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Pg Journal Pg Dossier Ir expS$34 1 / 4 Mercredi 13 Novembre 2019 e iosSer ie exiress HÔPITAL DR AGNÈS ET MME BUZYN Tiraillée entre son passé de médecin et la rigueur budgétaire du gouvernement, la ministre doit gérer une crise sans précédent dans les hôpitaux publics. Et la colère de ses pairs. Par Jean-Baptiste Daoulas, avec Stéphanie Benz Des manifestants sous vos fenêtres, c'est toujours gênant. Mais c'est peut-être pis encore quand ils vous snobent. Le 29 octobre, les oreilles d'Agnès Buzyn sont épargnées par les ritournelles de Piaf et d'Aznavour que crachote la sono des personnels hos- pitaliers en colère. Et pour cause. C'est devant le ministère de l'Action et des Comptes publics de Gérald Darmanin que le cortège de blouses blanches est venu déposer un cercueil à l'effi- gie de l'hôpital public. « Ce n'est pas la ministre de la Santé qui a les clefs de la réforme et qui va délier les cordons de la bourse », justifie Jérôme Naudin, pédiatre à Robert -Debré. « Par rapport à ses prédé- cesseurs, Agnès Buzyn a une connaissance claire du terrain, mais on a l'impression qu'elle a les mains liées », complète Solen Kernéis, infectio- logue à Cochin (Paris XlVe). Le malentendu s'ap- profondit, huit mois après la naissance d'un mouve- ment inédit. Loin des syn- dicats traditionnels, des personnels paramédi- caux ont créé le Collectif inter-urgences. La grogne s'étend aux étages supérieurs de l'hôpital, au point qu'un second collectif s'est formé en sep- tembre : le Collectif inter-hôpitaux (CIH). Les soignants attendaient du Dr Buzyn qu'elle prenne fait et cause pour leur combat. Ils découvrent une ministre solidaire de la rigueur gou- vernementale. Le vote du budget de l'hôpital pour 2020 cristallise les ten- sions. Pendant sa première lecture, une partie des députés LREM exhorte la ministre à rallonger l'enveloppe de l'hôpital. Au cours d'une réunion àhuis clos, le 22 octobre, Agnès Buzyn leur promet des « annonces précises », mais pas avant la grande journée de mobi- lisation des personnels hospitaliers et des étudiants en médecine, le 14 novembre. Manière de ne pas lâcher trop vite les quelques millions que le gouvernement pourrait encore déga- ger pour l'hôpital. Les soignants crient

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HÔPITALDR AGNÈS ETMME BUZYNTiraillée entre son passé de médecin et la rigueur budgétaire

du gouvernement, la ministre doit gérer une crise sans précédent

dans les hôpitaux publics. Et la colère de ses pairs.

Par Jean-Baptiste Daoulas, avec Stéphanie Benz

Des manifestants sous vosfenêtres, c'est toujoursgênant. Mais c'est peut-êtrepis encore quand ils vous

snobent. Le 29 octobre, les oreillesd'Agnès Buzyn sont épargnées par lesritournelles de Piaf et d'Aznavour quecrachote la sono des personnels hos-pitaliers en colère. Et pour cause. C'estdevant le ministère de l'Action et desComptes publics de Gérald Darmaninque le cortège de blouses blanchesest venu déposer un cercueil à l'effi-gie de l'hôpital public. « Ce n'est pas laministre de la Santé qui a les clefs dela réforme et qui va délier les cordonsde la bourse », justifie Jérôme Naudin,

pédiatre à Robert -Debré.« Par rapport à ses prédé-cesseurs, Agnès Buzyn aune connaissance clairedu terrain, mais on al'impression qu'elle a lesmains liées », complèteSolen Kernéis, infectio-logue à Cochin (Paris XlVe).

Le malentendu s'ap-profondit, huit mois aprèsla naissance d'un mouve-

ment inédit. Loin des syn-dicats traditionnels, despersonnels paramédi-caux ont créé le Collectifinter-urgences. Lagrogne s'étend aux étages

supérieurs de l'hôpital, au point qu'unsecond collectif s'est formé en sep-tembre : le Collectif inter-hôpitaux(CIH). Les soignants attendaient duDr Buzyn qu'elle prenne fait et causepour leur combat. Ils découvrent uneministre solidaire de la rigueur gou-vernementale. Le vote du budget del'hôpital pour 2020 cristallise les ten-sions. Pendant sa première lecture,une partie des députés LREM exhortela ministre à rallonger l'enveloppe del'hôpital. Au cours d'une réunion àhuisclos, le 22 octobre, Agnès Buzyn leurpromet des « annonces précises », maispas avant la grande journée de mobi-lisation des personnels hospitaliers

et des étudiants en médecine, le14 novembre. Manière de ne pas lâchertrop vite les quelques millions que legouvernement pourrait encore déga-ger pour l'hôpital. Les soignants crient

