriales, commerciales et politiques
des grandes compagnies mondiales telles que News Corporation,
Independent Newspapers, Time Warner ou Bertelsman, par exemple ?
Liberté de la presse
1. Quel est l'impact de la société de l'information sur les médias
traditionnels ? Quels changements le journalisme connaît-il actuellement
et quels en sont les effets sur les lecteurs, spectateurs et consommateurs
d'information ?
2. Quelles sont les conséquences de l'abus de liberté dans la presse, par
exemple lorsqu'un journal ou une société de radiotélévision outrepasse -
en matière de culture, de religion, de politique - les limites du bon goût,
de la décence ou du comportement en public ?
3. Quels dispositifs soutiennent actuellement la liberté de la presse ?
C o m m e n t fonctionnent-ils et comment les adapter aux nouveaux
médias ?
4. Quels dommages la liberté de la presse subit-elle lorsqu'un
gouvernement entreprend de contrôler et de restreindre les
communications ?
5. C o m m e n t la liberté de la presse contribue-t-elle à instaurer l'égalité dans
les questions touchant au statut hommes- femmes , aux questions raciales
65
État de la recherche sur la société de l'information
et du handicap, et quelle est son efficacité dans la lutte contre la
discrimination ? C o m m e n t les nouveaux médias modifient-ils la donne ,
dans ces domaines ? (Les nouveaux médias sont-ils, par exemple, à
l'égard des inégalités sociales, plus neutres ou moins neutres que les
médias traditionnels ?)
6. Q u e faut-il modifier au m o m e n t de la formation des journalistes pour les
préparer aux nouveaux médias ? Pouvons-nous définir une méthode de
formation « fondée sur des normes » ? Devons-nous faire porter tous nos
efforts sur les nouvelles recrues ou bien la formation au journalisme doit-
elle être permanente, d ' o ù la question inévitable : qui paie la formation
des journalistes ?
Questions de réglementation
1. Quelle réglementation est devenue nécessaire, le cas échéant, concernant
le contenu des services d'information et c o m m e n t doit-elle être mise en
œuvre ? Les règles actuelles sont-elles suffisantes ? Quels accords
internationaux seraient appropriés ? L a formule de l'accréditation, la
procédure de plainte volontaire ( c o m m e les conseils internationaux de
presse) sont-elles viables ? Devrait-on combiner les deux formules ?
Quelles dispositions financières seraient nécessaires ?
2 . Conviendrait-il de réglementer la création des « messages » ? Par
exemple devrait-il être plus difficile de lancer sur le W e b u n site politique
q u ' u n site littéraire ou personnel ?
3 . Contenu : C o m m e n t allons-nous régler les cas de diffamation, de viol de
la vie privée, de droits d'auteur, de responsabilité, de représentation de la
violence, de commentaire politique, et de discours haineux ? Devrons-
nous compter sur les décisions prises après coup, sur l'auto-régulation
par les professionnels, o u adopter des mesures « de prévention », ce qui
supposerait de former et d'accréditer des agents de médias ?
4 . Médias de service public : Quel est l'avenir des médias de service public
dans le cadre de la société de l'information ? Quels sont les chances de
financer des médias de service public et, après tout, le fait que l'Internet
ne soit pas sous tutelle politique a-t-il u n effet positif o u négatif sur le
discours politique ?
66
État de la recherche sur la société de l'information
Gouvernance mondiale
1. D e quel genre de législation et de supervision internationales la société
de l'information a-t-elle besoin ?
2. Qui devrait être chargé de surveiller et de mettre en application les
questions de réglementation et de politique, au sein du système des
Nations Unies ? U n nouvel organisme international est-il nécessaire ?
Bibliographie
Association for Progressive Communications. 1999-2001. Internet Censorship Case Studies. San Francisco: A P C .
Article 19. The Right to Communicate: The Internet in Africa. London: Article 19, 1999.
Bentivegna, S. 1998. Talking Politics on the Net. Harvard: Harvard University, John F. Kennedy School of Government.
Conseil de l'Europe 2001. Rapport sur le pluralisme des médias dans numérique.
Herzog, R . ; Hoffman, B . ; Schulz, M . 2002. Internet and Politics in Latin America. Frankfurt: Vervuert Verlag.
Hudson, D . 1998. "Cybersmut: H o w Restricting Online Indecency M a y Restrict First Amendment Freedoms". Freedom Forum.
H u m a n Rights Watch. 1999. "The Internet in the Middle East and North Africa: Free Expression and Censorship". N e w York: H u m a n Rights Watch.
H u m a n Rights Watch. 2001. "Freedom of Expression and the Internet in China". N e w York: H u m a n Rights Watch.
International Federation of Journalists. 2002. "Journalism and the W a r on Terrorism: Final Report". Brussels: IFJ.
Kerr, D . 2000. "The Safer Internet Action Plan: Self Labelling and Filtering". Brussels: European Commission.
Ogura, T. 2001. « General Situation of Internet and Communication Rights in Asia, » JCANET, www.jca.apc.org.
67
État de la recherche sur la société de l'information
Reporters Sans Frontières and Transfert 2000. " Les ennemis de l'Internet." Paris: RSF.
Sandvig, C . 2002. Ethnographies of the Internet: Grounding Regulation in Lived Experience. Oxford: Oxford University.
Staksrud, E . 1999. How to Censor the Internet. Oslo, Oslo University, Department of Media and Communications.
68
Chapitre 4
Les technologies de l'information et de la communication et les personnes handicapées
Anuradha Mohit Commission nationale des droits de l ' h o m m e
N e w Delhi, Inde
Introduction
C e rapport présente l'analyse d'une sélection de travaux de recherche
et de publications portant sur le domaine des technologies de l'information
et de la communication (TIC) et de leur utilisation par les personnes
handicapées. C e qui nous a intéressée dans les études et les publications
retenues c'est de rechercher les tendances actuelles et les aspects prioritaires
des recherches futures. Les tendances, c o m m e les lacunes, que nous avons
relevées nous ont inspiré des recommandations qui pourraient s'avérer utiles
dans la construction d'une société de l'information accessible, abordable et
acceptable pour tous, y compris pour les personnes handicapées.
L'Organisation mondiale de la Santé estime qu'environ 10 % de la
population mondiale est affectée d 'un handicap ou d'une autre, ce qui
signifie quelque 600 millions de personnes. Plus des deux tiers vivent dans
les pays en développement, et l'on estime que seuls 1 ou 2 % d'entre elles
ont accès à l'éducation, à une formation et à un emploi ( U N E S C A P , 1996).
L a corrélation entre handicap et pauvreté, - et l'exclusion sociale qui leur
est associée - est directe et évidente, partout dans le monde . O n a eu
tendance jusqu'ici à accorder au handicap une attention charitable, c o m m e
s'il s'agissait d'une pathologie individuelle - c o m m e un état résultant de
l'altération psychologique, biologique ou cognitive d'une personne. Alors
que tous les accès aux infrastructures de la vie quotidienne - dans le monde
de l'éducation, de l'information et de la communication - sont conçus en
fonction de la norme prédominante, celle des individus valides, les efforts en
direction des personnes handicapées ne tendraient qu'à les aider, sans rien
changer à des structures qui ne sont pas adaptées pour des individus ayant
des capacités différentes (Quinn et Degener, 2002).
