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Déroulement des rencontres

Discussions p. 5Christopher Thornton : Introduction du Président de la FRAPNAFrédéric Jacquemart : Présentation du projet Nature CultureAndré Micoud : « Quelle place pour les APNE lorsque toutle monde parle d’environnement ? »Fabrice Flipo : « Où va le progrès ? »André Larivière : Témoignage d’un militant viscéralJacques Deplace : Synthèse des réflexions arbordées

Ateliers p. 26Approche artistique de l’arbre (Laure Martinez)Rencontre avec un pêcheur d’oiseau (Jérôme Douplat)Jeux coopératifs (André Larivière)Arbre réel ou imaginaire (Forêt des Contes en Vocance)Land art or not Land art (Jérôme Piguet)Ecriture et musique (Mayi)Théâtre Forum (Atelier du Déclic)Musique Verte (Benjamin Tosi)Elément’ Terre (Gaëtan Martinon)Techniques de tressage végétal (Maria Sanz)Récup et Art (Art gens)

Conclusion p. 36

Annexes p. 43Rétrospectives des Rencontres Nature Culture Fiche projet des Rencontres Nature Culture 2008Visuel des rencontresLettre d’invitation aux rencontresTextes réalisés / présentés lors des ateliersQuelques textes de référenceBibliographie p. 95Remerciements p. 96

Les différents textes contenus dans ces actes n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

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sommaire

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Un enjeu, une nécessité, une métamorphose

L'essence du projet Nature Culture est une quête de sens, de re-nouveau, etde re-construction.La protection de la nature est au carrefour de tout, un tout transversal ettransdisciplinaire1, car notre mouvement a toujours perçu le monde de maniè-re « contexte et complexe » 2. Notre vision naïve et instinctive a eu peu decorps pendant de nombreuses années, car elle ne correspondait pas à l'ima-ge du Progrès de notre civilisation.Aujourd'hui les soubresauts d'une planète suffocante placent l'environnementau cœur du plus grand défi de notre Histoire.

Quel rôle pouvons-nous jouer dans le changement culturel ? Quelle place pourle mouvement de la protection de la nature ? Quel message devons-nous por-ter à la société pour une évolution vers un nouveau monde, un nouveau para-digme?

Nous sommes ici au cœur du projet Nature Culture porté par la FrapnaArdèche depuis 2004 ; du Bois des Barthes au Château des Célestins, 5 ren-contres nous ont permis d'échanger et de partager nos idées avec les mou-vements artistiques, non violents, militants, scientifiques, sociologiques, philo-sophiques…

2008 début de la métamorphose ?Ayant approfondi notre réflexion et croisé nos expériences3, les rencontresNature Culture 2008 ont été l'occasion de mutualiser auprès de l'ensembledu mouvement fédératif de la Frapna. Deux journées ont donné matière auxélus, aux bénévoles et aux salariés, en termes de réflexions et de pistes, pourêtre au monde et pour que notre message fasse « société » 4.

Vous trouverez dans ces actes les différentes conférences, discussions et ate-liers qui ont eu lieu durant les rencontres, les témoignages des participantsainsi qu’un aperçu du projet et de son évolution au cours des années.

Ce fut pour nous, cinq années de jouissance intellectuelle, de plaisir, de fatigueet de plénitude.Nature Culture est plus qu'un projet, c'est une vision de la vie, en ce qu'elle ade sens.Nous sommes heureux de le partager avec vous aujourd'hui.

Yan Chauwin, Directeur de la FRAPNA Ardèche.

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1 F. Jacquemart, GIET, www.giet.org.2 Cf. Edgar Morin, « Vers l’Abîme », éditions l’Herme.3 Projet Brin d'Art et Cahier Nature Culture de la Frapna Rhône.4 F. Flipo, voir son introduction à la discussion – Nature Culture 2008.

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La FRAPNA Rhône est venue à l'approche Nature Culture par l'Art. Sept bien-nales d’art animalier qui se sont succédées depuis 1985 et qui ont remporté

un vif succès ; puis le choix de proposer une exposition permanente et itinéran-te « Brins d'Art », qui circule depuis 2005 et encore aujourd'hui, sur le thème de

la biodiversité en Rhône Alpes.

L'Art, c'est le pays des émotions, et certains pourraient se demander pourquoi arti-culer l’Art et la Nature surtout dans un objectif FRAPNA de protection de la nature.

Le lien existe pourtant, et il vient du plus lointain des âges de l'humanité. Arrêt pourun panorama au soleil couchant, oiseau en V un peu écrasé dessiné par l’enfant, notre

vie est remplie de représentations de nature.

Allez, en vrac, ouvrons le sac : peintures rupestres, timbres, armoiries, sculpturesgrandes et petites, signes du zodiaque, totems, publicités, tissus et papiers peints, des-sins animés, aquarelles, albums pour enfants… et deux ratons laveurs… sans lesquelson ne pourrait pas terminer cet inventaire à la Prévert.

Imaginez une seconde toutes ces « images » sans animaux, sans plantes, sans paysages.L’image, c’est le début de l’imaginaire, de l’imagination. Sans feuilles, ni pattes, sans boisni fleurs, sans plumes et sans écailles, notre « nature » humaine serait bien pauvre. Et làtout doucement, nous avons fait le pas, il n'y avait pas seulement les dessins et les pein-tures, il s’agissait aussi de poèmes, de dictons, de chansons, de légendes et de contes, detoute notre culture, parfois jusque dans nos objets les plus quotidiens ; Nature Culture étaitpartout… Que seraient nos cultures diverses sans nos natures différentes ?

Alors nous sommes allés notre petit bonhomme de chemin, en nous lançant dans un projet« culturel » où la sensibilisation, l’information, l’éducation constituent des préoccupationsmajeures dans une logique de partenariat comme par exemple :

- le travail avec l’AMAC (Antenne Mobile d’Action Culturelle) sur les « Paroles », soirées confé-rences où la parole des conteuses se mêle à celle des naturalistes ;

- les collaborations avec des plasticiens sur la Fête des Feuilles au Parc de la Tête d’Or(depuis 2001) ;

- les cahiers Nature Culture qui regroupent autour d'un même thème à la fois des résultatsscientifiques, des observations naturalistes, des éléments culturels (créations artistiques,photos, contes et légendes), des aspects historiques et actuels des relations avec l’hom-me. Les trois premiers cahiers ont porté respectivement sur le castor, les chauves-sou-ris, et le blaireau, le prochain mettra à l'honneur le hérisson. Pour les végétaux, on ypense !

Enfin, il y eut les chemins communs avec ceux qui étaient engagés sur les mêmes itiné-raires, en particulier la FRAPNA Ardèche et l'aboutissement des journées de novembre2008. Partager, échanger, s'émouvoir, se nourrir ensemble et entraîner la FRAPNAvers un changement de paradigme… Merci pour ces jours-là !

Ainsi, la protection de la nature qui est une vision et une action humaine, doit se vivreaussi comme une action culturelle, puisque les humains et leurs sociétés en sont lesacteurs, les témoins et les responsables. Alternance de connaissances et de sen-sible, de savoirs et de sentiments, il nous semble que l'engagement dans la protec-tion de la nature tient véritablement des deux domaines et qu'il faut ces deuxdimensions pour partager la conviction que nous sommes tous pétris, issus, par-ticipants de cet extraordinaire miracle qu’est la vie, la biodiversité et la nature :nous ne devons pas en être les destructeurs.

Frédérique Resche-Rigon, Directrice FRAPNA Rhône ;Co-pilote du Réseau Régional d’Education Nature et Environnement de la

FRAPNA

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Le programme

La portée régionale de ces quatrièmes rencontres nous a amené à les orga-niser à Colombier le Cardinal, près d’Annonay dans le Château des Célestins.Le site, facile d’accès, proche de Lyon, dispose à la fois de grandes salles, d’unrestaurant, de chambres et d’un grand parc arboré, invitant à la balade et àl’immersion forestière, toutes ces conditions étant nécessaires pour permettrel’organisation de ce type de rencontres.

Au fil des deux journées, nous avons voulu montrer la diversité et les diffé-rentes composantes qui enrichissent notre réflexion et ce type de rencontre.

Vous trouverez dans ce document les actes de ces deux journées, des textespour étayer notre réflexion, ainsi qu’une bibliographie non exhaustive.

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Journée INTERFRAPNA 14 novembre 2008

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Discussions

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5 Robert Lane « The loss of happiness in market democracies », Yale University Press, 2000. http://yalepress.yale.edu/yupbooks/book.asp?isbn=97803000910696 Sir David King, Conseiller Scientifique Principal du Gouvernement britannique, 2007, cité dans ENDS Report 390, juillet 2007

IntervenantChristopher Thornton,Président de la FRAPNA Région

Rencontres Nature Culture 2008

Contribution aux réflexions d’unmilitant associatif, devenu depuispeu Président de la FRAPNARégion

Militer dans une association de pro-tection de l’environnement, c’estconnaître des sollicitations perma-nentes pour agir sur tel ou tel dos-sier, souvent dans l’urgence. NotreFRAPNA est unefédération de 8 sec-tions départemen-tales, de nom-breuses associa-tions locales et thé-matiques, en lienavec notre fédéra-tion nationale FNE etavec les autresassociations quiagissent pour l’envi-ronnement (Amis dela Terre, Hélios,WWF…)

C’est une richesse de personnes,d’idées, de rencontres. Plus on s’im-plique, plus c’est prenant. Sansoublier que bénévole veut dire « dansson temps libre »… entre activitésprofessionnelles et famille. Avec toutça, on oublie facilement de prendrele temps de se demander pourquoion agit, pour quelle société, pourquel demain ?

Nature Culture nous a permis denous interroger, ensemble, sur lesvaleurs qui nous motivent et qui sous-tendent notre action associative.

Nous vivons dans une société fondéede plus en plus sur la consomma-tion, pas seulement comme vecteuréconomique, mais comme raisond’être. Pourtant « la doctrine de laconsommation et de la croissance

n’est pas fondée sur la satisfactionmais sur l’insatisfaction » 5. Laconsommation c’est vouloir toujoursplus, attisée par la publicité et parl’étalage des stars. C’est une sociétéde jalousie et d’individualisme. Le« marketing vert » (tel qu’il est sou-vent affiché) et le « développementdurable », ne font guère mieux, ens’appuyant sur les mêmes valeursindividualistes d’insatisfaction. Unevoiture neuve plus verte que celle duvoisin… c’est un voisin rabaissé.

Le slogan de Carrefour « Mieuxconsommer » contient sa proprecontradiction. Toujours plus, même

si c’est plus de produitsverts, c’est une planète quiva dans le mur. Derrière lacrise économique se tientune crise écologique :crise du climat, du pétrole,des matériaux premiers,de l’agriculture, de la biodi-versité…

Nous devons chercher unedécroissance qui permetde retrouver une vie plusheureuse, de vivre plusdans le bonheur, et cela en

permettant aux pays pauvres detrouver des modes de vie décents.« Nous devrons changer d’un sché-ma mental de consumérisme ram-pant vers un autre modèle… ne plusaccorder de statut social à laconsommation… »6

Cela veut sans doute dire mettre enquestion la croissance, la démogra-phie, les déplacements, le rêve dechacun d’avoir sa propre maison,notre utilisation du temps, laconsommation de viande, la techno-logie, et tout un tas d’autres« tabous » que personne n’ose tou-cher. Pour y arriver, nous devronstrouver d’autres valeurs, plus pro-fondes, capables de motiver les indi-vidus et structurer notre société.

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7 m. Vansteenkiste et al., « Less is sometimes more : goal content matters », J. Educational Psychology 96 (4), pages 755-764,2004 http://www.psych.rochester.edu/SDT/documents/2004_VansteenkisteSimonsLensSoenensMatosLacante_LessisMore. pdf8 kW Brown & T Kasser « Are pyschological and ecological well-being compatible ? The role of values, mindfulness, and lifestyle »,Social Indicators Research 74, pages 349-368, 2005http://www.psych.rochester.edu/SDT/documents/2005_BrownKasser_SIR. pdf9 WWF UK, « Weathercocks and Signposts » - strategies for change report - the environment movement at a crossroads »,avril 2008, http://www.wwf.org.uk/research_centre/research_centre_results. cfm? uNewsID = 222410 Pierre Lascoumes « L’éco-pouvoir », Ed. La Découverte 1994, http://www.numilog.com/fiche_livre. asp ? id_livre = 4693711 Sir Winston Churchill

Les sociologistes nous apportent del’espoir car la recherche démontreque « Les valeurs internes (dévelop-pement personnel, relations person-nelles, implication dans la commu-nauté) sont plus fortes que lesvaleurs externes (biens matériaux,argent, statut social, attirance phy-sique) » 7 ; que le bien-être est lié àdes comportements écologiques8 etque le contact avec la nature est unfacteur important de bien-être9.

Ainsi, des changements importantsde comportements, même difficiles,peuvent être engagés avec des moti-vations internes, et si l’individu peuts’approprier une capacité d’auto-décision.

Le lien entre ces valeurs et notreaction quotidienne associative estsouvent difficile, car nous devons tra-vailler avec nos associations localeset bénévoles qui ont leurs propresmotivations et convictions, ceci enpartenariat, pour ne pas dire « com-promission » avec des élus ou desentreprises dont l’évolution des men-talités comme des actes peuventnous sembler parfois bien lents.Comment garder notrerôle de contre pouvoir etnotre sens critique, alorsque nous dépendons finan-cièrement de ces parte-naires ? 10

Beaucoup de questions, mais peude réponses ?

Devant l’urgence écologique, nousdevons oser nous mettre en ques-tion, tout en poursuivant au mieuxnotre action pour l’environnement :« Cela ne sert à rien de dire nousfaisons de notre mieux. Vous devezréussir à faire ce qui est nécessai-re » 11.

Je souhaite remercier toutes les per-sonnes des FRAPNA Ardèche etRhône et tous ceux qui ont rendupossible ces rencontres NatureCulture. Le lieu est remarquable,l’accueil chaleureux et le programmepassionnant. Enfin, je remercie tousles salariés des neuf FRAPNA, carvous n’êtes pas uniquement la com-pétence de notre association, vousapportez également une granderichesse d’idées, de volonté et demotivation, et vous êtes souvent uneinspiration pour nous militants.

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12 Nous joignons en annexe le contenu des interventions sur cette réflexion lors d’un colloque organisé en août 2008 par le GIET.

IntervenantFrédéric Jacquemart

Etant la clé de voûte du projetNature Culture porté par la FRAP-NA, Frédéric Jacquemart présentela réflexion qui a fait naître cettedémarche, les différents chemine-ments qui ont été pris et un bilanaprès ces cinq années d’expérimen-tations.

Le programme Nature Culture estné d’une constatation : tout le mondecomprend que le monde a radicale-ment changé, que la6e extinction massi-ve des espèces esten cours, remettantpar là même enquestion notrepropre capacité àsurvivre, bref, quel’humanité doitmaintenant faireface à une situationqui n’a aucun précé-dent dans son his-toire. Tout le mondecomprend, c’est àdire : intellectuellement, ou rationnel-lement. Moyennant quoi, ce mêmetout le monde continue à prendre sabagnole, aller au supermarché,regarder la télé en mangeant sasoupe… comme si de rien n’était.

De fait, si on interroge les gens quihabitent au pied d’un volcan en acti-vité ou d’autres, qui vivent au bordd’une faille géologique, ils vous racon-tent, avec une science d’expert com-ment ils vont périr cramés ou englou-tis dans les profondeurs de laterre… mais ils restent.

Entre la connaissance rationnelle etla conscience profonde, la réalisa-tion, il y a un fossé que seules dessituations fortes semblent pouvoircombler (ou la méditation).

En fait, un changement de com-portement tel que celui qui estnécessaire actuellement ne peutdécouler de la rationalité. Pourcela, il faut passer par le sensible,l’affect, et le passage du rationnelau sensible n’est pas direct.

Lassés, donc, de répéter toujoursdes choses maintenant connues etadmises rationnellement de tous(sauf de rares attardés), mais sansque cela n’entraîne de changementnotable, nous avons décidé de chan-ger de méthode, et de nous adres-

ser, justement, au sen-sible, pour tenter de don-ner aux générationsACTUELLES et futuresune chance de continuerle voyage dans un mondeencore assez beau pouren valoir la peine.

Une fois rejetées lesméthodes, efficaces,certes, des sectes et plusgénéralement de la mani-pulation mentale, qui, à l’in-verse, évitent tout lien avecle rationnel, nous avons

conclu que la seule façon, en toutcas pour ce que nous avons pu trou-ver, qui permette une prise deconscience réelle et forte tout enpréservant l’esprit critique et lelibre arbitre (et devoir vivre descatastrophes réelles), c’est tout sim-plement : l’art.

Alors voilà, nous avons, certes, desartistes professionnels et excellentspour nous aider, mais le but n’estpas, comme au spectacle, d’êtrebon, le but est, pour chacun, acteurau sens large de ce moment particu-lier, expérimenté dans ce domaine ounon, non pas tant de produirequelque chose pour les autres, maisbien de vivre profondément desémotions qui ouvrent à d’autreshorizons d’une vraie pensée, d’unepensée qui nous permette, enfin,d’agir en cohérence avec le mondemoderne.12

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IntervenantAndré Micoud

Quand tout le monde s’occupe del’environnement : que faire ?

Une analyse de l'évolution actuelle dela société et de la place que doiventprendre les Associations deProtection de la Nature et del’Environnement (APNE).Du constat à son analyse, aujourd'huidans la société on note :- Une prise de conscience indéniable- Une place croissante sur « l’agendades politiques »- Des évolutions dans le droit- Un doute général quant aux méritesde tous les systèmes « producti-vistes »- Une aubaine pour les APNE? Oui,mais à quelles conditions ?

L’éventail des positions, alors quellesréactions pour les associations deprotection de la nature ?- Le verre à moitié plein ou à moitiévide- Sus à la « récupération » !- Le dépit de ceux qui se pensentcomme des pionniers ;- Les nostalgiques de la « militance »d’autrefois ;

- La méfiance vis-à-vis du « greenattrape-tout » ;Partant de ce constat les associa-tions doivent recentrer leurs objec-tifs.

Quels nouveaux objectifs ?- La nature et les modes de vie(quelles exigences personnelles ?)- La nature et sa connaissance scien-tifique (quel nouveau partage démo-cratique des savoirs ?)- La nature et sa prise en compte parles institutions (quelle politique de lareprésentation ?)

Le langage est un outil puissant quiamène des changements. La biodi-versité, le développement durable oul’agriculture biologique sont de bonsexemples de figures rhétoriques quiproduisent un effet sur le plus grandnombre, des concepts qui suscitentdébats et controverses dans lesmilieux scientifiques et des catégo-ries qui s’imposent peu à peu dansles règlements nationaux et interna-tionaux.Tous ces éléments ne provoquentpas pour autant de changement.Pour agir dans la société la compila-tion de trois formes d’actions enche-vêtrées est nécessaire :- Les actions esthétiques : qui tou-chent les êtres vivants sensibles,- Les actions cognitives : pourconvaincre les êtres vivants ration-nels,- Les actions juridico-politiques : pourimpliquer les êtres vivants rationnelsorganisés en société.C'est à cette seule condition qu'unemodification du comportement estpossible, alors la société pourra pro-téger la nature ou travailler au chan-gement :- De nos modes de vie (pour manifes-ter une frugalité heureuse…)- De la représentation du réel (pourmieux articuler les sciences socialeset les savoirs écologiques)- De l’ordre politique mondial (groupe-ments humains et différence desformes de vie).

Témoignage De Yan Chauwin

Sociologue, André Micoud connaîtbien le milieu associatif. Pour resti-tuer le débat il a fait une introductionsur l'histoire de la Frapna et un étatdes lieux de la protection de la natu-re. Sa présentation nous a permisde connaître les valeurs qui ont moti-vé notre mouvement depuis lesannées 70. L'évolution de la société,la reconnaissance par l'État et la pro-fessionnalisation des équipes ontbouleversé non pas les valeurs maisla manière de les percevoir et de lesmettre en œuvre.Nous présentons ici la deuxième par-tie de son exposé, en nous appuyantsur son diaporama. Il est intéressantde noter le lien entre le constatactuel et la modification nécessairedu message environnemental. Lienque l'on retrouve dans les présenta-tions des autres intervenants.

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IntervenantFabrice Flipo

Ingénieur, docteur en Philosophie desSciences et Techniques et Maître deconférences, Fabrice Flipo se consi-dère comme un explorateur deconcepts durables et travaille plusprécisément sur les thèmes liés à lacrise écologique et l’écologie desinfrastructures numériques.

« Où va le Progrès ? »

Progrès vers quoi, d'ailleurs ? Nousdégagerons 3 formes de progrès : leprogrès industriel, dans la division dutravail, le progrès marchand, dansl'accroissement des échanges, et leprogrès de la gouvernance, vers ungouvernement mondial. Ces troisformes de progrès sont ce qu'onentend le plus couramment sous leterme « progrès ».

Tous les trois, pour des raisonsdiverses mais interdépendantes, nemènent pas vers un progrès desconditions de vie sur cette Terre.

Nous examinerons alors 3 pistespour sortir de ces 3 types de pro-grès, et situerons le rôle des asso-ciations de "protection de l'environne-ment" dans cet ensemble.

Protection de la nature et modesde vie15 novembre 2008

ContexteLe terme « environnement » prendnaissance dans les années 70 etdésigne un ensemble hétéroclite denuisances, pollutions, bruit etc. etdétérioration des conditions de vie dela faune et de la flore. L'impact surles modes de vie existe déjà mais ilest peu audible. Ces problèmeslocaux évoluent dans les années 80et surtout 90 vers des problèmesglobaux – changements climatiques,cycles biogéochimiques, biomes etrégulations planétaires. La théma-tique des nuisances s'est relative-ment bien diffusée dans la populationet a remporté des succès impor-tants, tout comme celle des parcsnaturels, qui sont maintenant enva-his de randonneurs et vététistes, aupoint d'être devenus une sourceimportante de revenus pour leszones concernées.

Néanmoins l'emprise écologique glo-bale a continué d'augmenter, commeen témoigne un indicateur commel'empreinte écologique. Le mode devie est de plus en plus consomma-teur, même si certaines nuisances etpollutions ont bel et bien diminué –dioxyde de soufre, dioxine, bruit auto-mobile etc. Nous n'avons jamaisautant consommé de ressources etautant pollué « l'environnement ».Doit-on en tirer un constat d'échec ?

Le bilan est ambigu. Le Grenelle enest en quelque sorte le symbole. D'uncôté une énorme reconnaissance dutravail des Associations deProtection de la Nature et del’Environnement (APNE), la sociétéprenant enfin au sérieux la questionde l'environnement et la mettant surun pied d'égalité avec l'économie, ladéfense des intérêts des travailleurset l'équilibre territorial. C'est ce dontsemble en tout cas témoigner la pro-cédure organisée en cinq collèges. Ala suite du Grenelle se sont multi-pliées les initiatives visant à informersur les conséquences des modes devie, à promouvoir les alternatives.

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La question intéresse désormais toutle monde. Mais d'un autre côté lesconséquences sont décevantes. Toutle monde parle d'écologie, d'environ-nement et pourtant les effectifs desAPNE n'augmentent guère. Aucontraire les acteurs des APNE sem-blent ressentir une perte de sens,comme si, malgré toute l'agitationautour de questions dont ils s'occu-pent depuis fort longtemps, leursmessages ne passaient pas mieux.Pire, de nouveaux acteurs tels queVéolia se positionnent en concur-rents directs de ce qui relevait desprérogatives des APNE, postulantpar exemple pour la gestion de parcsnaturels tels que la Camargue. La« consommation verte » recouvretout et n'importe quoi et le plus sou-vent des alternatives auxquelles lesAPNE n'adhèrent pas vraiment.Présentes dans d'innombrables com-missions, les APNE ne parviennentpas pour autant à influencer demanière décisive l'évolution dessociétés industrielles, qui semblentcontinuer sur leur lancée vers le« mur » tant annoncé.

Comment expliquer cet état de fait ?Qu'en conclure pour l'action ?

Un point de départ est de revenir à laquestion des « modes de vie », sisouvent mentionnés comme étant lenœud du problème. Que veut-on direexactement par « modes de vie » ?

Que sont les « modes de vie » ?

Essayer de savoir pourquoi l'action, lepoids et les connaissances des APNEreste insuffisant par rapport auxobjectifs qu’elles souhaitent se fixerexige de fournir une analyse de l'évo-lution des sociétés industrialisées,permettant de situer l'action desAPNE en leur sein et en particulier auregard de l'évolution des « modes devie » qui sont si souvent cités commeétant le nœud du problème. Quellessont les vertus qui le rendent siattrayant, au point d'étouffer lacontestation issue des APNE? Et, encreux, quelles seraient les pistes per-mettant aux APNE de dépasser leslimites actuelles de leur action ?

La thèse que nous défendrons estque les modes de vie des sociétésindustrielles sont issues de laconfluence de trois rationalités, qui leplus souvent sont amalgamées enune seule, « la » rationalité. Nous lesabordons dans leur ordre d'appari-tion :

- L'échange marchand : des mercan-tilistes à Ricardo, les « écono-mistes » parviennent à démontrer,contre les Physiocrates, que l'échan-ge est indispensable pour augmenterla production. Montesquieu et lesLumières démontrent les effets paci-ficateurs du « doux commerce », qui,loin des vertus guerrières de lanoblesse et des superstitions reli-gieuses, permet aux humainsd'échanger, se rencontrer, avec unbénéfice mutuel, notamment pécu-nier. L'émergence de la bourgeoisiedoit autant à l'essoufflement del'Ancien Régime qu'aux avantageséconomiques proprement dits, cesderniers étant au départ bien peuperceptibles.

