Enquête sur le public du festival Les Correspondances de ... · étude propose une analyse des...
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L’ÉCRIVAIN·E À LA RENCONTRE DE SON PUBLIC
Enquête sur le public du festival
Les Correspondances de Manosque
Gisèle Sapiro (dir.)
avec
Jasmine Deventer
Jérôme Pacouret
Myrtille Picaud
Hélène Seiler
Aude Servais
Cette enquête a été réalisée au Centre européen de sociologie et de science politique
(EHESS/Université Paris I-Panthéon-Sorbonne/CNRS), avec le soutien du festival Les
Correspondances de Manosque.
© Gisèle Sapiro, 2012
SOMMAIRE
LE FESTIVAL COMME NOUVELLE FORME DE MÉDIATISATION DE LA LITTÉRATURE....................... 1
Méthodologie ............................................................................................................................. 3
QUI EST LE PUBLIC DU FESTIVAL DE MANOSQUE ? .................................................... 4
Publics et non-publics du festival............................................................................................... 4
Un public majoritairement régional, venant pour un tiers d’autres régions ............................... 5
Des festivaliers âgés de 15 à 88 ans, une majorité de femmes ................................................... 7
Diversité sociale du public, importance du capital culturel ....................................................... 9
LE FESTIVAL EN PRATIQUES ............................................................................................ 11
Inscription du festival dans l'espace urbain .............................................................................. 11
Comment ont-ils entendu parler du festival ? .......................................................................... 11
Assiduité et renouvellement du public ..................................................................................... 12
De bons élèves .......................................................................................................................... 14
Première motivation : rencontrer les auteur·e·s ....................................................................... 15
Les discussions entre écrivain·e·s et festivaliers...................................................................... 21
Une journée aux Correspondances : formes et espaces de rencontre entre écrivain·e·s et
festivaliers ................................................................................................................................ 24
Encadré 1. Portraits de l’écrivain·e· en écrivain·e· .................................................................. 26
Encadré 2. La mise en lumière d’une littérature novatrice ...................................................... 29
PRATIQUES DE LECTURE ET PRATIQUES CULTURELLES DES FESTIVALIERS .... 31
Un public de lecteurs ................................................................................................................ 31
Encadré 3. Le comité de lecture de bibliothèque d’Herbès...................................................... 32
La littérature contemporaine d’abord ....................................................................................... 33
Des lecteurs de la presse écrite ................................................................................................. 34
Des habitués des festivals… de préférence dans leur région ................................................... 34
Des pratiques culturelles plus intenses que la moyenne nationale ........................................... 35
En guise de conclusion ............................................................................................................. 37
1
Le festival comme nouvelle forme de médiatisation de la littérature
Depuis deux décennies, le terme de festival s’est répandu, à l’étranger comme en
France, pour désigner les rencontres publiques où les œuvres littéraires sont lues, commentées
et discutées par des spécialistes, auteur·e·s, critiques, éditeurs, traducteurs. Cette forme de
médiatisation de la lecture s’est d’abord développée, en France, dans les genres dits de
paralittérature – c’est-à-dire situés aux marges de l’institution littéraire –, comme la bande
dessinée et le polar, pour lesquels elle a constitué un mode de légitimation1.
Associée aux arts de la performance (théâtre, musique) et aux arts visuels, la forme du
« festival » peut paraître incongrue s’agissant de la lecture, pratique culturelle la plus solitaire
qui soit. Pourtant, les réunions dédiées à la lecture à voix haute et aux discussions sur la
littérature ne constituent pas un phénomène nouveau. Des salons mondains aux académies,
puis aux cénacles d’initiés, tel que les mardis de Mallarmé ou le grenier des frères Goncourt,
elles demeuraient cependant confinées à la sphère privée, mis à part la très officielle
Académie française, dont les débats ne sont cependant pas publics. Si les avant-gardes
désargentées ont investi l’espace public des cafés, elles pratiquaient une stricte sélection des
membres de leur communauté. Les décades de Cerisy-Pontigny inaugurent un nouveau type
de rencontres littéraires apparu dans la première moitié du XXème
siècle, qui s’ouvre à un
public plus large quoiqu’encore limité à une petite frange de lettrés.
L’émergence des festivals de littérature tient à la convergence de plusieurs facteurs :
les nouvelles formes de promotion développées par l’industrie du livre afin d’atteindre le
public (salons, foires, festivals de livres, etc.), les politiques culturelles en faveur de la lecture,
et l’engagement d’un groupe d’intermédiaires culturels. Ces festivals remplissent en effet une
triple fonction : culturelle, économique et politique. Sur le plan culturel, ces festivals, liés à
l’actualité littéraire, constituent des lieux de découverte et d’initiation aux œuvres nouvelles
ou à des écrits inédits, en présence ou non de leurs auteur·e·s. L’intermédiaire, commentateur,
critique, traducteur, interprète ou autre, joue un rôle plus ou moins important dans ce parcours
initiatique, qui peut devenir central lorsqu’il s’agit par exemple d’un comédien ou d’un
chanteur célèbre. Á ceci s’ajoute, tout comme les formes antérieures de rencontres, une
fonction rituelle, qui consiste à conforter ce que Bourdieu appelle l’illusio, à savoir la
croyance dans la valeur de la littérature ; mais, à la différence des précédents, qui
entretenaient la cohésion du groupe des pairs, les festivals de littérature visent avant tout à
alimenter la croyance du public des profanes. Sur le plan économique, ils sont, pour les
éditeurs, des espaces de promotion et de vente des ouvrages et constituent de plus en plus, une
source nouvelle et complémentaire de rémunération pour les auteur·e·s, dont les interventions
sont rétribuées (en droits d’auteur), dans un souci de professionnalisation du métier
d’écrivain2. Sur le plan politique, ils sont conçus tantôt, par les pouvoirs publics, comme une
forme de démocratisation et de décentralisation de l’accès à la culture (fonction qui peut
coïncider, au niveau régional, avec la valorisation des identités locales), tantôt, par les
militants ou intellectuels engagés, comme des lieux de débat critique sur des questions de
société. Les manifestations littéraires se différencient selon l’accent mis sur l’une ou l’autre
de ces fonctions, même si elles coexistent dans la plupart des cas : tandis que la fonction
économique prévaut dans les salons et foires du livre, et que les fêtes du livre se donnent pour
1 Le festival international de la bande dessinée d’Angoulême a été fondé en 1974. Le premier festival de polars à
Reims s’est tenu en 1986, et ce type de manifestation s’est multiplié à partir du milieu des années 1990. 2 Rassemblant différents types de manifestations littéraires, l’association RELIEF (Réseau littéraire des
événements et festivals) a adopté ce principe, qui les différencie des salons du livre où l’intervention de
l’écrivain·e est considérée comme relevant de la promotion de son livre et n’est donc pas rémunérée.
2
objectif de promouvoir la lecture tout en soutenant l’industrie du livre à ce titre, les festivals
de littérature se distinguent des précédents par leur « programmation », c’est-à-dire par une
proposition sélective, tantôt centrée sur un thème, un genre (polar, bande dessinée) ou une
région du monde (festival America), ou en affirmant un goût littéraire parfois exigeant,
comme le festival Les correspondances de Manosque, ainsi que par leur format, le temps
accordé à la discussion et à la lecture en public, le cadre convivial, la dimension festive, qui
donnent son contenu à la notion de « festival ».
Fondé en 1999 par Olivier Adam et Olivier Chaudenson, le festival Les
Correspondances de Manosque est un des premiers consacrés à la littérature, après
« Étonnants-Voyageurs » créé en 1990. Dédié à la littérature française contemporaine, il vise
à la revaloriser dans un contexte où elle est décriée sur la scène internationale. Anciens
animateurs des Nuits de la Correspondance à Grignan, Olivier Adam et Olivier Chaudenson
ont repris l’idée des « correspondances » pour en élargir le sens dans une
veine « baudelairienne » : à la signification épistolaire première, que l’on retrouve dans la
programmation, avec les lectures en scène de correspondances d’écrivaines, comme dans le
dispositif des écritoires, qui permet aux festivaliers d’envoyer une lettre gratuitement, s’ajoute
celle de la mise en relation de deux auteur·e·s contemporain·e·s lors de rencontres-débats,
d’un auteur·e et d’un comédien lors de lectures en scène, ou de différents media artistiques, la
littérature et la musique en particulier. Permettant de diversifier le public, la présence d’un·e
autre medium n’est pas une spécificité de la formule de Manosque, mais caractérise nombre
de festivals de littérature, que ce soit le cinéma (« Étonnants-voyageurs ») ou la musique
(« America », fondé en 2002, « Blues & polar » qui se tient aussi à Manosque au mois d’août
depuis 2002). L’originalité de la proposition du festival de Manosque tient en revanche dans
la volonté de faire dialoguer les media, plutôt que de simplement les juxtaposer, avec, en
arrière-plan, la notion de « performance » : le concert d’Arthur H mettant en musique la
poésie antillaise lors de l’édition 2011 en est un exemple. Le cœur de la programmation
demeure cependant la rencontre avec les auteur·e·s, rencontre non seulement à l’occasion des
débats sur scène mais aussi dans la ville, lors des apéros littéraires ou dans la rue. Le
déroulement du festival en plein air pendant la journée, la diversité des événements proposés
dans un périmètre restreint, la gratuité de la plupart d’entre deux (seuls les événements du soir
sont payants), visent à créer un cadre convivial, qui favorise la sociabilité autour de
l’expérience de ces rencontres. Il attire de fait un public large et divers, dont il est difficile
d’évaluer la taille, mis à part l’observation de la large affluence du public à la plupart des
événements gratuits – entre 170 et 250 personnes sur la place de l’Hôtel-de-Ville et entre 60
et 150 sur les places d’Herbès et Marcel Pagnol –, comme aux événements payants se tenant
au théâtre de Manosque, dont la jauge est de 700 places, et qui est souvent plein ou presque.
