Émile Durkheim - Tableau de l'Organisation Sociale Au Japon (1902)

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Émile DURKHEIM (1902) “ Tableau de l’organisation sociale au Japon ” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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Tableau de l'Organisation Sociale Au Japon (1902)

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  • mile DURKHEIM (1902)

    Tableau delorganisation sociale

    au Japon

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    mile Durkheim (1902)

    Tableau de lorganisation sociale au Japon

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim(1902), Tableau de lorganisation sociale au Japon. Texte extrait de la revueAnne sociologique, n 5, 1902, pp. 342 347. Texte reproduit in mileDurkheim, Textes. 3. Fonctions sociales et institutions (pp. 232 237). Paris: Lesditions de Minuit, 1975, 570 pages. Collection: Le sens commun.

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    Tableau del'organisation socialedu Japon

    par mile Durkheim (1902)

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim (1902), Tableaude lorganisation sociale au Japon. Texte extrait de la revue Anne sociologique, n 5,1902, pp. 342 347. Texte reproduit in mile Durkheim, Textes. 3. Fonctions sociales etinstitutions (pp. 232 237). Paris: Les ditions de Minuit, 1975, 570 pages. Collection:Le sens commun.

    Ce livre nous offre un tableau succinct, mais assez clair et document, desprincipales phases par lesquelles a pass, au cours de l'histoire, l'organisationsociale du japon 1.

    Ces phases sont au nombre de trois.

    1 Fukuda, Tokuzo, Die Gesellschaftliche und wirtschaftliche Entwickelung in Japan.

    Stuttgart, Cotta, 1900.

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    La premire va des origines l'anne 644. Elle commence, commel'histoire mme du japon, au moment o la tribu des Yamatos vient s'tablirdans le pays, refoulant ou s'assimilant les indignes. Ce sont ces Yamatos, eneffet, qui, en se dveloppant, sont devenus le peuple japonais actuel.

    Il y avait trois tribus de ce nom runies sous une mme autorit. Chacuned'elles, son tour, tait compose d'un certain nombre de groupes appels ujiqui n'taient autres que des clans analogues aux gentes romaines. Les mem-bres d'un mme uji, en effet, se regardaient comme descendus d'un mmeanctre et pratiquaient un mme culte dont cet anctre commun tait l'objet.Chaque uji, son tour, se divisait en groupements plus restreints, appels ko-uji (petits ujis) lesquels comprenaient enfin, comme units dernires, lesfamilles. Mais la famille n'tait pas rduite au seul couple conjugal et sesdescendants ; les frres, les oncles, les neveux, etc., y vivaient en commun.C'tait donc une communaut familiale, dont l'tendue rappelle celle de lazadruga slave par exemple. - Le recrutement de la famille et, par consquent,du clan se faisait par voie de filiation en ligne paternelle. Mais quoi qu'en disel'auteur, travers les faits mmes qu'il cite, on voit clairement que, l'origine,la filiation tait utrine. En effet, quand l'homme ne pouvait acheter sa femmeou la capturer, il n'avait pas le droit de l'emmener chez lui ; il ne pouvait avoirde commerce avec elle que dans la maison de ses beaux-parents et les enfants,issus d'une telle union, appartenaient la famille de la mre. Sans doute, il nes'ensuit pas que le rgime ft matriarcal ; mais famille matriarcale et familleutrine sont choses fort distinctes ; M. Fukuda parat ignorer cette distinction.

    Chaque clan avait sa tte un chef ; il en tait de mme de chaque subdi-vision du clan (petit uji et famille). Le pouvoir de chacun de ces chefs sur lesmembres du groupe qui tait immdiatement subordonn tait absolu. Onreconnat cette description les caractres distinctifs de ce que nous appelonsl'organisation politico-familiale ou organisation sociale base de clans. Cequi achve de justifier cette dnomination, c'est que les diffrents clans seconsidraient tous comme descendus d'un mme anctre, qui tait, par cons-quent, l'anctre de la tribu tout entire. L'uji qui tait cens comprendre lesdescendants directs de cet anctre, avait sur les autres une suprmatie. Sonchef tait prpos l'administration du culte national, commun tous lesclans, et tenait de ces fonctions un prestige et des droits spciaux. C'est lapremire forme de la dignit impriale 1.