69
État de la recherche sur la société de l'information
E n deux décennies la perception du problème a bien évolué, passant du
registre de la charité à celui des droits de l ' h o m m e . L a perception du
handicap en termes de droits de l ' h o m m e invite à voir les personnes c o m m e
des sujets et non des objets. Cela signifie que l'on porte attention non plus
aux problèmes de l'individu mais à la conception et au fonctionnement
m ê m e s des diverses installations. Tous les projets de recherche effectués
entre 1998 et 2001 sont axés sur la redéfinition des critères et des normes
des systèmes d'information et de communication, de manière à ne pas
marginaliser encore plus les personnes handicapées.
La méthodologie
C e rapport sur l'utilisation des TIC par les handicapés analyse des
travaux de recherche effectués entre 1998 et 2001. Diverses sources ont été
utilisées pour recueillir les résultats des études achevées et des études en
cours. Dans la limite du temps et des ressources impartis, il a été possible
d'explorer certains sites W e b , car bon nombre d'études déjà inventoriées par
les organismes s'intéressant au handicap, telles que les O N G , l ' O N U , ses
organes régionaux et les instituts de recherche, sont accessibles sur
l'Internet. Les rapports sur les technologies de l'information provenant des
O N G internationales se consacrant aux handicapés, et des agences des
Nations Unies ont été analysés afin de mettre en lumière les thèmes de
recherche actuels. Des bibliothèques de l'Inde et d'autres pays ont été mises
à contribution. Ceci dit, la consultation de la documentation s'est avérée
frustrante car très peu d'études et de rapports ont été consacrés aux TIC
dans l'optique des personnes handicapées.
Vue d'ensemble
L a recherche et l'analyse des documents sur le W e b ont révélé le peu
d'intérêt et la faible importance que les organismes de recherche attachent
aux modalités d'utilisation des TIC par les handicapés. Peu d'efforts ont été
faits pour encourager la recherche scientifique dans ce domaine. Les
principales sources sont les O N G du handicap et les universités. Les études
sont en général commanditées par des groupes de pression, et les cas de
commandes émanant d'organismes privés ne sont pas rares. Les
gouvernements européens et certains gouvernements d'Asie et d'Amérique
70
État de la recherche sur la société de l'information
du Sud ont, eux aussi, diligente des recherches, afin surtout, de décider des
thèmes qui seraient prioritaires pour des projets de R & D et de politique
générale. À ce jour, la principale préoccupation des chercheurs portait sur
les technologies d'accès aux systèmes d'information pour les handicapés.
Cinq ou six universités de pays développés ont mis en place des unités
consacrées à l'étude du handicap. D e tout temps, les facultés de pédagogie,
d'études médicales et d'humanités ont proposé des cours concernant le
handicap. C'est pourquoi la recherche s'est concentrée sur des
spécialisations de ces disciplines ou sur leur interdisciplinarité. D ' u n autre
côté, dans les écoles d'ingénieurs et d'architectes, la tendance prédominante
vise à entreprendre des projets de R & D pour concevoir des produits
nouveaux, ou à adapter des produits, des services et l'environnement des
TIC existants, afin qu'ils soient accessibles aux handicapés. Si bien que les
recherches entreprises jusqu'ici n'apportent pas de réponse quant au
comportement de cette catégorie d'utilisateurs et à l'impact des T IC dans
leur vie. Long est encore le chemin pour éclairer le concept du handicap et
fragmentaire est encore la connaissance que l'on en a.
Ordinateurs
Dans le débat sur les droits des personnes handicapées, toute
l'attention s'est concentrée, à l'échelle mondiale, autour de l'accessibilité.
« L'accessibilité » peut se définir c o m m e « le degré de facilité des objets et
des services d'accès ou d'utilisation (aux plans physique, visuel, acoustique
ou cognitif) par tout le m o n d e , y compris les personnes souffrant d'une
incapacité, ce degré de facilité étant obtenu par l'invention ou l'adaptation
d'un système existant ». Les instruments actuels de traitement de la
communication et de l'information présupposent chez l'utilisateur la
capacité de voir, d'entendre et de se servir de ses mains. D e telle sorte que
des personnes souffrant d'incapacité physique, sensorielle ou cognitive, ne
pourraient utiliser ou approcher les ordinateurs dont la configuration est
rigide. E n matière de TIC les premiers efforts de la recherche ont consisté à
offrir une alternative au m o d e de présentation du texte et à la manipulation
du clavier. C'est ainsi qu'ont été mis au point des périphériques vocaux, des
logiciels de lecture d'écran, des systèmes de reconnaissance de la voix, des
agrandisseurs d'écran et des navigateurs vocaux. Mais ces systèmes sont en
général coûteux et ne sont compatibles qu'avec les langues anglaise,
71
État de la recherche sur la société de l'information
espagnole, japonaise et quelques autres langues d 'Europe occidentale. Les
personnes handicapées parlant ces langues peuvent faire des opérations
bancaires, des achats en ligne, de la correspondance électronique, etc. D a n s
les bureaux, grâce au traitement de texte électronique, les employés m a l
voyants ont, dans certains cas, accès à l'informatique au m ê m e titre que
leurs autres collègues.
Ces progrès ont ouvert aux handicapés des pays développés de nouvelles
chances inestimables d 'emploi, d'éducation et d'intégration. M ê m e en
l'absence d ' u n e infrastructure coordonnée et planifiée, une faible minorité
des personnes handicapées des pays en développement peuvent, elles aussi,
utiliser les ordinateurs et l'Internet. Elles appartiennent en général à la
classe urbaine, éduquée, et c'est surtout sur le lieu de travail qu'elles
utilisent les ordinateurs (Deependra, 2000) . M a i s l'amélioration générale de
l'accès aux ordinateurs pour les personnes handicapées des pays en
développement a été décevante, pour plusieurs raisons : les périphériques
vocaux permettant le fonctionnement des interpréteurs d'écrans n'existent
pas dans les langues locales de la plupart des pays en développement. L e
lexique électronique de diverses langues des signes, nécessaire pour traduire
le contenu acoustique o u textuel en langue des signes, lisible sur les médias
électroniques, ainsi que l'algorithme de reconnaissance de la voix, qui
servirait à traduire l'écriture en signaux sonores, n 'ont pas encore été mis au
point ( U N E S C A P , 2002) . C e s technologies seraient une condition préalable
à l'adaptation des matériels et logiciels informatiques.
L'accès aux technologies de l'informatique et les avantages q u ' e n
retireraient les personnes handicapées dépendent, dans une large mesure, de
l'environnement politique et économique . Les études m e n é e s sur les T I C et
les personnes handicapées confirment le fait que, dans de n o m b r e u x pays, ce
sont l'adoption et l'application rigoureuse de législations anti-
discriminatoires et de politiques de technologies de l'information visant à
intégrer les handicapés qui ont permis de créer les conditions d'accès à
l'information pour tous. Les Règles des Nations Unies pour l'égalisation des
chances des handicapés (1993) constituent le premier instrument
international qui reconnaisse, dans sa Règle 5 , partie II, le droit des
personnes handicapées à u n accès total aux systèmes d'information.