Par ailleurs, 15000 lettres sont envoyées à partir des écritoires (sachant que le nombre
d’envois n’est pas limité).
Si les festivals suscitent une attention accrue de la part des chercheurs en France et
dans le monde, ceux consacrés à la littérature sont encore très peu étudiés. L’enquête
sociologique menée lors de l’édition 2011 du festival Les Correspondances de Manosque vise
à explorer cette nouvelle forme de la médiation culturelle dans le domaine de la lecture.
L’enquête comprend un volet qualitatif sur l’histoire du festival, son insertion dans l’espace
urbain, sa programmation, appréhendés par des entretiens avec les organisateurs, les
partenaires locaux, des membres du comité de lecture et du public, par des observations
ethnographiques des événements, et par un travail documentaire et d’archives ; ainsi qu’un
volet quantitatif sur les caractéristiques sociodémographiques du public des festivaliers et
sur leurs pratiques du festival, en relation avec leurs autres pratiques culturelles. La présente
étude propose une analyse des premiers résultats de l’enquête quantitative auprès du public.
3
Méthodologie*
467 questionnaires ont été collectés auprès des festivaliers durant les cinq jours de l’édition 2011
du festival. 460 ont été exploités.
Il s’agit d’un échantillon empirique qui ne prétend pas à la représentativité.
54 questions étaient posées, réparties entre trois ensembles :
1. caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, niveau
de diplôme, situation matrimoniale, nombre d’enfants, etc.)
2. les pratiques et l’expérience du festival (durée, nombre et types d’événements, motivation,
etc.)
3. les pratiques culturelles (y compris les pratiques de lecture et d’écriture et les goûts
littéraires). Ces dernières questions ont repris dans la mesure du possible celles de
l’enquête sur les pratiques culturelles des Français du ministère de la Culture et de la
Communication (2008) afin de pouvoir procéder à des comparaisons.
* L’enquête a été conduite par une équipe de cinq étudiants et doctorants à l’EHESS (Jasmine Van Deventer, Jérôme
Pacouret, Myrtille Picaud, Hélène Seiler, Aude Servais) et une statisticienne (Ilhame Hajji, CNRS-CESSP), sous la
direction de Gisèle Sapiro (CNRS/EHESS-CESSP). Elle a été traitée avec le concours de Pernelle Issenhuth, assistante
ingénieure (CNRS-CESSP).
4
QUI EST LE PUBLIC DU FESTIVAL DE MANOSQUE ?
Publics et non-publics du festival
Une grande partie du festival ayant lieu dans un espace ouvert et gratuit, sur les places
du centre-ville, piétonnisé pour l’occasion, l'accès à la plupart des événements n’est pas
clairement délimité par un droit d’entrée ou par une limite matérielle. La frontière entre
publics et non-publics semble alors se brouiller : badauds, passants, habitants, consommateurs
aux terrasses de café, individus assis aux gradins prévus pour les rencontres, tous sont
susceptibles de prendre part à un événement. Se trouvent ainsi attirés au sein du festival des
individus moins intéressés par littérature, voire indifférents. Ces individus, parfois aperçus
aux alentours des rencontres, un peu à distance, souvent debout, ont généralement refusé de
remplir un questionnaire, ne se considérant pas pleinement spectateurs et évoquant parfois le
malaise ressenti à répondre à des questions à propos de littérature, un sujet dont ils ne se
sentent pas pleinement maîtres. À titre d’exemple, un homme d’environ quatre-vingt-dix ans,
qui ne parlait pas très bien français, a accepté de répondre aux questions de l'enquêtrice. Il
était accompagné par un ami, un peu plus jeune, d’environ soixante-dix ans, qui assumait le
rôle d’intermédiaire entre l’enquêté et l’enquêtrice, et qui a signalé à cette dernière que
l’homme était de classe populaire, qu’il ne parlait pas vraiment français, et qu’il ne le lisait
pas non plus. L’enquêtrice a donc commencé à lui administrer le questionnaire, son ami
servant de traducteur. Une vingtaine de minutes après le début de l'événement, il a signalé
qu’il ne voulait ni continuer ni finir de remplir le questionnaire plus tard. De ce que
l’enquêtrice a pu recueillir du questionnaire partiellement rempli, l’enquêté n’habitait pas loin
de Manosque, et ne se considérait pas vraiment comme faisant partie du public, il aimait bien
néanmoins assister à certains des événements. Le festival opère ainsi une véritable rencontre
dialectique entre son espace de déroulement, qui subsiste au-delà de son passage, et le
mouvement de la manifestation elle-même, qui vivifie la ville et l’orne de certaines propriétés,
plus susceptibles peut-être que d’autres, d’attirer de manière exceptionnelle à ses terrains
centraux ceux qui y participent quotidiennement en tant qu’habitants, sans pour autant s’y
présenter de manière conviviale, dans un but de rencontre tel que celui qu’offre la
manifestation.
Ces personnes se distinguent toutefois du cœur du public du festival, qui a plutôt
tendance à suivre une grande partie de la programmation. Le mélange entre ces différents
types de publics se fait de manière plus ou moins aisée. Il peut être ressenti de manière
problématique par certaines personnes, lesquelles, se réunissant habituellement à la MJC, s’en
sont vues momentanément refuser l’accès, et se sont retrouvées à jouer leurs parties de poker
ailleurs (en l’occurrence sur l’Esplanade François Mitterrand). La rencontre peut également
être surprenante, comme lors d’un mariage célébré sur la place de l’Hôtel de Ville qui,
interrompant l'événement, a suscité des acclamations du public enjoué pour célébrer les
jeunes époux. Il est clair cependant que les modalités d’inscription du festival dans la ville
sont des paramètres importants de sa réception et de sa compréhension par la population
5
locale. L’exportation de certains des événements les plus « spectaculaires » hors du théâtre,
parallèlement à la présence d’écritoires aussi étonnants que ludiques, accroît les possibilités
de croisement entre les publics et les habituels « non-publics ».
Un public majoritairement régional, venant pour un tiers d’autres régions
Le public du festival est français dans sa grande majorité (9 enquêtés sur 10), ce qui
s’explique par la focalisation du festival sur la littérature française contemporaine et par sa
localisation géographique excentrée. On trouve néanmoins parmi les festivaliers une petite
minorité de ressortissants d’autres pays européens ou d’Amérique du nord.
Le festival se tenant à Manosque, il n’est pas surprenant que la plupart des festivaliers
(7 sur 10) résident en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (la moitié d’entre eux dans le
département Alpes Haute-Provence (04) où se situe Manosque, soit un tiers de l’ensemble).
Cependant, le festival attire aussi un public provenant d’autres régions (3 sur 10), la région
Rhône-Alpes (8%) et l’Île de France (5%) arrivant en tête.
6
Durant le festival, les habitants du département Alpes-Haute-Provence logent chez eux,
ainsi que la moitié des festivaliers venus des Bouches-du-Rhône. Ces derniers font plus souvent
que les autres l’aller-retour dans la journée (1 habitant des Bouches-du-Rhône sur 2 ne vient que
pour une journée, contre 1 enquêté sur 4 en moyenne) ; mais d’autres Bucco-rhodaniens restent
plus longtemps et louent un hébergement. Un quart des enquêtés loge en effet à l’hôtel, en
chambre d’hôte ou en location ; la moitié, on l’a vu, reste chez soi ; les autres, moins nombreux,
sont hébergés par des amis ou des proches (15%), seuls quelques-uns optent pour le camping ou
pour une auberge de jeunesse (les autres cas et les non réponses représentent 4% de l’échantillon).
7
Des festivaliers âgés de 15 à 88 ans, une majorité de femmes
Âgés de 15 à 88, les festivaliers ayant répondu au questionnaire ont, en moyenne, 51
ans. Si la moitié d’entre eux a plus de 56 ans (médiane), un quart a moins de 38 ans.
45% d’entre eux sont actifs (deux fois plus de fonctionnaires et de salariés que de
personnes à leur compte), 37% retraités (ce qui coïncide avec le fait qu’un quart a plus de 64
ans), 10% en cours d’études (étudiants, notamment de l’IUT « métiers du livre » d’Aix-en-
Provence, ou lycéens venus avec leur classe), 3% sont au foyer (l’information manque pour
5% des enquêtés).
8
La forte présence des retraités s’explique notamment par la disponibilité nécessaire pour
assister à un festival qui commence en début de semaine (le mercredi après-midi) et dont la
plupart des événements (en particulier les événements gratuits) se déroulent dans la journée.
La part des actifs augmente d’ailleurs à partir du vendredi.
La majorité de ceux qui ont répondu à l’enquête (7 sur 10) sont des femmes. Cette
proportion tient en partie au fait que les femmes acceptaient plus volontiers de remplir le
questionnaire que les hommes, mais cette forte présence féminine a été confirmée par les
observations ethnographiques réalisées sur le terrain, même si elle pouvait varier selon les
événements. Elle concorde par ailleurs avec le constat récurrent de l’intérêt plus fréquent des
femmes pour les romans (autres que policiers ou d’espionnage) dans les enquêtes sur les
pratiques culturelles des Français (selon l’enquête de 2008, elles en lisaient environ deux fois
plus que les hommes, dans toutes les catégories d’âge, alors que la part des lecteurs et des
lectrices est à peu près équivalente pour les romans policiers ou d’espionnage à partir de 30
ans).
Du point de vue de leur situation matrimoniale, un·e sur trois est marié-e ; un·e sur
cinq est en couple ; un·e sur cinq est célibataire ; un·e sur dix est divorcé·e ou séparé·e ; un·e
sur vingt est veuf·ve ; presque autant pacsé·e. Autrement dit, 6 sur 10 ont un·e conjoint·e. Ils
sont autant à avoir des enfants. Cette situation a une incidence sur le mode de sociabilité dans
les pratiques du festival, où l’on se rend parfois en famille, en couple, ou avec des amis,
comme on va le voir.
