EISL Margit (2006). Représentations Et Stéréotypes à l’Oeuvre Dans La Classe de Langue -...

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 Représentations et stéréotypes à l’œuvre dans la classe de langue : pistes didactiques à l’exemple des regards croisés France-Autriche EISL Margit, Université de Vienne, département des études romanes et DIPRALANG Montpellier III Croiser les regards des élèves ou étudiants appartenant à deux communautés nationales différentes, n’a rien de nouveau, en soi. De nombreuses études de l’OFAJ, comme celle de l’Unesco, entre autres en témoignent. 1  Or,  jusqu’à p résent, il n’en existait aucune sur les regards croisés entre l’Autriche et la France. C’est une première raison de s’intéresser à la problématique, d’autre part, étant enseignants d’une langue étrangère, nous sommes confrontés en permanence aux idées que se font les apprenants du pays et de ses habitants dont ils apprennent la langue ; voilà un deuxième motif qui a suscité notre intérêt. L’imagologie à propos de l’autre ne peut pas nous laisser indifférents elle influe sur le choix et la motivation des élèves, encore moins dans la situation délicate, dans laquelle se trouve l’allemand en France et de plus en plus aussi le français en Autriche, concurrencés par l’italien, l’espagnol et d’autres langues. A la base de quelques résultats significatifs d’une enquête concernant les « regards » d’élèves français, apprenant l’allemand et d’élèves autrichiens, apprenant le français, il sera intéressant de montrer le caractère figé, mais aussi parfois évolutif des représentations qui sont profondément ancrées dans les discours quotidiens, les discours officiels, les médias et dans l’enseignement même. La question se pose, comment les enseignant(e)s de langues, autre cible de cette étude, en tiennent compte dans leurs cours? Je finirai sur quelques conclusions pédagogiques et pistes didactiques concrètes à titre d’exemple. Les résultats suivants sont tirés d’une récente enquête que j’ai réalisé avec le soutien de l’Ambassade de France à Vienne et des deux ministères de l’éducation, entre 2003 et 2005, une étude qui portait sur les représentations partagées de la culture cible chez les jeunes, en milieu scolaire (second cycle) et avec l’aide de 260 enseignants dans les deux pays. Les réponses ont été obtenus à partir de questions guidées et d’associations libres, ainsi que de rédactions d’élèves concernant le pays de l’autre. Les informations collectées ont été classées et analysées selon les critères élaborés par Henri Boyer (1995,2004) 2 . Parmi les six « champs représentationnels » qu’il distingue, les deux premiers, couvrant la perception globalisante du pays et de ses habitants et le regard touristique (monuments, folklore et traditions), seraient les plus stéréotypés, tandis que du champ 3 au 6, le « degré de figement » diminuerait et révélerait plus de connaissances concrètes, concernant le patrimoine culturel (événements et personnages historiques ou contemporains) puis, des références faites à la langue, à la géographie, à l’histoire et aux relations entre les pays. En effet, notre enquête, comme d’autres menées par le passé sur les images des pays et des langues confirment, 3  que les réponses (surtout celles données spontanément) montrent une prédominance des représentations stéréotypées et l’absence de savoir précis sur l’autre. Inutile de rendre les résultats à propos de la France et des Français (en Autriche) dans tous les détails, car elles ressemblent en grande partie aux images recueillies à d’autres occasions. C’est un pays assimilé d’abord à ses attraits touristiques et à sa gastronomie. On trouve en tête de liste la trilogie incontournable, dans l’ordre, fromage, vin et baguette, aussi bien que des monuments, avant tout parisiens, ensuite la Côte d’Azur, région qui représente le lieu touristique par excellence dans l’imaginaire collectif. Derrière ce champ de perception touristique, institutionnel, se dégage aussi une vision généralisante concernant le pays et ses habitants. La référence au cadre naturel qui ressort le plus est la mer, ce qui est compréhensible pour l’Autriche. Quant à la population et aux aspects comportementaux, les allusions se font surtout par rapport à une ambiance parisienne particulière (ville d’amour, vie nocturne, élégance, stress et circulation) qui se nourrit de l’imaginaire, mais aussi d’un vécu, voyage touristique et linguistique. Parmi les images les plus fréquentes on trouve le couple d’amoureux si possible devant la Tour Eiffel. Dans le domaine du patrimoine culturel, les jeunes autrichiens concèdent à la France un certain rayonnement culturel en citant des concepts culturels (chanson, philosophie, art) sans les dénommer plus précisément, quelques œuvres et événements (dont les plus fréquents Révolution Française, Tour de France, TGV, métro). Quand on propose un choix de personnages français célèbres, les élèves placent en tête G. Dépardieu, devant 1  L’Office de la Jeunesse Franco-All emande publie régulièrement des travaux sur la pédagogie d e la rencontre ; cf. Unesco 1995, Matthey 1997… 2  Cela concerne les propos recueil lis auprès des élèves (par rédactions ou mots associés spontanément à la culture cible. 3  cf Unesco 1995; Matthey M. 1997; Gardies P.2004; Eisl M. 2005;

