Eduquer et soigner

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ÉDUQUER ET SOIGNER EN ÉQUIPE. Manuel de pratiques institutionnelles. Sous la direction de Muriel MEYNCKENS-FOUREZ, Christine VANDER BORGHT, Philippe KINOO. Voici un livre vraiment bienvenu, en ces temps de confusion et de brouillage des « institutions », ces nœuds et mailles du social - voire de la socialité, entendus comme essentiels aux « genres » humains. Tant il est vrai que nous vivons, travaillons, « perdurons » dans des institutions multiples, et qu’il est de notre intérêt commun qu’elles soient bien entretenues, et même bien pensées ! Pour ma part, j’avais y compris avancé l’idée qu’il restait souvent à « socialiser » les institutions, en particulier professionnelles, mais qu’en retour elles socialisaient et leurs personnels, et leur usagers. C’est l’une des dimensions souvent masquée du travail dans les institutions : elles participent intimement de cette difficile construction de personnalités disons « suffisamment » sociales pour vivre en société, et y vivre en bonne éducation. Ce livre fut publié il y a vingt ans par les éditions Matrice, les éditions de « l’Institutionnel ». Il nous revient ici, revu et augmenté, réorganisé, avec une préface du même Guy Ausloos, également réécrite, qui dit tout le plaisir qu’il eût à re-lire ce livre, dont il dit justement qu’il faut incessamment y revenir. ! Ce sont quatre cents pages de réflexions, de discussions, en deux grandes parties et quinze chapitres, qui sont en somme une mine de « théorisations », c’est à dire de théories mises en pratiques, ou de pratiques « traduites » du théorique, un exercice qui nous rapproche chaque fois davantage

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Ce sont quatre cents pages de réflexions, de discussions, en deux grandes parties et quinze chapitres, qui sont en somme une mine de « théorisations », c’est à dire de théories mises en pratiques, ou de pratiques « traduites » du théorique, un exercice qui nous rapproche chaque fois davantage de la vie quotidienne en institution, ce « trésor » de savoirs et de pratiques intégrés.

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ÉDUQUER ET SOIGNER EN ÉQUIPE.Manuel de pratiques institutionnelles.

Sous la direction de Muriel MEYNCKENS-FOUREZ, Christine VANDER BORGHT, Philippe KINOO.

Voici un livre vraiment bienvenu, en ces temps de confusion et de brouillage des « institutions », ces nœuds et mailles du social - voire de la socialité, entendus comme essentiels aux « genres » humains. Tant il est vrai que nous vivons, travaillons, « perdurons » dans des institutions multiples, et qu’il est de notre intérêt commun qu’elles soient bien entretenues, et même bien pensées !

Pour ma part, j’avais y compris avancé l’idée qu’il restait souvent à « socialiser » les institutions, en particulier professionnelles, mais qu’en retour elles socialisaient et leurs personnels, et leur usagers. C’est l’une des dimensions souvent masquée du travail dans les institutions : elles participent intimement de cette difficile construction de personnalités disons « suffisamment » sociales pour vivre en société, et y vivre en bonne éducation.

Ce livre fut publié il y a vingt ans par les éditions Matrice, les éditions de « l’Institutionnel ». Il nous revient ici, revu et augmenté, réorganisé, avec une préface du même Guy Ausloos, également réécrite, qui dit tout le plaisir qu’il eût à re-lire ce livre, dont il dit justement qu’il faut incessamment y revenir. !

Ce sont quatre cents pages de réflexions, de discussions, en deux grandes parties et quinze chapitres, qui sont en somme une mine de « théorisations », c’est à dire de théories mises en pratiques, ou de pratiques « traduites » du théorique, un exercice qui nous rapproche chaque fois davantage de la vie quotidienne en institution, ce « trésor » de savoirs et de pratiques intégrés.

La première partie, « L’institution et ses fonctions », ouvre sept lignes de convergence :

Christine Vander Borght historicise la psychothérapie et la pédagogie institutionnelles, ces « pratiques de l’institutionnel » qui ont fait et continuent de faire leurs preuves. Elles savent organiser et « animer » une institution sans laisser de côté le sujet, ni le collectif. Une conception coopérative « institutionalisée » ( Pour des pratiques de l’institutionnel : un peu d’histoire).

Muriel Meynckens-Fourez recourt à l’approche systémique pour décrypter et fonctionnaliser l’institution, système réglé d’interactions organisées qui fait la qualité des relations, les différenciations complémentaires, et nécessite « l’officialisation » des faits, une parole cadrée, jusque dans les situations critiques. La vie ou la mort qui habitent les institutions sont mieux lestées par ces repères (L’institution comme système).

Xavier Renders propose de discerner les fonctions et les rôles du point de vue des grands registres psychiques du symbolique, de l’imaginaire et du réel.

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Tant il est clair que les « personnes » dans les institutions sont portées par - et porteuses de- un faisceau fonctionnel qui fait aussi la bonne ou la mauvaise santé mentale de l’institution (Des fonctions et des rôles).

Christine Vander Borght analyse la « direction », champ de décision, de pouvoir, de référence, qui doit demeurer intelligible. Cette fonction prévalente déborde la décision, et porte aussi le soutien, la garantie « institutionnelle », la gestion, l’évaluation, la valorisation du travail (La fonction de direction).