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au cynisme. « Elle attend de voir ce quedonne la manif pour prendre la parole,dénonce Orianne Plumet, infirmière etmembre du Collectif inter-urgences.Alors que nous, on souffre tous lesjours sur le terrain. » « Ce n'est pas ducynisme, réagit Agnès Buzyn auprèsde L'Express. Je pense sincèrementque les mesures sur lesquelles je suisen train de travailler vont apporter desréponses profondes, structurantes etdurables. »

UNE IMAGE TERNIE« Pourquoi n'a-t-elle pas mis sadémission dans la balance? » Poséepar François Boué, chef de service àAntoine-Béclère (Clamart), la ques-tion taraude la communauté des soi-gnants. Ils savent qu'Agnès Buzyn estcapable de faire entendre une disso-nance au sein de l'exécutif. Sur l'alcool,sur l'homéopathie, sur l'aide médicaled'Etat. Mais sur l'hôpital, rien. S'est-elle seulement battue pour eux ?, se

demandent-ils. « Ce qui compte pourmoi, c'est le résultat, évacue la ministre.Je ne suis jamais dans les effets demanche, ce n'est pas mon tempéra-ment, et je considère parfois qu'il vautmieux travailler très sérieusement enback- office à des mesures utiles. » Undéputé LREM bien introduit a beauaffirmer que « ç'a été très musclé avecGérald D armanin » et qu'elle « n'a paseul'arbitrage »pendant la première lec-ture du budget, Agnès Buzyn ne laisserien filtrer sur ses tentatives pour arra-cher des crédits supplémentaires. « Lesannonces qu'elle va faire après la manifdu 14 vont coûter, promet un députéLREM, ami de la ministre. Si elle a descrédits supplémentaires, çavoudra direqu'elle s'est battue. »

Certaines réactions d'AgnèsBuzyn ternissent aussi son imagedans le milieu. Aux urgences de l'hô-pital Saint-Antoine, à Paris, l'étin-celle à l'origine du mouvement de

grève est une série d'agressions, maisle mal-être des soignants est ailleurs.La ministre les scandalise quand ellesemble réduire l'affaire à des « pro-blèmes de sécurité », le 19 avril, surPublic Sénat : « Je ne nie pas les

conditions de travail, mais ce n'estpas ce qui a déclenché la grève à l'as-sistance publique. » Au mois de juin,elle accuse des personnels de l'hôpi-tal Lariboisière de « dévoyer ce qu'estun arrêt maladie », après leur mise enarrêt collective. Les personnels para-médicaux se sentent incompris, mépri-sés. « Elle ne nous a pas calculés pen-dant six mois », assène Anne - ClaireRafflegeau, infirmière et membre duCollectif inter-urgences. Elle n'a tou-jours pas reçule CIH. « Le monde hospi-talier est clivé, rappelle Frédéric Pierru,sociologue spécialiste de l'hôpital. Lespraticiens hospitaliers (PH) se sententconsidérés comme de la piétaille parles professeurs des universités-prati-ciens hospitaliers (PU-PH), et il y auneméfiance entre les paramédicaux et

les médecins. » De ce point de vue, leCV d'Agnès Buzyn - Parisienne privi-légiée, scolarisée à l'Ecole alsacienne,PU-PH - la place en haut de la pyra-mide sociale de l'hôpital. « C'est plu-tôt un stigmate dans la crise actuelle »,poursuit Frédéric Pierru.

DÉBUTS EN FANFAREQui se souvient encore de la lune demiel des débuts ? Quelques semainesaprès sa nomination, en 2017, AgnèsBuzyn invite à sa table le diabétologueAndré Grimaldi et l'hématologue Jean-Paul Vernant, dont elle fut l'interne.Deux défenseurs intransigeants del'hôpital public. Avec enthousiasme,elle leur confie ses projets pour amé-liorer la pertinence et la qualité dessoins. Grimaldi repart séduit par lesidées et la fraîcheur très société civilede la ministre. « Elle nous a dit qu'elle

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ne savait pas si elle serait encore làdans un an, se souvient-il. On pensaitqu'elle serait pour la santé l'équivalentde Nicolas Hulot pour l'écologie. »

Elle marque encore des pointsquand elle s'en prend à la tarifica-tion à l'activité, cette T2A honnie dessoignants, qui a soumis les hôpitauxà une logique de rentabilité. AgnèsBuzyn en a tant souffert elle-même !La colère l'étreint encore quand ellese rappelle le jour où la directrice del'hôpital Necker (Paris XVe), où elleexerçait, expliqua que la chirurgiedu cancer de la prostate serait mieuxrémunérée que le traitement des leu-cémies aiguës, sa spécialité. « Est-ceque la médecine peut se satisfaired'un système où l'on considère quecertaines maladies sont rentables? Onmarche sur la tête. Je suis venue pourchanger ça », martèle-t-elle alors. Enjanvier 2018, Grimaldi lance une péti-tion de1000 médecins et cadres hos-pitaliers contre la T2A. « André, sij'étais encore à l'hôpital, je la signe-rais », lui confie la ministre. AgnèsBuzyn a fixé l'objectif de réduire la

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part de T2A dans le financement deshôpitaux à moins de 50 % en 2022.

