Emeutes de Deido : critique philosophique

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SINDJOUN POKAM EMEUTES DE DEIDO CRITIQUE PHILOSOPHIQUE NOUS SOMMES TOUS DES AUTOCTHONES

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Texte du philosophe Sindjoun Pokam à propos des Emeutes de janvier 2012 à Deido à Douala

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SINDJOUN POKAM

EMEUTES DE DEIDO

CRITIQUE

PHILOSOPHIQUE

NOUS SOMMES TOUS DES

AUTOCTHONES

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«Le Tribunal de Nuremberg ne s’est pas contenté de juger les nazis,

il a également mis hors la loi l’idéologie dont ils se réclamaient. Et, aussi

longtemps qu’il n’aura pas été dit explicitement en Afrique Centrale que les

minorités ont le droit d’être protégées et que tous les citoyens méritent un

accès égal au pourvoir et au savoir, les métastases du génocide se

répandront, et non seulement dans tout le continent Africain. Les

manipulations de l’ethnicité ne pourront être déjouées que si chacun

s’emploie à déconsidérer cette idéologie qui tue : la communauté

internationale, les autorités politiques, mais les autorités morales, les

Eglises, les organisations de défense de droits de l’homme, la société

civile.

Si l’Afrique demeure le continent de l’impunité, de l’irresponsabilité, le

seul où l’on puisse tuer, mentir, corrompre, sans encourir de sanction, quel

avenir peut-on lui prédire ? En Europe, le tribunal international consacré

aux crimes dans l’ex-Yougoslavie a désigné comme coupables les Mladic

et autres Karadjic, mais il a aussi condamné le système de purification

ethnique qu’ils avaient tenté de mettre en place. Il faut qu’il soit procédé

aux mêmes condamnations en Afrique, car la vérité du Rwanda sera celle

du Burundi, du Zaïre et demain du Cameroun… » I.

L’essai qu’on va lire s’inscrit dans cette exigence que formule si

fortement Collette BREACKMAN.

(I) Collette Breackman, Terreur Africaine, Ed Fayard, Paris 1996.

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NOUS SOMMES TOUS DES AUTOCTHONES.

UNE CRITIQUE PHILOSOPHIQUE DES EMEUTES DE DEIDO.

______________.

Penser philosophiquement les émeutes de Deido, c’est soumettre à la

question la séquence conceptuelle autochtone/minorité/allogène.

Les dernières émeutes de Deido constituent les manifestations récurrentes

des passions et pulsions ethniques qui secouent notre corps politique en

construction.

Nous sommes tous des autochtones, déclare mon maître à penser, le

savant Cheikh Anta Diop : « Selon toute vraisemblance, les Peuples

africains actuels ne sont nullement des envahisseurs venus d’un autre

continent ; ils sont tous autochtones »1 Cette thèse est vigoureusement,

rigoureusement et scientifiquement établie. D’où cette précision de Cheikh

Anta Diop : « Les dernières découvertes scientifiques qui font de l’Afrique

le berceau de l’humanité excluent de plus en plus la nécessité de peupler

le continent africain à partir des autres »2. Les conséquences

philosophiques, politiques, éthiques et idéologiques de ces thèses de

Cheikh Anta Diop sont immenses. D’où ma filiation, ma lignée à la pensée

de Cheikh Anta Diop. Elle est double et s’exprime à travers la rencontre

historico-politique d’Um Nyobé/Cheikh Anta Diop. De cette rencontre,

Cheikh Anta Diop écrit : « C’est en février 1952, alors que j’étais secrétaire

général des Etudiants du R.D.A. que nous avons posé le problème de

l’indépendance politique du continent noir et celui de la création d’un futur

Etat fédéral.

1 Cheikh Anta Diop, Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique Noire, éd. Présence

Africaine, Paris 1974 p, 11 2 Cheikh Anta Diop, op.ct, id

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Cet article qui n’était alors que le résumé de Nations Nègres, en cours de

publication, traitait des aspects politiques, linguistiques, historiques, social,

etc.… de la question.

