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2012 #6 Magazine de design graphique école Supérieure d'Art et Design Le Havre Rouen

description

Le magazine "en-tête" propose une réflexion autour du design graphique au sein de l'ESADHaR (École Supérieure d'Art et Design Le Havre Rouen). Il est réalisé par une équipe d’étudiants de 4e année soutenue par un comité de rédaction constitué d’enseignants, ainsi que du directeur de l’école. En-tête est avant tout un outil pédagogique dont les objectifs sont :– de permettre aux étudiants de 4e année de se familiariser avec le support magazine (conception graphique des articles, hiérarchisation typographique, choix iconographiques, articulation de l’ensemble...)– de s’exercer à la rédaction– de travailler en équipe– de comprendre les enjeux de la publication.Cette vitrine du département design graphique et interactivité de l’esadhar présente les activités, enseignements, événements qui s’y déroulent et tente de partager avec vous la passion du métier.

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m a g a z i n e d e d e s i g n g r a p h i q u e

É c o l e S u p é r i e u r e d ' A r t e t D e s i g n

L e H a v r e - R o u e n

Le magazine « en-tête » propose une réflexion autour du design graphique au sein de l’esadhar. Il est réalisé par une équipe d’étudiants de 4e année soutenue par un comité de rédaction constitué d’enseignants, ainsi que du directeur de l’école. En-tête est avant tout un outil péda-gogique dont les objectifs sont :– de permettre aux étudiants de 4e année de se familiariser avec le support magazine (concep-tion graphique des articles, hiérarchisation typo-graphique, choix iconographiques, articulation de l’ensemble...)– de s’exercer à la rédaction– de travailler en équipe– de comprendre les enjeux de la publication.Cette vitrine du département design graphique et interactivité de l’esadhar présente les activités, enseignements, événements qui s’y déroulent et tente de partager avec vous la passion du métier.

s o m m a i r e

P r o j e t s d e d i p l ô m e

D N A P 0 6D N S E P 1 4

I n t e r v i e w

L o r a n S t o s s k o p f 2 6R o m a i n A l b e r t i n i 3 2I n n o v o 3 6

D o s s i e r s

E - b o o k s m o o k s 4 2l e e - b o o k e n c h i f f r e s 4 4l e e - b o o k e n d a t e s 4 8l e s m o o k s 5 2

C h r o n i q u e s l i v r e s

C o m m e n t f a i r e u n l i v r e

o u c o m m e n t e n é t a b l i r l a

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directeur de la publication Thierry Heynen - directeur

de l’esadhar

responsables du projet Gilles Acézat, Vanina Pinter

rédaction & conception graphique Delphine

Boeschlin, Marie Dirson, Pearline Ferbourg, Lise

Fonteneau, Paul Gros, Axel Plessi-Comte, Wan Qin,

Lala Rabehenoina, Dawei Shu, Zhan Sun, Charlie Varin

ont contribué à ce numéro Michel Bréant, Jean-Michel

Géridan, Jean-Noël Lafargue, Rozenn Lanchec,

Brigitte Monnier, Yann Owens, Yves Troyard

typographie Y2K Neophyte pour le titre de

couverture. Gotham pour les textes courants et titres.

imprimerie Corlet, nombre d’exemplaires 500 ex.

adresse & site internet

esadhar - Le Havre

65 rue Demidoff 76600 Le Havre

Tel : +33 (0)2 35 53 30 31

[email protected]

www.esadhar.fr

siège social : 186 rue Martainville, 76000 Rouen

© juin 2012

N°ISSN : 2104-855X

numéro 6

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/ Marie Dirson

/ Paul Gros

/ Lise Fonteneau

/ Axel Plessis-Comte

/ Wan Qin

/ Lala Rabehenoina

/ Dawei Tsu

/ Zhan Sun

/ Charlie Varin

/ Delfine Boeschlin

/ Pearline Ferbourg

marabout à boutProjet collectif réalisé par l’ensemble de la classe de 4e année, cet essai visuel a été pensé d’après un protocole créatif existant, inspiré notamment par celui du collectif de graphistes Rinzen.Rinzen a initié un projet similaire avec rmX – a Visual remix Project, ensuite développé dans le second projet rmX – extended Play Book. Il s’agissait pour ces graphistes internationaux de réaliser une œuvre collaborative. En effet, le premier graphiste désigné comme tel, devait composer une œuvre graphique, la transmettre au suivant et ainsi de suite. Afin que l’ensemble soit cohérent, le graphiste qui recevait une composition devait utiliser un élément graphique de celle-ci en l’intégrant à la sienne.C’est ce protocole qui nous a influencé pour la réalisation de ce « marabout ». Ainsi, le premier étudiant imagine une composition puis l’envoie au suivant. Dans chaque proposition, un élément visuel est repris de l’image précédente et devient le lien logique entre chaque image.Par souci d’égalité, il a été décidé que chaque étudiant doit réaliser sa propre image en vingt-quatre heures. Nous avons choisi de vous en donner une lecture progressive, vous découvrirez cette suite d’images au fil des pages.

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édito Que retiendrons-nous de cette 6e aventure d’en-tête ? Une nouvelle équipe d’étudiants avait une fois de plus envie de réaliser un numéro différent du pré-cédent. Il a fallu donc lister ces envies, faire des choix, s’attacher à les mettre en œuvre et travailler en collectif.

Les souhaits de tous se situaient tout d’abord au niveau du partage de réflexions et d’analyses afin de donner au numéro une coloration plus substantielle. Par exemple, pour identifier le tournant qui s’opère en ce moment sur les formats de lecture, un état des lieux et une analyse semblaient tout à fait propice. Autre exemple, en fin de numéro vous trouverez une « Chro-nique livres » ou plus précisément trois analyses de textes théoriques qui proposent un questionnement spécifique. Ces analyses critiques et personnelles sont aussi des invitations à découvrir les textes dans leur intégralité.

Autre volonté, sortir de l’enceinte de l’école pour rencontrer des graphistes talentueux afin d’appréhen-der leur façon de travailler et comprendre les enjeux des pratiques professionnelles. Grâce à ces rencontres, et ces échanges, de vrais choix éditoriaux ont été ap-portés au magazine. Plutôt que de montrer en détail une sélection réduite de projets de diplôme DNAP et DNSEP, le choix s’est porté sur une présentation de l’ensemble des deux promotions à la manière d’un répertoire. Ainsi, les projets sont tous publiés pour en garder une trace, et non pas pour en donner une lecture édulcorée ; cela évite aussi de rajouter un contexte de compétition entre les différents étudiants. Ce numéro, comme la couverture et le changement de papier le suggèrent, sera le premier d’un nouveau cycle dans lequel les étudiants trouveront le moyen de réaliser leurs souhaits éditoriaux, d’affirmer leurs inten-tions tout en restant le plus généreux possible.

Gilles Acézat

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DNAPLe Diplôme National d’Arts Plastiques (DNAP),

couronne un cursus de trois années d’études

post-baccalauréat dans les écoles nationales, et

territoriales d’art sous tutelle du Ministère de la

Culture et de la Communication.

Suite à sa validation, il est aussi possible de

poursuivre sa formation en école d’art afin

d’acquérir un niveau master, en obtenant

le DNSEP (Le Diplôme National Supérieur

d’Expression Plastique) en fin de 5e année.

En juin 2011, onze élèves ont obtenu le DNAP

à l’École Supérieure d’Art et Design le Havre -

Rouen, section design graphique et interactivité,

dont 4 avec mention et 2 avec les félicitations

du jury.

Pour ce dossier présentant les productions des 3e et 5e années, l’équipe a choisi de révèler un aperçu de chaque projet, un partie pris qui s’apparente à un répertoire. Ainsi chaque étudiant diplomé figure dans ce numéro.

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Clémence Leroy

Clémence souhaitait combiner son goût pour l’illustration avec une figure qui la fascine. Les monstres ont longtemps nourri son imagination. Elle a su utiliser ses dessins en sortant du contemplatif, en créant des objets destinés aux enfants.

Cindy Le Boisselier

N.B est le nom du projet éditorial que Cindy a choisi de présenter à son diplôme. Un nouveau genre d’édition à mi-chemin entre le magazine féminin et le journal intime. N’utilisant que le noir et blanc, chaque double page contient une illustration ainsi qu’un article sur les thèmes du bien-être, de la culture, de la mode...

Charlie Varin

L’illustration est sans doute le maître mot du travail de Charlie. Entre croquis sur papier, animations flash et tablette graphique, ses dessins plus ou moins fantastiques se reconnaissent au premier coup d’œil.

Paul Gros

Paul travaille l’aspect narratif, le fait que chacun puisse construire une histoire singulière, son propre récit. Ses projets se composent de différents objets qui imposent ou laissent libres les lecteurs. Animations, installations, éditions, chacun choisit sa vision, son interprétation.

Lala Rabehenoina

Dans ses dessins aux feutres, ou ses aquarelles, Lala capte la culture américaine dans le but de créer des « atmosphères différentes ». Dessins, cartes postales, éditions, tout dégage dans les travaux de Lala, une véritable singularité graphique.

Pearline Ferbourg

Le monde animal et végétal fait partie intégrante du travail de Pearline. S’inspirant de son environnement et de ses animaux, elle met le graphisme au service du vivant. Bien que l’on retrouve une multiplicité des médiums, elle développe un intérêt particulier pour le design d’objet.

Delphine Boeshlin

Delphine s’intéresse à l’édition qu’elle soit objet multiple et plastique (sérigraphie) ou extension numérique. Le passage de l’une à l’autre des techniques lui permet d’explorer l’entre-deux et d’inventer des objets singuliers.

Lise Fonteneau

Lise travaille essentiellement le portrait, à la frontière du journalisme et du graphisme. On retrouve dans ses travaux ses habitudes de vie. Attentive aux autres, elle travaille le portrait, le visage qu’elle détaille lors de ses voyages en train. Dessin, interactivité, bande son, ses travaux conjuguent une multiplicité de médiums.

Coralie Perrichot

Entre découpage et collage, Coralie, à l’aide de ses ciseaux se crée un univers bien à elle. Collectionnant toutes sortes de flyers et magazines, elle assemble ce qui ne se serait jamais assemblé. Une précision et une rigueur qui se retrouvent dans tous ses travaux.

Marie Dirson

Souvenirs, souvenirs... Comment représenter le passé, comment retranscrire par dessins, par images, des informations que notre mémoire garde précieusement ? Marie tente d’y répondre en proposant toutes sortes de techniques graphiques.

Axel Plessis-Comte

Adepte de vidéos, cinéphile assumé, Axel choisit de mettre sa passion au service de ses travaux. Se réapproprier les affiches de films, qui sont d’ordinaire extrêmement codées : voilà son challenge. Créant vidéos et illustrations, Axel créé un style graphique dans l’univers du polar, dont il assume l’aspect dramatique par l’utilisation du noir et blanc.

