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État de la recherche sur la société de l'information

État de la recherche sur la société de l'information

Publications de l ' U N E S C O pour le S o m m e t mondial sur la société de l'information

Édité par K w a m e Boafo

Les désignations employées dans cette publication et la présentation du matériel adoptée ici ne sauraient être interprétées c o m m e exprimant une prise de position du secrétariat de l ' U N E S C O sur le statut légal d'un pays, d'un territoire, d'une ville ou d'une région, ou de leurs autorités, non plus que sur le tracé de ses frontières. Les idées et opinions exprimées sont celles des auteurs de ce rapport et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l'Organisation.

Publié en 2 0 0 3 par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture ( U N E S C O ) , 7 , place de Fontenoy, F-75352 Paris 0 7 S P

©UNESCO 2003

PREFACE

L ' U N E S C O soutient pleinement, depuis le début, le processus de

préparation du S o m m e t mondial sur la société de l'information (SMSI). A ce

titre, elle est parvenue à définir et promouvoir ses positions tout en

articulant sa contribution à la Déclaration de principes et au Plan d'action

que le S o m m e t adoptera. Les éléments que propose l ' U N E S C O à fin

d'inclusion dans la Déclaration de principes et dans le Plan d'action sont

fondés sur son mandat, qui la m è n e à promouvoir le concept de sociétés de

la connaissance, plutôt que celui, général, de société de l'information. Il lui

semble en effet que se contenter de renforcer les flux d'information n'est

pas suffisant pour saisir l'ensemble des opportunités qu'offre le savoir mis

au service du développement. Il est ainsi nécessaire de définir une vision

plus complexe, complète et holistique de l'utilisation des technologies de

l'information au service du développement.

Les propositions que l ' U N E S C O a ainsi formulées sont des réponses

aux principaux défis posés par l'édification des sociétés de l'information : il

est tout d'abord nécessaire de réduire le fossé numérique qui augmente les

disparités dans le développement, excluant des bénéfices de l'information et

du savoir des groupes sociaux et nations entiers ; ensuite, de garantir la libre

circulation de et l'accès équitable aux données, à l'information, aux bonnes

pratiques et au savoir dans la société de l'information ; enfin, de bâtir un

consensus international sur les normes et principes qu'il est désormais

nécessaire de défendre.

Les sociétés de la connaissance doivent en effet être bâties sur un

engagement solennel en faveur des droits de l ' h o m m e et des libertés

fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d'expression. Elles

doivent par ailleurs assurer l'entier respect du droit à l'éducation et des

autres droits culturels. D e la m ê m e manière, l'accès au domaine public de

l'information et au savoir à des fins éducatives et culturelles doit être aussi

large que possible au sein des sociétés de la connaissance et permettre la

consultation d'une information fiable, diversifiée et de haute qualité. U n e

attention particulière doit enfin être portée à la diversité des cultures et des

langues.

E n outre, la production et la diffusion de contenus éducatifs,

scientifiques et culturels, la conservation du patrimoine numérique, la qualité

de l'enseignement et de l'apprentissage sont autant de composantes

essentielles des sociétés de la connaissance. Il faut enfin favoriser le

développement de réseaux de spécialistes et de groupes d'intérêt virtuels,

qui sont autant de vecteurs d'échange et de coopération réels et efficaces

dans les sociétés de la connaissance. Les technologies de l'information et de

la communication sont en effet autant une discipline à maîtriser qu'un outil

pédagogique au service de systèmes éducatifs efficaces et adaptés aux

besoins.

Enfin, ces technologies ne sont pas uniquement des outils, elles

informent et modèlent nos modes de communication, mais également nos

manières de penser et de créer. C o m m e n t agir de telle manière que cette

révolution mentale et instrumentale ne soit pas le privilège d'un petit

nombre de pays économiquement très développés ? C o m m e n t assurer que

tous puissent avoir accès à ces ressources informationnelles et

intellectuelles, en déjouant les obstacles sociaux, culturels ou linguistiques ?

C o m m e n t promouvoir la mise en ligne de contenus toujours plus diversifiés,

susceptibles d'être une source d'enrichissement pour l'ensemble de

l'humanité ? Quelles opportunités pédagogiques présentent ces nouveaux

moyens de communication ?

Il s'agit là d'autant de questions cruciales dont les réponses devront

être trouvées pour que les sociétés de la connaissance soient une réalité et

offrent un espace d'interaction et d'échange mondial. C e sont également des

questions auxquelles doivent répondre ensemble les acteurs du

développement de ces technologies, Etats, entreprises privées et société

civile.

A l'occasion du S o m m e t mondial sur la société de l'information,

l ' U N E S C O entend mettre à la disposition de tous les participants une série

d'ouvrages de synthèse sur certaines des questions les plus préoccupantes

que l'on vient d'évoquer. Il s'agit de prendre la mesure des bouleversements

induits par l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la

communication (NTIC), en évoquant les promesses de développement mais

aussi les difficultés rencontrées, les solutions possibles, et les projets mis en

œuvre par l ' U N E S C O et ses nombreux partenaires.

Abdul Waheed K H A N Sous-Directeur général de l 'UNESCO

pour la communication et l'information

Table des matières

I N T R O D U C T I O N 1

Í.Technologies de l'information et de la communication (TIC) et disparités entre les hommes et les femmes (Magdallen N. Juma)

Introduction 15 Méthodologie 15 La problématique 16 La communication par l'ordinateur 19 L'éducation assistée par les TIC 19 L'accès aux TIC et leur utilisation : disparités entre les sexes 21 Inégalité des sexes 21 Utilisation des TIC par les femmes dans les pays en développement 22 Principaux problèmes de l'inégalité des sexes devant les TIC 25

Rôle des femmes dans la prise de décisions sur les TIC et leurs techniques de production 25 Les femmes dans l'enseignement de la science et de la technologie 27 Les femmes et les connaissances élémentaires 28 Manque de temps 29 Coût de l'équipement et de la liaison 30 Problème de langue 30 Perspectives et champs de recherche pour l'avenir 30

2. Diversité culturelle et linguistique dans les médias et les réseaux d'information (Ruth Teer Tomaselli)

Introduction 39

Méthodologie 39

Aperçu général 40 Diversité culturelle et linguistique dans les technologies de l'information 43

Principaux problèmes 44 L'industrie du divertissement 44 Économie de marché 45

Domination de l'anglais sur l'Internet 45 Accès à la technologie de l'information 49 Sauvegarde de la diversité culturelle et linguistique et de la représentation des minorités ethniques 50 Perspectives 51

3 . Liberté de la presse et liberté d'expression dans la société de l'information - études et projets (Fédération internationale des journalistes)

Introduction 57 Aperçu général des problèmes 58

Conclusions et recommandations 64 Démocratie et pluralisme 65 Liberté de la presse 65 Questions de réglementation 66 Gouvernance mondiale 67

4. Les technologies de l'information et de la communicat ion et les personnes handicapées (Anuradha Mohit)

Introduction 69 La méthodologie 70 Vue d'ensemble 70 Ordinateurs 71

Éducation et sensibilisation 74 Les médias 76 Télécommunications 78

Conclusions et recommandations 80

5. Infoéthique et accès universel à l'information et au savoir (lia Joshi)

Introduction 85 Quelques questions d'éthique 86

Respect de la vie privée, confidentialité et sécurité 86 Confiance, propriété et validité de l'information.. 87 Bien public contre biens privés 87 Haine et violence sur l'Internet 88

Accès universel à l'information et au savoir 89 Enseignement assisté par l'électronique 91 Gouvernance en ligne 92 C o m m e r c e électronique 93 Conclusions 93

INTRODUCTION

S'il est vrai que « la société de l'information » est une notion dont

on entend beaucoup parler, elle recouvre une réalité complexe, qui se prête à

des interprétations très diverses. Q u e dire, alors, des travaux qui tentent de

définir cette notion ? Leur immense diversité est fonction non seulement de

la variété des médias et supports existants, mais aussi de la multiplicité des

thèmes susceptibles d'être analysés et, au final, bien évidemment, de

l'objectif et des méthodes choisies pour ce faire.

Ceci dit, c'est précisément parce qu'il s'agit d 'un domaine d'étude

en constante évolution qu'il nous a paru nécessaire de proposer un rapport

sur l'état d'avancement des recherches en cours, dans le champ de la société

de l'information. Nous ne pouvions, certes, nous lancer dans un inventaire

bibliographique qui se serait voulu exhaustif, les thèmes de recherche et les

sources de références étant bien trop variés, et leur nombre en constante

progression. C e que nous avons entrepris se rapproche donc davantage d'un

exercice méthodologique, et la présente publication en résume les

conclusions. C o m m e n t définir les thèmes d'analyse ? C o m m e n t classer et

évaluer les sources d'information disponibles ? C o m m e n t utiliser

l'information ainsi collectée ? Telles sont les principales questions que nous

aborderons au cours de cette étude.

Pour poursuivre dans ce sens, nous avons choisi cinq thèmes à

approfondir. Ils ont une caractéristique c o m m u n e : chacun d'eux représente

l'un des points forts que l ' U N E S C O croit indispensable de traiter, si nous

voulons créer une société de l'information qui soit juste et universelle. C'est

pourquoi la diversité culturelle et linguistique, la liberté d'expression et

l'infoéthique ont été retenues c o m m e des composantes essentielles de la

société de l'information, telle que l ' U N E S C O la conçoit. Deux autres points,

l'égalité des sexes et la situation des handicapés ont, selon nous, une valeur

symbolique. L'accès de tous aux technologies de l'information se heurte à

un certain nombre d'obstacles préexistants, auxquels nous devons nous

attaquer. E n ce sens ces deux derniers thèmes nous paraissent primordiaux.

L a simple évocation de ces thèmes donne un avant-goût de la

difficulté de la tâche. Il ne s'agit pas seulement de rassembler des

informations techniques ou de découvrir les chiffres les plus précis.

Cependant, m ê m e si les données sur ces thèmes ne sont généralement pas

quantifiables, il n'est pas totalement impossible d'analyser l'état actuel de la

recherche dans ces domaines. Mais cela demande une approche rigoureuse

et ordonnée des sources et des informations qu'elles offrent. Les études

respectent, dans leur principe, certaines règles essentielles, à commencer par

le souci de cerner le thème de recherche, en passant par l'établissement d 'un

classement typologique des études consultées et par la tentative de dégager

des conclusions d'ensemble ainsi que des perspectives, pour pousser plus

loin la réflexion.

Telle est l'ambition de cette collection. Plus qu'un simple panorama

de l'état actuel de la recherche, elle tend à donner à tous les chercheurs,

universitaires et professionnels qui le désirent les outils dont ils ont besoin

pour s'orienter dans l'énorme masse des recherches, en cours et terminées,

sur les divers aspects de l'utilisation des techniques de l'information et de la

communication.

Chapitre 1

Technologies de l'information et de la communication (TIC) et les disparités entre les h o m m e s et les f e m m e s

Magdallen N. Juma Université virtuelle africaine

Nairobi, K e n y a

Introduction

L e présent rapport s'intéresse principalement aux recherches qui ont

été menées de par le m o n d e sur la question de l'égalité des genres dans

l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC).

Il présente une brève analyse des divers travaux de recherche et publications

spécialisés qui ont été consultés, en mettant l'accent sur les grandes

tendances observées et les lacunes que présente ce corpus de documents. Il

formule également des recommandations concernant les recherches à

entreprendre dans l'avenir.

Méthodologie

Les informations ayant trait aux recherches effectuées dans ce

domaine entre 1998 et 2001 proviennent de sources très variées. Ont été

consultés des ouvrages, des articles de revues, des documents sur l'Internet

et des bases de données de bibliothèques afin d'en établir une bibliographie

aussi complète que possible. Les délais impartis à la recherche n'ont pas

permis d'élargir davantage l'éventail des publications. Compte tenu des

contraintes temporelles et financières, nous avons largement puisé dans

l'Internet c o m m e source principale d'informations pour notre compilation.

L'étude aurait été plus complète si nous avions pu contacter un plus grand

nombre de bibliothèques, mais nous s o m m e s convaincue que, telle quelle,

elle représente bien la diversité des travaux de recherche menés dans ce

domaine entre 1998 et 2001. Cela est d'autant plus vrai que cette période

correspond au m o m e n t où l'Internet a atteint sa maturité en tant que

dépositaire des travaux sérieux de la recherche universitaire. Lorsque nous

n'avons pu avoir accès à certaines ressources (le plus souvent, dans le cas

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État de la recherche sur la société de l'information

d'ouvrages publiés), nous avons en général réussi à trouver des articles de

presse ou les résumés analytiques des maisons d'édition qui nous donnaient

une idée assez exacte du contenu des ouvrages.

Notre examen des documents a mis au jour une abondance de rapports

pertinents, que nous n'avons cependant pas pris en compte car les

recherches n'entraient pas dans le cadre de la période 1998-2001. La

période 1993-1996, en particulier, semble avoir produit un grand nombre de

documents qui préfiguraient l'étude des TIC et de l'égalité entre h o m m e s et

femmes. E n 2002 aussi, il semble que l'intérêt pour ce sujet se soit ravivé,

notamment avec l'essor des TIC dans les pays en développement.

La problématique

L'examen attentif du W e b et des bases de données bibliographiques

montre qu'il existe un intérêt très vif chez les chercheurs pour la question

des TIC et des inégalités entre h o m m e s et femmes. Les sources des travaux

sont très variées mais deux d'entre elles semblent prépondérantes :

1. Les Départements d'universités, notamment dans les pays développés

(bien que cette observation soit peut-être faussée par la difficulté

d'accéder par l'Internet à des données sur les pays en développement) et

le plus souvent les facultés et unités consacrées aux études des genres ;

2. Les agences donatrices internationales, y compris les organisations telles

que la Banque mondiale, l ' U N E S C O et l'Union internationale des

télécommunications (UIT).

Parmi les autres sources on trouve des organisations non

gouvernementales ( O N G ) et des départements ministériels.

M ê m e si on ne saurait trop généraliser, les recherches conduites par les

universités s'intéressent davantage aux questions de TIC et de disparité entre

les sexes, en s'appuyant, le plus souvent, sur des études de cas choisis dans

des pays développés. À l'inverse, les recherches commanditées ou financées

par des agences donatrices portent, au premier chef, sur l'emploi des TIC

dans les pays en développement ; il en va de m ê m e des O N G . Les

recherches initiées par les gouvernements sont habituellement destinées à

instruire leurs commanditaires sur la politique du développement. E n termes

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État de la recherche sur la société de l'information

quantitatifs, des études bien plus nombreuses ont été effectuées dans les

pays développés, concernant leur propre utilisation des TIC, bien que l'on

observe depuis 1999 une croissance régulière du nombre de recherches sur

les pays en développement. O n peut remarquer cependant que les documents

dont ces pays font l'objet possèdent une qualité scientifique moindre que

celle des pays développés : dans les pays en développement, en effet, la

plupart des documents proviennent de travaux de recherche financés par des

agences donatrices internationales, dont les exigences en la matière sont

moins strictes que celles des universités. Il existe bien quelques projets de

recherche traitant d'études de cas relevés dans des pays en développement,

mais on peut conclure, à l'évidence, que les recherches sur un thème aussi

pointu que la dynamique de l'emploi des TIC en relation avec le sexe des

utilisateurs sont à la fois plus nombreuses et plus rigoureuses dans les pays

développés que dans les pays en développement. Les informations

disponibles ainsi que les recherches antérieures sur le problème qui nous

occupe ont un caractère trop général et ont tendance à se focaliser sur

l'accès des femmes aux TIC et sur leur expérience dans ce domaine.

D'autres travaux portent sur l'emploi des TIC dans des secteurs précis, tels

que l'éducation ou l'agriculture, mais ils sont assez peu nombreux. Notre

analyse des documents, axée sur la période 1998-2001 a mis en lumière

deux thèmes principaux : (a) dans quelle mesure les femmes ont-elles accès

aux TIC et à leur utilisation et (b) les différentes utilisations que les femmes

font des TIC, et l'impression qu'elles en retirent. Ainsi que des aspects plus

spécifiques, c o m m e la disparité entre h o m m e s et femmes dans l'accès aux

TIC et leur utilisation, l'égalité des sexes, la situation inégalitaire des

h o m m e s et des femmes, sur le plan social, juridique, politique et culturel.

S'agissant du comportement des femmes qui utilisent les TIC, il est

intéressant de remarquer que de nombreux travaux s'attachent à tester

l'hypothèse selon laquelle, du fait que l'Internet est un média virtuel, les

problèmes de l'inégalité entre h o m m e s et femmes disparaîtront et que tous

les utilisateurs pourront se conduire et réagir les uns avec les autres d'égal à

égal. Dans les travaux que nous avons examinés, une analyse très poussée

des études de cas montre cependant que rien ne vient étayer cette hypothèse.

A u contraire, la plupart des études tendent à confirmer que les h o m m e s

dominent l'Internet depuis le début. M ê m e si l'emploi de l'Internet par les

femmes a connu un développement remarquable ces dernières années, les

17

État de la recherche sur la société de l'information

f e m m e s et les filles utilisent moins l'Internet, et l'utilisent d ' u n e manière

différente des h o m m e s .

L a faible utilisation de l'Internet par les f e m m e s a non seulement pour

effet de leur offrir un moindre accès à l'information et aux services en ligne,

mais peut aussi avoir des conséquences économiques et éducatives. A u

cours de l'histoire, les f e m m e s ont été moins promptes que les h o m m e s à

adopter les nouveautés technologiques ; cette attitude négative explique leur

moindre familiarité avec l'ordinateur, leurs moindres compétences en

informatique et leur attitude moins favorable que celle des h o m m e s à

l'égard des ordinateurs. Les disparités entre les sexes en matière de

communication se font également sentir dans les interactions sur l'Internet :

elles se traduisent par la domination des h o m m e s dans les groupes de

discussion virtuels. Les recherches ont montré que dans l'ensemble, pour u n

h o m m e la communication en ligne est valorisante et incite à la controverse

alors que pour une f e m m e elle renforce la concordance et l'hésitation. C e

type de communication peut décourager la participation des f e m m e s à la

communication en ligne et provoquer des disparités entre h o m m e s et

f e m m e s . Tous ces problèmes semblent susciter plus d'inquiétude dans le

cadre des pays développés, où les difficultés d'accès aux T I C sont

relativement mineures, comparées à celles des pays en développement. C'est

pourquoi, dans toute recherche effectuée sur les T I C et l'inégalité entre

h o m m e s et f e m m e s effectuée dans les pays en développement, l'accent est

mis le plus souvent sur l'aspect socio-politique et sur l'analyse des obstacles

rencontrés par les f e m m e s pour l'accès aux T I C et à leur utilisation. A la

différence de ce qui se passe dans les pays développés, ce type de recherche

a une finalité pragmatique et aboutit souvent à suggérer c o m m e n t rendre les

T I C plus accessibles aux f e m m e s , ou c o m m e n t surmonter les difficultés qui

s'y opposent. L'analyse des T I C et des disparités entre h o m m e s et f e m m e s

dans les pays en développement est souvent étroitement liée avec celle de la

pauvreté, d u fait que les f e m m e s pauvres semblent, de surcroît, y être les

personnes les plus défavorisées de la société.

E n conséquence notre rapport se concentre sur la problématique et les

études se référant à (a) la communication par l'ordinateur ; (b) l'éducation

assistée par les T I C ; (c) les disparités d'accès aux T I C entre h o m m e s et

f e m m e s ; (d) l'inégalité des sexes dans leur traitement social, juridique,

politique et culturel ; (e) l'emploi des T I C par les f e m m e s dans les pays en

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État de la recherche sur la société de l'information

développement ; (f) quelques problèmes clés de la différence des sexes dans

l'utilisation des TIC ; et enfin (g) les perspectives et suggestions pour des

recherches futures.

La communication par l'ordinateur

E n examinant les recherches effectuées dans ce domaine on a

découvert qu'il existe deux théories contradictoires au sujet de la

communication par ordinateur. L'une soutient que la communication en

ligne est égalitaire. E n s'exprimant par ordinateur les personnes sont

dénuées de toute inflexion vocale, de langage du corps et autres signes

habituels de la conversation, ce qui permet aux femmes de participer

exactement c o m m e les h o m m e s à ce type de communication. L'autre théorie

concerne la tendance qu'ont les utilisateurs de l'Internet à faire état dans

leurs messages des particularités culturelles liées à leur sexe ; les disparités

liées au sexe joueraient alors au détriment des femmes. Selon cette dernière

théorie, l'interaction en ligne entre les sexes ne fait que reproduire ce qui se

passe dans la conversation en m o d e réel, où les h o m m e s dominent : le

problème du pouvoir dans le cyberespace serait comparable à celui qui se

joue dans l'espace physique. L a notion de liberté de parole a été invoquée

pour défendre le harcèlement en ligne, au n o m de la liberté d'expression et

pour faire passer pour « acte de censure » la résistance des femmes à ce

harcèlement. Si on est d'accord avec cette conception, il devient évident que

la parité sociale ne peut exister que dans une ambiance de tolérance et de

respect de la diversité des personnes qui vivent parmi nous. L a majorité des

études que nous avons consultées tend à infirmer la première de ces deux

théories en posant le principe, à la lumière de l'analyse approfondie des cas

étudiés, que les TIC ne contribuent pas, en réalité, à faire disparaître les

différences acquises par la culture entre les h o m m e s et les femmes (Barrett,

1999 ; Herring, 1998 ; Herring, 1999 ; Millar, 1998 ; Soukup, 2001).