Il est certain qu’à l’époque, les députés malgaches et le leader

camerounais, Ruben Um Nyobé, mis à part, aucun homme politique

africain noir francophone n’osait encore parler d’indépendance, de la

culture, oui de culture et des Nations africaines »3. De là ce projet

philosophique, politique, éthique et idéologique posé comme impératif

catégorique et comme nécessité historique. Cheikh Anta Diop écrit : « Il

faut faire basculer définitivement l’Afrique noire sur la pente de son destin

fédéral »4

Le projet philosophico-politique et éthico-idéologique de Cheikh Anta Diop

est porté par des passions panafricanistes. Il est radicalement

antagonique aux passions et pulsions ethniques qui gouvernent la

séquence conceptuelle autochtone/minorité/allogène précédemment

évoquée.

Passions panafricanistes et passions/pulsions ethniques, tels sont les deux

courants de pensée qui structurent le champ politique et idéologique de

l’Afrique noire. Le Cameroun comme corps politique en construction,

constitue la pointe avancée où se déploient dangereusement ces deux

passions. De là mon parti pris théorique de recourir à la pensée de Cheikh

Anta Diop pour comprendre et rendre intelligible la lutte à mort qui

gouverne le rapport entre ces deux passions. Ici, ma filiation philosophique

et idéologique est une rétroaction sur Cheikh Anta Diop de la rencontre de

Marx/Engels à propos de la question de la violence dans l’histoire. Cheikh

Anta Diop en effet, écrit : « Les lois de la lutte des classes selon le

matérialisme historique ne s’appliquent qu’à une société rendue au

préalable ethniquement homogène par la violence. Celui-ci ignore

pratiquement, dans ses analyses, la phase des luttes bestiales,

darwiniennes, qui précèdent ; c’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit

d’une étape qu’ont connue la plupart des nations actuelles. C’est le cas le

3 Cheikh Anta Diop, op.cit, p.6

4 Cheikh Anta Diop, op.cit, p.31

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plus général, et non l’exception, comme le pensait Engels »5. Marx/Engels

ont évacué de leur pensée sur la violence dans l’histoire, la phase des

passions et pulsions ethniques, telles sont les limites de cette pensée

exprimée dans le matérialisme historique. D’où cette thèse de Cheikh Anta

Diop : «Tous les auteurs qui traitent de la violence sans oser descendre

jusqu’à ce niveau primaire où la violence bestiale s’exerce sur une base

collective, où tout un groupe humain s’organise non pour en assujettir un

autre, mais pour l’anéantir, tous ceux-là, sciemment ou non, font de la

métaphysique, en sublimant le thème, pour n’en retenir que les aspects

philosophiques »6. Et le savant ajoute : « Au cours de l’histoire, lorsque

deux groupes humains se disputent un espace vital, économique, la plus

petite différence ethnique peut prendre un relief particulier, servant

momentanément de prétexte pour un clivage social et politique : différence

d’apparence physique, de langue, de religion, de mœurs et de coutumes.

Au cours de l’histoire, les conquérants ont souvent abusé de ces argument

pour asseoir leur domination sur des bases ethniques : l’exploitation de

l’homme par l’homme prend alors une modalité ethnique, la classe sociale,

au sens économique, épouse pour un temps indéfini les contours du

groupe de l’ethnie de la race vaincue »7.

Texte capital où le savant philosophe/historien, Cheikh Anta Diop nous

apprend que les passions et pulsions ethniques conduisent historiquement

à l’anéantissement et à la destruction de l’Autre. Les passions et pulsions

ethniques sont historiquement génocidaires. Le génocide, comme

phénomène historique se nourrit des passions et pulsions ethniques qui

sont des pulsions de mort.

L’ethno séisme, c’est le nom de cette idéologie et de cette doctrine de la

mort qu’on inflige à Autrui. Elle est soutenue historiquement par la haine

vouée à Autrui.

