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Du même auteur

La Grande politique, une nécessité pour l’Afrique, Essai, Mon Petit Éditeur, 2012

La Réciprocité dans l'amitié,

Essai, Mon Petit Éditeur, 2013

Méditations et conférences, Philosophie, Mon Petit Éditeur, 2013

Vincent Davy Kacou

L’HERMÉNEUTIQUE DU SOI CHEZ PAUL RICŒUR

Prolégomènes à une éthique de la Reconstruction de l'Afrique

Mon Petit Éditeur

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Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication par Mon Petit Éditeur en 2014

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Introduction générale

S’il est un continent qui est en quête de son identité et qui s’interroge encore sur son avenir, c’est bien l’Afrique. En effet, aujourd’hui plus que hier, le continent noir tant sur le plan reli-gieux, culturel, politique, économique que moral sombre dans la décadence. Autrement dit, s’il est un continent où la volonté du mal, la méfiance, la haine, l’égoïsme, le découragement, le para-sitisme social et les sentiments de mort l’emportent sur l’estime de soi, l’amour, la sollicitude, la volonté de triompher et l’affirmation de soi c’est encore l’Afrique. Dans cette optique, Cheikh Yérim Seck montre qu’« en manque donc de repères positifs, les Africains ont développé des réflexes de facilité et des habitudes négatives incompatibles avec toute dynamique d’avancement. Ces mauvais comportements ont instauré et cul-tivé une culture tenace de régression »1. De toute évidence, si l’Afrique, berceau de l’humanité s’achemine allègrement vers les catacombes cela est dû au fait que l’Africain subit la vie au lieu de la vivre.

Dès lors, celui-ci est comme « égaré en pleine forêt, au lieu

de marquer un temps d’arrêt pour essayer de se réorienter, se met à courir à gauche, à droite, devant, derrière (…) Il n’a pas de moi, il est tout entier, il n’a rien en propre, il jouit de la lu-mière comme de l’ombre, il savoure la vie, que celle-ci soit belle

1 Cheikh Yérim Seck, Afrique : le spectre de l’échec, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 249.

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ou ignoble, noble ou vile, parce qu’il n’a pas d’identité »2. De nos jours, l’Africain est comme jeté dans ce monde. Il a peur de lui-même au point de se nier dans tous ses gestes quotidiens. Il est même pessimiste à l’égard des valeurs africaines. En un mot, l’Africain n’a plus foi en lui-même et ne croit plus en la vie pré-sente et future.

C’est en cela que l’idée de l’herméneutique du soi de Paul Ri-

cœur, philosophie de l’attestation ou de la confiance et de l’intersubjectivité ne nous laisse pas indifférent. En effet, dans cette Afrique sans repères, la pensée de Ricœur donne des rai-sons d’être, de croire et d’espérer : « Il n’y aurait pas de sujet responsable si celui-ci ne pouvait s’estimer soi-même en tant que capable d’agir intentionnellement c’est-à-dire selon des rai-sons réfléchies, et en outre capable d’inscrire ses intentions dans le cours des choses par des initiatives qui entrelacent l’ordre des intentions à celui des événements du monde »3. La confiance en soi, en l’autre et en la vie à venir est ce par quoi nous pourrons nous ouvrir à de nouveaux horizons. Ainsi, la confiance serait la forme suprême de l’acquiescement. C’est par elle que s’amorcera la transfiguration de l’Afrique. Cette transfiguration s’approprie dans le déjà-là et dans le pas-encore : « L’avenir se prépare dans le présent, mais en même temps il y aura plus dans l’avenir que dans le présent »4. La confiance est alors le levier du présent et de l’avenir.

Aussi la philosophie de Ricœur semble être la voie royale

pour re-donner un souffle nouveau à une Afrique où le souci de la valeur de sa propre vie et de son perfectionnement et le souci

2 Njoh-Mouelle, De la médiocrité à l’excellence. Essai sur la signification humaine du développement, Yaoundé, Éditions CLE, 1970, p. 24. 3 Paul Ricœur, Lectures 2. La contrée des philosophes, Paris, Seuil, 1999, p. 205. 4 Paul Ricœur, L’idéologie et l’utopie, trad. Myriam Revault D’Allonnes et Joël Roman, Paris, Seuil, 1999, p. 368.