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DNSEPAprès l’obtention du DNAP, l’étudiant peut

poursuivre sa formation sur deux ans pour

obtenir le DNSEP (Diplôme Nationale Supérieur

d’Expression Plastique). Il est désormais

reconnu comme un diplôme de niveau master II

dans toute l’Union européenne. Par le biais

de différents stages et voyages Erasmus,

les étudiants se préparent petit à petit à rentrer

dans la vie active. En quatrième et cinquième

année, ils pourront accroître leur autonomie

et enrichir leur culture générale. Durant ses

deux années d’études, les étudiants sont

amenés à développer un projet personnel

pour lequel ils approfondissent une réflexion,

et proposent, avec un regard singulier, une

approche contemporaine du design graphique.

Ces futurs graphistes pourront convoiter des

postes dans les secteurs de la culture et de la

communication ; studio de design graphique,

édition, presse, télévision, internet, exposition

mais aussi dans le domaine de l’enseignement.

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Adelyne Lefort

Nourrie de ses observations et de ses pratiques journalières, Adelyne tente de capter l’attention du spectateur. Mêlant à la fois légèreté et humour dans ses productions, elle cherche avant tout à apporter aux objets utilitaires une dimension sensible et une certaine fraîcheur dans un quotidien qui lui semble beaucoup trop monotone.

Laetitia Leleu

Laetitia a axé sa production graphique autour des différentes facettes du monstre ; « le Monstrum et le Monstranum », il attire autant qu’il dégoûte, c’est cette double facette que Laetitia a voulu explorer pour son diplôme. Son travail articule deux approches du « monstre » : d’un côté le fantastique, l’imaginaire de l’autre la réalité du monstre physique, la malformation. Sa production questionne la perception que l’on peut avoir du beau et du laid. Elle donne à ses créations une écriture familière, lisse. De loin, l’ensemble paraît attrayant mais quand on s’approche pour regarder en détail, on se retrouve alors nez à nez avec des formes disgrâcieuses.

Caroline Pion

L’inspiration de Caroline provient de son intérêt évident pour les formes géométriques, leur simplicité, leur structure et leur complexité mais aussi la multiplicité infinie des combinaisons qu’elles permettent. Elle s’est emparée de ces formes géométriques à travers la création d’une typographie, pour une signalétique. Ses éditions composées de découpes et couleurs, illustrations et objets aux matières brutes invitent le lecteur à découvrir formes et lignes. Ses recherches portent sur leurs inter-relations, leurs interactions possibles et leurs effets sur notre perception. Elle cherche avant tout à faire partager sa fascination et rend le lecteur utilisateur pour l’impliquer de manière ludique.

Guillaume Raoult

Tout comme le font tous les grands collectionneurs, Guillaume récupère chaque jour une multitude d’images, les accumule et les réutilise dans ses créations. Sa réflexion se porte alors sur notre façon d’ingurgiter ces images, de les digérer, les vomir et de les retranscrire dans un nouvel espace. Il met ainsi en évidence notre Boulimie Oculaire. Guillaume analyse ce nouveau mode de comportement et l’aborde dans son travail sur différents supports d’application.

Quentin Bréant

Avec les nouveaux médias, le flux d’information n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui, tant dans les journaux que sur Internet.Chaque jour nous sommes confrontés à une quantité astronomique de données différentes. Quentin a axé son travail sur les systèmes qui traintent les flux d’information, sur la gestion des données, de leur captation à leur transition jusqu’à leur restitution.Son travail se distingue par une approche interactive et une retranscription des flux en temps réel. Il propose ainsi une façon totalement originale d’aborder le traitement de l’information.

Charly Tilmant

« Un système complexe, évolutif, formé d’organes qui interagissent de façon à fonctionner comme un ensemble stable. Cette définition du vivant pourrait aisément s’adapter à la typographie. Le « système complexe » étant l’alphabet et « les organes qui interagissent » de façon à ce que l’ensemble fonctionne, seraient les caractères. De cet état de fait, on peut considérer que tout comme un organisme vivant la typographie évolue, se transforme, se développe s’adapte... » Suivant ses réflex ions Charly assemble deux à trois caractères de familles différentes, créant ainsi une évolution, une mutation de caractères. C’est tout naturellement qu’il a axé ses productions sur le thème de l’hybridation typographique amenant ainsi le lecteur (spectateur) à concevoir ses créations typographiques comme un être vivant.

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interviews

Loran StoSSkopf /

romain aLbertini //

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Pour ce 6e numéro d’en-tête, nous avons eu envie d’aller à la ren-contre de graphistes, dont la production est pour nous, source de motivations. Séduits par les créations de Loran Stosskopf, nous voulions faire comprendre son approche et son expertise vis-à-vis du livre et du magazine culturel. Si Loran Stosskopf est intervenu à l’école, nous sommes allés, à plusieurs, rencon-trer Romain Albertini. Le travail de ce jeune graphiste indé-pendant nous paraît révélateur d’une pratique contemporaine du design graphique. Enfin, pour rendre compte des échanges que nous entretenons avec la Chine, nous avons découvert et conversé avec le studio de design Innovo dont les cheminements témoignent des ambitions créatives de la jeune génération chinoise.

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L o r a n s t o s s k o p fGraphiste, Directeur Artistique éditorial

Loran Stosskopf débute sa formation à l’école des Beaux-Arts de Mulhouse où il passe un DNAP design graphique, ensuite il intègre par équivalence l’ENSAD de Paris ce qui lui donnera l’opportunité de partir un an étudier à New-York. Le diplôme en poche, il s’installe à Londres pour assurer la direction artistique d’un magazine de mode et de design, et collabore avec l’agence réputée Pentagram. Cette agence va lui permettre de travailler sur les identités visuelles du Pra-do à Madrid et celle du magazine Colors. Il devient ensuite graphiste indépendant et travaille pour Wallpaper magazine dont il refaçonne la maquette. Après quatre années passées en Angleterre, Loran re-tourne sur Paris et se concentre sur des projets du domaine de la culture et de l’art contemporain (galerie, musée...) tout en travaillant pour des magazines.

Isadora Duncan, une sculpture vivante,

musée bourdelleparis musées,

2010

Suite à une conférence de Loran Stosskopf à l’ESADHaR en février dernier, nous avons tenu à retranscrire ses propos afin de montrer

l’extrême attention qu’il porte à l’objet éditorial. Directeur artistique de différents magazines et actuellement de Télérama, il a regardé et commenté avec nous certaines

de nos pages d’en-tête.

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L o r a n s t o s s k o p f

À Paris, le musée Bourdelle lui confie un projet de livre sur la danseuse Isadora Duncan. Cette artiste américaine du début du XXe siècle qui comme Loïe Fuller fera partie des danseuses qui ont réinventé la danse moderne. Elle a été une muse pour de nombreux artistes, notamment le sculpteur Antoine Bourdelle. L’idée de ce livre était de réaliser un portrait de la danseuse, à travers les dessins de Bourdelle. Le parti pris de Loran Stosskopf est de coller le plus possible à l’esprit de ces deux artistes, et sans idées préconçues. Il ne cherche pas à avoir un style prédéfini, il se réinvente à chaque production pour servir au mieux l’essence même du projet. Loran Stosskopf a fait beaucoup de recherches sur Isadora avant d’entamer la maquette. De la pratique de la danseuse ressort une sensation de légèreté, elle portait des robes légères et transparentes qui donnaient des possibilités de mouvement extrêmement libres, elle était également très touchée par tout ce qui se rapportait à l’Antiquité Grecque. Il utilise ce goût

de la danseuse pour poser un parti-pris de couverture, choisissant une photo qui n’est pas sans rappeler les dessins des vases grecs à figures rouges. L’idée fut ainsi de travailler sur l’histoire pour répondre le mieux possible au sujet. Pour un catalogue de 335 pages et afin de conserver cette idée de légèreté, il choisit un papier bouffant qui est à la fois épais et très léger. La typographie est une Akzidenz Grotesk Next pour ces mêmes raisons : « Je voulais un caractère qui ait une graisse très légère, une typographie qui vienne caresser le papier, que l’on ait la sensation qu’en soufflant sur le papier, elle puisse s’envoler ». Pour les notes et les appels de notes, il choisit un caractère plus gras, offrant un contraste fort avec le texte de labeur, et crée ainsi une trame, qui se développe tout au long du catalogue à la manière d’une partition de musique.

ISADORA DUNCANUNE SCULPTURE VIVANTE

« Je voulais un caractère qui ait une graisse très légère, une typographie qui vienne caresser le papier, que l’on ait la sensation qu’en soufflant

sur le papier, elle puisse s’envoler. »

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En 2009, Loran Stosskopf conçoit sur commande du F.R.A.C. Île de France un livre présentant l’artiste contemporain Richard Fauguet. Cette monographie se fait dans le cadre d’une configuration plus fermée que pour le livre d’Isadora Duncan. En effet Richard Fauguet est un artiste reconnu, inclassable car il cumule plusieurs pratiques artistiques (sculpture, dessin, installation...). L’objectif était de réaliser un état des lieux de l’œuvre de l’artiste pour que le public n’en ait pas une vision fragmentaire. Débutent alors des recherches afin de constituer une iconographie représentative de l’ensemble, Un authentique échange s’engage entre l’artiste et le graphiste. Loran rencontre Richard, visite son atelier, consulte ses archives, fouille dans ses piles de dessins. Dans le but de mettre en scène l’œuvre de ce dernier, il expérimente

RF

différents chemin-de-fer, afin de jouer le plus possible sur l’articulation de la présentation des projets. S’en suivent des discussions avec l’artiste, des questionnements et de multiples recherches. Il ressort du travail un beau trait d’humour ; Loran Stosskopf joue en effet de références à l’histoire et de clins d’œil à d’autres artistes. Ses propres initiales R.F. sont aussi détournées sous la forme de l’acronyme R.F. : République française. La couverture du livre devenant ainsi l’image d’un passeport français surdimensionné. Cette idée souligne le fait que l’identité d’un artiste passe au travers de ses œuvres. Le livre a pu bénéficier d’une élaboration sur du long terme, il représente une année de recherche, et une trentaine de rencontres avec l’artiste. Pour Loran Stossckopf, la valeur du livre réside aussi dans la richesse des échanges avec l’artiste.