Le Cameroun, en Afrique noire est devenu un des lieux historiques où se

déploient ces passions et pulsions de mort. Cette idéologie de la mort est

5 Cheikh Anta Diop, Civilisation Ou Barbarie, éd. Présence Africaine, Paris 1981, p.159

6 Cheikh Anta Diop, idem

7 Cheikh Anta Diop, ibidem

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portée et légitimée par la séquence conceptuelle

autochtone/minorité/allogène. D’où notre question : comment cette

séquence historique s’est-elle imposée dans le champ politique et

idéologique camerounais ? Quels en sont les enjeux philosophiques,

politiques et éthiques ? Quel problème la séquence conceptuelle

autochtone/minorité/allogène entend-t-elle résoudre historiquement ?

La séquence conceptuelle autochtone/minorité/allogène s’impose, dans le

champ politique camerounais pour résoudre, dit-on, le problème bamiléké.

Un discours politique, idéologique et dogmatique l’institue. Ce discours,

c’est celui du Colonel français, Jean Lamberton, alors en mission de

pacification, de purification, donc de la guerre en pays bamiléké. Le colonel

Jean Lamberton écrit, en effet, « Le Cameroun s’engage sur les chemins

de l’indépendance avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce

caillou, c’est la présence d’une minorité ethnique : les Bamiléké »8. Pour la

première fois, dans l’histoire du Cameroun désigné comme Etat en

construction apparaît le concept de minorité par quoi on désigne la

communauté bamiléké que l’on s’empresse de penser à travers la

métaphore de caillou bien gênant, donc un mal radical qu’il faut éradiquer,

trancher. Le Bamiléké, dans le champ politique camerounais est un

phénomène, un Evénement d’exception. D’où cette thèse du Colonel Jean

Lamberton qui écrit : « En fait, les Bamiléké forment un Peuple. Il suffit

pour s’en convaincre de considérer leur nombre, leur histoire, leur structure

sociale et leur dynamisme. Qu’un groupe homogène de populations nègres

réunissent tant de facteurs de puissance et de cohésion n’est pas si banal

en Afrique Centrale ; au Cameroun, du moins, le phénomène bamiléké est

sans équivalent »9.Il restait à construire le couple conceptuel

autochtone/allogène. Une décision du Prince, au sens de Machiavel est

requise pour cela. Il ‘agit d’une décision du Président de la République du

Cameroun, Paul Biya qui est en même temps chef du parti. Dans un

document capital et dont on peut dire qu’il aura joué un rôle extraordinaire

dans le déploiement des passions et pulsions ethniques, il est écrit : « Sur

instruction du Président national, il a été constitué un comité restreint de

8 Jean Lamberton, Revue de Défense nationale Paris 16

e année, mars 1960 ;pp.161-177

9 Jean Lamberton, idem

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réflexion de l’UNC sur les mutations et les actions à promouvoir pour faire

de celle-ci un Parti de Rassemblement de toutes les sensibilités

camerounaises »10. Suit la liste des membres qui composent ce comité

restreint de réflexion. Il s’agissait alors de MM. Joseph Charles DOUMBA,

Ministre chargé de Mission, comme Président du comité. POUMA Léonard

Claude, Conseiller Spécial, Secrétaire politique. SENGAT KUO, Ministre de

l’Information, Secrétaire politique. Jean Marcel MENGUEME, Ministre de

l’Administration Territoriale, Secrétaire Politique Adjoint. NGANGO

Georges, Ministre chargé de Mission. Joseph OWONA, Chancelier de

l’Université, Rapporteur du Comité. Dans ce comité de réflexion se

constitue le massif idéologico-politique autochtone/minorité/allogène. On y

lit : « Le dépassement des acquis du passé doit se manifester d’une

manière particulière par la mise au point progressive d’une authentique

théorie de l’intégration nationale et une élaboration d’une véritable praxis

de celle-ci permettant de garantir le respect de divers équilibres

socioculturels et les droits des minorités de façon à éviter une

palestinisation de celles-ci »11.On y lit aussi que le comité propose de

« proclamer le devoir démocratique de notre parti de sauvegarder dans la

vie du Parti et de l’Etat les droits des minorités, autochtones ou allogènes

par le respect des divers équilibres garants de la stabilité générale de notre

société »12. Dans ce dispositif politico-idéologique, la primauté de la

minorité ou de l’autochtone est de plus en plus affirmée sur l’allogène. En

effet, le comité ordonne de « favoriser l’utilisation des minoritaires dans les

grands départements ministériels afin d’asseoir une stratégie non écrite de

consolidation de l’unité nationale et d’authentique intégration nationale[…]