L'éducation assistée par les TIC

Certaines études de cas ont utilisé l'analyse contextuelle des

dialogues en ligne pour observer le comportement socio-émotionnel. Les

recherches de ce type ne font souvent qu'approfondir les questions que nous

venons d'évoquer, au sujet de la différence des rôles joués par les h o m m e s

19

État de la recherche sur la société de l'information

et les f e m m e s en matière d'apprentissage en ligne. L à aussi, les faits

semblent indiquer que les h o m m e s et les f e m m e s endossent des rôles qui les

différencient nettement. Il est prouvé que le contenu cognitif et

« métacognitif » de la participation aux séminaires en ligne était semblable

chez les h o m m e s et les f e m m e s , mais que leur comportement social et

interactif différait de façon significative. Il est apparu, par exemple, dans

l'une des études, que dans u n environnement d'enseignement formel en

ligne, les h o m m e s envoyaient u n plus grand n o m b r e de messages que les

f e m m e s , que leurs messages étaient deux fois plus longs et plus chargés de

contenu socio-émotionnel. Les participants masculins paraissaient également

plus agressifs, portés à la contestation et à la prise de pouvoir. Quan t aux

f e m m e s , elles semblaient composer des messages plus « interactifs » que les

h o m m e s , recherchaient la concordance et l'intimité ; elles étaient souvent

dominées et dépassées par le discours agressif des participants masculins.

U n e nouvelle disparité entre les sexes a été décelée quant à l'interaction

physique entre garçons et filles durant les cours d'informatique. O n a

remarqué que la majorité des filles y paraissaient malheureuses car les

garçons se moquaient d'elles et qu'elles craignaient de s'adresser aux autres

filles. C'est là u n thème qui court tout au long des études sur les différences

entre les sexes, qui déborde le domaine des T I C et concerne le fait que les

écolières sont « conditionnées » ou « encouragées » à ne pas s'engager dans

des domaines d'étude tels que les mathématiques, la science et la

technologie.

Cela prend des dimensions extrêmes dans les pays en développement, o ù

les filles se heurtent à des barrières encore plus difficiles à franchir que dans

les pays développés pour accéder aux T I C . Ainsi les filles peuvent-elles être,

par exemple dissuadées d'entrer au collège (où les pouvoirs publics tendent

à concentrer la majeure partie des investissements en infostructures) et sont

supposées effectuer toute une g a m m e de tâches ménagères dont les garçons

sont exemptés. Les recherches montrent que dans ces conditions les filles

ont beaucoup de peine à accéder aux T I C . Si elles le font, elles sont

exposées au m ê m e type de problèmes que ceux qui sont décrits dans le

paragraphe précédent. Quoiqu'il en soit, la recherche sur les pays en

développement est dominée par le fait que, pour la majorité des enfants

20

État de la recherche sur la société de l'information

(filles et garçons) l'accès aux TIC, sous quelque forme que ce soit, est tout

simplement impossible (Barrett, 1999 ; Burka, 2001 ; Daly, 2000 ; Freeman,

1999).

L'accès aux TIC et leur utilisation : disparités entre les sexes

Ces deux dernières années, les études ont démontré que h o m m e s et

femmes ont des chances inégales d'utiliser des ordinateurs et cela tend à se

confirmer, selon les recherches menées entre 1998 et 2001. Les disparités se

manifestent de diverses façons. Les garçons suivent un plus grand nombre

de cours qui font appel aux ordinateurs, ils les utilisent plus souvent pendant

leurs loisirs et ils y passent plus de temps que les filles. Plusieurs théories

bien connues sur les disparités dans ce domaine ont été examinées.

Historiquement, trois hypothèses sont évoquées : (a) les différences

génétiques, (b) les différences d'aptitudes à l'apprentissage, (c) un mélange

des deux. Or nombre de recherches montrent que, dans l'ensemble, les

h o m m e s et les femmes ne sont pas différents biologiquement mais ont une

vision différente des ordinateurs et de leur utilisation.

Certaines études vont dans le m ê m e sens. Elles alimentent le débat en

suggérant que les disparités dans l'utilisation des TIC sont de nature

sociologique. Bien que ce fait ait certaines conséquences négatives (dans la

mesure où, notamment les filles et les femmes sont dissuadées d'utiliser

couramment les TIC) , cela donne à penser, a contrario que les TIC peuvent

donner naissance à des applications plus constructives, en dépit de ces

différences. L'exemple cité ci-dessus des divers types d'interaction en jeu

dans la sphère de l'éducation en ligne suggère qu'il peut y avoir un meilleur

parti à en tirer, sur le plan social, en mettant l'accent sur les TIC qui font

appel à l'interactivité et à la création de liens plutôt qu'à celles qui suscitent

confrontation et antagonisme (Green et A d a m , 2000 ; Kirkpatrick, 1998 ;

Martin, 1998).

Inégalité des sexes

Lorsque l'on parle du « fossé numérique », on pense avant tout à

l'inégale répartition de la technologie à l'intérieur des sociétés, aussi bien

qu'entre les différents pays du m o n d e . L'utilisation de l'Internet sert souvent

d'indicateur normatif de l'emploi des TIC. Le projet Learnlink de

21

État de la recherche sur la société de l'information

l'Académie pour le développement de l'éducation a effectué, ces dernières

années, des recherches sur l'emploi des TIC en relation avec les femmes

dans les pays en développement. Elles concluent que celles-ci se heurtent à

des obstacles considérables pour avoir accès aux TIC. Les chercheurs ont

examiné les données concernant près de 30 pays et conclu que moins de 1 %

de la population totale de l'ensemble des pays en développement utilise

l'Internet. Ces utilisateurs appartiennent en général à l'élite urbaine,

éduquée, qui utilise essentiellement l'ordinateur sur le lieu de travail pour

des tâches de routine. Selon cette étude et d'autres travaux similaires, parmi

les obstacles à l'accès des femmes aux TIC on trouve la faiblesse du niveau

d'alphabétisation et d'éducation, la langue, le temps, le prix, la localisation

des services, les normes sociales et culturelles ainsi que le manque de

compétences en informatique et en gestion. Il convient cependant de

remarquer que, dans l'ensemble, les travaux de recherche sur le sujet se

caractérisent par la faiblesse des données statistiques. Il ne s'agit pas de

critiquer ces travaux de recherche en eux-mêmes , mais de reconnaître la

difficulté de recueillir des données quantitatives dans les pays en

développement. Et cela s'avère plus compliqué encore lorsqu'il s'agit

d'études sur la disparité des sexes car très peu de données quantitatives

distinguent le cas des h o m m e s de celui des femmes. Cela ne signifie pas que

les conclusions obtenues, c o m m e celles qui viennent d'être citées, soient

suspectes, mais qu'il reste à trouver des méthodes plus précises pour

mesurer l'étendue des problèmes concernant l'utilisation des TIC par les

femmes, en améliorant notamment la collecte systématique des données

quantitatives sur les modes d'utilisation des TIC par les h o m m e s d'une part

et par les femmes d'autre part.

Utilisation des TIC par les femmes dans les pays en développement

Il est toujours difficile d'obtenir des données sur l'utilisation de

l'Internet par pays, selon le sexe, surtout dans les pays en développement.

L'Union internationale des télécommunications (UIT) recueille des données

par pays sur l'utilisation de l'Internet, mais pas selon le sexe de l'utilisateur.

Les sources d'information doivent être, dès lors, recherchées dans les études

de marché et autres projets particuliers. D e ces données il ressort qu'il

semble qu'il n 'y ait aucune corrélation entre l'emploi de l'Internet par les

femmes et les indicateurs habituels, à savoir sur leur taux d'alphabétisation,

22

État de la recherche sur la société de l'information

le P N B par habitant, leur représentation dans les postes techniques ou dans

les postes de pouvoir. Parmi les pays ayant un taux élevé d'utilisatrices on

trouve en effet des pays où son utilisation reste limitée à une très petite élite,

notamment dans les pays les moins industrialisés (Hafkin et Taggard, 2001).

Les statistiques par régions montrent que plus de 90 % des utilisateurs de

l'Internet appartiennent aux pays industrialisés, dont 57 % aux seuls Etats-

Unis et au Canada. O n observe actuellement des taux de croissance élevés

ainsi qu'une importante marge de croissance en Asie, notamment en Chine

et en Inde. O n a observé que, parallèlement à la croissance rapide du

pourcentage des femmes parmi les utilisateurs aux Etats-Unis - où elles

constituent déjà la majorité - le nombre d'utilisatrices s'est accru dans les

pays en développement. Mais cette tendance n'est pas suffisamment prise en

compte dans les données, par manque de statistiques précises. L ' U I T indique

qu'aux Etats-Unis, où 46 % des foyers sont reliés à l'Internet, beaucoup de

femmes s'y sont mises, autant que les h o m m e s , et utiliser l'Internet est

passé dans les m œ u r s domestiques c o m m e une activité qui occupe les

femmes plusieurs heures par semaine.

Par contraste, en dehors des niches de revenus supérieurs, la possession

d'ordinateurs et la connexion à l'Internet chez soi ne sont pas courantes

dans les pays en développement. Lorsque les femmes y ont accès, c'est en

général au travail, et c'est là qu'elles s'en servent. C o m m e le fait remarquer

Bautista, en Inde tous les médias électroniques, depuis la télévision par

satellite jusqu'à la messagerie et l'Internet ne sont accessibles qu'aux

classes privilégiées et répondent presque exclusivement aux besoins et aux

désirs d'information et de divertissement, qui sont essentiellement le fait des

h o m m e s (Bautista, 1999). A u Bangladesh on pourrait nourrir une famille

pendant un an avec le prix d'une connexion à l'Internet. Dans le contexte de

l'Afrique, Morna et Khan déclarent que la plus grande partie des femmes

qui ont accès à la technologie de l'information l'ont exclusivement au

travail (Morna et Khan, 2000). Parmi ces utilisatrices on distingue deux

catégories : celles qui s'en servent essentiellement c o m m e outils de

production, c'est-à-dire pour des travaux ordinaires de bureau -

enregistrement de données, programmation et autres - et celles qui les

utilisent c o m m e instruments de communication, c'est-à-dire pour créer et

échanger des informations, notamment lorsqu'elles travaillent dans des

O N G , des services universitaires, ou dans les secteurs public et privé.

23

État de la recherche sur la société de l'information

Il convient de souligner que la technologie de l'information a été un

instrument de progrès social dans les pays en développement et qu'elle a fait

cause c o m m u n e avec la quête de démocratie et de protection de

l'environnement. Hafkin (2000) signale que l'on a commencé à étudier les

liens entre inégalité des sexes et technologie de l'information dans les pays

en développement lorsque N G O N e t s'est mis en place pour préparer le

S o m m e t de la Terre de 1992, organisé par la Conférence des Nations Unies

sur l'environnement et le développement, à Rio de Janeiro (Brésil). N G O N e t

avait pour objet de donner aux femmes et autres groupes de la société civile

des pays en développement une chance d'utiliser les moyens électroniques

pour exprimer leurs opinions dans un forum mondial du développement.

N G O N e t a inspiré la création du Programme A P C de soutien à l'accès des

femmes aux réseaux ( W N S P ) qui est devenu le plus grand mouvement

d'idées au monde consacré à stimuler l'emploi des technologies de

l'information à l'intention des femmes des pays en développement (Hafkin,

2000). Le volet consacré aux femmes de l'Association en faveur de la

communication pour le progrès (APC) a non seulement utilisé les nouveaux

médias pour les échanges d'information mais a également pris la tête

d'actions pour favoriser l'accès des femmes à la formation dans ce domaine.

Cela a donné lieu, pour les O N G féminines du monde entier à une profusion

d'activités facilitées par l'emploi des technologies de l'information.

Brisco (2000) a signalé le fait que certaines femmes des pays en

développement utilisent les moyens électroniques de communication pour

créer des réseaux qui servent les intérêts de leurs entreprises commerciales.

Bien que ce domaine soit nettement moins développé que celui des réseaux

d'activistes politiques, c'est un domaine intéressant, destiné à se développer.

Des fédérations de femmes d'affaires et d'autres professions de nombreux

pays se sont constituées en réseau et se sont rattachées à un réseau de

femmes d'affaires d'Amérique du Nord en tant que partenaires

commerciales, fournisseuses et points de contact pour la mise en réseaux. Il

est regrettable que cette entreprise ait dû arrêter totalement son activité à la

fin de l'an 2000 (Brisco, 2000). Les femmes entrepreneurs dans les petites et

moyennes entreprises utilisent la technologie de l'information pour faire

fonctionner et gérer leurs affaires. M ê m e si elles ne le font pas à la m ê m e

échelle que les groupes comparables d ' h o m m e s , les O N G et les entreprises

dirigées par des femmes utilisent, à n'en pas douter, la technologie de

l'information pour améliorer l'efficacité et la rentabilité de leurs entreprises.

24

État de la recherche sur la société de l'information

Gallagher (2000) ajoute que, depuis que les femmes des Etats-Unis ont

dépassé les h o m m e s dans l'utilisation de l'Internet, au cours du premier

trimestre 2000, les commerces électroniques de détail se tournent de plus en

plus, dans leurs contacts sur le W e b , vers les consommatrices. Les forces

vives du négoce commencent à s'adresser aux femmes des pays en

développement : des portails commerciaux destinés aux consommatrices

sont apparus, ciblant les femmes de Chine, de l'Inde et de l'Amérique latine

(Gallagher, 2000). Hafkin et Taggart (2001) précisent que le courrier

électronique est la principale application des TIC utilisée par les

organisations féminines et par les femmes en général dans les pays en

développement. L a prédominance du courrier électronique sur toutes les

autres applications est presque universelle chez les femmes, en raison du

manque de temps qui leur est c o m m u n . Dans ces pays-là, toutefois, le choix

des applications est surtout conditionné par la largeur de la bande passante

et la vitesse de débit des liaisons. L à où l'infrastructure des

télécommunications est satisfaisante et le nombre de femmes connectées est

élevé, on utilise davantage le W e b . Là où la concentration est moindre, le

choix se porte sur le courrier électronique et les groupes de discussion

(Hafkin et Taggart, 2001).

Principaux problèmes de l'inégalité des sexes devant les TIC

Rôle des femmes dans la prise de décisions sur les TIC et leurs techniques de production

E n dépit du progrès spectaculaire de l'emploi des TIC par les

femmes, les analyses démontrent l'absence manifeste des femmes dans les

rouages de la prise de décisions. Il s'agit des conseils d'administration et

des cadres supérieurs des sociétés privées en TI, des cadres supérieurs et des

conseillers des organisations de réglementation telles que l'UIT,

l'Organisation mondiale du commerce, l'Organisation mondiale de la

propriété intellectuelle, des organismes, des industries et des associations

professionnels qui fixent des normes techniques, telles que la Société de

l'Internet, les organisations nationales de décision et de réglementation, les

ministères de tutelle du secteur des TI ainsi que des organisations et des

agences internationales de développement. Pourtant, c o m m e le signale

Marcelle (2000), une analyse empirique confirme que la prise de décisions

en matière de technologie ne prend pas en compte, le plus souvent, les

25

État de la recherche sur la société de l'information

exigences et les aspirations des f e m m e s , sauf à faire figurer dans l'analyse

les distinctions selon le sexe. Il remarque, en outre, que m ê m e si la notion

de sexe est prise en compte au plan conceptuel, les décideurs se fondent

souvent sur des données médiocres, dépassées, incomplètes et inexactes.

Pour leur part, les f e m m e s sont très rares parmi les producteurs de

contenus, de p r o g r a m m e s , de conception, d'invention et de réparation

d'ordinateurs. Cette question a provoqué une grande inquiétude, surtout à

l'égard des pays les moins industrialisés, où les f e m m e s restent des

consommatrices passives des T I C et n o n des productrices, qui manquen t de

compétences et ont peu de chances d'accéder à des postes de responsabilités

dans ce c h a m p d'activité. Miller (2000) s'inquiète surtout en constatant que,

au m o m e n t où les modèles économiques de l'avenir s'appuient de façon

croissante sur les T I C , les f e m m e s qui se contentent de les utiliser risquent

de se voir écarter des postes de c o m m a n d e en liaison avec les T I C et de se

trouver dans l'incapacité de concevoir des T I C qui répondent aux besoins,

aux préoccupations et aux priorités des f e m m e s , toutes choses que les

h o m m e s ont tendance à négliger lorsqu'ils conçoivent et produisent cette

technologie.

Les f e m m e s ont en général tendance à se porter sur les emplois o ù elles

utilisent les T I C en tant que consommatrices, pour le traitement de texte et

l'enregistrement de données ; elles comptent pour u n faible pourcentage

dans les effectifs de direction, d'entretien et de conception des réseaux, des

systèmes de fonctionnement o u de logiciels. O n peut objecter que leur faible

représentation dans la production et la conception des T I C découle de leur

moindre accès à l'éducation, des normes socio-culturelles qui découragent

les filles d'étudier les sciences et la technologie, et de la féminisation des

emplois qu'elles occupent dans les T I C . Miller (2000) remarque que leur

sous-représentation ou leur absence dans le processus de prise de décisions,

tant dans les pays développés que dans les pays en développement, est

particulièrement frappante dans les nouvelles industries nées des T I C , qui

ont pourtant relativement échappé à la division traditionnelle d u travail en

fonction d u sexe, et où l'on pourrait s'attendre à ce que les f e m m e s aient

une meilleure réussite. Il semble en définitive que cette disparité ne fasse

que refléter la division du travail dans le m o n d e entier où les f e m m e s sont

en général reléguées dans les postes inférieurs et sont incapables de briser

les cloisons invisibles de l'ordre social.

26

État de la recherche sur la société de l'information

Marcelle (2000) observe que tout récemment encore on ne s'intéressait

pas aux incidences de l'inégalité entre h o m m e s et femmes dans la

formulation des politiques. Il semble que le paysage change sous l'influence

de l'Institut des nouvelles technologies de l'Université des Nations Unies

( U N U - I N T E C H ) et du Fonds de développement des Nations Unies pour la

f emme . L ' U I T a inscrit la question de l'inégalité entre les sexes à l'ordre du

jour de la Conférence mondiale sur le développement des

télécommunications, en mars 1998 et, dans le droit fil de cette ligne

politique l'UIT a elle-même mis en place un groupe spécial chargé de cette

question en intégrant les problèmes d'inégalité entre h o m m e s et femmes

dans toutes ses activités. Le programme de ce groupe engage l 'UIT à aider

les Etats membres à intégrer l'analyse de la disparité des sexes dans leurs

politiques nationales de planification des télécommunications, l'introduction

de la distinction du masculin et du féminin dans les enquêtes statistiques, et

à prendre en compte les considérations d'inégalité dans des programmes tels

que le droit universel de communiquer, la télémédecine, l'enseignement à

distance, les télécommunications et l'environnement (Marcelle, 2000).

A u x Etats-Unis, où beaucoup de femmes utilisent les technologies de

l'information, le nombre de femmes qui fréquentent les instituts de formation

aux télécommunications - dont les diplômés réussissent souvent à occuper

ensuite des postes de commandement dans les domaines des TIC - connaît

une augmentation rapide. Ces instituts ont pour mission implicite d'accroître

la participation des femmes dans la réforme des télécommunications et des

règlements qui les concernent. Le Bureau de développement des

télécommunications, dont les travaux sont nettement axés sur les TIC,

incorpore régulièrement des messages adressés aux femmes dans ses

principales communications sur les activités de développement.

íes femmes dans l'enseignement de la science et de la technologie

L e savoir scientifique et technologique est évidemment indispensable

à tout emploi dans le domaine de la technologie de l'information, notamment

pour les programmeurs, techniciens, analystes de systèmes et autres

personnels. O n dit qu'aux Etats-Unis les effectifs de filles en classes

préparatoires de mathématiques et de science sont en augmentation constante

depuis une trentaine d'années. E n Californie par exemple, elles sont plus

nombreuses que les garçons. Rathgeber (2002) signale cependant que ce

27

Etat de la recherche sur la société de l'information

n'est pas le cas en sciences physiques et en informatique : elles ont bien plus

de chances de s'orienter vers la biologie et les sciences de la santé que vers

la physique, l'ingénierie ou la technologie. O n s'est beaucoup inquiété aux

Etats-Unis du faible nombre d'étudiantes diplômées en informatique. E n

1998, par exemple, les femmes ne constituaient que 15 à 20 % des étudiants

de premier cycle en informatique dans les grandes universités. E n fait, la

proportion de femmes obtenant la licence dans cette spécialité est tombée de

37 % en 1984 à 27 % en 1995, selon une étude (Margolis et coll., 1999).