Loran rencontre Richard, visite son atelier, consulte ses archives, fouille dans ses piles

de dessins… Le livre a pu bénéficier d’un travail sur du long terme et représente une année

de recherche…

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Le travail du graphiste dans le domaine du livre n'est pas la seule corde à son arc, Il est depuis un certain nombre d’années l’auteur de l’identité visuelle du F.R.A.C Île de France (affiche, programme...). Dans un tout autre registre, il a travaillé en tant que directeur artistique pour une collection de livres émanant du magazine Wallpaper édité par Phaïdon. L'idée était de concevoir un guide urbain sur le design et l'architecture. Le parti pris de couverture impose une rupture, afin de se distinguer des guides touristiques. Loran

Stosskopf choisit de ne pas mettre d'image et valorise la notion de design en reprenant le système des nuanciers Pantone. Le tout en respectant la ligne de base blanche en haut de la couverture, fait référence à la fois au magazine lui-même, mais aussi à l’outil de travail utilisé dans le domaine de la création visuelle.. Ce projet est d'une grande ampleur, cent villes on été traitées et le guide s'est écoulé à trois millions cinq cent mille exemplaires. Une logique industrielle a été pensée en amont.Loran Stosskopf souhaitait travailler dans un format

En 2011, il conçoit une édition pour l’école d’art de Mulhouse qui en retrace l’histoire. Pour interagir avec les besoins industriels de l’époque. l’école s’est orientée vers l’impression de tissus et de papiers-peints. Ce livre, qui se veut académique, contient des textes historiques, des interviews et des témoignages d’étudiants, Loran Stosskopf disposant de peu de matière iconographiques a entamé donc une recherche auprès du musée de l’impression sur étoffes de la ville. Il consulta les archives et retrouva des cartons de dessins des élèves datant de la fin du XIXe siècle. Il reprit les motifs trouvés au musée qu’il utilisa en tant que pages de titrage. Le

titre Le titre et le motif sont imbriqués : certaines parties des lettres disparaissent pour laisser place au motif et sont visibles au verso de la page, le titre s’entremêle dans le motif qui disparaît dans la feuille. Ce principe procure un effet de transparence, ce qui est devant est derrière. Pour le texte Loran Stosskopf choisit trois caractères du typographe suisse François Rappo qui enseigna dans les années 90 au sein de cette école. Le format du livre est déterminé par les journaux de la société industrielle de la fin du XIXe siècle.

fa

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pre

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n L’école d’art

de Mulhouse

entre industrie

et beaux-arts

(1829-2009)

poche afin de rendre cette édition pratique et nomade. « Pour l'anecdote lorsque je me suis rendu au bureau du dirigeant de la maison d'édition Phaïdon, le dirigeant avait disposé sur son bureau trois jeans de marques différentes, afin de mettre à l’épreuve le côté nomade de ma proposition ». Un des autres partis pris pour cette édition était d'avoir en ouverture de chacun des guides, une vue d'ensemble de la ville afin d'avoir une approche de la construction architecturale de la ville. Il a également inclus un système d'onglet et aussi

un code couleur afin de mieux se repérer dans le livre ainsi que dans la ville, le système de couleur étant en adéquation avec la cartographie de la ville.

Depuis moins d'un an, il est également directeur artistique de l'hebdomadaire Télérama, Il a récemment pensé la refonte de la charte graphique du magazine.Chaque semaine, il imagine une couverture en fonction de l’actualité ou de la ligne éditoriale... Ce nouvel engagement pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un autre article.

DIRECTIONaRTISTIQUE

Le titre s’insert dans le papier et se confond avec le motif, certaines parties de lettres disparaissent pour laisser place au motif

Retranscription et mise en page : Marie Dirson

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Graphiste & Directeur Artistique freelance

Pourquoi avoir choisi d'être graphiste ? Quel est votre parcours ?J'ai fait un BTS, puis je suis parti avec mes valises sous le bras… Pour trouver un stage, j'ai commencé par envoyer mon book par mail à quelques adresses, mais je n'ai jamais eu de réponses. Ensuite j'ai utilisé Facebook pour trouver un emploi, j'ai envoyé mon portfolio à tous les contacts et j'ai finalement obtenu un stage à l'agence La Chose. Cela m'a permis de travailler pour d'autres agences et de me constituer un carnet d'adresses.

Pouvez-vous nous expliquer votre processus de travail ?Chercher par soi-même, et dès sa scolarité, prendre l'habitude de se documenter, de s'informer sur le monde professionnel sont les clés de la réussite. Il faut toujours se remettre en question. À l'école, j'avais toujours une envie de me documenter, je n'attendais pas que l'on me dise ce que je devais faire. Je regardais les livres, J'allais voir des expos… Ce n'était pas forcément ce que mes profs attendaient de moi, donc j'étais loin d'être le meilleur élève. L'école est là pour te donner des bases, mais ensuite c'est à toi de continuer un travail personnel.

Parlez-nous de la relation entre créatif et client.Je sélectionne souvent les clients avec lesquels je travaille. Tant que l'on n’est pas confronté au monde professionnel, on reste dans un cocon. Il faut savoir gérer ses clients, se vendre pour que ceux-ci puissent vous faire confiance. Cela va au-delà de la simple compétence graphique.

Il y a deux types de commanditaires : le client direct ou la grande agence très hiérarchisée et ce n'est pas le même rapport : travaillant de temps en temps pour ce genre d'agence, je trouve qu'il est difficile de répondre correctement aux commandes car l'échange avec le client n'est pas direct. Le travail n'est pas toujours passionnant, mais cela me permet d'avoir une sécurité financière. On ne peut pas comparer une commande d'agence et d'un client direct. Dans le second cas, je peux adapter mes tarifs, et prendre plus de plaisir créatif, mais ce qui est difficile c'est la relation avec le client. Il y a des règles à respecter, car pour beaucoup, le métier de graphiste n'est pas un vrai métier et certains d'entre eux se permettent d’intervenir sur un travail de commande. Il m'est arrivé d'arrêter une commande en cours plutôt que sortir quelque chose dans lequel je ne me reconnaissais pas.

Est-il indispensable pour vous d'avoir des projets personnels à côté des commandes ?Au départ, j'ai choisi mon stage dans le milieu de la publicité par facilité. Mais heureusement, j'avais à côté un travail personnel plutôt artistique, qui me créait une espèce de soupape et me permettait de décompresser du travail en agence, car une fois le pied dedans, c'est dur de revenir à la raison pour laquelle j'avais choisi les études que j'ai faites.. On ne fait pas du tout les mêmes choses qu'avant. Il y a de moins en moins de Print en agence qui se focalisent sur le web depuis la crise. Trouver des supports coûte très cher, Pour 30 secondes de publicité à la télévision le coût est exorbitant.

r o m a i n a L b e r t i n i

1

Après avoir décidé de contacter Romain Albertini, nous sommes parties à trois pour le rencontrer à Paris. Il a répondu patiemment à nos questions sur le passage d’un statut

d’étudiant à celui de jeune indépendant et nous a montré et commenté ses productions.

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r o m a i n a L b e r t i n i img 1, 5 / Livre « The OFFF » img 2 / Identité « Club Blister »

img 3, 4 /recueil photographique « Terrains Vagues Rêves Étroits »

img 6, 7 / Livre « I Have Seen Beyond The Land »

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Que pensez-vous des appels d'offre ?Si le principe est d'envoyer des propositions en réponse à un brief et ensuite, dans le cas où vous êtes sélectionnés, vous êtes payés, Il ne faut jamais accepter ce type d'offre ! Car ni le travail de recherche ni les droits d'auteurs ne sont considérés. C'est le principe établi par les pouvoirs publics pour justifier d'une transparence en terme de dépense publique. Ce genre d'appel d'offre est très répandu, et malheureusement les abus sont fréquents. Par exemple, un concours est lancé auprès de nombreux graphistes et studios pour redesigner un logo avec la promesse d'une rénumération de 1000 euros pour le gagnant. Pour l'organisateur c'est tout bénéfice, car il fait travailler un grand nombre pour au final ne payer que 1000 euros. Pour la plupart, même si ils sont ouverts à tous, un nombre restreint de studios ou d'agence ont déjà été pré-sélectionnés, souvent tout est truqué d'avance. Parfois il vaut mieux travailler pour la boulangerie du coin, plutôt que pour le gros poisson… (projet d'identité Boulangerie La Ronde des Pains). Le travail en appel d'offre doit toujours être rémunéré, c'est dangeureux pour la profession de travailler gratuitement. Une personne m'a contacté pour que je participe à un appel d'offre non rénuméré, sans y avoir postulé. Je lui ai répondu en lui envoyant la lettre de l'AFD (l'Alliance française des designers, le premier syndicat du design pluridisciplinaire, www.alliances-francaises-des-designers.org).

Que pensez-vous de la rémunération des travaux, du métier en général ?Travailler dans une agence, pour un client, est bien payé, mais pour quelque chose de précis, une publicité ou une illustration par exemple, c'est moins évident. Les publicitaires ne sont pas vraiment issus de la culture du graphisme et ils n'ont pas forcément la notion ou la réalité des choses (temps de travail, budget…). Il y a quelques temps, on m'a proposé de faire une illustration pour 400 ¤. J'ai refusé.

Y a-t-il différentes manières d'être graphiste ?Le métier de graphiste en agence de publicité est davantage un travail d’exécutant. La liberté de réflexion et de création des projets est moindre. On vous laisse moins de confiance et de liberté d'action.Parmi les directeurs artistiques d'agence, rares sont ceux qui ont des compétences en typographie.Le travail du DA, c'est avoir un concept, un univers, créer des maquettes et les donner à un graphiste qui lui, va les décliner, compléter les pages manquantes pour les donner à des exécutants qui vont tout régler (interlignages, espacements, calages). Ce n'est pas le même travail.

Selon vous, un graphiste avec un style bien à lui a-t-il plus de chance de trouver du travail ?J'ai rencontré une directrice de création d'une agence qui m'a dit : « J'ai voulu te rencontrer car je trouve qu'il y a quelque chose de différent dans ton book. Des book, j'en vois tous les jours. Tous les mêmes à peu près ».

Gagner sa vie demande-t-il des concessions d'un point de vue créatif ? La commande restreint la liberté de création, soit par l'argent ou par autre chose. C’est pourquoi j'ai voulu faire une sorte de manifeste en montant un fanzine, un livre de photos en auto-édition (T.V.R.E.). Libérez-vous de toutes vos contraintes et n'attendez pas d'avoir la commande adéquate si vous avez envie de faire un projet, mais allez-y sans hésiter ! Cela m'a pris beaucoup de temps, mais j'ai eu de bons échos. Je crée toujours de nouvelles choses.

Quelles sont vos influences ?Mes influences proviennent essentiellement du milieu de l'art. Tout et n'importe quoi m'inspire, un décor, une texture, un motif. Je ne suis pas forcément inspiré par quelqu'un. J'aime les styles épurées, nordiques (Suisse, Hollande, Allemagne, Suède, Danemark) sans prétention mais un design plus « clean » que le graphisme américain ou hispanique. J'affectionne en même temps les formes géométriques et les objets texturées qui se rapprochent du dessin. Je ne suis pas dépendant de l'ordinateur. Je m'en sers pour ajouter un plus à mon dessin.

romain albertini

Interview par Marie Dirson, Lala Rabehenoina et Zhan Sun. Mise en page : Lala Rabehenoina

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INNOVO est une agence de design industriel chinoise composée de 12 jeunes designers internationaux.

Leur travail nous a intéressés parce qu'il incarne une nouvelle génération de créateurs. Leurs productions

réinterrogent des pratiques et des formes traditionnelles chinoises tout en les faisant perdurer.

Interview : Dawei SHU, Texte : SUN zhanMise en page : QIN wan, Dawei SHU,

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Studio de Design Chinois

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Pourriez-vous nous présenter votre agence de design produits “INNOVO” ? Quel est le sens original du nom de votre agence ?