D e par le monde, de nombreux gouvernements ont promulgué et amendé
leurs lois et leurs politiques pour se conformer aux normes fixées par le
72
État de la recherche sur la société de l'information
Règlement. Le gouvernement suédois déclare, par exemple, dans son énoncé
des principes intitulé « Technologies de l'information pour les personnes
âgées et handicapées, 1998 » entre autres, que le gouvernement et le
Parlement s'engagent, conformément au Règlement des Nations Unies, à
fixer des conditions préalables à la création d'une société où les personnes
handicapées jouissent d'une égalité des chances. D e m ê m e , le gouvernement
des Etats-Unis se réfère, dans le préambule de sa politique de « National
Information Infrastructure », à « un concept élargi et moderne de service
universel, destiné à donner à tous les Américains qui le désirent un accès
facile, à un prix abordable, aux services les plus modernes de
communication et d'information, sans distinction de revenus, de capacités et
de situation géographique ».
Cette législation et ces politiques ne se contentent pas de jeter les bases
d'une infrastructure des technologies de l'information qui soient à la portée
de tous, elles ont également permis de résoudre les problèmes de coût
financier pour les personnes handicapées. Certaines d'entre elles se trouvent
du mauvais côté du fossé numérique entre les « riches » et les « pauvres »
en technologie. E n effet, l'information, la communication, les services et
l'instruction transmis par ordinateurs sont moins souvent à la portée de ceux
qui sont pauvres, vivent en zone rurale, appartiennent à des minorités
ethniques ou raciales et/ou sont handicapés. L e coût des communications
modernes dépasse les moyens de la majorité des personnes handicapées,
mais les gouvernements de la plupart des pays en développement sont peu
enclins à investir des fonds pour modifier l'infrastructure déjà en place au
bénéfice d'une petite fraction de leur population.
Le point 4 des Règles des Nations Unies exhorte tous les États à mettre
en place et à assurer des services d'appui, y compris sous forme
d'équipements spéciaux, aux personnes handicapées afin de les aider à
devenir plus indépendantes dans la vie quotidienne et à faire valoir leurs
droits. L'analyse des données confirme le fait que la majorité des pays
développés et bon nombre de pays en développement ont effectivement
adopté des mesures destinées à fournir aux personnes handicapées une
assistance pour des équipements spéciaux. Mais, pour ce qui est des
ordinateurs et des logiciels, les moyens de les mettre à leur portée ne sont
prévus que dans un petit nombre de pays riches.
73
État de la recherche sur la société de l'information
Éducation et sensibilisation
L'utilisation des technologies de l'information est en train de gagner
du terrain partout dans le m o n d e , tant dans le cadre de l'école classique que
dans l'enseignement à distance. O n estime que les T I C ont le pouvoir
d'améliorer les chances des handicapés, à tous les stades de l'éducation. O n
ne dispose cependant pas encore de résultats de recherches et de données
suffisants pour savoir dans quelle mesure la technologie peut effectivement
faciliter l'apprentissage, ni pour montrer c o m m e n t les personnes qui ont été
marginalisées par des handicaps sociaux, économiques et physiques
réagissent aux T I C .
S'il est relativement aisé d'évaluer les répercussions des T I C au point de
vue de leur accessibilité, il est beaucoup plus ardu d'évaluer leurs effets en
fonction d'autres critères. L e fait que les recherches et autres documents
traitant des possibilités d'accès à l'éducation se concentrent essentiellement
sur les questions technologiques prouve que le problème de l'accessibilité
reste encore la question principale. Schmetzke (2001) par exemple, a étudié
grâce à B o b b y , instrument d'évaluation de l'accessibilité aux sites W e b ,
dans quelle mesure les sites de télé-enseignement étaient accessibles. Il a
également passé en revue les documents traitant des obstacles rencontrés par
les handicapés dans le cadre d u télé-enseignement en ligne. Quelques rares
articles traitaient de cette question et ce, essentiellement d ' u n point de vue
technologique. Harrison (1999) affirmait que les ressources éducatives
proposées sur le W e b se devaient d'être conçues dans un esprit universel,
transcendant toute barrière.
O n s'attend souvent à ce que le recours accru aux T I C dans
l'enseignement et l'apprentissage résolve de n o m b r e u x problèmes, y
compris ceux de leur accessibilité pour les personnes handicapées. O r il
existe encore des obstacles et des problèmes qui devront être pris en compte
dans la mesure où la technologie est partie intégrante et joue u n rôle
essentiel dans les méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Par exemple,
des pages W e b complexes, composées de trames et segments multimédia, ne
seront pas correctement interprétées par les p r o g r a m m e s traduisant les textes
en paroles. D e s graphiques qui n'auront pas été agrémentés de textes
explicatifs ne seront pas interprétés par ces logiciels de reconnaissance de
caractères, ce qui privera les aveugles d ' u n contenu utile. D e s pages
74
État de la recherche sur la société de l'information
W e b c o m portant une longue série de liens hypertextes très serrés peuvent
embarrasser un apprenant atteint d'une incapacité visuelle, cognitive ou
motrice (Cook et Galdhart, 2001).
L a multiplicité des techniques employées semble effacer les limites entre
les divers modes d'enseignement à distance. L e contenu d 'un cours peut
être, par exemple, distribué sous forme de texte imprimé ou de vidéo, la
discussion du cours peut ensuite s'effectuer par courrier électronique, la
session de fin de semaine peut enfin réunir les participants en sessions de
face à face, et les ressources ont pu provenir du W e b (Burgstahler, 2001).
Ces options ont ouvert de nouvelles chances et suscité de nouvelles attentes
de la part des apprenants, c o m m e des enseignants. Avec le système classique
d'enseignement les handicapés peuvent se sentir exclus - certains
enseignants ne connaissant pas les dispositifs spéciaux des TIC d'assistance
à l'apprentissage. M ê m e le fait de choisir le bon instrument de
communication, pour les apprenants affectés de handicaps est une opération
très délicate car il existe sur le marché de nombreuses options en fait de
matériels et de logiciels, présentant parfois des différences notables. L a
diversité des handicaps nécessite une large g a m m e d'options, si bien qu'il
est indispensable de se faire aider par un spécialiste pour choisir les
dispositifs adéquats.
L e taux généralement faible d'alphabétisation des personnes handicapées
- qui parfois ne dépasse pas 2 % dans les pays en développement - est l'un
des facteurs qui les classe du mauvais côté du fossé numérique (Quinn et
Degener, 2002). L e système d'éducation et ses modalités doivent être revus
de près et modifiés, car l'enseignement en direction des personnes
handicapées de manière générale, et en particulier l'enseignement assisté par
ordinateur, est dispensé dans des institutions spécialisées, à l'écart de
l'infrastructure classique de l'éducation, notamment dans les pays en
développement.
L e projet O N - N E T intéressant 14 pays de l'Asie du Sud-Est fournit une
bonne étude de cas, qui présente toute la g a m m e des lacunes et des mesures
qui doivent être mises en œuvre pour assurer aux handicapés un accès
égalitaire aux TIC. L'analyse des activités de ce projet illustre l'éventail des
besoins essentiels non satisfaits pour que ces handicapés soient intégrés dans
la société de l'information. Ces activités sont : (a) la formation de
75
État de la recherche sur la société de l'information
formateurs pour les applications spécifiques ; (b) l'élaboration d'une version
de Jaws en langue thaï; (c) la création d 'un logiciel de conversion des
langues locales en Braille; (d) l'établissement de relations avec des écoles
d'informatique afin d'assurer une intégration en douceur des élèves
handicapés; (e) la formation technologique; (f) le relèvement du niveau des
centres d'apprentissage assisté par ordinateur dans les écoles secondaires;
(g) l'élaboration de supports de formation et leur traduction dans de
nombreuses langues.