Les taux d'inscription des femmes en sciences sont, dans l'ensemble,

apparemment inférieurs à ceux des h o m m e s . M ê m e lorsque la proportion

des filles fréquentant l'école augmente, une mauvaise scolarité et des

attitudes dissuasives à l'égard des filles en général, et notamment dans les

sections de mathématiques et de science, ont pour résultat qu'elles

n'atteignent pas un niveau suffisant pour poursuivre des études scientifiques

ou technologiques. Dans les pays en développement, les filles ont bien

moins de chances que les garçons de s'inscrire dans les filières scientifiques

et technologiques, de mathématiques ou d'informatique, m ê m e dans

l'enseignement secondaire (Hafkin et Taggart, 2001). Des enquêtes sur les

programmes d'enseignement de science et de technologie, au plan mondial,

montrent que les idées reçues sur la science et l'ingénierie ne sont pas

étrangères au faible taux d'inscription des femmes dans le troisième cycle

de ces filières. U n e étude menée en 2002 par l'Association américaine des

femmes universitaires ( A A U W ) conclut que les filles et les femmes trouvent

les emplois dans la technologie peu attrayants car elles les voient c o m m e

des emplois « où l'on travaille seuls », « passifs » et « sédentaires »

( A A U W , 2000). U n e autre enquête a montré qu'elles ont l'idée préconçue

que l'ingénierie offre des postes « salissants », très physiques ou manuels ;

elles ne semblent pas très bien comprendre ce que font les ingénieurs

(Hersh, 2000). E n dehors des Etats-Unis également les femmes font preuve

d'aversion pour l'étude de la technologie de l'information.

Les femmes et les connaissances élémentaires

D ' u n e façon plus générale, h o m m e s et femmes doivent savoir lire et

compter pour comprendre et composer de simples messages, naviguer sur

l'Internet et obéir aux instructions, avec la plupart des logiciels. D u fait que

les femmes représentent près des deux tiers de la population analphabète du

28

État de la recherche sur la société de l'information

m o n d e et qu'une f emme sur deux dans les pays en développement est

analphabète, elles ont deux fois moins de chances que les h o m m e s de ne pas

posséder les connaissances élémentaires et les aptitudes à l'informatique

indispensables pour profiter des nouvelles chances offertes par la

communication mondiale, c o m m e le signalent Fraser-Abder et Mehta

(2000). Les femmes se heurtent à de plus grandes difficultés, à tous les

stades de leur vie, pour poursuivre leur éducation, par manque de temps

pour aller à l'école, en raison des tâches familiales et domestiques à

accomplir, par manque d'argent pour les frais de scolarité, et à cause des

normes socioculturelles qui accordent une faible importance à l'éducation

des femmes. Dans les pays en développement surtout, si le fossé entre

garçons et filles quant au niveau de scolarisation dans le primaire et le

secondaire tend à se combler ces dernières années, les filles représentent

encore les deux tiers des enfants d'âge scolaire à ne pas bénéficier d'une

éducation de base ; elles ont donc bien moins de chances que les garçons de

s'inscrire à des cours de mathématiques ou d'informatique.

Mangue de temps

Les femmes des pays en développement connaissent encore

beaucoup d'autres circonstances qui les empêchent de profiter des TIC.

Huyer (1999) estime que le principal obstacle est le manque de temps, du

fait que les soins à donner aux enfants reposent sur les épaules des femmes

et des filles : elles ont donc moins de chances de disposer de temps libre à

passer sur l'Internet, que ce soit à la maison, au travail ou dans les lieux

publics d'Internet. « Le manque de temps » revient dans de nombreuses

études c o m m e principal obstacle à « la recherche d'informations », « la

familiarisation avec l'ordinateur », « se faire aider », « préparer les éléments

à enregistrer », « les transmettre », « répondre aux messages électroniques »,

et « créer un site sur le W e b ». Cette question du temps est étroitement liée

à la localisation spatiale des lieux publics d'Internet, ce qui est très gênant

pour les femmes des pays en développement. Ils se trouvent généralement

dans les grandes villes, parfois très loin des lieux d'habitation. C o m m e plus

de femmes que d ' h o m m e s vivent en zones rurales, la disparité entre

h o m m e s et femmes quant à l'accès à l'Internet suit la m ê m e ligne de

partage que le fossé rurale/urbaine. Les zones rurales, où les femmes

représentent 60 % de la population, ne disposent souvent pas des ressources

et des infrastructures d'accès aux TIC.

29

État de la recherche sur la société de l'information

Coût de l'équipement et de la liaison

Les coûts d'équipement et de liaison sont en général excessifs pour

la majorité des habitants des pays en développement. C o m m e la plupart des

foyers n'ont pas d'ordinateurs, les femmes ont très peu de chances de

pouvoir s'offrir les services de l'Internet dans des centres publics. Quant au

coût horaire d'utilisation de ces installations, il dépasse souvent les moyens

dont disposent les femmes, qui ont, dans l'ensemble, moins de ressources

que les h o m m e s pour payer des services. D u fait que les femmes entrent de

plus en plus nombreuses dans le monde du travail, l'accès aux TIC sur le

lieu de travail constitue une possibilité pour les femmes éduquées, de la

classe moyenne, qui occupent des emplois de bureau. Cependant, dans la

plupart des pays en développement, les femmes ont bien plus de chances de

trouver un emploi dans le secteur informel - domesticité, travail à domicile,

ou à l'usine - que dans des bureaux. Et dans ces emplois-là elles n'ont

guère de chances d'avoir accès à des ordinateurs.

Problème de langue

Le Global Networking for Change (Réseau mondial en faveur du

changement) considère la langue c o m m e un obstacle important à la

participation des femmes aux TIC. L a domination écrasante de l'anglais

dans l'Internet, et dans une moindre mesure, des autres grandes langues

internationales, en interdit l'accès à la majorité de la population mondiale,

qui parle d'autres langues. C e facteur a une incidence considérable sur les

femmes et sur d'autres groupes marginalisés, privés d'accès à la

scolarisation formelle qui leur permettrait d'étudier des langues

internationales. Il est à signaler que m ê m e des utilisateurs ayant d'assez

bonnes connaissances en anglais sont découragés d'utiliser l'Internet par

leur manque d'aisance dans cette langue. L a domination actuelle de l'anglais

dans l'Internet souligne l'importance du flux d'informations qui circule des

Etats-Unis et d'Europe occidentale vers les pays en développement, ce qui

rend assez difficile l'échange d'informations entre les populations

n'appartenant pas aux élites de ces deux mondes.

Perspectives et champs de recherche pour l'avenir

Les TIC pourraient aider les femmes à améliorer l'efficacité et la

productivité du travail qu'elles accomplissent et à saisir les chances nouvelles

30

État de la recherche sur la société de l'information

offertes par l 'économie de l'information. L a présente section traite des

chances que peut leur ouvrir l'utilisation des T I C dans l'agriculture, le petit

c o m m e r c e , la défense de leurs intérêts, leur participation à l'innovation

technologique, et dans d'autres domaines de recherche possibles.

À la lumière de cette analyse, il est indéniable que les f e m m e s ont accédé

à des emplois hautement qualifiés en matière de technologie de

l'information, surtout dans les pays dont les politiques nationales ont mis

l'accent sur l'enseignement de la science et de la technologie. Il existe des

domaines importants dans lesquels les f e m m e s ont nettement progressé,

dans le secteur des emplois nouveaux de la technologie de l'information. U n

plus grand n o m b r e de f e m m e s effectue des travaux qui étaient autrefois

l'apanage des h o m m e s et s'aventurent dans les nouveaux types de travaux

nés de la mise en place de cette technologie. U n plus grand n o m b r e de

f e m m e s , surtout dans les pays développés, étudient l'informatique et les

matières apparentées. C e faisant, elles rendront les choses plus faciles à

toutes les autres. Pour préserver et renforcer les percées qu'elles ont

effectuées en matière d 'emploi, grâce à la mondialisation et à la technologie

de l'information, il faut que les f e m m e s accèdent à des emplois plus orientés

vers la technique, plus qualifiés et mieux rétribués. Encore faut-il qu'elles

aient la possibilité d'étudier et de se former pour pouvoir s'adapter aux

exigences d ' u n e technologie en constante évolution. U n haut niveau de

connaissances va de pair avec la technologie de pointe. Les f e m m e s ont

également besoin de prendre conscience des obstacles dus à l'inégalité des

sexes et à leurs charges domestiques plus lourdes. D a n s la mesure où la

technologie de l'information dépend de plus en plus d u développement de

l 'économie du savoir, l'éducation des jeunes f e m m e s prend d'autant plus

d'importance. L e faible taux d'alphabétisation des f e m m e s , n o t a m m e n t en

Afrique, fait barrage à leurs progrès dans les emplois faisant usage de la

technologie de l'information ainsi q u ' à leur utilisation de cette technologie

en général. Les f e m m e s africaines sont censées avoir le taux de participation

le plus bas du m o n d e en matière d'apprentissage de la science et de la

technologie, et ce, à tous les niveaux.

O n a tenté d'explorer les domaines où l'on pourrait développer l'utilisation

de la technologie de l'information, non seulement pour améliorer les activités

économiques des f e m m e s mais aussi pour toucher u n plus grand n o m b r e de

f e m m e s , surtout dans les zones rurales. C o m m e l'indique M u n y a (2000),

31

État de la recherche sur la société de l'information

bien que les femmes jouent un rôle prépondérant dans l'agriculture, principal secteur d'activité dans la plupart des pays en développement, elles ont très

peu de possibilités de s'informer sur ce qui pourrait les aider à améliorer leur

productivité et accroître leur contribution à l 'économie. Étant donné le

m a n q u e de sources d'information disponibles aux agricultrices, les T I C ont

engrangé u n grand potentiel d'informations pour aider les f e m m e s des zones

rurales en leur fournissant des conseils sur les c h a m p s à ensemencer, la

période favorable, c o m m e n t récolter et commercialiser leurs produits pour

éviter de les vendre à perte. Les agricultrices ont certainement u n grand

besoin d'être informées sur les techniques culturales améliorées, sur

l'obtention de crédits, les entrants dans l'agriculture, les systèmes de

transport, le potentiel des produits agricoles, les nouveaux marchés,

l'ensilage et tant d'autres sujets. L a radio est certainement la technique de

communication la plus accessible aux agricultrices dans les pays moins

industrialisés. L ' U n i o n des radios et des télévisions nationales d'Afrique

( U R T N A ) et la Fondation spatiale mondiale sont des sources potentielles

dont le contenu pourrait être utilisé par les agricultrices. E n Afrique d u Sud ,

le W o m e n ' s Ne t a un p r o g r a m m e qui associe d 'une part les stations radio et

d'autre part des organisations et des c o m m u n a u t é s de f e m m e s pour mettre au

point des émissions d'intérêt local. Il reste toutefois que le prix d'achat et de

réparation des postes de radio constitue u n obstacle important à leur

multiplication. Quan t au problème des langues, des compétences techniques

et des dépenses, ils pourraient être résolus par l'intervention d'intermédiaires

de l'information, qui seraient des animateurs, des travailleurs de la

c o m m u n a u t é ou des représentants d'autres groupes.

Les T I C pourraient aussi s'avérer très utiles pour les f e m m e s qui gèrent

des petits c o m m e r c e s . Selon la Fondation nationale pour les f e m m e s chefs

d'entreprises des Etats-Unis, les c o m m e r c e s détenus par des f e m m e s

constituent entre un quart et u n tiers de l'ensemble des c o m m e r c e s d u

secteur formel. D e m ê m e que pour les autres activités de l 'économie

féminine, l'application la plus adaptée aux besoins des petits c o m m e r c e s est

une information qui faciliterait leur activité. Malgré les coûts initiaux très

élevés de certaines charges telles que l'installation de l'électricité et d u

téléphone, l'achat d'ordinateurs et l 'abonnement à u n serveur d'Internet, la

masse des informations disponibles sur l'Internet est é n o r m e par rapport aux

dépenses. C e s commerçantes ont besoin de s'informer sur l'achat des

entrants, les nouveaux marchés, l'environnement de leur c o m m e r c e et les

32

État de la recherche sur la société de l'information

savoir-faire. Elles ont tendance à faire confiance à des sources informelles

qui pourraient bien être inexactes. Outre leur manque d'information, la

plupart des femmes chefs d'entreprise auraient intérêt à améliorer leurs

connaissances de la technique et de la gestion.

E n réalité, il existe beaucoup de domaines où les femmes ont besoin des

TIC. Elles peuvent les utiliser pour travailler de concert, s'assurer le soutien

de leurs collègues, lancer des campagnes fructueuses et partager la création

et le contrôle des TIC au mieux de leurs intérêts. À cet effet, les T IC

peuvent permettre aux femmes de se projeter dans l'avenir et d'introduire

leur propre vision des choses lorsqu'elles défendent leurs solutions, leurs

opinions et leurs expériences. Prises isolément, les femmes dépendent des

sources traditionnelles et locales d'information politique et civique, qui ne

sont pas toujours fiables. E n utilisant les TIC, elles peuvent vaincre leur

isolement géographique, favoriser l'interactivité, la mise en réseau, le

partage et la formulation de stratégies communes , et défendre leurs intérêts.

Les TIC permettent également aux femmes de communiquer entre elles au

plan local et international sans avoir à se déplacer et en dehors de toute

contrainte de temps. Les TIC peuvent aussi contribuer à élargir leur horizon,

les faisant passer d'une vision locale ou nationale à une vision internationale

de la vie. Dans de nombreuses régions du monde , les femmes mettent à

contribution les T T C dans leurs mouvements de lutte pour leurs droits et leur

autonomie, communiquant avec des réseaux dispersés, mobilisant leurs

forces en périodes de crise, participant à des débats politiques ou inventant

de nouvelles solutions. Nous en avons eu une parfaite illustration lors de la

quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1995). D e très

nombreuses femmes du m o n d e entier ont collaboré par le truchement de

l'électronique à piloter les travaux de la conférence. L'Internet a servi à

échanger des informations et à préparer les participations, à mettre au point

la formulation de la Plate-forme d'action des gouvernements et à façonner

les stratégies des O N G au forum. Les femmes ont utilisé, et continuent à le

faire, des outils aussi variés dans le domaine des T I C que le courrier

électronique, la téléconférence, le W e b , le C D - R O M et les disquettes, les

portails de l'information, les serveurs de fax etc.

Les efforts doivent également être poursuivis pour s'assurer que les

femmes soient présentes dans la conception m ê m e de l'innovation

technologique. Il faut créer des programmes de bourses et de subventions

33

État de la recherche sur la société de l'information

pour les femmes en matière de science et de technologie, ainsi que des p r o g r a m m e s de recherche et de formation. L'objectif visé est de veiller à ce

que des filles et des f e m m e s soient présentes parmi le personnel formé à la

technologie. Elles devraient jouir d ' u n accès équitable à la formation, à tous

les niveaux, y compris à la conception de systèmes, à la mise au point de

logiciels et à la gestion de l'information. L a condition la plus importante

concernant l'amélioration des capacités des filles et des f e m m e s des pays en

développement pour qu'elles bénéficient pleinement des possibilités offertes

par la technologie de l'information, c'est d'accroître les efforts pour les

éduquer, à tous les niveaux, depuis l'apprentissage de la lecture jusqu'à

l'enseignement scientifique et technologique. U n tel progrès réclame des

interventions à tous les stades d u système éducatif. Les technologies de

l'information devraient être intégrées au p r o g r a m m e des apprentissages

élémentaires des filles et des f e m m e s , de façon à les familiariser très tôt aux

nouvelles technologies. Il est, par ailleurs, indispensable d'introduire dans

les méthodes d'enseignement de la science et de la technologie des

changements qui contribueraient à les rendre plus attractifs pour u n plus

grand n o m b r e de f e m m e s . Et, par-dessus tout, mettre en œ u v r e une politique

de T I C non seulement aux niveaux national et international, mais aussi au

niveau de l ' O M C , de l ' U I T et des autres organisations

intergouvernementales.

D e tels efforts ont besoin d'être complétés par des travaux de recherche

constants et soutenus, sur les obstacles qui empêchent les f e m m e s d'utiliser

leurs aptitudes aux T I C . Il conviendrait de poursuivre les travaux, en

particulier sur les problèmes suivants :

1. Les ressources disponibles en matière d'information à l'intention des

petites entreprises de c o m m e r c e et les m o y e n s de communicat ion

efficaces et b o n marché entre f e m m e s travaillant dans ce domaine .

2 . L'acquisition de connaissances et de savoir-faire qui permettraient aux

f e m m e s de prendre part aux divers p r o g r a m m e s et activités des T I C .

3. Les stratégies d'intervention susceptibles de faciliter la participation des

filles et des f e m m e s à l'éducation, à tous les niveaux, et à l'étude de la

science et de la technologie.

4 . L'élaboration d ' u n e politique des T I C qui garantirait la participation

effective des f e m m e s aux discussions politiques et assurerait une plus

34

État de la recherche sur la société de l'information

grande contribution des technologies de l'information au développement

socio-économique.

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37

Chapitre 2

Diversité culturelle et linguistique dans les m é d i a s et les réseaux d'information

Ruth Teer T o m a s e 11 i Étude de la culture, de la communication et des médias,

Université du Natal, Durban Afrique du Sud

Introduction

C e rapport traite des travaux de recherche menés entre 1998 et 2001,

au niveau international, sur la diversité linguistique dans les médias et les

réseaux d'information. Il présente une brève analyse des diverses études et

publications scientifiques qui ont été passées en revue, il en dégage les

principales orientations et signale les lacunes observées dans le corpus des

documents consultés.

Méthodologie

Les informations sur les recherches effectuées de 1998 à 2001

proviennent de sources diverses. Des documents du W e b , des articles de

revues, des thèses de maîtrise et de doctorat, des bases de données de

bibliothèques ont été examinés pour constituer une bibliographie aussi

complète que possible. U n e vaste recherche sur le W e b a été effectuée mais

la possibilité de passer en revue la documentation a été limitée par les délais

imposés par l ' U N E S C O pour la remise du rapport. L'Internet a été utilisé de

façon intensive pour trouver les informations nécessaires à la compilation

des études pertinentes effectuées sur le sujet, car la majeure partie des bases

de données est disponible en ligne. Lorsque des articles, des thèses ou des

ouvrages ne pouvaient être lus en ligne in extenso les services de prêt inter­

bibliothèques de l'Université du Natal ont été utilisés, et nous avons pu, par

ailleurs, découvrir des articles de presse et des résumés analytiques rédigés

par les maisons d'édition qui nous ont donné une idée assez précise du

contenu de la publication. L'enquête a révélé une abondante documentation

sur le sujet, dont certains éléments sortaient du cadre de la période

39

État de la recherche sur la société de l'information

considérée (avant 1998 ou après 2001). Ceux-ci n'ont donc pas été pris en

compte dans cette étude.

Aperçu général

L a diversité culturelle et linguistique dans les médias et les systèmes

d'information suscite un vif intérêt chez les chercheurs. Dans la diversité

des sources, quatre sources primaires se détachent :

1. Des institutions telles que l'International Clearing House for Endangered

Languages, le British Film Institute, Cable News Network, l'Internet

Content Ratings Association et le Summer Institute of Linguistics

International ;

2. Des facultés de pays développés et de pays en développement, mais les

documents proviennent en majeure partie de ces premiers, notamment

des facultés de communication, de services d'information, de linguistique

ou de pédagogie ;

3. D e services ministériels (les documents de cette catégorie étaient pour la

plupart des rapports succincts provenant de pays en développement,

notamment d'Afrique du Sud), tels que des rapports de ministres et de

présidents sur des problèmes de télédiffusion ;

4. Des organisations internationales, y compris des entités telles que la

Banque mondiale et l ' U N E S C O .

Il ressort des documents examinés que les facultés se sont intéressées à

des questions telles que (a) l'encouragement au multiculturalisme sur

l'Internet, (b) le recours aux nouvelles technologies en ligne pour la

renaissance des langues et l'étude de la diversité linguistique et culturelle,

(c) les incidences de la mondialisation sur la diversité culturelle et

linguistique, (d) la disparition des langues, (e) la réflexion pour repenser le

langage, (f) les politiques culturelles et éducatives destinées à renforcer la

diversité linguistique et culturelle, (g) l'emploi des langues vemaculaires

c o m m e véhicules de l'instruction, (h) la façon d'aborder les problèmes

d'accès et la diversité culturelle. L a majeure partie du matériel de ces

travaux provient d'études de cas effectuées dans des pays développés et en

développement. Quant aux recherches commanditées par des agences

donatrices, elles étaient axées sur : (a) des campagnes de protection de la

40

État de la recherche sur la société de l'information

diversité culturelle dans des pays développés c o m m e dans des pays en

développement, (b) les problèmes que pose la diversité des langues dans la

société de l'information, (c) l'encouragement au multilinguisme et à son

utilisation et l'accès de tous au cyberespace, (d) la diversité culturelle au

21 è siècle et (e) le rôle du savoir autochtone dans le développement.