- La division du travail : là aussi leséconomistes jouent un rôle majeur.D'Adam Smith à Lester Thurow enpassant par Taylor, la conviction estque les rendements croissants nepeuvent être obtenus qu'en réduisantdes tâches complexes à des opéra-tions simples et mécanisables. Avecune unité d'énergie dix, cent puismille fois moins chère, les énergiesfossiles « travaillent » et produisent àun coût beaucoup plus faible que letravail humain, qui est alors peu àpeu réservé à la conception et laconduite des machines.

- La science expérimentale : la divi-sion du travail et l'échange marchandexige des progrès en matière decomptabilité, physique des matériauxetc. Les marchands ouvrent desécoles de mathématiques et delangues étrangères. La forme deconnaissance qui est mise en avantn'est plus une pure observation desfaits, tels que l'histoire ou la géogra-phie, mais une connaissance quioffre un pouvoir sur la matière. Lesmachines, la production, l'extraction

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de ressources etc. est ce qui motivece savoir. Les premières décou-vertes et innovations sont issuesd'artisans illettrés mais bien vite lesprogrès nécessitent le recours auxmathématiques et à une analyseconceptuelle plus fine – ainsi parexemple de l'émergence progressivede la notion de « travail » en physiqueet en économie, suite aux travaux deFourier, Cournot etc. la science faitaussi peu à peu l'objet d'une divisiondu travail, conditionnée par l'obten-tion de rendements croissants per-mettant tout simplement de payerles scientifiques. Le plus gros de laR&D (Recherche et Développement)contemporaine est encore envisagéde cette manière. Le fait que nousayons fait d'extraordinaires progrèsen physique ou en biologie, plus géné-ralement dans le domaine des outils,n'est donc guère surprenant. Lessciences humaines s'intéressentquant à elles à savoir comment disci-pliner les masses afin qu'elles com-prennent que ces nouvelles orienta-tions sont dans leur intérêt, ainsi quel'ont montré les travaux de MichelFoucault.

L'accroissement de la division du tra-vail et l'extension de la division du tra-vail engendrent un «marché du travail».Comme le montre J. Schumpeter,entre autres, les conditions dans les-quelles peuvent être réalisés desgains de productivité changent sanscesse et imposent de plus en plusd'enseignement et de changementsdans les métiers. La formationdevient continue. L'éclatement desréseaux locaux de solidarité (parois-se, famille, village) est une consé-quence de l'exode rural et de la mobi-lité croissante de la main-d'œuvre. Lebesoin de coordination, de normalisa-tion etc. à distance contribue àl'émergence des grands Etats, puisde l'Etat-providence. Le poids crois-sant d'instances centralisées admi-nistrant des territoires de plus enplus vastes s'atteste dans la part del'économie qui échappe au « libremarché ». L'Etat fédéral des Etats-Unis a ainsi été contraint d’agir dansla crise des subprimes comme ungouvernement « socialiste » parce

que son poids dans l'économie estlargement plus important qu'il nel'était en 1929.

Bien sûr cette évolution ne se fait passans heurts. Les révoltes ludditesdans les années 1810-1812 enAngleterre s'appuyaient sur diversesrevendications qui ont perduré large-ment au-delà de cet épisode même sil'histoire n'a retenu qu'une marchetriomphante vers « le progrès ». LesLuddites dénonçaient la mauvaisequalité des produits issus desmachines et le chômage qu'ellescréaient à court terme, puisqu'àmarché identique elles remplaçaientle travail de plusieurs dizaines voirecentaines d'ouvriers. La révolte luddi-te a été extrêmement populaire. Ontaussi été dénoncées les conditionsde travail, la dislocation des réseauxde solidarité existants, la disparitiondes savoirs et même les nuisancestels que le bruit ou les pollutions.Eugène Huzar, industriel qui publie en1855 un manuscrit intitulé « La findu monde par la science » formuledéjà ce que nous appellerons « leprincipe de précaution ». Il montretoute la spécificité de ce que nousappelons la «science expérimentale»,qui ne peut fournir ses preuves qu'aposteriori, quand l'expérience a ététentée. Imprégné d'une conceptioncyclique du temps, il voit dans l'évoca-tion de l'Eden le souvenir d'une civili-sation technologique très avancées'étant effondré il y a 6000 ansparce qu'ayant tenté l'expérience« de trop ». Tel est le sens, selon lui,de l'arbre de la science et du péchéd'Adam. La question des limites etdes effets sur le milieu n'a jamais dis-parue. Elle a simplement été minori-taire. Elle est devenue inaudible, jus-qu'à ressortir à partir des années70.

Chaque rationalité a généré sa dyna-mique utopique. Les marchands,méconnaissant les réalités technolo-giques, croient facilement que lacroissance peut continuer à l'infini, etque tout peut être régulé par le mar-ché. Cette croyance est une réalitéempirique qui est prise en comptedans certaines modélisations des

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cycles d'innovation. A contrario lesingénieurs pensent facilement quel'avancée des connaissances et de ladomestication de la matière n'a pasde limites, il suffit de s'y intéressersuffisamment pour pouvoir en tirerce qu'on veut. Ils ne tiennent pascompte des questions économiques,et dénoncent facilement la perver-sion de la « loi du profit » qui détour-ne les sociétés des inventions quileur paraissent être les plus favo-rables. La science estime que nousen savons plus que tout autre civilisa-tion.

Cela explique que, mise en face desenjeux écologiques, ces rationalitésréagissent en brandissant une« société du savoir » à venir, unetoute-puissance technique (géoingé-nierie etc.) ou un surcroît de libérali-sation. C'est ainsi que réagissent les« modes de vie », lorsqu'ils sont misen cause.

Comprendre cela c'est aussi com-prendre les objections les plus cou-rantes qui sont opposées aux APNE.Pour beaucoup, protéger la natureest au mieux un problème annexe,esthétique, dénué de lien avec larationalité économique. L'êtrehumain est perçu comme s'étantémancipé de la nature, ce n'est paspour y revenir. Les APNE sontd'abord vues comme passéistes,romantiques, irrationnelles, voireobscurantistes. Tout juste leurconcède-t-on quelques parcs naturelspour les loisirs et le droit d'intervenirpour réglementer les nuisanceslocales. Au-delà, elles menacent lelien social, rien de moins, et susci-tent donc des réactions plusempreintes d'émotion que de raison(ex : Sylvie Brunel, Luc Ferry etc.).

Inversement ce qui saute aux yeuxdes APNE est que ce qui est exclu,dans les modes de vie industriels,c'est le vivant – la faune et la flore,réduits à être pressurisés au maxi-mum pour les besoins de la sociétéde consommation. Descartes estsans doute celui qui a le mieux expri-mé ceci, en réduisant la nature à une« chose étendue », tout juste digne

d'être un instrument pour l'homme.S'en suit un anthropocentrisme for-cené qui dénie à la nature touteforme de subjectivité. Mais mettrel'accent sur ce sujet, parler de« réconcilier l'homme et la nature »comme le fait la plaquette de laFRAPNA, peut être choquant dupoint de vue des rationalités domi-nantes. Le message n'est pas forcé-ment compris comme il aurait voulul'être. Du point de vue marchand,réconcilier l'homme et la nature estabsurde, car on n'échange pas avecla nature. Du point de vue de la divi-sion du travail et de la technique,c'est vouloir nous faire revenir dans« l'état de nature » originel, avec despeaux de bête pour tout vêtement.Du point de vue scientifique, c'estadopter une attitude obscurantistepuisque c'est réintroduire la perspec-tive de l'animisme. Enfin du point devue de la gouvernance, c'est aussivouloir nous faire revenir à l'état denature, soit celui de « la guerre detous contre tous » (Hobbes) soit celuid'un jardin d'Eden qui ne peut êtreque fantasmé.

La question des modes de vie renvoiebien à la question de la nature, maisen un sens bien plus vaste que lasimple protection des êtres vivantsnon-humains. Ce qui manque, dansl’argumentation des APNE, c’est d’ex-pliquer comment la protection de lanature peut faire société ou, plusexactement, quel type de lien socialpeut permettre de faire société sanspour autant détruire la nature. Sansentrer dans ce problème, les APNEse condamnent à opposer« l’Homme » à « la nature ». Ce qu’ily a lieu de faire, ce n’est pas « récon-cilier l’homme et la nature » maisproposer des modes de vie, desmanières de faire société qui, entreautres vertus, sont durables, n’impli-quent pas la destruction des autresespèces etc. Sans proposition surles manières de faire société, la pro-tection de la nature ne sera pasentendue au-delà d’un intérêt secto-riel, elle ne sera pas porteuse d’unprojet alternatif qui seul serait à lahauteur du problème. Car mettre encause les rationalités dominantes,

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c’est du même coup affaiblir leurcapacité à « faire société », à paci-fier, à « civiliser » au sens étroit duterme – le civil opposé au militaire, lapaix à la guerre. Les êtres humainsse sont entendus pour pacifier leursrelations en déclarant la guerre à lanature ; c’est d’ailleurs explicitementce que disent un grand nombred’économistes. On voit mal commentles modes de vie pourraient changersans alternative à ce niveau-là. Etface à cela, les APNE ont souvent undiscours scientifique, naturaliste, quine permet pas aux gens de voir com-ment ils pourraient faire société diffé-remment. Nous nous retrouvonsdonc dans une situation sans issue,et nous avons tendance à détournerle regard ou à considérer que lamort de la nature est un mal néces-saire pour que l’humanité puissevivre. Ne pas répondre à ces argu-ments est se condamner à l’échec,ou à un succès partiel qui ne serapas suffisant pour faire la différence.Ce qui est naturel, pour la rationalitédominante, c’est la croissance etl’humanité imprimant sa marquetriomphale sur un monde qui sedonne à elle comme étant à redres-ser.

Que faire ?

Alors que faire ? Il y a peut-être unevoie possible, celle du « don de lanature ». L’anthropologue MarcelMauss a proposé une explication dulien social qui tient en trois obliga-tions : donner, recevoir et rendre.Nous avons l’obligation de donner ;quand on nous donne quelque chose,nous sommes dans l’obligation de lerecevoir ; et quand on nous a donnéquelque chose, alors nous devons lerendre. Cela vaut non seulementpour les biens et services mais aussipour la parenté, les contributionssymboliques (donner du savoir, enrecevoir etc.) et d’une manière géné-rale la plupart des relationshumaines.

La proposition qui est faite ici est lasuivante : ne peut-on réintroduire laquestion de la nature sous la formedu don ? Ce qui est donné, c’est la

nature comme un grand Tout, dontnous ne sommes pas les auteurs,mais aussi nos vies individuelles. Dupoint de vue de l’échange, celarevient à reconnaître les « externali-tés » ou épuisement des ressources,au motif qu’elles ne sont pas payéesà leur juste prix. Chaque consomma-tion et chaque production devraientéquilibrer ses comptes vis-à-vis de lanature. Du point de vue de la divisiondu travail et de l’évolution des tech-niques, la question posée est desavoir comment boucler les cycles dematière et d’énergie. Du point de vuedes sciences, c’est l’écologie et lasensibilité animale. Les contre-argu-ments existent déjà mais maintenantils sont un peu plus liés entre eux, cequi permet de ne pas se perdre dansdes argumentations techniques quiéloignent de l’enjeu.

Si l’on en reste là, l’alternative estbancale : il reste à savoir commentfaire société. En effet le nouveaupoint de vue a des conséquencessociales importantes. Equilibrer lescomptes avec la nature peut se tra-duire par une baisse du pouvoird’achat et renforcer ou atténuer lesinégalités existantes, selon les cas.Boucler les cycles de matière etd’énergie peut se faire de manièretechnocratique, en favorisant la cen-tralisation du pouvoir, ou au contraireen décentralisant. Que l’on soit favo-rable à telle ou telle évolution, le pointà souligner ici est que ce n’est qu’àpartir du moment où l’on aborde cesquestions proprement « sociales »que l’on peut sortir de l’oppositionhomme / nature.

La démonstration peut se faire d’uneautre manière, en étudiant lesmodes de vie des sociétés écolo-giques. Quelles que soient les socié-tés considérées, ce qui est frappantest que leur mode de vie n’est pasorienté par une quelconque « protec-tion de la nature ». Descola montrepar exemple que c’est la hantise de lapromiscuité qui conduit les Indiensd’Amazonie à se scinder en petitesunités au sein desquelles le pouvoirhumain n’est jamais en mesure des’agréger suffisamment pour mettre

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le milieu en danger. Marshall Sahlinsmontre de son côté que les sociétésqui produisent peu le font non pour« protéger le milieu » mais parcequ’elles considèrent que leursbesoins matériels sont assouvis.Aucune société « écologique » nes’est jamais structurée autour de la« protection de la nature ». Lessociétés écologiques sont des socié-tés qui reposent sur des manièresd’être-ensemble qui ont pour consé-quence, et non pour finalité principa-le, de maintenir intacts les servicesécologiques avec lesquels ellesvivent.

Un autre enjeu, pour sortir de lasituation actuelle, est de renouvelerla conception de la vie. La vie estappréhendée par les rationalitésdominantes comme un obstacle aubrevet ou un mécanisme dont ilconvient de percer le secret notam-ment pour vivre éternellement.Certaines administrations aux Etats-Unis tablent ainsi sur une augmenta-tion continue de l’espérance de vie aucours du 21ème siècle. Cette augmen-tation est la conséquence directe dela rationalité dominante. Remettre encause cette évolution c’est, dans leuresprit, vouloir arrêter le progrès.Pour elles, l’énergie c’est la vie et nonla mort. Tout militant a du faire faceà ce genre d’objections.

Répondre à ces arguments exigemanifestement que les APNE sortentdu champ qu’elles se sont choisi.Doivent-elles le faire ? Doivent-ellesdéléguer l’action à d’autres ? C’est àelles, en termes tactiques, de tran-cher la question. Ce qui ressort denotre analyse en tout cas est que lesprogrès seront limités, en matière deprotection de l’environnement, tantque des réponses n’auront pas étéapportées dans ces domaines – etdes réponses qui se traduisent enissues concrètes pour les gens, pasen réponses théoriques qui les lais-sent face à leurs problèmes réels.

Pire : à s’en tenir qu’à un secteur del’action humaine, en ignorant ce quiest à l’œuvre dans les autres, lesactions des APNE ont aussi contri-

bué à une tertiarisation des sociétésles plus industrialisées, qui se sontpeu à peu spécialisées dans « le ser-vice » et ont délocalisé les unités deproduction. Cela peut s'apparenter àun nimbysme à l'échelle planétaire.Des auteurs comme Sylvie Brunel,ancienne présidente de l’ONG Actioncontre la Faim, ne manquent pas dele souligner. Les chiffres sont clairs :la pression sur les écosystèmeseuropéens s'est relâchée, ou dumoins ralentie, alors que les importa-tions ont augmenté. Le succès limitéremporté dans la préservation desmilieux et la lutte contre les nui-sances n'a pas stoppé l'évolutiondominante des sociétés vers plusd'impact écologique, même s'il fau-drait bien sûr nuancer en examinantchaque indicateur (matière et éner-gie, toxiques, faune et flore).L’Europe devient un petit paradis vertqui a exporté ses pollutions en Chineet ailleurs. Est-ce cela qui étaitvoulu ?

La vie, c’est aussi la manière de fairesociété. L’aptitude des « nouveauxentrants » à proposer des modes devie susceptibles de faire société, deciviliser, ne se mesurera pas seule-ment à la quantité de savoir et d’ex-pertise qu’ils seront en mesure dedéployer. L’expertise ne permet pasde trancher entre deux choix tels que« posséder un 4x4 et ne jamais sechauffer » et « posséder un vélo et sechauffer à 25°C ». Ces deux atti-tudes peuvent être considéréescomme équivalentes d’un point devue des émissions de gaz à effet deserre. Elles ne le sont pas du toutd’un point de vue social et écono-mique. Les cas de ce genre sont larègle et non l’exception. Dès lors cequi permet de trancher est de déter-miner le désir de la majorité, cequ’aucune expertise n’est en mesurede produire. Au contraire, plus lesexperts se placeront en position dedécideurs, souvent au nom de l’ur-gence, plus le public les verracomme des lobbyistes qui ne se sou-cient que de leur intérêt particulier –ce qu’ils sont peut-être déjà devenus.Sans soutien populaire, il n’y auraque renforcement de la technocratie

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voire écofascisme, il n’y aura pasd’amélioration de la situation, quandbien même on aurait réussi à grap-piller ici et là quelques kilos de CO2.C’est d’ailleurs un peu la situation dudroit de l’environnement aujourd’hui :technique, mal compris, dénué desoutien populaire, il traduit probable-ment un recours excessif au droit enlieu et place du politique. Et c’est bienle rôle des associations que de nour-rir le débat politique – le nourrir, etnon remplacer les partis politiques.

En pratique et en conclusion

L'environnement et les nuisances nepeuvent plus être considérés commeune action sectorielle. Dans lesannées 70, l'action des APNE pouvaitêtre considérée comme un aspectétroit de l'intérêt général, toutcomme l’action des associations deparents d'élèves. Les APNE pou-vaient alors être conçues commeune délégation de service public.

Mais la question du climat et celle dupétrole ont mis sur la table un toutautre débat : celui d'un changementde modes de vie, autrement dit unchangement politique et culturelmajeur. Dès lors les solutions ne relè-vent pas uniquement de la « protec-tion de la nature », même si « lanature » joue bien un rôle extrême-ment important dans cette réorgani-sation.

Inclure la nature dans les relationshumaines, ou plutôt modifier la rela-tion que nous avons à la nature, setraduit par des remises en cause quele public perçoit, dès lors que lesenjeux lui sont expliqués. Ce qu’il necomprend pas, par contre, c’estl’écart entre un discours qui remeten cause « les modes de vie », etdonc notre manière de faire société,et les préconisations et alternativesissues des APNE, qui sont une suitede mesures techniques (réduire laconsommation d’énergie, limiter leCO2 etc.) sans lien les unes avec lesautres.

Nous ne pouvons évidemment pasdécrire ce que serait le mode de vie

alternatif, car ce travail relève de l’in-vention politique et de ce fait nul intel-lectuel ne peut le sortir de son cha-peau. Mais par contre le public doitrecevoir des réponses aux questionsqu’il pose, en particulier :

- Remettre en cause l’échange mar-chand aboutit à mettre fin au capita-lisme, une fin qui ne sera pas nonplus le capitalisme d’Etat – sauf à direque le capitalisme peut être aména-gé à la marge. Du coup la prioritédes APNE est peut-être la publicité,la fabrication de l’innovation, et passeulement la sensibilisation à la qua-lité des milieux « naturels ». Celaimplique notamment d’expliquer cequi se produira à la suite de ladécroissance économique qui enrésultera.

- La division du travail devra être qua-litativement réorientée, ce qui inclutnotamment de mettre fin à la foi pro-méthéenne. Là aussi, la priorité desAPNE est peut-être plus dans un tra-vail de désacralisation des pro-messes technoscientistes, en parti-culier dans ce que ces promessesont d’irrationnel. Il est facile de mon-trer, en effet, que les thèses sur l’im-mortalité ne tiennent pas la route.Pour autant, s’il faut répondre techni-quement, il faut aussi répondre philo-sophiquement : si nous ne pourronsfinalement pas être immortels, alorsquel est le sens de la mort ? Si nousdevons arrêter l’évolution technolo-gique et ses progrès, que gagnerons-nous ? C’est à ce niveau-là, qui peutparaître naïf, que les questions doi-vent être abordées car ce sont cesréponses-là qui parleront au public.Et sans élargissement de la base,sans mouvement de masse, encoreune fois, il n’y aura tout simplementpas de mouvement. Même les catas-trophes n’y changeront rien, car lescatastrophes sont toujours interpré-tées. Les discours scientifiques surl’état des écosystèmes n’y change-ront rien tant que ces connaissancesn’auront pas été transformées pourpouvoir être intégrées dans les pra-tiques et les savoirs locaux. Il est parexemple plus facile de dénoncer les4x4 que de s’en prendre au « CO2 »,

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entité abstraite que seules les per-sonnes à haut niveau d’étude saventsaisir.

Eviter ces débats contribue à décré-dibiliser le discours des APNE. Lepublic, ne sachant pas très bien ouse situer, juge que les mesures pro-posées ne sont pas en rapport avecles menaces et en conclut que lesmenaces sont trop incertaines pourqu’il soit utile de bouger. Ou alors lesmesures proposées incluent de factoleur mise à l’écart et, bien queconscients des enjeux, ils cherchentdes réponses ailleurs. Il est certainpar ailleurs qu’un travail de deuil estnécessaire. La perte du mode de vieactuel, le « changement de paradig-me » tant évoqué, ne sera consentique s’il existe une porte de sortie.Beaucoup de gens préféreront enco-re un certain temps garder espoirdans les modes de vie dominants.

Ces débats sont d’autant plus impor-tants que les APNE ne sont pasexemptes non plus d’incohérences.Le fait de mener une lutte qui a long-temps été sectorielle, n’influençantpas le cœur du vivre-ensemble – lesmodes de vie - mais l’aménageant àla marge, a pu conduire à éviter deposer la question des conséquencesconcrètes des mesures défendues.L’agriculture biologique est ainsiposée en modèle, mais qui a vrai-ment pensé aux conséquencesconcrètes de sa généralisation ? Lesexemples sont nombreux. Or le publicse pose ces questions-là, car lui n’apas une vision sectorielle des enjeux.Il cherche au contraire à faire lesliens, à se faire une opinion, à peserles différentes possibilités et savoirse repérer dans des savoirs concur-rentiels et contradictoires.

Mais l’optimisme peut être de mise,car les explications dominantes sontde plus en plus démenties par lesfaits. Aux APNE de se saisir de cetteopportunité, sinon d’autres le feront,notamment Véolia, et pas forcémentdans le sens voulu par les APNE.

Témoignage d’Elodie Laupin

Le progrès est issu de rupturesimportantes qui ont transformé lesvaleurs de l’économie et du travail.Ces ruptures ont débuté au XVIIIème

avec les thèses libérales d’AdamSmith, économiste anglais.Considéré comme le fondateur del’économie libérale, c’est effective-ment lui qui a posé les bases de ladivision du travail dans son célèbrelivre « Recherche sur la nature et lescauses de la richesse des nations »(1776). Il y expose, en prenantl’exemple d’une tête d’épingle, quel’efficacité et donc la productivité destravailleurs pourraient être considé-rablement augmentées si chaqueouvrier devenait spécialiste d’uneétape de production particulière àlaquelle il se consacrerait. Ainsi, cha-cun deviendrait plus performant dufait d’un procédé simplifié qu’il maîtri-serait totalement. Cette vision étaitbasée pour Smith sur l’échange, quidevait permettre que chacun exécuteune tâche spécifique tout en sachantque d’autres pourront satisfaire leursautres besoins nécessaires. PourSmith, la division du travail était doncnécessaire pour permettre la riches-se des nations, mais il y voyait égale-ment quelques dangers du fait deseffets désastreux que pourrait avoirune spécialisation excessive sur l’in-tellect des ouvriers, abrutis par destâches toujours plus simplifiées.Selon lui, c’était à l’Etat de parer àces difficultés en mettant en placedes systèmes éducatifs appropriés,justifiant ainsi la nécessaire interven-tion de l’Etat dans un système d’éco-nomie libérale.

La deuxième rupture à l’origine de lanotion de progrès provient desthèses néoclassiques de Ricardo, quia repris les thèses libérales de Smithen y ajoutant la notion de marché : ila ainsi étendu la théorie de la divisiondu travail à l’intérieur d’une entrepri-se à l’échelle des pays. Ainsi, selonlui, les pays avaient intérêt à seconsacrer aux productions pour les-quelles ils étaient les meilleurs, ayantdans ce cas avantage à échangerces produits contre d’autres dont laproduction aurait été moins efficace.

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Discussions Les thèses de ces économistes clas-siques puis néoclassiques ont entraî-né la généralisation de l’économielibérale, qui a elle-même généré unemécanisation toujours plus importan-te. La standardisation qui en a résul-té a touché non seulement les pro-duits manufacturés, mais aussi agri-coles. On a également vu se dévelop-per une standardisation du langage,de la communication, et aussi de laculture dans une certaine mesure.

Autrefois, le monde occidental étaitdominé par les guerres de religion,et l’idée de certains penseurs,comme Montesquieu, était de paci-fier les populations à travers l’échan-ge économique et le commerce. On adonc vu se développer de plus enplus de spécialistes, entraînant lamise en place de plus en plus desavoirs, et éloignant ainsi les popula-tions de l’ignorance dans laquelleelles étaient lorsque seule la religionleur procurait une certaine connais-sance sur le monde. La pacification,de ce point de vue, était donc réus-sie. Seulement, quel a été le coût detout cela ? Le premier point, et leplus important peut-être, a été unenégation complète du coût de lanature : les populations se sontmises à se servir, sans rendre lecoût de leur collecte. Marcel Mauss,célèbre anthropologue, a illustrécette rupture en montrant, dans sathéorie sur le don et le contre don,comment les sociétés se basaientautrefois sur l’échange. Mais l’échan-ge, dans cette définition, c’était à lafois le fait de savoir offrir, de savoirrecevoir puis de savoir rendre. Cen’est qu’en respectant cette règletacite que les sociétés peuvent per-mettre l’équilibre non seulement ausein de la communauté, mais égale-ment au sein de l’écosystème.Aujourd’hui, en se servant sansprendre la peine de rendre, les socié-tés participent non plus à un échan-ge, mais à une économie qui devientcontre-productive : il y a un épuise-ment des ressources, une accumula-tion de déchets, etc. L’hommemoderne, dans cette vision, n’échan-ge qu’avec ses semblables, et lanature compte désormais pour rien.On le voit dans les thèses libérales :

ce qui compte, c’est l’accumulationde richesses, l’équilibre et l’harmonien’étant jamais cités dans les théorieséconomistes.