Les médias
Dans le cadre de la recherche sur les médias classiques, si de
nombreux scientifiques ont acquis une perception plus aiguë des problèmes
de discrimination entre h o m m e s et femmes et autres problèmes concernant
le développement, le handicap reste un sujet très négligé. Pour les
principales institutions qui étudient les médias, le handicap n'est pas un
sujet de grand intérêt. Les travaux examinés dans la présente étude sont
principalement effectués par des organisations nationales, régionales et
internationales de handicapés, afin de définir leurs attitudes à l'égard des
médias, d'analyser les facteurs qui provoquent leur exclusion et d'élaborer
des modèles de médias qui leur soient accessibles.
Les études menées en Asie, en Europe et en Amérique donnent à penser
que personnes handicapées et non handicapées ont des goûts et des
préférences semblables en ce qui concerne leurs programmes de télévision.
L'importance de la télévision dans la vie des personnes handicapées est très
justifiée : ils regardent la télévision au moins 2 à 3 heures par jour (Sujata,
2001). E n Europe et aux Etats-Unis, le handicap a inspiré des recherches
pluridisciplinaires rigoureuses dans le domaine des médias. Ces travaux
partent le plus souvent de l'analyse des besoins des utilisateurs, de celle des
lois existantes sur le contenu et la diffusion, et de l'offre médiatique
existante pour proposer des solutions structurelles qui répondent aux normes
d'accès. L a Fédération néerlandaise des aveugles et des malvoyants s'est
alliée à la Société publique de télévision et à la Fédération hollandaise des
bibliothèques pour aveugles, pour réaliser en quatre ans, de 1998 à 2001, un
projet de recherches de grande ampleur. Les investigations portaient sur les
obstacles au suivi des programmes de télévision, leurs causes et leurs effets.
Elles ont conclu que 30 % des émissions de la télévision hollandaise
76
État de la recherche sur la société de l'information
passaient dans des langues étrangères sous-titrées, si bien que les personnes
aveugles, malvoyantes et âgées ayant une vision réduite n'étaient pas en
mesure de suivre le contenu de l'émission en raison de la rigidité des
nonnes de présentation. L'étude proposait une solution technologique qui
faisait appel à des logiciels de synthèse de la parole et à leur diffusion. L e
déploiement de cette nouvelle formule était facilité par la mise au point d ' u n
décodeur qui restituait le signal sonore sans gêner la diffusion de l'émission.
Les trois chaînes de la télévision publique des Pays-Bas accompagnent
maintenant toutes leurs émissions en langues étrangères de sous-titres
sonores. L'évaluation finale du p r o g r a m m e indique qu'ainsi les personnes
âgées, les aveugles et les malvoyants suivent mieux les émissions en
langues étrangères.
L a télévision joue u n rôle important n o n seulement sur le plan social,
mais aussi parce qu'elle tient compagnie , surtout pour les handicapés qui
sont confinés chez eux. M a i s regarder la télévision reste, pour une grande
partie des handicapés, une occupation frustrante en raison d u non-respect
des principales normes relatives aux terminaux de réception (Wall, 2002) .
Alors que la technologie des médias connaît une évolution accélérée,
chaque passage d ' u n e génération de systèmes à la suivante s ' accompagne de
nouvelles possibilités mais aussi de nouvelles difficultés. L'évolution
technologique doit aller de pair avec u n changement de la législation
associée. O r la rapidité de l'évolution peut laisser subsister des insuffisances
dans le corpus législatif, à défaut de jurisprudence. L e R o y a u m e - U n i offre
u n cas d'étude intéressant car, en 1996 le gouvernement a adopté une
nouvelle loi sur la télévision qui coïncidait avec le passage de la technologie
analogique au numérique. L a loi exige q u ' a u moins 10 % des émissions
comportent u n commentaire o u u n e description orale de leurs principaux
éléments visuels. M a i s elle ne comporte aucune clause concernant les
no rmes de transmission ni de réception d u commentaire oral. D e sorte que,
lorsque la télévision numérique terrestre a débuté en n o v e m b r e 1999 au
R o y a u m e - U n i , o n n'avait pas prévu les m o y e n s de transmettre le
commentaire car les zones supérieures des écrans de télévision numérique
terrestre n'avaient pas été configurées de façon à permettre de télécharger u n
élément sonore (Wall, 2002) . Si bien que les personnes aveugles et âgées
ont été privées de cette possibilité d'accès qui était pourtant disponible sur
la télévision analogique.
77
Etat de la recherche sur la société de l'information
D u fait que la télévision numérique peut ouvrir tout un m o n d e de services
interactifs, en dehors de la diffusion des émissions, elles servira de plus en
plus à naviguer en ligne sur l'Internet, à faire des achats, des opérations
bancaires et du courrier électronique. E n Europe, les gouvernements
prévoient de transférer sur la télévision numérique une bonne partie de leurs
informations et de leurs services. C'est pourquoi l'incorporation de moyens
d'accessibilité dans la conception de la télévision numérique et de sa
diffusion est importante ; dans le cas contraire, les personnes handicapées
seraient encore plus tenues à l'écart.
Télécommunications
Lorsque Alexander Graham Bell a inventé le téléphone, il cherchait à
donner à la parole une traduction visuelle pour répondre au souci de
pluralité des modes d'information, car sa f e m m e souffrait d'un défaut de
l'audition. Malheureusement, l'invention de Bell ne put aboutir à cette
conversion. A u lieu de cela, le scénario projeté s'est complètement
transformé pour permettre la communication en temps réel à des personnes
capables de parler et d'entendre. Les avantages recherchés, pour les
malentendants ou les sourds, n'ont été obtenus que bien plus tard et, là
aussi, avec des options et une disponibilité restreintes. L e service du télétype
( T T Y ) , inauguré vers le milieu des années 1970, a rendu possible la
communication des sourds avec d'autres utilisateurs de télétypes.
L'invention du télé-relais a marqué une seconde étape qui enrichissait le
choix des moyens de communication, en permettant à des sourds qui
appellent de communiquer, via un centre relais, avec des personnes
entendantes. Évidemment ces moyens technologiques ont aussi leurs
faiblesses et ne permettent pas de communiquer à distance dans le langage
des signes.
L e videophone a d'abord été conçu par des sociétés qui désiraient tenir
des réunions entre des personnes situées dans des lieux éloignés, en utilisant
le Réseau numérique à intégration de services (RNIS). L e videophone
permet à l'utilisateur de voir et de parler en m ê m e temps, quelle que soit la
distance entre les interlocuteurs. L'invention du videophone a apporté aux
malentendants un avantage inestimable, car il leur permet de communiquer
dans le langage des signes de la m ê m e manière que les personnes qui
entendent utilisent le téléphone. E n 1998-2001, l'Association finlandaise des
78
État de la recherche sur la société de l'information
sourds a lancé un projet multimédia pour savoir si les liaisons par
videophone et l'interprétation à distance pouvaient améliorer les services
d'interprétation, en valorisant le temps de travail des interprètes, en rédu
isant leurs frais de services et de missions. E n conclusion, l'étude confirmait
que la vie sociale des sourds gagnait en liberté, du fait que de nombreux
services, tels que la consultation médicale, les conseils aux familles,
l'enseignement à distance et les conseils d'ordre juridique devenaient
possibles si l'on utilisait le videophone associé au service de l'interprétation.