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conjoint pour les autres vies, dans les gestes de sympathie et des actes de dévouement sont relégués au second plan. Aujourd’hui, en Afrique, l’homme ne constitue plus la valeur suprême ou encore une fin, mais un moyen. En effet, la vie humaine n’est plus sacrée car pour peu l’Africain est prêt à tuer, à torturer, à opprimer, à asservir, à violer, à voler, à humilier son prochain. Les droits fondamentaux de l’être humain sont ainsi foulés aux pieds. Par conséquent, l’altruisme, sentiment qui pousse à aimer et à aider son prochain a perdu de sa valeur au détriment de l’égoïsme, de la méfiance, de la haine, de la corruption, du maté-rialisme et du solidarisme.

À cet égard, l’herméneutique du soi ricœurien ne semble-t-

elle pas être une éthique par-delà le nihilisme africain ? Ne se-rait-elle pas ce par quoi l’homme africain expulsera tout ce qui est négatif aussi bien en lui qu’autour de lui ? En clair, face au nihilisme qui menace le berceau de l’humanité et qui l’entraîne facétieusement vers la sépulture, l’herméneutique du soi n’en serait-elle pas le palliatif ?

L’intérêt que nous recherchons à travers cette étude est la

reconstruction de l’Afrique ou du moins la quête d’une éthique en vue de la transfiguration du continent paradoxal qu’est l’Afrique. L’Afrique est pauvre, pourtant elle regorge d’énormes ressources naturelles et humaines. Elle s’enlise dans la pauvreté voire dans la misère à mesure que le temps se déploie. Au fond, l’Afrique est-elle réellement pauvre ? Ne lui manque-t-elle pas une éthique du progrès et un utopisme imaginaire ?

Pour sortir l’Afrique de la situation moribonde dans laquelle

elle se trouve et par ricochet pour une nouvelle Afrique, il con-vient que nous acquérions une nouvelle mentalité. Il ne faudrait pas se leurrer « La lutte pour une autre Afrique est donc une entreprise colossale, difficile et de longue haleine, un véritable

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défi à l’imagination, à la créativité et à la solidarité »5. Le renou-veau de l’Afrique exige une grande santé et une volonté de puissance affirmative.

5 Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire, Paris, Fayard/Actes Sud, 2002, p. 194.

I. Justification du thème

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Notre recherche a pour thème : « L’herméneutique du soi chez Paul Ricœur. Prolégomènes à une éthique de la reconstruction de l’Afrique ». Au-delà de la simple énonciation du thème, il im-porte que nous portions une attention particulière sur ce qui y est contenu comme donnée de sens et qui n’est peut-être pas immédiatement perceptible.

L’herméneutique dont il est question est la discipline qui dé-

chiffre le sens caché ou travesti des choses. Pour Ricœur, elle est à la fois une récollection du sens et une démystification des illusions du sens : « (…) L’herméneutique me paraît mue par cette double motivation : volonté de soupçon, volonté d’écoute, vœu de rigueur, vœu d’obéissance ; nous sommes aujourd’hui ces hommes qui n’ont pas fini de faire mourir les idoles et qui commencent à peine à entendre les symboles »6.

En outre, l’herméneutique est l’art d’interpréter les textes.

Interpréter, c’est comprendre à travers une variété d’actes, un sens unique. Ricœur dira qu’« interpréter, désormais, c’est tra-duire une signification d’un contexte culturel à l’autre selon une règle présumée d’équivalence de sens »7. L’herméneutique est alors une méthode qui permet d’obtenir un sens plus cohérent et plus rationnel. Elle consiste donc à donner sens à tout ce qui est, ou du moins à comprendre l’existence à travers de multiples détours que sont entre autres les symboles, les textes, les récits,

6 Paul Ricœur, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, p. 36. 7 Paul Ricœur, Lectures 2. La contrée des philosophes, Paris, Seuil, 1999, p. 491.