En 2004, “INNOVO” a été fondée par Zhang Lei à Hangzhou. La philosophie de notre entreprise est d'être dans la continuité de la tradition « suivre le chemin naturel de la création ». Le nom de l’entreprise vient du Yi Jing, un manuel chinois qu'on peut traduire par Classique des changements, dont la première phrase nous rappelle que « les nuages flottent, les pluies sont éparses, grâce à leur humidité, les choses évoluent et se transforment ». La nature donne naissance à des formes pour toutes les choses du monde.

En sept années, nous avons conçu plus de 200 nouveaux produits, ils sont diffusés partout en Chine, bien sûr, mais aussi au Japon, en Suède, en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux États-Unis. L'année 2009 a été décisive. Nous avons participé à l'exposition de design international à la foire de Milan, nous étions la première agence chinoise, et depuis, avec notre projet « tradition et avenir », qui est une marque propre à l'agence, nous allons régulièrement à des expositions en Europe. Ainsi, en 2010, deux européens, Jovana et Chris nous ont rejoints. Les deux approches du design s'entremêlent et s'influencent.

Vous avez part ic ipé à ce projet de conception de parapluies en papier Yuhang. Pouvez-vous nous expliquer le principe de ce projet ?

INNOVO est situé dans le quartier de Yuhang à Hangzhou, nous voulions faire quelque chose pour la préservation de la culture traditionnelle du Yuhang. En 2010, Zhang Lei a visité Yuhang et y a rencontré quatre maîtres âgés qui fabriquent depuis des générations des parapluies en papier. Nous avons eu envie de faire un prototype expérimental pour éviter la disparition de ce genre artisanal chinois. Nous avons tout d’abord pris connaissance des matériaux, analysé les structures et les processus de fabrication du parapluie en papier.

Ces objets se sont élaborés petit à petit. nous avons tout d'abord conçu baldaquin, version améliorée d'un parapluie. Puis la série de chaises en papier, Gone with the Wind, a été initiée, elle permet de réintroduire des objets et des processus traditionnels dans la vie moderne, afin de faire perdurer les savoir-faire.

La philosophie de notre entreprise est d'être dans la continuité

de la tradition.

Votre participation à l'exposition du meuble de Milan 2009 a permis à la Chine d’avoir sa place parmi les meilleurs designers internationaux. Comment avez- vous obtenu cette opportunité? Qu’est-ce que cette participation a représenté pour vous ?

Par chance, nous avons été contacté par les organisateurs. Cette opportunité fut un tournant pour nous. Tout d'un coup, en Europe, beaucoup de gens avaient entendu parler du nom de INNOVO. De ce fait, l'Europe a reconnu les qualités et valeurs de la jeune génération de designers chinois. L'équipe du Magazine de design italien Interni a déclaré après nous avoir rencontré : « votre approche du design est très surprenante. Le design chinois est très différent de la conception italienne, vos creations nous touchent ». Cela nous a donné confiance pour poursuivre notre travail. Nous allons continuer à améliorer la qualité du design chinois.

Comment envisagez-vous la transmission de la culture traditionnelle chinoise ?

À INNOVO, nous nous soucions du futur des produits traditionnels. Notre travail ne repose pas uniquement sur la poursuite des savoirs-faire traditionnels. On ne se contente pas de copier d'anciens objets.

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Ces éléments traditionnels sont à la source de notre travail, mais ne sont pas forcément reconnaissables. Par exemple, les broderies que l’on trouve sur les vêtements ou les mouchoirs, nous les transposons sur d'autres créations. Quoi qu'il arrive, ils transmettent un tempérament chinois. Nous voulons travailler sur l'essence même de notre culture, de façon à faire apparaître une véritable alliance entre la culture chinoise et la vie contemporaine.

Comment fonctionne la diffusion de vos produits? Et à qui s’adressent-il ?

Tous nos parapluies en papier « Yuhang » sont rassemblés sous la marque indépendante « Pin Wu ». Nous avions premièrement lancé une série de produits destinés aux expositions, essentiellement des lampes et des chaises, intitulés printemps. La marque « Pin Wu » est destinée au marché des musées, des salons d’expositions et des magasins artistiques. Nos clients principaux sont des gens de la finance dont le mode de vie est focalisé sur le design européen. Amener la marque « Pin Wu » dans le marché européen est une de nos intentions et un objectif stratégique. Actuellement nous sommes en train de finaliser des projets avec certains clients européens.

Que pensez-vous du marché du design chinois par rapport au marché européen ?

À mon avis, la Chine est dans une période de transition, elle passera de « Made in China » à « Designed in China », ce qui est à double tranchant .

Premier point, nous avons besoin de beaucoup de designers talentueux. C'est une belle opportunité pour les designers chinois d'entrevoir de vraies carrières. En contrepartie, cette nouvelle approche du design entraînera inévitablement un certain degré de confusion dans le marché ; la copie est inévitable, couplée à une protectionnisme du gouvernement régis par des lois de propriété intellectuelle et des règlements qui sont loin d'être parfaits, particulièrement dans l'industrie.

En Chine, la société manque de connaissance sur la valeur du design. Les gens se concentrent plutôt sur la vie matérielle qu'intellectuelle. Par exemple, quand je marche dans les rues de Milan, tout le monde est très élégant, au fait de la mode, des codes vestimentaires. Tout est beaucoup plus inégal dans les rues de Hangzhou, des gens portent des marques célèbres, alors que d'autres s'habillent sur le marché et que d'autres encore se confectionnent eux-même leurs vêtements.

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Quels sont vos projets actuels ? Quelle est la proportion entre créations conceptuelles et projets commandés dans votre travail ?

Notre travail est principalement divisé en deux parties : une partie est de l'ordre du design commercial, nous travaillons à la conception de petits appareils ménagers électriques, l’autre partie est destinée à la conception de produits de notre marque « Pin Wu ». Dans cette part de notre travail, nous attachons autant d'importance à la conception expérimentale qu'au processus de réalisation afin de réaliser des produits à la fois créatifs et également de qualité. Ces deux parties ont la même importance dans notre travail.

Chez Innovo, les équipes de designers changent et tournent pour s'assurer que les deux parties soient relativement équilibrées.

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e-books

Le e-book en chiffres Axel Plessis-Comte

Le e-book en dates Paul Gros

Les mooks Lise Fonteneaux

mooks

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Même si sa disparition ne semble

pas imminente, le papier tend à

devenir anachronique dans une

société de plus en plus numérisée.

Les librairies continuent certes à

regorger de volumes mais inter-

net semble lorgner sur ce com-

merce en proposant notamment

des versions numériques de ces

ouvrages : les e-books. Téléchar-

geables et consultables sur des

« liseuses », ces e-books avancent

sur la scène de l’édition comme

la nouvelle manière d’envisager la

lecture. Quelle place ce nouveau

média occupe-t-il dans notre so-

ciété et que représente-t-il dans

le milieu éditorial ? En parallèle

de l’expansion de ce média numé-

rique, une autre, plus physique, a

vu le jour : celle des « magalivres »

ou « mooks ». Ces objets éditoriaux

sont une nouvelle conception de la

revue qui revendique une grande

qualité éditoriale et affirme la re-

cherche graphique.

Contrairement au e-book qui tend

vers l’immatérialité du texte, le mook

semble souhaiter perpétuer la va-

leur physique de l’objet imprimé.

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Gartner* estime à 19 millions le nombre de tablettes vendues dans le monde en 2010 et prévoit une hausse de plus de 180% en 2011 pour atteindre un sommet de 58 millions en 2014.

En 2011, plus de 26 millions de liseuses devraient être livrées dans le monde, soit une croissance de 24% par rap-port à l’an passé.

Les e-books ont rapporté plus de 69.9 millions de dollars aux Etats-Unis en janvier 2011. Augmentation de 115% (Source AAP, mars 2011)

Les livres papiers ont rapportés plus de 805 millions de dollars aux états-Unis en janvier 2011. Baisse de 30%, mars 2011.

En octobre 2010, Apple comptabilisait entre 10 et 15 % du marché du livre numérique.

En 2010, l’iPad détenait 83% de part de marché et devrait engloutir 73.4% du marché mondial des tablettes en 2011.

Certaines estimations établissent que la Kindle d’Amazon aurait pu se vendre

Le e-booken chiffresStatistiques et analyse de l’évolution des prix de ce média numérique.

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autour de 7 à 8 millions d’exemplaires en 2010.

Lorsque 100 livres papiersont vendus sur Amazon, 105 sont vendus au format Kindle.

En 2006, Google lance sa librairie nu-mérique qui propose « des centaines de milliers d’e-books Google en vente et plus de 3 millions gratuits », grâce à des partenariats noués avec 4000 éditeurs.

17 juillet 2011 : Google sort une liseuse adaptée à sa librairie numérique Google Books pour 140$ - 112¤.9 novembre 2011 : Rakuten* rachète Kobo* pour 315 millions de dollars Kobo fondé en 2009, compte 2.5 millions de livres numériques anglo-phones.

Chez Gallimard les livres numériques et papiers ont une différence de prix de 15% en moyenne. Chez le groupe Hachette (Grasset, Lattès…) l’écart se situe entre 21% et 24%.

En France, un e-book est en moyenne entre 20% et 30% moins cher que sa version papier.

18 novembre 2011 : N. Sarkozy plaide un passage de 5.5% à 7% de la TVA des livres papiers et une baisse à 7% de la TVA sur les livres numériques.

On compte aujourd’hui 2 e-books vendus pour 1 livre papier.

Téléchargements légaux français d’ e-books :

1 – iBookstore d’Apple: 69,4 %

2 – Immateriel.fr : 15,2 %

3 – Fnac.com: 6 %

4 – Feedbooks.com : 6 %

5 – Epagine: 2,6 %

Les e-books représentent 29% des té-léchargements culturels illégaux.

2000 à 3000 livres numériques en français seraient disponibles sur les sites pirates contre 1000 à 1500 en oc-tobre 2009.

6000 à 7000 e-books BD dispo-nibles en téléchargement illégal, moins de 5000 l’année dernière.Néanmoins l’offre pirate reste margi-nale puisqu’elle ne concerne que 2% de l’offre imprimée tous types de fonds confondus.

Kindle basique, non-tactile : 79$ - 59¤Kindle tactile sans 3G : 99$ - 75¤Kindle tactile avec 3G : 149$ - 113¤Kindle Fire : 199$ - 150¤

Nook basique, tactile : 99$ - 75¤Nook couleur : 199$ - 150¤Nook Tablet : 249$ - 188¤

iPad : 499$ - 378¤

Gartner : entreprise américaine qui mène des recherches, fournit des services de consultation, tient à jour différentes statistiques… 

AAP : l’association nationale de l’industrie de l’édition américaine

Rakuten Inc. : le plus grand site de commerce en ligne du Japon avec plus de 50 millions d’utilisateurs enregistrés.

Kobo Inc. : société fabriquant la  liseuse Kobo et consevant des applications pour mobiles (Android, iPhone, Blackberry...)

statistiques

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Le livre, objet culturel univer-

sel et constant, voit ses jours comp-

tés devant l’avalanche économique

et pratique qu’est l’e-book, un fichier

électronique contenant un texte sous

forme numérique. Apparaissent donc

d’autres outils informatiques permet-

tant exclusivement de lire ces e-books,

les liseuses. Ainsi, un IPad permet de

lire un e-book, mais n’en est pas un.