E n ce qui concerne les O N G , leurs recherches portaient sur des thèmes

proches de ceux des facultés, mais s'y ajoutaient des études sur : (a) la

production de programmes et d'émissions attrayants pour des publics de

cultures différentes, (b) la participation de membres de minorités dans les

salles de rédaction, et d'acteurs représentatifs de la composition de

l'audience, (c) la nécessité de former des enseignants capables de valoriser

la diversité culturelle et linguistique dans les salles de classe, (d) l'évolution

de la répartition linguistique de l'ensemble de la population en ligne et de la

population non anglophone en ligne, (e) la façon dont les nations perçoivent

la domination de la langue anglaise sur le W e b , et (f) l'appel à la

coopération internationale pour combler le fossé numérique dans les pays en

développement. Quant aux recherches commanditées par des instances

gouvernementales, elles mettent l'accent sur : (a) la diversité culturelle et

l'identité nationale, (b) la réglementation des émissions, (c) les dilemmes

des langues minoritaires dans le contexte de la mondialisation, (d) la

diversité culturelle et la discrimination positive et (e) la législation

concernant la reconnaissance de la diversité culturelle

L e nombre de travaux portant sur la diversité culturelle et linguistique

dans les médias et les réseaux d'information est nettement plus important

dans les pays développés, bien que quelques études aient été faites sur les

pays en développement. Les documents sur ces derniers ont été en grande

partie commandés par les O N G et les agences internationales de

développement, dont les exigences scientifiques sont en général moins

rigoureuses que celles des universités. Deux sujets principaux ressortent de

l'analyse de ces études :

1. U n e certaine appréhension en constatant à quel point la culture

mondialisée et homogénéisée, dominée par les modes de vie et les

valeurs des Etats-Unis et de l'Occident et portées par l'idéologie

consumériste du marché libre et du complexe transnational de l'industrie

des loisirs a envahi tous les points de la terre, ce qui pourrait détruire la

diversité culturelle et linguistique ;

41

Etat de la recherche sur la société de l'information

2 . D e s appels à la protection de la diversité culturelle et linguistique dans la

société de l'information, et à l 'encouragement du multilinguisme et de

l'accès de tous au cyberespace.

A u sujet de l'homogénéisation de la culture mondiale sous influence des

Etats-Unis, les travaux de recherche étudient, par exemple, l 'engouement

des jeunes en Asie, en A m é r i q u e latine, dans la région d u Pacifique, en

Afrique et dans les pays industrialisés, pour les chaussures Nike, les

vêtements G a p , les tricots Michael Jordan, les derniers C D , les films à grand

succès de Hol lywood , les émissions de télévision d ' A m é r i q u e d u N o r d et les

livres à gros tirage. Grande est la crainte que, partout dans le m o n d e , la

culture exportée par les firmes américaines ne détruise les traditions, les

connaissances, les savoir-faire, les artisanats et les valeurs locaux. Les

groupements d'artisans essayant de vendre leurs produits dans leur propre

pays ont été éliminés par les m o d e s « mondialisées », ce qui conduit à

l'érosion de la diversité culturelle d u m o n d e à brève échéance. L a

mondialisation de la culture américaine s ' accompagne de l'usage dominant

de la langue anglaise c o m m e langue exclusive des échanges internationaux.

Les travaux de recherche montrent à quel point l'anglais est devenu la

langue prédominante dans les échanges en ligne et c o m m e n t sous l'influence

de l'anglais, les minorités linguistiques sont laminées et menacées de

disparition, ce qui m è n e tout droit à l'érosion de la diversité linguistique du

m o n d e . Peu de recherches posent la question de savoir dans quelle mesure

la culture mondialisée et l'usage de l'anglais c o m m e langue véhiculaire pour

les échanges internationaux peuvent être ou n o n bénéfiques pour les

c o m m u n a u t é s n o n anglophones.

S'agissant de la protection de la diversité culturelle et linguistique et de

l'encouragement à l'emploi d u multilinguisme et de l'accès universel au

cyberespace, les travaux de recherche préconisent des stratégies telles que :

1. appel aux gouvernements pour qu'ils mettent en place des politiques de

sauvegarde de leur diversité culturelle et linguistique ;

2 . formulation de politiques et de p r o g r a m m e s pédagogiques qui valorisent

l'enseignement de la diversité culturelle et linguistique ;

3. incitation à utiliser les langues des minorités dans le contexte de

l'Internet ;

42

État de la recherche sur la société de l'information

4. conception de logiciels d'Internet allant dans le sens du multilinguisme,

et qui puissent servir à instruire des personnes de cultures diverses ;

5. incitation à lancer des campagnes qui contribuent à sauvegarder les

nombreuses langues en voie de disparition dans le m o n d e , par des efforts

de recherche, de documentation et de sensibilisation du public ;

6. appel à la coopération internationale pour qu'elle comble le fossé

numérique, notamment dans les pays en développement.

Diversité culturelle et linguistique dans les technologies de l'information

L'analyse des recherches effectuées sur ce thème a montré la

coexistence de trois théories principales sur l'aspect culturel de la

technologie. L'une, souvent qualifiée de vision autonomiste et déterministe

(Ebersole, 1995) pose que la technologie est devenue un type nouveau et

autonome de système culturel qui restructure l'ensemble du m o n d e social,

c o m m e devenant objet de domination (Pacey, 1992). D e nombreux partisans

de cette théorie soulignent ce qu'ils perçoivent c o m m e les conséquences

indésirables des progrès technologiques sur le pluralisme culturel, à savoir la

destruction de diverses cultures et langues dans le sillage de l'avancée

inexorable de la technologie (Ellul, 1990 ; Heidegger, 1977). U n e deuxième

théorie, la vision instrumentale ou neutraliste (Ebersole, 1995) estime que la

technologie est dénuée de contenus ou de valeurs propres, et qu'elle est

donc indifférente aux divers objectifs qu'elle est appelée à remplir

(Freenberg, 1991). Dans cette optique, ce n'est pas la technologie en soi qui

crée des problèmes ou des solutions, mais bien la manière dont on l'utilise.

Critiquant ces deux théories, Freenberg (1991) en propose une autre, où la

technologie n'est ni déterministe ni totalement neutre mais plutôt

ambivalente. L'ambivalence de la technologie se distingue de la neutralité

par le rôle qu'elle reconnaît à l'intention et pas seulement à l'utilisation des

systèmes techniques. Toutefois les valeurs que l'on attribue à certaines

technologies particulières ne signifient pas que leurs effets soient connus

d'avance : la technologie n'est pas une destinée mais un combat à mener.

Cette perspective critique est utile lorsqu'il s'agit d'interpréter l'usage que

font les peuples autochtones et autres populations non occidentales des

nouvelles technologies en ligne, notamment quand on se rend compte du fait

que les machines nécessitent une organisation sociale pour devenir des

technologies (Hodas, 1993). Les populations qui acceptent la technologie

43

État de la recherche sur la société de l'information

sans faire preuve d'esprit critique c o m m e culturellement neutre et c o m m e

l'expression la plus récente du progrès moderne, ne seront pas en mesure de

voir à quel point leur interaction avec la technologie est en train de les

transformer elles-mêmes (Bowers, 2001). C e qui doit être pris en compte,

pour juger de la neutralité ou non de la technologie, ce ne sont pas

seulement les bytes ou les bits de l'Internet, mais l'organisation sociale

qu'elle implique. Les publications de recherche que nous avons examinées,

soutenaient telle ou telle de ces trois théories, cependant la plupart d'entre

elles inclinaient vers la première, en insistant sur les effets indésirables des

progrès technologiques.

Principaux problèmes

L'industrie du divertissement

Pour un grand nombre de sociétés, notamment celles des

autochtones, la culture est leur patrimoine le plus précieux, hors duquel elles

n'ont pas de racines, d'histoire ou d ' â m e . Sa valeur se situe au-delà de

l'argent, et en faire une « denrée » c'est la détruire. Or l'industrie du

divertissement considère la culture c o m m e une affaire, qu'il faut faire

fructifier par des accords commerciaux internationaux, dans le cadre de

l'Organisation mondiale du commerce ( O M C ) , par exemple. U n e immense

et solide coalition rassemble aux Etats-Unis en un « front c o m m u n » les

secteurs des médias du divertissement et de la technologie de l'information

pour s'opposer à toute mesure de protectionnisme des autres pays ; les

acteurs de ce secteur, tels que America Online/Time Warner et Disney

travaillent en étroite coopération avec le gouvernement pour protéger leurs

intérêts particuliers. Ces dernières années l ' O M C a adopté des règles de

liberté du commerce au bénéfice des puissantes organisations transnationales

(Barlow, 2001). Cette législation a des répercussions profondes sur toutes

les cultures du m o n d e en imposant à tous les aspects de la vie sociale un

modèle fondé sur le profit, et en dévalorisant toute activité qui ne serait pas

d'essence commerciale (Barlow, 2001). E n outre, si le marché américain

reste quasiment fermé aux importations, les grands studios américains

peuvent se louer à des prix intéressants, maintenir des normes de production

plus élevées et dépenser davantage en marketing que les compétiteurs

locaux, de sorte qu'il est moins coûteux pour des pays c o m m e l'Afrique du

44

État de la recherche sur la société de l'information

Sud d'acheter des émissions anglophones aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ,

au Canada ou à l'Australie, plutôt que d'apporter leur soutien aux

productions locales (Jenkins, 2001).

Économie de marché

À en croire les défenseurs de la mondialisation sous la bannière des

grandes compagnies, la culture, sous toutes ses formes et dans toutes ses

manifestations, devrait être déréglementée ; cela la revaloriserait, la ferait

mieux connaître et comprendre et la mettrait à la portée d 'un auditoire

mondial (William 2000). Les adversaires de la mondialisation économique

soutiennent que la culture n'est pas un produit c o m m e les autres. L a traiter

c o m m e telle c'est risquer de voir disparaître la diversité et advenir un

m o n d e uniformisé, gouverné par la logique du marché. Plus l'offre des

médias grandit et plus - peut-on craindre - la marge de manoeuvre des

décideurs nationaux pour réguler la diffusion de leur culture diminue. Cela

se répercute sur la conceptualisation des politiques nationales visant à

promouvoir la diversité culturelle dans des sociétés fragmentées et

inégalitaires. Si le choix et la concurrence sont soumis aux lois du marché,

cela distord la représentation des intérêts et des préférences. L a Fondation

d'Afrique du Sud pour la recherche sur la publicité, par exemple, baromètre

des médias et des modes de consommation, continue à recueillir ses données

selon les catégories raciales et ethniques héritées de l'apartheid, ce qui en

dit long sur la réalité bien enracinée des divisions sociales que les politiques

d'apartheid ont activement cultivées et perpétuées. E n conséquence, la

relation d'affaires qui lie publicitaires et diffuseurs en Afrique du Sud tend à

ne refléter les goûts que d'une très petite minorité, celle qui parle l'anglais

et l'africaans (Barnett, 2000).

Domination de l'anglais sur l'Internet

L a technologie, elle aussi, favorise l'existence d'une seule culture et

d'une seule langue. L'anglais est utilisé sur 80 % des sites W e b , alors qu'il y

a dans le m o n d e moins d'une personne sur 10 qui parle cette langue. L e

Réseau mondial pour le changement estime que la domination écrasante de

l'anglais et, dans une moindre mesure, des autres grandes langues

internationales dans l'Internet exclut la majorité de la population mondiale

45

État de la recherche sur la société de l'information

de l'accès à l'Internet. C e facteur a des effets très sensibles sur les groupes

marginalisés, privés d'accès à une scolarisation normale leur permettant

d'apprendre des langues internationales. M ê m e les utilisateurs ayant une

assez bonne connaissance de l'anglais sont découragés d'utiliser l'Internet

parce qu'ils ne se sentent pas à l'aise dans cette langue.

M o n k e (1999) prévoit que la moitié des 6 0 0 0 langues d u m o n d e pourrait

avoir disparu au cours d u siècle prochain et que 2 0 0 0 des 3 0 0 0 langues

restantes seront menacées au cours d u siècle suivant. W a t s o n (1999), lui,

pense que ce sont 8 0 % des langues d u m o n d e qui pourraient disparaître au

siècle prochain. L'expansion de l'Internet - qui a renforcé le désir d'utiliser

des langues régionales, nationales et mondiales c o m m e l'anglais, l'allemand

et le japonais pour traiter les affaires - va contribuer à l'extinction de ces

langues locales, et avec elles des cultures qu'elles véhiculaient ( M o n k e ,

1999).

Alors que l'anglais et l'invasion de la culture américaine continuent à

dominer le cyberespace, la résistance semble se faire jour au plan mondial.

Le Directeur d'un fournisseur de services russe de l'Internet, par exemple, a

décrit le W e b c o m m e « l'acte suprême du colonialisme intellectuel ». Pour

ces raisons idéologiques il existe une certaine opposition à l'usage de

l'anglais sur l'Internet c o m m e langue véhiculaire du commerce et des

affaires, de la gestion des crises et du discours savant et intellectuel. Le

Président français Jacques Chirac a décrit la prépondérance de l'anglais

c o m m e « un risque majeur pour l'humanité ». L a menace de l'uniformité

linguistique et culturelle qui pèse sur le m o n d e a incité le gouvernement

français à ordonner que sur tous les sites W e b de France les textes soient

rédigés en français (Nunberg, 2000).

Si le désir de préserver les langues va croissant, des mouvements en sens

inverse s'emploient à éliminer les langues des minorités (Ostler, 2000). E n

Afrique de l'Est, par exemple, certains gouvernements encouragent

vivement les citoyens à abandonner des langues vernaculaires en faveur du

Swahili ou d'une autre langue c o m m u n e « unificatrice », en gage de loyauté

envers l'État, tandis qu'en Serbie les Kosovars se battent pour continuer à

parler l'albanais, en contravention avec les politiques gouvernementales. Par

ailleurs, les politiques linguistiques officielles ne sont pas nécessairement le

moyen le plus efficace pour infléchir l'évolution de l'emploi d'une langue

46

État de la recherche sur la société de l'information

dans les sociétés multilingues ( Astro ff, 1992). E n Afrique du Sud,

l'utilisation de 11 différentes langues « locales » pour la répartition des

émissions de radiotélévision a joué en faveur de certains groupes apparentés

par la langue qui, ainsi réunis, atteignent presque le seuil d'une catégorie de

marché publicitaire viable. C'est ainsi que la South African Broadcasting

Corporation a implicitement adopté une distinction entre grandes et petites

langues africaines, où le xhosa, le zoulou, le sesotho et le tswana

appartiennent aux premières et le tsonga, le venda, le ndebele et le swati aux

secondes (Barnett, 2000).

Si l'on veut que le développement de la société de l'information se fasse

de façon harmonieuse il faut favoriser l'existence d'une information

multilingue. Son inexistence pourrait entraîner la perte des cultures locales.

M ê m e dans les pays industrialisés, où l'usage de l'ordinateur est assez

répandu, où le niveau de formation est élevé et où les traditions semblent

s'accommoder de l'innovation technologique, les barrières linguistiques ont

le pouvoir de restreindre la communication avec le reste du m o n d e .

L ' U N E S C O a exprimé le souhait que la traduction électronique et la mise au

point de normes, de standards, d'instruments juridiques, de principes et de

codes de conduite permettent d'ouvrir le champ des connaissances,

favorisent le respect de l'usage de toutes les langues, élargissent la diversité

des langues dans le cyberespace et facilitent l'accès de l'information

culturelle et scientifique par l'établissement de sites W e b multilingues.

La défense des langues, de leur variété et de leur pluralité a suscité aussi,

au plan international, l'appui d'organisations non gouvernementales telles

que Terralingua, Lingualsphere Observatory, Summer Institute for Linguistics

International, la Fédération internationale des professeurs de langues

vivantes, et Language Rights. La création par le Conseil de l'Europe du

Bureau des langues moins parlées et la Charte européenne de 1992 des

langues régionales et minoritaires reconnaissent la nécessité de protéger les

langues minoritaires en exigeant que l'on apporte une aide aux langues

traditionnellement parlées dans un territoire par des citoyens minoritaires

dans l'État. Les États doivent reconnaître officiellement une langue

minoritaire ou régionale et assurer l'éducation dans cette langue, à tous les

niveaux, de la maternelle jusqu'aux cours pour adultes et à l'éducation

permanente. E n Afrique, par le biais du projet Linguapax lancé en 1986,

l ' U N E S C O fournit des guides et des manuels aux professeurs et aux

47

État de la recherche sur la société de l'information

gouvernements de pays qui désirent intégrer les langues locales dans leurs

systèmes d'enseignement. Le pouvoir législatif de l'État d'Alaska a été

parmi les premières autorités à faire des efforts organisés pour préserver une

langue en créant, en 1972, le Centre des langues autochtones d'Alaska. C e

Centre se consacre à la documentation et soutient l'éducation bilingue

(Ostler, 2000).

A u final, la survie d'une langue dépend de décisions prises par des

individus désireux d'apprendre et d'utiliser une langue, et d'États désireux

de former des enseignants capables d'enseigner cette langue (Sutherland,

2000). L'adoption d'une politique linguistique multiculturelle, visant à

encourager la participation de ses locuteurs minoritaires à la vie publique, a

toutes les chances d'apporter une réponse aux dilemmes structurels auxquels

sont confrontés les États nations modernes, tout en respectant les critères

internationaux des droits de l ' h o m m e (Koning, 1999). Traitant de la

diversité linguistique c o m m e un droit de l ' h o m m e dans le domaine éducatif,

Skutnabb-Kangas (2000) affirme qu'une politique d'éducation multilingue

accroît l'aptitude à la mobilité et les chances de trouver un emploi, stimule

l'innovation et la création propres aux sociétés pluralistes pour lutter contre

l'analphabétisme, encourage le respect de l'opinion d'autrui, favorise la

cohésion nationale, élève le degré de participation au processus

démocratique et s'avère indispensable pour protéger les langues et les

cultures minoritaires.

L a domination de l'anglais a été en partie renforcée par les difficultés du

multilinguisme en informatique. Rien ne s'oppose, techniquement, à

l'utilisation en informatique, des alphabets et des scripts variés, et on

dispose virtuellement de plusieurs systèmes de transcription universels, mais

les concepteurs d'ordinateurs personnels et de l'Internet n'ont pas considéré,

dès l'origine, qu'il était primordial de penser l'informatique en termes de

multilinguisme. D e sorte que le Code américain des normes d'échange de

l'information (ASCII) est très mal équipé pour traiter les langues autres que

l'anglais. Cependant, l'Internet offre une grande chance à toutes les langues

minoritaires du m o n d e de se faire entendre au niveau international (Felix,

1999). Les progrès se poursuivent en matière de traitement de texte, de

création de matériel et de logiciels, depuis l'ASCII à 7 bits jusqu'aux

normes ISO. L e tout récent Unicode (ISO 10646), système d'encodage

capable de traiter presque toutes les écritures du monde , constitue un

48

État de la recherche sur la société de l'information

progrès dans les communications électroniques. Il reste cependant des

problèmes à résoudre : lorsque l'Unicode est activé dans un contexte de

recherche mondiale, les idéogrammes chinois, japonais et coréens occupent

le m ê m e espace sur le code (Agence japonaise de télégraphie et de

téléphonie, N T T J ) . O n a aussi mis au point des logiciels de traduction

automatique. L e logiciel Babelfish d'Altavista traduit des expressions ou une

page entière du W e b vers l'anglais et à partir de cette langue et permet le

traitement de plusieurs grandes langues européennes, telles que l'espagnol,

l'allemand et le portugais (Legert, 1999). Babylon, un autre outil

téléchargeable, permet le traitement par exemple, du hollandais, du japonais

et de l'hébreu en plus des langues européennes les plus répandues.

L'autre problème étroitement lié à l'accès à une information multilingue

c'est l'éventualité d'élargir le domaine public en matière d'information en y

ajoutant, par exemple, les œuvres dont les droits de propriété sont prescrits,

les œuvres anonymes et les connaissances populaires qui ne sont pas

considérées c o m m e propriété de communautés autochtones. Il existe dans

chaque pays, chaque culture, chaque langue, un immense corpus de

connaissances : faciliter sa sauvegarde et sa diffusion sur les réseaux

mondiaux d'information contribuera puissamment à leur accès universel et

au multilinguisme.

Accès à la technologie de l'information

Mettre à la disposition du public des réseaux et des services

télématiques est une condition essentielle pour faire en sorte que tous les

citoyens aient accès aux contenus de l'information par l'Internet, dans

n'importe quelle langue. Il existe cependant des lacunes ou des insuffisances

dans les politiques nationales concernant la mise en place et l'utilisation des

technologies de l'information, et des contraintes administratives pèsent sur

les organismes du service public désireux de prendre part à la société de

l'information. Pour que se réalise une véritable mondialisation, du point de

vue de la diversité culturelle, l'Internet doit être considéré c o m m e un

service public d'information et non c o m m e un simple produit commercial. Il

faut imaginer et mettre en œuvre des technologies, des politiques et des

règlements adéquats, à l'échelle nationale, régionale et internationale. O n

doit fixer le prix d'installation et de fonctionnement de l'Internet dans les

organismes publics de telle sorte qu'il facilite l'accès universel au réseau et

49

État de la recherche sur la société de l'information

à son contenu multilingue. Encourager la collaboration entre institutions

permettra de réduire le prix de la connexion aux réseaux et aux services de

télématique. Les pays membres du G - 1 5 ont, par exemple, exhorté la

communauté internationale à promouvoir l'accès universel au numérique en

adoptant des mesures et des partenariats innovants entre gouvernements,

secteur privé, société civile et organisations non gouvernementales.

Sauvegarde de la diversité culturelle et linguistique et de la représentation des minorités ethniques

Dans son effort pour sauvegarder les traditions et les langues locales, le

Canada a décrété que 30 % des programmes de radio anglophones doivent

être produits au Canada et que 65 % des émissions diffusées par la radio

francophone devaient être en français. A u Royaume-Uni , VInternational

Television Network (ITN) ainsi que la B B C tentent de mieux équilibrer leur

représentation des minorités ethniques dans toutes les catégories du

personnel et, en s'associant à d'autres sociétés de diffusion, ils ont créé le

Réseau de la diversité culturelle (Cultural Diversity Network, C D N ) afin de

fixer des normes pour l'emploi des minorités ethniques, créer une base de

données en ligne sur les artistes appartenant à ces minorités, moderniser

dans la programmation la distribution des rôles et l'image des minorités

ethniques, mettre en c o m m u n des recherches d'intérêt non commercial sur la

diversité culturelle et garantir la vérification officielle des progrès accomplis.