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les proverbes, les mythes. Elle est la science de la compréhen-sion des textes8. Par ces traits, l’herméneutique apparaît comme « une philosophie du détour »9.

L’herméneutique est une philosophie du détour, parce

qu’elle est la traduction d’un texte vers un autre. C’est dans ce sens que selon Ricœur l’herméneutique est le lieu où s’articulent trois problématiques : l’approche indirecte de la réflexion par le détour de l’analyse, la détermination de l’ipséité opposée à la mêmeté et la détermination de l’ipséité dans sa dialectique avec l’altérité10. Autrement dit, l’herméneutique pose un sujet, mais indirectement, en passant par les faits du langage, de l’action, du récit et de l’éthique.

Le concept « soi », que nous associons à « l’herméneutique »

par l’entremise de l’article défini contracté « du », a été l’objet d’un débat philosophique traditionnel entre cartésiens et empi-ristes eu égard à son aperception et à l’existence d’une substance sous-jacente. Le soi dans sa compréhension carté-sienne est solipsiste ; il est un être seul au monde et donc qui n’accède à aucune autre réalité que lui-même. En effet, chez Descartes, « je », « moi » réfère non pas à l’homme que les au-tres peuvent voir ou connaître, mais à quelque chose de distinct et qui ne peut être connu par une expérience très particulière, que l’on appelle introspection. Le soi cartésien est un ego trans-parent en lui-même qui est « en position de maîtrise »11. En d’autres termes, le soi cartésien est auto-fondation.

8 Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil, 1976, p. 94. 9 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 28. 10 Ibidem, p. 345. 11 François Dosse, Paul Ricœur. Les sens d’une vie, Paris, La découverte, 2001, p. 618.

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En clair, la conscience-moi de Descartes n’est pas l’individu que nous connaissons, qui a une fonction sociale, mais une ré-alité qui ne peut être connue qu’à travers une connaissance particulière, qui consiste à entrer en soi-même. Chaque individu est considéré comme un « moi » isolé de tout autre, une sorte de citadelle qui devrait trouver les moyens de l’expression de son intériorité sans qu’elle ne puisse jamais parfaitement s’extérioriser. Le soi cartésien vit donc en insularité. Il est un être centré sur lui-même.

Mais la vérité à laquelle Ricœur va être confronté est celle

qui rend compte du fait que le soi n’est pas seul au monde ; il est un être "au-monde-avec" c’est-à-dire qu’il est en rapport avec les autres et le monde. Le soi ricœurien se met alors à l’écoute de l’autre. Il va à la rencontre de l’autre car celui-ci est le plus court chemin pour venir à soi. Il y a comme une dialec-tique entre le soi et son autre. Loin d’être une substance figée, le soi est un choix moral, un espace ouvert à l’altérité. Il est capa-ble d’actions productrices de sens et invite à prendre la mesure de sa dignité et l´étendue de sa responsabilité. Il est un être de volonté et de liberté créatrice. Il est un être « agissant et souf-frant »12.

Dès lors, par le concept de « l’herméneutique du soi », Ric-

œur entend dénoncer l’illusion de transparence qui caractérise le soi. Selon l’auteur, l’herméneutique du soi se situe à mi-chemin de l’exaltation et de l’humiliation du cogito : « C’est aussi la que-relle du Cogito, où le « je » est tour à tour en position de force et de faiblesse, m’a paru le mieux capable de faire sortir d’entrée de jeu la problématique du soi, sous la réserve que nos investi-gations ultérieures confirment la prétention que nous formulons ici, à savoir que l’herméneutique du soi se trouve à égale dis-

12 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 29.

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tance de l’apologie du Cogito et de sa destitution »13. Paul Ric-œur jette donc les fondations de l’herméneutique du soi entre l’idéalisme du sujet et sa destitution.