    1 S'appuyant sur ce fait que les mariages entre frres et surs ne sont pas inconnus au

    japon, mme l'poque historique, l'auteur se demande si l'on a bien faire ici des clanset une organisation gentilice. Mais l'exogamie n'est caractristique du clan qu' un

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    Chaque uji possdait collectivement le sol qu'il occupait. Mais c'tait lepetit uji qui constituait l'unit conomique fondamentale. Chacun de ces grou-pes avait une fonction industrielle dtermine, et une seule (pche, chasse,agriculture, quelques mtiers ; mais ceux-ci taient le monopole de l'uji imp-rial). La profession de chaque famille (ko) tait celle du petit uji auquel elleappartenait sans qu'aucune place ft laisse au libre choix. Quant au moded'exploitation de la terre, l'auteur suppose qu'il a t collectif.

    Mais, avec le temps, le clan perdit sa consistance primitive. Les causes decet effacement sont assez confusment exposes par l'auteur ; la principaleparat avoir t l'accroissement de la population. Il est probable que, par suitedes mariages, des migrations intrieures, les diffrents ujis se mlrent, sepntrrent mutuellement. N'ayant plus une suffisante individualit, ils nepouvaient plus continuer servir d'units politiques, conomiques et religieu-ses. De l'ancienne organisation, il ne resta donc plus que deux lments forte-ment constitus : le pouvoir imprial, d'une part, et les familles (ko) de l'autre.La prpondrance prise par ces deux lments caractrise, en effet, la secondephase de cette volution sociale (645-930). jusque-l, l'empereur n'atteignaitles familles que par l'intermdiaire des chefs de clans et de sous-clans ;dsormais, il n'y a plus entre elles et lui de pouvoir interpos. Primitivement,chaque uji possdait en pleine indpendance le sol qu'il occupait ; maintenantque les ujis ont disparu, c'est l'empereur qui leur succde ; il est considrcomme le seul et unique propritaire du territoire tout entier. Mais, pour enassurer l'exploitation, il partageait la terre entre tous ses sujets. Chaqueindividu mle g de cinq ans rvolus, avait droit environ 16 ares 1/2 ; lesfemmes, aux deux tiers. Tous les six ans, les parts dont jouissaient les dcdsrevenaient l'tat qui les rpartissait entre les nouveaux ayants droit. Mais, sielles taient calcules ainsi par tte, elles n'taient pas attribues sparment chaque individu ; c'est le ko, la famille qui exploitait en commun l'ensembledes parts qui revenaient tous ses membres. Le ko, qui dans l'organisationprimitive jouait un rle trs effac, prit ainsi la place et l'importance perduepar le clan. C'est en lui que s'est rfugi l'ancien communisme des groupesplus tendus, qui ont disparu. Il forme une masse indivise, compacte, qui n'estautorise se dissoudre que trs exceptionnellement. Il est devenu la pierreangulaire de la socit. En dehors et au-dessus de lui, il n'y a plus gure, enfait de groupements secondaires, que des circonscriptions administratives,artificiellement dlimites, sans racines dans les murs.

    moment de son volution (clan filiation utrine). Nous nous demandons, d'ailleurs, sil'endogamie japonaise n'est pas due au dveloppement qu'y prit le rgne des castes ; car,pour des raisons faciles comprendre, l'esprit de caste rend tolrant pour les pratiquesincestueuses.