étudier et établir des règles écrites et des pratiques non écrites de

sauvegarde des droits des minorités dans les villes et les diverses

circonscriptions administratives de la République »13. Tout cet arsenal

politico-idéologique est destiné à faire face à la menace bamiléké que des

idéologues, depuis le discours dogmatique du Colonel français Jean

Lamberton ont inventée et entretenue historiquement et systématiquement. 10

Collectif Changer le Cameroun, Le Cameroun Eclaté ? Anthologie des revendications ethniques, p.128 11

Collectif Changer le Cameroun, Le Cameroun Eclaté ? Anthologie des Revendications ethniques, éd. C3, BP Yaoundé, 1992,p.129. 12

Collectif Changer le Cameroun…p.137 13

Collectif Changer le Cameroun…p.130

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La constitutionnalisation de la séquence politico-idéologique

autochtone/minorité/allogène achève ce processus le 18 janvier 1996.De la

théorie on est passé à la pratique en se référant à la Loi fondamentale de

notre pays qui a constitutionalisé à ses risques et périls les passions et

pulsions ethniques. Le mouvement sawa ou plus précisément le bloc

idéologico-politique qu’anime Jean-Jacques Ekindi est le lieu historique

depuis lequel se déploient dangereusement ces passions et pulsions

ethniques. Quel est le destin historique d’un tel mouvement ? L’Etat du

Cameroun en tant que corps éthico-politique en construction n’est-il pas

voué à la destruction qu’autorise le déploiement des passions et pulsions

ethniques ?

De la séquence politico-idéologique autochtone/minorité/allogène,

rappelons que seul le couple autochtone/minorité s’est vu constitutionaliser

et entretient désormais une lutte à mort contre l’allogène devenu étranger

et bouc-émissaire.Le mouvement sawa se constitue de vouloir jouir du

statut constitutionnel autochtone/minorité. D’où cette déclaration : « Les

Sawa sont minoritaires, mais toutes les ethnies sont minoritaires au

Cameroun et l’avenir de la paix ne peut se construire qu’à partir de la

coopération et de la protection des minorités. Les Sawa veulent montrer la

voie »14.La minorité sawa, dit-on est menacée dans son espace vital : « Il

est donc évident que le désarroi, la revendication de la minorité et de

toutes les autres n’obéissent à aucun suivisme politique. Que la révolte

déchaînée n’a pas eu le temps de trouver ou de se donner un maître […]. Il

est temps pour les Sawa de serrer leurs rangs pour la préservation de leur

espace vital »15.

Espace vital, voilà l’expression brutale et achevée de cette idéologie

politique à la recherche d’un maître. Jean-Jacques Ekindi s’impose comme

maître de ce mouvement idéologico-politique sawa. « Il y a lieu de préciser

que notre mouvement n’est pas un parti politique en tant que tel. D’autres

minorités entendent coopérer avec la communauté sawa, dans la lutte

pour la protection des minorités et la sauvegarde de leur identité et de leur

patrimoine. Notre groupe KOD’A MBOA SAWA accueille favorablement 14

KOD’A MBOA SAWA, Bulletin de liaison no 001 du 29 mars 1996 15

Le Défi no 012 du 13 mars 1996

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ces sollicitations destinées à renforcer le groupe de minorités. […] . Une

résolution du groupe sawa demande à Jean-Jacques Ekindi d’approcher

les autres leaders d’opinion sawa. Il s’agit notamment de Samuel EBOUA,

Marcel YONDO et NJOH LITUMBE, afin qu’ils s’unissent et créent un

cadre approprié pour mieux défendre les Sawa face aux dangers qui les

menacent »16.