E n Afrique du Sud, les institutions gouvernementales existantes ont été

restructurées, libérées de la tutelle de l'État et chargées de faire valoir les

intérêts et les missions du service public (Teer-Tomaselli, 1996 ; Teer-

Tomaselli et Tomaselli, 1996). Par ailleurs, une nouvelle série d'organismes

publics indépendants a été créée, tels que le Bureau de toutes les langues

d'Afrique du Sud, la Commission du rapport hommes- femmes , la

Commission des droits de l ' h o m m e , une Autorité de radiotélévision

indépendante (IBA), toutes destinées à stimuler les conditions d'exercice des

droits spécifiques de la « citoyenneté culturelle » inscrits dans la

Constitution de l'Afrique du Sud (Barnett, 2000). Cela a favorisé la

naissance d'un secteur de production d'émission de télévision, de musique

et de cinéma jaloux de son indépendance. L e principal groupe d'activistes

dans ce secteur, l'Organisation des producteurs indépendants (IPOSA)

50

État de la recherche sur la société de l'information

estime que les sociétés locales de production indépendante devraient fournir

pour la programmation dans son ensemble l'essentiel des émissions

produites localement, puisqu'elle est tenue par son règlement de promouvoir

les cultures de l'Afrique du Sud. Programmer des émissions produites par

les indépendants, c'est garantir la représentation des points de vue variés,

sur le plan social et historique, de créateurs jeunes, inventifs et ambitieux.

E n Inde, la production locale ne risque pas d'être accaparée par les grandes

firmes américaines ou indiennes, elle est entre les mains de petits opérateurs

« d'arrière-cours ». Le problème est qu'ils ne disposent pas de capital-risque

et que les solutions que chacun propose sont incompatibles avec les

solutions du voisin. Mais la créativité est là, et c'est de ces opérateurs

« d'arrière-cours » que finira par venir la production locale (Keniston, 1998).

Perspectives

D e nombreux pays en développement et développés reconnaissent le

danger d'une monoculture mondiale, crypto-américaine, reléguant toutes les

autres cultures à un niveau subalterne, obsolète et de second ordre. Pour

entretenir la libre circulation des créations intellectuelles et artistiques tout

en encourageant la diversité et en s'opposant à la culture et aux forces de

destruction gigantesques, centralisées, monolithiques, des grandes

compagnies, adossées aux règlements du commerce international, il est

indispensable de proposer un choix pour que, dans le déluge des produits

culturels offerts, les citoyens puissent décider de regarder, d'écouter ou de

lire des livres, des revues, des films ou des documents sonores qui reflètent

leur m o n d e et leur réalité. Devant le déséquilibre actuel des flux et des

échanges mondiaux de biens et de services culturels, il devient nécessaire de

renforcer la coopération et la solidarité internationales pour permettre que se

joue une véritable concurrence, au niveau international et national. Il faut

établir des relations de partenariat entre le secteur public, le secteur privé et

la société civile. Laissées à elles seules, les lois du marché ne peuvent

garantir la protection et la promotion de la diversité culturelle, clés du

développement humain durable ( U N E S C O , 2001). Ainsi donc, une

intervention déterminée des personnalités des milieux de la politique, des

grandes compagnies et des affaires pourrait tempérer les forces du marché et

ambitionner des objectifs par-delà la simple recherche du profit, tels que

l'élimination de la pauvreté, la généralisation de l'éducation, la liberté

51

État de la recherche sur la société de l'information

politique et la démocratie, la protection et l'approfondissement de la

diversité culturelle.

M ê m e si les citoyens et leurs gouvernements sont très désireux de voir

exporter leurs productions culturelles et de conserver le droit de fixer des

conditions de c o m m e r c e équitables afin de protéger et faire valoir leur

littérature, leur histoire et leur culture spécifiques, la culture ne doit pas être

soumise aux accords de libre échange, n o t a m m e n t ceux de l ' O M C . Il faut

élaborer u n nouvel instrument international concernant ces questions. Cet

instrument ne peut remplir sa mission que s'il jouit d ' u n statut équivalent à

celui des accords commerc iaux , reconnaissant l'intérêt de préserver la

diversité culturelle et fixant des règles, qui pourront évoluer avec le temps,

car nous ne pouvons savoir aujourd'hui quelles formes prendra, à l'avenir,

l'expression culturelle. Afin de préserver la diversité culturelle, les créateurs

de contenus sur l'Internet devraient investir sur le savoir et les valeurs

autochtones, rendre autonomes et efficaces les c o m m u n a u t é s locales en

soutenant leur culture (Gorjestani, 2000) et les langues maternelles sur

l'Internet, s'intéresser aux problèmes locaux et créer des réseaux locaux

fondés sur des préoccupations c o m m u n e s . C'est ainsi q u ' u n capital social

pourra se construire, l'intégrité culturelle se maintenir et la diversité

s'épanouir. L'Internet peut faciliter la communicat ion interculturelle en

anglais, mais il peut, à l'opposé, permettre à des locuteurs d'autres langues

éparpillés dans le m o n d e , de c o m m u n i q u e r dans leur propre langue.

Tout en assurant la circulation des idées et des œuvres, les politiques

culturelles doivent créer u n climat favorable à la production et à la diffusion

de biens et de services culturels diversifiés par le biais d'industries

culturelles ayant les m o y e n s de s'affirmer au plan local et mondial, dans le

respect des droits et de la dignité de l ' h o m m e . Pour ce faire, les conseillers

politiques doivent pouvoir présenter u n panorama de la diversité des

cultures de la c o m m u n a u t é , au m o m e n t o ù sont élaborées et discutées les

politiques à adopter. Cela peut se faire par participation directe ou par

consultation préalable, et impliquer des personnes d'origines culturelles et

linguistiques diverses.

Il est nécessaire, en outre, de faire reconnaître les droits linguistiques de

l ' h o m m e , tant dans les pays développés que dans les pays en

développement. Les droits linguistiques de l ' h o m m e sont indispensables

52

État de la recherche sur la société de l'information

pour maintenir la diversité des langues et prévenir le « génocide

linguistique » (Skutnabb-Kangas, 2000). Par rapport à la Déclaration

universelle des droits linguistiques, proclamée à Barcelone, ces droits se

situent au carrefour de l'individuel et du collectif ; individuellement ils

renforcent la libre identification à la langue maternelle, collectivement ils

permettent à un groupe d'exister et de se perpétuer au travers de sa langue

et de sa culture. Pour ce qui est de l'éducation, les droits linguistiques de

l ' h o m m e devraient garantir la préservation de l'identité liée à la langue,

l'enseignement étant dispensé dans la langue maternelle. Ces droits

devraient aboutir au droit pour un individu de choisir s'il veut changer de

langue. Aucune différence ne devrait être faite entre immigrants et personnes

natives du pays car, dans le cadre des droits linguistiques de l ' h o m m e le

multilinguisme est toujours une aventure culturelle et personnelle et, dans de

nombreux pays ce choix devient nécessaire dans l'intérêt de la démocratie

(Skutnabb-Kangas, 2000).

Les nombreux pays qui sont hostiles à la mondialisation de la culture

pourraient s'inspirer du cas de l'Inde où, au cours du demi-siècle passé, les

Indiens ont trouvé c o m m o d e d'utiliser l'anglais c o m m e langue de liaison

entre les diverses populations du sous-continent. Il a été possible à cette

nation diversifiée de mener ses affaires, et les relations entre l'Inde et le

reste du m o n d e ont bénéficié du fait que l'Inde possède la deuxième

population anglophone du m o n d e . Et pourtant, l'Inde a réussi à conserver sa

culture spécifique (Keniston, 1998). Pour dépasser l'idée que la culture de

l'informatique (que l'Internet n 'a fait que renforcer) menace les modes de

vie traditionnels (Bowers, 2001 ; Postman, 1993), les communautés doivent

tirer parti des aspects de l'Internet qui sont les plus compatibles avec leurs

propres modes de communication et de savoir. C o m m e le souligne Agre

(1997), ce n'est pas la machine qui réforme la société, améliore les

institutions, échafaude des réseaux sociaux ou produit une culture

démocratique. C e sont les populations, et l'Internet n'est qu'un instrument

parmi ceux qui peuvent perfectionner les réseaux de la société.

Tous les pays doivent comprendre que l'éducation, dans son acception la

plus complète (y compris le savoir-faire informatique et - très importante -

l'acquisition d 'un nouveau sens du civisme dominé par les principes

d'égalité, de justice et de respect mutuel) constitue la réponse suprême de

l'accès universel à l'information, au partage du savoir et au multilinguisme.

53

État de la recherche sur la société de l'information

Les décisions prises par les nations à cet égard montreront si elles veulent se

rattacher au processus de mondialisation o u s'en exclure. L a participation

effective des nations est indispensable pour défendre la diversité culturelle et

le multilinguisme dans le cyberespace. M a i s ce qui est encore plus

nécessaire, c'est la volonté politique d'adopter les mesures que nous avons

proposées ici.

E n parcourant la documentation, on trouve peu d'analyses significatives

sur les incidences des nouvelles technologies de l'information sur la culture,

n o t a m m e n t sur la sauvegarde de la diversité culturelle à l'ère des réseaux

mond iaux . Il existe une abondante documentation sur l'extinction des

langues dans les pays occidentaux, n o t a m m e n t en Europe, mais peu d'études

sur leur extinction dans les pays en développement, particulièrement en

Afrique. C e sont là des domaines qui méritent l'attention de la c o m m u n a u t é

internationale des chercheurs.

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État de la recherche sur la société de l'information

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56

Chapitre 3

Liberté de la presse et liberté d'expression dans la société de l'information - études et projets

Fédéra t ion internationale d e s journalistes Centre international de la presse

Bruxelles, Belgique

Introduction

C e rapport présente un bref examen et un commentaire concernant

les questions de liberté d'expression et de liberté de la presse dans la société

de l'information, à partir d 'un choix d'exemples pris dans des travaux de

recherche et des publications. Il aborde certaines questions essentielles

touchant à l'impact de la société de l'information sur la liberté d'expression

et plus particulièrement sur ce que signifie la liberté d'expression dans le

cadre de la liberté de la presse. L e rapport analyse et évalue les travaux de

recherche sélectionnés et se termine sur des recommandations sur la

poursuite des recherches à effectuer dans ce domaine. Le choix des études et

des projets de recherche répondait à trois critères principaux : (a) la

pertinence : par rapport aux thèmes essentiels de la liberté d'expression et

de la liberté de la presse ; (b) le caractère contemporain : celles-ci ne sont

pas antérieures à 1999 et (c) l'intérêt général : l'étude intéresse spécialement

les droits des citoyens et/ou le travail des journalistes.

L e rapport passe en revue 20 exemples de recherches et de projets

concernant plus de 50 pays de toutes les parties du m o n d e . Dans chacun des

cas les auteurs ont étudié le projet en examinant les travaux imprimés et

publiés ainsi que le matériel présenté sous forme électronique. Les

informations ont été complétées par des entretiens et des commentaires

autour de la première rédaction du rapport, lorsqu'il a été présenté en juillet

20021 à un forum spécial d'experts réuni par F U N E S C O et l'Association

internationale de recherche sur les médias et la communication,

1. Forum U N E S C O - I A M C R sur la communication, la recherche sur les technologies de l'information et la société de l'information de Barcelone, en Espagne, en juillet 2002.

57

État de la recherche sur la société de l'information

Aperçu général des problèmes

L a société de l'information a parcouru u n long chemin depuis

l 'époque d u triomphalisme technologique d u milieu de la décennie 1990 . L e

reflux de l 'économie, l'effondrement de nombreuses entreprises phares d u

c o m m e r c e électronique et les incertitudes politiques qui ont suivi les

événements d u 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont transformé le paysage

des communications, soulevé des questions nouvelles et renforcé les

inquiétudes existantes. D e s questions fondamentales concernant les droits

des citoyens dans le m o n d e virtuel - accès aux services, fiabilité et qualité

des contenus, règles appliquées à la production et à la diffusion de

l'information - sont toujours présentes au c œ u r d u débat sur l'avenir de la

société de l'information. Les questions de liberté d'expression ne peuvent

être dissociées de celles des droits civiques2.

L a liberté d'expression permet, d u moins en théorie, d'exprimer n'importe

quelle opinion, sans restrictions. M a i s cette liberté, sous quelque forme

qu'elle s'exerce, dans les arts oratoires, visuels ou d u spectacle, dans la vie

scolaire et la vie publique, la littérature, la musique o u le journalisme est,

dans la pratique, encadrée par les règlements des législations nationales et, à

u n moindre degré, internationales. L a liberté d'expression n'est pas une

abstraction, elle concerne les actes pratiques de la communicat ion publique,

dont les médias de communication de masse sont une production de

première importance. C e qui distingue la liberté de la presse de la liberté

d'expression en général, c'est qu'elle est définie, dans une large mesure , par

des critères éthiques, m o r a u x et économiques qui ont été fixés par les

professionnels de l'industrie des médias. C'est, à proprement parler, la

liberté de publier et de recueillir, de préparer et de diffuser des informations

sans autres restrictions que celles qu' imposent le respect volontaire de

normes d'éthique décidées par le consentement des professionnels. L a

liberté de la presse se concrétise dans la société par la libre circulation de

l'information par le canal des m o y e n s traditionnels de diffusion -

publication de textes (journaux, périodiques et magazines), services

audiovisuels (radio et télévision) - et réseaux électroniques (agences de

2. Cette liberté est définie par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l ' h o m m e : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque m o y e n que ce soit. »

58

État de la recherche sur la société de l'information

presse). C e processus et, avec lui, le travail des journalistes se trouvent, sans

l'ombre d'un doute, confronté à la société de l'information.

L e journalisme a pour fonction de découvrir et de publier des

informations qui soient exactes et fiables. Dans l'idéal, le journalisme aide

les individus à mieux se comprendre et à mieux comprendre le m o n d e qui

les entoure, et remplace avantageusement dans l'esprit du public la rumeur

et la spéculation. Normalement, le journalisme trouve sa place dans le cadre

d'un style narratif qui lui est propre : le « récit journalistique ». L a

publication de « récits » par les reporters des journaux est un m o y e n

d'adapter les informations pour les ajuster aux normes politiques, sociales et

morales de la société. C e processus, c o m m u n à toutes les formes de

journalisme, assure les fondements de la liberté de la presse dans la société.

L a société de l'information a élargi le champ du reportage et le lectorat du

journalisme. L e reportage est devenu autre chose que la simple collecte de

nouvelles et leur analyse. Il a offert à la liberté de la presse une latitude qui

déborde largement les conventions qui définissaient jusqu'alors le travail

journalistique, par l'intrusion de nouvelles sources et de dialogues, d'idées

et d'opinions qui, tout récemment encore, se trouvaient au-delà de l'horizon

des médias traditionnels.

D u fait que les lecteurs et les téléspectateurs sont plus facilement

accessibles aux producteurs d'information, le pouvoir semble se déplacer

des structures des médias traditionnels vers ces premiers. C e glissement

pourrait avoir d'immenses répercussions. Les consommateurs de médias

sont plus que jamais parties prenantes dans le processus de la liberté de la

presse. L e journalisme se met à l'heure des « nouvelles du W e b » et ainsi

vont les médias. Désormais, les médias d'information utilisent régulièrement

les sites W e b et les services d'abonnement pour profiter des nouveaux

marchés. Les consommateurs de médias, à leur tour, participent partout plus

directement au fonctionnement du journalisme. Les forums de débat et de

discussion en ligne se multiplient sur des sujets très pointus, ou bien de

grands sujets d'intérêt général. Les messages électroniques venus d'horizons

très éloignés des salles de presse viennent alimenter en temps réel le courant

principal du reportage. D e nouveaux publics, toutes générations confondues,

s'intéressant à une multitude de sujets et appartenant à une communauté

sans frontières connues, apparaissent de plus en plus dans le paysage des

médias.

59

État de la recherche sur la société de l'information

O n ne saurait dire si ces mouvements annoncent un véritable changement

de pouvoir. Il existe bien peu de travaux de recherche ou d'analyse émanant

de l'industrie des médias pour prédire si cette évolution aboutira à un

profond remaniement des structures des médias en faveur des

consommateurs. C e que l'on peut dire, en fonction de l'évidence et

d'expériences personnelles certaines, c'est que cette « expansion » du

journalisme n'est utile que si elle s'accompagne d 'un travail très sophistiqué

d'élaboration et de contrôle du flux et du reflux des informations provenant

des diverses sources. Il est bon, également, d'être très au fait des aspects

éthiques, des goûts du public et des techniques de présentation des

nouvelles. Lorsque ces conditions sont réunies, le journalisme peut donner

sens à la « surcharge d'informations » qui inonde la société de l'information.

A u m o m e n t où semble s'élargir le champ de la « liberté de la presse »

traditionnelle, la société de l'information c o m m e n c e à révéler - notamment

par l'utilisation de l'Internet et du courrier électronique - la faiblesse des

législations nationales concernant le développement de la liberté

d'expression par-delà les frontières. La majeure partie des travaux de

recherche sur l'impact de la société de l'information sont consacrés à ce

problème.

L a mondialisation est un facteur décisif du développement de la liberté

d'expression. Les nouvelles technologies repoussent de façon spectaculaire

les limites de l'information pour les particuliers et pour les communautés.

L a possibilité pour tout un chacun de consulter des informations en quelque

point que ce soit du m o n d e a pour conséquence qu'il est très difficile de

maintenir une société en vase clos et d'exercer un contrôle gouvernemental

efficace sur les médias. Difficile, mais non pas impossible, c o m m e

l'indiquent les conclusions de certains travaux de recherche examinés ici.

Ces conclusions prouvent que de nouvelles formes de censure peuvent

contrarier les bienfaits de la société de l'information, que ce soit sous des

prétextes de sécurité, de goûts, de décence ou de « correction politique ». L a

liberté d'expression est menacée lorsque des impératifs politiques ou

économiques prennent le pas sur des impératifs culturels et démocratiques

de liberté individuelle, ou de liberté de parole. Il n 'en reste pas moins que

l'Internet contrarie inévitablement les gouvernements qui désirent contrôler

l'information. L a censure s'exerce toujours - par des pressions sur les

fournisseurs de services, par exemple ou, c o m m e cela a été le cas en

septembre 2002 lorsque le gouvernement chinois a déclaré illégaux tous les

60

État de la recherche sur la société de l'information

grands moteurs de recherche parce qu'ils permettaient aux utilisateurs

d'obtenir, à partir de l'étranger, des informations sur leurs gouvernants.

Mais l'époque de l'oppression politique ouverte est sinon révolue, du moins

en voie de disparition.

Il reste cependant de grandes menaces. L a plus grave pour la prochaine

génération pourrait venir de forces plus subtiles et plus complexes,

notamment dans le domaine économique. Et lorsque les intérêts

économiques et politiques convergent, les résultats sont préjudiciables pour

la liberté de la presse c o m m e pour la liberté d'expression. E n 2001, par

exemple, deux des plus grandes sociétés du m o n d e en matière de médias,

AOL Time Warner et News Corporation, ont négocié un accord avec le

gouvernement chinois pour qu'il accueille sur ses réseaux de télévision

terrestre des émissions de leurs sociétés, à la seule condition qu'ils en

éliminent les programmes d'information et de débats sur l'actualité.

Il n'est donc pas surprenant que de nombreux travaux de recherche et

d'observation, surtout chez les groupements de défense de la liberté de la

presse, portent sur le problème de la censure - intervention directe destinée à

réprimer ou à interdire l'utilisation de technologies satellitaires, ou à

contrôler les contenus de l'information. D e nombreux champions des libertés

civiques considèrent la censure c o m m e la plus grave des menaces qui pèsent

sur la liberté de la presse et la liberté d'expression dans la société de

l'information. Surveiller l'évolution dans ce domaine est le premier souci des

professionnels des médias et des militants de la liberté de la presse qui se

sont affiliés au Réseau d'échanges internationaux pour la liberté d'expression

(IFEX)3. Plusieurs rapports détaillés, aux plans régional et international

étudient l'impact de la censure officielle, s'exerçant notamment par la

réglementation et la mainmise sur les ressources technologiques de l'Internet,

qui concourent toutes à menacer l'accès des citoyens à l'informatique, tout

en créant une ingérence directe dans le travail des journalistes.

Dans un autre ordre d'idées, la protection des particuliers dans la société

de l'information exige que l'on respecte la vie privée et le droit des citoyens

à garder l'anonymat. Mais cela est-il vraiment possible ? La société de

3. Cf. H u m a n Rights Watch (1999-2001); Reporters sans frontières et Transfert (2000) ; Association for Progressive Communications (1999-2001).

61

État de la recherche sur la société de l'information

l'information n'est pas u n domaine privé. S a réussite repose m ê m e sur

l'aptitude à faire circuler l'information de la manière la plus large possible.