Des études concernant la télécommunication s'attachent, par ailleurs à
analyser l'efficacité des lois et des politiques visant les personnes
handicapées. A u x Etats-Unis, par exemple, des téléphones S M S et des
postes relais ont été installés pendant la période allant de 1998 à 2001 pour
mettre en application la Loi sur les Américains handicapés ( A D A ) . C e texte
déclare qu '« un téléphone S M S doit être installé à l'intérieur de tout
immeuble équipé d'au moins quatre téléphones payants. E n outre, un
téléphone S M S doit être installé dans tous les lieux fermés où se trouve un
téléphone public payant, tels que stades, hôtels, centres de réunions, etc. ».
E n Suède et en Finlande également certaines autorités locales ont inclus le
videophone dans la liste des équipements d'assistance aux personnes
handicapées afin de permettre aux malentendants et aux sourds de bénéficier
de l'aide de l'État pour utiliser des videophones.
Cependant, dans les pays en développement, les personnes handicapées
tombent sous le coup du « second fossé numérique », du fait que les
règlements, les politiques et l'infrastructure des télécommunications ne sont
pas à l'écoute de leurs besoins et qu'il n'existe pas, dans les systèmes de
télécommunications nationaux de modèles qui soient à leur portée. L e
manque de sensibilisation, l'analphabétisme et la pauvreté sont des facteurs
qui se cumulent. L e service S M S , par exemple, est plus utilisé par des
personnes entendantes que par les malentendantes et les sourdes, dans les
pays de la région S A A R C . Les recherches montrent que c'est en partie dû
au fait que les sourds apprennent en général une seule langue parlée, qui est
le plus souvent la langue nationale, alors que le S M S sur mobiles n'est
disponible qu'en anglais. L'autre raison la plus c o m m u n e est le faible niveau
d'alphabétisation chez les sourds, qui leur interdit l'emploi du S M S , des
récepteurs d'appel et des téléphones ordinaires, qui ne sont également pas à
79
État de la recherche sur la société de l'information
leur portée car la technologie d'amplification de la voix n'est pas courante
dans les pays en développement.
Conclusions et recommandations
L a rapidité avec laquelle les TIC se sont développées a ouvert des
possibilités inattendues d'emploi, d'éducation et de socialisation aux
personnes handicapées dans les pays développés ainsi qu'à une faible
minorité dans les pays en développement. Il s'agit donc d'assurer un
développement équitable de ces avancées dans toutes les parties du globe.
L'inégalité de leur expansion a accru la disparité entre pays développés et
pays en développement d'une part, et entre « riches et pauvres en TIC » de
l'autre. D e nombreuses organisations nationales, régionales et internationales
se sont attachées à tout mettre en œuvre pour faciliter leur emploi par les
handicapés. O n s'est efforcé d'introduire le point de vue des handicapés
dans les lois, les politiques et les instruments réglementant la technologie de
l'information. Des pays c o m m e la Suède et les Etats-Unis ont m ê m e adopté
des politiques de TIC visant leur développement durable. Ces politiques et
ces dispositifs internationaux ont suscité un vif intérêt de la part des
personnes handicapées, des fournisseurs de services en matière de TIC, des
professionnels de R & D ainsi que des organismes sociaux, des sociétés
privées et des entrepreneurs. Mais on n'en voit pas d'équivalent dans les
pays en développement d'Asie, d'Afrique et d'ailleurs. À partir d'un certain
nombre d'observations et d'analyses d'études de cas sur l'emploi des TIC
par les personnes handicapées dans les pays en développement, nous
sommes à m ê m e de formuler quelques conclusions. Nous ne pouvons
cependant pas, en l'absence de données adéquates et fiables, évaluer toute
l'ampleur et la complexité du problème de l'accessibilité. Il est donc
indispensable que les institutions scientifiques et les organismes spécialisés
dans le handicap investissent davantage dans la recherche concernant ces
sujets. Les T IC sont des technologies qui procurent de l'autonomie mais si
elles ne sont pas correctement planifiées, conçues et mises à disposition,
elles sont susceptibles de creuser la fracture sociale, le fossé du savoir et du
numérique.
C o m m e n t faire une plus large place aux besoins des personnes
handicapées dans les travaux de R & D , dans les procédures réglementaires et
dans les politiques des TIC, ce sont là des questions cruciales auxquelles
80
État de la recherche sur la société de l'information
nous devons répondre. Seul l'engagement des personnes handicapées elles-
m ê m e s dans la R & D , dans la mise au point des produits, la définition de
normes et la formulation des politiques, pourrait combler le fossé du savoir,
qui se révèle inquiétant. L'infrastructure des TIC est relativement accessible
aux personnes handicapées dans les pays qui leur ont demandé cette
implication et ont adopté une attitude intersectorielle en matière de
planification de la politique des technologies de l'information. Dans ce
contexte, nous proposons les recommandations suivantes :
1. Les gouvernements devraient promulguer, amender et mettre en vigueur
des lois, des politiques et des programmes qui protègent le droit à
l'information et la liberté de communiquer des personnes handicapées.
2. Les gouvernements devraient adopter et soutenir la mise au point de TIC
à des normes internationales exemptes de droits d'accès ou de propriété
et qui soient physiquement adaptées.
3. La participation des utilisateurs handicapés à tous les stades de la
recherche, de la mise au point, de la planification de la politique et du
contrôle du produit devrait être une obligation.
4. Toute opération de mise au point, de remplacement ou d'amélioration de
la technologie devrait être conçue de façon à faciliter son utilisation par
les personnes handicapées, et il faut s'assurer que les progrès de la
technologie future se poursuivent dans ce sens.
5. Tous les gouvernements devraient s'engager à adopter un plan sur le
thème des TIC appliquées aux personnes handicapées, selon une
démarche intersectorielle, de telle sorte que soit établi un calendrier
assorti d'objectifs précis et de provisions budgétaires pour chaque
département ministériel, assurant l'égalité d'accès et une totale faculté
d'utilisation des TIC aux personnes handicapées.
6. Il faut que les politiques et les lois en matière de télécommunications
soient amendées de telle sorte que les personnes handicapées disposent
de moyens de communication à distance autonomes répondant à leurs
préférences, tels que le langage des signes et les langues locales.
7. Il faut mettre au point et redéfinir des normes d'interface, de présentation
et d'équipement de terminaux de façon à ce que tous les services de
télévision, analogiques et numériques, soient disponibles selon les
normes d'accessibilité aux utilisateurs handicapés.
81
État de la recherche sur la société de l'information
8. Il est nécessaire que des fonds de R & D soient alloués pour la
conception (a) de systèmes vocaux pour les langues locales, nécessaires
au fonctionnement des appareils de lecture d'écrans ; (b) de lexiques
électroniques dans le langage des signes pour la conversion
informatique des contenus audio et écrits ; (c) d'algorithmes vocaux
pour traduire en texte la parole des langues locales ; (d) de logiciels de
conversion des langues locales en Braille.
9. A u n o m de l'équité et de l'égalité de répartition des ressources en TIC,
les organismes internationaux et nationaux effectuant la collecte, la
collation et la diffusion de données primaires et secondaires devraient
intégrer dans toutes leurs recherches la dimension du handicap.