Ce sont Hubert Boutsen, Claude Dieu, Philippe Kinoo, Christian Leidgens, Muriel Meynckens-Fourez, Christine Vander Borght, qui participent de la problématisation - Et du soin « institutionnel », car le soin n’est pas une question de personnes, mais de structure et justement d’institution., où les croyances, les comportements, l’ambiance, articulent implications, transferts, résonances. La violence est en institution partagée. - Et de la fonction éducative, raison d’être des institutions : comment investir les relations, l’enfant, comment s’en former ? (La fonction soignante et éducative).

Jean Daveloose et Didier Robin tentent de cerner le dispositif qui produit une fonction psychothérapeutique en institution, jamais identifié dans une figure de psychothérapeute. Le matériel psychique est spécifique, la cure n’est pas ici la référence : l’intelligibilité symbolique est à construire (La fonction psychothérapeutique).

Philippe Bivort situe le « travail social » en institution avant tout comme une interface active, appuyé sur une équipe, mettant en scène médiations, ré-unions, et croisements des regards. Du dedans, au dehors, le social fait lien dans le champ institutionnel entendu au sens large, jusqu’aux partenaires et aux familles. Faire « jonction » (La fonction sociale d’interface).

Christine Vander Borght découpe les « fonctions institutionnelles fondamentales » que sont l’analyse des pratiques, à la fois analyse institutionnelle et partage des savoirs « sur » l’institution, analyse interne et/ou intervenante ; la formation, continuée dans une liaison étroite entre soi et l’institution ; la recherche, également partagée ( Les fonctions d’analyse des pratiques, de formation, et de recherche).

La seconde partie, « Quelques dispositifs institutionnels », ouvre six autres lignes de convergence :

Philippe Kinoo, à partir d’un exemple d’institution, montre que c’est en articulant les références multiples, les fonctions, les formations, l’intervention « psy », le travail sur le corps, avec les familles, en réseau, avec l’organisationnel, que se dégage un paradigme « multiréférentiel interactif » d’équipe (L’institution complexe : le paradigme multifonctionnel interactif).

Didier Robin circonscrit le fonctionnement de la réunion d’équipe, en constatant que c’est une partie délicate du travail en institution. Cette « réunion des transferts » a besoin de règles : une confidentialité, une clarté des processus

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de décision, la possibilité de dire des « bêtises », un usage ouvert de la théorie, la parole partagée (La réunion d’équipe).

Muriel Meynckens-Fourez et Christine Vander Borght développent l’analyse de la réunion avec les utilisateurs, espace-temps central de la vie institutionnelle au quotidien. Il se doit de tenir compte du contexte, des effets « d’emboîtements » - les réactions d’ambiance, en jouant son rôle de cadre psychique, de maintenance du groupe, de lieu de négociation. Des illustrations parlantes concrétisent leur propos (La réunion avec les bénéficiaires).

Muriel Meynckens-Fourez se livre à un vaste examen des rapports de la famille et de l’institution. La famille en effet est incontournable. Comment constituer une « communauté » famille-institution ? Une co-construction d’un espace tiers est nécessaire, à travers un vrai rite de passage, où sont reprises et travaillées la cohésion-séparation, et la ritualisation des points de vue, pour assurer la place de l’entrant, y compris dans sa loyauté à sa famille. L’analyse de la demande (d’entrée) est tout autant déterminante (Le travail avec les familles).

Jean-Yves Hayez met à plat le triangle mandant-mandataire-bénéficiaire, porté par tout mandat d’accompagnement institutionnel. Définir précisément un contrat, dans ce qu’il implique de liberté et de contrainte, suivant la nature du placement, est ici illustré par des « situations-type » (Mandats, contrats, liberté et contrainte).

Philippe Kinoo et Anne De Keyser interrogent la transgression et la sanction, remarquant a priori que la transgression est relative à la légitimité et comporte toujours une dimension positive de capacitation. Elle s’inscrit dans un contexte personnel et institutionnel d’ambiance, de démarquage du sens et de loi. Les sanctions doivent être à la mesure du problème, pour renforcer les réussites, et scander les ratées, de la désapprobation à l’isolement. Réparer est une priorité (Transgressions et sanctions).

Philippe Kinoo ferme le ban sur l’analyse de deux « moments critiques », l’entrée et la sortie. Comprendre la demande d’entrée, faire un projet, en ne négligeant jamais la dimension émotionnelle, avec la famille, autant que faire se peut, et ensuite ne pas rater la sortie : quelle sortie, doit-on se demander (Entrées, sorties).

On voit bien toute la richesse de ce manuel institutionnaliste – au sens de « fait pour travailler en institution et en équipe », et tout l’usage et le « polissage » de concepts qu’il offre, remis en grandeur quotidienne. Il témoigne aussi de la compétence et de l’expérience des protagonistes de ce groupe, qui a su se muer en équipe virtuelle et construire pour nous la fiction pratico-théorique d’une institution éducative et soignante.

Jacques Pain, Professeur émérite de Sciences de l’éducation, Paris Ouest Nanterre.2 octobre 2011.