Quel est le danger qui menace les Sawa dans ce qu’ils appellent leur

espace vital ? Ecoutons à neuf cette déclaration du 15 juin 1996, faite à

Douala par les Chefs traditionnels du Grand Sawa et d’où on peut lire :

« Considérant que tous les Sawa sont des descendants directs des

peuples qui ont crée les localités qui se situent dans les terres actuelles

des Régions du Littoral et du Sud-ouest, une partie des Régions du Sud,

du Centre et de l’Ouest, et ce avant les différentes invasions, la

colonisation européenne et la formation de l’Etat,

Considérant encore qu’une partie de ces terres est habitée aujourd’hui par

des ALLOGENES venant d’autres régions du pays, et ce, pour différentes

raisons dont la plus marquante est la politique d’intégration nationale

pratiquée depuis le lendemain de l’indépendance,

Considérant aussi que ces allogènes sont devenus dominants par leur

nombre sur certaines parties de notre terroir, et que cette situation

commence à rendre certains d’entre eux exigeants et insolents,

Considérant enfin que l’occupation d’une terre ne saurait conférer le Droit

au terroir,

Déclarons solennellement que le problème le plus préoccupant du Peuple

indigène sawa est la menace organisée contre notre survie collective par

la section étrangère GRAFI au sein même des communautés sawa »17.

Cette déclaration est une déclaration de guerre contre la communauté

bamiléké. Philosophe, politologue, sociologue, anthropologue, homme

politique et homme d’Etat doivent prendre cette déclaration comme un acte

16

KOD’A MBOA SAWA? Bulletin de liaison no 001 du 29 mars 1996. 17

Déclaration du 15 juin 1996, Galaxie no 191 du 17 juin 1996

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de guerre et agir en conséquence. Il faut rappeler que cette déclaration est

l’œuvre historique des Ministres de la République, de hauts fonctionnaires

de l’Etat et de l’Administration camerounaise et de hauts cadres de l’armée

de la République. L’Histoire devra enregistrer leurs noms et retenir leur

responsabilité dans l’effondrement des mythes fondateurs de notre

conscience historique nationale. Il s’agit des Ministres MBELLA MBAPPE,

Ephraim INONI, DOUALLA MOUTOME, EBONG NGOLLE, NJAMI

WANDJI, de hauts fonctionnaireres et philosophe E.NJOH MOUELLE ,

Patience EBOUMBOU, MOUKOKO MBONJO, les Délégués du

Gouvernement Thomas EYOUM TOBBO de Douala et EWANE de

Nkongsamba, NJALLA KWAIN de Limbé, du Colonel de Gendarmerie

DOUALLA MASSANGO et de nombreuses personnalités politiques telles

que Jean-Jacques Ekindi, Samuel EBOUA et les Chefs Supérieurs

Sawa.Ces élites ont trahi ce texte sacré et contraignant qu’est notre

hymne National qui ordonne :

O Cameroun berceau de nos ancêtres,

[…]

Que tous tes enfants du Nord au Sud,

De l’Est à l’Ouest soient tout amour !

Te servir que ce soit leur seul but

Pour remplir leur devoir toujours.

[…]

Tu es la tombe où dorment nos pères,

Le jardin que nos aïeux ont cultivé,

Nous travaillons pour te rendre prospère,

[…]

De l’Afrique sois fidèle enfant !

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En écoutant ce chant de ralliement, qui de nous ne se sent pas possédés

par des passions patriotiques et panafricanistes ? Qui ne se sent pas en

contradiction radicale et absolue avec la déclaration des Chefs Sawa

précédemment évoquée ? Deux courants de pensée ici s’affrontent, le

panafricanisme d’inspiration diopienne et l’ethno séisme dont le

mouvement sawa est l’une des expressions affichées et achevées.