Toute la modernité est fondée sur lefait que seul l’homme est doué de rai-son. Si, au contraire, on attribue unesprit à la nature, cela devient del’animisme. Ces logiques sont lesbases sur lesquelles s’est appuyée lathéorie du « tout développement ».La spiritualité a pris dans cetteoptique une forme réputée séculari-sée : le but de l’homme est deremettre en ordre la nature, enfixant lui-même les lois les plus adap-tées au développement et à la riches-se de son espèce.

Lorsque l’on parle de protection de lanature aujourd’hui, il faut donc néces-sairement prendre en compte toutesces transformations historiques, quiseules peuvent éclairer les change-ments culturels qui ont eu lieu et quiont éloigné l’homme de la nature.Philippe Descola est un anthropo-logue qui a beaucoup travaillé sur cesquestions des rapports entre l’hom-me et la nature. Il a montré, dansson livre « Par delà nature et cultu-re » (2005), que les hommes pou-vaient concevoir leurs rapports auxautres espèces selon 4 schémas depensée différents, basés sur lamanière d’appréhender l’intériorité etla physicalité.

Il identifie ainsi le totémisme, qui sou-ligne la continuité matérielle et mora-le entre humains et non-humains,l’analogisme, qui postule entre leséléments du monde un réseau de dis-continuités structuré par des rela-tions de correspondances, l’animis-me, qui prête aux non-humains l’inté-riorité des humains mais les différen-cie par le corps, et le naturalisme,qui nous rattache au contraire auxnon-humains par les continuitésmatérielles et nous en sépare parl’aptitude culturelle. Les sociétés quiont construit leurs croyances sur lascience font évidemment partie de ladernière catégorie, attribuant lesmêmes caractères physiques à l’en-semble des « existants », comme ledémontrent la physique et la biologie,

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mais l’homme s’y distingue de par sacapacité culturelle. Aujourd’hui, ils’agit donc, non pas de devenir ani-mistes, ce qui serait d’ailleurs impos-sible selon nos schèmes culturels,mais de développer une certainecapacité de discernement dans nosrapports à la nature, de faireadmettre la nature vivante commeun tiers à nos échanges et revenirainsi à la règle du don et du contredon.

Il s’agit donc de désacraliser lesmachines et de rompre avec la hautetechnologie : ce n’est que lorsque latechnique ne fera plus rêver leshommes que la nature pourra le faireà sa place. Seulement, ces questionssont difficiles parce que la protectionde l’environnement concerne lemonde entier, or, il faut avoirconscience que l’ensemble de l’huma-nité n’est pas à égalité en terme deniveau de vie, et que par conséquentcertains ne sont pas prêts, et ce toutà fait légitimement, à sacrifier l’accèsà la richesse pour des questions envi-ronnementales. Il faut donc avoirconscience de ces inégalités afind’essayer de faire comprendre que ledéveloppement de nouveaux rapportsà la nature amènerait nécessaire-ment à plus d’égalité entre leshommes. Aujourd’hui, l’environne-ment reste une thématique peupopulaire, et qui provient des milieuxurbains. Il faut donc arriver à propa-ger cette question afin de permettreune connaissance qui soit partagéeet co-construite.

Regard d’une personne extérieureau monde des associations de laprotection de la nature

Les débats autour des rapportsentre nature et culture sont profon-dément intéressants, dans la mesu-re où ils sont, il me semble, au cœurdes problématiques environnemen-tales. Si nos sociétés sont devenuessi destructrices de la nature, c’estbien parce qu’elles se sont éloignéesd’un système de croyances qui consi-dérait l’environnement autrementque selon ses seules ressources. Ilne s’agit pas ici d’idéaliser la vie despeuples premiers ou de vouloir faire

un retour en arrière pour revenir auxmodes de vie d’autrefois, puisque dessiècles d’histoire humaine nous ontdémontré que les sociétés ne pou-vaient se situer que sur un plan évo-lutif : les échanges culturels, le baga-ge historique, l’expérience des géné-rations passées, le travail de lamémoire font que les hommes d’au-jourd’hui ne peuvent annihiler leseffets des actions de ceux d’hier.Mais ne pas revenir en arrière nesignifie pas pour autant renier ce quenos ancêtres ont à nous trans-mettre. L’évolution n’est effective-ment pas nécessairement synonymede progrès et je l’entends bien pluscomme une continuation historique.Seulement, aujourd’hui, des rupturesimportantes ont été mises en place,et ces ruptures touchent de nom-breux domaines.

Les hommes s’appuient désormaissur les résultats scientifiques pourexpliquer le monde qui les entoure etpour donner du sens à leur vie. Larupture réside alors dans un certain« désenchantement du monde » pourreprendre les mots de Weber, car lascience a désormais remplacé lesexplications qui étaient autrefoisapportées par les systèmes decroyance propres à chaque popula-tion. Mais, au-delà d’un raisonne-ment sur le monde, cela a égalementprofondément bouleversé les com-portements individuels mêmes, carla nature était désormais perçue noncomme un tout harmonieux, maiscomme une somme de composantesdont chacune pouvait trouver uneexplication de par sa descriptionscientifique. Le comportement del’homme envers la nature a donc étéremplacé par un rapport envers deséléments particuliers de l’environne-ment, qui, démystifiés, n’étaientdésormais évalués que pour ce qu’ilspouvaient apporter aux sociétés.

Ainsi, toute notion de don et decontre don n’a désormais plus aucunsens dans la mesure où la nature estperçue comme une entité physiquetotalement dépourvue des qualitésinhérentes à l’homme, telles quel’âme, l’esprit ou la vie. Aujourd’hui,les sociétés se rendent compte de

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certains abus qui ont été effectuéssur l’environnement, mais, encoreune fois, cette prise de consciences’est faite sur des bases scienti-fiques, avec un nombre important depreuves statistiques expliquant lesdangers encourus par la biodiversité,le changement climatique, la pollu-tion du sol, de l’air, etc. Ainsi, l’identi-fication des problèmes, tout commeles solutions imaginées pour y mettreun terme, sont précisément localiséset ne sauraient donc remettre encause de manière générale les rap-ports destructeurs de l’homme sur lanature. Dans ce sens, le battagemédiatique actuel quant à l’environ-nement ou au développementdurable dissimule les véritablescauses concernant l’enjeu environne-mental, et il risque en cela de n’avoirpour seul résultat que l’apport depansements appliqués aux affrontsles plus visibles faits à la nature,sans remettre en cause le comporte-ment global de l’homme envers elle.Tant que cette dernière sera compri-se dans ses seuls aspects physiqueet biologique, les notions de respectet d’échange qui devraient être aucœur des relations homme-nature nepourront être réellement assimiléespar les sociétés humaines. Toutesces explications scientifiques ainsique ces solutions politiques entraî-nent une certaine déresponsabilisa-tion de l’individu, qui ne remet encause son comportement qu’enadaptant certains de ses gestespour les rendre plus « écologiques ».

Or, l’écologie, ce n’est pas seulementapporter des pansements à cer-taines composantes de la nature :c’est au contraire adopter un com-portement global qui se base sur lerespect mutuel entre l’individu et sonenvironnement, et restaurer une cer-taine harmonie et un équilibre qui nepourront se faire que par le don et lecontre don. Il n’est pas pour celanécessaire, d’autant plus que celaserait impossible, de recréer desliens qui seraient basés sur la spiri-tualité et la croyance, comme celal’était pour les sociétés qui tiraientleurs savoirs d’autres considérationsque les explications scientifiques.Mais, si ces croyances ne peuvent

plus s’appliquer au monde d’aujour-d’hui, cela n’interdit pas pour autantune certaine relecture de ces tradi-tions, car elles ont bien des choses ànous enseigner. Mon propos n’estpas d’affirmer que certaines culturesseraient meilleures que d’autres : ils’agit juste de savoir puiser dans lestraditions pour ne pas les oubliertotalement. Si aujourd’hui lescroyances et les religions sont remi-sées à des temps obscurs où lascience n’avait pas encore fait sonapparition, elles sont pourtant por-teuses de certaines notions qu’ilserait important de réactualiser.

Les associations de la protection dela nature cherchent aujourd’hui leurplace parmi les institutions qui,publiques ou privées, reprennent cer-tains discours qu’elles ont été pen-dant longtemps les seules à tenir.Pourtant, elles seules peuvent sefaire les vecteurs d’un véritable com-portement écologique, car ellesseules peuvent se détacher de préoc-cupations économiques ou politiques.Arriver à un comportement écolo-gique, c’est non seulement changerses habitudes mais aussi sa manièrede voir et de penser le monde ; pro-téger véritablement la nature, celasignifie modifier considérablementnotre mode de vie, car c’est changernos manières de travailler, de man-ger, d’habiter, de se vêtir, de se mou-voir, de s’amuser, etc. Et cela ne peutpas se faire uniquement suite à despressions environnementales dontnous parlent sans cesse et de plusen plus les médias. C’est certesimportant d’aborder ces sujets, et demontrer les enjeux auxquels ils sontrattachés, mais cela ne saurait suffi-re dans la mesure où chaque individudoit prendre conscience de ces pro-blèmes de lui-même pour que ça nereste pas un enjeu qui ne le concer-ne que vaguement. Il ne peut y avoirde changement profond dans leshabitudes d’un individu sans qu’il y aitde changement de perception de lanature, et, au final, seul un change-ment culturel initié par les individuset effectué de manière collectivepourra engendrer de nouvellesmanières de percevoir notre relationà la nature.

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IntervenantAndré Larivière

« le militantisme viscéral »

Nous connaissons André grâce auréseau Sortir du Nuclé-aire, danslequel il a été un salarié« engagé » ; il avait répon-du à notre appel lors despremières rencontresNature Cultu-re en 2005en proposant d’animerune discussion et un ate-lier et nous avions étéenchantés de notre ren-contre avec le bonhom-me.

Nous l’avons donc invité àvenir partager à nouveauces rencontres avec nouset à présenter aux mem-bres salariés ou béné-voles des FRAPNA, sa vision du mili-tantisme et de l’action non-violente.

Témoignagede Sandra Compère

En présentant simplement son vécude militant, au fil d’un diaporama,André explique son implication dansle monde associatif et l’implication deses pairs, ceux qui ont choisi d’agir,de manifester, de marcher, de jeûner,pour dénoncer les grandes aberra-tions de nos sociétés contempo-raines occidentales et demander unesociété basée sur l’humain, non surle profit.

Sans coup d’état, mais dans ladurée, comme la vague qui inlassa-blement érode, la protestation non-violente permet d’exprimer une opi-nion, de se faire entendre et d’agir,parce que ne rien faire c’est êtrecomplice, voire coupable.

Il explique que tout celan’est pas non plus sansrisque pour ceux qui élè-vent leur voix, utilisentleurs corps pour s’oppo-ser au passage deconvois d’uranium, jeû-nent en guise de protes-tation, mais que c’est detoute façon vital et quechacun est conscient dece qu’il encoure, maissurtout libre et en accordavec ses convictions.

A travers ces exemples,ces photos lourdes de symbole, cescortèges colorés de manifestants,ces blocages, salariés ou bénévolesassociatifs, nous voilà à bord d’unmême équipage et envieux de jouernous aussi notre rôle dans le change-ment des consciences.

Sa participation aux discussions aapporté une note sensible, au-delàde l’argumentation, ses mots ont euune sorte de résonance viscéraletoute particulière, qui s’accorde à lafois sur des notes d’espoir et sur desnotes de révolte contre ce qui nousopprime. Le ressenti ayant une placeprépondérante dans ces rencontres,ce témoignage a clos la matinéed’une belle façon. Pendant le repas,les discussions sont allées bon trainet, en début d’après-midi, certainsont pu participer à l’atelier sur lesjeux coopératifs et retrouver en pra-tique certaines idées évoquées pen-dant cette discussion (cf. rubriqueateliers).

Rappelons qu’André Larivière estaussi l’auteur de plusieurs textes mili-tants dont « Carnets d'un militant »,aux éditions Éco-Société (1997)

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IntervenantJacques Deplace

Jacques Deplace seprésente comme étantun « paysan chercheurinvesti dans les pos-sibles du monde »autant dire un philo-sophe auquel nousavons demandé de par-ticiper aux discussionset ateliers pour ensuiteproposer une synthèsedes moments et lesréflexions « clés » de lajournée.

Sous le signe du tiers

La journée Frapna m’a semblé frap-pée du signe du tiers.

… le tiers c’est ce qui régule le binai-re, ce qui lui trouve une issue quin’est pas un juste milieu, trop linéai-re pour être pertinent, mais unedynamique pour une unité nouvelle,instable, un métissage qui ne seraitpas simple hybridation…

Un président subtilement multi-lingue introduit (intro-ducere)

Il ne s’agit pas d’abord de trouver desréponses, mais de formuler desquestions tout en les questionnantafin de bâtir une problématique perti-nente.

A quoi sert donc notre association ?

La « dissatisfaction » constatée chezde nombreuses personnes, sur lemanque toujours à combler dans laconsommation effrénée, ne provoquepas obligatoirement des comporte-ments rationnels (voir plus loin). Celasupposerait de ne plus accorder destatut social à la consommation, d’in-venter de nouvelles valeurs en met-tant la qualité de vie au cœur duchangement en développant lesvaleurs internes plutôt qu’externes.

Nos associations peuvent-elles réali-ser cela ?

Elles ont construit des partenariats(avec leurs traductions financières)avec les élus mais cela leur limite

(supprime?) leur capaci-té critique.

Elles concilient difficile-ment la poursuite d’objec-tifs de fond et leurs mis-sions locales (localistes ?)

Elles sont bâties sur troispiliers trop distincts,presque séparés : admi-nistrateurs, salariés,adhérents… et ces der-niers (le tiers état ?) sem-blent même absents. Cetiers est bien faible, trop

faible pour alimenter la dynamiquenécessaire à l’organisme… voici iciun tiers possible à explorer.

Trouve-t-on des réponses dansl’histoire des associations de pro-tection de la nature ?

Le sociologue tente de développerune perspective qui ne soit pas (trop)rétro/intro/prospective.

Savoir d’où l’on vient : des sociétéssavantes et des visions urbaines àune professionnalisation et une nota-bilisation, un écart de 30 ans (etplus, certes) qui est lisible aussi dansl’écart, le saut (“gap” en patois anglo-saxon) de générations… d’ailleursbien visible dans l’assemblée.

Trois coupures.

Ville - campagne (qui pourrait trouversa place dans un filtre nature-cultureaux mailles complexes) / pionniersfondateurs bénévoles – salariés“nature” nouvellement formés /sexagénaires (de la militance aucœur des Trente Glorieuses) et tren-tenaires (installés dans une nouvelleprofession ou dans les institutions).

Entre hier et aujourd’hui, deuxsiècles : de la question sociale enRévolution industrielle à la questionvitale en Révolution écologique / duvocabulaire socio-économique au lan-gage biophysique / de la répartitiondes bienfaits du progrès à l’équilibrenécessaire des milieux.

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Trois formes d’actions enchevêtrées.

« Enchevêtrées », voilà un mot quiflaire bon le complexe, le « tisséensemble » plutôt que le linéairemême quand il est compliqué (pliéavec, plié dans… et que l’on peutdéplier, ex-pliquer).

Nous voilà avec un triangle central,constitutif même des humains quenous sommes :

Très sensibles, rationnels, sociaux.

Pétris par l’esthétique, le cognitif, lejuridico-politique.

Partagés entre les figures rhéto-riques (et les figures pour séduire…et séduire n’est-ce pas sed-ducere :emmener à l’écart) / les concepts(et les livrets explicatifs des écosys-tèmes) / les règlements (de tousniveaux et institutions : régionales,nationales, européennes, internatio-nales).

Entre la protection de la nature et letravail pour le changement de… untiers possible ?

Explorations

Nous n’avons plus le monopole de lanature, nous avons des concurrentssur le terrain, par nous exploré etdéfriché ! Certes, mais la luciditénécessite peut-être humilité et laconcourance n’est-elle pas l’une desfigures complémentaires de laconcurrence dans l’équilibre et ladynamique des éco-socio-systèmes?

L’éducation à l’environnement s’estinstallée, elle doit veiller à assurerl’équilibre du triangle : cœur-cerveau-main… ne pourrait-on pas y voir lelien (tendu, distendu) entre l’intelli-gence du cœur et celle de l’esprit,associées dans l’intelligence dufaire ?… de ce faire qui transforme lemonde qui nous transforme…

Mais ce corps qui porte le faire,n’est-il pas le faire lui-même, le lieude l’unité toujours à construire quandil s’engage au cœur du monde? Voilàle militant viscéral qui propose cetinvestissement total, qui œuvre à

rétablir l’unité de l’être, de l’être avecle monde dont il n’est pas séparé…écologie de la pensée et de l’action…

L’action, ici, est tout à la fois patien-ce – urgence – mesure… (encore letrois !) : patience quand elle se metau tempo commun possible dumonde / urgence parce qu’elle saitque le temps est compté et qu’il peutpourtant être créé / mesure car ilfaut apprécier le risque que l’oncourt, l’apprécier dans l’économie(écologie) de l’action pour le moindrecoût possible d’obtention d’un effettoujours incertain. À l’opposé, ou plu-tôt à l’ignorance de la figure duhéros, l’action mêle la fluidité du liqui-de, l’ancrage dans la matière, le feude l’exigence de valeurs : c’est la riviè-re de pleine terre qui, de ses tour-billons – figure du stable et de l’in-stable – provoque à renouveler la vie.

C’est ainsi qu’« il respectait tout ettout lui était favorable ».

De l’extinction… des espèces… etdes feux de la raison rationalisante…Avec le scientifique qui en refusemême le qualificatif, nous voilà aucœur des généalogies et des lec-tures de notre histoire, contestantune linéarité qui ignore les bifurca-tions, les erreurs… et même la gran-de décimation dont nous sommes –par hasard ? – issus…

Cette histoire laisserait croire à unhomme animal rationnel, maîtrisantle faire par la conscience préalable etla commande afférente… mais l’ima-gerie scientifique même nous indiqueque le geste semble précéder lavolonté de le faire comme si le cer-veau antidatait l’action pour en gar-der la commande… illusion de laconscience filtre qui sépare l’affect,la sensibilité de la rationalité…

Mais serions-nous simplement desêtres écartelés entre la raison et l’af-fect, refusant de voir en cette dimen-sion les ressorts de nos comporte-ments ? Comment sortir de ce binai-re – si tant est que déjà nous lereconnaissions… où est donc le tierslibérateur ?

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Pourrait-on simplement s’adresserrationnellement à notre sensibilité aurisque de la simple juxtaposition ?

L’expression artistique nous ouvrequelques pistes :

… elle peut être celle qui sait jouerde la feuille ou de la tige de sureau,celle qui pervertit – magnifique per-version – en fleurs et corolles lesemballages du minéral figé par l’in-dustrie humaine… qui éduque (e-ducere) au recyclage des déchets etpeut éduquer à la sobriété du jeuavec des objets de la production-consommation effrénée…

… elle peut être celle du Théâtre desOpprimés impliquant (pliant dans) lesspectateurs dans l’action même,dans une improvisation qui redonnedu contenu au lien social, à l’interac-tion (tiers indispensable de laconstruction des personnes). Parolemétissée (clin d’œil brésilien) de rai-son et de passion, parole qui dépas-se – heureusement ici – la pensée,parole qui la précède même… etnous revoilà dans une imagerie quin’est plus celle des appareils de l’ima-gerie scientifique…

… elle peut être celle des « jeuxcoopératifs » où le corps peut s’initierà l’échange dans un espace oùl’autre est indispensable à l’expres-sion de soi – en même temps qu’ilpeut être contrainte par habitudesociale d’une pudeur trop réglée.

Peut-on réfléchir à notre propre cul-ture (occidentale scientiste ?) de sonintérieur même pour en produire uneautre, sur un autre paradigme.Paradigme : le mot est lâché de ceformat de pensée, ce « pattern », cegénérique de notre vision du mondequi – comme nous le repérons par-fois – n’est pas comme nous levoyons. Travail indispensable sur lesreprésentations… mais que voyaitdonc en pleine contemporanéiténéerlandaise du XVIIème siècle ce triostimulant : Baruch Spinoza, polisseurde verre, philosophe du désir d’êtreet de la liberté, Anton VanLeuwenhoek multipliant la distinctionen ses microscopes et ses liensd’amitié avec Johan Vermeer explo-

rant les couleurs du monde sur leport de Delft ou la perle à l’oreilled’une jeune fille… ne pourrait-on pasy voir l’enchevêtrement du cognitif,du sensible et du juridico-politique ?

A quoi peut servir la conscience, laprescience du risque croissant de la6ème extinction des espèces si ellene produit pas de changement pourl’action ? Sommes-nous séduits parla catastrophe à venir que nous par-ticipons à provoquer ? Depuis la maî-trise de la taille de pierre et de l’agri-culture – fameux néolithique – nouspouvons regarder la courbe d’évolu-tion temporelle (énergie, produc-tions…) dont la croissance s’affoledepuis deux siècles, poussée par unescience qui se fait technique, tech-noscience… une courbe à l’infini dansun monde fini… boucle de rétroaction“positive” productrice de violence pardéstructuration des sociétés, paratomisation des individus et leur ten-tative désespérée de défense d’unsoi perdu…

« Le monde doit changer de base »…« la science – les sciences ? - doitchanger de base ». Nous devonschanger de paradigme, quitter notrevieille peau, nécessaire mue. Nous,qui est-ce ? Nous sentons bien quece « nous » est très européocentris-te, occidentalisé mais il a embarquédéjà l’humanité depuis longtemps etnotamment depuis que les Indiens,qui n’en étaient pas, ont découvertun certain Christophe Colomb… clind’œil à Claude Lévi-Strauss, centenai-re visionnaire d’un XXème siècle, per-cevant le lien complexe, l’enchevêtre-ment, entre la biodiversité naturelleet culturelle, distinguant les deuxsans les séparer, justement (voirintervention “Race et culture”, col-loque Unesco, 22 mars 1971)…

… et comment ne pas tenter de revi-siter nos histoires quand on lesraconte sous la forme de… contes !N’avons-nous rien à dire de noslégendes (légende : ce qui permet delire les cartes, pas seulement cellesde la géographie) notre culture sirationnelle, scientifique n’aurait-ellerien à dire quand celle desNambikwara raconte (racontait ?) le

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monde, humanité en son tempo… leconte comme polyphonie, commelien, espace et temps, comme recon-naissance d’un patrimoine com-mun… le conte comme l’alchimie…l’alter-chimie des affinités électivesen humanité, l’une des espèces del’écosystème terrien…

En conclusion, une bribe de messaged’un paysan berbère de passage…

… nous avons été précurseurs…oublions-le, cette mémoire est lourded’orgueil et d’aveuglement… elle estaussi lourde que la malle « biodiversi-té » que nous arrivons bien difficile-ment à épurer, (clin d’œil à Guillaumed’Occam et son fameux « rasoir »visant à l’économie des conceptssans nier leur complexité… que lecinéma (7ème art) nous a offertdans un monastère du « nom de larose »…). Nous devons inventer, in-venire, faire venir, faire advenir ce qui

n’est pas “déja-là” !… inventer cet“être au monde” dans ses possibles(clin d’œil à Gottfried Wilhem Leibniz :« chaque sujet exprime obscurémentet confusément la totalité dumonde ») prendre quelques risquesdans l’incertitude, notre culture éco-logique devrait nous y avoir habi-tués… la douce institutionnalisationdonne les finances de l’action et lesomnifère de la conscience,conscience facilement réductible àun « environnement » offert aux mar-chands… il n’y a pas de « juste »milieu mais des « milieux » d’unœcoumène fragile à « mesnager »(clin d’œil à Augustin Berque)

… mais ce n’est que le tiers de laréponse !

Au plaisir d’avoir vécu ce temps com-mun en chemins d’exploration…

Jacques Deplace

Le château des Célestins.

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Discussions informelles

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« Approche artistique de l’arbre »Laure Martinez

Expérience :

- Dépasser « l'idée » qu'on a d'unarbre, qui en limite la représenta-tion et les possibilités de ressenti.

- Explorer des impressions, à partird'un support photographique.

- Choisir une façon d’agencer descouleurs, collages, où l’on retrouveles mêmes perceptions.

Atelier proposé :

Choisir une photographie qui éveilleune impression plus vive, une émo-tion, un sentiment : curiosité, admira-tion, étonnement.

Une photographie qui touche.

Diverses possibilités pour expri-mer ces sensations :

- par collages : représentation de lamasse de l’arbre. Ou à l’inverse,représentation des masses, cou-leurs environnantes, et l’arbreapparaît en creux.

- avec de l’acrylique, de l’aquarelle,ou des crayons de couleurs : sentiret représenter chaque zoned’ombre comme une ambiance, unegéographie à part entière. Au final,la représentation de l’arbre appa-raît. Sans l’avoir dessinée audépart. Vivante car vécue.

- à l’encre de chine, expérimenter, demultiples traits qui circulent, s’en-trecroisent, formant la masse del’arbre représentée par l’intérieur.

Chaque arbre, par sa présence, sonallure, sa façon d'être dans un lieu,une saison, éveille diverses sensa-tions, sentiments. Au cours de l'ate-lier « Approche artistique de l'arbre »chaque participant a choisi la photo-graphie d'un arbre qui le touchaitparticulièrement. Ces impressions

ont été traduites par des collages oudes peintures. Couleurs et mouve-ments ont ainsi donné forme à cesressentis, nourris par le plaisirpropre à chaque participant d'êtreavec des arbres.