C'est une force et une faiblesse. P e u de gens ont confiance dans l 'anonymat

des communications électroniques par l'Internet. L e prix à payer pour

améliorer le confort, la rapidité et la g a m m e des services proposés par la

société de l'information fait perdre une part de l 'anonymat. Plusieurs projets

de recherche se penchent sur les m o y e n s d'améliorer la protection de la vie

privée ; d'autres révèlent que, au n o m de la sécurité, l'observation et la

surveillance de la circulation des communications sur l'Internet sont plus

intenses que jamais.

L a volonté d'obtenir des informations personnelles est aussi vive dans le

secteur public que dans le secteur privé. Qu'elles y soient poussées pour

faire appliquer la loi ou pour d'autres motifs de sécurité publique, les

autorités ont intérêt à recueillir des renseignements sur les citoyens. L a

liberté d'expression à des fins malveillantes, n o t a m m e n t par-dessus les

frontières nationales, inquiète le législateur et les défenseurs des droits

constitutionnels nationaux. Quoiqu'il en soit, la protection des individus

exige que l'accès officiel aux informations de caractère prive soit strictement

contrôlé et soumis à des lois publiques, sous contrôle et transparentes.

C o m m e n t cela fonctionne-t-il, c'est là u n chapitre mystérieux dans

l'évolution de la société de l'information.

Sont recherchées, n o t a m m e n t des règles pour traiter le problème des

contenus nuisibles, qu'ils véhiculent des images violentes, de la

pornographie en ligne, de la propagande raciste o u des politiques

extrémistes. À ce sujet, les études font état de deux points de vue : l'un

privilégie l'aspect positif de la réglementation et des valeurs culturelles4,

l'autre va nettement dans le sens de la libre parole et de la défense d u degré

minimal de restriction5. D u fait que la réglementation de la communicat ion

est u n élément bien établi et légitime de la politique sociale et culturelle, les

questions soulevées par la société de l'information se résument le plus

souvent à des questions de méthode et de responsabilité plutôt que de

principes.

4. Voir Elizabeth Staksrud (1999): How to censor the Internet. 5. Voir David Hudson (1998): Cybersmut: how restricting online indecency may restrict first amendment

freedoms.

62

État de la recherche sur la société de l'information

D e nombreux gouvernements sont à la recherche de nouveaux dispositifs

techniques, tels que les systèmes de filtrage6 pour maintenir des normes

réglementaires quant à la qualité de l'information dans le nouveau m o n d e du

numérique. L a liberté de choix et la liberté d'expression demandent des

systèmes de contrôle qui soient souples et n'aillent pas jusqu'à l'ingérence.

Des différences d'attitudes à ce sujet se font jour cependant dans les travaux

de recherche. Les nations exigent des garde-fous contre l'utilisation des

technologies de l'information et de la communication, qui vont à rencontre

des droits et des libertés fondamentales de leurs citoyens. Les événements

du 11 septembre 2001 ont provoqué un brusque changement de politique et

l'adoption de mesures qui restreignent, au n o m de la sécurité, la capacité de

communiquer librement. Cela a de graves répercussions sur l'utilisation des

technologies de l'information, des libertés civiques et de la liberté de la

presse7.

L a situation mondiale concernant les disparités économiques qui

subsistent toujours entre les zones géographiques et entre les différents

secteurs de la population est très préoccupante car elle est la cause première

de graves problèmes d'accès à la technologie, aussi bien qu 'à l'information

et qu'elle fait craindre un surcroît d'exclusion sociale8. L'évolution

technologique peut aggraver les disparités géographiques et sociales, et

désavantager plus encore des groupes de personnes qui sont déjà dans une

situation relativement plus fragile que les autres catégories de la société.

D ' u n autre côté, il est certain que leur m o d e de vie peut être amélioré si les

personnes peuvent accéder plus facilement à de nouveaux services

d'information et de communication.

L a place occupée par les réseaux alternatifs d'échange d'information et

les forums de discussion dans la « communication transfrontalière »9 et les

réglementations dont ils font l'objet au plan international sont également à

prendre en compte lorsque l'on étudie la libre circulation de l'information et

les technologies de l'information. La future société de l'information sera

6. Voir David Kerr (2000) The Safer Internei Action Plan: Self Labelling and Filtering.

7. Voir Fédération internationale des journalistes: Journalism And the War on Terrorism:Final Report.

8. Voir l'Article 19 (1999). The right to communicate: The Internet in Africa ; Toshimaru Ogura (2001), Internet and Communication Rights in Asia; Sara Bentivegna (1998), Talking Politics on the Net; ct R o m a n Herzog et coll. (2002) Internet and Politics in Latin America.

9. Voir Christian Sandvig (2000).

63

État de la recherche sur la société de l'information

aussi extrêmement sensible au degré de pluralisme10 et à la variété des

opinions, des idées et des modèles d'information qui seront disponibles. L e

marché a-t-il vraiment les moyens d'offrir aux consommateurs des chances

pluralistes, et quelles sont les perspectives des médias de service public ?

O n peut douter de l'aptitude des forces du marché à produire, à lui tout seul,

les services et les structures qui permettraient à la société de l'information

d'offrir un assortiment de moyens d'information qui reflète véritablement la

riche diversité de la société mondiale.

Conclusions et recommandations

Les projets et les travaux de recherche analysés dans ce rapport

mettent en lumière les défis auxquels la société de l'information est

confrontée. Les nouvelles technologies de l'information et à la

communication ont, en principe, la capacité de donner une nouvelle

signification à la qualité de la liberté d'expression qui prévaut dans le

m o n d e entier. Dans la décennie de 1990 la société de l'information a

provoqué l'euphorie. Mais des questions cruciales sur l'avenir des

communications - réglementation, gouvernance, droits d'accès et libertés

civiques - restent sans réponses et demandent une nouvelle réflexion.

Essentiel est le débat sur des accords internationaux viables qui feraient part

égale entre l'exigence de liberté d'expression et de liberté de la presse d'une

part, et la protection des impératifs culturels nationaux d'autre part.

Tout le m o n d e est d'avis que la société de l'information -

particulièrement avec l'Internet - donne des possibilités remarquables de

promouvoir la libre expression, la diversité des opinions et la liberté de la

presse. Mais les travaux de recherche n'indiquent pas si ces possibilités sont

en voie de se concrétiser. L a plupart des travaux effectués jusqu'ici

s'intéressent aux applications commerciales des nouvelles technologies de

l'information et de la communication. Il manque une étude approfondie des

effets du changement sur la vie sociale, démocratique et culturelle,

notamment sous le rapport de leur aptitude à créer des conditions

démocratiques pour la communication, à obtenir un accès équitable et

effectif, à conforter les principes de pluralité et de diversité. Il manque aussi

10. Voir Conseil de l'Europe (2001).

64

État de la recherche sur la société de l'information

une étude des implications de la société de l'information quant aux notions

traditionnelle de liberté de la presse. Parmi les problèmes et les questions

qui réclament davantage d'attention, d'un point de vue mondial aussi bien

que régional, on peut citer :

Démocratie et pluralisme

1. Quel est l'impact des nouveaux médias sur la vie politique ? Ces médias

sont-ils, par essence, plus démocratiques que les médias traditionnels ?

Donnent-ils à entendre des voix critiques et indépendantes ? L a

facilitation des conditions d'accès à un moyen de communication

implique-t-elle nécessairement une baisse de sa qualité ?

2. Quelles menaces la concentration des médias fait-elle peser sur le

pluralisme ? L a vie démocratique locale et régionale tire-t-elle avantage

de l'introduction des exigences editoriales, commerciales et politiques

des grandes compagnies mondiales telles que News Corporation,

Independent Newspapers, Time Warner ou Bertelsman, par exemple ?

Liberté de la presse

1. Quel est l'impact de la société de l'information sur les médias

traditionnels ? Quels changements le journalisme connaît-il actuellement

et quels en sont les effets sur les lecteurs, spectateurs et consommateurs

d'information ?

2. Quelles sont les conséquences de l'abus de liberté dans la presse, par

exemple lorsqu'un journal ou une société de radiotélévision outrepasse -

en matière de culture, de religion, de politique - les limites du bon goût,

de la décence ou du comportement en public ?

3. Quels dispositifs soutiennent actuellement la liberté de la presse ?

C o m m e n t fonctionnent-ils et comment les adapter aux nouveaux

médias ?

4. Quels dommages la liberté de la presse subit-elle lorsqu'un

gouvernement entreprend de contrôler et de restreindre les

communications ?

5. C o m m e n t la liberté de la presse contribue-t-elle à instaurer l'égalité dans

les questions touchant au statut hommes- femmes , aux questions raciales

65

État de la recherche sur la société de l'information

et du handicap, et quelle est son efficacité dans la lutte contre la

discrimination ? C o m m e n t les nouveaux médias modifient-ils la donne ,

dans ces domaines ? (Les nouveaux médias sont-ils, par exemple, à

l'égard des inégalités sociales, plus neutres ou moins neutres que les

médias traditionnels ?)

6. Q u e faut-il modifier au m o m e n t de la formation des journalistes pour les

préparer aux nouveaux médias ? Pouvons-nous définir une méthode de

formation « fondée sur des normes » ? Devons-nous faire porter tous nos

efforts sur les nouvelles recrues ou bien la formation au journalisme doit-

elle être permanente, d ' o ù la question inévitable : qui paie la formation

des journalistes ?

Questions de réglementation

1. Quelle réglementation est devenue nécessaire, le cas échéant, concernant

le contenu des services d'information et c o m m e n t doit-elle être mise en

œuvre ? Les règles actuelles sont-elles suffisantes ? Quels accords

internationaux seraient appropriés ? L a formule de l'accréditation, la

procédure de plainte volontaire ( c o m m e les conseils internationaux de

presse) sont-elles viables ? Devrait-on combiner les deux formules ?

Quelles dispositions financières seraient nécessaires ?

2 . Conviendrait-il de réglementer la création des « messages » ? Par

exemple devrait-il être plus difficile de lancer sur le W e b u n site politique

q u ' u n site littéraire ou personnel ?

3 . Contenu : C o m m e n t allons-nous régler les cas de diffamation, de viol de

la vie privée, de droits d'auteur, de responsabilité, de représentation de la

violence, de commentaire politique, et de discours haineux ? Devrons-

nous compter sur les décisions prises après coup, sur l'auto-régulation

par les professionnels, o u adopter des mesures « de prévention », ce qui

supposerait de former et d'accréditer des agents de médias ?

4 . Médias de service public : Quel est l'avenir des médias de service public

dans le cadre de la société de l'information ? Quels sont les chances de

financer des médias de service public et, après tout, le fait que l'Internet

ne soit pas sous tutelle politique a-t-il u n effet positif o u négatif sur le

discours politique ?

66

État de la recherche sur la société de l'information

Gouvernance mondiale

1. D e quel genre de législation et de supervision internationales la société

de l'information a-t-elle besoin ?

2. Qui devrait être chargé de surveiller et de mettre en application les

questions de réglementation et de politique, au sein du système des

Nations Unies ? U n nouvel organisme international est-il nécessaire ?

Bibliographie

Association for Progressive Communications. 1999-2001. Internet Censorship Case Studies. San Francisco: A P C .

Article 19. The Right to Communicate: The Internet in Africa. London: Article 19, 1999.

Bentivegna, S. 1998. Talking Politics on the Net. Harvard: Harvard University, John F. Kennedy School of Government.

Conseil de l'Europe 2001. Rapport sur le pluralisme des médias dans numérique.

Herzog, R . ; Hoffman, B . ; Schulz, M . 2002. Internet and Politics in Latin America. Frankfurt: Vervuert Verlag.

Hudson, D . 1998. "Cybersmut: H o w Restricting Online Indecency M a y Restrict First Amendment Freedoms". Freedom Forum.

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Ogura, T. 2001. « General Situation of Internet and Communication Rights in Asia, » JCANET, www.jca.apc.org.

67

État de la recherche sur la société de l'information

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Sandvig, C . 2002. Ethnographies of the Internet: Grounding Regulation in Lived Experience. Oxford: Oxford University.

Staksrud, E . 1999. How to Censor the Internet. Oslo, Oslo University, Department of Media and Communications.

68

Chapitre 4

Les technologies de l'information et de la communication et les personnes handicapées

Anuradha Mohit Commission nationale des droits de l ' h o m m e

N e w Delhi, Inde

Introduction

C e rapport présente l'analyse d'une sélection de travaux de recherche

et de publications portant sur le domaine des technologies de l'information

et de la communication (TIC) et de leur utilisation par les personnes

handicapées. C e qui nous a intéressée dans les études et les publications

retenues c'est de rechercher les tendances actuelles et les aspects prioritaires

des recherches futures. Les tendances, c o m m e les lacunes, que nous avons

relevées nous ont inspiré des recommandations qui pourraient s'avérer utiles

dans la construction d'une société de l'information accessible, abordable et

acceptable pour tous, y compris pour les personnes handicapées.

L'Organisation mondiale de la Santé estime qu'environ 10 % de la

population mondiale est affectée d 'un handicap ou d'une autre, ce qui

signifie quelque 600 millions de personnes. Plus des deux tiers vivent dans

les pays en développement, et l'on estime que seuls 1 ou 2 % d'entre elles

ont accès à l'éducation, à une formation et à un emploi ( U N E S C A P , 1996).

L a corrélation entre handicap et pauvreté, - et l'exclusion sociale qui leur

est associée - est directe et évidente, partout dans le monde . O n a eu

tendance jusqu'ici à accorder au handicap une attention charitable, c o m m e

s'il s'agissait d'une pathologie individuelle - c o m m e un état résultant de

l'altération psychologique, biologique ou cognitive d'une personne. Alors

que tous les accès aux infrastructures de la vie quotidienne - dans le monde

de l'éducation, de l'information et de la communication - sont conçus en

fonction de la norme prédominante, celle des individus valides, les efforts en

direction des personnes handicapées ne tendraient qu'à les aider, sans rien

changer à des structures qui ne sont pas adaptées pour des individus ayant

des capacités différentes (Quinn et Degener, 2002).

69

État de la recherche sur la société de l'information

E n deux décennies la perception du problème a bien évolué, passant du

registre de la charité à celui des droits de l ' h o m m e . L a perception du

handicap en termes de droits de l ' h o m m e invite à voir les personnes c o m m e

des sujets et non des objets. Cela signifie que l'on porte attention non plus

aux problèmes de l'individu mais à la conception et au fonctionnement

m ê m e s des diverses installations. Tous les projets de recherche effectués

entre 1998 et 2001 sont axés sur la redéfinition des critères et des normes

des systèmes d'information et de communication, de manière à ne pas

marginaliser encore plus les personnes handicapées.

La méthodologie

C e rapport sur l'utilisation des TIC par les handicapés analyse des

travaux de recherche effectués entre 1998 et 2001. Diverses sources ont été

utilisées pour recueillir les résultats des études achevées et des études en

cours. Dans la limite du temps et des ressources impartis, il a été possible

d'explorer certains sites W e b , car bon nombre d'études déjà inventoriées par

les organismes s'intéressant au handicap, telles que les O N G , l ' O N U , ses

organes régionaux et les instituts de recherche, sont accessibles sur

l'Internet. Les rapports sur les technologies de l'information provenant des

O N G internationales se consacrant aux handicapés, et des agences des

Nations Unies ont été analysés afin de mettre en lumière les thèmes de

recherche actuels. Des bibliothèques de l'Inde et d'autres pays ont été mises

à contribution. Ceci dit, la consultation de la documentation s'est avérée

frustrante car très peu d'études et de rapports ont été consacrés aux TIC

dans l'optique des personnes handicapées.

Vue d'ensemble

L a recherche et l'analyse des documents sur le W e b ont révélé le peu

d'intérêt et la faible importance que les organismes de recherche attachent

aux modalités d'utilisation des TIC par les handicapés. Peu d'efforts ont été

faits pour encourager la recherche scientifique dans ce domaine. Les

principales sources sont les O N G du handicap et les universités. Les études

sont en général commanditées par des groupes de pression, et les cas de

commandes émanant d'organismes privés ne sont pas rares. Les

gouvernements européens et certains gouvernements d'Asie et d'Amérique

70

État de la recherche sur la société de l'information

du Sud ont, eux aussi, diligente des recherches, afin surtout, de décider des

thèmes qui seraient prioritaires pour des projets de R & D et de politique

générale. À ce jour, la principale préoccupation des chercheurs portait sur

les technologies d'accès aux systèmes d'information pour les handicapés.

Cinq ou six universités de pays développés ont mis en place des unités

consacrées à l'étude du handicap. D e tout temps, les facultés de pédagogie,

d'études médicales et d'humanités ont proposé des cours concernant le

handicap. C'est pourquoi la recherche s'est concentrée sur des

spécialisations de ces disciplines ou sur leur interdisciplinarité. D ' u n autre

côté, dans les écoles d'ingénieurs et d'architectes, la tendance prédominante

vise à entreprendre des projets de R & D pour concevoir des produits

nouveaux, ou à adapter des produits, des services et l'environnement des

TIC existants, afin qu'ils soient accessibles aux handicapés. Si bien que les

recherches entreprises jusqu'ici n'apportent pas de réponse quant au

comportement de cette catégorie d'utilisateurs et à l'impact des T IC dans

leur vie. Long est encore le chemin pour éclairer le concept du handicap et

fragmentaire est encore la connaissance que l'on en a.

Ordinateurs

Dans le débat sur les droits des personnes handicapées, toute

l'attention s'est concentrée, à l'échelle mondiale, autour de l'accessibilité.

« L'accessibilité » peut se définir c o m m e « le degré de facilité des objets et

des services d'accès ou d'utilisation (aux plans physique, visuel, acoustique

ou cognitif) par tout le m o n d e , y compris les personnes souffrant d'une

incapacité, ce degré de facilité étant obtenu par l'invention ou l'adaptation

d'un système existant ». Les instruments actuels de traitement de la

communication et de l'information présupposent chez l'utilisateur la

capacité de voir, d'entendre et de se servir de ses mains. D e telle sorte que

des personnes souffrant d'incapacité physique, sensorielle ou cognitive, ne

pourraient utiliser ou approcher les ordinateurs dont la configuration est

rigide. E n matière de TIC les premiers efforts de la recherche ont consisté à

offrir une alternative au m o d e de présentation du texte et à la manipulation

du clavier. C'est ainsi qu'ont été mis au point des périphériques vocaux, des

logiciels de lecture d'écran, des systèmes de reconnaissance de la voix, des

agrandisseurs d'écran et des navigateurs vocaux. Mais ces systèmes sont en

général coûteux et ne sont compatibles qu'avec les langues anglaise,

71

État de la recherche sur la société de l'information

espagnole, japonaise et quelques autres langues d 'Europe occidentale. Les

personnes handicapées parlant ces langues peuvent faire des opérations

bancaires, des achats en ligne, de la correspondance électronique, etc. D a n s

les bureaux, grâce au traitement de texte électronique, les employés m a l

voyants ont, dans certains cas, accès à l'informatique au m ê m e titre que

leurs autres collègues.

Ces progrès ont ouvert aux handicapés des pays développés de nouvelles

chances inestimables d 'emploi, d'éducation et d'intégration. M ê m e en

l'absence d ' u n e infrastructure coordonnée et planifiée, une faible minorité

des personnes handicapées des pays en développement peuvent, elles aussi,

utiliser les ordinateurs et l'Internet. Elles appartiennent en général à la

classe urbaine, éduquée, et c'est surtout sur le lieu de travail qu'elles

utilisent les ordinateurs (Deependra, 2000) . M a i s l'amélioration générale de

l'accès aux ordinateurs pour les personnes handicapées des pays en

développement a été décevante, pour plusieurs raisons : les périphériques

vocaux permettant le fonctionnement des interpréteurs d'écrans n'existent

pas dans les langues locales de la plupart des pays en développement. L e

lexique électronique de diverses langues des signes, nécessaire pour traduire

le contenu acoustique o u textuel en langue des signes, lisible sur les médias

électroniques, ainsi que l'algorithme de reconnaissance de la voix, qui

servirait à traduire l'écriture en signaux sonores, n 'ont pas encore été mis au

point ( U N E S C A P , 2002) . C e s technologies seraient une condition préalable

à l'adaptation des matériels et logiciels informatiques.

L'accès aux technologies de l'informatique et les avantages q u ' e n

retireraient les personnes handicapées dépendent, dans une large mesure, de

l'environnement politique et économique . Les études m e n é e s sur les T I C et

les personnes handicapées confirment le fait que, dans de n o m b r e u x pays, ce

sont l'adoption et l'application rigoureuse de législations anti-

discriminatoires et de politiques de technologies de l'information visant à

intégrer les handicapés qui ont permis de créer les conditions d'accès à

l'information pour tous. Les Règles des Nations Unies pour l'égalisation des

chances des handicapés (1993) constituent le premier instrument

international qui reconnaisse, dans sa Règle 5 , partie II, le droit des

personnes handicapées à u n accès total aux systèmes d'information.

D e par le monde, de nombreux gouvernements ont promulgué et amendé

leurs lois et leurs politiques pour se conformer aux normes fixées par le

72

État de la recherche sur la société de l'information

Règlement. Le gouvernement suédois déclare, par exemple, dans son énoncé

des principes intitulé « Technologies de l'information pour les personnes

âgées et handicapées, 1998 » entre autres, que le gouvernement et le

Parlement s'engagent, conformément au Règlement des Nations Unies, à

fixer des conditions préalables à la création d'une société où les personnes

handicapées jouissent d'une égalité des chances. D e m ê m e , le gouvernement

des Etats-Unis se réfère, dans le préambule de sa politique de « National

Information Infrastructure », à « un concept élargi et moderne de service

universel, destiné à donner à tous les Américains qui le désirent un accès

facile, à un prix abordable, aux services les plus modernes de

communication et d'information, sans distinction de revenus, de capacités et

de situation géographique ».