Pendant des mois, elle repense l'en-semble du système de santé pour soula-ger l'hôpital. A la rentrée 2018, elle pré-sente son plan « Ma Santé 2022 », avecune batterie de mesures pour mieuxorganiser la médecine de ville et faireen sorte que les patients ne se tournentplus vers les urgences par défaut. « C'estun diagnostic intelligent. Mais ce n'estpas un plan hôpital. Il n'y arien, ce n'estpas financé », proteste André Grimaldi.« Il y a un hiatus entre les mesures intel-ligentes posées dans le plan "Ma Santé2022", qui mettront du temps à pro-duire leurs effets, et l'urgence que l'onobserve à l'hôpital, résume le députéLREM et professeur de médecine Jean -François Eliaou. Dans l'immédiat, leseul moyen d'action est budgétaire. »

CRITIQUES INCESSANTESEntre la ministre et ses pairs méde-cins, l'atmosphère vire à l'orage.Buzyn vit mal leurs critiques inces-santes. Le temps où il lui arrivait depasser un coup de fil à Grimaldi lesamedi matin est révolu. Leur der-nier contact remonte à la cérémoniedes vux au ministère de la Santé,en janvier dernier. Ce fut court. Unebise et une remarque agacée : « Maisqu'est-ce que vous faites ? Je suisen train de sauver l'hôpital. Faites -moi confiance ! » En coulisses, unechaîne de mails irrite prodigieuse-ment la ministre. Elle regroupe despraticiens hospitaliers et des spécia-listes de la santé. Agnès Buzyn n'estpas toujours mise en copie, mais tousles messages lui parviennent. Elle ylit les critiques d'anciens collègues,parfois de proches, « quasiment destémoins de mariage ». L'envie de hur-ler peut lui venir, mais elle se gardede répondre. Elle n'y fait allusion

publiquement qu'une seule fois, surEurope 1, le 13 octobre, pour se dire« sidérée » de « leur méconnaissancedu système » et « du nombre d'infor-mations fausses dont ils disposent ».« Cette réaction a été très mal per-çue, affirme le psychiatre Antoine

Pelissolo, porte-parole du Collectifinter-hôpitaux. C'est un peu se faireprendre de haut. C'est dommage, carcela ne peut que froisser. » Le pouvoiréloigne. « Elle était une professeure demédecine devenue ministre, elle estaujourd'hui une ministre qui a étémédecin il y a très longtemps », tanceun proche. « Elle en est malheureuse.Ces qualificatifs ne correspondent pasàAgnès, confie Jean-Hugues Dalle, unami professeur de médecine. C'est dela caricature. Ça ne rend pas justice àl'énergie qu'elle met à faire bouger leslignes depuis deux ans. »

ELLE S'AUTOCENSUREPour la ministre, le sujet est sensible.Très. La voix d'Agnès Buzyn se brisequand elle confie avoir « renoncé à unepartie d'elle-même »en quittant l'hôpi-tal.Un « trésor national »où, jeune pra-ticienne hospitalière, elle se réjouissaitavec son confrère Mohamad Mohty desoigner dans la même chambre doubleun SDF et le frère d'un ministre. Cet amihématologue lui envoie encore chaquesemaine une liste de publications surleur discipline. Quand elle revient surle terrain, le médecin reprend le passur la ministre. A Metz, le 26 juin, elledemande àla hiérarchie de l'hôpital dequitter la pièce pour pouvoir dialoguersans témoin avec des infirmières. Auself de l'hôpital de Nîmes, le 28 juin,elle plante les huiles de l'établisse-ment pour aller s'asseoir à la table desinternes. Le même jour, à Lunel, parune chaleur torride, elle s'engouffredans le Kangoo d'une aide-soignantepour faire une tournée au domicilede personnes âgées menacées par les

fortes températures. « Elles sont toutesles deux revenues en larmes », rap-porte un témoin, médusé. Le regardd'Agnès Buzyn s'embue quand on luirappelle l'anecdote. Depuis sa nomi-nation, la ministre concède un défautdans sa relation au monde hospita-lier : l'autocensure. « Venant de l'hô-pital public, je ne voulais pas donnerl'impression que je me préoccupaisuniquement de ce secteur en délais-sant les autres. »Elle promet d'y remé-dier. J.-B. D., avec S. Bz

Elle confie «avoirrenoncé à une partied'elle-même » enquittant l'hôpital