Mais il ya aussi cette autre déclaration de l’élite sawa par quoi on voudrait

clore cette critique philosophique des passions et pulsions ethniques. Elle

engage au plus haut point la responsabilité historique du Chef de l’Etat,

Paul Biya.

Le journal La Détente rend compte d’une réunion tenue le 10 mai 1996 à

Limbé, qualifiée de RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE, avec pour thème de

réflexion : UNE STRATEGIE COMPACTE, SOLIDAIRE ET AGRESSIVE.

LA DETENTE, note : « Au cours de cette réunion, la communauté sawa a

affirmé que l’avènement d’un désastre est souvent à l’origine du réveil d’un

peuple. L’extermination juive sous le régime hitlérien a accouché en 1948

de l’Etat d’Israël : ceci a définitivement mis un terme à la qualification de

peuple errant attribué à cette nation nomade. Dans le Pakistan formule

originelle, la persécution des autorités d’Islamabad à l’endroit du peuple

Bengali au Pakistan Oriental avait donné lieu à la naissance d’un Etat, le

Bangladesh en 1971. L’histoire foisonne de ces exemples où des entités

nationales sont obligées de se recomposer et de se ressouder lorsque

leurs droits à l’existence, leur survie même sont menacés. L’arrogance

inadmissible de l’électorat SDF et de leurs élus qui ont été les premiers à

marquer d’un cachet décidément ethnique leur victoire électorale dans la

plus grande métropole de tous les Camerounais qu’est la ville de Douala,

aura eu l’effet positif de rappeler au peuple sawa les règles de jeu

appliquées par certains nationalistes dans la construction du Cameroun : le

principe de l’espace vital.

Aussi ,de Campo à Idabato, du pays Babimbi à la plaine des Mbo, la

trompette de l’irrédentisme a été embouché à la suite de l’irrespect des

notions élémentaires de l’hospitalité que manifestent certains allogènes à

Page 12: Emeutes de Deido : critique philosophique

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l’endroit de ceux qui leur ont gratuitement offert un gîte il ya près d’un

siècle.

Il aura fallu l’insolence irresponsable des quelques expansionnistes

bamiléké pour que la cohabitation pacifique qui a toujours existé entre

Bamiléké et Sawa soit aujourd’hui l’objet d’une remise en question. Nous

l’avons dit, il y a de cela quatre mois, nous le confirmons aujourd’hui, le

décor du Rwanda est déjà planté au Cameroun : le système d’ignition de la

mèche a été actionné depuis janvier 1996 et les barils seront peut-être

atteints dans quelques jours. Lorsqu’un gigantesque holocauste aura

rectifié les statistiques démographiques de certaines provinces, l’on

comprendra certainement, avec l’aide des chiffres qu’une coexistence

interethnique sereine est beaucoup plus proche de la réalité démocratique

que la dictature de la majorité. En effet, le pétrole, les meilleures terres de

ce pays, l’énergie électrique et les trois débouchés maritimes : Limbe,

Douala, Kribi sont des arguments suffisants pour exiger l’éclatement du

Cameroun en Etats où se regrouperaient les peuples qui ont une même

origine, une culture commune et un destin commun. L’absence de

convergence d’intérêts et de culture au sein de différentes ethnies

camerounaises doit rendre chaque tribu entièrement responsable de son

destin »18.

Que reste-t-il des concepts d’Etat camerounais, de Nation camerounaise,

de Peuple camerounais, de territoire national camerounais et du destin

historique commun après la lecture de ce texte ? Rien pour le philosophe.

Ce texte idéologico-politique introduit une rupture, une’ brisure, une

cassure et une interruption radicale dans la chaîne des concepts

fondateurs et historiques et baisse, ruine leur influence formatrice de notre

conscience nationale. De là, notre question : que pense le Président de la

République, Paul Biya de cette déclaration inédite dans les annales de

notre mémoire historique ? Cette déclaration de l’élite sawa remet en

question, dans une radicalité extrême et brutale la mission, le devoir et le

droit que la Loi fondamentale ordonne au Chef de l’Etat, Paul Biya.