Cette législation et ces politiques ne se contentent pas de jeter les bases

d'une infrastructure des technologies de l'information qui soient à la portée

de tous, elles ont également permis de résoudre les problèmes de coût

financier pour les personnes handicapées. Certaines d'entre elles se trouvent

du mauvais côté du fossé numérique entre les « riches » et les « pauvres »

en technologie. E n effet, l'information, la communication, les services et

l'instruction transmis par ordinateurs sont moins souvent à la portée de ceux

qui sont pauvres, vivent en zone rurale, appartiennent à des minorités

ethniques ou raciales et/ou sont handicapés. L e coût des communications

modernes dépasse les moyens de la majorité des personnes handicapées,

mais les gouvernements de la plupart des pays en développement sont peu

enclins à investir des fonds pour modifier l'infrastructure déjà en place au

bénéfice d'une petite fraction de leur population.

Le point 4 des Règles des Nations Unies exhorte tous les États à mettre

en place et à assurer des services d'appui, y compris sous forme

d'équipements spéciaux, aux personnes handicapées afin de les aider à

devenir plus indépendantes dans la vie quotidienne et à faire valoir leurs

droits. L'analyse des données confirme le fait que la majorité des pays

développés et bon nombre de pays en développement ont effectivement

adopté des mesures destinées à fournir aux personnes handicapées une

assistance pour des équipements spéciaux. Mais, pour ce qui est des

ordinateurs et des logiciels, les moyens de les mettre à leur portée ne sont

prévus que dans un petit nombre de pays riches.

73

État de la recherche sur la société de l'information

Éducation et sensibilisation

L'utilisation des technologies de l'information est en train de gagner

du terrain partout dans le m o n d e , tant dans le cadre de l'école classique que

dans l'enseignement à distance. O n estime que les T I C ont le pouvoir

d'améliorer les chances des handicapés, à tous les stades de l'éducation. O n

ne dispose cependant pas encore de résultats de recherches et de données

suffisants pour savoir dans quelle mesure la technologie peut effectivement

faciliter l'apprentissage, ni pour montrer c o m m e n t les personnes qui ont été

marginalisées par des handicaps sociaux, économiques et physiques

réagissent aux T I C .

S'il est relativement aisé d'évaluer les répercussions des T I C au point de

vue de leur accessibilité, il est beaucoup plus ardu d'évaluer leurs effets en

fonction d'autres critères. L e fait que les recherches et autres documents

traitant des possibilités d'accès à l'éducation se concentrent essentiellement

sur les questions technologiques prouve que le problème de l'accessibilité

reste encore la question principale. Schmetzke (2001) par exemple, a étudié

grâce à B o b b y , instrument d'évaluation de l'accessibilité aux sites W e b ,

dans quelle mesure les sites de télé-enseignement étaient accessibles. Il a

également passé en revue les documents traitant des obstacles rencontrés par

les handicapés dans le cadre d u télé-enseignement en ligne. Quelques rares

articles traitaient de cette question et ce, essentiellement d ' u n point de vue

technologique. Harrison (1999) affirmait que les ressources éducatives

proposées sur le W e b se devaient d'être conçues dans un esprit universel,

transcendant toute barrière.

O n s'attend souvent à ce que le recours accru aux T I C dans

l'enseignement et l'apprentissage résolve de n o m b r e u x problèmes, y

compris ceux de leur accessibilité pour les personnes handicapées. O r il

existe encore des obstacles et des problèmes qui devront être pris en compte

dans la mesure où la technologie est partie intégrante et joue u n rôle

essentiel dans les méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Par exemple,

des pages W e b complexes, composées de trames et segments multimédia, ne

seront pas correctement interprétées par les p r o g r a m m e s traduisant les textes

en paroles. D e s graphiques qui n'auront pas été agrémentés de textes

explicatifs ne seront pas interprétés par ces logiciels de reconnaissance de

caractères, ce qui privera les aveugles d ' u n contenu utile. D e s pages

74

État de la recherche sur la société de l'information

W e b c o m portant une longue série de liens hypertextes très serrés peuvent

embarrasser un apprenant atteint d'une incapacité visuelle, cognitive ou

motrice (Cook et Galdhart, 2001).

L a multiplicité des techniques employées semble effacer les limites entre

les divers modes d'enseignement à distance. L e contenu d 'un cours peut

être, par exemple, distribué sous forme de texte imprimé ou de vidéo, la

discussion du cours peut ensuite s'effectuer par courrier électronique, la

session de fin de semaine peut enfin réunir les participants en sessions de

face à face, et les ressources ont pu provenir du W e b (Burgstahler, 2001).

Ces options ont ouvert de nouvelles chances et suscité de nouvelles attentes

de la part des apprenants, c o m m e des enseignants. Avec le système classique

d'enseignement les handicapés peuvent se sentir exclus - certains

enseignants ne connaissant pas les dispositifs spéciaux des TIC d'assistance

à l'apprentissage. M ê m e le fait de choisir le bon instrument de

communication, pour les apprenants affectés de handicaps est une opération

très délicate car il existe sur le marché de nombreuses options en fait de

matériels et de logiciels, présentant parfois des différences notables. L a

diversité des handicaps nécessite une large g a m m e d'options, si bien qu'il

est indispensable de se faire aider par un spécialiste pour choisir les

dispositifs adéquats.

L e taux généralement faible d'alphabétisation des personnes handicapées

- qui parfois ne dépasse pas 2 % dans les pays en développement - est l'un

des facteurs qui les classe du mauvais côté du fossé numérique (Quinn et

Degener, 2002). L e système d'éducation et ses modalités doivent être revus

de près et modifiés, car l'enseignement en direction des personnes

handicapées de manière générale, et en particulier l'enseignement assisté par

ordinateur, est dispensé dans des institutions spécialisées, à l'écart de

l'infrastructure classique de l'éducation, notamment dans les pays en

développement.

L e projet O N - N E T intéressant 14 pays de l'Asie du Sud-Est fournit une

bonne étude de cas, qui présente toute la g a m m e des lacunes et des mesures

qui doivent être mises en œuvre pour assurer aux handicapés un accès

égalitaire aux TIC. L'analyse des activités de ce projet illustre l'éventail des

besoins essentiels non satisfaits pour que ces handicapés soient intégrés dans

la société de l'information. Ces activités sont : (a) la formation de

75

État de la recherche sur la société de l'information

formateurs pour les applications spécifiques ; (b) l'élaboration d'une version

de Jaws en langue thaï; (c) la création d 'un logiciel de conversion des

langues locales en Braille; (d) l'établissement de relations avec des écoles

d'informatique afin d'assurer une intégration en douceur des élèves

handicapés; (e) la formation technologique; (f) le relèvement du niveau des

centres d'apprentissage assisté par ordinateur dans les écoles secondaires;

(g) l'élaboration de supports de formation et leur traduction dans de

nombreuses langues.

Les médias

Dans le cadre de la recherche sur les médias classiques, si de

nombreux scientifiques ont acquis une perception plus aiguë des problèmes

de discrimination entre h o m m e s et femmes et autres problèmes concernant

le développement, le handicap reste un sujet très négligé. Pour les

principales institutions qui étudient les médias, le handicap n'est pas un

sujet de grand intérêt. Les travaux examinés dans la présente étude sont

principalement effectués par des organisations nationales, régionales et

internationales de handicapés, afin de définir leurs attitudes à l'égard des

médias, d'analyser les facteurs qui provoquent leur exclusion et d'élaborer

des modèles de médias qui leur soient accessibles.

Les études menées en Asie, en Europe et en Amérique donnent à penser

que personnes handicapées et non handicapées ont des goûts et des

préférences semblables en ce qui concerne leurs programmes de télévision.

L'importance de la télévision dans la vie des personnes handicapées est très

justifiée : ils regardent la télévision au moins 2 à 3 heures par jour (Sujata,

2001). E n Europe et aux Etats-Unis, le handicap a inspiré des recherches

pluridisciplinaires rigoureuses dans le domaine des médias. Ces travaux

partent le plus souvent de l'analyse des besoins des utilisateurs, de celle des

lois existantes sur le contenu et la diffusion, et de l'offre médiatique

existante pour proposer des solutions structurelles qui répondent aux normes

d'accès. L a Fédération néerlandaise des aveugles et des malvoyants s'est

alliée à la Société publique de télévision et à la Fédération hollandaise des

bibliothèques pour aveugles, pour réaliser en quatre ans, de 1998 à 2001, un

projet de recherches de grande ampleur. Les investigations portaient sur les

obstacles au suivi des programmes de télévision, leurs causes et leurs effets.

Elles ont conclu que 30 % des émissions de la télévision hollandaise

76

État de la recherche sur la société de l'information

passaient dans des langues étrangères sous-titrées, si bien que les personnes

aveugles, malvoyantes et âgées ayant une vision réduite n'étaient pas en

mesure de suivre le contenu de l'émission en raison de la rigidité des

nonnes de présentation. L'étude proposait une solution technologique qui

faisait appel à des logiciels de synthèse de la parole et à leur diffusion. L e

déploiement de cette nouvelle formule était facilité par la mise au point d ' u n

décodeur qui restituait le signal sonore sans gêner la diffusion de l'émission.

Les trois chaînes de la télévision publique des Pays-Bas accompagnent

maintenant toutes leurs émissions en langues étrangères de sous-titres

sonores. L'évaluation finale du p r o g r a m m e indique qu'ainsi les personnes

âgées, les aveugles et les malvoyants suivent mieux les émissions en

langues étrangères.

L a télévision joue u n rôle important n o n seulement sur le plan social,

mais aussi parce qu'elle tient compagnie , surtout pour les handicapés qui

sont confinés chez eux. M a i s regarder la télévision reste, pour une grande

partie des handicapés, une occupation frustrante en raison d u non-respect

des principales normes relatives aux terminaux de réception (Wall, 2002) .

Alors que la technologie des médias connaît une évolution accélérée,

chaque passage d ' u n e génération de systèmes à la suivante s ' accompagne de

nouvelles possibilités mais aussi de nouvelles difficultés. L'évolution

technologique doit aller de pair avec u n changement de la législation

associée. O r la rapidité de l'évolution peut laisser subsister des insuffisances

dans le corpus législatif, à défaut de jurisprudence. L e R o y a u m e - U n i offre

u n cas d'étude intéressant car, en 1996 le gouvernement a adopté une

nouvelle loi sur la télévision qui coïncidait avec le passage de la technologie

analogique au numérique. L a loi exige q u ' a u moins 10 % des émissions

comportent u n commentaire o u u n e description orale de leurs principaux

éléments visuels. M a i s elle ne comporte aucune clause concernant les

no rmes de transmission ni de réception d u commentaire oral. D e sorte que,

lorsque la télévision numérique terrestre a débuté en n o v e m b r e 1999 au

R o y a u m e - U n i , o n n'avait pas prévu les m o y e n s de transmettre le

commentaire car les zones supérieures des écrans de télévision numérique

terrestre n'avaient pas été configurées de façon à permettre de télécharger u n

élément sonore (Wall, 2002) . Si bien que les personnes aveugles et âgées

ont été privées de cette possibilité d'accès qui était pourtant disponible sur

la télévision analogique.

77

Etat de la recherche sur la société de l'information

D u fait que la télévision numérique peut ouvrir tout un m o n d e de services

interactifs, en dehors de la diffusion des émissions, elles servira de plus en

plus à naviguer en ligne sur l'Internet, à faire des achats, des opérations

bancaires et du courrier électronique. E n Europe, les gouvernements

prévoient de transférer sur la télévision numérique une bonne partie de leurs

informations et de leurs services. C'est pourquoi l'incorporation de moyens

d'accessibilité dans la conception de la télévision numérique et de sa

diffusion est importante ; dans le cas contraire, les personnes handicapées

seraient encore plus tenues à l'écart.

Télécommunications

Lorsque Alexander Graham Bell a inventé le téléphone, il cherchait à

donner à la parole une traduction visuelle pour répondre au souci de

pluralité des modes d'information, car sa f e m m e souffrait d'un défaut de

l'audition. Malheureusement, l'invention de Bell ne put aboutir à cette

conversion. A u lieu de cela, le scénario projeté s'est complètement

transformé pour permettre la communication en temps réel à des personnes

capables de parler et d'entendre. Les avantages recherchés, pour les

malentendants ou les sourds, n'ont été obtenus que bien plus tard et, là

aussi, avec des options et une disponibilité restreintes. L e service du télétype

( T T Y ) , inauguré vers le milieu des années 1970, a rendu possible la

communication des sourds avec d'autres utilisateurs de télétypes.

L'invention du télé-relais a marqué une seconde étape qui enrichissait le

choix des moyens de communication, en permettant à des sourds qui

appellent de communiquer, via un centre relais, avec des personnes

entendantes. Évidemment ces moyens technologiques ont aussi leurs

faiblesses et ne permettent pas de communiquer à distance dans le langage

des signes.

L e videophone a d'abord été conçu par des sociétés qui désiraient tenir

des réunions entre des personnes situées dans des lieux éloignés, en utilisant

le Réseau numérique à intégration de services (RNIS). L e videophone

permet à l'utilisateur de voir et de parler en m ê m e temps, quelle que soit la

distance entre les interlocuteurs. L'invention du videophone a apporté aux

malentendants un avantage inestimable, car il leur permet de communiquer

dans le langage des signes de la m ê m e manière que les personnes qui

entendent utilisent le téléphone. E n 1998-2001, l'Association finlandaise des

78

État de la recherche sur la société de l'information

sourds a lancé un projet multimédia pour savoir si les liaisons par

videophone et l'interprétation à distance pouvaient améliorer les services

d'interprétation, en valorisant le temps de travail des interprètes, en rédu

isant leurs frais de services et de missions. E n conclusion, l'étude confirmait

que la vie sociale des sourds gagnait en liberté, du fait que de nombreux

services, tels que la consultation médicale, les conseils aux familles,

l'enseignement à distance et les conseils d'ordre juridique devenaient

possibles si l'on utilisait le videophone associé au service de l'interprétation.

Des études concernant la télécommunication s'attachent, par ailleurs à

analyser l'efficacité des lois et des politiques visant les personnes

handicapées. A u x Etats-Unis, par exemple, des téléphones S M S et des

postes relais ont été installés pendant la période allant de 1998 à 2001 pour

mettre en application la Loi sur les Américains handicapés ( A D A ) . C e texte

déclare qu '« un téléphone S M S doit être installé à l'intérieur de tout

immeuble équipé d'au moins quatre téléphones payants. E n outre, un

téléphone S M S doit être installé dans tous les lieux fermés où se trouve un

téléphone public payant, tels que stades, hôtels, centres de réunions, etc. ».

E n Suède et en Finlande également certaines autorités locales ont inclus le

videophone dans la liste des équipements d'assistance aux personnes

handicapées afin de permettre aux malentendants et aux sourds de bénéficier

de l'aide de l'État pour utiliser des videophones.

Cependant, dans les pays en développement, les personnes handicapées

tombent sous le coup du « second fossé numérique », du fait que les

règlements, les politiques et l'infrastructure des télécommunications ne sont

pas à l'écoute de leurs besoins et qu'il n'existe pas, dans les systèmes de

télécommunications nationaux de modèles qui soient à leur portée. L e

manque de sensibilisation, l'analphabétisme et la pauvreté sont des facteurs

qui se cumulent. L e service S M S , par exemple, est plus utilisé par des

personnes entendantes que par les malentendantes et les sourdes, dans les

pays de la région S A A R C . Les recherches montrent que c'est en partie dû

au fait que les sourds apprennent en général une seule langue parlée, qui est

le plus souvent la langue nationale, alors que le S M S sur mobiles n'est

disponible qu'en anglais. L'autre raison la plus c o m m u n e est le faible niveau

d'alphabétisation chez les sourds, qui leur interdit l'emploi du S M S , des

récepteurs d'appel et des téléphones ordinaires, qui ne sont également pas à

79

État de la recherche sur la société de l'information

leur portée car la technologie d'amplification de la voix n'est pas courante

dans les pays en développement.

Conclusions et recommandations

L a rapidité avec laquelle les TIC se sont développées a ouvert des

possibilités inattendues d'emploi, d'éducation et de socialisation aux

personnes handicapées dans les pays développés ainsi qu'à une faible

minorité dans les pays en développement. Il s'agit donc d'assurer un

développement équitable de ces avancées dans toutes les parties du globe.

L'inégalité de leur expansion a accru la disparité entre pays développés et

pays en développement d'une part, et entre « riches et pauvres en TIC » de

l'autre. D e nombreuses organisations nationales, régionales et internationales

se sont attachées à tout mettre en œuvre pour faciliter leur emploi par les

handicapés. O n s'est efforcé d'introduire le point de vue des handicapés

dans les lois, les politiques et les instruments réglementant la technologie de

l'information. Des pays c o m m e la Suède et les Etats-Unis ont m ê m e adopté

des politiques de TIC visant leur développement durable. Ces politiques et

ces dispositifs internationaux ont suscité un vif intérêt de la part des

personnes handicapées, des fournisseurs de services en matière de TIC, des

professionnels de R & D ainsi que des organismes sociaux, des sociétés

privées et des entrepreneurs. Mais on n'en voit pas d'équivalent dans les

pays en développement d'Asie, d'Afrique et d'ailleurs. À partir d'un certain

nombre d'observations et d'analyses d'études de cas sur l'emploi des TIC

par les personnes handicapées dans les pays en développement, nous

sommes à m ê m e de formuler quelques conclusions. Nous ne pouvons

cependant pas, en l'absence de données adéquates et fiables, évaluer toute

l'ampleur et la complexité du problème de l'accessibilité. Il est donc

indispensable que les institutions scientifiques et les organismes spécialisés

dans le handicap investissent davantage dans la recherche concernant ces

sujets. Les T IC sont des technologies qui procurent de l'autonomie mais si

elles ne sont pas correctement planifiées, conçues et mises à disposition,

elles sont susceptibles de creuser la fracture sociale, le fossé du savoir et du

numérique.

C o m m e n t faire une plus large place aux besoins des personnes

handicapées dans les travaux de R & D , dans les procédures réglementaires et

dans les politiques des TIC, ce sont là des questions cruciales auxquelles

80

État de la recherche sur la société de l'information

nous devons répondre. Seul l'engagement des personnes handicapées elles-

m ê m e s dans la R & D , dans la mise au point des produits, la définition de

normes et la formulation des politiques, pourrait combler le fossé du savoir,

qui se révèle inquiétant. L'infrastructure des TIC est relativement accessible

aux personnes handicapées dans les pays qui leur ont demandé cette

implication et ont adopté une attitude intersectorielle en matière de

planification de la politique des technologies de l'information. Dans ce

contexte, nous proposons les recommandations suivantes :

1. Les gouvernements devraient promulguer, amender et mettre en vigueur

des lois, des politiques et des programmes qui protègent le droit à

l'information et la liberté de communiquer des personnes handicapées.

2. Les gouvernements devraient adopter et soutenir la mise au point de TIC

à des normes internationales exemptes de droits d'accès ou de propriété

et qui soient physiquement adaptées.

3. La participation des utilisateurs handicapés à tous les stades de la

recherche, de la mise au point, de la planification de la politique et du

contrôle du produit devrait être une obligation.

4. Toute opération de mise au point, de remplacement ou d'amélioration de

la technologie devrait être conçue de façon à faciliter son utilisation par

les personnes handicapées, et il faut s'assurer que les progrès de la

technologie future se poursuivent dans ce sens.

5. Tous les gouvernements devraient s'engager à adopter un plan sur le

thème des TIC appliquées aux personnes handicapées, selon une

démarche intersectorielle, de telle sorte que soit établi un calendrier

assorti d'objectifs précis et de provisions budgétaires pour chaque

département ministériel, assurant l'égalité d'accès et une totale faculté

d'utilisation des TIC aux personnes handicapées.

6. Il faut que les politiques et les lois en matière de télécommunications

soient amendées de telle sorte que les personnes handicapées disposent

de moyens de communication à distance autonomes répondant à leurs

préférences, tels que le langage des signes et les langues locales.

7. Il faut mettre au point et redéfinir des normes d'interface, de présentation

et d'équipement de terminaux de façon à ce que tous les services de

télévision, analogiques et numériques, soient disponibles selon les

normes d'accessibilité aux utilisateurs handicapés.

81

État de la recherche sur la société de l'information

8. Il est nécessaire que des fonds de R & D soient alloués pour la

conception (a) de systèmes vocaux pour les langues locales, nécessaires

au fonctionnement des appareils de lecture d'écrans ; (b) de lexiques

électroniques dans le langage des signes pour la conversion

informatique des contenus audio et écrits ; (c) d'algorithmes vocaux

pour traduire en texte la parole des langues locales ; (d) de logiciels de

conversion des langues locales en Braille.

9. A u n o m de l'équité et de l'égalité de répartition des ressources en TIC,

les organismes internationaux et nationaux effectuant la collecte, la

collation et la diffusion de données primaires et secondaires devraient

intégrer dans toutes leurs recherches la dimension du handicap.

10. Les organisations intergouvernementales, régionales et agences de

développement devraient entreprendre et favoriser des études dans le

domaine des TIC et de leur utilisation par les personnes handicapées,

notamment dans les pays en développement.