De toute évidence, l’herméneutique du soi est la mise en

œuvre d’un projet dont l’ambition était d’élaborer une philoso-phie du sujet non prisonnière du cogito cartésien ou sujet exalté puis du cogito brisé ou le sujet humilié de Nietzsche14. L’herméneutique du soi est l’opération par laquelle un sujet prend connaissance de soi médiatement non seulement à tra-vers la personne d’autrui mais aussi par les signes, le langage, les symboles et les mythes. Pour se comprendre lui-même, le sujet doit donc accepter le long détour par l’interprétation des signes, des symboles et des mythes qui forgent une culture car il n’y a pas d’identité réfléchie sans détour par l’altérité. L’autre est in-dispensable à la connaissance de soi. Pierre Aubenque montre ainsi que : « la condition humaine, en effet, est telle que la con-naissance de soi est illusoire, et devient complaisance à soi, si elle ne passe pas par la médiation de l’autre »15.

En conséquence, l’herméneutique du soi est la compréhen-

sion du soi par le détour de la compréhension de l’autre. Ce chemin de soi à soi par autrui met au premier plan la catégorie d’attestation en tant que confiance dans le pouvoir de dire, d’agir, de raconter et de promettre. L’herméneutique du soi est une invite à avoir encore confiance dans la possibilité d’une action, à avoir confiance en soi, en l’autre et en l’histoire. Elle se veut donc une philosophie de l’homme « capable »16, du « je

13 Ibidem, pp. 14-15. 14 Olivier Mongin, Paul Ricœur, Paris, Seuil, 1994, 1998, p. 162. 15 Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, 4e édition, Paris, P.U.F, 2004, p. 182. 16 Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2004, p. 156.

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peux »17. Ricœur dira en substance : « Je me comprends d’abord comme celui qui dit « je veux ». (…) Dire « je veux » signifie je décide, je meus mon corps, je consens »18. Cette réflexion de Paul Ricœur nous donne des raisons d’agir et d’espérer dans ce monde sans repères, privé de sens et surtout en proie au nivel-lement des valeurs voire au nihilisme.

Face à cette réalité existentielle, il n’est pas de problème plus

vital et plus urgent que de restaurer la vie éthique en faisant resurgir la philosophie de la relation et la philosophie de la vo-lonté. Nous voulons, en clair, inciter l’homme contemporain à aimer son semblable comme soi-même, mais surtout exhorter et aider l’Africain à s’estimer dans ce qu’il est, dans ce qu’il fait, puis à s’affirmer comme un être capable de toute réalisation. Justement, c’est dans le sens d’une philosophie de l’homme capable, du « je peux », du « je veux » et du « j’espère » que s’inscrivent les soucis qui motivent l’orientation de notre re-cherche dans son libellé : « L’herméneutique du soi chez Paul Ricœur. Prolégomènes à une éthique de la reconstruction de l’Afrique ».

C’est au cœur de la pensée de Ricœur que nous trouvons le

fondement de notre thème. En effet, l’herméneutique du soi est le titre que Ricœur donne à son propre projet qui est d’exposer une philosophie pratique dans laquelle une place centrale est prévue pour le sujet d’action et de passion ; ce qu’il nomme « l’homme agissant et souffrant »19.

Finalement, le thème de notre recherche n’est rien moins

que l’étude des rapports de l’homme avec son semblable car nul homme ne peut vivre en autarcie ; autrement il serait un dieu ou 17 Ibidem, p. 159. 18 Paul Ricœur, Philosophie de la volonté. Le volontaire et l’involontaire, Tome 1, Paris, Aubier, 1988, pp. 9-10. 19 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 29.

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une brute. L’homme est en lui-même ce pourquoi l’animal est. Il est animal politique. L’homme est un être de détour, de mé-diation et de médiété. C’est pourquoi, dans sa relation avec son autre, il doit maintenir sa singularité ontologique, son identité personnelle.

Il s’agit donc dans notre travail de forger l’homme aux va-

leurs créatrices telles que l’acceptation de soi, l’estime de soi, la réalisation de soi, l’affirmation de soi comme volonté créatrice. Nous voudrions également dégager une voie qui permette de penser à nouveau frais la question de l’intersubjectivité sous l’angle de l’éthique en vue d’une prise de conscience de soi et d’une reconstruction de l’Afrique.