C’est une liseuse.

L’e-book a en cela quelque chose

d’unique et de commercialement

brillant : il n’est lisible que sur outils in-

formatiques. L’ordinateur évidemment

permet de « lire » ces ouvrages. Tout

d’abord associé aux exemplaires pa-

piers, ces e-books n’étaient qu’une

copie du livre dans un support nu-

mérique. Une sorte de tableau. Ce-

pendant l’identité même du livre nu-

mérique nécessitait un outil, un liseur

unique, spécifiquement conçu pour

cette seule fonction qu’est la lecture.

C’est ainsi que les liseuses, firent leur

apparition et procurèrent à l’écono-

mie mondiale du XXIe siècle une nou-

velle source de profits inespérée. Non

seulement ce nouveau format de lec-

ture nécessitait un environnement nu-

mérique, mais différentes sociétés se

concurrencèrent (le 9 novembre 2011,

Rakuten rachète Kobo pour 315 mil-

lions de dollars) pour ajouter une fonc-

tion supplémentaire à leur liseuse. En

fait de lecteur portatif, nous traînons

avec nous un autre ordinateur mi-

niature que celui sur lequel nous tra-

vaillons…

Marché économique fécond, les li-

seuses déclenchent toutes sortes de

transformations au sein du système

capitaliste actuel. D’abord vendus

conjointement, la liseuse et l’e-book,

ne formaient qu’un seul et même ob-

jet : le penchant numérique d’un livre

papier. Ensuite, ces e-books furent pu-

bliés directement sur internet. Le plus

souvent payants, ces « livres » sont tou-

tefois mis en ligne gratuitement par

l’intermédiaire de sites payants. Ain-

si, le livre voit ses profits en baissent

devant les prix dérisoires des e-books.

En France, un e-book est en moyenne

entre 20% et 30% moins cher que sa

version papier.

Et c’est récemment que sont appa-

rus dans des sites de téléchargement

illégaux un stock impressionnant de

bandes dessinées numériques ain-

si que de nombreux ouvrages. Le

préjudice engendré est très minime

puisqu’il ne représente que 2% des

ventes d’imprimés.

Cependant, cette course folle aux

profits peut-elle réellement provo-

quer la disparition pure et simple des

livres papiers ? Certains diront que oui,

d’autres que non.

analyse

Le musée privé d’Art spiegelman sur iPad coédité par la Cité internationale

de la bande dessinée et de l’image et la société Néolibris, 2012.

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Juillet 1971 >

Ayant pour but de diffuser des livres

via l’informatique, le Projet Gutenberg,

lancé par Michael Hart, est un écho

numérique à la démocratique invention

que fut l’imprimerie au XVIe (elle devra

cependant attendre le dévellopement

du web pour exister réellement).

1986 >

La société Franklin commercialise le

premier dictionnaire consultable sur

une machine de poche.

1990 >

Lancement du World Wide Web

(www) qui est la base même de notre

internet actuel.

Janvier 1991 >

Invention de l’Unicode, système uni-

versel d’encodage de caractères.

Avril 1993 >

ABU : la première bibliothèque numé-

rique française est mise en ligne.

Juin 1993 >

Le format PDF (et son lecteur, l’Acro-

bat Reader), est lancé par Adobe et

devient une référence en matière de

fixation numérique de présentation

de documents.

1994 >

La Suisse met en place « Athena » : une

bibliothèque numérique multilingue

proposant des œuvres en accés libre

sur le web et des œuvres numérisées

par les soins d’Athena.

1994 >

La NAP (National Academy Press) :

propose des livres numérisés dont la

consultation est sensée précéder un

achat papier.

1995-1996 >

De nombreux journaux sont acces-

sibles sur le web dans leur version

numérique (abonnements gratuits et

payants) : The Times, The Wall Street

Journal, Le Monde Diplomatique, Le

Monde, Libération...

Mars 1996 >

Le « Palm Pilot » est le premier assis-

tant personnel (PDA).

Octobre 1996 >

Genèse du projet @folio, baladeur de

textes conçu par Pierre Schweitzer,

architecte designer à Strasbourg.

Avril 1997 >

La sociétée Ink débute des recherches

autour d’une encre électronique (E-ink).

Le e-book

en dAtesUne chronologie de l’évolution de ce média numérique.

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Octobre 1997 >

Lancement de « Gallica », la vitrine

numérique de la BNF (bibliothèque

nationale de France).

Mai 1998 >

La maison d’édition française 00h00,

fondée par Jean-Pierre Arbon et

Bruno de Sa Moreira est la première à

vendre des livres numériques.

1999 >

Le Rocket eBook est la première ta-

blette de lecture.

Septembre 1999 >

Invention du format Open eBook

(OeB). En opensource, il est une pa-

rade contre les format-textes proprié-

taires, qui sont contraires à un principe

d’universalité de la culture.

2000 >

Stephen King publie son roman «Ri-

ding The Bullet» sur seul support nu-

mérique ainsi qu’un roman dont il au-

to-édite numériquement les chapitres

au fur et à mesure de leur écriture.

Août 2000 >

Barnes & Noble ouvre une librairie

numérique d’ e-books en partenariat

avec Microsoft et Adobe.

Novembre 2000 >

La marque américaine Gemstar lance

une série de tablettes numériques

(fort volumineuses et dont la masse

varie entre 500g et presque 1 kg). La

marque dépose le bilan en 2003.

Janvier 2001 >

la société française Cytale lance le

« Cybook », une tablette numérique

dont l’echec commercial conduira la

société à la faillite l’année suivante.

2001 >

Le Nokia 9210 est le premier télé-

phone du type smartphone qui per-

met, entre autre, de lire des e-books.

Avril 2004 >

Sony sort une tablette numérique uti-

lisant la technologie E-ink, Le « Librié ».

Ce modèle se limite au marché japonais.

Avril 2005 >

Le format ePub remplace l’OeB en

tant que principal format de texte

numérique.

Août 2006 >

Google lance sa bibliothèque numé-

rique « Google Books ».

Octobre 2006 >

Sortie du « Sony Reader », la nouvelle

version internationale du «Librié».

Juin 2007 >

La firme Apple lance L’iPhone, le

smartphone regroupant toutes les

technologies multimédias alors en

vogue y-compris la lecture des e-

books.

Novembre 2007 >

La librairie en ligne Amazon sort le

« Kindle », une tablette de lecture dés-

tinée aux livres achetés chez cette

même e-boutique.

Novembre 2009 >

La maison d’édition Barnes & Noble

lance Le « Nook », sa propre tablette

numérique.

Avril 2010 >

Apple sort l’iPad, déclinaison en

tablette numérique des célèbres iPod

et iPhone.

Mars 2012 >

Le fabricant de produits numériques

LG présente une liseuse entièrement

flexible de seulement 15 grammes uti-

lisant la technologie du « E-paper ».

chronologie

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Le téléphone a remplacé le télé-

graphe et la plaque photosensible a

laissé place à la pellicule, elle-même

remplacée par le fichier numérique.

Chaque invention, après avoir coexisté

avec la technologie dont elle est l’évo-

lution, a fini par la remplacer.

La possibilité de la supplantation du

e-book sur le livre papier est donc une

éventualité réelle. Ceci étant, cette in-

vention ne correspond pas au comble

d’un manque tel qu’a pu l’être l’arrivée

de l’eau courante dans les foyers ou

une révolution technologique créant

instantanément un besoin chez le

consommateur comme l’invention

des postes de radio et de télévision

pour les particuliers. Il s’agit plus d’une

amélioration voire même, d’une mise

à niveau d’un objet déjà

présent. Le e-book n’est

qu’une retranscription

numérique d’un texte que

l’on peut acquérir physi-

quement. Mis à part le cas d’un livre

numériquement interactif, un texte

n’entretient aucun lien privilégié avec

le support numérique en ce sens que

ce dernier n’apporte rien au contenu

textuel. Une personne qui lirait un

texte édité sur support informatique

ne profiterait nullement d’un aspect

du texte auquel le lecteur papier n’au-

rait pas accès. L’éventuelle domination

du support numérique ne pourrait

donc pas s’expliquer par un argument

de type qualitatif (du moins, vis-à-vis

du texte en lui-même). Mais le e-book

permet la lecture d’un texte via des ob-

jets qui s’avèrent hautement attractifs.

Ces interfaces sont comprises dans le

phénomène d’accélération touchant

la création et la consommation des

objets numériques. La génération née

durant la deuxième moitié des années

quatre-vingt en est le témoin : elle a

vu les ordinateurs et Internet quitter

la place privilégiée des

salles informatiques pu-

bliques pour les foyers.

Les ordinateurs ont en-

suite rapidement franchi

le statut d’outil familial pour celui

d’outil individuel. Avec cette infiltra-

tion de l’informatique dans les foyers,

« l’informatique laisse entendre que tout peut être acquis (et souvent opéré) dans l’instant. »

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les habitudes des usagers ont changé.

Le principal changement est le besoin

d’immédiateté. Que ce soit dans le

temps ou dans l’espace, l’informatique

laisse entendre que tout peut être ac-

quis (et souvent opéré) dans l’instant.

L’ordinateur individuel et le smart-

phone (sa descendance la plus mani-

feste) sont les « couteaux suisses » du

XXIe siècle : tout semble y être intégré.

À la différence qu’un bricoleur privilé-

giera la solidité et la maniabilité d’un

véritable tournevis à celles proposés

par son couteau tandis que le lec-

teur d’aujourd’hui pourrait rapidement

oublier les avantages que lui apporte

un livre imprimé. Il se pourrait en effet

que l’attrait pour l’e-book se manifeste

essentiellement à travers celui pour

les nouvelles technologies. Dans ce

cas, le consommateur ne verrait pas

dans l’e-book le moyen de mieux lire

un texte mais plutôt une manière de

se sentir en phase avec son époque,

une marche supplémentaire vers l’ère

numérique. Prenons l’exemple d’une

autre invention de type amélioratrice :

l’ascenseur. Il est l’évolution de l’esca-

lier dans le sens qu’il occupe la même

fonction. L’objectif de l’ascenseur peut

être vu comme un outil positif à voca-

tion égalitaire pour ses

usagers. Il permet en ef-

fet à des gens à mobilité

réduite (personne han-

dicapée, âgée ou trans-

portant un enfant avec

une poussette…) de pouvoir monter

et descendre les étages d’un édifice.