Voici en partage les empreintesd'émotions vécues :

Témoignages

« Hêtre ou ne pas Hêtre… » aquarelle d'Adrien,

pour qui chaque arbre est : « Un ami qui vous veut du bien ».

« Une conscience d'arbre posée sur moi » - gouache d'Isabelle.

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Rencontre avec un « Pêcheur d’oiseaux »

Nous avons demandé à JérômeDouplat, un artiste résidant enLozère, d’apporter sa contribution àces rencontres sous la forme d’unatelier indescriptible, difficile à pré-senter si ce n’est comme uneapproche sensible et poétique de larelation tissée entre l’Homme et levivant.

Témoignagede Patricia Armandy

Une invitation à nous balader le longdes ruisseaux, avec le pêcheur d'oi-seau. Installés au bord du ruisseau,depuis le matin tôt jusqu'à notre arri-vée, rouge-gorge, troglodyte etmerle… ont pointé leurs becs.Quel drôle d'oiseau ce pêcheur d'oi-seau ! mais si je le traite de tous lesnoms d'oiseaux, je ne choisirai queles plus étonnants, secrets, colorés,magnifiques…Jusqu'au bout de ces instantsensemble et même au-delà, ce poètenous a transportés dans un monde« magique » pourtant bien ancrédans la nature.Est-ce pour surprendre ? Est-ce sonpasse-temps? Intrigant et osé d'êtreaussi simple et spontané avec soi-même et son public !Techniques d'approche (masque enécorce, choix des branchages…),matériels utiles (cagoule chaude pourcette période, guides et livres…),comportement, plaisirs (même duchocolat !), photos personnelles,légendes, rencontres racontées,...tout fut partagé avec beaucoup desimplicité et d'humour pour que cha-cun se fonde dans ce petit coin denature, et mette les chances de soncôté pour pénétrer au mieux cet envi-ronnement.

Témoignagede Sandra Compère

Hier, je me suis promenée et j’ai ren-contré…Un pêcheur d’oiseaux !Quelle chance j’ai eu, ils sont rares àce qu’il paraît !Au petit groupe que nous étions, il aprésenté son univers, sans criergare… et nous l’avons suivi, sansrésistance…Un univers hétéroclite, rempli d’oi-seaux, de mouches, de cagoules àusage variable.Il a trouvé sa place, confortable, aubord d’un ruisseau. Il s’efface etdevient l’arbre qui le cache, labranche qu’il déploie. Il rencontre etraconte le rouge-gorge, la mésange,la pie et l’alouette…

Qu’il soit réellement ce pêcheur d’oi-seaux qui a attrapé un jour sur sabranche un martin pêcheur, cet êtrefarfelu à la valise remplie de bric etde broc, ou bien qu’il incarne« juste » un personnage poétique etdécalé, qu’importe. Nul besoin de lesavoir, juste se laisser transporter,visiter son petit monde sympathiqueet offert où, ma foi, on aimerait bienretourner… L’envie nous prend, onlanguit de pouvoir aller de notre côté« pêcher l’oiseau », ou simplementbuller, se fondre au bord d’une rivièreet laisser la vie déroulerson spectacle pour nous,humble spectateurconquis.

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Réflexion…Peut-on associer des objectifs péda-gogiques, notionnels à ce type d’in-tervention ?On est loin du didactique, mais pour-tant il semble que l’on tient quelquechose… Cet « atelier » ou cette« séquence » n’a pas pour vocationd’apprendre au public à reconnaîtretel ou tel oiseau, ni à comprendrel’écosystème rivière, il donne cepen-dant une envie, un élan qui nouspousse à retourner nous plongerdans cet univers, à observer la natu-re, à contempler, sentir le rugueuxde l’écorce d’un arbre ou entendre lechant d’une source dans un sous-bois ombragé. Ce sentiment étantpartagé par la majorité des partici-pants, il faut peut-être chercher àdévelopper cela, à proposer desinterventions de ce genre afin que lepublic ait envie de nouer des liensavec le monde vivant et de le respec-ter en réduisant son impact sur cedernier.

L’éducation nature doit passer parces approches poétiques et sen-sibles, sa mission étant de trans-mettre du savoir mais aussi de l’émo-tion.

D’après Louis Espinassous13, les ani-mateurs nature sont des « fabricantsde souvenirs »… Ce n’est pas simplede fabriquer de l’émotion, du ressen-ti, il faut cependant s’en donner lesmoyens. Cela est d’autant plus com-pliqué mais nécessaire lorsqu’il s’agitdu grand public ou de la formationdes adultes. Des barrières sont àabattre, des a priori à bazarder, afinque ces publics-là retrouvent unecapacité à ressentir, capacité quel’on apprend à étouffer en grandis-sant.

On apprend en effet à l’âge adulte àcontrôler nos émotions, à rationali-ser les interactions avec l’autre etparfois à absorber sans sourcillerdes informations qui mériteraientnormalement une réaction viscérale.J’entends par-là la passivité devant

laquelle on peut, grâce à la télévision,voir dans son salon des images d’op-pression violente, de pauvreté ou defamine extrême et continuer d’en-gloutir son repas sans y prêter atten-tion.

Ces biais sont parfois flagrants, toutcomme le fait que certaines per-sonnes refusent catégoriquement dese laisser embarquer dans un uni-vers imaginaire et de se laisser allerà rêver et gober les fariboles d’unconteur facétieux. Cela devient par-fois un exercice difficile tellement ilest habituel de tout interpréter,décortiquer, selon son propre sché-ma culturel.Les approches sensibles sont en cesens une ouverture au monde.Redonner une place à nos émotions« spontanées », « sauvages » ou« infantiles », loin des conceptsrationnels, permet d’offrir une respi-ration, un bol d’air, vivifiant et néces-saire, à proposer généreusement,sans objectifs préalables et sans rai-son…

13 Animateur nature, écrivain. Auteur notamment de « Pistes », ouvrage de référence pour la pratique de l’Animation nature.

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Jeux coopératifsAnimé par André Larivière

Le principe des jeux coopératifs repo-se sur la poursuite d'un objectif degroupe qui ne pourra être réalisé quepar l'entraide et la solidarité entre lesjoueurs. Le défi proposé nécessite lamobilisation de chacun et la concer-tation de tous. Il ne s'agit pas degagner sur l'adversaire mais de faireéquipe et cause commune pourgagner ensemble… ou de perdreensemble si l'équipe s'est mal organi-sée.

La coopération crée dans le groupeune atmosphère de confiance oùchacun peut apprendre à s'exprimer,à défendre son point de vue avecassurance. Coopérer c'est« construire ensemble », mais l'ac-tion collective n'est pas la simpleaddition des actions individuelles ! Parle dialogue et la négociation il est

possible de trouverensemble la meilleu-re façon de jouer.Les jeux coopératifsallient plaisir dejouer et valeur édu-cative pour mettrehors-jeu la violence.

Témoignagede Valentine Eycken

Pour commencer, faisons de laplace, on pousse les chaises, lestables… pour laisser place nette à ungrand espace de jeux… coopératifs !Nous nous mettons en ronde… Noussommes prêts même si nous nesavons pas vraiment à quoi nousattendre, un peu sur nos gardes…mais prêts !Mais qu’est-ce qu’un jeu coopératif ?

Commençons par une petite défini-tion très juste de Monsieur Larivière :« le jeu coopératif est un jeu où il n’ya pas de compétition entre les parti-cipants ou bien où la compétition esttellement risible qu’elle ne peut pasêtre prise au sérieux »… le décor est planté… il ne nous

reste plus qu’à… jouer ! Et bien ouiles jeux coopératifs ne s’expliquentpas, ils se vivent !D’abord des jeux de connaissance via

lesquels chacun va apprendrequelque chose sur l’autre : prénom,surnom, âge, lieu d’origine et d’habi-tation, voire des informations plusintimes « qui comme moi…? »…même nos chaussures ont faitconnaissance dans une ambiancerieuse et détendue avec quelquessituations loufoques, voire… emmê-lées.

Ensuite des jeux de confiance, desjeux en aveugle où il faut faire appel àses sens et avoir confiance en sonvoisin… les sons d’animaux et lespuic-puic ont envahi la salle avec unelogique difficile à deviner pour quel-qu’un qui viendrait de l’extérieur ! Lasalle s’est transformée en ferme tro-picale où tout le monde se touche ets’écoute mais personne ne se voit…mais que de leçons à tirer de cesjeux.

Vient un jeu qui nous ouvre les yeuxsur les jugements arbitraires… endésignant un « coupable » alors quenous n’avons aucun argument pourl’accuser lui plutôt qu’un autre… toutça pour savoir à la fin qu’au 1er touril n’y avait pas de coupable et qu’au2ème nous l’étions tous… ça fait réflé-chir !Un jeu de langage… même si ce lan-gage là est extraterrestre… avec del’écoute tout le monde finit par secomprendre !

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Enfin des jeux d’expression corporel-le… ou le mime se décline à plu-sieurs… Mimes à 2 en symétrieautour d’une balle, mimes à 3… nousétions réchauffés !!!

Pour finir un jeu où tout le mondes’emmêle mais pour pouvoir reveniren ronde, il faut que tout le monde ymette du sien… un vrai travail collec-tif !Nous n’avons pas vu le temps pas-ser, plus de 30 jeux plus tard nousaurions pu continuer toute la nuit sile temps de la synthèse en communn’était pas arrivé !

Merci monsieur Larivière, noussommes sortis de cet atelier, fortsde techniques d’animations et de jeuxqui font réfléchir… et non sans pen-ser à vous, nous n’hésiterons pas àles proposer dans nos animations !

Forêt des contes en Vocance :"Arbre réel ou imaginaire"

Atelier animé par Mariette Vergnes,conteuse de la Forêt des Contes enVocance

« La forêt est une grande étendueplantée d'arbres ».Ces arbres nous font remonter à lanuit des temps et ils ont toujours fas-ciné les humains.Dans la forêt des rêves, des his-toires, des fantasmes, les hommesvont à la rencontre de toutes sortesd'arbres.- Ceux qui sont sources de vie ou gar-dent les âmes des morts. L'arbre estnotre berceau comme notre cer-cueil.- Les arbres à trésors comme labranche à noisetier de Cendrillon- Les arbres enfants : « il y avait unefois un morceau de bois Pinocchio »- Les arbres femmes- Les arbres refuges protecteurs- Les métamorphoses en arbre (sou-vent pour échapper à la mort)Cette forêt des contes, cet « autremonde » d'où l'on peut revenir esttoujours très présent dans la vie etl'imaginaire des hommes car « moinsouverte que la montagne, moins flui-de que la mer, moins subtile que l'air,

moins aride que le désert, moinsobscure que la grotte, mais fermée,enracinée, verdoyante, ombreuse,nue et multiple, secrète, la Forêt… »

D'après Bertrand Astory "le mythede la dame à la Licorne" Paris 1969.

L’association "La Forêt des Contes enVocance" est située à Villevocance, àquelques kilomètres d’Annonay etrayonne sur toute l’Ardèche verte etmême au-delà.

Témoignagede Laure Martinez

Dans la bibliothèque, Marietteévoque l’organisation des baladescontées et… au détour d’un souffle,l’atmosphère a changé, l’écoute estdécuplée. Aucune transition verbalene nous a prévenus. Mais les motsne sont pas les mêmes dans leur tex-ture. Instantanément notre écouteest particulière. Des personnages,perceptibles, vivent leur quotidien,l’air est modelé par ce qu’ils vivent. Ala fois nous suivons l’histoire et ellevient à nous. Puis, le partage deleurs péripéties s’achève. Dans latonalité des derniers mots, l’atmo-sphère spécifique des contes s’envo-le. Nous retrouvons les informationsplus techniques : placer les contessur le parcours. Les choisir en fonc-tion des spécificités du lieu ou à l’in-verse déceler les étapes en affinitésavec des contes sur l’itinéraire.Comme un conte serait offert, dérou-lé, à partir d’un arbre, d’une égrati-gnure sur un rocher, au cours d’unemarche dans les bois, un nouveauconte arrive au détour d’un rensei-gnement technique. «… si vous avezun ruisseau par exemple. D’ailleurs…Germaine… elle venait souvent prèsde ce ruisseau. Vous savez… ». Ethop, dans le souffle, la posture, déjàavant le mot « d’ailleurs » l’atmosphè-re est là. Dans la pièce, juste entreces deux mots, l’écoute, de « tech-nique » est passée instantanément àune « écoute unifiée », si spécifiqueaux contes.

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Sans aucune autre transition que lesouffle et l’espace qui se déploientdans les gestes, entre les mots,comme des arabesques ou des fluxet reflux de vagues hautes, et nonplus de façon linéaire ou binaire. Lafaçon de se poser dans l’espace,d’être particulièrement présente,ancrée et légère, permet à l’histoirede passer dans toute sa force et sesnuances, comme une musique à tra-vers un instrument. Et ainsi tout lelong de l’atelier. L’expérience en estd’autant plus flagrante, évidente quenous sommes à l’intérieur et que lesinformations sur cet art s’alternentavec l’immersion dans cet art. A unmoment, Mariette exprime queconter est un art de l’image. Je com-prends mieux alors d’où vient cetensemble perceptible juste avant quele conte commence. Personnages etlieux tellement visibles, perceptiblespour la conteuse qu’ils en sont pal-pables par l’auditoire dès leur venue.

"Land art or not land art"Atelier animé par Jérôme Piguet

Définitions, historique, pourquoi,pour qui, comment… A partir de nosexpériences nous creuserons cesquestions (je n'ai pas les réponses),sans omettre de passer à l'acte.

Témoignaged’Eric Galichet

Vendredi 14 novembre, me voilà partibien seul dans l’atelier Land Art. Voicil’occasion de discuter et d’échangeravec des personnes inconnues.Croyant avoir quelques notions enpoche, je me rends très vite compteque je suis un véritable novice. Moi quiparlait souvent de Land Art et bienfigurez-vous que j’utilisais cetteapproche de la nature avec de faussesidées. Le Land art est à l’origine uneréalisation sur une grande dimensiond’où le terme anglais de « Land ». Lespremiers à avoir fait du Land Art (lesaméricains) soumettaient la nature àleur réalisation et intervenait parfoislourdement. Ainsi certaines œuvresétaient véritablement destructrices del’environnement (exemple : coulée degoudron dans le désert).

En fait, les éducateurs à l’environne-ment conçoivent et réalisent avec lesenfants des activités Art & nature etnon du Land Art tel qu’il est défini.Pour réussir, Jérôme PIGUET nousexplique qu’il faut arriver à mettre lepublic dedans, c’est à dire amener legroupe dans une démarche sensibleet conceptuelle. L’Art & naturenécessite du temps pour chercher,se paumer, construire, déconstruireet enfin faire. On construit, détruit etreconstruit. Pour rentrer dans lethème, l’animateur peut proposerdes petits jeux, voire d’autres activi-tés comme du yoga. Parmi les petitsjeux proposés par Jérôme, donnezdeux punaises ou une bille blanche àchaque enfant. Ils doivent ensuiteposer ces objets dans la nature pourobtenir une réalisation, par exempleles punaises font office d’œil sur untronc ou la bille de tête sur une plan-te, une branche…

Une remarque flagrante m’est appa-rue au cours de l’atelier au sujet desœuvres qui sont souvent photogra-phiées et utilisées ensuite commeexposition dans des musées ou desouvrages littéraire. Finalement l’Arten question c’est l’œuvre dans lanature, la photographie ou bien lesdeux ? Si la photographie est ratéemais l’œuvre parfaitement réussie,seul l’artiste a connaissance de sontravail ; il ne peut donc pas le parta-ger. L’Art et nature est-il vraimentéphémère ?

Enfin pour terminer, j’ai pu consultersur l’atelier de très nombreuxouvrages traitant d’Art et nature oude Land Art dont voici les réfé-rences. Le plus magique : « Le peuplede l’écorce » Jephan DE VILLIERS. Leplus complet sur le sujet « LandArt… et après » de Frank DORIAC etenfin « L’artiste contemporain et lanature » de Colette GARRAUD.

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- Ecriture et Musique

La musique et l’écriture au service del’eau. Jouer avec les mots, compo-ser des poèmes, écrire de petiteshistoires d’eau, puis les offrir aupublic, créations poétiques et musi-cales rythmées par les musiciens dugroupe Mayi.

Témoignagede Julie Wyss

Durée : 2h00Tout public

Objectif(s) :- Exprimer son ressenti sur la théma-tique de l'eau- Ecrire ses représentations, untexte, une poésie ou autre sur l'eau- Lire un texte avec un fond sonoremusical- Communiquer/sensibiliser un audi-toire à l'importance de l'eau sur terre

Déroulement :Après un temps de réflexion individuellesur le mot « eau », chaque participantexprime oralement ses représenta-tions.Dans un second temps, chaque partici-pant écrit des mots, un texte, une his-toire, une poésie, des phrases, etc. surtout ce que lui évoque le mot « eau ».Après une lecture à voix haute deson propre texte, ces derniers sontmélangés et distribués au hasard.Chacun leur tour, les participantsviennent au micro lire de manièreponctuée, vivante et rythmée, avecl'aide des musiciens et de leurs nom-breux instruments de musique, letexte qui leur aura été attribué.

Un moment convivial d'échange et departage autour de l'eau…

Témoignagede Diane Aurine

Musique sur l'eau : non, nousn'étions pas sur une pirogue à chan-ter à tue-tête… mais c'est toutcomme. L'eau était notre thème,parce qu'en sages humains soucieuxde notre nature, l'eau, on l'aime.Quelques musiciens et leurs percus-sions, quelques participants, bien dif-férents, et leur sensibilité… L'eaucomme sujet, la goutte est lancée, ànous de jouer !Filets d'idées et de mots qui ruissel-lent sur le papier et que l'on s'échan-ge pour mieux partager.Les maux et les mots de l'eau, misen sons, l'eau et les percussions…Moment d'émotion…

Cf. Textes collectés lors de l’atelierEau en annexe

Atelier du Déclic, Théâtre de l’op-primé en Ardèche

Nous avons demandé à RaphaëlFaure de l’Atelier du Déclic de venirprésenter la technique du Théâtre-Forum, une des approches initiéepar Augusto Boal, fondateur duThéâtre de l’Opprimé.

Le théâtre forum quésako ?

Le Théâtre-Forum doit donner, à cha-cun des individus y participant, l’occa-sion d’une affirmation publique de saforce de proposition, et à la collectivi-

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té l’occasion d’être le spectateur actifde la multiplicité de ces propositions.L’accent est mis sur notre capacité àtoujours pouvoir réfléchir notremanière de vivre ensemble et demettre en œuvre nos rêves et nosmoyens de construire de nouvellesmanières de le faire.

Il n'est pas nécessaire d'être comé-dien, juste d'avoir envie de raconterdes histoires vécues : le théâtreforum permet de mettre en scèneles oppressions contre lesquellesnous luttons.

Témoignagede Bénédicte Bouchez

En ce qui concerne l'atelier théâtre,nous avons eu une bonne présenta-tion et quelques exercices intéres-sants de mise en forme. J'ai trouvéque le concept du théâtre forum estoriginal mais il manque un travail plusartistique et technique concernantles intervenants. Je me suis dit parla suite que c'était peut-être voulupour inciter le public à intervenir.

J'ai donc commencé à me prendreau jeu quand nos administrateurssont montés sur scène, ce quisemble tout à fait logique d'aprèsleur démarche.Par ailleurs, Raphaël a précisé quel'on n'était pas obligé de connaître lasituation pour la jouer mais ce fonc-tionnement pousse à avoir des inter-ventions solides car quand on nepeut se cacher derrière un travailartistique ou technique, on s'exposesoi-même à la critique et non plus le

personnage, ce qui peut être trèsdéstabilisant.Mon opinion concernant le Théâtre-Forum est la suivante :Les enfants des favelas ont besoin dece média pour s'exprimer et com-prendre des choses : c'est un excel-lent moyen de sensibilisation, d'édu-cation et de libre expression. C'étaitd'ailleurs tellement efficace au Brésilqu'ils ont eu des problèmes. Enrevanche, ce type de théâtre ne mesemble pas adapté à tous les publics.Quand on a les moyens d'arriver ànos fins, la fin ne peut plus justifierles moyens. En d'autres mots, ladémarche artistique est aussi impor-tante que le message que l'on veutfaire passer (voire plus car ladémarche artistique est un messageen elle-même) et la réduire à unsimple vecteur risque de ne pas avoird'impacts au niveau d'un public édu-qué pouvant s'exprimer sous d'autresformes.

- Atelier Musique VerteAnimé par Benjamin Tosi

Témoignagede Renaud Develon

Cet atelier s’est déroulé en deuxtemps. Tout d’abord nous noussommes rendus dans le parc du châ-teau dans le but de découvrir et deprélever les matériaux dont nousaurions besoin par la suite. Ainsinous avons comparé la texture et lastructure de différents élémentsnaturels afin d’entrevoir le potentielmusical de chacun d’eux. Cette petiterécolte fut également l’occasion d’ap-prendre la meilleure façon de préle-ver branches, feuilles, écorces, sanscompromettre le cycle biologique desêtres vivants sollicités par cette acti-vité. Enfin nous nous sommes instal-lés dans une salle où chacun a puconstruire son « bio-instrument ».A l’aide d’outils nous avons évidé lamœlle du sureau, taillé des anchesdans le noisetier… étape essentielleà la construction de son instrumentet qui, parfois, demande précision etsens pratique pour obtenir le résultatescompté. Cet atelier a été l’occa-sion de passer un moment convivial

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Atelierset très ludique au cours duquel cha-cun a pu apprendre à faire naître unson à partir de coquilles de noix oud’une simple cupule de gland,moment rare où le plaisir des chosessimples a une mélodie particulière.

- Modelage Element’TerreAnimé par Gaétan Martinon

Témoignagede Sandra Compère

L’argile est une matière vraimentintéressante à travailler et à utiliserdans nos pratiques d’éducation et desensibilisation du public. Commeapproche sensorielle on ne fait pasmieux et pour ce qui est du pédago-gique… Les mains dans la terre et latête occupée par le seul objectif d’ar-river à façonner un animal familier,on se rend compte qu’on ne leconnaît pas si bien que cela finale-ment.

Des questions se posent devant lesmasses formées, comment est soncorps ? ses pattes ? son museau?

On forme, on façonne, on écrasetout et on recommence… On en aplein les mains, un peu dans les che-veux, sur le visage, mais qu’importe,l’argile c’est bon pour la peau…

Les moins « doués » peuvent tricher,piocher des éléments dans la naturepour faire une chimère sympathique,du moment qu’on lui invente une his-toire, elle prend vie sous nos yeux !

L’animateur peut apporter des infor-mations, de-ci de-là, sur l’écologie del’animal qu’on a tenté de représenter,puis des espèces qui lui sont fami-lières, ses proies, ses prédateurs.Tiens, une chaîne alimentaire… élé-mentaire…

Il faut avoir quelques petites notionsde modelage toutefois, si l’on veut selancer dans ce type d’animation,mais pas besoin non plus de longuesétudes, il faut juste s’entraîner, pourdonner ensuite aux groupes que l’onaccompagne quelques consignes,astuces et pour acquérir quelquesréflexes qui éviteront les déceptionsque certains pourraient ressentir.

L’important étant surtout de savoirce que l’on souhaite transmettre àtravers cela.

D’où l’intérêt de proposer l’argilecomme support, mais de s’éloignerde la technique en laissant à chacunun large panel d’utilisations possiblesavec cette matière.

Et puis au final, on sort de notrebulle, content d’avoir fait une créa-tion qui peut, selon l’angle de vue, lalumière, la distance… ressembler àune œuvre digne des plus grands…En tout cas, on y a mis notre cœur etpassé un moment sympathiqueautour de cette table remplie d’usten-siles et de figurines pas pires que lesnôtres…

- Art ‘gens (récup et art)

Témoignagede Diane Aurine

Un moment très « fille ». Armées decutters, de pistolets de colle etautres objets dangereux… c'est partipour faire la guerre aux canettes debières et autres boissons à bulles.On coupe, on découpe, on se coupe,on colle, on recolle, on se brûle… Etles canettes, sous notre joyeuxlabeur, deviennent fleurs ! Et oui, onfait des fleurs, on s'fait des fleurs :« Qu’elle est belle, la tienne ! Tropjolie ! » Comme c'est beau !… » Etj'en passe et des meilleures… Unmoment très « fille » !

Techniques de Tressage VégétalAnimé par Maria Sanz

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ConclusionRéflexion autour du projetNature CultureDepuis plusieurs décennies, lesAssociations de Protection de laNature et de l’Environnement (lesAPNE) portent à la connaissance dupublic les enjeux liés à la protectionde la nature et du cadre de vie. Cemessage, légitimé par la crise écolo-gique, est aujourd'hui largementrepris.

Pour autant, une grande majorité dela population ne tient toujours pascompte des mises en garde et nerespecte ni les réglementations envigueur, ni le partage des ressourcesappartenant au bien commun nimême le simple bon sens.

Alors que le nombre de personnesréceptives a augmenté, pourquoi nevoit-on pas véritablement de change-ments de comportement dans nossociétés ?Comment transformer ce début deprise de conscience en actesconcrets sans perdre l’intégrité denotre message, ni l’édulcorer ?Comment inciter les gens à changeren profondeur leur quotidien et leursautomatismes pour faire face auxenjeux de notre temps?Quelles nouvelles formes de militancedoit-on adopter et quel message doit-on transmettre ?Telles étaient les questions posées àl'occasion des quatrièmes ren-contres Nature Culture.

Pour y répondre, nous devonsrechercher ce qui déclenche cequ’on appelle « la prise de conscien-ce environnementale » plus particu-lièrement chez les personnes quicomposent les APNE.