Festival de Manosque 2011, place de l’hôtel d’Herbès, 22 septembre © Gisèle Sapiro
9
Diversité sociale du public, importance du capital culturel
L’enquête fait apparaître la diversité sociale du public, même si, comme on pouvait
s’y attendre, ce sont les fractions les plus dotées en capital culturel qui sont les mieux
représentées parmi la population des enquêtés - sachant que ce sont aussi celles qui acceptent
le plus volontiers de répondre à un tel questionnaire. Ainsi, 45% sont ou ont été cadres et dans
les professions intellectuelles supérieures : principalement des cadres de la fonction publique,
professions intellectuelles et artistiques (30%), mais aussi des cadres d’entreprise (10%) et des
professions libérales (6%). Parmi ces cadres (comme dans la population enquêtée), 7 sur 10
sont des femmes, taux nettement supérieur à leur part dans ces catégories au niveau national
(4 sur 10, source : Enquête Emploi, Insee 2010). Les professions intermédiaires représentent
28% des enquêtés, travaillant pour la plupart dans la santé, le travail social ou l’enseignement.
80% sont des femmes, taux légèrement supérieur à la moyenne nationale dans ces catégories
(67% dans l’enseignement et 78% dans la santé et le travail social). 13% du public se recrute
dans les autres groupes professionnels : employés (7%), artisans, commerçants ou chef
d’entreprise (4%), ouvriers et agriculteurs (2%). Á part les employés, parmi lesquels les
femmes sont surreprésentées (8 sur 10, taux équivalent à la moyenne nationale), ces dernières
catégories sont plus masculines, comme dans la population globale. 11% des enquêtés n’ont
jamais eu d’activité professionnelle (personnes au foyer ou en cours d’études)3.
Le domaine d’activité les plus représenté est l’enseignement et la recherche (on y a
inclus le droit, qui est assez minoritaire), suivi de la santé et du social. Viennent ensuite à part
à peu près égale l’administration, puis les métiers du livre et les activités liées à l’art, la
culture et la communication, celles relevant de l’industrie, le commerce et l’artisanat, et les
étudiants et lycéens.
3 Pour 3% des enquêtés, la PCS n’a pu être codée (informations manquantes).
10
L’importance du capital culturel ressort également du niveau d’éducation globalement
élevé (mesuré selon le diplôme), surtout si l’on prend en considération l’âge des répondants :
sur 10 enquêtés, 5 sont titulaires d’un bac+4 ou plus4 et 3 ont entre bac+1 et bac+3.
Cependant, on compte aussi une part non négligeable de festivaliers (2 sur 10) dont le niveau
d’études est inférieur ou égal au baccalauréat. Parmi les diplômés de niveau supérieur au
baccalauréat, une majorité a suivi des études de lettres/langues ou de sciences humaines et
sociales (55%) et un quart est diplômé en sciences et techniques ou médecine, pharmacie et
métiers de la santé (24%). Suivent les diplômés en économie, gestion, droit ou commerce,
marketing, vente (14%), quelques-uns (7%) ayant suivi d’autres cursus.
Festival de Manosque 2011, place de l’Hôtel-de-Ville, avant le grand entretien avec Philippe Djian © Gisèle Sapiro
4 Trois sont titulaires d’un bac+5, voire d’un doctorat, deux ont un niveau bac+4.
11
LE FESTIVAL EN PRATIQUES
Inscription du festival dans l'espace urbain
L’intégration du festival dans la ville de Manosque le marque d’une singularité, tenant
aussi bien aux particularités de l’espace urbain, qu’à la richesse des aventures littéraires qu’il
offre. Le centre-ville est propice à la circulation des individus. La place Marcel Pagnol se
situant à environ 15 minutes à pied au maximum du Théâtre Jean le Bleu (ce sont les deux
points les plus éloignés), il est possible de circuler aisément et rapidement au cœur du festival.
Cette circulation entre les différentes places, entre lectures et rencontres en plein air,
déjeuners et dîners aux restaurants du centre, contribue également à créer l’ambiance
particulière soulignée par le public lorsque nous posons la question « Qu’est-ce que le festival
de Manosque pour vous ? ». Effectivement, à la différence d’un salon du livre et de
l’apparente industrie du livre qu’il propose, ou du Festival d’Avignon et des longues heures
de queue puis de course entre les différentes pièces, les Correspondances sont plus
tranquilles. Elles offrent régulièrement la possibilité de croiser les écrivaines, de les aborder,
de les voir discuter, au détour d’une rue ou d’une placette, renforçant l’impression d’une
proximité agréable entre l’écrivain·e· et son public. Cette facilité de circulation, dans une
ambiance estivale – le festival se tient fin septembre –, permet aux festivaliers, intervenants et
membres du public, de déambuler d'un événement à l'autre, et aux organisateurs d’imbriquer
les différentes dimensions du festival de manière à dépasser les cloisonnements qui s'élèvent
souvent entre diverses modalités d’expression esthétique.
La forme d’un festival littéraire n’est pas pour autant réductible à sa configuration
territoriale. Si l’importance de l’espace dans lequel il s’organise et se déroule reste un point
assez fréquemment cité parmi les participants-spectateurs, ceux-ci n’hésitent pas pour autant à
se dire marqués par les événements et par les occasions qu’offre le festival d’expérimenter
une nouvelle manière, spécialement collective, d’apprécier la lecture de textes, dont le
prolongement en formes performatives se propose comme modalité de rencontre entre divers
genres et configurations d’expression artistique. De plus, tous les festivaliers n’étant pas de
grands lecteurs, le festival présente une occasion de tisser des liens avec des textes qu’ils
n’auraient peut-être jamais abordés si ces œuvres n’avaient pas été transfigurées pour se
présenter de manière plus directement accessible.
Comment ont-ils entendu parler du festival ?
Le bouche-à-oreille est la première source d’information sur le festival : la moitié des
enquêtés dit avoir eu connaissance du festival par des proches (parmi trois réponses
ordonnées, 38% l’ont indiquée comme source première). La presse constitue la deuxième, en
premier lieu la presse généraliste nationale (14%) et régionale (13%), puis la radio (6%,
France Culture et France Inter sont citées à égalité) et la presse littéraire spécialisée (4%). La
part de la presse littéraire passe à 13% si l’on comptabilise les pages littéraires des grands
12
quotidiens et de Télérama, que nombre d’enquêtés ont rangées en presse littéraire, et que nous
avons reclassées en presse nationale.
L’affiche et/ou le programme apparaissent comme la troisième source d’information
(33%), suivis, pour un quart, des professionnels du livre et de l’édition (bibliothécaires,
libraires, professionnels de l’édition), des enseignants et des associations littéraires (festival
de la Correspondance de Grignan, festival Les Correspondances d'Eastman, association Jean
Giono, Lectures vagabondes, Paris en toutes lettres). Internet joue un rôle assez faible (7%),
l’office du tourisme arrive en dernier (6%). Notons que la télévision ne joue aucun rôle.
Assiduité et renouvellement du public
Le festival compte un public de fidèles, qui revient régulièrement : près de deux tiers
sont venus au moins trois fois, et la moitié en est à sa quatrième édition du festival, voire plus.
2 enquêtés sur 10 y assistent depuis plus de dix ans (ceux qui sont venus il y a plus de cinq
ans pour la première fois sont quasiment tous venus quatre fois et plus). Parallèlement, le
festival attire des nouveaux venus : un quart des enquêtés assistait pour la première fois au
festival en 2011. Ainsi, le public continue de se renouveler, agrégeant des visiteurs
occasionnels aux habitués qui ont une pratique assidue du festival. En effet, trois quarts des
enquêtés restent au moins deux jours, et la moitié trois.
13
Le nombre d’événements auxquels ils ont prévu d’assister est corrélé à leur durée de
séjour ainsi qu’à leur « ancienneté » en tant que festivaliers : 9 enquêtés sur 10 disent vouloir
revenir au festival.
14
De bons élèves
Fidèles, assidus, les festivaliers sont également disciplinés. Si l’édition 2011 s’est
déroulée sous un temps clément de fin d’été – contribuant au succès du festival selon les
organisateurs –, il arrive que la pluie vienne rythmer les lectures. Sans pour autant les
interrompre, ni même les perturber outre mesure. En 2012, pendant une après-midi pluvieuse,
une jeune animatrice des rencontres venue s’abriter au bureau du festival, un brin moqueuse,
avoue son émerveillement pour des festivaliers capables de rester assis pendant plus d’une
heure sous une pluie diluvienne, pour le simple plaisir d’écouter une lecture. La bravoure des
retraités manosquins n’est pas loin de rivaliser avec celle du public étudiant d’un festival de
rock en Bretagne.
Plus généralement, les premières rangées de sièges sont toujours occupées quelques
dizaines de minutes avant le début des événements. Rares sont les festivaliers en retard ou
quittant les rencontres pendant leur déroulement, malgré leur gratuité et l’absence de
démarcation claire entre l’espace de la rencontre et le reste de la ville lors des événements en
plein air. Ils semblent attentifs aux propos des écrivaines et des animateurs. La discipline des
spectateurs des rencontres n’est peut-être pas sans lien avec leur habitus professionnel, c’est-
à-dire la manière dont leurs professions ont sculpté leurs corps, autant que leurs pensées. Un
enquêté sur trois exerce ou a exercé la profession d’enseignant ou de bibliothécaire (voir
supra, p. 9-10), qui impliquent toutes deux des dispositions mentales et corporelles (à la
ponctualité, à l’assiduité, à l’écoute studieuse…) en parfaite harmonie avec la forme des
rencontres. Celle-ci n’est d’ailleurs pas très éloignée de celle d’un cours, et le festival est
peut-être une manière pour eux de retourner sur les bancs de l’école ou d’alimenter leur
travail professionnel. La moitié des bibliothécaires et un enseignant sur dix affirment ainsi
être venus pour des raisons professionnelles.