Mais il peut également être le symp-

tôme d’une société de plus en plus pa-

resseuse, partant du principe que tout

doit être agencé pour son confort. Il

en est de même pour l’e-book : cette

invention permet de consulter des

ouvrages inaccessibles par la voie

physique tels que des livres précieux

ou à tirage très limité. Il s’agit donc

d’un outil hautement égalitariste. Les

bibliothèques ont d’ailleurs été les pre-

mières à se servir de cette invention

pour rendre accessibles leurs collec-

tions. Mais aujourd’hui, de plus en plus

d’éditeurs et de boutiques en ligne

proposent d’acheter des livres sur for-

mat numérique alors que ces derniers

sont accessibles dans le commerce

sous leur forme imprimée. La majorité

des lecteurs ayant encore des jambes

pour se rendre chez un

libraire et des bras pour

sortir un ouvrage d’un

rayon, la numérisation

du commerce littéraire

n’est quant à elle cer-

tainement pas à but égalitaire. Elle est

probablement un signe d’une société

de plus en plus tournée vers les écrans

et, si elle n’en est pas un symptôme,

en est un agent de construction. Si le

e-book représente une menace pour

le livre papier, celle-ci relève donc des

mœurs de notre société actuelle et

surtout de la société à venir.

« Il se pourrait que l’attrait pour l’e-book se manifeste essentiellement à travers celui pour les nouvelles technologies. »

analyse

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LeS MookS

Alors que l’on avait annoncé la fin des supports papiers avec l’arrivée du numérique, les créateurs des revues comme " XXI ", " Usbek et Rica " ont fait le pari de revaloriser l’information sur papier. Revendiquant une ligne éditoriale de qualité, ces deux revues sont devenues les précurseurs d’un nouveau genre médiatique.

> Laurent Beccaria Directeur de

publication et Patrick de Saint-

exupéry Rédacteur en chef sont les

fondateurs et les concepteurs de la

revue XXi dont le premier numéro est

sorti en hiver 2008. Jérôme Ruskin

fondateur et directeur de publication

d’Usbek et Rica a sorti le premier

numéro en juin 2010. Ils ont été les

premiers à lancer sur le marché leurs

revues trimestrielles.

> 22 000 exemplaires du numéro

1 de 6 Mois ont été livrés dans les

librairies en prévision du lancement

du premier numéro au printemps 2011.

Laurent Beccaria et Patrick St exupéry

directeurs de la revue prévoyaient d’en

vendre 25000 exemplaires. Contre

toute attente les ventes ont dépassé

leurs espérances, les librairies ont du

se réapprovisionner rapidement car

42 000 exemplaires ont été écoulés.

> Le mook nous permet de découvrir

de nouveaux sujets, de lire à notre

propre rythme, de plonger dans un

nouvel univers à chaque numéro et de

lire et relire à volonté chaque page.

Contrairement aux nouveaux supports

numériques, les mooks restent

toujours à notre disponibilité.

Avec les nouveaux médias, l’information n’a jamais été traitée et diffusée aussi rapidement qu’aujourd’hui. Le seul problème, c’est que les sujets s’accumulent les uns sur les autres, tant les informations sont diffusées en masse par les médias (dans les journaux, la télévision et le web). La véracité de certaines sources semble aujourd’hui difficile à contrôler, étant donné que l’actualité se fait à présent au jour le jour. ce qui différencie ces nouvelles revues des journaux et des magazines vendus en kiosque, ce sont les contenus et leur aspect formel. en effet les mooks (également appelés maga-books ou magalivres) abordent des sujets aussi riches que variés et les traitent en profondeur. ils sont écrits par des passionnés du terrain, (correspon-dants, journalistes, photographes reporters, auteurs…). certains parcourent le monde durant des semaines, voire des mois à la rencontre des peuples, de leurs traditions et de leurs cultures. tout cela dans le but de nous révéler cette richesse et cette authenticité que l’on commençait à voir disparaître.

donnent le ton, retour sur ce phénomène !

un retour aux sources

Alors que le photo-journalisme est en crise ces dernières années, « 6 Mois » le petit frère de XXi sorti au printemps 2011 a déjà conquis de nombreux lecteurs. en effet en moins d’un an cette revue avait déjà rassemblé plus de 1000 abonnés. L’arrivée de cette revue bi-annuelle de 350 pages redonne un nouveau souffle au jour-nalisme. Comme XXi, elle revendique une mise en page originale, avec un format paysage de 21 x 27.9 cm qui se distingue des autres revues.

L’équipe éditoriale s’est engagée à re-fonder le lien entre la photographie et le journalisme en mettant en va-leur la pertinence et l’authenticité des sujets, et l’engagement des auteurs. Les rédacteurs d’hobo by l’equipe affichent également une ligne édi-toriale entièrement dédiée au pho-to-reportage. Mais contrairement à 6 Mois, cette revue est exclusive-ment centrée sur le monde sportif. Ce trimestriel invite à travers ses 208 pages à voyager d’image en image, ouvrant notre regard sur toutes les pratiques sportives existantes sur les cinq continents.

De nouvelles revues arrivent avec des lignes éditoriales différentes les unes des autres mais tout aussi ori-ginale, riches et il y en a pour tous les goûts. Qui n’a pas rêvé de garder une trace écrite des moments forts d’émission, diffusées à la radio ? et bien maintenant avec France Culture Papier c’est enfin possible. en effet la radio France Culture possède au-jourd’hui son propre trimestriel, sorti pour la première fois le 23 février 2012 dernier. Ce nouveau mook est unique, il retranscrit des heures de témoi-gnages, de récits, diffusés et écoutés auparavant à l’antenne. Il est composé de 192 pages environ et les illustra-tions apportent une nouvelle dimen-sion aux textes. Les heures d’antenne, les émissions et les chroniques, autant de thèmes et de sujets abordés. Re-transcrites sur ce nouveau support il permet à l’auditeur de prendre du recul sur les différentes thématiques culturelles, scientifiques, artistiques et politiques abordées.

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un tremplin pour tous les créatifs

Certaines revues deviennent un bon atout pour de jeunes artistes créa-teurs. L’équipe de XXi encourage les photographes, les auteurs, illustra-teurs et dessinateurs professionnels, étudiants et amateurs à envoyer leurs créations. Les candidats retenus par la rédaction sont souvent publiés en-suite de manière régulière.

Anna Apter et Charles Bataillie les deux directeurs artistiques du ma-gazine d’Usbek et rica, participent à la réalisation mais aussi à la création Ses deux graphistes, et illustrateurs créatifs, se sont lancés ensemble dans une carrière de freelance.

Ils travaillent pour leurs agences « Almasty » indépendamment de leurs travail pour la revue. Comme XXi, Usbec et rica accueille les contribu-tions de divers créateurs, graphistes, illustrateurs, dessinateurs. le style sin-gulier de chacun permet d’enrichir chaque parution sans mettre en cause l’unité éditoriale. Martin Carrese, gra-phiste indépendant et illustrateur fran-çais qui a créé son agence de gra-phisme en 2009, le « worldcomp’13 », a réalisé plusieurs illustrations pour le premier numéro d’Usbek et Rica.

* Le mot «mook» est d’origine japonaise. Cette appellation provient de l’amalgame du

mot magazine et du mot anglais books ( livres ).

> La particularité de ses revues

est qu’on peut les acheter dans les

librairies ou les surfaces culturelles.

Jérôme Ruskin fondateur de la revue Usbek et rica s’est inspiré de deux personnages issus du ro-man épistolaire les Lettres Persanes (1721) de Montesquieu « Usbek » et « rica » afin de créer l’identité vi-suelle autant que philosophique du magazine. Voulant comprendre le siècle dans lequel nous nous diri-geons avec les diverses évolutions technologiques, Usbek et rica ra-

L’intérêt d’un tel support est de per-mettre aux auditeurs de prendre le temps de rédécouvrir chaque sujet, de voyager page après page, récit après récit en découvrant sans cesse des détails que l’oreille aurait oubliés.

conte le présent et explore le fu-tur, avec un regard extérieur. On dé-couvre notre monde au fil des diffé-rents numéros.

Depuis Janvier 2012, Usbek et rica affiche un nouveau visage. Vendue dans les librairies et les surfaces culturelles, l’ancienne revue de 200 pages s’est transformée en maga-zine tout en restant trimestrielle. Ce nouveau magazine (le cinquième) offre une plus grande accessibilité à tous, étant moins cher que ses pré-cédents numéros, il concrétise son projet initial de démocratiser le sa-voir. Alors que beaucoup de maga-zines voient leurs contenus altérés par les annonces publicitaires, la plu-part des mooks (par exemple les re-vues XXi et 6 Mois) ont choisi de ne pas insérer de publicité dans leurs chemins de fer. Plus chers que les magazines, les mooks sont façon-nés de manière plus précieuse que les magazines.

> De nouveau mooks font constam-

ment leur apparition. Partez à la

découverte de crimes et châtiments,

schnock, feuilleton, Muze, We demain,

et bien d’autres encore...

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Chro-niques livres

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Jost Hochuli

Comment faire un livre ou comment en établir la typographie

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Dans un premier essai, Le détail en typographie, publié la première fois en 1987, Jost Hochuli analyse minutieusement tout ce qui se rapporte à ce qu’il nomme la micro-typographie (la lettre, le mot, l’interlettrage, l’espacement, la colonne…). Les règles y sont édictées de manière stricte et conventionnelle. L’impératif de lisibilité ne permet que peu de fantaisie, voire pas du tout. On y apprend comment gérer tout ce qui rendra le texte harmonieux, lisible et élégant. Dans ce nouvel essai, publié deux ans plus tard, Jost Hochuli explore cette fois ce qu’il nomme la macro-typographie, c’est à dire tout ce qui fait la forme d’un livre. Son format, sa mise en page, son design, la double-page, la justification des colonnes, ou encore l’organisation des titres et légendes, la gestion des illustrations…Ici, les règles présentées sont plus souples. Elles dépendent en grande partie de la nature du contenu de l’ouvrage et ne peuvent être les mêmes pour toutes les catégories de livre.

Après avoir défini ce qui fait livre, son format, sa fonction, sa symétrie ou encore ses proportions ou le choix d’un caractère, l’auteur établit une liste de catégories d’ouvrages qu’il va analyser pour comprendre comment construire une mise en page pour chaque type de livre (romans, recueils de poésie, livres illustrés, ouvrages scientifiques, livres pour enfants, bible, livres scolaires, ouvrages généraux ou de références ainsi que les projets expérimentaux comme les livres-objet, ou livres d’artiste).

Pour établir ces catégories, Hochuli se base sur une liste qui a été précédemment établie par Hans Peter Willberg, qui attribue six types de typographies au livre : • linéaire (roman)• information (journal)

• consultation (ouvrage scientifique)• didactique (scolaire et universitaire)• sélective (dictionnaire)• élémentaire (abécédaire)Tout en respectant l’autorité en la matière de Hans Peter Willberg (1930-2003, typographe, designer, professeur et auteur), Jost Hochuli pense que cette liste est trop cloisonnée, et que plusieurs catégories se retrouvent souvent dans un même ouvrage. Notre œil doit donc être capable de traverser tous les styles pour jouer avec et fabriquer le livre.