Profils militantsOn peut acquérir une sensibilité natu-raliste ou environnementale dans lecadre familial, ou au cours de sonparcours scolaire ou encore en seformant individuellement. Certainsdiront que cette motivation vient dufait d’avoir grandi au contact de la

nature ; D'autres ont eu besoin de se« ressourcer » parce qu’ils ont gran-di dans l’univers bétonné d’une gran-de ville. D’aucuns auront suivi desamis, des parents, lors de sortiesnaturalistes et partagent désormaisla même passion.

Les déclencheurs d’une « prise deconscience écologique » sont nom-breux, diffus, difficiles à identifier, eton ne pourra pas dresser de listeexhaustive des démarches à entre-prendre pour que la prise deconscience soit partagée par le plusgrand nombre et enfin concrétisée.

Par contre, nous pouvons et nousdevons, au sein de nos associationsainsi que dans notre quotidien, parta-ger cette flamme qui nous anime etla transmettre à d’autres, aussi nom-breux que possible. Il faudra doncdévelopper les actions de concerta-tion, d’éducation et d’information denos contemporains, lutter contre lesprojets qui vont à l'encontre desvaleurs que nous défendons. Et pourélaborer tous ensemble les basesd'un nouveau monde, l’écoute, le dia-logue et l’échange doivent être demise.

On ne peut en effet se concentreruniquement sur la concertation avecles autres acteurs de la protectionou de l’aménagement du territoire,les représentants de l’Etat, ni joueruniquement notre rôle d’expertise etde veille au respect de la réglementa-tion.Bien que cela nécessite déjà beau-coup de temps et de compétences,nous nous devons aussi d’être des« éveilleurs » de conscience, pourque chacun se réapproprie notrepatrimoine commun et soit ainsi lerelais nécessaire à la constructiond'une culture respectueuse dumonde vivant. Sans cela, nosdémarches seront vaines.

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Cohésion des Associations deProtection de la Nature et del’EnvironnementNotre philosophie, notre éthique doi-vent transparaître dans nos actions,pas uniquement nos compétencestechniques. C’est en effet cette sub-jectivité militante qui différencie unefédération d’APNE d’une structureinstitutionnelle qui transmet desmessages qui ne lui appartiennentpas ou qui répond simplement à unedemande émanant du public.

La démarche Nature Culture im-plique que les membres de nos asso-ciations, administrateurs commesalariés, s'appuient sur leursconnaissances naturalistes maisaussi sur leur sensibilité pour trans-mettre l'intégralité de notre messa-ge. Certains sont déjà familiers aveccette réflexion, notamment les per-sonnes qui participent aux actionspédagogiques des associations, soitparce que cette réflexion est abor-dée au cours de la formation deséducateurs ou reprise dans les outilspédagogiques et les ouvrages deréférence14, soit parce qu’elles l’utili-sent « instinctivement » en pratique.Cela doit cependant être généraliséà tous les différents pôles, quels quesoient les statuts et les domainesd’action des personnes qui compo-sent les APNE. Chacun joue en effetun rôle et peut s’appuyer sur cettedémarche pour sensibiliser au res-pect des valeurs qui nous animent.

Transmettre avec justesse etpertinenceLes APNE ont une place particulièredans la société et sont bien placéespour aborder la connaissance dumonde vivant et l’impact des activitéshumaines sur l’environnement. Ilsemble cependant que l’on se soit unpeu trop focalisé sur l’argumentationscientifique et les grands enjeux envi-ronnementaux.Dans la conjoncture actuelle, nousdevons considérer qu’une partie deces notions sont devenues abs-traites pour nos contemporains. Nos

valeurs et notre discours doiventretrouver leur place dans la sociétémoderne.Dans les années 70, à la création dela FRAPNA, les interventions et sor-ties que nous proposions étaient per-tinentes et accessibles car la majori-té du public conservait un lien tan-gible avec la nature. Si l’on considèrenos sociétés occidentales actuelles,leur caractère urbanisé, l’importan-ce accordée au monde virtuel et télé-visé, un individu peut se retrouvercomplètement déconnecté de sacondition biologique et se cantonnerà un mode de vie complètement arti-ficiel tout au long de son existence.Il peut désormais y avoir un fosségigantesque entre l’humain et lereste du monde vivant, la démarchenaturaliste est si éloignée de sonquotidien qu’il est nécessaire de lerelier à nouveau à ce monde avantd'en expliquer son fonctionnement.Ainsi, recréer du lien permet d’es-tomper la dualité omniprésente denotre société occidentale, qui induitune différenciation de l’Homme et dela Nature.

Ceux qui sont engagés dans la pro-tection de la nature, de par leur vécuet leur formation plus « scienti-fique », ont généralement une repré-sentation différente de ces notions.On peut en effet considérer que l’es-pèce humaine, bien qu’ayant dérivéde sa condition « animale », fait par-tie de ce que l’on nomme la nature etqu’elle est en relation directe avec lemonde vivant. Chaque individu estconstitué des mêmes matériaux queles autres espèces et répond auxmêmes besoins vitaux.

Entre le « grand public » et ceux quiont fait de l’écologie leur quotidien, ilest nécessaire de trouver un langagecommun, de recréer desconnexions, de rétablir un discoursd’humain à humain, simplement. Cesliens serviront aussi à replacer lemonde scientifique dans le contextesocial et culturel, qu’il a des fois ten-dance à occulter.

Conclusion

14 cf. bibliographie

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Langage technico-techniqueSi l’on s’attarde seulement sur lesmots utilisés actuellement par les dif-férents médias, le terme « nature »est employé fréquemment pour valo-riser un produit ou un service, vanterles mérites d’une marque, car lespublicitaires ont compris l’intérêt quecela suscite chez leur public « cible ».Le mot « nature » a en effet un sensfort, il provoque chez nous une réso-nance particulière. Quand onl’évoque, naissent des images, dessons, des odeurs, qui nous plongentdans quelque chose de familier,même si parfois la nature n’est pourcertain qu’un concept idéalisé ou sil’imaginaire autour de ce mot réveilleaussi parfois des craintes ances-trales.

Paradoxalement, lorsqu’il s’agit d’in-formations sur les enjeux écolo-giques, les thématiques abordéessont l’éco-citoyenneté, le réchauffe-ment climatique, les énergies renou-velables. Nous nous sentons finale-ment moins « interpellés » par cessujets que par la promotion de telleou telle agence de voyage…

Ces termes abstraits souvent peuévocateurs nous empêchent en effet

de tisser des liens concrets, de noussentir concernés par tous ces pro-blèmes techniques et lointains. Oncompte d’ailleurs sur les scienti-fiques pour les résoudre, dans lamesure où ces derniers maîtrisentce langage et sont responsablesd’une partie de ces mêmes pro-blèmes.

Excès d’informationsLes catastrophes écologiques, lesdérèglements climatiques, la dispari-tion des espèces, la pollution et sesimpacts sur la santé font régulière-ment la une des médias.On assiste à une surenchère d’infor-mations. Mais ces « mauvaises nou-velles » sont placées généralementsous le signe de la fatalité (le risquezéro n’existe pas, personne n’estvraiment responsable, ou sinon leresponsable avait pris toutes les pré-cautions pour éviter l’accident et res-pectait les normes légales). Tout celacontribue à déresponsabiliser lecitoyen ou à lui dépeindre une situa-tion qui le dépasse et pour laquelle ilne peut rien faire.Dans cette conjoncture de crise éco-logique, les APNE sont d’autant plussollicitées pour expliquer technique-ment les impacts des activités

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Conclusion

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humaines, faire comprendre lanécessité de consommer moinsd’énergie ou de ressources, réfléchirà nos modes de consommation…Toutes ces thématiques sont autantde poids à mettre sur les épaules deceux qui font la démarche de lesécouter. On comprend bien que cer-tains se trouvent tellement démunisface à cela qu’ils préfèrent faire lasourde oreille, se sentant complète-ment impuissants ou négligeablescomparés aux grands pollueurs dece monde…Un changement des mentalités etdes a priori culturels de notre socié-té est impératif.

Défi du 21ème siècleAfin de prendre conscience desenjeux pour l’humanité sans verserdans le « catastrophisme » ni dans le« galvaudage linguistique 15», chacundoit trouver de nouveaux repères,développer un regard critique et sesortir du brouillard médiatique danslequel notre société est plongée, oùon ne fait plus la différence entre unecampagne de sensibilisation éco-citoyenne et un coup « marketing »de telle ou telle grande enseigne.

Pour sortir de la crise majeure danslaquelle nous sommes plongés, sansheurts et sans laissés-pour-compte,il est nécessaire de revoir la basemême de notre pensée voire dechanger d’« idéal ». Gagner de l’ar-gent pour vivre dans l’opulence, pou-voir bâtir une ou plusieurs maisons

gigantesques, avoir plusieursgrosses voitures, des piscines et desbains bouillonnants, pouvoir voyageren première classe autour dumonde, dépenser sans compter,gaspiller sans sourciller… Si tel estle rêve de tout un chacun, le constatest amer : La planète ne peutrépondre à nos espérances et sesressources ne suffiront pas àcontenter tout le monde. Nous allonsnous heurter à un mur, et ce d’au-tant plus vite que l’avancée technolo-gique est exponentielle.

D’autres idéaux sont possiblesLe retour en arrière n’est pas pos-sible, inutile donc de vouloir recréerune société qui serait identique àtelle ou telle époque de notre histoi-re…Il faut donc aller de l’avant, mais pourcela il est nécessaire de changer decap.

Nos habitudes et la structurationmême de notre pensée doivent chan-ger radicalement pour répondre auxenjeux actuels. Une métamorphoseest indispensable et nous avonsbesoin de courage, de solidarité etde nous sentir relié émotionnelle-ment et sensiblement au mondepour percevoir le filtre culturel occi-dental dans lequel nous baignons,avoir conscience de son influencesur nos actes et nous débarrasserde nos réflexes archaïques.C’est parce que nous ressentons unfort sentiment de nature que nousagissons nous-mêmes en séma-phores indéboulonnables devant l’ur-gence environnementale.

Peut-être devons-nous mieux ciblerce qui est essentiel à transmettre :ce qui nous implique et nous anime,les espoirs que nous formulons, lebesoin d’inventer notre propre avenirau sein d’une humanité forte de 10milliards d’individus… De cette impli-cation viendra ensuite le change-ment de comportement.

Campagne publicitaire d’une multinationale tentaculaire

15 J'entends par là l’utilisation ou la compromission de termes tels que « Développement Durable », le « Bio », « l’Ecologique » utili-sé par les grandes enseignes commerciales pour donner bonne conscience à leurs clients en leur vendant des voitures« Ecologiques » et des vêtements « Bio »..

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Le déclicPour transmettre à la fois dessavoirs mais aussi une compréhen-sion globale, non matérielle, qui noustouche et nous donne l’envie et laforce d’agir pour un changement desconsciences, il faut continuer à ame-ner le public à la découverte de sonpropre patrimoine et à la rencontredes êtres avec lesquels nous cohabi-tons.A cette démarche doit s’ajouter unedémarche sensible, en faisant appelà notre propre ressenti et en nousaidant des « catalyseurs d’émo-tions » : L’art, sous ces différentesformes, afin qu’il y ait une synergieentre la raison et l’affect.

Parfois, un film, une rencontre, unlivre, un tableau ou un chant suffi-sent à ce qu’un individu change deregard. Quoiqu’il en soit, le « déclic »ne peut pas être qu’intentionnel, pré-médité, calculé. Il nous échappegénéralement et la prise deconscience ne vient que de l’individu,qui aura cerné les enjeux rationnelle-ment mais aussi intuitivement, viscé-ralement. Son engagement person-nel en découlera spontanément.

Difficile de décortiquer les méthodeset de définir avec certitude quelle estla marche à suivre pour éveiller lesconsciences, ni savoir ce qui seraretenu de nos discours et de nosactions, comment ils seront interpré-tés ou vécus par ceux qui y partici-pent.

D’ailleurs, si on fait le parallèle avecle conte, il a lui aussi cette capacitéà être interprété et compris diffé-remment selon l’oreille qui l’entend,l’humeur du récepteur, et ce, mêmesi le conteur a une intention préciseen le racontant. Chacun a un sché-ma culturel et imaginaire qui lui estpropre. En lisant ou en écoutant unehistoire, on doit passer par un pro-

cessus de création d’images quinous permet d’assimiler les informa-tions. Ces images ne seront pasidentiques d’un individu à l’autre, onest donc dans un mécanisme decréation d’images subjectif et per-sonnel.

Ainsi, une histoire, transmise debouche à oreilles, peut avoir unetrame, une enveloppe qui sera repri-se et retransmise au fil du temps,mais son essence même, sa teneurintrinsèque ne sera perçue réelle-ment qu’une fois passée par l’inter-prétation individuelle de celui qui l’en-tend. Tout comme le goût n’existeque par relation entre l’aliment et lespapilles et ne peut être complète-ment décortiqué et analysé sur latable d’un laboratoire…Heureusement d’ailleurs que tant dechoses nous échappent ! Que devien-drait la générosité s’il était possiblede la greffer ou de l’intégrer dans ungénome modifié ?

Citons ici Henri Gougaud, écrivain etconteur, qui explique la différenceselon lui entre conscience et lucidité :« La lumière de la lucidité est pure-ment mentale, froide. Elle est irréfu-table, mais superficielle en ce qu’ellen’éclaire que des mécanismes. Lalumière de la conscience est davan-tage affaire d’intelligence sensible.Elle est faillible en ce qu’elle s’aventu-re à pressentir, à flairer, mais ellecourt ce risque parce que sa fonc-tion n’est pas de décrire le réel maisde creuser sous lui, de cherchersans cesse à approfondir nos mys-tères.

Pour tenter de mieux dire : Laconscience d’être n’a rien à voir avecnos chimies et nos complexités orga-niques. Elle se ressent. Elle n’est pasdu registre de la seule intelligencerationnelle. Elle la déborde de toutesparts. »16

Conclusion

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16 Henri Gougaud « Le rire de la grenouille – Petit traité de philosophie artisanale » Editions Carnetsnord.

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Cette réflexion se décline dans denombreux contes et c’est cette nour-riture-là qui alimente en partie le pro-jet Nature Culture.Concernant l’Art en général, onentend l’utiliser comme le conte,comme un « catalyseur de conscien-ce ». Les artistes ne sont-ils pasd’ailleurs à l’origine du premier clas-sement d’un site « naturel » ?17 Enfaisant cela, ils ont exprimé la néces-sité de s’immerger dans la naturepour y trouver l’inspiration.

Instinctivement, l’émotion ressentieau contact de la nature permet defaire émerger pensées, images,formes, étincelles créatrices que l’ar-tiste transformera ensuite en uneœuvre sensible, illustrant à la foisson « monde intérieur » mais aussil’interaction de son être avec lemonde extérieur.

Le projet Nature CultureEn Ardèche, depuis 2004, nousavons consacré du temps à dévelop-per, étayer, expérimenter cetteréflexion au sein de l’association.Nous avons aussi proposé de nom-breux moments pour la diffuser,échanger avec d’autres structures,d’autres volontaires et la mettre enpratique.Ainsi, nous avons testé différentesapproches et acquis des compé-tences techniques nouvelles, notam-ment dans l’organisation de manifes-tations, de rencontres, de forma-tions sur les thématiques NatureCulture.

En 2005, 2006, et 2007, trois ren-contres ont été organisées enArdèche ainsi qu’un stage d’initiationau Théâtre-Forum18 et deux sessionsde formation autour du conte et del’approche imaginaire en éducationenvironnement.Lors des Journées du PatrimoineNaturel ou à l’occasion du Festivaldécentralisé du Film Nature etEnvironnement, nous avons tissé desliens avec des compagnies, desconteurs et autres artistes de toushorizons.Enfin, l’imaginaire, le conte et lesapproches artistiques sont monnaiecourante dans nos interventionsauprès du jeune public.

Genèse et objectifs des 4èmesRencontres Nature CultureForts des expériences passées etconnaissant aussi les démarchesréalisées par la FRAPNA Rhône19,nous nous sommes rendus compteque nos deux réflexions, menées surdes territoires différents, n’étaientpas complètement similaires mais entout cas complémentaires. Nousavons souhaité mutualiser nos com-pétences pour proposer un événe-mentiel de portée régionale dans lecadre de ces quatrièmes ren-contres.

Nous avons proposé d’organiserensemble les rencontres NatureCulture et la Journée Inter-FRAPNAannuelle pour que tous les salariéset administrateurs des neuf sectionsFRAPNA découvrent concrètementce projet et s’en inspirent.

Conclusion

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17 La première réserve « artistique » a été créée en 1861 dans la Forêt de Fontainebleau, elle constitue la première réserve natu-relle de France. Son comité de protection artistique, mis en place en 1872, compte d’illustres adhérents tel que Victor Hugo.18 Ce stage a été animé par Julian Boal, fils du fondateur du Théâtre de l’Opprimé, Augusto Boal. A cette même occasion, nousavons pu profiter d’une représentation exceptionnelle du Jana Sanskriti, une troupe Bengalie de Théâtre de l’Opprimé.19 La FRAPNA Rhône a développé depuis de nombreuses années des interventions liant l’Art, la Nature et l’Environnement au tra-vers d’un festival de contes, d’une exposition, d’ateliers, etc.

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Des intervenants ont été contactéset nous avons opté pour des per-sonnes complémentaires pour initierdes discussions, des débats, deséchanges d’idées riches et variés.

Ce moment a aussi été conçucomme un temps d’introspection caril nous paraissait important de profi-ter de la présence des bénévoles,des administrateurs et des salariés,pour porter un regard sur la placedes associations dans la sociétéactuelle, discuter de nos valeurs,nos objectifs, nos particularités, nosforces et nos faiblesses. L’objectifétant d’imaginer ensemble de nou-veaux projets et d’alimenter notredynamique fédérative, les associa-tions adhérentes ont été invitées àparticiper à la seconde journée.Ces rencontres 2008 ont été l’occa-sion de présenter à tout le réseauFRAPNA la richesse que pouvaitreprésenter ce mélange des genres.Nous sommes en mesure de propo-ser autre chose que des journées deformation, des interventions réser-vées à un public très ciblé. Au coursde ces rencontres, scientifiques,artistes, sociologues, artisans, philo-

sophes, paysans, naturalistes, péda-gogues de tous âges sont amenés àéchanger et à s’enrichir mutuelle-ment tout en tissant de nouveauxréseaux.

Désormais, nous espérons que cesjournées auront fait germer de nom-breux projets, que d’autres départe-ments prendront la relève et propo-seront d’organiser leurs propres ren-contres Nature Culture.En ce qui concerne l’Ardèche, nousallons continuer nos pérégrinationsen constituant un atelier d’écriture etd’expression et en diversifiant lesapproches lors des manifestations àvenir.

Nous vous invitons à suivre nosactualités soit au travers de noslettres d’information, soit en vousrendant sur nos pages Internet surlesquelles vous pourrez retrouver ledétail de nos activités20.

Sandra Compère, coordinatrice du projet NatureCulture de la Frapna Ardèche.

Conclusion

20 www.frapna.org/ardeche / rubrique « thématiques » / Nature Culture.

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Annexes

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Rencontres Nature Culture

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Rétrospective des rencontres 2005, 2006 et 2007

• 1ères Rencontres Nature Culture « Sous la Glace, les Braises »,3 et 4 Décembre 2005 au Château de Liviers à Lyas.

Thématique principale : travailler avec des artistes sur la prise de conscien-ce des enjeux environnementaux

Objectifs :- Rendre la prise de conscience des enjeux environnementaux collective- Résoudre les problématiques environnementales en retrouvant sa place etson rôle en tant que citoyen éco-responsable.- Expérimenter des solutions.- Se réapproprier le débat et la prise de décision vis-à-vis de la protection dela nature et de l’environnement,

Axes majeurs : Travail autour du Théâtre de l’Opprimé : Atelier de ThéâtreForum mené par Julian Boal (Représentation du Jana Sanskriti) ; Contes,musique, projections, expositions, ateliers, stands associatifs et artisanaux.

• 2ndes Rencontres Nature Culture : « Sous la Glace, les Braises »,1er au 3 Décembre 2006 au Château de Liviers à Lyas.

Thématique : Les enjeux de la modernité et la place de la science dans lasociété

Objectifs :- Réfléchir aux enjeux collectivement : organisation d’une « Tempête deCerveaux »- Solliciter les réseaux associatifs pour réunir autour d’une table des penseurs,des scientifiques, des militants, des étudiants, etc.- Faire émerger une trame de réflexion commune, enrichie par l’expérience etle regard de chacun.

Axes majeurs : « table ronde sur les enjeux de la modernité »Projection du film « le silence des Nanos » et discussions avec le réalisateurContes, théâtre, musique, projections, ateliers, expositions, stands associa-tifs.

• 3ème Rencontres Nature culture : « En Tout Sens »9 et 10 novembre 2007 au centre des Mésanges à Darbres.

Thématique principale : Apporter des témoignages et réfléchir à l’action mili-tante face à la conjoncture sociétale et amorcer un changement de cap.

Objectifs :- Retrouver du sens par la pratique et la réflexion- Donner de la matière à penser par le biais de contes, de témoignages etd’ateliers- Faire émerger de nouveaux projets et poser les jalons pour une restructura-tion cohérente de la société.- Relier et dynamiser les différents réseaux associatifs

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Axes majeurs : Deux intervenants principaux : Mohammed Taleb, éco-forma-teur et philosophe et Louis Espinassous, animateur, naturaliste et conteur,ainsi que des discussions, balades, ateliers, expositions, contes et musique.Au fil de ces trois rencontres, notre réflexion s’est étayée et enrichie, il estdevenu évident que notre culture, dans sa forme contemporaine, a placél’homme dans une position inconfortable, en l’extirpant de son origine biolo-gique pour en faire un être rationnel, cartésien, placé sous l’égide de laScience et en quête de nouvelles technologies salvatrices.

A ce train-là quid de l’humain, de sa sensibilité et de ses émotions ? Plutôt quede cloisonner les disciplines, les compétences et de définir chacun en fonctiond’une propriété dominante, il nous semble important de rendre possible une« entièreté » en redonnant de la place à l’abstrait, au flou et en gommant lescadres rigides contraignants.

C’était une des premières raisons d’être de l’éducation à l’environnement :Aborder de multiples disciplines, en interaction complète avec le public. C’estaussi une chose qu’il est nécessaire de reprendre dans la sensibilisation dugrand public.

Dans les domaines de l’Art et de la Culture, la part sensible est à l’honneur, ilest donc nécessaire de créer des ponts entre les associations de protectionde la nature et les artistes, les institutions culturelles, etc. pour mener desprojets transdisciplinaires pertinents.

Cela s’est fait de façon occasionnelle au cours des trois éditions, mais noussouhaiterions désormais que ces liens deviennent systématiques.

D’autre part, la modernité entraîne des changements radicaux dans notresociété, il est donc nécessaire de comprendre ces changements, de lesaccompagner en prenant compte des nouvelles données induites par ceschangements tout en gardant à l’esprit les grands objectifs de notredémarche.

Le travail en réseau, autour d’un projet commun et notamment les rencontresNature Culture, a jusqu’à présent permis de créer des manifestations richeset conviviales, bien perçues et appréciées du public. Les rencontres consti-tuent en effet une grande ruche associative et culturelle, qui se constitue aufil de leur organisation et essaime tout azimut une fois les rencontres termi-nées.

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Fiche projet Nature Culture 2008

CONTEXTEL’écologie connaît une mutation. D’un combat pour la protection de la natureet de la biodiversité, elle défend aujourd’hui la survie de l’humanité.Nature Culture, non–humain / humain : retrouver du lien, du sens pour un mili-tantisme moderne.Notre but est de préserver la biodiversité (dont l’Homme) et pour l’Homme.L’Homme dans sa définition philosophique, corps, esprit et âme. Or, notresociété, notre message et notre approche de la problématique sont ration-nels. Les faits nous montrent que cela ne suffit pas, il faut sensibiliser cestrois piliers qui fondent l’humanité. Pour nous, tout ce qui touche à l’affectrépond à ce critère, et depuis des millénaires seul l’Art métamorphose l’hu-manité.

Nature Culture est l’émergence de cette réflexion, rencontre entre les repré-sentants de la société et le monde artistique pour retrouver du sens à notremessage.

La Frapna Rhône a mené un projet basé sur la pratique : par la mise en placed’une exposition « Brin d’Art » et des cahiers Nature Culture, fruits d’échangesavec les artistes.

La Frapna Ardèche a fondé sa démarche sur la recherche, l’expérimentationet sur le sens avec le projet « Allier l’imaginaire et le rationnel pour une meilleu-re compréhension du message environnemental ».

Partant de parcours différents par la forme mais identiques sur le fond, laFrapna Rhône et la Frapna Ardèche ont souhaité mutualiser leurs expériencesau travers d’un projet commun et régional.

OBJECTIFS- Mutualiser, co-former, rencontrer, échanger sur les travaux et les réflexionsau sein de la FRAPNA et des autres mouvements associatifs, artistiques etphilosophiques.- Faire évoluer la pratique des militants et des éducateurs à l’environnement.- Sensibiliser un large public pour une prise de conscience réelle et forte desenjeux d’un changement de paradigme de notre société.

PUBLICGrand public, artistes, philosophes, sociologues, économistes, élus, anima-teurs, adhérents,…

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DESCRIPTION DU PROJETLa rencontre se déroulera sur deux jours avec une double cible.

Jour 1 : consacré à la recherche, au sens et à l’immersion par des confé-rences, des débats des réflexions, et aussi une approche sensible (spectacle).Journée ouverte à la FRAPNA : adhérents, associations membres, élus etsalariés.