Que prescrit la Loi fondamentale ? 18

La Détente, no 137 du 21 juin 1996.

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« Le Président de la République est le Chef de l’Etat […] Il veille au respect

de la Constitution […] il est le garant de l’indépendance nationale, de

l’intégrité du territoire, de la permanence et de la continuité de l’Etat »19.

Revenons aux émeutes de Deido pour dégager leur signification

philosophique, politique, idéologique et éthique.

Les émeutes de Deido, marquées par le feu et le sang consument-elles la

fin d’un cycle de violence préparé de longue date par une littérature de

haine ? Assistons-nous à la mort d’un mouvement idéologico-politique qui

est une remise en cause des mythes fondateurs de notre conscience

historique et éthique ? On doit pouvoir demander aux fondateurs de

l’idéologie du mouvement sawa qu’incarne l’homme politique Jean-Jacques

Ekindi de répondre à ces questions.

En vérité, les émeutes de Deido mettent en conflit deux communautés

historiques vouées à vivre ensemble un destin historique collectif. Ici, il

s’agit de la communauté sawa et de la communauté bamiléké. En effet, et

à juste titre, le journal Jeune Afrique note : « Deux morts, de nombreux

blessés, plus de soixante motos brûlées, des maisons incendiées, des

commerces saccagés. Le bilan est lourd au lendemain des affrontements

qui, entre le 31décembre et 3 janvier, ont opposé deux groupes d’habitants

doualas du quartier Deido, à Douala, à des conducteurs des motos-taxis,

bamilékés, de l’Ouest »20.Pour justifier son observation, J.A. soumet à

notre lecture deux interventions des ressortissants de deux communautés

en conflit. M Mouangue Kobila, professeur agrégé de droit et membre de

l’ethnie douala écrit : « Les événements de Deido ne seraient pas allés, au-

delà d’une réaction éruptive de ses habitants si certains n’avaient oublié le

respect normalement dû à une communauté qui s’est sentie attaquée chez

elle »21. La thèse du professeur Mouangue Kobila s’inscrit bien dans la

ligne politico-idéologique du mouvement sawa dont il entend être un des

théoriciens en tant que homme de la science du droit. Il faut défendre

l’espace vital sawa contre l’envahisseur, devenu sous la plume du

1919

La Constitution du 18 janvier 1996. 20

J.A. no 2661 du 8 au jeudi 14 janvier 2012, p.14 21

J.A. id

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professeur agrégé Mouangue Kobila, un prédateur. De fait, le professeur

écrit, comme pour affirmer la profondeur de sa pensée : « Les événements

de Deido ne seraient pas allés au-delà de l’assassinat d’un jeune homme

et de l’indignation éruptive des habitants de Deido, si certains habitants de

la ville de Douala n’étaient pas animés par une volonté hégémonique qui

leur fait oublier, le respect normalement dû à une communauté qui se sent

outragée et attaquée dans son terroir par des comportements de

prédateurs ».22. Les éléments lexicaux utilisés dans ce texte nous sont

connus qui relèvent d’un corpus idéologico-politique historiquement

déterminé et des figures de pensée bien précises. Ainsi en est-il de la

puissance de Bamiléké formulée par le Colonel français Jean Lamberton,

formule reprise par le philosophe Hubert Mono Ndjana sous le concept de

volonté hégémonique de Bamiléké, retrempé et retravaillé par le

mouvement idéologique sawa au cours de ces dix dernières années et

aujourd’hui repris par le professeur agrégé de droit, Mouangue Kobila qui y

ajoute le concept de prédateur par quoi il désigne la communauté

bamiléké. Le professeur Mouangue Kobila, par le recours aux figures de

norme/outrage qui transparaît dans son texte, tente de donner un statut

juridico-scientifique au corpus politique et idéologique que j’évoquai à

propos du problème bamiléké.