Les enquêteurs sur le terrain une demi-heure avant un événement place d’Herbès © Gisèle Sapiro
15
Première motivation : rencontrer les auteur·e·s
Une des manières de vérifier l’adéquation de l’offre à la demande est d’étudier la
fréquentation des différentes catégories d’événements. Interrogés sur les types d’événements
auxquels ils avaient ou comptaient assister, 9 enquêtés sur 10 ont indiqué les rencontres avec
des écrivain·e·s et 3 sur 4 les lectures gratuites. Plus de la moitié disent assister (aussi) aux
lectures en scène (payantes) et aux lectures musicales ou lectures projections. Ainsi, c’est bien
le cœur de la proposition, la rencontre avec des écrivain·e·s et la lecture en public, qui suscite
l’intérêt de la plupart des festivaliers. Les expositions, les apéros littéraires et les concerts
payants attirent également une part non négligeable des enquêtés (4 sur 10), mais
secondairement. Les ateliers, les rencontres professionnelles, les visites guidées et sons et
images et les activités pour la jeunesse apparaissent comme des activités annexes qui
n’intéressent qu’une petite fraction du public (1 personne sur 10 environ), qu’elles contribuent
à diversifier (ainsi, les rencontres professionnelles attirent notamment les étudiants de l’IUT
Métiers du livre d’Aix, les activités pour la jeunesse intéressent les familles, etc.).
Les trois quarts des enquêtés déclarent venir au festival pour « rencontrer des auteurs »
(74%), plus de la moitié (56%) souhaitent (aussi) « découvrir de nouveaux livres », la moitié
(48%) mentionne (aussi) « l’ambiance » et un tiers « les différents événements » (31%).
Certains (18%) viennent pour des raisons professionnelles. Seuls 10% déclarent être venus
pour Manosque (balades, visites…) et 3% affirment s’être trouvés là « par hasard ». Enfin,
2% des répondants mentionnent d’eux-mêmes les écritoires comme raison de leur venue. Ils
sont toutefois nombreux à les utiliser : deux tiers des enquêtés – les femmes en particulier –
avaient envoyé une lettre à partir des écritoires ou s’apprêtaient à le faire.
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Festival de Manosque 2011, place de l’hôtel d’Herbès, le comité de lecture des apéros littéraires ©Aude Servais
Festival de Manosque 2011, place de l’hôtel d’Herbès, apéro littéraire du Comité de Lecture ©Aude Servais
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Écritoires dans la ville de Manosque © Gisèle Sapiro
Écritoires au festival de Manosque 2011 © Hélène Seiler
La présence des écritoires semble très importante pour l’inscription du festival dans le
territoire, habillant les lieux de boîtes aux lettres inventives et surprenantes. De nombreux
membres du public évoquent cette spécificité du festival qui permet d’écrire et d’envoyer sa
propre correspondance gratuitement. Les écritoires contribuent à entretenir le sentiment de
convivialité exprimé lors du festival, ainsi que le lien avec des individus qui ne s’intéressent
pas directement à la littérature. L’association du public au geste d'écrire, par les écritoires
comme par les ateliers d'écriture (qui étaient plus nombreux dans le concept d'origine),
maintient par ce biais une ligne de partage entre espace privé et espace public, auquel seul·e·s
accèdent les écrivain·e·s reconnu·e·s comme tel·le·s. Un lien plus fort entre écrivain·e·s
amateur·e·s, que les résultats de l’enquête permettent d’identifier, et écrivain·e·s invité·e·s,
pourrait approfondir le rapport créé entre lecture à voix haute et écriture lors du festival.
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Si l’on se concentre sur les motivations placées par les enquêtés en tête de la
hiérarchie des trois choix possibles, la perspective de « rencontrer des auteurs » demeure
première (36%), suivie de celle de « découvrir de nouveaux livres » (16%), ces deux
motivations étant souvent citées par les mêmes personnes. L’intérêt pour les « différents
événements » arrive cette fois en troisième position (12%), devant « l’ambiance », placée en
premier choix par 10% des enquêtés. 9% placent les raisons professionnelles en tête.
On peut en conclure que les attentes de la majorité du public sont bien ajustées à la
spécificité de la proposition du festival, qui offre l’occasion rare de rencontrer des
écrivaines, non seulement lors des débats et des signatures mais aussi au bar ou dans la rue,
en même temps qu’il permet de découvrir les livres de la rentrée littéraire. L’ambiance et les
différents types d’événements permettent parallèlement d’attirer un public moins familier de
la littérature tout en constituant un atout supplémentaire qui s’ajoute aux motivations
principales de la venue au festival. Ainsi l’ambiance est citée par deux tiers des professions
intermédiaires, contre la moitié des cadres et professions intellectuelles supérieures, qui la
placent le plus souvent en troisième position. Par ailleurs, l’ambiance est plus souvent
mentionnée par les enquêtés qui ne connaissaient pas les auteur·e·s avant d’assister au
festival. Les autres sont plus nombreux à déclarer y être venus pour les rencontrer. Ils sont
aussi plus nombreux à vouloir y découvrir de nouveaux livres.
En effet, le festival est aussi un lieu de sociabilité : on peut s’y rendre en couple
(27% ; c’est le cas de 5 hommes sur 10 vs 2 femmes sur 10) ou en famille (12%), mais la
majorité des enquêtés déclare y aller (aussi) avec des amis (40% ; c’est le cas de 5 femmes sur
dix vs 2 hommes sur 10), tandis que 18% s’y rendent parfois seul, plus rarement (3%) avec un
groupe.
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On y vient également pour discuter littérature (seul 1 enquêté sur 10 déclare n’avoir
discuté littérature avec personne). Les enquêtés déclarent avoir, au cours du festival, échangé
sur ce sujet avec des proches pour trois quarts d’entre eux, mais une partie d’entre eux ont
(aussi) échangé avec des membres du public qu’ils ne connaissaient pas auparavant (4 sur 10)
et/ou avec un·e auteur·e invité·e (3 sur 10). 1 sur 10 a échangé avec un critique, autant avec
un·e auteur·e amateur·e et 1 sur 10 aussi avec un éditeur.
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Sociabilité à l’inauguration du festival de Manosque 2011, place de l’Hôtel-de-Ville © Gisèle Sapiro
Festival de Manosque 2011, place d’Herbès, séance de dédicaces avec Kamel Daoud © Gisèle Sapiro
Festival de Manosque 2011, théâtre Jean le Bleu,
séance de dédicaces avec Antonio Altarriba ©Aude Servais
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Lors des rencontres et des lectures, plus de la moitié (55%) disent avoir été intéressé
par « cet écrivain en particulier » et autant par « le thème du livre ou de la lecture » (mais
29% ont choisi en premier l’écrivain·e·, alors que seuls 18% ont placé le thème en tête). La
« discussion entre l’écrivain et le public » constitue le troisième sujet d’intérêt le plus cité
(41%), suivi de « comment travaille un écrivain » (34%) et « découvrir la littérature
d’aujourd’hui » (32%). « L’artiste ou le comédien » arrive en dernière position (24% le
mentionnent, mais seulement 6% en premier choix).
Les discussions entre écrivain·e·s et festivaliers
Festival proposant une sélection issue de la rentrée littéraire, Les Correspondances de
Manosque articulent leur programmation autour d’ouvrages que le public ne connaît pas
encore ou dont il a pris connaissance à l'annonce du programme. Les résultats fournis par
l’exploitation du questionnaire montrent que le cœur du public fait confiance et adhère, année
après année, à la proposition littéraire du festival. Cependant, cette spécificité se ressent dans
l’organisation des rencontres avec les auteur·e·s. La lecture de leurs livres par les modérateurs
est ainsi déterminante, puisqu’une grande part de la rencontre se concentre sur la présentation
de la narration, des thématiques abordées, en rapport avec le reste de l’œuvre s’il ne s’agit pas
d’un premier roman. Il importe que le public puisse saisir les enjeux abordés par l’écrivain·e·,
son rapport à l’espace littéraire et la situation qu’il y occupe. Lors des rencontres croisées, le
commentateur doit parfois concilier de manière suffisamment descriptive des histoires, des
styles très différents. L’exercice peut alors s’avérer difficile, l’échange peinant à se mettre en
place, car les deux écrivain·e·s sont contraint·e·s, en quelque sorte, par une narration
relativement inflexible.