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    Mais cause de cette absence de groupes secondaires, une telle organi-sation ne pouvait tre qu'phmre ; le pouvoir central ne pouvait tre partoutprsent de manire assurer la cohsion sociale. Aussi, en ralit, le rgimene fut-il appliqu intgralement que pendant un sicle, d'une manire partielleet irrgulire pendant deux autres. Les propritaires particuliers s'affranchirentde l'tat de dpendance o ils se trouvaient vis--vis de l'empereur ; les plusentreprenants, ceux qui disposaient d'une partie du pouvoir, agrandirent leurdomaine, l'empereur lui-mme aida ce mouvement en concdant des terres certains de ses fonctionnaires, titre de rcompense. Il se constitua peu peuune classe de grands propritaires qui, grce la force que leur donnait leursuprmatie conomique et grce la faiblesse de l'autorit centrale, finirentpar absorber tous les pouvoirs politiques, militaires et judiciaires. L'empirejaponais se rsolut ainsi en une multitude de seigneuries territoriales qui neconservrent plus avec l'empereur que des liens assez lches. Les petits pro-pritaires furent obligs de se placer sous la dpendance de ces seigneurs dontils devinrent les vassaux, au sens europen du mot. Ainsi se forma un vastesystme fodal qui ne dura pas moins de sept cents ans (jusqu'au commence-ment du XVIIe sicle). C'est l'poque o les villes commencent apparatre :tout comme en Europe, elles prirent naissance autour des rsidences desseigneurs et sous leur protection. Comme en Europe galement, avec les villeson voit se fonder les premires corporations.

    A l're fodale succda une poque de gouvernement absolu (1603-1867).L'autonomie de toutes ces seigneuries locales eut naturellement pour cons-quence d'interminables guerres intestines qui ruinrent le systme. Pour pou-voir soutenir ces luttes, il fallait de l'argent que la noblesse fut bien oblige dedemander aux paysans et aux villes et qui fut, dans bien des cas, la ranon deleur indpendance. En mme temps, un changement se fit dans les ides. Dessectes religieuses se constiturent et se dvelopprent trs rapidement, dontl'esprit tait trs diffrent de celui dont s'inspiraient les anciens cultes du pays.Elles avaient quelque chose de plus simple et de plus populaire. Unchangement devenait, par suite, ncessaire dans l'organisation de la socit.Le besoin d'une forte centralisation, qui tnt fermement unis les lments ht-rognes dont tait forme la socit japonaise, se fit sentir. Seulement, cettecentralisation ne se fit pas autour de l'empereur. La dignit impriale subsistasans doute ; mais celui qui en tait investi n'exerait aucun pouvoir effectif.Retir dans le fond de son palais, invisible aux profanes, entour de luxe et deprestige, il ne pouvait rien faire par lui-mme. L'autorit relle tait dtenuepar une sorte de fonctionnaire, nomm le shogun, qui, en principe, tait nom-m par l'empereur, mais sans tre aucunement choisi par lui. Cette organisa-tion centraliste, qui tablit son sige au centre du pays, inaugura une re de

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    prosprit conomique, de progrs intellectuel que le japon n'avait pas encoreconnue ; mais, pour se maintenir plus srement, elle recourut une politiqueintraitablement conservatrice. La socit japonaise se replia sur elle-mme ;toute relation avec le dehors fut prohibe ; toutes sortes d'obstacles apports la production des nouveauts. - Cette situation dura jusqu'au milieu de cesicle, poque o l'empereur reprit la ralit du pouvoir. Alors, a commencun rgime plus libral ; le japon s'ouvrit l'tranger, des institutions parle-mentaires furent fondes, etc. Toutefois, sans nier l'importance de ces trans-formations, l'auteur nous avertit qu'elles n'ont gure eu de ralit que dans lesclasses les plus leves, et n'ont gure eu d'action sur les masses profondes dela nation.

    On remarquera l'analogie que prsente l'volution du Japon, ainsi dcrite,avec notre propre volution sociale. Nous avons pass presque par les mmesphases. A l'empire carolingien a succd la fodalit ; la fodalit, la monar-chie absolue. Mme dans le dtail on trouve des ressemblances. En Europe,comme au japon, les villes se sont formes l'ombre du pouvoir seigneurialpour se retourner ensuite contre lui. Comme les croisades, en ruinant lesseigneurs, prparrent l'mancipation communale, les guerres intrieures etautres du Japon affaiblirent de la mme manire le pouvoir des classes guer-rires et ouvrirent les voies un rgime nouveau. De part et d'autre, enfin, lachute de la fodalit est contemporaine d'une renaissance littraire et artis-tique et d'une rforme religieuse. L'analogie des sectes japonaises et du, pro-testantisme est frappante. C'est dire que l'un et l'autre dveloppement dpen-dent de causes gnrales et que nous sommes peut-tre ici en prsence d'untype abstrait d'volution sociale.

    Fin de larticle.