11. Les gouvernements devraient encourager leurs grandes universités

d'État à créer des départements d'étude du handicap dans les facultés.

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83

Chapitre 5

Infoéthique et accès universel à l'information et au savoir

lia Joshi Sterling City Bopal

Inde

Introduction

C e rapport avait pour objectif d'étudier la documentation de la

période 1998-2001 sur l'éthique de l'information et l'accès universel à

l'information et au savoir. Environ 260 études et publications scientifiques

ont été analysées, traitant d'au moins l'un des thèmes auxquels ce rapport

s'intéresse. Les études et les publications ont été recherchées parmi les

ouvrages et les revues détenus par des bibliothèques locales ou présentes sur

le réseau des bibliothèques en ligne, ainsi que dans les études disponibles

sur l'Internet.

L e terme d'infoéthique recouvre l'ensemble des grands principes d'accès,

de justice et de respect mutuel qui régissent la conception et l'application

des technologies de l'information (Cummings, 2000). Parmi les questions

d'éthique au cœur du débat on trouve : la confiance, le droit de propriété et

la validité de l'information ; le droit au respect de la vie privée, la

confidentialité et la sécurité ; la haine et la violence dans les médias et sur

l'Internet ; l'accès à l'information et au savoir.

L a nouvelle Directive européenne sur la protection des données jette les

bases d'une juridiction mondiale de respect de la confidentialité des

données. A u niveau individuel, ce principe, déjà appliqué aux utilisateurs de

l'Internet grâce à de nouvelles technologies, va probablement influencer le

m o n d e des affaires dans la prochaine décennie (Davies, 1998). Mais il est

possible que ces restrictions réglementaires n'atteignent pas leur objectif,

notamment dans les pays en développement, où c'est la solution

technologique visant à réglementer « l'usage loyal » qui est susceptible

d'être plus favorable. Le secteur privé et les O N G s'empressent déjà de

mettre au point des contre-mesures pour intégrer, dans l'architecture des

communications, des systèmes de droits réservés. L a machine étatique se

85

État de la recherche sur la société de l'information

verra ainsi inévitablement confrontée à une infrastructure modulable de

protection farouche des droits à la confidentialité des données (Correa,

2000). L'inquiétude des gouvernements est déjà sensible dans le cas de

l'Inde et de l'Iran. Dans une première étape vers son accession au rang de

puissance mondiale en matière de technologies de l'information, l'Inde a

adopté une législation qui protège les droits de propriété et la sécurité dans

le cyberespace. Ses principales dispositions portent sur la loi de signature

électronique et les lois sur les délits informatiques (Chakravarti, 1998).

L'Iran se prépare à légiférer sur la protection de la propriété et la sécurité

des communications numériques et des logiciels d'information (Nejad,

1998). A u m o m e n t de créer leurs systèmes d'information, la Fédération de

Russie et la Jordanie se sont posé des questions pour savoir comment

départager les intérêts de la confidentialité des données et ceux du libre

accès (Nusseir, 1998 ; Genieva, 2000).

L e cas du Portugal constitue une approche encourageante : les

professionnels de l'information reconnaissent l'importance et la singularité

de chaque utilisateur des services et respectent leur droit au secret c o m m e

l'un de leurs droits. Ces professionnels considèrent en effet qu'il est de leur

devoir de respecter l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de

l ' h o m m e ( B A D / I N C I T E / A P D I S 2002). Gorstka (2000) a fait des

suggestions détaillées sur les principes qui devront s'imposer par

autodiscipline pour protéger la vie privée dans le cybermonde.

Quelques questions d'éthique

Respect de la vie privée, confidentialité et sécurité

L e droit au respect de la vie privée reste une préoccupation centrale

pour les démocraties ; il figure en bonne place dans les législations

nationales et dans les normes internationales. L a valeur du droit à la dignité

humaine, à l'autonomie de la personne et à l'auto-gouvernance

démocratique est sans ambiguïté. Mais la technologie a créé de nouvelles

menaces, en m ê m e temps que de nouvelles chances (Rotenberg, 1998).

Samarjiva (1998) analyse les diverses acceptions de « l'espace virtuel » et

des questions qu'il soulève, dans un m o n d e en évolution. Les questions de

confiance, de respect de la vie privée et de sécurité sont gravées dans le

86

État de la recherche sur la société de l'information

marbre des institutions qui jouissent de la confiance de la société, aux Etats-

Unis, mais dans la plupart des pays d'Asie, les services étatiques inefficaces

de télécommunications ne jouissent pas de ce patrimoine de confiance. Créer

la confiance dans les opérations d'information par l'électronique pose un

problème majeur quand il faut, dans le m ê m e temps, assurer la croissance

économique et les chances de progrès social et éducatif. Les droits au

respect de la vie privée et à la sécurité des particuliers, et d'autre part les

droits de propriété du m o n d e des affaires doivent être mis à l'abri d'une

exploitation injustifiée des données. L a protection de la vie privée et la

circulation des données personnelles par-delà les frontières sur des réseaux

mondiaux peu sûrs posent des questions politiques d'intérêt national et

international (Cummings, 2000).

Confiance, propriété et validité de l'information

Lorsque l'information provient d'organismes gouvernementaux ou

non gouvernementaux ou de personnes morales, que ce soit sous forme

imprimée ou sur le W e b , elle jouit du prestige d'une source autorisée, et

donc verifiable. Cela est d'autant plus important aujourd'hui qu'une

surabondance d'informations a accompagné le prodigieux développement de

l'information électronique. Si l'Internet est en voie de devenir rapidement

une source ouverte d'informations, il reste souvent anonyme et exige de

l'utilisateur une forte dose d'esprit critique pour pouvoir trier, parmi les

éléments de désinformation et d'informations erronées, les faits et les

informations valables. Faire passer pour de l'information des opinions

politiques ou des messages commerciaux est une manière de désinformation.

L a technologie de l'information a conféré une valeur potentielle

considérable à une grande partie de l'information dans la mesure où se

trouve dans le domaine public. O n ne voit pas très bien comment les

organes de l'État, les entreprises du secteur public et du secteur privé

exploiteront ce potentiel et quel effet cela aura sur la libre circulation de

l'information.

Bien public contre biens privés

Alors que l'industrie et le m o n d e des affaires sont les fournisseurs de

l'infrastructure d'accès aux ressources de l'information ainsi qu'à leurs

contenus, le problème se pose de définir les notions de « domaine public »

87

État de la recherche sur la société de l'information

et d'accès universel » au plan mondial afin de servir le bien public tout en

encourageant l'initiative privée et en protégeant les droits économiques

légitimes ( U N E S C O , 2000). Par le passé, il était important de pouvoir

prendre connaissance des informations officielles détenues par les

gouvernements, c o m m e le stipule la législation de nombreux pays

développés. Ces lois ont rendu les gouvernements de plus en plus

responsables devant les administrés. Mais l'essor de l'Internet a suscité de

nouvelles attentes chez les citoyens qui commencent à demander aussi aux

organismes du secteur privé d'assumer leurs responsabilités. Les

gouvernements sont ainsi tenus de mieux garantir l'accès aux informations

qu'ils détiennent et aussi d'élaborer une législation qui permette de rendre

les organisations du secteur privé plus responsables (Riley, 2000). L'Union

européenne a publié un livre vert qui recense les initiatives dans ce

domaine, aux plans juridique et pratique. Les questions soulevées par le

domaine public et l'usage loyal du droit d'auteur, ainsi que la protection de

la dignité humaine à l'ère du numérique, font l'objet de plusieurs initiatives

de l ' U E (Papupavlou, 2000).

Haine et violence sur l'Internet

L e crime, la violence et l'obscénité dans les médias restent dans la

plupart des pays un souci primordial, qui exige une surveillance constante,

car très souvent de puissants intérêts économiques y sont en jeu. Les

victimes de la violence et de l'obscénité sont généralement les fractions les

plus fragiles de la société, c o m m e les enfants, les femmes et autres

personnes sans défense. E n examinant 23 chaînes de la télévision et du

câble aux États-Unis, Smith et coll. (2000) ont calculé qu'à toute heure du

jour les spectateurs ont des chances de rencontrer la violence dans deux

émissions sur trois. U n e étude de Wilson et coll. (2002) estime que parmi

les auteurs de violence, sur les écrans américains, les plus jeunes d'entre eux

apparaissent le plus souvent c o m m e séduisants et les moins susceptibles

d'être punis pour leurs forfaits. L e développement de l'Internet a soulevé

des problèmes plus graves encore qu'aucun autre média de masse

auparavant. C o m m e il est interactif il attire les jeunes, qui sont plus

familiers avec les nouvelles technologies que la génération précédente. Ces

jeunes finissent par devenir les objets m ê m e s de la pornographie ou les

spectateurs d'un matériel dangereux, c o m m e les photos ou vidéos à contenu

sexuel explicite, ou encore la proie d 'un marketing et d'une publicité

88

État de la recherche sur la société de l'information

agressifs sur les sites commerciaux. L a Cour de justice indienne a cité à

comparaître les directeurs de deux grands sites pornographiques indiens sur

le W e b et a déposé une plainte au pénal : les yeux de tous les Indiens sont

tournés vers ce premier procès de la cyberpornographie dans leur pays.

L a protection juridique et la mise en vigueur de la loi ne constituent

qu'une partie de la solution. Dans le cyberespace, le droit reste limité -

surtout en raison de la question juridique que pose le caractère transnational

du cyber-crime. Toute mise en application de ce droit, m ê m e restreinte, se

heurte dans de nombreux pays à l'insuffisance des techniques

d'investigation, notamment dans le domaine du numérique et de l'expertise

en informatique (Pabico, 2001). Si le danger d'exposer les enfants à la

pornographie et aux images sexuelles explicites sur l'Internet semblent les

plus inquiétantes aux yeux des parents et des enseignants, les vrais risques

encourus par les enfants sont bien de faire la connaissance d'un nouvel ami

(ou d'une nouvelle amie) par le biais de l'Internet. Cette inquiétude apparaît

dans une étude portant sur 600 enfants thaïs de moins de 18 ans, effectuée

par le Comité national de technologie de l'information. Elle signale que les

jeunes utilisateurs thaïs n'ignorent pas les dangers qui les guettent lorsqu'ils

naviguent sur le W e b : 93 % ont répondu à l'enquête qu'ils sentaient que

c'était dangereux (Pirongrong, 2001).

Accès universel à l'information et au savoir

Les nouvelles technologies de l'information et du savoir (TIC) ont

donné lieu à une augmentation phénoménale du commerce électronique

mondial, à l'amélioration de la qualité de la vie, des soins de santé, des

interventions d'urgence et des accords internationaux, et elles annoncent

l'avènement d'une société du savoir où le citoyen serait plus conscient, plus

humain et mieux informé. Mais en m ê m e temps, la technologie a tendance à

scinder les sociétés entre « riches et pauvres » du point de vue de ce que

l'on appelle la fossé numérique. L'Administration nationale des

télécommunications et de l'information des Etats-Unis a créé ce terme de

fossé numérique en « passant au crible» des rapports préparés par le

Département du commerce. Elle remarque que : (a) les Américains ayant un

niveau d'études élevé sont plus susceptibles d'être connectés au réseau ; (b)

le fossé entre Américains ayant des revenus élevés et des revenus faibles va

s'élargir ; (c) les Blancs sont plus susceptibles d'être connectés que les

89

État de la recherche sur la société de l'information

Noirs ou les Hispaniques ; (d) les zones rurales sont moins susceptibles de

l'être que les zones urbaines et (e) les foyers constitués des deux parents

sont plus susceptibles d'être connectés à l'Internet que les foyers

monoparentaux (Bowie, 2001) .

A u plan international la fossé numérique présente à peu près le m ê m e

tableau. Le Rapport sur le développement mondial 2000-2001 montre

l'existence d ' u n fossé certain qui sépare les pays développés des pays en

développement à l'aide d 'une grille d'indicateurs tels que le n o m b r e de

journaux quotidiens, de postes de radio, de télévision, de téléphones fixes et

mobiles, d'ordinateurs personnels, de personnes reliées à l'Internet, de

scientifiques et d'ingénieurs, d'experts en haute technologie et de dépôt de

brevets. D e s pays développés c o m m e la Norvège et la Nouvelle-Zélande

possèdent respectivement 899,48 et 703 ,33 connexions pour 10 0 0 0

personnes alors que le Nigeria, le Niger et le G h a n a en ont respectivement

0,01, 0,3 et 0 ,6 (Banque mondiale, 2000) . D a n s les pays asiatiques c o m m e

Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, la Tahïlande et les Philippines, les

réseaux d'ordinateurs sont plus développés. Enfin l'Inde, le Pakistan, le Sri

L a n k a et la Chine ont fourni à leurs populations u n accès plus important aux

technologies des médias. L e Bangladesh et le Japon présentent un contraste

extrême de part et d'autre du fossé numérique, car l'un est dépourvu de la

plupart de ces services, alors que l'autre les possède tous (Joshi, 1998) . Les

pays moins développés qui ne sont pas dotés de l'infrastructure ou des

m o y e n s d 'éduquer leur population ne bénéficieraient pas autant de ces

technologies. Il est donc indispensable de déterminer quels types de m o y e n s

technologiques sont le plus rentables dans les pays en développement et

c o m m e n t des ressources limitées peuvent être investies au mieux pour

répondre aux besoins spécifiques des pauvres.

Il existe aussi, au sein des pays en développement une fossé numérique

entre c o m m u n a u t é s urbaines et rurales. U n e étude portant sur la Thaïlande

indique que 7 0 % des utilisateurs des technologies de l'information résident

en zones urbaines, c o m m e à B a n g k o k et sa banlieue (Pirongrong, 2001) .

L'influence de la technologie a souvent été tout sauf neutre à l'égard de

l'égalité des sexes. Les technologies de communication, n o t a m m e n t les

médias de masse , décrivent, depuis des années, les f e m m e s de manière

stéréotypée. Il existe des préjugés bien ancrés concernant les capacités des

f e m m e s à maîtriser la technologie (Joshi, 1998). U n e étude m e n é e dans une

90

État de la recherche sur la société de l'information

ville de taille moyenne en Inde fait ressortir la domination des h o m m e s . Elle

montre que 80 % des familiers des cybercafés sont des h o m m e s . Ils sont

jeunes en majorité (15 à 35 ans), ont un niveau d'éducation élevé, et ont

étudié dans la langue anglaise. Ils appartiennent aux couches socio-

économiques moyenne et supérieure de la société indienne (Joshi, 2001).

Dareth (2001) signale, lui aussi, qu'au Cambodge 50 % des femmes dont

analphabètes, pauvres dans leur société et dès lors, destinées à appartenir

aux « pauvres en information ».

U n autre facteur contribue à couper en deux la population mondiale, c'est

la domination de la langue anglaise sur l'Internet. Pimienta (2002) rappelle

que seuls 10,5 % de la population mondiale utilise l'anglais soit c o m m e

langue officielle soit c o m m e langue parlée ou employée dans

l'enseignement, alors que les contenus de l'Internet sont livrés en anglais, à

hauteur d'environ 80 %. E n comparaison, le matériel en français, en

espagnol et en italien n'atteint pas 2 % et le portugais 1 %. Dans une autre

étude, Kyung-Ja (2001) dresse un tableau comparable, c'est-à-dire que,

selon lui, le nombre de sites W e b en anglais atteint les 80 %, avec des

serveurs également en anglais. L'autre volet de la discussion sur l'accès de

tous à l'information et au savoir concerne la propagation des TIC et leur

utilisation bénéfique. Les domaines qui offrent aux technologies de

l'information le plus fort potentiel d'applications sont l'éducation,

l'administration publique, le commerce, la santé et d'autres aspects de la vie

sociale.

Enseignement assisté par l'électronique

Depuis sa création en 1989, le « Commonwealth of Learning » s'est

donné pour mission d'ouvrir davantage l'accès à l'éducation. C e

programme, qui exploite toutes les formules de l'enseignement, depuis le

texte imprimé jusqu'aux moyens électroniques, est à l'œuvre dans 54 pays

du Commonwealth. Ces dernières années, d'immenses progrès ont été

accomplis pour améliorer la performance de l'apprentissage électronique et

rechercher les moyens d'attirer de nouveaux publics. Le Massachusetts

Institute of Technology a récemment annoncé qu'il mettrait en disposition

publique, sur l'Internet, la plus grande partie de ses cours. Cette université,

dont les droits de scolarité s'élèvent à quelque 39 000 dollars par an, prévoit

que ce ne seront pas seulement les particuliers mais aussi les universités du

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État de la recherche sur la société de l'information

monde entier qui pourront profiter du contenu de ses cours, du texte de ses

conférences, et m ê m e de leur enregistrement vidéo (Mac Donald, 2001).

Dans les écoles des différentes parties du monde , des systèmes d'éducation

élec Ironique sont mis en place. E n Angleterre, quelque 10 000 écoles ont

été connectées à l'Internet sur la « National Grid for Learning ». U n e

initiative du m ê m e ordre a été lancée en France, où le gouvernement a

inauguré la « Politique de la société de l'information » (Tronc, 2002). E n

Inde, le gouvernement a annoncé l'entrée en vigueur de l'opération Savoir,

qui doit transformer toutes les écoles en écoles du futur, en mettant l'accent

non seulement sur les techniques de l'information mais aussi sur l'utilisation

des savoir-faire et des valeurs culturelles (Manorama Year Book, 2002).

Gouvernance en ligne

La volonté d'agir, au plan mondial, pour améliorer le fonctionnement

de l'administration et de la société civile est d'autant plus vive qu'elle est

poussée par une exigence croissante de transparence et de prise de

responsabilités. Les technologies de l'information sont un atout essentiel

dans cette entreprise parce qu'elles (a) favorisent la liberté d'expression ; (b)

encouragent l'échange de questions et de réponses sur les problèmes et les

politiques non gouvernementales et gouvernementales ; (c) éduquent le

public en lui donnant accès à l'information et en lui permettant d'assimiler

les connaissances (Akhtar et coll., 2002). Partout dans le monde les

gouvernements ont bien amélioré les services de transmission en ligne. Le

Canada surpasse le reste du monde en matière de gouvernance en ligne; il se

propose de donner accès à tous les programmes et services fédéraux d'ici la

fin de 2004. Parmi les pays qui ont annoncé des projets similaires se

trouvent Singapour, les États-Unis, l'Australie, le Danemark, le Royaume-

Uni, la Finlande, Hong Kong, l'Allemagne et l'Irlande ( A M I C , 2002).

L'Union européenne a lancé la gouvernance en ligne sous l'égide de

l'initiative « Europe en ligne », dans la perspective que toute l'Europe

dispose, d'ici la fin de 2003, de gouvernements en ligne (Papupavlou, 2000).

E n Inde, le Réseau national des centres d'informatique ( N I C N E T ) relie les

bureaux administratifs, à l'échelon du district et du niveau rural, aux

secrétariats du gouvernement des capitales des États de l'Union. Le

gouvernement de l'État du Kerala a ouvert des centres informatiques

intitulés « Friends », où les citoyens peuvent payer les impôts, les taxes etc.

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État de la recherche sur la société de l'information

qu'ils doivent aux divers services publics ainsi que les frais d'études

universitaires {Manorama Year Book, 2002). L e Premier ministre de

l'Andhra Pradesh doit une partie de sa popularité et de son pouvoir à la

réussite de l'introduction de la technologie dans l'administration de son Etat

(Agrawal, 2001).

C o m m e r c e électronique

L a globalisation apparaît non seulement c o m m e inévitable et

irréversible mais aussi c o m m e un atout majeur de développement

économique pour l'avenir. Les principaux bénéficiaires en sont, évidemment,

les « gros joueurs », mais des entreprises moins importantes ont aussi réussi

à saisir les chances de l'informatisation. O n en voit des exemples dans

certains pays d'Asie : la place que l'Inde occupe sur le marché mondial du

logiciel est remarquable ; la Corée du Sud, elle aussi, s'est fait connaître

c o m m e un acteur important au plan mondial pour le matériel de la

communication et ses composants (Kyung-Ja, 2001). Des organisations du

secteur privé, des milieux universitaires et de la société civile s'efforcent

toutes ensemble, dans presque tous les domaines, de donner forme à cette

nouvelle économie et aux nouvelles techniques afin de renforcer les petites

et moyennes entreprises et de les préparer au commerce électronique.

Conclusions

Les principales préoccupations qui se font jour dans les études et les

publications analysées peuvent se résumer ainsi :

1. Il est urgent de formuler des politiques nationales et internationales qui

encouragent la diffusion et l'utilisation optimale des TIC tout en

réduisant le plus possible leur impact indésirable sur la vie sociale et

culturelle.

2. Des initiatives sont à l'œuvre pour ouvrir davantage l'accès aux TIC,

surveiller leurs effets indésirables et soutenir leur utilisation bénéfique.

E n ce qui concerne les recherches à venir, nous proposons que des

enquêtes soient entreprises, au plan international, pour préciser la situation

actuelle des TIC. Des études d'évaluation devraient également être

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État de la recherche sur la société de l'information

entreprises pour préciser le type d'informations à recueillir dans l'ordre d u

social, de l 'économie, de la politique et de la culture. N o u s suggérons

également des recherches sur la perception de l'infoéthique, en fonction des

différentes cultures et des groupes d'utilisateurs

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