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L’unité entre les propositions très diversifiées offertes par le festival est maintenue par
la centralité du roman contemporain, maintes fois réaffirmée. Si certain·e·s auteur·e·s
s’approchent d’autres univers stylistiques, leur lien au roman est rappelé. Par exemple, le
terme plus noble de « roman graphique » est préféré à celui de « bande dessinée », le roman
noir est évoqué, mais uniquement pour indiquer que l’auteur·e en détourne les codes afin de
créer autre chose. Nombre de membres du public déclarent l’auteur·e comme l’une des
principales motivations de leur venue aux événements et mettent en avant le rapport de
proximité que le festival rend possible. Dans leurs réponses aux questions « Quelles sont vos
impressions sur le festival » et « Qu’est-ce que le festival pour vous ? », l’auteur·e semble
également primordial·e :
« Une grande fête autour de la littérature, des échanges autour du lire-écrire, des liens, la
possibilité de voir et d'écouter des auteurs. » (institutrice à la retraite, 53 ans)
« Un lieu pour faire plaisir aux gens : ceux qui reçoivent des lettres. Un lieu pour découvrir de
nouveaux auteur·e·s; nouveaux = que l'on ne connait pas. » (femme, cadre dans une entreprise, 54
ans)
« Excellente manifestation permettant des rencontres avec des textes, des auteurs et des
passionnés de lecture, de littérature. Moment suspendu dans une sorte de république du livre. »
(enseignante du supérieur à la retraite, 69 ans)
« Le meilleur moment de l'année à Manosque ! L'occasion de découvertes d'écrivains et de
rencontres personnelles avec eux, dans un climat convivial et libre. » (homme, cadre dans le
secteur privé à la retraite, 69 ans)
« De belles rencontres, des découvertes, une parenthèse dans le quotidien. » (éducatrice, 53 ans)
« Grand moment de décontraction ou l'on glane d'une place de Manosque à une autre, une
rencontre, une découverte avec un texte ou un auteur. N'étant pas totalement introduite dans le
monde littéraire, ni même son actualité, j'aime ce sentiment de mise en présence des auteurs et de
leurs œuvres que j'aborde sans a priori. » (agricultrice, 54 ans)
« Un lieu agréable ou rencontrer des écrivains dans un festival à taille humaine. » (enseignante du
secondaire, 37 ans)
« C'est la rencontre avec la Culture, le monde littéraire et la proximité avec les auteurs et
comédiens. » (institutrice à la retraite, âge inconnu)
Quoique le temps imparti au dialogue entre les écrivain·es et le public soit restreint, les
discussions informent également ce ressenti. Puisque la plupart des individus assistant aux
lectures n’ont pas encore lu les livres, c’est bien la rencontre avec la figure de l’auteur·e qui
contribue à l’envie de le lire en particulier. Les questions posées aux écrivain·e·s, toujours
bienveillantes, illustrent souvent l’intérêt que porte le public à leur personne. Mises à part les
demandes de précisions à propos d’un échange spécifique, les questions abordent
généralement le rapport personnel de l’auteur·e à son œuvre, sa vocation, à l’écriture, à la
littérature et à ses personnages. Les écrivain·e·s étrangers, moins nombreux, sont quant à eux
souvent interrogés sur leur pays d’origine, ou sur leur rapport à la langue. Leur littérature
semble alors plus facilement abordée à travers les thématiques de l’altérité, de l’exotisme, du
message politique. De la même manière, les auteur·e·s abordant la littérature de façon plus
universitaire, et non à travers le roman, sont questionnés sur leur sujet d’étude, et non sur leur
personne ou sur leur subjectivité, ils ne semblent pas véritablement apparaître comme
« écrivains » aux yeux du public.
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Shumona Sinha et Dinaw Mengestu interviewés par Pascal Jourdana au festival de Manosque 2011© Gisèle Sapiro
Éric Reinhardt interviewé par Michel Abescat au festival de Manosque 2011© Gisèle Sapiro
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Une journée aux Correspondances : formes et espaces de rencontre entre écrivain·e·s et
festivaliers
Selon les lieux et les moments, les rencontres entre écrivain·e·s et festivaliers prennent
de multiples formes, allant du simple échange de regard curieux entre anonymes à la
discussion prolongée entre amoureux du livre. On en rendra compte en reconstruisant une
journée idéal-typique du festival, à partir d’observations ethnographiques réalisées tout au
long de l’édition 2011 et complétée pendant deux jours en 2012.
De onze heures à midi le Comité de lecture organise son « apéro » : quelques
auteur·e·s sélectionné·e·s par le comité, sur proposition du festival, deviennent spectateurs de
leurs propres œuvres en se faisant voler la vedette par des lecteurs interprétant, comme lors
d’un carnaval, des rôles et des situations éloignés d’eux socialement. L’intimité de la situation
est redoublée par les hésitations des lectures amateurs et le choix fréquent de textes poliment
érotiques. À ce dernier élément près, les assiettes en carton et les verres en plastique attendant
au bord de l’estrade, l’ambiance est proche de celle d’une fête de l’école. Les lectures
achevées, les dédicaces commencent dans la précipitation des piétinements vers le buffet.
Quelques minutes plus tard, le calme revient avec la dispersion des festivaliers les moins
assidus ou se hâtant d’aller déjeuner pour être sûrs de trouver une place assise aux événements
de l’après-midi. Autour d’un verre, écrivain·e·s amateur·e·s et professionnel·le·s peuvent
discuter si ce n’est entre pairs, du moins entre initiés. Et peut-être avec l’espoir, pour les
amateurs, de devenir un jour de « vrai·e·s » écrivain·e·s, en bénéficiant de conseils experts ou
en nouant de nouvelles relations. Une festivalière encourage ainsi son conjoint à présenter son
roman autoédité à René Frégni, la célébrité locale des Correspondances. Le couple est venu
d’Aix-en-Provence pour l’occasion. Malgré les hésitations du conjoint, et grâce à l’entremise
de son épouse, l’auteur est séduit et le rendez-vous pris. Ils déjeuneront à deux pas de
l’« apéro », au restaurant de la place de l’Hôtel-de-Ville, là où commencera bientôt la
première « rencontre » de l’après-midi. Le fait sort de l’ordinaire : écrivain·e·s et festivaliers
partagent les terrasses des cafés, mais très rarement leurs tables.
Lors des « rencontres », les auteur·e·s reprennent leurs droits. Montés sur scène en
qualité d’écrivain·e·s, ils parlent de leur métier et des singularités de leurs vies personnelles,
devant un public redevenu collectif et anonyme. Contrairement à une idée reçue, il est tout à
fait possible de circuler à Los Angeles en bus, affirme un auteur ayant choisi la ville comme
décor de son dernier roman. Le parterre écoute religieusement, semble conquis. Plus tard, il
rira. Un autre écrivain décrit les différences entre l’écriture de livres pour enfants et pour
adultes, ainsi que son goût pour la lecture de ses textes par des comédiens. Les dernières
minutes de la rencontre sont consacrées aux questions du public qui, comme celles des
journalistes animateurs de la rencontre, peuvent porter soit sur les romans, soit sur la vie
personnelle de l’écrivain·e·. Souvent, les festivaliers commencent par déclarer leur amour du
livre ou de l’œuvre, dont ils sont des lecteurs assidus : « J’ai lu tous vos livres. »
Entre deux rencontres, écrivain·e·s et spectateurs se croisent en silence dans la rue, où
ils n’échangent généralement qu’un regard de passant à passant. Les festivaliers peuvent
ensuite vérifier si la personne croisée est bien un·e· écrivain·e· et l’identifier à l’aide des
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photographies placardés – un peu à la manière d’avis de recherche – sur la devanture du
bureau du festival, à l’entrée de la place principale. Réalisés à des fins promotionnelles par les
maisons d’édition, ces portraits sont révélateurs de la relative diversité des propriétés sociales
(âge et sexe principalement) et des « postures » des écrivain·e·s invité·e·s au festival. Les
auteur·e·s s’y distinguent tout particulièrement par leurs manières plus ou moins franches
d’affirmer leur appartenance au monde séparé de la littérature. Leurs poses, leurs tenues
vestimentaires et les décors des photographies expriment ainsi leur distance ou leur proximité
au rôle de l’écrivain·e· (voir l’encadré 1, infra p. 26).
Actes de positionnement dans le champ littéraire, les portraits laissent également
entrevoir la variété des attitudes adoptées par les écrivain·e·s dans leurs relations avec les
festivaliers. L’attitude des auteur·e·s varie en fonction de leur capital symbolique, de leur
fidélité au festival, de leur familiarité avec les organisateurs et de leur distance sociale par
rapport au public. Marie Darrieussecq, un des grands « noms » de l’édition 2011, refuse par
exemple toute question ou discussion avec les festivaliers, comme le répètent à plusieurs
reprises les organisateurs avant sa venue. Son séjour se limite à quelques heures. Les
écrivain·e·s les plus jeunes semblent être les plus enclins à séjourner plusieurs jours à
Manosque et à interagir avec les festivaliers, leur investissement pouvant les mener jusqu’au
travail bénévole. Pendant toute la durée du festival, François Beaune assure ainsi le service au
bar des Correspondances, où il peut discuter avec des Manosquins comme avec des
professionnels. Invité aux Correspondances pour chacune des parutions de ses deux romans,
l’auteur a bénéficié d’une résidence à Manosque lui ayant permis, selon le site internet du
festival, « de rencontrer les Manosquins à travers différentes lectures publiques, ateliers et
récolte d'"Histoires Vraies" ». Soixantenaire, Manosquin, ancien infirmier, auteur de romans
ayant pour décor le sud de la France, René Frégni est l’écrivain le plus proche socialement et
géographiquement du public des Correspondances. Cette proximité se traduit par de
nombreuses discussions, plus ou moins longues, avec les festivaliers qu’il connait
personnellement pour beaucoup et tutoie souvent avec l’accent du sud. La distance avec le
monde littéraire parisien qu’il revendique trouve ainsi à s’exprimer dans des interactions avec
les festivaliers bien plus intenses que celles des autres auteur·e·s invité·e·s. Les cas de
François Beaune et de René Frégni montrent l’importance de la durée du séjour des auteur·e·s
à Manosque sur la fréquence et sur la nature de leurs échanges avec les festivaliers. Les
organisateurs des Correspondances en sont conscients et encouragent les longs séjours par
diverses rémunérations symboliques et économiques, allant de la prise en charge de tous les
repas au restaurant à l’octroi de résidences.