De ses réflexions sur l’aspect général d’un livre, on retiendra tout d’abord que ce qui fait un livre (et qui le différencie de toute autre publication), c’est l’axe de symétrie que lui donne la double-page. C’est cet axe qui le distingue du feuillet ou de l’affiche par exemple. Et c’est la première contrainte à laquelle est confronté le maquettiste. Vient ensuite la cinétique, le rythme visuel qui se dégage lorsqu’on tourne les pages d’un livre. Ce rythme inclue également la notion de temps qu’il faut pour tourner les pages et lire le livre dans son ensemble. On ne lit pas au même rythme un roman, un ouvrage scientifique, un dictionnaire ou un journal. Jost Hochuli insiste sur les deux unités d’importance que tout maquettiste ne peut ignorer : la double-page, qui crée l’unité visuelle, et l’ouvrage dans son ensemble (incluant la notion de temps de lecture) qui crée l’unité ultime.Ainsi, l’auteur ne donne pas de solutions au maquettiste, il n’édicte pas de règles immuables auxquelles nous ne pourrions déroger. Il met en avant tous les éléments qui doivent être soigneusement pensés et réfléchis et qui définissent le cadre au sein duquel l’éventuelle créativité du maquettiste pourrait se révéler.

HochuliComment faire un livre

ou comment en établir la typographieAgfa Compugraphic, 1989

JostChronique livres

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Par exemple, Jost Hochuli pense que le choix d’un caractère doit se faire en fonction de l’objet livre, dont le poids, le format, les matériaux utilisés, sa flexibilité et sa souplesse vont influer sur le dessin de la lettre. Mais le bon choix du caractère va surtout dépendre de la curiosité du maquettiste, de son regard et de son appréhension des autres ouvrages.

De même, pour les illustrations, il est souvent nécessaire d’oublier la grille et d’adapter la mise en page au cadre de la photographie, qui ne supporterait pas un recadrage arbitraire et irrespectueux (comme dans un catalogue d’exposition par exemple).

Dans les chapitres concernant les différents styles d’ouvrages, Jost Hochuli expose quelques mises en garde concernant une bonne lisibilité et du bon sens de la lecture. Sans toutefois être catégorique, il donne des clés pour résoudre des mises en page compliquées comme la retranscription d’un poème ou d’une pièce de théâtre, il souligne l’importance de l’empagement (gestion des lignes de texte en haut et bas de page, ainsi que les têtes de chapitres) qui va encadrer le texte et le rythme de lecture.

Dans son précédent essai sur la micro-typographie, Jost Hochuli expose de manière quasi-scientifique les règles du détail typo- graphique (et pour cause, puisque l’œil est un organe vivant, avec ses capacités de lecture et un seuil de fatigue à prendre en compte).

Dans Comment faire un livre…, il se met constamment à la place du lecteur, « La typographie doit indiquer clairement le sens de lecture » dit-il en page 29. Le lecteur est le seul paramètre dont doit s’occuper le maquettiste pour fabriquer un livre. La mise en page doit servir la lecture et la lisibilité.

Il n’y a pas de règle scientifique comme en micro-typographie, mais le maquettiste doit développer une certaine dextérité à manier les différents éléments qui feront un livre conçu pour le lecteur. Il insiste sur la transparence de la typographie, sur sa nécessaire discrétion qui donnera son aspect général au livre, ainsi que son aisance à le manipuler. Il rappelle que le principe de base, à ne jamais perdre de vue, est bien de faire en sorte que le lecteur entre dans l’univers du livre et n’ait envie d’en ressortir que parce qu’il se termine.

On peut donc se servir de cet ouvrage comme d’un mémento sur les grands principes de la fabrication d’un livre, comme d’une liste d’éléments à prendre en compte lors de la mise en page, le résultat dépendra de l’intelligence et de la curiosité du maquettiste. Lui seul pourra être juge des décisions typographiques à prendre, en ayant conscience des éléments et en décidant du recul nécessaire pour voir ce qu’il va s’appliquer à faire oublier.

par Delphine Boeschlin

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Georges Didi-Huberman

Survivance des luciolesGeorges Didi-Huberman

Survivance des lucioles

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Georges Didi-Huberman est un philosophe et historien de l’art français. Il a été pensionnaire à l’Académie de France à Rome, et résidant de la fondation Berenson à Florence. Il enseigne à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales comme maître de conférence depuis 1990. L’image, et surtout sa place dans la société contemporaine, est son objet de recherche privilégié auquelle il consacre jusqu’à aujourd’hui presque tous ses ouvrages.

Survivance des Lucioles a été publié en 2009 et suscita une vive polémique et de nombreuses critiques en raison des interprétations et des recoupements intellectuels qu’il fait des pensées de ses prédécesseurs comme Walter Benjamin, Giorgio Agamben, Hanna Arendt, Jacques Derrida ou Carl Schmitt. Il est nécessaire de savoir que ses mises en relation ont été contestées, mais les concepts développés dans l’ouvrage sont issus de problématiques ancestrales autour de la représentation et de l’interprétation du réel par l’image. En cela, ils nous permettent d’appréhender à travers les contextes socio-politiques du xxe siècle, les images d’aujourd’hui et de comprendre leur impact politique sur les peuples vivants en démocratie depuis la Seconde Guerre Mondiale.

Georges Didi-Huberman utilise comme base de sa réflexion un article écrit par Pier Paolo Pasolini en 1975, à peine quelques mois avant sa mort et avant la sortie en salle de Salò ou les 120 jours de Sodome. Dans « L’article des lucioles », Pasolini revient sur toutes ses convictions et sur sa foi dans le prolétariat, il y déplore la disparition du peuple et finit par déclarer la mort des résistances, assassinées dans les méandres d’une démocratie qu’il considère alors comme étant encore plus vicieuse et fascisante que les pouvoirs totalitaires

Didi-Huberman

Survivance des luciolesminuit, 2009

Georges

qui ont martyrisé le xxe siècle.Le terme « luciole » se réfère à La Divine

Comédie de Dante, et plus particulièrement aux neuf cercles de l’Enfer, où il parle de la grande lumière (luce) du paradis, opposée aux minuscules lumières (luciole) des âmes mauvaises qui scintillent encore avant d’être englouties par la lumière blanche de l’apocalypse. Pasolini a déjà renversé les termes, en expliquant que dans les temps modernes, la grande lumière blanche est devenue spectacle (la télévision, la politique-spectacle dont parle Guy Debord) et fascisme (à travers les torches qui servent à balayer les camps de concentration, produisant une lumière aveuglante, finalité d’un régime prônant l’acclamation). Une lumière unique et blanche, engloutissant toutes les autres parce que sacrée, dans laquelle le peuple est unique lui aussi, aveuglé, et dans une adoration muette, dénué de contre-pouvoir.

Les lucioles, sont les actes de résistances infimes qui se manifestent dans la gestuelle populaire, dans l’argot des jeunes napolitains, dans une danse à l’orée d’une clairière après un couvre-feu. Comme chez les insectes, leur lueur est fragile, éphémère, intermittente… Mais résistante, même sous les pires régimes totalitaires. Et ce furent les convictions profondes de Pasolini, du moins jusque dans les années soixante-dix, où, déçu et déprimé par la société démocratique de son époque, il finit par conclure à la disparition du peuple et de ses lucioles.Dans les années précédentes, il passa sa vie de cinéaste à nous montrer ces lucioles, à les faire vivre dans ses films, jusqu’à Salò… Sûrement le film le plus sombre de Pasolini, inspiré du livre de Sade, mais aussi par un fait politique de son époque : Mussolini reculant face aux alliés, s’était alors réfugié à Salò, ville du nord de l’Italie, et

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dans laquelle il tenta de refonder une république fasciste qu’il nomma La République Sociale Italienne.

Mais revenons à l’auteur de Survivance des lucioles… Car tout ou presque est annoncé dans le titre. Georges Didi-Huberman tente de démontrer que contrairement à ce que déplore Pasolini, les lucioles ne sont pas mortes, et que leur déclin, leur chute, ne signifie pas pour autant leur disparition totale. Et la querelle autour des filiations de pensées et des recoupements intellectuels qu’il fait (analyse compliquée quand on n’est pas philosophe ou historien de la philosophie soi-même) n’empêche pas de faire l’analyse du concept-clé du livre, ainsi que sa critique.

Dans cet ouvrage, Georges Didi-Huberman nous oblige à nous questionner sur le contemporain à travers les propos de Giorgio Agamben, qui nous dit que le contemporain se situe dans l’anachronisme et le recul face à notre « actualité ». Pour lui (mais on retrouve ce concept dans la pensée pasolinienne), il est nécessaire d’assumer la conjonction de l’archaïque et du contemporain. Ce qui conduit à établir une méthode archéologique de la pensée, afin de comprendre et d’appréhender le contemporain. Comme chez Walter Benjamin, qui construit ses paradigmes autour de la notion de « philosophie des origines, non pas comme émergeant de faits constatés, mais qui touche à leur pré et post-histoire ». Ainsi, les lucioles sont comme les images lancées à un moment donné de l’histoire, elles se perdent, disparaissent presque, comme les lueurs des insectes dans la nuit. Et puis un jour peut-être, elles seront rattrapées, recueillies et recréées, elles survivent, elles persistent, à la

1 • Walter Benjamin, « Le conteur »,

art. cit., p. 125.

2 • G. Agamben, « Le Règne et la

Gloire », (Homo sacer II, 2), Le Seuil,

coll. L’ordre philosophique, 2008.

manière « des graines enfermées hermétiquement pendant des millénaires dans les chambres des pyramides, et qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur pouvoir germinatif 1 ». « Nul ne meurt si pauvre qu’il ne laisse quelque chose. » Pascal

Dans cette analyse, Georges Didi-Huberman évoque la pensée de Agamben qui, en se référant à Guy Debord (toujours selon Didi-Huberman), établit que « la société du spectacle est à l’opinion publique d’aujourd’hui ce que l’assujettissement des foules fut aux totalitarismes d’hier ». Selon Agamben, les images ne sont que des produits d’asservissement, incapables de contre-pouvoir, et le peuple est devenu un amas de corps asservis. Il n’y a plus d’alternative à « la gloire » et au « règne »2 des puissants qui fabriquent le spectacle de la démocratie contemporaine.

George Didi-Huberman lui oppose alors la vision de Hanna Arendt dans La crise dans la culture, qui développe la notion de « force diagonale ». L’instant présent est la conjonction du passé qui n’a pas de début, et du futur qui n’a pas de fin. C’est seulement à cette intersection que se trouvent les bribes du contemporain, et c’est certainement dans cet instant-là, dans la conscience de cette conjonction que peuvent naître les « lucioles ».

Il finira son livre en citant deux exemples forts qui démontrent que le peuple n’a pas disparu, que les lucioles réapparaissent et réapparaîtront encore tout au long de l’Histoire. Du fait même de cette pensée archéologique qui veut que le présent, le contemporain, n’est rien d’autre que la matérialisation de la conjonction du passé et du futur.

Il cite pour commencer Charlotte Beradt, qui, en 1933 fit un rêve épouvantable lié aux événements politiques du moment. Elle y était

par Delphine Boeschlin

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pourchassée et prise pour cible par la dictature toute entière. Et cette nuit-là, lui vint l’idée qu’elle n’était sûrement pas la seule à être « condamnée par la dictature à rêver de la sorte »3. Elle entreprit alors de recueillir les témoignages des rêves de 300 de ses contemporains vivants sous ce même régime totalitaire.