L’objectif est de sensibiliser l’ensemble de l’association pour initier la métamor-phose culturelle.

Jour 2 : dans la continuité de la première journée, mais ouvert au grand publicpour une réflexion encore plus large. La manifestation s’articulera autour despectacles, de conférences, voire les deux mélangés et d’ateliers (poésie, landart).

PARTENARIATDe nombreux partenaires institutionnels et associatifs ont soutenu notre pro-jet : le Conseil Régional Rhône-Alpes, la Direction Départementale de laJeunesse et des Sports de l’Ardèche, la Fédération des Familles Ruralesde l’Ardèche, qui nous ont proposé la location du site à des tarifs préféren-tiels.

A cette occasion, nous avons aussi sollicité l’entreprise Euronat afin qu’ilssoient partenaires de ces rencontres. Nous avons donc pu bénéficier de nom-breux produits issus de l’Agriculture Biologique. (Céréales, biscuits et apéritifs)

Nous tenions à proposer une restauration en cohérence avec nos valeurs, etavons demandé au restaurateur du château de choisir des menus composésà partir de produits de saison, locaux de préférence. Nous nous sommeschargés de mettre en place une buvette proposant des boissons issues del’Agriculture Biologique ou raisonnée, commandées auprès de producteurslocaux.

La participation d’Euronat nous a donc permis en partie de répondre à cesobjectifs et l’équipe en cuisine a fait, elle aussi, un effort dans ce sens.

Enfin, les intervenants et ceux qui ont animé les différents ateliers sont à citereux aussi comme étant des partenaires de cet événement, qui tire toute sarichesse de la participation et de l’implication des différents acteurs de cesjournées.

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Lettre envoyée en guise de présentation des rencontres

La destruction de la biodiversité, le réchauffement climatique, sont des faitsavérés et compris par la majorité des citoyens mais, bien que chacun aitconscience des atteintes portées à notre patrimoine et à nos ressourcesvitales, les comportements et les mentalités évoluent lentement et aucunchangement significatif ne semble découler de cette compréhension unique-ment rationnelle.

Cet état de fait étonnant mérite une réflexion. Bien que tout le monde puissecerner les enjeux, juger et transmettre des arguments, il n'y a cependant pasce qu'on pourrait appeler une « appropriation », ni une véritable prise deconscience ni de changement dans les actes quotidiens.

Généralement, seuls se sentent vraiment concernés les militants qui sont àl’origine de la création de nos associations. Leur implication dans une causen’est pas une décision rationnelle, ils répondent juste à un besoin quasi « vis-céral » d’agir afin de préserver les êtres vivants pour lesquels ils se passion-nent et plus largement, pour la sauvegarde de notre environnement.

Notre culture, dans sa forme contemporaine, a placé l'homme dans une posi-tion inconfortable, en l'extirpant de son origine biologique pour en faire un êtrerationnel, cartésien, placé sous l'égide de la sacro-sainte Science et en quêtede nouvelles technologies salvatrices.

Il est cependant fort probable qu’une des premières erreurs du monde scien-tifique, notamment, est de se penser comme être rationnel et donc de vouloirmaîtriser rationnellement la nature.

Les associations de protection de la nature ont elles aussi laissé une grandeplace à l’étude, à l’expertise et aux argumentaires bien ficelés. Cela a permisune reconnaissance de la part des institutions et de tenir un rôle importantdans la vie « politique » de ces dernières décennies. Mais l’on se rend comp-te désormais que notre légitimité d’experts en écologie n’est pas suffisante etque notre discours n’a pas fait évolué les comportements durablement.

Nous sommes aujourd’hui convaincus qu’il faut impérativement faire appel àl’approche sensible, non rationnelle, de tout un chacun pour une prise deconscience globale et pérenne des enjeux qui pèsent sur nos sociétés sanspour autant négliger notre approche scientifique et naturaliste.

Pour remplir efficacement notre rôle de veilleurs, nous nous devons de porterun regard éclairé sur la société moderne et le cap qu’elle doit franchir afin del’accompagner dans ce changement.

Pour ce faire, il est nécessaire de travailler en partenariats étroits avecd’autres acteurs de la prise de conscience collective : les artistes, les philo-sophes… qui accordent une grande attention à l’affect et au sensible afin demener des projets transdisciplinaires pertinents.

Nous avons donc rencontré des conteurs, musiciens, plasticiens… Nousavons écouté et discuté avec des penseurs, chercheurs, philosophes, socio-logues pour faire évoluer notre message et nos pratiques en travaillantensemble au changement des consciences.Les rencontres Nature Culture organisées les 14 et 15 novembre 2008 sontle fruit de cette réflexion et de la mise en commun régionale de ce projet menépar les départements de l’Ardèche et du Rhône.

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La journée du 14 novembre sera dédiée au mouvement FRAPNA (rencontredes salariés et administrateurs des différentes sections départementales). Lesamedi 15 novembre, seront invités à nous rejoindre toutes les associationsfédérées ainsi que nos réseaux sympathisants.

Ces rencontres se dérouleront dans un esprit de mutualisation, d’échange etde convivialité. Ce dernier ingrédient étant le terreau nécessaire à la germina-tion de pensées nouvelles.Des intervenants viendront étayer notre réflexion et proposer des ateliers pra-tiques au cours de ces rencontres.

Nous lançons aussi une invitation aux bonnes volontés, aux associations quiont du grain à moudre, des projets à présenter, des savoir-faire à partager…pour nous rejoindre à l’occasion de ces rencontres et enrichir notre journée.

Nous espérons ainsi pouvoir développer de nouvelles pistes d’actions collec-tives, penser ensemble notre projet associatif et nos actions collectives,accompagner le changement de modèle sociétal et environnemental.

Une soirée festive sera ouverte au grand public, afin de clôturer ces ren-contres en beauté…

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« L'eau chemin de lumière…« eau » céan« eau » ssétie« eau » mage« eau » tan« eau » lala« eau » tesse

Je suis sur terreJe suis élémentJe suis source de vieJe suis source de bonheurJe suis un lacJe suis une rivièreJe suis la pluieJe suis précipitationJe suis un océanJe suis là mercrediJe suis Vie

Tu te laves. Tu te douches.Tu te brosses les dents.Tu nettoies. Tu essuies.Tu nages. Tu savonnes.Tu surfes. Tu fais du bateau.Tu bois. Tu gaspilles ?

Ploc, pschh, fff, glou-glou, plic-ploc, floc,...

Je suis une goutte qui tombe du ciel, qui traverse les nuages et lesimages, j'arrive sur terre et je ruisselle sur ton aile… merci »

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Textes collectés lors de l’atelier poésie et musique

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« De la goutte à la merMadame la goutte tombe du cielMais au juste est-ce une femme ?Dans son chemin elle rencontre ce rocDur et solide il brise ses rêves de chuteElle n'est pas la seule dans ce casCar ses sœurs aussi sont làElles glissent dans le lit que ses ancêtres ont forméAvec la pente et le temps elles deviennent fièresFières de former un peuple qu'elles appellent ruisseauxPuis les ruisseaux se retrouventIls grondent, se battent dans les tumultesMais à la colère suit le calme, la paixElles ont construit un fleuve, œuvre de leur longue glissadeA qui rien ne résisteDont les humeurs modèlent la vieMais alors que leur route traverse les paysagesElles approchent de la merMais au juste, n'est ce pas celle-là même qui les a vus naîtreElles se souviennentLe soleil les enivreEt au sommet de leur extaseElles se reprennent à rêver d'un jour d'orage »

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« On dit qu'elle se raréfie… De plus en plus…

Pourtant sa quantité est constante à la surface de la planète…

On dit qu'elle est puissante… Elle peut faire le bien comme le mal,là où elle passe… Elle valorise ce que l'homme construit commeelle peut détruire…

On dit qu'elle est pure… Mais pourtant, on n'a de plus en plus dedifficulté à la trouver potable.

Elle forme en un instant des petits coins de paradis… Des décorsqui finissent souvent dans l'arrière plan de publicités pour tel outel gel douche… Pour nous inciter… Pour nous faire rêver…

On dit qu'elle manque aux plus pauvres, aux africains…

On dit aussi qu'elle donne la vie…

Elle s'écoule… Ecoutez-la… Elle « glougloute »…

Pour le poisson qui finira pané, pour le sportif qui finira médaillé,pour le randonneur émerveillé par le petit ruisseau se baladantsur son sentier…

Elle nous fait peur, elle nous noie : tsunami et autres inondations…

Elle nous lave, nous fait boire… la source de la vie

Sous la peau brûlante du ciel

L’héliographie du Nil et l'alphabet des villages

Dans l'environnement il y a le Rhône

Il y avait l'incommensurable douleur Humaine,

A cause de l'eau il y a la guerre

Dans certains pays pauvres

L'eau aide à la santé, à vivre. »

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« Au fil de l'eauSe défiler vers l'eau delàCouler sans finDe haut en basFinalement, s'infiltrer sans effroiLa loi de l'eau s'égoutte sur moiElle coule et glisseMême parfois glaceLa réalité et ses délicesSe dessinent à sa surfaceL'eau sans ciel serait-elle bleueLa vie sans sel serait-elle mieuxL'homme sans elle serait-il heureuxL'âme éternelle est-elle à deuxL'eau sans ciel serait-elle bleuePlic, ploc, plic, ploc, la goutte dans l'évierPlic, ploc, le robinet est mal ferméPlic, ploc, ça fait des litres de gaspillésPlic, ploc, ça va finir par m'énerverPlic, ploc, c'est bon c'est décidéPlic, ploc, je vais me releverPlic, ploc… psh psh psh psh pshJ'en profite pour me désaltérerUn grand verre d'eau à grande gouléeFinalement, j'ai bien fait de me déplacerMaintenant que je suis réhydratéJe peux tranquillementretourner me coucher…Et lentement commencer à rêverEt… Plic, ploc… La goutte dans l'évier »

« Mettre de l'eau dans son vinPrendre une douche ou prendre un bainBoire un thé de bon matinEmprunter le parapluie à son copainSauter dans la flaque à pieds jointsCracher sur un pigeon, mais c'est mesquinCroiser Justine sur le pont Saint-Germain »

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L’œil du Ficus

Les Souris Vertes

Dans les laboratoires d'la police scientifiqueOn se pose des questions bientôt métaphysiquesCar il est signalé d'étranges apparitionsD'un animal capable de troubler la raison

Dans les jardins d'enfants on se creuse moins la têteDepuis la nuit des temps on connaît cette bêteQui au lieu de nager quand elle va dans l'eauSe transforme illico en un bel escargot

EtLes souris vertesCourentToujours dans l'herbe(même si) CesMessieurs nous disentQu'il faudrait qu'on les cuisent

Une unité spéciale est chargée de l'enquêteMonsieur le président et ses adjoints s'inquiètentCar la bête donne aux gens qui en ont la visionLe virus infernal de l'imagination

"Imaginez des gens qui imaginent tout l'tempsToujours la tête en l'air, le sourire dans les dentsComme dans une éternelle cour de récréationCe s'rait un vrai désastre pour la consommation"

Refrain

Mais moi dans mon sous-sol j'en élève des dizainesQui dans moins de deux mois m'en feront des centainesEt je les lâcherai dans les parcs publicsPour qu'enfin toute la ville devienne poétique

Refrain

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« Fragment sur la nature »

« La Nature ! Nous sommes par elle entourés, enlacés, - impuissants à nousen évader, impuissants à pénétrer plus profondément en elle. Sans nous enprier, sans nous en prévenir, elle nous prend dans le tourbillon de sa danse etnous entraîne jusqu’à elle, jusqu’à ce que la fatigue nous fasse tomber de sesbras. (…)

Nous vivons en plein milieu d’elle et lui sommes étrangers. Elle ne cesse denous parler, et ne nous trahit pas son secret. Nous agissons constammentsur elle, et n’avons pourtant aucun pouvoir sur elle. On dirait qu’elle a tout dis-posé en vue de l’individuel, et elle ne se soucie pas des individus. Elle construittoujours, elle détruit toujours, et son atelier est inaccessible.

Elle ne vit qu’en ses enfants ; mais la mère, où est-elle ? Elle est l’unique artis-te : de la substance la plus simple aux plus grands contrastes ; (…)

Elle est, de toute éternité, vie, devenir et mouvement, et pourtant elle n’avan-ce pas. Elle est en perpétuelle métamorphose sans qu’il y ait en elle un instantd’arrêt. Elle n’a aucune idée de la stabilité et elle a jeté l’anathème sur l’immo-bilité. Elle est ferme. Sa démarche est mesurée, ses exceptions rares, ses loisimmuables.

Elle a pensé et elle médite sans cesse : non comme un homme, mais commeNature. Elle s’est réservée une intelligence qui lui est propre, qui embrassetoute chose et dont personne ne peut saisir le secret. (…)Elle n’a ni langue ni discours ; mais elle crée des bouches et des cœurs parqui elle sent, par qui elle parle. (…)

Elle est tout. Elle se récompense et se punit elle-même, elle se donne elle-même ses joies et ses tourments. Elle est rude et tendre, aimable et terrible,faible et toute-puissante. Tout existe toujours en elle. Elle ignore le passécomme l’avenir. Le présent est son éternité. Elle est bonne. Je la loue avectoutes ses œuvres. Elle est sage et calme. On ne lui arrache pas d’explication,on ne lui extorque pas de cadeau qu’elle ne donne volontairement. Elle estrusée mais à bonne fin, et le mieux est de ne pas s’apercevoir de sa ruse.Elle est totale, pourtant toujours inachevée. (…)

A chacun, elle apparaît sous une forme particulière. Elle se cache sous milleidentités et reste toujours la même… »

Johann Wolfgang Goethe, homme politique et écrivain allemand (1749-1832)

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Théodore Monod

« A l’heure où dans tant de domaines s’installe le règne de la monotonie et del’uniformité, peut-être apparaîtra-il salutaire de méditer un instant sur les ver-tus de la diversité. L’union n’est pas l’uniformité : Il serait sans doute grandtemps de le reconnaître, et d’agir en conséquence. (…)

La symphonie n’est-elle pas faite de la variété des instruments, comme l’har-monie du tableau des polychromies de la palette ?

La beauté et la richesse d’un ensemble ne reposent-ils pas sur une juxtaposi-tion, sur une mise en commun d’objets discrets, séparés mais rapprochésdans un même concert et jouant « à l’unisson » ?

L’extrême variété des biens de consommation de la société industrielle ne doitpas faire illusion : il y a des voitures de plusieurs couleurs, mais ce qui comp-te, c’est « la voiture » (…).

Mais, dans la nature, la diversité c’est la vie, et la santé d’un écosystème semesure à la multiplicité de ses composants comme à la richesse des liaisonsinternes unissant ces derniers.

Que l’on songe à la vie d’un récif corallien, grouillant des animaux les plusdivers, liés à de multiples niches écologiques, juxtaposées peut-être, mais dis-tinctes, que l’on évoque la forêt dense équatoriale où s’empilent sur cinquan-te mètres d’épaisseur toute une série de mondes superposés, des grouille-ments obscurs et humides de la litière aux floraisons ensoleillées des cimes,ou que l’on considère simplement l’explosion de la vie printanière sous le cli-mat méditerranéen, la même constatation s’impose.

Alors, si l’on veut vraiment (c'est-à-dire au risque d’entrer en conflit avec la reli-gion du profit et les puissances d’argent) sauver ce qui peut encore l’être desprodigieuses polychromies de la nature, ne devrait-on pas s’orienter avecconviction, et au besoin avec courage, vers le respect de la variété et, corré-lativement, vers la lutte contre les envahissements sans cesse plus étendus,et plus grave, de la monotonie, de la « banalisation », où qu’elles se manifes-tent ? (…)

Il faut l’avouer, nous sommes mal préparés à savoir servir la nature, à lui obéirau lieu de la saccager, et l’anthropomorphisme triomphaliste et orgueilleux desgrands monothéismes ne nous a jamais appris à respecter, à interroger, àécouter, à comprendre, à aimer la nature, mais bien plutôt à la dominer, à l’ex-ploiter, au besoin à la mettre au pillage, attitude mentale si fortement enraci-née qu’il nous est très difficile de lui échapper. (…) »

Extrait du livre de Théodore Monod ; « Et si l’aventure humaine devaitéchouer », chapitre 9 : « Eloge de la biodiversité » ; aux éditions Grasset.

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Conte « Les savants et le lion »

Un jour d’entre les jours, deux savants se promenaient dans le désert.Nasruddin le Simple les accompagnait. Il avait reçu d’eux un sou pour éventerleur visage tandis qu’ils cheminaient. Ces deux conséquents érudits, traînantla babouche sous leur bedaine et devisant gravement, faisaient assaut de tantde science que Nasruddin, ébahi, en oubliait d’agiter sa branche de palmierdevant leur face. Il n’éventa bientôt plus que sa propre figure quand il enten-dit le premier de ces sages révéler à son acolyte :“- Ami très vénéré, donnez-moi n’importe quel relief de carcasse animale et jeme fais fort de reconstituer sur-le-champ autour de ces débris la chair dispa-rue de la bête, ses molécules, ses atomes, son sang, ses organes, sa peau,bref, son corps tout entier. N’est-ce point là de l’admirable biologie ?” “- Bagatelle, très estimé compagnon, répondit l’autre. Balbutiement de novice !Je suis, moi, capable - tenez-vous bien - d’insuffler la vie dans le corps de votrebestiole, de faire qu’elle se dresse sur ses pattes et respire à nouveau l’air dela Création ! Hé, ne sommes-nous point là à la hauteur de Dieu ?”

Devisant ainsi dans l’humble simplicité des sages, ils rencontrèrent au bord dusentier le crâne d’un lion. Les deux savants l’examinèrent avec une gourmandise d’experts, puis se défiè-rent de prouver l’étendue de leur science. Le premier marmonna quelques for-mules considérablement intelligentes et versa trois gouttes de potion sur lecrâne du fauve où l’on vit aussitôt repousser son museau, ses babines, salangue, sa royale crinière, son pelage luisant et ses pattes griffues. AlorsNasruddin le Simple, éventant la face, les épaules, les pieds du deuxièmesavant risqua sa misérable voix :

“Je ne doute pas de votre génie, ô sage illustrissime, dit-il. Vous êtes assuré-ment capable de rendre la vie à cette bête que vient de fabriquer votre col-lègue. Cependant, j’ose espérer que vous préférerez goûter à ces quelquesoranges que j’ai apportées pour vous.”

Il sortit de son sac, fébrilement, ses fruits. “Vous tremblez, c’est trivial, répon-dit le savant en riant doucement. Sachez, mon ridicule ami, que l’homme descience ne saurait prendre en compte les effrois des timorés et les jérémiadesdes obscurantistes. Il peut rendre force et souffle à la bête, il le fait. L’avenirest à ceux qui osent !”Il retroussa sa manche et, le geste assuré, il versa une goutte de son médi-cament sur le front du lion. La bête se frotta une oreille contre les cailloux.Une deuxième goutte mouilla le coin d’un œil, qui s’ouvrit aussitôt. Nasruddinlaissa là son sac et s’en fut chercher refuge sur la plus haute branche d’unarbre mort. Il vit de son perchoir une troisième goutte s’écraser sur lemuseau du lion endormi. L’animal se dressa, salua le soleil d’un rugissementfier. “Dieu ! dit l’homme de science, bras ouverts à l’extase, ne suis-je pas trèsgrand ?”

Dieu ne répondit pas, mais le lion le fit (les lions, c’est connu, parlent à coupsde crocs). Il lança une patte et l’autre, ouvrit sa gueule énorme, dévora lessavants, et se sentant soudain une envie de tendresse s’en fut la truffe au ventchercher une lionne parmi les dunes du désert.

« L’arbre d’amour et de sagesse », contes collectés par Henri Gougaud.

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Je suis l’homme

Je suis l'homme, je suis l'enfant,je suis la femme noire, la femme jaune, l'homme noir,l'homme jaune,l'homme blanc, je suis l'oiseau et le poisson et la tortue etle cheval qui court.

Je suis l'herbe et l'arbre.Je suis la mer et la montagne.

Si je fais du mal à une partie de moi,à l'enfant qui est en moi, à la femme qui est en moi,de n'importe quel pays, de n'importe quelle couleur,je me fais du mal à moi-même.

Aussi ai-je souvent mal à toutes ces parties de moi muti-lées, torturées,affamées, en quelque lieu du monde.Le jour approche où je serai entière et entier, où j'auraiassumé ma féminitude,ma mâlitude, ma négritude, ma jaunitude.

Julos BeaucarneCD :”L’hélioplane”. “20 ans de chansons” éditions ventouest. Le texte appartient aux éditions Louise HélèneFrance.

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Les tensions constitutives du “développement durable”Par Fabrice Flipo, 18 mars 2004

Résumé

La conceptualisation du développement durable en trois piliers est trompeuseet faussement évidente. A la critique, elle se révèle peu à la hauteur desenjeux. Deux des plus anciennes catégories sont ancrées dans les institutionsqui sont à l’origine du problème que le développement durable veut affronter.A l’examen, elles se révèlent enchâssées dans une culture du progrès datéeet en crise. Dans ces conditions, vouloir étudier, développer et renforcer “lesocial” comme une catégorie isolée et identifiée peut être contre productif parrapport aux objectifs du développement durable. Nous essayons de montrerque nous sommes confrontés à une crise des concepts qui président à l’orga-nisation collective. Il faut en prendre acte et tenir ce constat pour point dedépart. La difficulté, désormais, n’est peut-être plus tant d’approfondir lesrecherches dans les catégories existantes que d’ouvrir le dialogue démocra-tique et interdisciplinaire vers la construction de nouvelles catégories.

IndexMots clés :épistémologie, politique, sciences humainesPlan1. Les raisons des soupçons2. Une construction « diplomatique »3. Ce que révèle l’histoire des conceptsConclusion : et le social dans tout ça ?

Texte intégral

Cet article est principalement unetentative de déconstruction concep-tuelle du développement durableentendu comme reposant sur trois“piliers”. Le texte de l’appel à contri-bution du troisième dossier de laRevue “Développement durable etterritoire” nous a posé des pro-blèmes conceptuels tels que nous nesavions plus quoi répondre. Nousvoudrions ici essayer d’en rendrecompte de manière structurée. Pourfaire court, nous cherchons à mon-trer que vouloir séparer “le social” dureste des enjeux du développementdurable risque fort d’être contre pro-ductif du point de vue même des butsque l’amélioration du “social” se pro-pose. Notre thèse est qu’il est diffici-le de comprendre les enjeux poséspar le développement durable, enparticulier ceux qui sont ordinaire-ment classés dans la catégorie“sociale”, si l’on pose le problèmedans les termes de trois “piliers” quidésigneraient autant de secteursbien identifiés du monde dans lequel

a lieu l’activité humaine et qu’il suffi-rait de “développer” et d’harmoniserpour que le développement durableait lieu. Nous tentons de montrerque le problème auquel noussommes confrontés aujourd’hui n’estpas l’addition ou l’approfondissementde catégories existantes mais aucontraire leur remise en cause etleur réforme en profondeur. Cecinous conduit plutôt à chercher àouvrir des pistes vers de nouveauxconcepts.

1. Les raisons des soupçons

Recourir aux anciennes catégoriesrevient implicitement à estimerqu’elles peuvent relever les nouveauxdéfis moyennant quelques correc-tions. A voir l’ampleur de ces défisauxquels nous avons aujourd’hui àfaire face, cela pose question. Eneffet, l’architecture institutionnellemise en place depuis des décenniesvoire des siècles pour “se dévelop-per” est non seulement différentemais franchement contraire à ce quiserait nécessaire pour aller vers dessociétés durables. Quand on regarde

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le rapport que le PNUE a établi à l’oc-casion du Sommet de Johannesburg,dit aussi Rio +10 ou Stockholm +30,les résultats sont éloquents : en 30ans, il n’y a eu aucun progrès dansaucun des secteurs environnemen-taux décrits comme problématiquesen 1972 1. L’Agenda 21 avait déjàfait ce constat. Les destructions pro-voquées par les changements clima-tiques causés par les émissionshumaines de gaz à effet de serredoublent tous les dix ans et pour-raient coûter 100 % du produit mon-dial brut dès 2065 2 selon les ana-lyses les plus pessimistes. LePentagone s’inquiète aujourd’hui deseffets des changements climatiquessur l’équilibre géopolitique global 3.L’ampleur des changements néces-saires pour que l’espace écologique4 soit partageable, par exemple,donne la mesure du problème : divi-sion par 4 des émissions de gaz àeffet de serre, par 10 de la plupartdes consommations matérielles d’ici50 ans 5.

Tous les rapports montrent que lesenjeux à moyen terme sont trèslourds 6. Il est en effet acquis que lemode de vie industriel ne sera jamaisque l’apanage d’une minorité, spatia-le et temporelle. Comment les “paysen développement” réagiront-ils,quand il deviendra évident qu’ils nese développeront jamais, malgré lesefforts qu’ils ont consentis dans lesnégociations internationales et mal-gré des décennies de promesses despays industrialisés ? Nul doute quecela ne concourt pas au maintien dela paix mondiale. Le rapportBrundtland le disait déjà : “il n’est nisouhaitable, ni même possible, queles PED adoptent le même mode deconsommation que les pays indus-trialisés” 7.