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Encadré 1. Portraits de l’écrivain·e· en écrivain·e·
© Benjamin Chelly © .Hélie Gallimard
Les portraits de Véronique Ovaldé et de François Beaune exemplifient deux stratégies
publicitaires antagonistes. La bibliothèque et la table de travail de la première photographie ne
laissent quasiment aucun doute sur la profession de la femme représentée. Véronique Ovaldé
s’apprête à replonger dans la lecture, à moins que sa main cachée ne tienne le stylo qui lui servira à
écrire. Outre le statut d’écrivain, le décor et la pose établissent une distance par rapport au monde
profane : l’angle de son bras, le bureau vide et les lignes de fuite de la bibliothèque séparent l’auteure
du visiteur, nulle fenêtre ne laisse pénétrer le monde extérieur et la seule lumière autorisée semble
être celle d’une lampe de travail, auréolant l’écrivaine, comme un symbole de sa flamme intérieure. Á
l’inverse, le portrait de François Beaune pourrait figurer sur une pochette de disque de chanteur
français autant que sur le site d’une maison d’édition. Seuls ses cernes, sa barbe de trois jours et son
allure savamment négligée trahissent peut-être une nuit passée à écrire. L’art semble ici enfin
confondu avec la vie, et la page blanche de l’écrivain part en lambeaux sur une palissade.
En fin d’après-midi, devant la librairie de la place principale, un apéritif en plein air
offre une nouvelle occasion d’interaction entre les écrivain·e·s et les festivaliers, dans des
conditions semblables à celles de l’« apéro » du matin. Les festivaliers, écrivains·e·,
organisateurs et bénévoles présents y discutent par groupes de trois ou quatre personnes en
moyenne. La barrière symbolique séparant la scène du public, les auteur·e·s des lecteurs, est
une nouvelle fois temporairement levée. Mais les groupes se mélangent rarement. Ils se
pressent d’ailleurs d’aller diner avant les spectacles de la soirée.
Lors des lectures et concerts payants du soir, des comédiens et musiciens
professionnels remplacent les auteur·e·s sur scène. À nouveau en position de spectateurs, les
(quelques) écrivain·e·s présent·e·s ne l’occupent pas exactement de la même manière que les
festivaliers. Ils choisissent généralement les sièges les plus éloignés de la scène, malgré les
dimensions imposantes de la salle. Durant le spectacle, ils discutent plus souvent que les
autres spectateurs. De tels comportements s’expliquent notamment par les particularités de
leurs conditions d’accès au spectacle. Contrairement au reste du public, ils ne payent pas, ne
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doivent pas faire la queue pour retirer leurs billets, peuvent se décider à la dernière minute et
arrivent par conséquent plus tardivement dans la salle. Mais leur attitude pourrait également
exprimer la distance qu’ils entendent garder par rapport aux manifestations commerciales et
« grand public » (selon les organisateurs) du festival des Correspondances.
La suite de la soirée se déroule au bar des Correspondances, situé au sous-sol du même
théâtre. Le bar n’attire qu’une très faible proportion des spectateurs de la soirée, et surtout
pour sa fonction de librairie. Quelques dizaines de minutes après la fin du spectacle, les rares
curieux et les festivaliers venus acheter un livre quittent les lieux. La faible fréquentation du
bar par le commun des festivaliers peut être imputée à leur âge, au fait qu’ils doivent regagner
leur domicile situé généralement à la périphérie de Manosque ou dans le reste de la région,
ainsi qu’à la frontière qui les sépare des « insiders », symbolisée par l’escalier menant au bar.
La population présente dans le bar se compose alors essentiellement de professionnels de
l’édition, des organisateurs et bénévoles des Correspondances, des plus jeunes fractions des
festivaliers (qui en sont aussi les moins assidues) et, lors des deux dernières éditions, du
personnel de la présente enquête. En tout, quarante à cinquante personnes se répartissent dans
la salle en fonction de leur proximité au monde éditorial. Les alentours du bar sont
principalement occupés par les écrivain·e·s et les professionnel·le·s de l’édition, debout ou
assis en petits groupes sur des chaises hautes. À l’autre extrémité de la pièce, en ordre
dispersé, le plus souvent assis sur des chaises basses à côté de la piste de danse, se tiennent les
enquêteurs et quelques jeunes Manosquins. Les deux parties de la pièce sont séparées par les
tables de la librairie où sont présentés les livres des écrivain·e·s invité·e·s. Lors de la dernière
édition, les portraits de grand format d’une dizaine d’entre eux bordaient également la piste de
danse. Les circulations vers le bar et la piste de danse abaissent les barrières spatiales et
symboliques entre écrivain·e·s et non écrivain·e·s. Les bénévoles et les organisateurs jouent
aussi un rôle important de médiation entre ces deux pôles, en donnant le départ de la danse –
ce que ne font jamais les écrivain·e·s – ou en présentant les individus entre eux. Les
rencontres entre écrivain·e·s et festivaliers (ou « para festivaliers ») peuvent une nouvelle fois
prendre des formes variées : échanges de regards, danses, conversations et flirts. Le bar est le
lieu d’expression par excellence des différentes postures d’écrivain·e·s décrites plus haut. Les
conversations peuvent être personnelles ou porter sur l’écriture et le milieu éditorial. La soirée
peut être l’occasion pour les auteur·e·s présent·e·s de nouer de nouvelles relations dans le
champ éditorial. À une heure parfois avancée de la nuit, seuls ou en groupes, les écrivain·e·s
regagnent leurs hôtels en traversant les rues désertées du centre-ville.
Les Correspondances offrent ainsi diverses configurations d’échange entre les
écrivain·e·s et leur public. L’alternance entre des instants de suspension et de réaffirmation de
la distance sociale entre les festivaliers et les écrivain·e·s d’une part, et entre les mondes sacré
(des écrivain·e·s professionnel·le·s) et profane (des lecteurs et écrivain·e·s amateur·e·s)
d’autre part, contribue sans doute pour beaucoup à « l’ambiance » de « rencontres » si prisée
par les festivaliers. Cette oscillation est grandement favorisée par les caractéristiques spatiales
et temporelles du festival.
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Les auteur·e·s connu·e·s du public
Les membres du public connaissaient-ils les écrivain·e·s invité·e·s avant de les
rencontrer ? Seuls 15% des enquêtés ont déclaré ne connaître aucun des auteur·e·s invité·e·s
(mais 10% de ceux qui ont dit en connaître n’ont cité aucun nom). Plus de la moitié (56%)
affirmaient en connaître trois ou plus, et un cinquième six et plus. Sur 45 auteur·e·s invité·e·s,
un quart (11) ont été cité·e·s par au moins 10% de festivaliers, dont quatre par 25% et plus :
Véronique Ovaldé (41%), René Frégni (28%), Marie Darrieussecq (26%) et Philippe Djian
(25%). Ce ne sont pas les mêmes enquêtés qui citent ces noms : environ 80% personnes ayant
cité le nom de René Frégni, écrivain installé à Manosque, résident en Provence-Alpes-Côte
d’Azur, contre deux tiers pour Véronique Ovaldé et Marie Darrieussecq, et 70% pour Philippe
Djian (ce dernier taux correspondant à la part globale des enquêtés résidant dans la région).
Seul·e·s trois auteur·e·s n’étaient connu·e·s d’aucun enquêté.
0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50%
Brigitte Giraud
Christian Oster
Eric Reinhardt
Jean Rolin
Carole Martinez
François Beaune
Lydie Salvayre
Philippe Djian
Marie Darrieussecq
René Frégni
Veronique OvaldéVéronique Ovaldé
René Fregni
Philippe Djian
Marie Darrieussecq
Lydie Salvayre
François Beaune
Carole Martinez
Jean Rolin
Eric Reinhardt
Christian Oster
Brigitte Giraud
Auteurs invités les plus spontanément cités
De bas en haut et de gauche à droite :
C. Oster ©Patrice Normand ; B. Giraud ©Francesca Mantovani ; É Reinhardt ©Francesca Mantovani ;
J. Rolin ©Hélène Bamberger / P.O.L. ; F. Beaune ©Hélie/Gallimard ; L. Salvayre ©Didier Gaillard ;
C. Martinez ©Hélie/Gallimard ; P. Djian ©Hélie/Gallimard ; M. Darrieussecq ©Hélène Bamberger / P.O.L. ;
R. Frégni ©Hélie/Gallimard ; V. Ovaldé ©Benjamin Chelly
La capacité à citer des auteur·e·s augmente avec le niveau d’étude, ceux qui ont fait
des études de lettres, langues étant les plus à même de citer des noms d’écrivain·e·s au-delà
des dix les plus cités. Il s’agit en bonne partie d’un public assez averti, qui s’intéresse à la
littérature contemporaine, comme le montrent les réponses aux questions sur la lecture, qu’on
va examiner à présent.
29
La mise en lumière d’une littérature novatrice
L'intérêt du public pour les auteur·e·s soulève la question de la programmation des
correspondances. Il est évident que chaque programme ne doit rien au hasard, et qu’il est au contraire
le fruit d’un travail de veille et de critique littéraire. Penchons-nous dans un premier temps sur les
étapes qui balisent la construction d’un programme et sur les critères retenus dans la sélection des
auteur·e·s. Dès mi-juillet, un premier tri est fait dans les catalogues et annonces de titres pour les
sorties littéraires de septembre. Les critères retenus pour ce premier écrémage étant vraisemblablement
la connaissance et l’appréciation des ouvrages précédents des auteur·e·s, ainsi que la réputation
littéraire des maisons d’édition. À ce stade de la sélection, il ne s’agit encore que d’hypothèses. En
effet, toute venue à Manosque ne signifie pas une réinvitation automatique, même si elle constitue un
avantage. Entre 100 et 150 titres sont retenus et lus avec attention par les trois membres du comité : 45
seulement seront sélectionnés. Chacun de ces lecteurs est à l’affût d’une dimension esthétique et d’une
qualité d’écriture en accord avec ses propres schèmes d’appréciation et sa définition de la littérarité.