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Social Representations and Langauge Education

Transcript of EISL Margit (2006). Représentations Et Stéréotypes à l’Oeuvre Dans La Classe de Langue -...

  • Reprsentations et strotypes luvre dans la classe de langue : pistes didactiques lexemple des regards croiss France-Autriche EISL Margit, Universit de Vienne, dpartement des tudes romanes et DIPRALANG Montpellier III Croiser les regards des lves ou tudiants appartenant deux communauts nationales diffrentes, na rien de nouveau, en soi. De nombreuses tudes de lOFAJ, comme celle de lUnesco, entre autres en tmoignent.1 Or, jusqu prsent, il nen existait aucune sur les regards croiss entre lAutriche et la France. Cest une premire raison de sintresser la problmatique, dautre part, tant enseignants dune langue trangre, nous sommes confronts en permanence aux ides que se font les apprenants du pays et de ses habitants dont ils apprennent la langue ; voil un deuxime motif qui a suscit notre intrt. Limagologie propos de lautre ne peut pas nous laisser indiffrents elle influe sur le choix et la motivation des lves, encore moins dans la situation dlicate, dans laquelle se trouve lallemand en France et de plus en plus aussi le franais en Autriche, concurrencs par litalien, lespagnol et dautres langues. A la base de quelques rsultats significatifs dune enqute concernant les regards dlves franais, apprenant lallemand et dlves autrichiens, apprenant le franais, il sera intressant de montrer le caractre fig, mais aussi parfois volutif des reprsentations qui sont profondment ancres dans les discours quotidiens, les discours officiels, les mdias et dans lenseignement mme. La question se pose, comment les enseignant(e)s de langues, autre cible de cette tude, en tiennent compte dans leurs cours? Je finirai sur quelques conclusions pdagogiques et pistes didactiques concrtes titre dexemple. Les rsultats suivants sont tirs dune rcente enqute que jai ralis avec le soutien de lAmbassade de France Vienne et des deux ministres de lducation, entre 2003 et 2005, une tude qui portait sur les reprsentations partages de la culture cible chez les jeunes, en milieu scolaire (second cycle) et avec laide de 260 enseignants dans les deux pays. Les rponses ont t obtenus partir de questions guides et dassociations libres, ainsi que de rdactions dlves concernant le pays de lautre. Les informations collectes ont t classes et analyses selon les critres labors par Henri Boyer (1995,2004)2. Parmi les six champs reprsentationnels quil distingue, les deux premiers, couvrant la perception globalisante du pays et de ses habitants et le regard touristique (monuments, folklore et traditions), seraient les plus strotyps, tandis que du champ 3 au 6, le degr de figement diminuerait et rvlerait plus de connaissances concrtes, concernant le patrimoine culturel (vnements et personnages historiques ou contemporains) puis, des rfrences faites la langue, la gographie, lhistoire et aux relations entre les pays. En effet, notre enqute, comme dautres menes par le pass sur les images des pays et des langues confirment,3 que les rponses (surtout celles donnes spontanment) montrent une prdominance des reprsentations strotypes et labsence de savoir prcis sur lautre. Inutile de rendre les rsultats propos de la France et des Franais (en Autriche) dans tous les dtails, car elles ressemblent en grande partie aux images recueillies dautres occasions. Cest un pays assimil dabord ses attraits touristiques et sa gastronomie. On trouve en tte de liste la trilogie incontournable, dans lordre, fromage, vin et baguette, aussi bien que des monuments, avant tout parisiens, ensuite la Cte dAzur, rgion qui reprsente le lieu touristique par excellence dans limaginaire collectif. Derrire ce champ de perception touristique, institutionnel, se dgage aussi une vision gnralisante concernant le pays et ses habitants. La rfrence au cadre naturel qui ressort le plus est la mer, ce qui est comprhensible pour lAutriche. Quant la population et aux aspects comportementaux, les allusions se font surtout par rapport une ambiance parisienne particulire (ville damour, vie nocturne, lgance, stress et circulation) qui se nourrit de limaginaire, mais aussi dun vcu, voyage touristique et linguistique. Parmi les images les plus frquentes on trouve le couple damoureux si possible devant la Tour Eiffel. Dans le domaine du patrimoine culturel, les jeunes autrichiens concdent la France un certain rayonnement culturel en citant des concepts culturels (chanson, philosophie, art) sans les dnommer plus prcisment, quelques uvres et vnements (dont les plus frquents Rvolution Franaise, Tour de France, TGV, mtro). Quand on propose un choix de personnages franais clbres, les lves placent en tte G. Dpardieu, devant