Nous devons reconnaître que la criseactuelle est tout autre chose qu’unepetite remise en cause. Le rapportBrundtland reconnaissait d’ailleursque les buts habituels devaient êtreprofondément remaniés : “lesmêmes processus qui ont permis[les] progrès ont provoqué des orien-tations que la planète et ses habi-

tants ne pourront supporter encorelongtemps” 8. Non seulement cesprogrès ne sont plus au rendez-vous,mais bientôt ce sont les biens natu-rels dont l’humanité a bénéficié gra-tuitement jusqu’ici qui seront mena-cés. Le rapport Brundtland affirmaitd’ailleurs que “au strict minimum, ledéveloppement soutenable signifie dene pas mettre en danger les sys-tèmes naturels qui nous font vivre :l’atmosphère, l’eau, les sols et lesêtres vivants” 9. Comment avons-nous pu en arriver là ? L’écart entreles buts annoncés et les résultats esténorme. Les changements à effec-tuer aujourd’hui sont si importantsqu’il est illusoire de croire qu’ils puis-sent se produire du seul fait d’uneréorientation des institutions exis-tantes. Mettre les sociétés sur unevoie différente de celle de la purecroissance économique demandedes changements sociétaux très pro-fonds, et nul ne connaît aujourd’huide levier suffisant pour le faire.

L’abondance était la destination (étatfinal) de l’effort économique et social.Cet effort ne mène pas vers le butespéré. En l’état actuel des ten-dances, tout laisse penser que le butsera manqué de beaucoup.Lorsqu’on en arrive à un tel ordre degrandeur de l’erreur, c’est la raisond’être des catégories héritées qui estmise en question. Etant contempo-raines du problème, il est possiblequ’elles jouent un rôle non pas dansla solution du problème mais plutôtdans le maintien du statu quo, contri-buant ainsi à dégrader encore un peuplus la situation. La première choseà faire devrait être d’essayer de com-prendre le rôle que les catégories“social” et “économique” ont jouédans l’émergence des problèmes.Bien plus que de servir de point d’ap-pui, ces catégories devraient doncfaire l’objet de tous les soupçons.

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2. Une construction «diplomatique»

Les motifs de soupçon se renforcentlorsqu’on examine le contenu de cha-cun des trois concepts. Depuis leXIXème siècle, au moins, “l’écono-mie” et “le social” représentent deuxsecteurs bien identifiés de l’activitéhumaine ou au moins occidentale.L’économie désigne le secteur de laproduction de “richesses”. Le socialest l’ensemble des activités permisespar la redistribution de la richessecréée par ce premier secteur 10.L’Etat réalise la synthèse entre cesdeux parties antithétiques et pour-tant complémentaires des sociétésmodernes. Ces deux premiers pilierscorrespondent à un ensemble établide secteurs d’activités et de disci-plines scientifiques. L’économie ren-voie à la gestion, la comptabilité,etc., tandis que le social renvoie àl’emploi, aux syndicats, à la divisiondu travail et aux droits de l’homme dedeuxième génération. On peut regret-ter ou se réjouir de la faiblesseactuelle du secteur social par rap-port au secteur économique, maisen tout cas aucun théoricien dessociétés industrielles n’a jamais tenul’un pour indépendant de l’autre.

L’économie a toujours été conçuecomme devant être au service detous. Les uns et les autres ont tou-jours parlé de “redistribution” desrichesses économiques, prenantl’économie pour le moteur principalvoire unique de la création derichesses. Libéraux et marxistes ettoutes leurs composantes se sontaussi accordés sur l’objet de la scien-ce économique : la création et l’aug-mentation de la richesse des nations.Ils se sont aussi accordés sur le faitque c’est le mode de production quidétermine principalement l’organisa-tion sociale (liberté économique ver-sus autogestion). Pour l’essentiel, ilexistait un consensus : l’économieest la mégamachine qui produit lebien commun, le “gâteau” qu’on peutensuite partager. La divergence n’aporté que sur les moyens (main invi-sible pour les uns, socialisme pourles autres) et les critères de redistri-bution (à chacun selon son mérite, àchacun selon ses besoins). Le conflit

politique principal des sociétés adonc pu être théorisé comme étantcelui de la redistribution et plus géné-ralement de la définition des droitsde propriété. L’économie sociale saitdonc à peu près définir son objet : àniveau de richesse donné, son butest de mieux répartir les richessesproduites et les efforts consentispour les produire. Poussée jusqu’aubout, elle recherche l’égale réparti-tion des efforts fournis et desrichesses tirées de la coopérationcollective. Elle s’accorde sur la défini-tion économique de la richesse, etelle fait de cette richesse la clé detoutes les autres richesses et detous les droits sociaux, comme lesautres variantes de l’économie.

Le troisième concept est très diffé-rent. Arrivé plus tardivement, dans ladeuxième moitié du XXème siècle11, il reste assez mal défini 12 : “laquestion de base suscitée par lechamp de l’environnement est desavoir comment penser l’intégrationde sujets humains et d’êtres non-humains dans une même représen-tation” 13. L’environnement n’est niun intérêt catégoriel ni un problèmede redistribution. Ce n’est pas uneinstitution. Ce n’est pas non plus unfacteur de production. Les pro-blèmes d’environnement ne peuventpas être vus, compris ni pris en char-ge par les sciences, institutions ouorganismes existants mais par desentités interdisciplinaires et intersec-toriels 14. Ils sont entre les péri-mètres établis des institutions, ycompris les périmètres dessciences. N’avoir à son arc qu’uneseule discipline, en matière d’environ-nement, c’est toujours être aveugle àquelques-uns des déterminants prin-cipaux du problème posé.

“L’environnement”, c’est plutôt le lieudes “effets pervers” 15, “accidents”et autres événements néfastes etimprévus produits par les deuxautres catégories. Ces catégoriesavaient été construites dans le butd’ordonner l’activité humaine demanière à produire un environne-ment d’abondance. Au terme del’épopée du développement, caracté-risé essentiellement par la croissan-

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ce des forces productives, les êtreshumains devaient jouir d’un environ-nement digne du jardin d’Eden. Or ilsemble qu’il se pose certains pro-blèmes imprévus et mal compris. Lascience de l’abondance devait produi-re de l’abondance, or elle produit desrisques majeurs et de la dégradation.La catégorie “environnement”, c’estdavantage l’ensemble des phéno-mènes “anormaux” qu’un élémentbien identifié. L’environnement est lelieu des échecs grandissants desdeux premières catégories. Il endéconstruit les acquis, indiquant enparticulier que les richesses pro-duites par les deux premières caté-gories ne sont pas de vraiesrichesses puisqu’elles ont “oublié” deprendre en compte leurs propresconditions de reproduction, ce qui,quand on se fixe pour but d’atteindrel’abondance durable, n’est pas uneerreur de détail. La critique dite “éco-logiste”, dont on peut trouver les filia-tions ailleurs, peut semble-t-il êtrerésumée par la proposition suivante :les moyens mis en œuvre par cequ’on appelle “le développement”,qu’il soit durable, humain ou autre,sont contre-productifs par rapportaux objectifs qu’il s’est lui-mêmefixés, à savoir la pérennité de l’abon-dance.

L’environnement ne traduit doncpeut-être pas tant l’existence de pro-blèmes “d’environnement” que deproblèmes d’orientation et de struc-turation de l’action collective. Le pro-blème n’est pas “dehors” mais“dedans”. C’est la raison d’être descatégories héritées qui est interro-gée, au point d’être soupçonnéesd’avoir été à l’origine des problèmesactuels. La juxtaposition classiquedes trois catégories sous la forme de“trois piliers” relève davantage d’uncompromis “diplomatique” temporai-re que d’un travail réellement fouillésur leur sens, que ce soit du point devue théorique ou de point de vue pra-tique. Utiliser ces catégories hors ducontexte onusien risque donc de ren-forcer les problèmes plutôt que deles résoudre.

3. Ce que révèle l’histoire desconcepts

Et il faut aller plus loin. “Economie” etsocial” étaient des catégories struc-turées au sein d’un “développement”vu comme l’histoire de la dominationprogressive de l’homme sur la natu-re. L’idée de “destin” hante la plupartdes discours sur le “développementtechnique”, depuis la ruse de l’histoi-re kantienne 16 jusqu'à Rostow 17,en passant par Marx 18 et les dis-cours contemporains sur “le pro-grès” 19. Dans cette vision, les pro-blèmes tels que les pollutionsnucléaires (déchets, explosions, etc.)ou les changements climatiques sontdes événements temporaires ou invo-lontaires. Ce sont des “accidents” deparcours, des dysfonctionnementstemporaires destinés à disparaître,rien de plus 20. Rien n’est irréver-sible, de toute façon, car les pouvoirsde l’être humain, destinés à grandirsans cesse, pourront à l’avenir toutreconstruire. La substitution du capi-tal technique au capital naturel estinfinie en droit 21. Il n’y a donc paslieu de s’inquiéter.

Aucun des problèmes rencontrés nedoit remettre en cause les orienta-tions fondamentales de l’actionhumaine, qui doit rester guidée parles mêmes objectifs et les mêmesrituels : produire et consommerdavantage, modifier toujours plus lanature, etc. En 1959, alors que l’hy-pothèse de changements climatiquesprovoqués par des émissions mas-sives de gaz à effet de serre est dis-ponible depuis plus de 80 ans, AlainMichel, dans le mensuel Science &Vie, affirme encore avec véhémencequ’il n’y a “aucune raison de s'inquié-ter” : il faut plutôt avoir confiancedans les pouvoirs de la science pourtrouver les thermostats planétairesavant le déluge 22. Quand AlfredSauvy affirme en 1973 que le niveaudes mers risque de monter de 70mètres 23, pas davantage de réac-tion, pas de renforcement des pro-grammes de recherche, pas de remi-se en cause des émissions de gaz àeffet de serre. De même, quand lespartisans du nucléaire promettent

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l’élimination prochaine du dangerconstitué par les déchets nucléaires,ils n’ont pas à le prouver, c’est aucontraire à ceux qui affirment qu’il ya danger de prouver leurs dires. Il ya là un naturalisme redoutable :notre conception du destin de l’espè-ce humaine a la valeur d’une loi natu-relle qui déciderait pour “nous”, et“nous” dédouanerait d’une penséeréellement politique. Si l’avenir estécrit, pourquoi en discuter ?Pourquoi devrait-on faire l’effort depenser l’avenir dès lors que ce der-nier est écrit à l’avance ? Nousdevions retrouver l’Eden perdu. Lesefforts successifs des êtreshumains, chaque génération juchéesur les épaules de ses aïeux,devaient arriver à “remettre la natu-re à l’endroit”. Il suffisait d’avoir la foi24, car “l’humanité a toujours pro-gressé en mettant la nature à sonservice” 25 et il ne saurait être pos-sible que l’inverse se produise.

En fait de “maîtrise de la nature”,c’est plutôt l’ampleur des déficiencesdu savoir orthodoxe sur la nature quise fait jour. Les théories descriptivesde la nature ont échoué : contreNewton, Galilée et Laplace, le grandlivre de la nature n’est pas écrit enlangage mathématique. Régie pardes phénomènes chaotiques mal pré-visibles, la maîtrise des phénomènesnaturels a été déçue. Il existe unehistoire naturelle dont nous faisonspartie et qui ne peut pas se réduire àun ensemble de lois simples dontnous pourrions un jour nous rendre“comme maîtres et possesseurs”26. Les lois mises en évidence dansles laboratoires ne sont pas néces-sairement les mêmes que celles quisont valides dans un autre lieu de lanature. La science ne produit plus lamaîtrise, et le pouvoir semble incon-trôlé. La théorie de l’histoire naturel-le de l’humanité n’a pas mieux réussi.La main invisible n’harmonise pas lesrelations des actions humaines avecles autres êtres vivants naturels niavec les processus naturels. Rienn’indique que le Plan rencontredavantage de succès. Les consé-quences de l'action sont mal antici-pées, puisqu'elles sont basées sur

des théories négligeant un certainnombre de facteurs clé à l'œuvredans le réel. Les actions produisentdonc toujours davantage de maux,toujours plus graves. L'effondrementdes ressources et des capacités decharge naturelles dont le concoursest requis pour maintenir l'ordreindustriel entraînerait avec lui l'effon-drement de l'ensemble de l'ordremondial. L'Eden ne se produit pas.C'est au contraire l'Enfer qui sembleau bout du tunnel. L’avenir radieuxs’est transformé en une dangereusenémésis 27.

De “ressources” en “environnement”,ce n’est peut-être pas tant une nou-velle catégorie qui se construit quel’évidence des anciennes catégoriesqui s’estompe. Ce qu’on appelle “lacrise environnementale”, qui est àl’origine de la construction duconcept de développement durable,semble être moins l’histoire del’émergence d’une nouvelle catégorieque l'histoire de l’échec des catégo-ries anciennes. Le problème principalsemble plutôt résider dans la repré-sentation collective et partagée queles sociétés “développées” ou “endéveloppement” se font de leurpropre nature, de leur origine, deleur raison d’être et de leur avenir. Lerapport de la Commission sur laGouvernance Mondiale témoigne decet effritement des anciennesréponses : “il nous faut accepter quel'idée de progrès n'est pas seulementl'œuvre du destin, mais le fruit denotre travail” 28. Si les anciennessources de réponses se sont taries,où trouver de nouvelles sources ?Que doit-on répondre maintenant ? Ils’agit ici d’un problème existentiel etcosmologique, plus profond qu’unesimple divergence politique. Et si lessociétés cherchent aujourd’hui à sepenser d’une manière différente,alors le maintien des catégoriesanciennes risque de freiner cet élancréateur et émancipateur. Plutôt qued’approfondir les catégories héritées,au risque de les réifier, l’effort devraitdonc porter sur leur déconstructionet leur ouverture vers d’autres pos-sibles.

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Conclusion : et le social dans toutça ?

Avant de savoir comment améliorerle social afin qu’il contribue au déve-loppement durable, nous devons défi-nir précisément ce qu’on entend par-là et en quoi cette catégorie peutcontribuer à résoudre le problèmeposé. On peut bien sûr définir “lesocial” par la négative : la réductiondes inégalités, des exclusions, etc.Mais de manière positive, de quoiest-il question ? D’améliorer lesconnaissances ? Mais à quoi servi-ront les connaissances développéespour des techniques basées sur desressources épuisables ? Ne devien-dront-elles pas désuètes ? Se soucie-t-on encore de savoir domestiquer ledodo ou chasser le mammouth ? Leproblème est-il bien de développerdes connaissances pour lutter contreles maux créés par les êtreshumains, ou au contraire de luttercontre les maux eux-mêmes? Cesavoir est-il bien un progrès, ou est-ce plutôt une contrainte supplémen-taire ? Est-ce alors d’accroître l’em-ploi ? Mais quel est l’avenir des activi-tés non durables ? Est-ce la santé ?Vivre plus longtemps, oui mais pourquoi ? Travailler toute sa vie et ensui-te finir en maison de retraite sousassistance médicale ? Les questionssont nombreuses et ne peuvent passe ramener sans perte à une simplequestion de quantité d’un actif donné.

Nous recherchons tous une manièrede poser le problème qui rende pos-sible son traitement politique. Il estpréférable d’en revenir à des réfé-rences moins marquées culturelle-ment. La philosophie a son mot àdire ici, non pas en tant que pour-voyeuse de solutions politiques etidéologiques, car comme l’on sait lachouette de Minerve s’envole à latombée de la nuit, mais en tant qu’ai-de à la clarification conceptuelle.Plutôt que des terrains de rechercheou des catégories opérationnelles depolitiques publiques, la conception entrois piliers devrait être comprisecomme un aide-mémoire pédago-gique. Le développement durable,c’est quelque chose qui n’est pas

encore identifié. Cela signifie queseule une approche pluridisciplinaireest susceptible de trouver des nou-velles catégories pour l’action. Ungrand nombre de conflits a été trou-vé, maintenant il faut plutôt travaillersur les synergies, dans les conceptscomme dans les pratiques. Les cher-cheurs devraient donc non seule-ment être au plus près de la deman-de collective mais aussi la nourrir pardes efforts de vulgarisation et de dia-logue démocratique sans précédent,en particulier en éclairant les diver-gences collectives. Nous avons unimmense travail à faire pour refonderles catégories nous permettant derepenser le monde. Et c’est là un tra-vail proprement politique, et non passeulement un travail théorique.

Notes

1 PNUE, Global EnvironmentalOutlook – GEO-3, NY, Oxford : OxfordUniversity Press, 2002.2 A. Meyer, Contraction &Convergence – The Global Solution toClimate Change, SchumacherBriefings, 2000.3 D. Stipp, Climate collapse : ThePentagon's Weather Nightmare, inFortune, Feb. 9, 2004.4 F. Flipo, L'espace écologique - Surles relations de l'écopolitique interna-tionale à la philosophie politique clas-sique, in Ecologie & Politique, n° 26,2002.5 E. Weiszäcker von & al., Facteur4, Paris : Terre Vivante, 1997. Voirla Déclaration du Club Facteur 10 :http://www.factor10-institute.org6 PNUE, op. cit., 2002. GIEC,Troisième rapport d’évaluation,2001.7 Commission Mondiale surl’Environnement et le Développement(CMED), Notre avenir à tous,Montréal : Editions du Fleuve, 1988,p60.8 CMED, ibid., p2.9 CMED, ibid., p53.10 Voir par exemple le Dictionnairede la pensée politique – Hommes etidées, Paris : Hatier, 1989, Ed. orig.London : Basil Blackwell, 1987,article “Social-démocratie”11 C. Larrère, article “environne-

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ment”, in D. Lecourt (dir.),Dictionnaire d’histoire et de philoso-phie des sciences, Paris : PUF,1999.12 D’ailleurs il ne figure que dansdes dictionnaires très récents – cf.C. Larrère, ibid., 1999.13 O. Godard, Le concept d’environ-nement, une hiérarchie enchevêtrée,in C. & R. Larrère, La crise environ-nementale, Paris : INRA Editions,1994, pp97-112.14 M. Rémond-Gouilloud, Du droitde détruire – Essai sur le droit del'environnement, Paris : PUF, 1989.15 comme le remarquait déjà H.Jonas, Le principe responsabilité,Paris : Flammarion, p.350. Voiraussi par exemple J. Theys,L’environnement au 21ème siècle :continuité ou rupture ?, in J. Theys(dir.), L’environnement au 21ème

siècle - Les enjeux, Paris : Germes,1998, pp31-64.16 E. Kant, Idée d’une histoire uni-verselle du point de vue cosmopoli-tique, 1784, 8ème proposition.17 W.W. Rostow, Politics and theStages of Growth, Cambridge :Cambridge University Press, 1971,Ed. orig. 1959

18 K. Marx, L'idéologie allemande,Paris : Editions sociales, 1957, Ed.orig. 1845.

19 Ainsi G. Hottois : “mon hypothè-se est que la dynamique technoscien-tifique d'émancipation par rapport àtoute contrainte symbolique et bio-physique donnée est en soi bonne” inG. Hottois, Le signe et la technique,Paris : Aubier, 1982, p. 146.

20 Voir P. Virilio, Ce qui arrive,Paris : Galilée, 2002.

21 Ce qui conduit par exemple à l’hy-pothèse d’une substituabilité infiniedes services artificiels aux servicesnaturels – cf. R. Solow, 1992 cité inGIEC, Second Rapport d'Evaluation,1995, p. 139.

22 A. Michel, Le charbon que nousbrûlons réchauffe la Terre ; consé-quence possible : le déluge, inScience & Vie, n° 500, mai 1959,pp123-126.

23 A. Sauvy, Croissance zéro ?,Paris : Calmann-Lévy, 1973.

24 Pa. Taguieff, Du progrès, Paris :Librio, 2002.

25 Appel de Heidelberg, publié le 1er

juin 1992 avec 264 signatures descientifiques de diverses disciplinesmais parmi eux aucun écologue, citéin Archimède & Léonard, Hors-Sérien° 10, Hiver 1993-1994, p90.

26 Descartes, Discours de laméthode, 1619, sixième partie.

27 La fable, c'est le destin cos-mique de l'humanité qui quitte laTerre avant l'explosion du Soleil, aumoyen d'un environnement purementartificiel, avec toutes les connota-tions mystiques et religieuses de lapureté. Jesse H. Ausubel, The liber-ation of the Environment, 1996, citéin A. Grübler, Technology and globalchange, Cambridge : CambridgeUniversity Press, 1998.

28 Commission sur la gouvernanceglobale, 1994, Notre voisinage glo-bal, Nations Unies. URL :http://www.cgg.ch

Pour citer cet article

Référence électronique

Fabrice Flipo, « Les tensions constitu-tives du “développement durable” »,Dévelop-pement durable et territoire,Points de vue, mis en ligne le 18mars 2004.

URL : http://developpementdu-rable.revues.org/document1041.html. Consulté le 01 octobre 2008.

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21 T. Paquot, Utopies et utopistes, Paris, La Découverte, 2007.22 E. Kant, Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, Paris, Gallimard, 1985, Ed. orig. 1784.

La Terre, 2108 : un archipel de communautés autonomesPar Fabrice Flipo

Résumé

Cet article entend montrer à quel monde nous aboutissons lorsqu’est généra-lisée l’institution des services écologiques de res nullius en res communis.Nous nommons « utopie écologiste » un tel projet dont le maître-mot est deconjurer la Tragédie des Communs entrevue par Garrett Hardin comme le pro-ductivisme avéré des anciennes économies planifiées. Cette utopie impliqueune forme de culture universelle fort différente à la fois de celle entrevue parMarx et de celle des partisans de la « lex mercatoria ». Le premier pariait surl’expansion des forces productives pour unifier, notamment sur le plan maté-riel, l’ensemble de l’humanité, tandis que les seconds misaient sur l’échangemarchand. L’utopie écologiste unifie par la juste séparation des communautés,au nom de l’écologie, et non par une rationalisation économique du monde quiaboutirait à une même « littérature mondiale » comme le prédisait Marx. Cetteutopie comporte toutefois quelques implications qui ont jusqu’ici été peu éla-borées : l’éthique de la société civile dans cette utopie, la place de l’Etat et cellede la technique. L’utopie écologiste fait jour sur une émancipation qui sembleplutôt faire retour à Kant qu’à Marx ou Smith.

Mots-clés : écologie, cosmopolitisme,utopie, mondialisation.

Qu’est-ce que l’utopie ? L’ouvragerécent de Thierry Paquot fait le pointsur le sujet21. Nous nous appuieronsici sur une interprétation kantiennede l’utopie en tant « qu’Idée régulatri-ce » de la raison. En ce sens, l’utopieest le résultat des conclusionslogiques de la raison pratique lors-qu’elles sont mises en œuvre jus-qu’au bout de leurs conséquences.La raison pratique n’a pas de lieuconcret dans le présent car elle n’apas de réalité empirique, elle estd’ordre conceptuelle, appelle ledonné à être différemment. Mais ellen’est pas non plus dénuée de réalitétout court : l’utopie est l’état dumonde vers lequel elle tend, dansses efforts pour transformer le pré-sent. Elle est ce à quoi aboutitconceptuellement la raison pratique,qui est l’instrument qui permet deséparer le légitime de l’illégitime, lejuste de l’injuste. L’utopie, en cesens, est émancipatrice : elle est cequi doit avoir lieu dans le monde pourque le règne de la raison et de la jus-tice advienne parmi les êtreshumains.

Les utopies auxquelles nous nousintéressons ici sont des utopiestransnationales, cosmopolitiques,car les enjeux réunis diplomatique-ment sous le terme « développementdurable » posent le problème desavoir comment pacifier le genrehumain en tant que tel. C’est Kantest considéré comme la référence etle précurseur dans ce domaine, aumoins en Occident. Pour Kant, la paixperpétuelle et cosmopolitique est laconséquence de l’émergence de laraison pratique universelle22, enfinsortie de son « état de minorité »,c’est-à-dire dégagée de ses préjugéset de l’obscurantisme religieux.C’était là l’un des projets les pluschers des philosophes des Lumières.L’idée kantienne fut largement repri-se au 19ème siècle. Mais elle fut aussifortement déformée, notamment parHegel, Marx et les héritiers d’AdamSmith. La « loi universelle » prit laforme du « développement », dontl’universalité est aujourd’hui question-née.

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23 FOEE, Europe soutenable, 1995, ronéotypé.24 P. Raynaud, « Libéralisme », Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996.25 World Bank, World Development Report 1999-2000, pp.60-61. Notre traduction : « Les institutions du commerce internationalsont des moyens ordonnés à une seule fin : l'accroissement du bien-être social. »26 R. Allard, La Querelle sur le Luxe au 18ème siècle – Voltaire, Rousseau et la question du bonheur, mémoire de maîtrise, UQAM,2003. J. Marseille (dir.), Le luxe en France, Paris, ADHE, 1999. J. Castarède, Histoire du luxe en France, Paris, Eyrolles, 2007.

http://agora.qc.ca/thematiques/rousseau.nsf/Theses/La_Querelle_du_luxe_au_XVIIIe_siecle

Nous nommons « utopie écologiste »un projet dont le maître-mot est deconjurer la Tragédie des Communsexposée par Garrett Hardin commele productivisme avéré des ancienneséconomies planifiées. La stratégieprincipale est d’instituer les servicesécologiques de res nullius en rescommunis, comme en témoigne lesécrits militants tels que le rapport« Europe soutenable » des Amis de laTerre Europe23. Nous considérons cerapport comme la description la plusaboutie du projet écologiste, car ilintègre la quasi-totalité des revendi-cations militantes dans une vision del’avenir qui tente d’être aussi complè-te que possible. Nous montrons quecette utopie s’oppose aux utopiescosmopolitiques anciennes, issuesdu capitalisme ou du socialisme.Nous montrons qu’elle exhibe enoutre des filiations avec lesLumières, donc loin d’être un« retour à l’âge de pierre » commeon le dit parfois pour la dénigrer.Peut-on pour autant l’assimiler à un« retour aux Lumières » ? C’est laquestion qui est posée en conclusion.