10. Les organisations intergouvernementales, régionales et agences de
développement devraient entreprendre et favoriser des études dans le
domaine des TIC et de leur utilisation par les personnes handicapées,
notamment dans les pays en développement.
11. Les gouvernements devraient encourager leurs grandes universités
d'État à créer des départements d'étude du handicap dans les facultés.
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82
Etat de la recherche sur la société de l'information
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83
Chapitre 5
Infoéthique et accès universel à l'information et au savoir
lia Joshi Sterling City Bopal
Inde
Introduction
C e rapport avait pour objectif d'étudier la documentation de la
période 1998-2001 sur l'éthique de l'information et l'accès universel à
l'information et au savoir. Environ 260 études et publications scientifiques
ont été analysées, traitant d'au moins l'un des thèmes auxquels ce rapport
s'intéresse. Les études et les publications ont été recherchées parmi les
ouvrages et les revues détenus par des bibliothèques locales ou présentes sur
le réseau des bibliothèques en ligne, ainsi que dans les études disponibles
sur l'Internet.
L e terme d'infoéthique recouvre l'ensemble des grands principes d'accès,
de justice et de respect mutuel qui régissent la conception et l'application
des technologies de l'information (Cummings, 2000). Parmi les questions
d'éthique au cœur du débat on trouve : la confiance, le droit de propriété et
la validité de l'information ; le droit au respect de la vie privée, la
confidentialité et la sécurité ; la haine et la violence dans les médias et sur
l'Internet ; l'accès à l'information et au savoir.
L a nouvelle Directive européenne sur la protection des données jette les
bases d'une juridiction mondiale de respect de la confidentialité des
données. A u niveau individuel, ce principe, déjà appliqué aux utilisateurs de
l'Internet grâce à de nouvelles technologies, va probablement influencer le
m o n d e des affaires dans la prochaine décennie (Davies, 1998). Mais il est
possible que ces restrictions réglementaires n'atteignent pas leur objectif,
notamment dans les pays en développement, où c'est la solution
technologique visant à réglementer « l'usage loyal » qui est susceptible
d'être plus favorable. Le secteur privé et les O N G s'empressent déjà de
mettre au point des contre-mesures pour intégrer, dans l'architecture des
communications, des systèmes de droits réservés. L a machine étatique se
85
État de la recherche sur la société de l'information
verra ainsi inévitablement confrontée à une infrastructure modulable de
protection farouche des droits à la confidentialité des données (Correa,
2000). L'inquiétude des gouvernements est déjà sensible dans le cas de
l'Inde et de l'Iran. Dans une première étape vers son accession au rang de
puissance mondiale en matière de technologies de l'information, l'Inde a
adopté une législation qui protège les droits de propriété et la sécurité dans
le cyberespace. Ses principales dispositions portent sur la loi de signature
électronique et les lois sur les délits informatiques (Chakravarti, 1998).
L'Iran se prépare à légiférer sur la protection de la propriété et la sécurité
des communications numériques et des logiciels d'information (Nejad,
1998). A u m o m e n t de créer leurs systèmes d'information, la Fédération de
Russie et la Jordanie se sont posé des questions pour savoir comment
départager les intérêts de la confidentialité des données et ceux du libre
accès (Nusseir, 1998 ; Genieva, 2000).
L e cas du Portugal constitue une approche encourageante : les
professionnels de l'information reconnaissent l'importance et la singularité
de chaque utilisateur des services et respectent leur droit au secret c o m m e
l'un de leurs droits. Ces professionnels considèrent en effet qu'il est de leur
devoir de respecter l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de
l ' h o m m e ( B A D / I N C I T E / A P D I S 2002). Gorstka (2000) a fait des
suggestions détaillées sur les principes qui devront s'imposer par
autodiscipline pour protéger la vie privée dans le cybermonde.
Quelques questions d'éthique
Respect de la vie privée, confidentialité et sécurité
L e droit au respect de la vie privée reste une préoccupation centrale
pour les démocraties ; il figure en bonne place dans les législations
nationales et dans les normes internationales. L a valeur du droit à la dignité
humaine, à l'autonomie de la personne et à l'auto-gouvernance
démocratique est sans ambiguïté. Mais la technologie a créé de nouvelles
menaces, en m ê m e temps que de nouvelles chances (Rotenberg, 1998).
Samarjiva (1998) analyse les diverses acceptions de « l'espace virtuel » et
des questions qu'il soulève, dans un m o n d e en évolution. Les questions de
confiance, de respect de la vie privée et de sécurité sont gravées dans le
86
État de la recherche sur la société de l'information
marbre des institutions qui jouissent de la confiance de la société, aux Etats-
Unis, mais dans la plupart des pays d'Asie, les services étatiques inefficaces
de télécommunications ne jouissent pas de ce patrimoine de confiance. Créer
la confiance dans les opérations d'information par l'électronique pose un
problème majeur quand il faut, dans le m ê m e temps, assurer la croissance
économique et les chances de progrès social et éducatif. Les droits au
respect de la vie privée et à la sécurité des particuliers, et d'autre part les
droits de propriété du m o n d e des affaires doivent être mis à l'abri d'une
exploitation injustifiée des données. L a protection de la vie privée et la
circulation des données personnelles par-delà les frontières sur des réseaux
mondiaux peu sûrs posent des questions politiques d'intérêt national et
international (Cummings, 2000).
Confiance, propriété et validité de l'information
Lorsque l'information provient d'organismes gouvernementaux ou
non gouvernementaux ou de personnes morales, que ce soit sous forme
imprimée ou sur le W e b , elle jouit du prestige d'une source autorisée, et
donc verifiable. Cela est d'autant plus important aujourd'hui qu'une
surabondance d'informations a accompagné le prodigieux développement de
l'information électronique. Si l'Internet est en voie de devenir rapidement
une source ouverte d'informations, il reste souvent anonyme et exige de
l'utilisateur une forte dose d'esprit critique pour pouvoir trier, parmi les
éléments de désinformation et d'informations erronées, les faits et les
informations valables. Faire passer pour de l'information des opinions
politiques ou des messages commerciaux est une manière de désinformation.
L a technologie de l'information a conféré une valeur potentielle
considérable à une grande partie de l'information dans la mesure où se
trouve dans le domaine public. O n ne voit pas très bien comment les
organes de l'État, les entreprises du secteur public et du secteur privé
exploiteront ce potentiel et quel effet cela aura sur la libre circulation de
l'information.
Bien public contre biens privés
Alors que l'industrie et le m o n d e des affaires sont les fournisseurs de
l'infrastructure d'accès aux ressources de l'information ainsi qu'à leurs
contenus, le problème se pose de définir les notions de « domaine public »
87
État de la recherche sur la société de l'information
et d'accès universel » au plan mondial afin de servir le bien public tout en
encourageant l'initiative privée et en protégeant les droits économiques
légitimes ( U N E S C O , 2000). Par le passé, il était important de pouvoir
prendre connaissance des informations officielles détenues par les
gouvernements, c o m m e le stipule la législation de nombreux pays
développés. Ces lois ont rendu les gouvernements de plus en plus
responsables devant les administrés. Mais l'essor de l'Internet a suscité de
nouvelles attentes chez les citoyens qui commencent à demander aussi aux
organismes du secteur privé d'assumer leurs responsabilités. Les
gouvernements sont ainsi tenus de mieux garantir l'accès aux informations
qu'ils détiennent et aussi d'élaborer une législation qui permette de rendre
les organisations du secteur privé plus responsables (Riley, 2000). L'Union
européenne a publié un livre vert qui recense les initiatives dans ce
domaine, aux plans juridique et pratique. Les questions soulevées par le
domaine public et l'usage loyal du droit d'auteur, ainsi que la protection de
la dignité humaine à l'ère du numérique, font l'objet de plusieurs initiatives
de l ' U E (Papupavlou, 2000).