    1 LOffice de la Jeunesse Franco-Allemande publie rgulirement des travaux sur la pdagogie de la rencontre ; cf. Unesco 1995, Matthey 1997 2 Cela concerne les propos recueillis auprs des lves (par rdactions ou mots associs spontanment la culture cible. 3 cf Unesco 1995; Matthey M. 1997; Gardies P.2004; Eisl M. 2005;

  • La politique influe sur l'attitude des lves envers la France

    En pourcentages

    oui, 29.7 %

    je ne sais pas, 14.8 %

    non, 55.5 %

    Napolon, Z. Zidane et J.Chirac, puis la chanteuse Alize, Louis XIV, J.M.Le Pen, E.Piaf et C.Deneuve (parmi les plus retenus). Il est intressant de noter que des personnages mythifis, comme Jean Moulin, de Gaulle ou Sartre, sont certes moins cits, mais pas totalement ignors. A ct des perceptions figes, mais connotes surtout positivement, des grandes mythifications historiques et culturelles, se cristallise aussi une image de la France assez contemporaine (des reprsentations plus passagres). On ressent limpact dun enseignement de la langue et de la culture franaises.

    Des images en partie nettement plus ngatives se dgagent plus dans les rdactions spontanes des lves, par exemple, des traits bien connus attribus aux Franais et Franaises : larrogance, la fiert du pays jusquau chauvinisme ct de llgance et du charme. Nous voil arrivs un point plus dlicat qui reflte le relationnel entre les deux pays, tel quil est ressenti par beaucoup dAutrichiens. Si les lves, dans leurs rdactions, (en particulier ceux qui ont t en France) relativise larrogance, ils ou elles restent formels concernant le patriotisme. En effet, les Franais ont un rapport plus serein et positif avec leur histoire et leur nation (Grosser 2005 :15) que beaucoup dautres pays, comme lAutriche, la qute de son identit nationale depuis le 19e et tout au long du 20e sicle. De plus, il ne faut pas sous estimer le poids de lhistoire, le fait que les relations franco-autrichiennes ont t complexes et ont laiss des traces dans la mmoire collective dans les deux pays. Il faut se rappeler que la France fut un des quatre occupants dans laprs-guerre en Autriche, pendant dix ans. Les Franais, faute de moyens la diffrence des Amricains, se prsentaient principalement par une politique culturelle, mais qui sadressait avant tout aux milieux conservateurs (ancienne aristocratie et bourgeoisie). Les masses populaires, par contre, en partie aussi les milieux intellectuels et universitaires se tournaient ailleurs (vers les espaces anglophones), la France et le franais tant ressentis comme langue-culture dominante et surtout litiste ! Quand de nos jours, de plus en plus dlves devant le choix dune 2e langue trangre, se dtourne du franais au profit de lespagnol ou litalien, se cache aussi cet imaginaire collectif derrire les mots quils utilisent : langue trop difficile, pas utile