En outre, le comité va s’attacher à la recherche d’une certaine originalité dans la thématique comme
dans la forme. D’où un intérêt prégnant pour les auteures faisant preuve de performances littéraires et
des prises de risque réussies. Parmi eux, Lydie Salvayre avec Hymne (Éditions du Seuil) ou encore
Christian Oster avec Rouler (Éditions de l’Olivier), lesquels dédaignent les procédés de narration
classiques et s’affranchissent d’un horizon d’attente normatif. L’accent est aussi porté sur des
auteur·e·s et artistes qui renouvellent les pratiques littéraires par l’interdisciplinarité. C’est le cas
notamment de Rocé, qui désamorce les clivages tant esthétiques que culturels et sociaux entre le rap et
la poésie (« L’être humain et le réverbère », Big Cheese records, 2010). Au-delà des critères
rationnels, ce sont des appréciations émotionnelles qui confirment ces choix, ces derniers étant plutôt
portés par ce que le comité nomme des « coups de cœur ». Ainsi, les réactions personnelles se
conjuguent à la reconnaissance d’une œuvre littéraire de qualité qui répond à ce qu’on peut appeler
une logique novatrice, en ce qu’elle défie les procédés littéraires classiques.
Reste à comprendre qui sont les auteur·e·s sélectionné·e·s et si cette population révèle des
tendances, voire une position similaire dans l’espace littéraire. Cette sélection met en évidence une
population d’auteur·e·s (40% étaient des femmes en 2011), dont la position est à l’image de leurs
textes en ce qu’elle ne fait guère consensus. En effet, le choix des auteur·e·s est lui aussi une prise de
risque ; aux mastodontes ultra reconnus et consacrés on préférera des profils moins connus et plus
atypiques, mais pas pour autant avant-gardistes ou évoluant dans un circuit underground. Les
auteur·e·s qui sont présenté·e·s à Manosque sont plutôt des auteur·e·s en voie de consécration. On a
deux types d’auteures que l’on identifiera selon leur âge et leur entrée dans l’espace littéraire
professionnalisé : les nouveaux entrants et les écrivaines situé·e·s au pôle de production restreinte du
champ littéraire, selon l'expression de Pierre Bourdieu, c'est-à-dire inscrits dans le circuit de
reconnaissance à long terme – à l'opposé du circuit de grande production caractérisé par la rotation
rapide à court terme.
D’une part, ce sont de jeunes auteures, qu’il s’agisse de l’âge biologique ou de l’âge social,
calculé en rapport avec leur position dans l’espace littéraire et leur degré de notoriété. Pour la session
2011, sur les 45 auteur·e·s, 5 ont entre 32 et 37 ans, 19 entre 37 et 42 ans. On a pu remarquer la place
importante accordée aux premiers romans (sachant que le festival de Manosque ne s’établit pas sur
cette thématique, comme c’est le cas pour le festival de Chambéry) et aux jeunes auteur·e·s. Ainsi, sur
les 45 auteures invité·e·s, 8 jeunes (ayant entre 37 et 42 ans) ont publié leur premier roman après
2005, autrement dit à une époque où ils étaient trentenaires. On peut voir dans l’intégration de ces
nouveaux venus et débutants une logique du pari, de l’investissement audacieux, du fait de leur faible
30
notoriété auprès du public. D’autre part, sont invité·e·s des auteur·e·s plus âgé·e·s qui, par leurs choix
d’écriture exigeants, se situent au pôle de production restreinte du champ littéraire, à l’écart des
circuits de grande diffusion Ils sont présents depuis plus longtemps dans l’espace littéraire, la plus
ancienne date d’entrée en littérature, selon la première publication, remontant à 1982.
Au-delà de ces distinctions, les deux profils révèlent des similitudes concernant les nombres
d’ouvrages publiés et les prix littéraires obtenus. La majeure partie les auteur·e·s sélectionné·e·s par le
comité ont publié relativement peu de romans : 27 ont publié moins de dix romans. Concernant les
prix, ils ne sont guère nombreux à en avoir reçu au moins un : c’est le cas de 26 contre 19 non primés
(soit 58% de notre population). Parmi ces récompenses, aucune de celles qui rythment les rentrées
littéraires et les stratégies éditoriales : Interallié, Renaudot, Goncourt (à l’exception d’Alexis Jenny qui
a eu le prix Goncourt après Manosque), etc. En revanche, les écrivaines invités ont plutôt remporté
des prix dérivés des précédents, mais moins visibles, comme le Goncourt des nouvelles ou le Goncourt
et le Renaudot des lycéens, ou encore des prix plus discrets mais reconnus dans l’espace littéraire, tels
que les prix de la Société des Gens de Lettres, Wepler ou Novembre.
Les librairies le Poivre d’Âne à Manosque et le Petit Pois à Manosque © Gisèle Sapiro
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PRATIQUES DE LECTURE ET PRATIQUES CULTURELLES DES FESTIVALIERS
Un public de lecteurs
De l’intensité des pratiques de lecture des festivaliers témoigne tout d’abord leur
fréquentation assidue des bibliothèques, qui est beaucoup plus élevée que la moyenne
nationale, et même que celle de la moyenne des cadres et professions intellectuelles – un écart
qui peut s’expliquer en partie par la surreprésentation des femmes dans notre population, mais
aussi par l’objet même du festival, plus susceptible d’attirer les amateurs de livres que ceux
qui n’en lisent pas. 6 enquêtés sur 10 déclarent être inscrits dans une bibliothèque (59%,
contre une moyenne nationale de 17%, qui monte à 21% pour les professions intermédiaires et
28% pour les cadres et professions intellectuelles). Un quart dit avoir fréquenté une
bibliothèque au moins une fois par semaine au cours des douze derniers mois (24%, contre
une moyenne nationale de 7%, qui s’élève à 14% pour les cadres et professions intellectuelles
supérieures5) ; près d'un tiers environ une ou deux fois par mois (contre une moyenne
nationale de 11%, s’élevant à 17% pour les cadres et professions intellectuelles). 12% y sont
allés plus rarement. Seuls 22% déclarent n’avoir jamais ou pratiquement jamais été en
bibliothèque au cours de la dernière année (contre une moyenne nationale de trois quarts,
tombant à 55% pour les cadres et professions intellectuelles). 11% n’ont pas répondu à cette
seconde question (principalement ceux n’ayant pas de carte de bibliothèque).
5 Parmi nos enquêtés, 25% des cadres et professions intellectuelles supérieures et 20% des professions
intermédiaires ont déclaré aller en bibliothèque environ une fois par semaine ou plus.
32
Un tiers des enquêtés déclare lire en moyenne un livre par semaine (24%) voire plus
(10%). Un autre tiers lit deux livres par mois. Un cinquième lit un livre par mois, un dixième
un livre par trimestre, un petit nombre (3%) un livre par semestre.
Parmi les catégories d’ouvrages qu’ils lisent le plus, 70% des enquêtés indiquent le
roman (autre que policier ou d’espionnage), et 42% le placent en tête des trois choix
possibles. Près de la moitié d’entre eux mentionne aussi les œuvres de la littérature classique
française ou étrangère. Dans les deux cas, la proportion est deux fois supérieure à la moyenne
nationale et nettement au-dessus de la catégorie des cadres et professions intellectuelles
supérieures, qui est de celles qui lisent le plus ce type d'ouvrage. Un tiers des enquêtés
désignent les polars ou les romans d'espionnage parmi les trois catégories d’ouvrages qu’ils
lisent le plus (ce qui correspond à la moyenne nationale). Environ un cinquième ou un peu
moins indiquent les essais politiques, philosophiques et religieux (22%, contre 16% de la
moyenne nationale), les livres d'art ou de photographies (22%), la poésie (18%, soit deux fois
plus que la moyenne nationale), les albums de BD (17%, ou 20% avec les mangas et les
comics), des livres sur l’histoire (16%), ou des livres de développement personnel et de
psychologie (16%). Un sur dix cite les livres pratiques (13%), les livres pour enfants (11%),
Encadré 3. Le comité de lecture de bibliothèque d’Herbès
Á première vue les habitants de Manosque constituent un public non professionnel plus ou moins
investi dans le festival. Au sein de ce noyau, constitué d’amateurs, de lecteurs, ou d’écrivain·e·s en
herbe, se démarque un groupe d’une quinzaine de manosquines, qui participe pleinement au festival
tout en gardant une position périphérique. Il s’agit du comité de lecture de la bibliothèque d’Herbès,
dont l’existence (bien qu’extérieure au festival en ce que le comité lui survit le reste de l’année) puise
dans Les Correspondances toute sa vitalité (Pour une description des lectures, voir infra p. 24, « Une
journée aux Correspondances, formes et espaces de rencontres entre auteur·e·s et festivaliers).
L’apparition du comité de lecture en 2002 résulte d’une double volonté : d’une part, celle des habitants
manosquins pourvus d’un fort capital culturel et dont les pratiques littéraires sont intrinsèquement liées
à la fréquentation de la bibliothèque ; d’autre part, celle de la municipalité, laquelle cherche à faire
participer la population locale et à développer le dynamisme culturel. Mais elle attire très vite
l’attention des organisateurs du festival qui trouvent dans cette initiative un écho favorable à
l’événement ainsi que la possibilité d’intégrer pleinement ce dernier dans les pratiques culturelles et
sociales des habitants. Ces prestations, initialement autodidactes, sont rapidement prises en main par
Les Correspondances qui vont leur donner un tour plus professionnel et structuré en proposant les
services d’un comédien dès la deuxième session et en instaurant un calendrier de cycles de lectures,
réunions et répétitions. Et si la programmation et le choix des textes restent la propriété des
organisateurs du festival (puisqu’il s’agit des lectures d’auteur·e·s invité·e·s), la préparation des
lectures demeure un enjeu que le comité de lecture de la bibliothèque prend très au sérieux, mais
également très à cœur. En témoigne l’investissement dont font preuve les membres du comité en
préparant les apéros littéraires eux-mêmes et à leur frais depuis huit ans ; une initiative doublement
efficace en ce qu’elle dynamise et rend plus attractive les lectures, et en ce qu’elle développe leur
propension à s’investir dans le festival et à participer à sa pérennisation selon une logique
désintéressée.