Haine et violence sur l'Internet
L e crime, la violence et l'obscénité dans les médias restent dans la
plupart des pays un souci primordial, qui exige une surveillance constante,
car très souvent de puissants intérêts économiques y sont en jeu. Les
victimes de la violence et de l'obscénité sont généralement les fractions les
plus fragiles de la société, c o m m e les enfants, les femmes et autres
personnes sans défense. E n examinant 23 chaînes de la télévision et du
câble aux États-Unis, Smith et coll. (2000) ont calculé qu'à toute heure du
jour les spectateurs ont des chances de rencontrer la violence dans deux
émissions sur trois. U n e étude de Wilson et coll. (2002) estime que parmi
les auteurs de violence, sur les écrans américains, les plus jeunes d'entre eux
apparaissent le plus souvent c o m m e séduisants et les moins susceptibles
d'être punis pour leurs forfaits. L e développement de l'Internet a soulevé
des problèmes plus graves encore qu'aucun autre média de masse
auparavant. C o m m e il est interactif il attire les jeunes, qui sont plus
familiers avec les nouvelles technologies que la génération précédente. Ces
jeunes finissent par devenir les objets m ê m e s de la pornographie ou les
spectateurs d'un matériel dangereux, c o m m e les photos ou vidéos à contenu
sexuel explicite, ou encore la proie d 'un marketing et d'une publicité
88
État de la recherche sur la société de l'information
agressifs sur les sites commerciaux. L a Cour de justice indienne a cité à
comparaître les directeurs de deux grands sites pornographiques indiens sur
le W e b et a déposé une plainte au pénal : les yeux de tous les Indiens sont
tournés vers ce premier procès de la cyberpornographie dans leur pays.
L a protection juridique et la mise en vigueur de la loi ne constituent
qu'une partie de la solution. Dans le cyberespace, le droit reste limité -
surtout en raison de la question juridique que pose le caractère transnational
du cyber-crime. Toute mise en application de ce droit, m ê m e restreinte, se
heurte dans de nombreux pays à l'insuffisance des techniques
d'investigation, notamment dans le domaine du numérique et de l'expertise
en informatique (Pabico, 2001). Si le danger d'exposer les enfants à la
pornographie et aux images sexuelles explicites sur l'Internet semblent les
plus inquiétantes aux yeux des parents et des enseignants, les vrais risques
encourus par les enfants sont bien de faire la connaissance d'un nouvel ami
(ou d'une nouvelle amie) par le biais de l'Internet. Cette inquiétude apparaît
dans une étude portant sur 600 enfants thaïs de moins de 18 ans, effectuée
par le Comité national de technologie de l'information. Elle signale que les
jeunes utilisateurs thaïs n'ignorent pas les dangers qui les guettent lorsqu'ils
naviguent sur le W e b : 93 % ont répondu à l'enquête qu'ils sentaient que
c'était dangereux (Pirongrong, 2001).
Accès universel à l'information et au savoir
Les nouvelles technologies de l'information et du savoir (TIC) ont
donné lieu à une augmentation phénoménale du commerce électronique
mondial, à l'amélioration de la qualité de la vie, des soins de santé, des
interventions d'urgence et des accords internationaux, et elles annoncent
l'avènement d'une société du savoir où le citoyen serait plus conscient, plus
humain et mieux informé. Mais en m ê m e temps, la technologie a tendance à
scinder les sociétés entre « riches et pauvres » du point de vue de ce que
l'on appelle la fossé numérique. L'Administration nationale des
télécommunications et de l'information des Etats-Unis a créé ce terme de
fossé numérique en « passant au crible» des rapports préparés par le
Département du commerce. Elle remarque que : (a) les Américains ayant un
niveau d'études élevé sont plus susceptibles d'être connectés au réseau ; (b)
le fossé entre Américains ayant des revenus élevés et des revenus faibles va
s'élargir ; (c) les Blancs sont plus susceptibles d'être connectés que les
89
État de la recherche sur la société de l'information
Noirs ou les Hispaniques ; (d) les zones rurales sont moins susceptibles de
l'être que les zones urbaines et (e) les foyers constitués des deux parents
sont plus susceptibles d'être connectés à l'Internet que les foyers
monoparentaux (Bowie, 2001) .
A u plan international la fossé numérique présente à peu près le m ê m e
tableau. Le Rapport sur le développement mondial 2000-2001 montre
l'existence d ' u n fossé certain qui sépare les pays développés des pays en
développement à l'aide d 'une grille d'indicateurs tels que le n o m b r e de
journaux quotidiens, de postes de radio, de télévision, de téléphones fixes et
mobiles, d'ordinateurs personnels, de personnes reliées à l'Internet, de
scientifiques et d'ingénieurs, d'experts en haute technologie et de dépôt de
brevets. D e s pays développés c o m m e la Norvège et la Nouvelle-Zélande
possèdent respectivement 899,48 et 703 ,33 connexions pour 10 0 0 0
personnes alors que le Nigeria, le Niger et le G h a n a en ont respectivement
0,01, 0,3 et 0 ,6 (Banque mondiale, 2000) . D a n s les pays asiatiques c o m m e
Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, la Tahïlande et les Philippines, les
réseaux d'ordinateurs sont plus développés. Enfin l'Inde, le Pakistan, le Sri
L a n k a et la Chine ont fourni à leurs populations u n accès plus important aux
technologies des médias. L e Bangladesh et le Japon présentent un contraste
extrême de part et d'autre du fossé numérique, car l'un est dépourvu de la
plupart de ces services, alors que l'autre les possède tous (Joshi, 1998) . Les
pays moins développés qui ne sont pas dotés de l'infrastructure ou des
m o y e n s d 'éduquer leur population ne bénéficieraient pas autant de ces
technologies. Il est donc indispensable de déterminer quels types de m o y e n s
technologiques sont le plus rentables dans les pays en développement et
c o m m e n t des ressources limitées peuvent être investies au mieux pour
répondre aux besoins spécifiques des pauvres.
Il existe aussi, au sein des pays en développement une fossé numérique
entre c o m m u n a u t é s urbaines et rurales. U n e étude portant sur la Thaïlande
indique que 7 0 % des utilisateurs des technologies de l'information résident
en zones urbaines, c o m m e à B a n g k o k et sa banlieue (Pirongrong, 2001) .
L'influence de la technologie a souvent été tout sauf neutre à l'égard de
l'égalité des sexes. Les technologies de communication, n o t a m m e n t les
médias de masse , décrivent, depuis des années, les f e m m e s de manière
stéréotypée. Il existe des préjugés bien ancrés concernant les capacités des
f e m m e s à maîtriser la technologie (Joshi, 1998). U n e étude m e n é e dans une
90
État de la recherche sur la société de l'information
ville de taille moyenne en Inde fait ressortir la domination des h o m m e s . Elle
montre que 80 % des familiers des cybercafés sont des h o m m e s . Ils sont
jeunes en majorité (15 à 35 ans), ont un niveau d'éducation élevé, et ont
étudié dans la langue anglaise. Ils appartiennent aux couches socio-
économiques moyenne et supérieure de la société indienne (Joshi, 2001).