    Ce nest plus tonnant de dcouvrir que, toujours selon notre enqute, presque 20% des lves autrichiens trouvent que les relations entre les deux pays sont mauvaises et que 30% des enseignants du franais estiment que les vnements politiques, notamment les rcentes sanctions europennes contre le gouvernement autrichien en lan 20004, ont une influence ngative sur limage de la France et du franais chez les jeunes.

    La situation est trs diffrente, si on tourne le regard vers la France, propos de limage de lAutriche chez les lves apprenant lallemand. Ce nest pas surprenant. Il faut retenir dabord, que lenseignement de lallemand en France est exclusivement orient vers lAllemagne, concept qui fait partie dune politique gnrale depuis 1945, de surmonter lantagonisme franco-allemand par tous les moyens, ce qui a port des fruits5. La mention des autres pays germanophones nest apparue dans les programmes du secondaire qu partir de 20046. Cest pourquoi vouloir chercher dautres images que des strotypes propos de lAutriche, serait une tentative vaine.

    LAutriche est presque totalement mconnue des lves, souvent associe avec lAllemagne et principalement perue travers ses mythes lis un pass imprial et une tradition conservatrice. Ce pass nest aucunement associ un patrimoine culturel pourtant trs riche en littrature, sciences et philosophie. Mme la musique, domaine trs associ lAutriche, nest pas rellement releve de faon concrte. Faute de connaissances prcises et plus le pays est loin (pas forcment gographiquement) ce sont des personnalits qui deviennent les vecteurs principaux dune reprsentation collective. Dans notre cas, la perception est avant tout base sur des patronymes devenues des mythes, sur limpratrice Sissi (la moiti de nos sonds) et Mozart (cit par un tiers) qui sont immdiatement identifis comme Autrichiens, devenus les supports indispensables de la promotion touristique. Ensuite cette image impriale (avant tout propos de Vienne) est renforce par une vision folklorique, trs htroclite (lments du champs 2, selon Boyer), cocktail compos de musique classique ,

    4 Coalition des conservateurs avec le parti national-populiste de J.Haider ; depuis ce dernier stant scind et ayant perdu son influence.

    5 Les reprsentations sur les Allemands, chez les jeunes en particulier, ne sont plus aussi pjoratifs quavant. (cf. Cain/Briane et Unesco 1995) 6 Bulletin officiel pour lallemand (programmes des lyces) hors srie n5, 2004, Ministre de lEducation Nationale

  • valse , calche , tradition , agrment dun peu de gastronomie ( caf , ptisserie ).