Ces rêves qui traversent un peuple deviennent alors des lueurs pour quiconque n’a pas vécu de tels moments de terreur, pour peu qu’ils trouvent la forme juste pour être transmis. Ils n’expliquent rien, ne démontrent pas la nature du nazisme, mais comme Charlotte Beradt le dit elle-même, il se transforment en une « sismographie » de l’histoire politique du IIIe Reich. « De tels rêves ne devaient pas être perdus. Ils pourraient être retenus le jour où l’on ferait le procès de ce régime en tant que phénomène historique car ils semblaient plein d’enseignements sur les affects et les motifs des êtres qu’on insérait comme des petites roues dans le mécanisme totalitaire4. » Et comme Georges Didi-Huberman l’analyse ensuite selon moi très justement : « Les rêves recueillis par Charlotte Beradt transforment la réalité, certes ; mais cette transformation même revêt une valeur de connaissance clandestine, là précisément où une menace, d’être figurée, prendra valeur de diagnostic anthropologique, de prophétie politique, comme un savoir hétérotopique – mais également « hyperesthésique » – du temps vécu le jour par les images rêvées la nuit 5.»

Le deuxième exemple que Georges Didi-Huberman invoque pour étayer sa thèse est le film Border de Laura Waddington. En reprenant à son compte le concept développé par Hanna Arendt de « force diagonale » (qui, selon lui, constitue la ressource infinie des lucioles, les empêchant de mourir malgré la chute dans

la lueur blanche du spectacle) qu’il attribue à la simplicité formelle du film, à son sujet, et aux « images-lucioles » qu’il fait apparaître. « Laura Waddington a passé plusieurs mois dans les zones environnant le camp de la Croix-Rouge à Sangatte. Elle filmait les réfugiés afghans ou irakiens qui tentaient désespérément d’échapper à la police et de traverser le tunnel sous la Manche afin de rejoindre l’Angleterre. Elle ne put, de tout cela, que tirer des images-lucioles : images au bord de la disparition, toujours mues par l’urgence de la fuite, toujours proche de ceux qui, pour mener à bien leur projet, se cachaient dans la nuit et tentaient l’impossible au péril de leur vie. La « force diagonale » de ce film se paie en clarté, bien sûr : nécessité d’un matériel léger, obturateur ouvert au maximum, images impures, mise au point difficile, grain envahissant, rythme saccadé produisant quelque chose comme un effet de ralenti. Images de la peur. Images-lueurs, cependant. Nous voyons peu de choses, des bribes seulement : des corps postés sur le bas-côté d’une autoroute, des êtres qui traversent la nuit vers un improbable horizon. Ce ne sont pas, malgré l’obscurité régnante, des corps rendus invisibles, mais bien des « parcelles d’humanité » que le film réussi justement à faire apparaître, si fragile et brève que soient leurs apparitions 6. »

Pour conclure dans une vision plus générale du texte de Georges Didi-Huberman, La survivance des lucioles apparaît plus comme un essai sur ses propres thèses, qu’une juste (en ce sens qu’elle dit la vérité) interprétation des filiations de la pensée de ses pairs.

Ainsi, je peux me réapproprier l’essence de son ouvrage, mise en perspective avec le cinéma de Pasolini ou la littérature de Dante, et penser ces concepts dans le champ du design graphique qui oscille en permanence entre la communication et

3 • Charlotte Beradt, « Dreams under

Dictatorship », Free World, VI, 1943,

n°4, p. 333.

4 • Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIe

Reich (1966), trad. P. Saint-Germain,

Paris, Payot & Rivages, 2002 (éd.

2004), p. 50.

5 • Georges Didi-Huberman, « La sur-

vivance des Lucioles », Les Éditions de

Minuit, coll. Paradoxe, 2009, p. 117.

6 • Ibid., p. 135.

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la volonté de créer des images au sens artistique du terme. En cela, et suivant la manière dont il est pratiqué et reçu, il peut se situer autant dans la lumière aveuglante décrite par Pasolini, que dans les minuscules lueurs de résistance des lucioles survivantes de Georges Didi-Huberman.Et si le design se situe dans le champ de l’art contemporain pour certains, il n’en est que plus nécessaire de comprendre comment se fabrique le « contemporain » justement, comment attraper les lucioles et les transmettre, comment en créer de nouvelles. Avec ceci de plus que nous vivons au milieu de millions d’images quotidiennes (comparé à Guy Debord ou même Pasolini), qui fabriquent notre actualité et non le contemporain. Alors fabriquer des « images-lucioles », des « images-lueurs » n’en devient que plus nécessaire et compliqué. Mais nécessaire.

Et j’en viens à penser que les images qui nous traversent, celles qui fabriquent l’actualité et non le contemporain, produisent en nous des syndromes semblables à ceux décrits par Charlotte Beradt dans son recueil de rêves. Elles nous obligent à penser le présent d’une certaine manière, elles laissent sur nous les traces indélébiles de la volonté d’uniformiser, de rationaliser, de rendre plus productifs et de participer à l’abondance et à la masse.

Alors surtout, en tant que créatrice d’images et peut-être graphiste dans le futur, je dois ingérer mon environnement et bifurquer parfois, pour ne pas rester muette dans la puissante lumière du spectacle.

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Fred Ritchin

Au-delà de la photographie

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RitchinAu-delà de la photographie

Victoires eds, 2010

Fred

« Nous sommes entrés dans l’âge du numérique. Et l’âge du numérique est entré en nous. » La première phrase de la préface annonce clairement le contenu du livre de Fred Ritchin. Il ne sagit pas d’envisager la photographie sous son aspect purement artistique mais comme un médium intrinsèquement lié à l’évolution de notre société et plus particulièrement depuis son passage au numérique.

Fred Ritchin prend soin, dans les deux premiers chapitres, d’intégrer ce passage dans le contexte technologique que représente cette ère numérique globale. Il explique comment l’informatique s’est introduite dans notre quotidien pour finalement en être une composante et même un élément fondateur. Ceci étant, son regard n’est pas celui de l’informaticien mais plutôt celui du sociologue qui observe, analyse et met en garde. Ce dernier aspect de sa démarche est le plus présent de ces premiers chapitres. En effet, il s’inquiète de ce que notre société ait intégré l’informatique aussi facilement, de manière quasi naturelle. Alors que les récits de science-fiction regorgeaient de scénarios catastrophistes liés aux évolutions technologiques et que de nombreux artistes ont soulevé des questions relatives à celles-ci, comment se fait-il que les consommateurs que nous sommes se soient rués aveuglément vers elles, sans se poser de question ? Il rappelle que toute évolution d’ordre technique générait auparavant une interrogation quant au fonctionnement de ce qui est créé. Le public cherchait à comprendre le comment et pas juste le pourquoi. Il évoque l’anecdote du propriétaire d’une voiture soulevant le capot pour voir ce qui se passe en-dessous. Il semblerait que l’informatique ait toujours cherché à masquer son aspect révolutionnaire, à contourner la question

de la prouesse technique pour laisser place à celle de l’utilisation et plus clairement à celle de la consommation. Fred Ritchin explique ainsi comment le vocabulaire de l’informatique est puisé dans tous les domaines qui permettraient de ne pas voir que ce qu’il désigne est d’un ordre nouveau. Il donne l’exemple du terme de bureau, de souris ou encore de toile qui sont des aspects de ce qu’il définit comme un « camouflage mimétique ». Il rappelle que cette méthode n’a rien de nouveau et que, par exemple, la puissance d’une voiture se mesure en nombre de chevaux. Si visuellement et verbalement un objet nouveau peut être assimilé à ce que nous connaissons, la crainte que pourrait véhiculer l’évolution technologique qui l’accompagne s’annule et son intégration par notre société en est rendu plus aisée.

C’est de cette façon que la photographie numérique a, selon lui, pris aussi facilement la place de l’argentique : par ce qu’elle a prétendu n’en être qu’une amélioration. Fred Ritchin tente de démontrer que la photographie numérique, maquillée derrière son évidente relation avec l’argentique, est très différente de celle-ci et est déjà en train d’opérer des changements dans notre société.

L’arrivée du numérique aurait également été encouragé par un épuisement de l’argentique. Il explique que notre monde est devenu d’avantage photographié que vécu. Qu’il est figé et transformé par un nombre limité de standards photographiques. Le monde, dont la représentation photographique est déjà saturée n’a donc plus d’intérêt en tant que sujet et la photographie argentique est rendue obsolète. Le numérique et la possible malléabilité qu’il offre aux images permet quant à lui de dépasser

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l’enregistrement de ces vues déjà prises maintes et maintes fois.

Le deuxième chapitre intitulé « Des pixels et des paradoxes » s’ouvre directement sur un parallèle entre la retouche numérique et la manipulation génétique. Comme dans le premier chapitre, le sujet est amené comme une mise en garde. En effet, le pixel est ici le gêne de l’image numérique, et est associé dès le titre à une idée de déviance comme le montre le terme de paradoxes. Une déviance double qui touche à la fois notre société mais également l’être humain lui-même. La société semble effectivement être atteinte par le glissement du statut et de la valeur qu’elle avait attribué à la photographie.

Fred Ritchin rappelle que nous accordons plus d’importance à ce que montre une photographie qu’à ce que rapporte un témoin de la scène photographiée. Et que certains évènements ne sont connus du grand public qu’à travers leur témoignage photographique. Les craintes dont l’auteur nous fait part sont les suivantes : « Avec la possible retouche de chaque image, comment encore leur accorder une quelconque crédibilité ? La précieuse objectivité qui semblait être une constituante fondamentale de l’image photographique n’est-elle pas définitivement anéantie ? Et, dans ce cas, qu’adviendra-t-il de notre vision d’évènements tels que les guerres et les massacres dont nous n’avions connaissance que grâce à des images étalées dans les journaux et sur nos écrans ? ». Fred Ritchin explique que la photographie est aujourd’hui davantage un médium voué à l’illustration au même titre que la peinture ou le crayon que l’on peut manipuler jusqu’à obtenir l’image escomptée et non plus la trace de ce qui est présent devant l’objectif. Tout semble d’ailleurs se jouer après la prise de vue, lorsque la photographie, qui n’est plus qu’une

matière brute, est transformée pour correspondre à une image existante en amont de la capture.

Pouvoir améliorer une image pour qu’elle dise au mieux ce que nous voulons, rend presque impossible l’existence et la diffusion d’une photographie non retouchée. Cette recherche de perfection de l’image rejoint la standardisation que Fred Ritchin reprochait aux photographies argentiques. Toutefois, il ne sagit plus de restreindre le choix des sujets mais de les transformer. C’est là que l’être humain est directement concerné, car à force de modifier l’apparence de son corps pour qu’il tende vers une certaine perfection, il n’accepte plus de le voir tel qu’il est vraiment. Et puisque nous vivons dans un monde régi par les images qu’il produit, pourquoi ne pas le modifier pour qu’il s’accorde à elles ? Les photographies ne sont plus des images de notre monde, c’est lui qui est une image de nos photographies.

par Paul Gros

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