33
les livres de reportage ou d’actualité (9%), ou encore les livres scientifiques, techniques ou
professionnels (9%). 15% préfèrent une autre catégorie que celles recensées ici.
Ces préférences varient selon le sexe, comme dans la population globale : la part des
lectrices déclarant lire le plus souvent cette catégorie est proportionnellement supérieure à
celle des lecteurs pour les romans autres que policiers ou d’espionnage (76% des femmes
contre 52% des hommes l’ont choisie), la littérature classique (48% contre 33%), les livres de
développement personnel (19% contre 6%), les livres pour enfants (12% contre 7%) ; elle est
deux fois inférieure à celle des hommes pour les essais politiques, philosophiques et religieux
(34% contre 18%), la BD (24% contre 14%), les livres scientifiques (19% contre 5%) ; elle
est équivalente pour les polars et romans d’espionnage, la poésie, les livres d’art.
La littérature contemporaine d’abord
Parmi les catégories de romans qu’elles ou ils lisent le plus (trois choix étaient
possibles), deux tiers mentionnent les romans contemporains français (39% les placent en
première position) ; plus de la moitié (54%) citent les romans étrangers contemporains (30%
en première position) ; les romans de grands auteurs français du xxème
siècle sont cités par
près de la moitié (48%, 20% en première position), ceux de grands auteurs étrangers du xxème
par 38% (13% en première position). Un quart (28%) cite les prix littéraires (11% en tête). En
revanche, une faible proportion des enquêtés a cité les romans historiques (13%), la science-
fiction et fantasy (10%), les biographies romancées (8%), les autres genres de romans (8%) et
le romans sentimentaux type Harlequin (2%), ces catégories ne dépassant pas 4% en premier
choix.
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Comparés à la moyenne nationale, les festivaliers enquêtés lisent nettement plus de romans
contemporains, français et étrangers. Ils sont par contre beaucoup moins nombreux à se
déclarer lecteurs de romans de genres plus populaires (romans historiques, de science-fiction,
heroic-fantasy et horreur, biographies romancées et romans sentimentaux du type Harlequin).
Des lecteurs de la presse écrite
Ce sont aussi des lecteurs de la presse écrite, avec une nette préférence pour la presse
de gauche et centre gauche. Deux tiers d’entre eux déclarent lire des quotidiens : la moitié lit
la presse quotidienne nationale et un quart la presse quotidienne régionale. Plus précisément :
un tiers lit Le Monde, un quart Libération et La Provence, les quotidiens gratuits ne
représentent que 12%, seuls 4% lisent Le Figaro, ils sont autant à lire L’Humanité. 70%
déclarent lire des hebdomadaires ou mensuels : un quart lit Le Canard enchaîné (26%), autant
Le Nouvel Observateur (24%) ; entre un et deux sur dix lisent Les Inrockuptibles (14%) et
Marianne (12%), la part des lecteurs de L’Express (7%) et Le Point (6%) étant beaucoup plus
faible. Près d’un quart (22%) cite Télérama comme autre hebdomadaire lu.
Enfin, près de la moitié (47%) lit des journaux ou magazines spécialisés dans la
littérature (la moitié des femmes et le tiers des hommes) : Le Monde des livres arrive en tête
(24%), suivi de Lire (13%), Le Magazine littéraire (12%) et Le Matricule des anges (12%).
Moins largement diffusée et touchant un public plus restreint, La Quinzaine littéraire n’est lue
que par 2% des enquêtés. Notons que seuls 3% lisent Le Figaro littéraire (dont la moitié
déclare aussi lire Le Monde des livres).
Des habitués des festivals… de préférence dans leur région
Les individus ayant répondu au questionnaire sont pour la plupart des habitués des
festivals : 8 sur 10 ont assisté à un festival durant les douze mois précédents. Les
Correspondances de Manosque. 4 sur 10 se sont rendus à un festival de théâtre, danse ou art
35
de rue, le festival d’Avignon étant le plus cité (104 personnes l’ont mentionné à titre
d’exemple, soit près d’un quart de notre population). 1 enquêté sur 3 a assisté à un festival de
musique classique, d’opéra ou de jazz (2 sur 10 mentionnent la musique classique, les
festivals les plus cités étant La Roque d'Anthéron et Aix; 1 sur 10 un festival de jazz). 1
enquêté sur 3 a assisté à un festival de musique d’un autre genre : rock, variétés ou autre
(23%), musique du monde ou traditionnelles (13%). 1 sur 3 a assisté à un festival de cinéma.
Plus d’1 sur 4 se sont rendus à un autre festival de littéraire (13 personnes citent « Paris en
toutes lettres », organisé par la même équipe que celui de Manosque).
La proximité géographique du festival apparaît comme un facteur favorisant sa
fréquentation : 1 enquêté sur 3 privilégie les festivals qui se tiennent dans sa commune ou
dans sa région. 1 sur 3 se déplace dans d'autres régions, mais seul 1 sur 5 se rend à Paris pour
un festival. Ils sont peu nombreux à voyager à l'étranger pour un festival.
Des pratiques culturelles plus intenses que la moyenne nationale
Parmi les événements culturels auxquels ils ont assistés dans les douze derniers mois,
le cinéma arrive en tête (89%), suivi du théâtre (64%), des concerts de musique classique
(44%), et de la danse (40%). 1 sur 3 s’est rendu à un concert de jazz, 1 sur 4 à l’opéra, 1 sur 4
à un concert de rock, plus d'1 sur 4 à un autre type de concert, 1 sur 5 à un spectacle de music-
hall. En revanche, seul 1 sur 10 est allé au cirque. Si l’on compare ces données à la moyenne
nationale, on constate que le public du festival de Manosque a des pratiques culturelles
beaucoup plus intenses dans les activités relevant de la « culture légitime » (théâtre, musique
classique), mais aussi dans le jazz et dans le rock, y compris par rapport au groupe des cadres
et professions intellectuelles supérieures. Ce n’est pas le cas, en revanche, pour les activités
plus populaires comme le cirque, les arts de la rue et le music-hall.
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« Etes-vous allé au cours des 12 derniers mois… ? » Public du
festival de
Manosque
Moyenne
nationale
Moyenne
cadres et
prof. intell.
% % %
… au cinéma 89% - -
… voir une pièce jouée par des professionnels 64% 19% 41%
… à un concert de musique classique 45% 7% 21%
… à un spectacle de danse classique, moderne ou contemporaine 42% 8% 19%
… à un spectacle de rue 37% 34% 45%
… à un concert de jazz 33% 6% 17%
… à un concert de musique d’un autre genre que rock, jazz 28% 13% 22%
… à un spectacle d’opéra ou opérette 27% 4% 13%
… à un concert de rock 27% 10% 18%
… à un spectacle de music-hall, de variétés 20% 11% 19%
… au cirque 12% 14% 18%
Enquête Manosque 2011. n=460, 19 non-réponses. % de l’ensemble (et non des seuls exprimés).
Le sous-total (S/T) de « oui » ici présenté correspond à l’addition des réponses « oui, au moins une fois par mois » et « oui, moins d’une
fois par mois » et représente donc la proportion de répondants étant allés, au cours des douze derniers mois, à l’un ou l’autre événement. Dans l’enquête Pratiques culturelles des Français 2008 du Ministère de la Culture et de la Communication, d’où sont tirés les items,
la question (Q70B) est posée pour les douze derniers mois.
Enfin, une grande partie de ce public a assisté à au moins un autre événement littéraire
dans les douze derniers mois : lecture ou rencontre avec un·e· écrivain·e· (54%), salon du
livre (43%), conférence ou cours sur la littérature (33%), atelier d'écriture (17%), autre
événement littéraire (22%, dont fêtes du livre ou festivals).
Un enquêté sur 3 déclare aussi écrire. Un sur 3 tient un journal intime de façon
régulière (9%) ou occasionnelle (21%). 1 sur 5 écrit des poèmes, nouvelles ou romans. 1 sur
10 fait du théâtre amateur.
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Le public du festival de Manosque se caractérise donc, pour une part importante, par
des pratiques culturelles intenses. On relève toutefois une polarisation du public entre ceux
qui ont plutôt des pratiques culturelles liées aux arts du spectacle et ceux qui ont des pratiques
littéraires intenses (lecture de livres et de la presse littéraire), ces derniers étant aussi ceux qui
connaissent et citent nommément le nombre le plus élevé d’auteur·e·s invité·e·s à cette 11ème
édition des Correspondances.
En guise de conclusion
Excentré, le festival de Manosque réunit principalement un public régional, mais attire
aussi des résidents d’autres régions. En faisant venir à Manosque des écrivaines appartenant
au monde littéraire parisien très fermé, il opère une décentralisation culturelle. Il s’agit en
majorité d'un public averti, fidèle à la manifestation, qui y trouve une proposition
correspondant à ses attentes. Cependant, il se compose aussi de festivaliers moins dotés en
capital scolaire et en capital littéraire, qui tendent généralement à s’exclure de ce type
d’événement. En effet, par sa localisation multi-site, par le nombre d’événements gratuits
situés dans des espaces ouverts, le festival réduit les effets de la sélection sociale opérée par
les événements payants (ou même gratuits) en salle et parvient à brasser des groupes sociaux
différents, qui se retrouvent autour de mêmes rencontres dans un commun intérêt pour les
écrivaines contemporaines. Ce qui prouve qu’une proposition exigeante n’est pas
nécessairement exclusive, pourvu que les moins dotés culturellement se sentent « autorisés » à
y participer.
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Festival de Manosque 2011, place de l’hôtel d’Herbès, 24 septembre © Gisèle Sapiro
Festival de Manosque 2011, place de l’hôtel d’Herbès, lectures par le comité de lecture © Gisèle Sapiro