    Les autrichiens Les seules mentions contemporaines qui apparaissent dans lenqute, concernent encore des personnages extrmement mdiatiss (en quelque sorte aussi mythifis). Arnold Schwarzenegger occupe la troisime place aprs Mozart, suivi de prs par Jrg Haider, des personnages qui confrent lAutriche encore une image trs conservatrice, voire drangeante. Quant lAutriche en gnral se dgage une perception globalisante de lordre de la carte postale, du dpliant touristique, voquant ses paysages idylliques ski , froid et neige , montagne , lac , beau paysage , Edelweiss et fort verte , tout y est ! On ne trouve, par contre, aucun qualificatif caractrisant le peuple autrichien. Il chappe tous les strotypes appliqus par exemple aux Allemands. La moiti des rponses7 sont je ne sais pas et reflte la mconnaissance de l'Autriche et de ses habitants. Le fait que le qualificatif conservateur ressort le plus de ce corpus, que vient ensuite la caractristique accueillant , rejoint les autres images existantes (monarchie, Haider) et tient beaucoup la promotion touristique. Quant aux localisations gographiques, Vienne est la seule ville qui ressort de faon significative. Le deuxime toponyme qui est associ lAutriche est le Tyrol, par ailleurs, les deux destinations touristiques les plus apprcies par les Franais. Ce sont aussi les deux rgions en Autriche historiquement les plus lis avec la France8. On saperoit ici, comme dailleurs dans les tudes dj cites plus haut que les champs les plus fournis concernent les reprsentations les plus figes. Mis part un contexte bien prcis de seconde guerre mondiale, les derniers champs ne recueillent pratiquement aucune allusion, mme au niveau gographique o les mentions restent trs limites. Une diffrence visible entre les rsultats autrichiens et franais concerne en effet la situation intercommunautaire entre les deux pays (champs 6). Alors que les jeunes Autrichiens sont trs rservs, voire ngatifs mme, en jugeant les relations entre les deux pays (voir ci-dessus), mais ne sexpriment pas du tout ce sujet dans les rdactions spontanes, les lves franais restent neutres ou diplomates (?) quand on leur demande de juger les relations franco-autrichiennes9. Par contre, ils hsitent beaucoup moins que leurs homologues autrichiens dexprimer des associations libres avec l Anschluss , le fascisme , le nazisme ou lAttentat de Sarajevo . Un rsultat qui reflte incontestablement la plus grande sensibilit et le sens critique des lycens en France envers cette partie de lhistoire et montre, ct autrichien, la tendance de refouler le problme tout en exprimant un malaise. LAutriche est un petit pays aujourdhui dont on ne parle pas souvent dans les mdias, dont limage vhicule jusquaux annes 80 et mme au-del tait peu associe au nazisme et rduite presque exclusivement la carte postale que lon vient de retrouver dans notre enqute. Cette image a pris un coup lors dun vnement intercommunautaire important, les sanctions europennes contre le gouvernement autrichien en lan 2000, traites la une des journaux des deux pays pendant plusieurs mois.

    Certaines ractions politiques et mdiatiques taient la limite de lhystrie dans les deux pays. Des spcialistes des relations franco-autrichiennes critiquent lanalyse souvent raccourcie et bcle, dans cette priode, relevant beaucoup de mconnaissance ct franais, dexagrations et de gnralisations10 : des images fortes comme la valse brune , la tche brune de lEurope 11, les caricatures de Plantu la une du journal Le Monde traitant en bloc les autrichiens de nazis , des sur-ractions et maladresses (des changes dlves annuls ct franais, rupture de contacts au niveau artistique et scientifique). La caricature parue le 4 fvrier a provoqu le plus de remous12. Il sagit dun petit train qui

    7 Sur un total de 130 personnes interroges 8 Vienne excepte, le Tyrol tait la rgion la plus implique dans des conflits franco-autrichiens (guerres napoloniennes, occupation franaise 1945-55). 9 Ils jugent en grande majorit les relations franco-autrichiennes bonnes ou ne savent pas. 10 cf. Angerer 2003, entre autres