Dareth (2001) signale, lui aussi, qu'au Cambodge 50 % des femmes dont
analphabètes, pauvres dans leur société et dès lors, destinées à appartenir
aux « pauvres en information ».
U n autre facteur contribue à couper en deux la population mondiale, c'est
la domination de la langue anglaise sur l'Internet. Pimienta (2002) rappelle
que seuls 10,5 % de la population mondiale utilise l'anglais soit c o m m e
langue officielle soit c o m m e langue parlée ou employée dans
l'enseignement, alors que les contenus de l'Internet sont livrés en anglais, à
hauteur d'environ 80 %. E n comparaison, le matériel en français, en
espagnol et en italien n'atteint pas 2 % et le portugais 1 %. Dans une autre
étude, Kyung-Ja (2001) dresse un tableau comparable, c'est-à-dire que,
selon lui, le nombre de sites W e b en anglais atteint les 80 %, avec des
serveurs également en anglais. L'autre volet de la discussion sur l'accès de
tous à l'information et au savoir concerne la propagation des TIC et leur
utilisation bénéfique. Les domaines qui offrent aux technologies de
l'information le plus fort potentiel d'applications sont l'éducation,
l'administration publique, le commerce, la santé et d'autres aspects de la vie
sociale.
Enseignement assisté par l'électronique
Depuis sa création en 1989, le « Commonwealth of Learning » s'est
donné pour mission d'ouvrir davantage l'accès à l'éducation. C e
programme, qui exploite toutes les formules de l'enseignement, depuis le
texte imprimé jusqu'aux moyens électroniques, est à l'œuvre dans 54 pays
du Commonwealth. Ces dernières années, d'immenses progrès ont été
accomplis pour améliorer la performance de l'apprentissage électronique et
rechercher les moyens d'attirer de nouveaux publics. Le Massachusetts
Institute of Technology a récemment annoncé qu'il mettrait en disposition
publique, sur l'Internet, la plus grande partie de ses cours. Cette université,
dont les droits de scolarité s'élèvent à quelque 39 000 dollars par an, prévoit
que ce ne seront pas seulement les particuliers mais aussi les universités du
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État de la recherche sur la société de l'information
monde entier qui pourront profiter du contenu de ses cours, du texte de ses
conférences, et m ê m e de leur enregistrement vidéo (Mac Donald, 2001).
Dans les écoles des différentes parties du monde , des systèmes d'éducation
élec Ironique sont mis en place. E n Angleterre, quelque 10 000 écoles ont
été connectées à l'Internet sur la « National Grid for Learning ». U n e
initiative du m ê m e ordre a été lancée en France, où le gouvernement a
inauguré la « Politique de la société de l'information » (Tronc, 2002). E n
Inde, le gouvernement a annoncé l'entrée en vigueur de l'opération Savoir,
qui doit transformer toutes les écoles en écoles du futur, en mettant l'accent
non seulement sur les techniques de l'information mais aussi sur l'utilisation
des savoir-faire et des valeurs culturelles (Manorama Year Book, 2002).
Gouvernance en ligne
La volonté d'agir, au plan mondial, pour améliorer le fonctionnement
de l'administration et de la société civile est d'autant plus vive qu'elle est
poussée par une exigence croissante de transparence et de prise de
responsabilités. Les technologies de l'information sont un atout essentiel
dans cette entreprise parce qu'elles (a) favorisent la liberté d'expression ; (b)
encouragent l'échange de questions et de réponses sur les problèmes et les
politiques non gouvernementales et gouvernementales ; (c) éduquent le
public en lui donnant accès à l'information et en lui permettant d'assimiler
les connaissances (Akhtar et coll., 2002). Partout dans le monde les
gouvernements ont bien amélioré les services de transmission en ligne. Le
Canada surpasse le reste du monde en matière de gouvernance en ligne; il se
propose de donner accès à tous les programmes et services fédéraux d'ici la
fin de 2004. Parmi les pays qui ont annoncé des projets similaires se
trouvent Singapour, les États-Unis, l'Australie, le Danemark, le Royaume-
Uni, la Finlande, Hong Kong, l'Allemagne et l'Irlande ( A M I C , 2002).
L'Union européenne a lancé la gouvernance en ligne sous l'égide de
l'initiative « Europe en ligne », dans la perspective que toute l'Europe
dispose, d'ici la fin de 2003, de gouvernements en ligne (Papupavlou, 2000).
E n Inde, le Réseau national des centres d'informatique ( N I C N E T ) relie les
bureaux administratifs, à l'échelon du district et du niveau rural, aux
secrétariats du gouvernement des capitales des États de l'Union. Le
gouvernement de l'État du Kerala a ouvert des centres informatiques
intitulés « Friends », où les citoyens peuvent payer les impôts, les taxes etc.
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État de la recherche sur la société de l'information
qu'ils doivent aux divers services publics ainsi que les frais d'études
universitaires {Manorama Year Book, 2002). L e Premier ministre de
l'Andhra Pradesh doit une partie de sa popularité et de son pouvoir à la
réussite de l'introduction de la technologie dans l'administration de son Etat
(Agrawal, 2001).
C o m m e r c e électronique
L a globalisation apparaît non seulement c o m m e inévitable et
irréversible mais aussi c o m m e un atout majeur de développement
économique pour l'avenir. Les principaux bénéficiaires en sont, évidemment,
les « gros joueurs », mais des entreprises moins importantes ont aussi réussi
à saisir les chances de l'informatisation. O n en voit des exemples dans
certains pays d'Asie : la place que l'Inde occupe sur le marché mondial du
logiciel est remarquable ; la Corée du Sud, elle aussi, s'est fait connaître
c o m m e un acteur important au plan mondial pour le matériel de la
communication et ses composants (Kyung-Ja, 2001). Des organisations du
secteur privé, des milieux universitaires et de la société civile s'efforcent
toutes ensemble, dans presque tous les domaines, de donner forme à cette
nouvelle économie et aux nouvelles techniques afin de renforcer les petites
et moyennes entreprises et de les préparer au commerce électronique.
Conclusions
Les principales préoccupations qui se font jour dans les études et les
publications analysées peuvent se résumer ainsi :
1. Il est urgent de formuler des politiques nationales et internationales qui
encouragent la diffusion et l'utilisation optimale des TIC tout en
réduisant le plus possible leur impact indésirable sur la vie sociale et
culturelle.
2. Des initiatives sont à l'œuvre pour ouvrir davantage l'accès aux TIC,
surveiller leurs effets indésirables et soutenir leur utilisation bénéfique.
E n ce qui concerne les recherches à venir, nous proposons que des
enquêtes soient entreprises, au plan international, pour préciser la situation
actuelle des TIC. Des études d'évaluation devraient également être
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État de la recherche sur la société de l'information
entreprises pour préciser le type d'informations à recueillir dans l'ordre d u
social, de l 'économie, de la politique et de la culture. N o u s suggérons
également des recherches sur la perception de l'infoéthique, en fonction des
différentes cultures et des groupes d'utilisateurs
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N° 328189A. Dépôt légal : novembre 2003
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