Que dire pour conclure ? Le couple conceptuel autochtone/espace vital,

nous le revendiquons sur le plan ontologique, philosophique, théologique,

éthique, idéologique et politique. Nous sommes des panafricanistes et

notre doctrine, c’est le panafricanisme historique qui est une volonté

intransigeante de libération.

Pour nous donc, le couple conceptuel autochtone/espace vital est

programmatique.

A propos du concept d’autochtone, notre maître à penser, Cheikh Anta

Diop nous rappelle qui nous sommes. Il écrit : «selon toute vraisemblance,

les peuples africains actuels ne sont nullement des envahisseurs venus

d’un autre continent ; ils sont tous autochtones »23. Chacun de nous est

22

Le Journal, Le Jour no 1103 du jeudi 12 janvier 2012 23

Cheikh Anta Diop, op.cit, p.11

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donc fondé à revendiquer sa qualité ontologique, philosophique,

théologique, éthique, politique d’autochtone dans cet espace vital qu’est

pour nous, le continent noir. D’où cette précision du Savant Cheikh Anta

Diop : « Les dernières découvertes scientifiques qui font de l’Afrique le

berceau de l’humanité excluent de plus en plus la nécessité de peupler le

continent africain à partir des autres »24.

Sur cet espace vital, le Continent noir, il faut bâtir un nouveau corps

politique, un nouveau corps de vérité et cela est posé par Cheikh Anta Diop

comme un impératif catégorique, voire une nécessité historique. Cheikh

Anta Diop écrit : « Il faut faire basculer définitivement l’Afrique Noire sur la

pente de son destin fédéral »25.Kwamé Nkrumah, le philosophe, l’homme

d’Etat, théoricien du panafricanisme et théoricien de la guerre de libération

du Continent noir, précise davantage la pensée de Cheikh Anta Diop

quand il écrit à son tour : « L’Afrique est le centre de la Révolution du

Monde Noir ; tant qu’elle ne sera pas unie sous un gouvernement socialiste

unifié, les Hommes Noirs du monde entier n’auront pas de foyer national.

C’est autour de la lutte des peuples africains pour la libération et l’unité du

Continent qu’une authentique culture négro-africaine prendra sa forme.

L’Afrique est un Continent, un Peuple, une Nation »26. Et pour être encore

plus précis, Nkrumah ajoute : « Tous les peuples à descendance africaine,

qu’ils vivent au nord ou au sud de l’Amérique, aux Antilles, ou dans

quelques autres parties du monde, sont des Africains et appartiennent à la

Nation africaine »27. S’inscrivant sur la même lignée philosophique,

politique, idéologique et éthique, le théoricien et activiste du mouvement de

libération du peuple noir des Etats-Unis, Malcolm X, écrit pour sa part :

« De même que le Juif américain est en harmonie politique, économique et

culturelle avec le judaïsme du monde entier, de même il est temps que les

Afro-américains deviennent partie intégrante des panafricanistes du monde

entier ; même si nous devons rester physiquement en Amérique, en luttant

pour les avantages que nous garantit la Constitution, il nous fait revenir en

24

Cheikh Anta Diop, op.cit, p.11 25

Cheikh Anta Diop, op.cit, p.31 26

Kwame Nkrumah, La lute des classes en Afrique, Présence Africaine, Paris 1972, p. 107 27

Kwame Nkrumah, op.cit, p. 107

Page 16: Emeutes de Deido : critique philosophique

16

Afrique philosophiquement et culturellement et créer une unité efficace

dans le cadre du panafricanisme »28.

PANAFRICANISME

OU

ETHNOSEISME

Telle est l’alternative, théorique et pratique. Telle est la ligne de

démarcation philosophique, politique, théologique, éthique et idéologique.

On doit pouvoir, ici et maintenant, choisir son camp comme on le fait en

temps de guerre.

Yaoundé le 17 janvier 2012

Sindjoun Pokam

Philosophe

[email protected]

28

Malcolm X, Le Pouvoir Noir, éd. L’Harmattan, Paris, p.100