    11 Libration; LHumanit 4.2.2000 12 Exemple entre autres parus dans Le Monde du 2, 3 et du 4 fvrier 2000.

  • traverse de beaux paysages, montagnes et villages avec clochers, devant les yeux des Autrichiens, campagnards, toujours en costume rgional et visiblement contents, qui finit son trajet dans un camp de concentration. Le grand titre : Autriche : lextrme droite, en force. La soi-disant passivit, lindiffrence, dautre part linsouciance et la navet de toute une population sont littralement mises en scne, dans une gnralisation outrance, tous les Autrichiens rduits au pass nazi. De son ct, lAutriche tait sous le choc. Le gouvernement et la majorit des Autrichiens avec lui se montre touch quon puisse, ltranger, douter de son intgrit et de son attitude dmocratique. Le victimisme bat son plein, les nouveaux dirigeants du pays et la plupart des mdias ne semblent pas comprendre pourquoi lensemble de la classe politique franaise reproche au gouvernement autrichien davoir bris les tabous et davoir agi contre les valeurs europennes13. Malgr les manifestations massives des opposants ce nouveau gouvernement14, une grande majorit de la population autrichienne napprciait pas les mesures prises par les 14 et a ragi par un chauvinisme ttu (Stieg 2005 :400). Une fois de plus, ltranger se mle dans des affaires qui ne regardent que le pays et une fois de plus, la France y joue un rle dominant, comme dj plusieurs reprises dans lhistoire rcente des deux pays. Les discours politiques et mdiatiques se dgradent, La rplique provocatrice de Haider, par exemple, qui traite Chirac de Napolon de poche fait le tour des mdias pendant des jours. Ces vnements refltent, ct autrichien, un manque de sensibilit envers ce sujet si dlicat. Des experts parlent dune crise europenne 15 dans la mesure o en Autriche un parti conservateur acceptait de sallier des partis extrmistes ( la limite de la dmocratie), ce pays se trouvait en tte de file et a ouvert la voie dautres coalitions du mme type16. Jai pris cet exemple parce quil sagit, l, de moments privilgis , qui font ressurgir des ressentiments et images profondment ancres dans la mmoire collective, moins disponibles en temps ordinaire. Savoir relativiser des gnralisations et motions par exemple, ragir objectivement dans ce genre de situations relve dune comptence interculturelle. Fait-elle partie de nos programmes scolaires ? Elle existe dans les programmes autrichiens, mais pas de faon explicite. Dans les programmes franais, il est question de comptences culturelles, mais le mot inter napparat pas. Sans insister sur une autre partie de cette enqute ralise auprs des enseignants des deux pays qui nous mnerait trop loin, je voudrais voquer cependant un des rsultats. Les enseignants dans les deux pays ont une attitude contradictoire dans la mesure o ils jugent lacquisition de la comptence interculturelle importante, avouent dautre part, quil ny a pas de pratique relle dans leurs classes. Lembarras des enseignants, en gnral, devant des ractions ethnocentriques, de repli identitaire de leurs

    lves montre quel point les pratiques quotidiennes de lenseignement de la langue-culture sont encore loignes des discours didactiques. Entre la conception traditionnelle de lenseignement de la culture (accumulation de savoirs sur la culture de lautre) et la mthode communicative, qui vise encore trop souvent la fonctionnalit, prenant la culture seulement comme prtexte lexpression orale ou crite, souvre un dcalage vident, entre lide que les professeurs se font de la dmarche interculturelle et la signification que donne les recherches universitaires en gnral , par exemple, le cadre europen commun de rfrence :

    La capacit dtablir une relation entre la culture dorigine et la culture trangre,la capacit dutiliser des stratgies varies

    13 tradition antifasciste, consensus sur lHolocaust, lutte contre la xnophobie 14 Un peu moins de 30% des Autrichiens ont effectivement vot pour le parti de J.Haider. Tous les autres pour les sociaux-dmocrates (env. 35%), le parti conservateur (30%) et les verts. 15 cf. Angerer 2000 ; Le Rider 2003; 16 Peu aprs, lexemple autrichien a t suivi par dautres pays (Italie, Danemark, Pologne ) sans provoquer pour autant les mmes ractions de la part de la communaut europenne.

  • pour tablir le contact avec des gens dune autre culture, la capacit daller au-del de relations superficielles strotypes, la capacit de jouer le rle dintermdiaire culturel entre sa propre culture et la culture trangre et de grer efficacement des situations de malentendus et de conflits culturels. (CECR 2001 :84)

    La simple observation ou description de la culture de lAutre, aussi minutieuse et complexe soit-elle, nest pas suffisante pour la comprendre, encore moins pour lintgrer. Mme la mthode contrastive, ce comparatisme bilatral (Beacco 2000 :116), la recherche de lidentit nationale , trs apprci chez les enseignants (cf notre graphique ci-dessus)17, ne garantit nullement que llve fasse un rel pas vers lAutre. Or il faut des pistes didactiques, qui ont pour objectif de considrer les reprsentations, mme les plus figes, comme lments constructifs dans le rapport soi et lAutre et qui tentent le dmontage et la rorganisation des strotypes, ce qui, en ce qui concerne la mise en pratique, est loin dtre vident. Cela consiste, dune part, en un travail cognitif sur les discours quotidiens, qui expriment par excellence la culture partage, par exemple, publicits, extraits de presse et ou caricatures, refltant une image gnralisante de lautre. Dans le meilleur des cas, il sagit dimages plus ou moins positives, comme celle de droite : des auto-reprsentations qui deviennent htro-strotypes, les Franais, bon-vivants, romantiques, amoureux, plus le mtro comme association un patrimoine technologique lappui. Tous ces clichs ne demandent qu tre bousculs. Comme la Franaise sduisante, omniprsente dans la publicit, peut tre relativise dans une autre perspective, celle de la caricature par exemple. Mais ce qui mintresse davantage, ce sont les reprsentations figes, pjoratives, qui renvoient aux relations historiques entre les deux pays. A partir des documents, comme les caricatures franaises propos de lvnement politique cit plus haut, mais aussi des extraits de presse autrichiens, il faut dvelopper chez les apprenants un savoir-faire interprtatif, non seulement envers le discours de lautre, mais aussi envers les propres ractions (de rejet par exemple), afin de provoquer une sensibilisation larbitraire du systme de rfrence maternel et viter tout prix le concept du strotypage ngatif et moralisateur, qui continue tre vhicul. Il sagit aussi de ne pas gommer les diffrenciations internes des deux communauts, propre et trangre, ainsi que de favoriser dautres conceptions didentits (idologique, rgionale etc.). An lan 2000, malgr toutes les exagrations, il y a eu des perspectives et positions diffrentes, aussi bien dans la socit autrichienne quen France. Il faut engager une rflexion sur soi pour comprendre pourquoi les mesures ont t prises, pourquoi la peur dune participation dun parti qui tient des propos xnophobes, pose problme la communaut europenne. Par ailleurs, il est indispensable daccepter le poids de lhistoire, mme si cette matire semble, de nos jours devenu le parent pauvre dans beaucoup de filires scolaires. Il est vident que, dans le contexte de ce type de travail en classe, le recours la langue maternelle, si longtemps bannie du cours de langues, joue un rle minent.

    La prise de conscience de lexistence de la culture native est obligatoire, les lves doivent se rendre compte dappartenir un systme culturel pour pouvoir comprendre la complexit de lautre. Ce quils projettent dans leur simplification de la culture trangre, cest aussi lignorance de leur propre culture (Cain 1994 :275). Pour illustrer limpact de ce problme sur limage de la France et des Franais, jai choisi encore une autre caricature, intitule le Franais , parue dans un quotidien autrichien18, propos du NON franais la constitution europenne en mai 2005 et qui regorge de clichs. Le caricaturiste tourne en drision mme les atouts traditionnellement concds la France, avant tout dans le domaine de la gastronomie (range du haut).

    17 Nous avons propos 4 dfinitions de la comptence interculturelle : lobservation et la description de la culture cible, la comparaison entre la culture native et la culture cible, le regard sur la culture cible qui inclue une rflexion critique de sa propre culture, lappropriation partielle de la culture cible. 18 Kurier 29.5.2005

  • Les Franais sont prsents comme bouffeurs descargots, de baguette et dune multitude de fromages et de buveurs de Schnaps au got de dentifrice (Pastis !). Dans la range du bas, les jugements deviennent carrment dvalorisants. Alors que la langue franaise est habituellement perue comme belle, elle est juge ici imprononable (80% des lettres ne sont pas prononces), les Franais sont dcrits trs patriotiques (avec une connotation chauviniste), reprsent par un personnage, mlange de deux figures mythiques (le Gnral de Gaulle et Oblix), dont le discours est dtourn de faon ddaigneuse. Une devise qui a en France une forte teneur identifiante ( Allons enfants de la patrie ) est ridiculise et devient alors enfants Grande Nation . Il sagit dun terme trs charg historiquement et largement utilis dans la presse autrichienne et dans les discours quotidiens encore aujourdhui pour dnigrer le comportement dcal des Franais qui persistent croire exagrment limage de la grande puissance de leur nation. Enfin, le Franais rleur, ttu et trop individualiste pour sintgrer dans la communaut, finit isol sur son le. Il faut retenir que la presse autrichienne tait par ailleurs assez nuance dans ses analyses sur le non de la France et des Pays Bas et a fourni aussi des commentaires objectifs tout en sachant que leuroscepticisme a gagn aussi lAutriche depuis son entre dans lUnion. Mais nous connaissons aussi limpact des images, indpendamment du fait que beaucoup de lecteurs de quotidiens en survolant les titres sattardent volontiers sur les prsentations faciles. Au-del de leffet comique de la caricature, celle-ci est un document de premier choix pour analyser avec les lves ce qui se cache derrire ce besoin de dvaloriser lautre, limpact historique, les vnements intercommunautaires et les ressentiments non avous. Indpendamment de ce travail dinterprtation de documents et du dbat en classe, de la ngociation du sens , la remise en cause des propres valeurs est, daprs notre exprience, particulirement effective par le biais des activits qui visent laffectif. A partir de tmoignages, encore mieux dexpriences personnelles lors de sjours linguistiques, dchanges et de stages professionnels, il est indispensable de travailler en cours de langue systmatiquement sur les malentendus, quiproquos et pannes de communication vcues, dmarche qui parat vidente mais qui est si peu ralise dans la pratique quotidienne, par manque de temps ou de savoir-faire. Il faut prendre en charge collectivement cette affectivit du contact culturel, qui peut crer frustrations, rancoeurs ou blouissements (Beacco 2000 :59) , selon la personnalit et le bagage culturel des lves, mais aussi des circonstances sur place. La ralit de lautre, toujours saisie subjectivement au travers du filtre des propres schmes de perception et par un regard go-socio-ethnocentrique (Lipiansky 1999 :152), doit tre mise en rapport avec la ou les cultures natives des lves. Jouer sur lhumour et le changement de perspectives me semble tre la forme la plus adquate et la plus facile accepter, vu la complexit du fonctionnement des auto- et htro-reprsentations, par exemple, par la mise en scne des diffrences , des sketchs et jeux de rles, des dbats ou tables rondes simuls. Le jeu avec la distance et lapproche plus ou moins caricaturale permettent de relativiser, aussi bien les propres vidences , que les chocs culturels et de faire clater peut tre lun ou lautre strotype.

    Bibliographie : AMOSSY Ruth, HERCHBERG-PIERROT Anne (1997), Strotypes et clichs, langue discours socit, Paris, Nathan. ANGERER Thomas, LE RIDER Jacques (d.) (1999), Dem Frhling dem kein Sommer folgte? Franzsisch-sterreichische Kulturtransfers seit 1945. Wien, Bhlau ANGERER Thomas (2003), Die Krise von 2000 im Lichte europischer sterreichprobleme. In: Gehler M., Pelinka A., Bischof G. (d.), sterreich in der europischen Union. Bilanz seiner Mitgliedschaft, Wien/Kln/Weimar, Bhlau p.85-120 BEACCO J. Claude (2000), Les dimensions culturelles des enseignements de langue. Des mots aux discours, Paris, Hachette. BOYER Henri (1995), De la comptence ethnosocioculturelle , Le Franais dans le Monde n272, Paris, Hachette BOYER Henri (2004), De lautre ct du discours. Recherches sur le fonctionnement des reprsentations communautaires. Paris, LHarmattan CAIN A., BRIANE C. (1994). Comment collgiens et lycens voient les pays dont ils apprennent la langue. Reprsentations et strotypes, Paris INRP. CHARAUDEAU Patrick (1995), Regards croiss. Perceptions interculturelles France-Mexique, Paris, Didier Erudition CONSEIL DE LEUROPE (2001) Cadre europen commun de rfrence pour les langues : Apprendre,

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