I. Les anciennes utopies cosmopo-litiques en criseComment justifier l’existence d’unepluralité de peuples ou d’Etats ?Comment éviter qu’ils ne se trouventdans « l’état de nature », un étatdans lequel il n’existe pas de loi posi-tive, risquant ainsi de prolonger indé-finiment une « guerre de tous contretous », selon le mot de Hobbes ? Est-ce uniquement un manque demoyens ? Est-ce un stade de l’histoirede l’humanité, appelé à être dépas-sé ? L’Etat mondial, ou le Peupleunique, sont-ils la seule manière demettre fin aux conflits ?

La solution proposée par lesLumières est celle proposée parKant, sous la forme d’un « projet depaix perpétuelle ». Le cosmopolitismeest ancré dans le droit naturel ration-nel, c’est-à-dire les droits de l’hommeet du citoyen. Il est conçu dans leprolongement du « libéralisme poli-tique », à savoir la séparation del’Eglise et de l’Etat, la limitation desabus politiques par le jeu des contre-pouvoirs et des procédures, et le res-pect des droits fondamentaux de lapersonne24.Cette solution, élaborée au 18ème

siècle, évolue bien vite vers une autreproposition, qui se généralise aucours du 19ème siècle : le libéralismeéconomique. Les héritiers d’AdamSmith cherchent à pacifier l’humanitépar la lex mercatoria. La divisionindéfinie du travail et l’inclusion del’humanité entière dans un mêmemarché mondial sur lequel chacunest libre de louer ses services contrerémunération est une procédure per-mettant d’agréger les choix et degénérer un bien-être collectif sanscesse grandissant. La poursuite duprofit conduit chacun à s’efforcerd’accroître la productivité et lessociétés voient leur niveau de vie aug-menter : l’égoïsme génère des« externalités positives » et se retour-ne ainsi en bien public. Ce résultatest explicitement visé par les institu-tions qui sont aujourd’hui en chargede sa réalisation : « Internationaltrade institutions and liberal tradepolicies are a means to an end [.] :[the] increase [of] social welfare »25.Cette utopie met les valeurs de tra-vail, production et division du travailau cœur de son projet, et affirmeque la rareté est le problème princi-pal. L’insatisfaction savammententretenue par la publicité et la valo-risation du luxe26 empêchent le systè-

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27 K. Marx & F. Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, Messidor / Editions Sociales, 1986, p. 5928 Les mêmes modes de production génèrent la même littérature – Manifeste du Parti Communiste, 1844.29 A. Negri & M. Hardt, Empire, Paris, Exils, 2000. Voir la critique P. Dardot, M. El Mouhoud, C. Laval, Sauver Marx ? Empire, mul-titude, travail immatériel, Paris, La Découverte, 2007.

me de stagner ; dès lors il ne peutque progresser.Seulement voilà, les marchés sontdésormais le lieu de production d’ex-ternalités négatives massives, et nonplus seulement d’externalités posi-tives : changements climatiques,effondrement de la diversité biolo-gique etc. Ils sont de plus menacésdans leur existence même par lararéfaction des matières premièreset la flambée des prix qui en découle-ra, générant une exclusion toujoursplus importante. Au lieu de la pacifi-cation, c’est le conflit qui se fait jour.Que faire ?

Sous la plume de Marx, l’utopie tech-nomarchande a déjà fait l’objet d’unecritique qui se voulait radicale. L’Etatet le contrôle démocratique de laproduction devaient permettre devenir à bout de ces excès des mar-chés livrés à eux-mêmes, dans l’igno-rance qu’ils étaient des buts ultimesde leur propre action. La crise finan-cière actuelle illustre la pertinence etl’actualité de ce rôle nécessaire del’Etat. Les nationalisations de FannieMae et Freddie Mac, par exemple,sont plus qu’une petite entorse àl’utopie technomarchande : elles enremettent en cause le bien-fondé, demanière éclatante. Ce « retour debalancier » est donc aussi un« retour à Marx », qui avait déjà anti-cipé sur l’irréalisme de la thèse del’autorégulation des marchés, quiprenait la partie (l’échange mar-chand) pour le tout (la société). L’Etatrenvoie ainsi à l’existence d’un liensocial qui n’est pas basé sur la seulepoursuite de l’intérêt financier.Devons-nous alors endosser de nou-veau les projets de l’Internationale ?Ce n’est pas évident. En effet la mon-dialisation des échanges était perçuepar Marx, en dernière analyse,

comme une force positive. Deconcentrations en fusions, le capita-lisme, mû par un intérêt étroit dialec-tiquement en prise avec les âpresluttes ouvrières, produisait peu àpeu, à son insu, une socialisationcroissante des forces productives,permettant à l’esprit hégélien deretourner progressivement auprèsde soi – et à la justice de se produiresur Terre. Le prolétariat, exploité etvolé d’une partie de son travail,détourné par des propriétaires peuscrupuleux et imbus d’eux-mêmes,prendrait finalement possession dupotentiel technique qu’il aurait susci-té. Prendre possession, et nondétruire ou modifier. Pour Marx, lesforces productives déclenchées parla bourgeoisie sont positives. Ellesbrisent les attachements locaux27 quisont réactionnaires. Il voit dans l'ho-mogénéisation des modes de vie laclé de la coopération planétaire, carelle occasionnera la fin des particula-rismes28. La bourgeoisie est à l’origi-ne, malgré elle, d’un progrès techno-logique indéniable – thèse quereprend encore « Empire » d’AntonioNegri & Michael Hardt, en élevantles technologies de l’information aurang de moyen ouvrant la voie aucommunisme29.La critique principale émise par Marxà l’encontre du système capitaliste, àsavoir que les rendements décrois-sants viendraient principalementd’une confiscation des fruits du tra-vail par une minorité, via le surtravail,ne suffit plus à expliquer l’énormeimpasse technique et écologiquedans laquelle nous nous trouvonsaujourd’hui. Une confiscation desmoyens de production ouvrant la voieà une démocratisation c’est-à-direune généralisation des techniques« les plus avancées » à l’échelle del’humanité ne produirait pas le com-

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munisme mais un appauvrissementquasi immédiat des ressources etune destruction générale des écosys-tèmes. L’utopie marxiste anticipaitune augmentation indéfinie desforces productives – obtenue par unperfectionnement infini de la tech-nique30, la question des « limites »s’en tenant souvent à la dénoncia-tion, souvent fondée par ailleurs, desarguments malthusiens régulière-ment maniés par les capitalistescontre les revendications ouvrières.De ce fait, l’utopie de Marx ne com-prend pas de théorie positive desbesoins31 qui permettrait de savoiroù arrêter la croissance de laconsommation – et donc orienterl’évolution technique vers autrechose que le pouvoir d’achat maxi-mum. « Mieux partager le gâteau nesuffit plus, c’est la recette qui doitêtre changée » : voilà le slogan quiest de plus en plus sur toutes leslèvres, et qui emmène avec lui toutela discussion sur les « nouvellesrichesses » qu’il convient de défendreet non de s’en tenir au pouvoird’achat32. Le cosmopolitisme deMarx est donc lui aussi en crise – etce, indépendamment de l’effondre-ment de l’URSS dont les causes sontdiverses.

II. Le cosmopolitisme écologiqueFace à cette insuffisance desanciennes utopies émerge la critiqueécologiste. L’enjeu central est defaire durer « l’équilibre des écosys-tèmes », ordre décrit par l’écologie,c’est-à-dire d’éviter à la fois la « tra-gédie des communs »33 et le produc-tivisme des Etats à économie plani-fiée. L’ouvrage qui trace le mieux lescontours de l’utopie écologiste estsans doute le rapport « EuropeSoutenable »34 réalisé en 1995 parle Wuppertal Institute pour les Amis

de la Terre Europe. Rares sont lesécrits militants aboutissant à unedescription d’une telle précision.Que propose le rapport ? Le« Rapport Europe Soutenable »,désormais dénommé « RES », sedonne pour but de décrire uneEurope qui aurait renoncé aux res-sources épuisables et partagé à éga-lité les ressources renouvelables. Lapierre angulaire du raisonnement est« l’espace environnemental », quidétermine deux bornes. La premièreest un maxima, obtenu en divisant leflux matériel maximum disponible parle nombre de bénéficiaires. Le rap-port RES part de l’idée que les ser-vices écologiques se présentent sousla forme de « ressources » (matièrespremières ou « inputs ») et« d’éviers » (absorption des déchetsou « outputs »). L’équilibre entre lesdeux assure le maintien des flux, etdonc la renouvelabilité des services :matière et énergie circulent demanière harmonieuse. A ce pointd’équilibre correspond un « output »et un « input », un niveau maximal deprélèvement et de rejet. La secondeest un minima, déterminé par leconcept de « besoin » au sens deManfred Max-Neef, comme ce quisemble nécessaire à mener une vienormale dans une société donnée.Entre les deux peut librement s’expri-mer la diversité culturelle des modesde vie, mais aussi la créativité tech-nique, les manières les plus efficacesd’utiliser les ressources mélangeant« low tech » (cuiseurs solaires, cir-cuits d’alimentation courts, maisonsbioclimatiques etc.) et « high tech »(réfrigérateurs classe « A » etc.), unéclectisme revendiqué. Le respect deces règles conduit à des réductionsde 80 à 90 % dans les prélèvementseuropéens moyens. Dans le domainedu climat, par exemple, cela conduità diviser par 5 ou 10 nos émissions

30 Voir F. Flipo, L’écologie politique est-elle « réactionnaire » ? L’enjeu des choix technologiques, Communication pour le CongrèsMarx International, 3-6 octobre 2007.31 J.-M. Vincent, Critique de l’économisme et économisme chez Marx, 2008. http://semimarx.free.fr/article.php3?id_article= 20232 Cf. la simplicité volontaire, La Décroissance etc.33 G. Hardin, The Tragedy of the Commons, in Science, n° 162, 1968, pp. 1243-1248.34 FOEE, Europe soutenable, 1995, ronéotypé.

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35 S. Chauvier, Justice et droit à l’échelle mondiale, 2006, pp. 61-87. Voir aussi B. Badie & M.-C. Smouts, Le retournement dumonde - Sociologie de la scène internationale, Paris : Presses de Sciences Po & Dalloz, 1999 (3e édition). E. Ostrom, Governingthe Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press, 1990.36 S. Chauvier, ibid., 2006.37 J. Locke, Deuxième Traité du Gouvernement Civil, Paris : Vrin, 1985, Ed. orig. 1690, Chapitre V38 Voir l’étude classique de K. Polanyi, La grande transformation – Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris :Gallimard, 1983, Ed. orig. 1944.39 H. Grotius, 1625. Le Droit de la guerre et de la paix, chapitre XII relatif au « Tempérament par rapport à la dévastation etautres choses semblables ».

actuelles. Dans le domaine de lapêche, cela conduirait à réduire for-tement notre consommation de pois-son. Et ainsi de suite.La démarche du RES implique dedonner aux ressources le statut deres communis, comme l’a montrénotamment S. Chauvier35. Une rescommunis, en effet, est un bien donttoute personne a le droit de bénéfi-cier, et personne n’a le droit d’abu-ser36. Cela implique que les droitsdes personnes soient proportionnelsd’une part au nombre de personnesqui bénéficient de ce bien, et d’autrepart à l’usage qui doit être fait de cebien pour que sa qualité ne se dété-riore pas. Si une ou une collectivitéjouissait d’un droit illimité d’appropria-tion, nous aurions affaire à une resnullius et non à une res communis.Le statut de res communis impliqueque les droits à bénéficier du biensoient assortis de limites, c’est-à-direde devoirs. Ces devoirs sont définispar le nombre de personnes quibénéficient du bien mais aussi parl’exigence de continuité dans la quali-té du bien. S’il n’y a plus de bien, siles écosystèmes etc. sont irrémédia-blement détériorés, alors les droitsn’ont plus de sens – nul ne préten-drait avoir des droits sur un « mal »commun.Cherchant à protéger « la nature »,les écologistes des Amis de la Terrecherchent donc en réalité à protégerdes droits de l’humanité et plus large-ment les droits de tous les ayant-droits à la res communis. L’enjeu estde protéger un ensemble de res-sources qu’aucune personne niaucun peuple particulier d’aucuneépoque particulière ne peut s’appro-prier, ne peut détruire, car toute per-sonne, passée, présente ou à venir, ya droit. C’est là une interprétationtrès restrictive de la « clause loc-

kéenne », qui correspond probable-ment davantage à l’esprit de sonauteur37. On rejoint aussi des idéesplus anciennes telles que les « com-munaux » du Moyen-âge, qui furentdémantelés par les « enclosures » etla propriété privée au sens marchanddu terme38. Grotius enjoignait ainside limiter la dévastation produite parla guerre en affirmant qu’il fallait pro-téger les arbres fruitiers, de mêmeque les laboureurs et leurs mai-sons39. Les peuples passent, lelaboureur reste, il change simple-ment de nationalité.Cette approche ambitionne claire-ment de limiter la sphère de l’échan-ge marchand, qu’il soit régulé ouauto-organisé. La res communis nepeut être cédée. Elle ne peut pas nonplus être simplement « nationali-sée », si par là on entend une appro-priation simplement nationale. Ce quiest désigné comme « naturel », ici,et dont il faut préserver l’intégrité,c’est l’ordre que toute personne doits’efforcer de trouver dans le milieu,par-delà la succession des sociétés,des peuples et des familles, afin quedes sociétés, des peuples et desfamilles puissent continuer d’avoirlieu, d’exister, de trouver des« biens » dont elles peuvent tirer leurmode de vie propre. Cela comprendun certain nombre de pratiquescomme la protection des sources, dela fertilité des terres etc. On ne peutpas imposer aux personnes d’assu-rer la permanence de l’Etat, le peupleou la famille dans laquelle elles sontnées, mais par contre elles ont ledevoir de laisser à autrui les moyensd’assurer sa subsistance par son tra-vail. Ces moyens sont des élémentsmatériels mais aussi l’ensemble dessavoirs nécessaires pour en mainte-nir la qualité.

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40 P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987,41 J. Lindgaard, N. Hulot : « le capitalisme est obsolète », Mediapart, 14 septembre 2008.42 J. Jacob, L’antimondialisation – aspects méconnus d’une nébuleuse, Berg International Editeurs, 2006.

A l’inverse, les théories de la « dura-bilité faible » issues des utopies tech-nomarchandes considèrent qu’iln’existe d’autre res communis queles lois du marché, qui doivent êtrepréservées envers et contre tout, enregard desquelles ressources etéviers sont avant tout destinées àêtre exploitées jusqu’à ce que la loides rendements décroissants com-mande d’en abandonner l’extractionpour se déplacer et utiliser de nou-veaux gisements. Le riche est celuiqui hérite de la plus grosse « fortu-ne », autrement dit celui qui sait pro-voquer sa propre richesse matérielleà force de ruse exercée principale-ment contre la nature40. On voittoute la différence entre les deux uto-pies. Ce contraste montre aussi àquel point la critique du luxe et duprofit est consubstantielle à l’ap-proche écologiste, ainsi que l’illus-trent les dernières évolutions au seinde la mouvance écologiste41.Néanmoins l’utopie écologiste nepeut se contenter d’être « anticapita-liste » au sens marxiste du terme,car cela reviendrait à risquer dereconduire le productivisme sous uneforme étatiste.

Si l’espace environnemental est lapierre de touche de l’utopie écolo-gique, alors l’institution de la rescommunis est bien au cœur de ladémarche. L’espace environnementalest la conséquence de l’institution dela res communis. Nous nommons« utopie écologiste » un monde danslequel les res communis seraienteffectivement respectées.

A l’échelle mondiale, l’utopie décritejusqu’ici est portée par ce qu’onappelle communément « le mouve-ment écologiste ». Le mouvement arécemment été décrit par JeanJacob42. Les auteurs sont nombreux

et bien identifiés. Ils dirigent des ONGou des « think thanks » puissants etécoutés. Le Philippin Walden Belloest à la tête de Focus on the GlobalSouth (www.focusweb.org), quiemploie 20 personnes en Thailande,Philippines et Inde. L’IndienneVandana Shiva dirige Navdanya(www.navdanya.org), ResearchFoundation for science, Technologyand Ecology (RFSTE), une organisa-tion qui défend la biodiversité et pro-meut l’agriculture biologique par ladissémination de semences sansOGM ni brevets. L’Etasunien JeremyRifkin préside la Fondation onEconomic Trends et est auteur denombreux livres à succès. Le MalaisMartin Khor est le fondateur duThird World Network(www.twnside.org.sg) présent enAfrique, en Asie du Sud-Est, enAmérique latine et à Genève.Hermann Daly est le fondateur et ledirecteur du prestigieux journal aca-démique Ecological Economics, uneréférence mondiale dans le domainede l’approche interdisciplinaire del’économie écologique, trois étoilesau classement CNRS. Lori Wallachest à la tête de Public Citizen(www.citizen.org), une ONG fondéeen 1971 pour défendre les consom-mateurs et qui dispose aujourd’huid’un budget de 11 millions de dollars.L’Allemand Wolfgang Sachs est unefigure de l’Institut Wuppertal pour leclimat, l’environnement et l’énergie(www.wupperinst.org) qui est à l’origi-ne des diverses méthodes de comp-tage matériel ainsi que des conceptsde « sac à dos écologique »,« Facteur 4 » etc. Ralph Nader, can-didat écologiste historique à laMaison-Blanche, fait aussi partie dulot, et bien d’autres noms connus. Laliste ne serait pas close sans men-tionner deux personnalités controver-sées. L’une est Edward Goldsmith,

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43 B. Cassen

fondateur en 1970 de The Ecologist,la revue écologiste de référence qui adepuis plusieurs années son équiva-lent français, L’Ecologiste. L’autre estJerry Mander, actif dans la Fondationpour l’Ecologie Profonde (www.deepe-cology.org) et actuel directeur del’International Forum on Globalisation(IFG), dans laquelle ils sont tous pré-sents.

Jean Jacob en oublie quelques-uns,notamment l’Indien Anil Agarwal,mais il montre bien la consistance dece courant, en termes d’actionscommunes et de citations croisées.Les personnes mentionnées se ren-contrent souvent, écrivent des livresen commun, participent aux mêmesévénements, sont dans les comitéséditoriaux les uns des autres. Ilmontre que l’IFG joue un rôle centraldans la structuration actuelle dumouvement mais que les racinessont bien plus anciennes. Ellesremontent aux années 80, voire auxannées 70. Si l’IFG a joué un rôlecentral pour catalyser les manifesta-tions de Seattle contre l’OMC en1999, le premier contre-sommetalternatif remonte à 1984, àLondres, avec l’organisation du TOES(The Other Economic Summit). EnFrance c’est Ecoropa (EcologicalEuropa) qui est le premier relais dece courant, en 1976. En 1996 sadirectrice Agnès Bertrand créel’Observatoire de la Mondialisationdont la présidence est confiée àSusan George. Elle crée laCoordination pour le Contrôle Citoyende l’OMC (CCCMOC) qui regroupe 95associations dont les revendicationssont plus radicales que cellesd’Attac. Corinne Lepage a représen-té Ecoropa en 1994 pour faireaccepter le principe de précaution auConseil d’Etat en 1998. Ce courant a

des ramifications avérées en France.S’il est passé relativement inaperçujusqu’ici dans notre pays, c’est peut-être parce que les yeux sont rivéssur Attac, qui a été un mouvementtrès fort en France ces dernièresannées. La rivalité entre Attac et cemouvement n’est pas neuve. QuandBernard Cassen écrit Tout a com-mencé à Porto Alegre43. il ne dit riende ce mouvement qui a toujours étéprésent dans les Forums SociauxMondiaux. En France ce sont lesmouvements proches de la décrois-sance qui semblent désormais por-ter des orientations proches decelles de l’IFG : Serge Latouche et LaLigne d’Horizon, L’Ecologiste, revueSilence, Edgar Morin, les Casseursde Pub, les ONG écologistes etc.

IV. Les points en débatLe rapport Europe Soutenable n’estpas très bavard sur trois points quisont pourtant très importants : laSittlichkeit, ou éthique de la sociétécivile, la technique et l’Etat. Voyonsce qu’ils deviennent si l’utopie écolo-giste est menée jusqu’au bout.Le premier point est le plus aisé àsaisir, car il est régulièrement aucentre des débats : c’est la place du« capitalisme », la chrématistique ausens d’Aristote, la libre-entreprise àbut lucratif par rapport aux autreséthiques en jeu pour faire société –économie sociale, étatisme etc. Onsait que cette place a varié au coursde l’histoire. L’émergence de nou-veaux indicateurs comme l’empreinteécologique et de nouveaux comporte-ments comme les consom’acteursou la Responsabilité Sociétale desEntreprises (RSE) montre un souci delimiter cette sphère du profit. Maisles différents courants écologistes nesont pas d’accord entre eux sur la

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44 Parmi les protagonistes du débat, citons A. Gorz, J. Zin…45 F. Flipo, Essai sur le don de la nature, à paraitre dans Entropia.46 J. Martinez-Alier, The Environmentalism of the Poor, Edward Elgar, Northampton, 2002.47 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_écologique48 A. Agarwal, Adressing the challenge of climate change – how poor nations can help to save the world, papier publié sur le sitede J.M. Jancovici et daté de 2001, www.manicore.com

place occupée par le capitalisme44.Certains lui laissent encore une placeconséquente tandis que d’autres sou-haitent l’en expurger totalement,sans toujours en tirer toutes lesconséquences ni même utiliser lamême définition de « capitalisme ».Quelle que soit l’issue du débat, lesécologistes s’accordent sur le faitque l’histoire joue désormais contrel’éthique capitaliste. Quand on exami-ne les scénarios de long terme, onne voit guère comment elle pourraitpersister à la place qu’elle a réussi àobtenir, ce qui implique que les socié-tés industrialisées entrent dans unedécroissance dont l’utopie écologistesouhaite qu’elle soit soutenable etéquitable. La décroissance est icienvisagée comme transition vers unnouveau mode de vie qui serait « sou-tenable » dans tous les sens duterme. Mais à quelle vitesse et sousl’influence de quels facteurs ladécroissance aura-t-elle lieu ? Sera-t-elle choisie ou subie ? C’est un lieu dedébats.Les mouvements écologistes ne s’ac-cordent pas non plus sur la naturedes activités du « tiers-secteur » quioccuperait la place laissée vacante.Par quoi remplacer l’éthique écono-mique ? « L’entrepreneuriat decause » ? L’activité démocratique ?Les propositions vont dans le sens derenforcement d’éthiques préexis-tantes, issues notamment du donmaussien, mais elles ajoutent aussiun élément original. Le souci d’équili-brer ses rapports avec la naturen’est en effet pas sans rappeler l’es-prit du don : donner, recevoir etrendre – non pas directement auxêtres humains, mais à la nature.Donner, recevoir et rendre au mondedans son ensemble45. Celui qui rendà la nature permet aux échanges

avec la nature de se perpétuer sousune forme équitable, et donc équili-brée. L’intégrité des « ressources »et des « éviers » est préservée. Lepoint qui est peu développé dans lespropositions écologistes est desavoir dans quelle mesure cet actede respect de la nature devrait aussiêtre à l’origine d’un respect des êtreshumains, au motif que donner à lanature c’est indirectement contri-buer donner à l’équilibre de sa com-munauté. Celle-ci ne devrait-elle pasle reconnaître ? C’est en tout cas lesens de « l’environnementalisme despauvres » dont parle J. Martinez-Alier46. C’est par exemple les peuplesautochtones d’Equateur qui deman-dent une rémunération pour ne pasextraire le pétrole qui se trouve dansle sol de l’une de ses réserves biolo-giques, ou Accion Ecologica qui récla-me aux pays industrialisés la recon-naissance d’une « dette écolo-gique »47 ou encore Anil Agarwalexpliquant que les pauvres vont sau-ver le monde48. Celui qui oblige n’estplus celui qui donne matériellementparlant, mais celui qui se prive, dupoint de vue économique et matériel,au profit de la plénitude du monde.Les valeurs sont inversées : le richedevient le pauvre, celui qui est inca-pable de se relier au monde sans uti-liser des masses d’objets encom-brants et aliénants. L’autonomie éco-nomique, à ne pas confondre avecl’ancien ascétisme religieux, rede-vient d’actualité sous la forme de la« simplicité volontaire » ou de la« décroissance ». La compositionsociologique des écologistes despays industrialisés explique peut-êtreles difficultés qu’ils ont à aller jus-qu’au bout de cette logique, pourtantfondatrice de leur combat, quiindique que politiser la question du

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49 I. Illich, Oeuvres complètes, Paris, Fayard, 2003.50 Voir l’excellente synthèse rédigée par Sauveur Fernandez, Low-tech, la deuxième voie technologique, 2002. http://www.econova-teur.com/rubriques/anticiper/voir011202.shtml51 E.F. Schumacher, Small is beautiful – Une société à la mesure de l’homme, Paris, Seuil, 1978, Ed. orig. 1973.52 Voir A. Gras et sa critique de l’évolutionnisme de Leroi-Gourhan. A. Gras, La fragilité de la puissance, Paris, Fayard, 2003 ;A. Gras, Le choix du feu – Aux origines de la crise climatique, Paris, Fayard, 2007.53 Y. Coppens, L’histoire de l’homme, Paris, Odile Jacob, 2008.54 On citera encore une fois l’ouvrage de Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, 1992, et de ses critiques, commeexemplaire des tensions indiquant en creux le lieu des débats.

luxe est la seule voie pour élargir leuraudience vers les classes populaires,qui ont pour le moment délaisséleurs rangs.

Un second point est le statut de l’évo-lution technique et l’avenir de la« high tech ». Nous avons vu plushaut que l’impact d’une personne surles écosystèmes est dépendant destechniques qui sont mises en œuvre,mais à leur tour ces dernières sontdépendantes de l’étendue de la divi-sion du travail mise en oeuvre. Lerapport « Europe soutenable » n’aguère thématisé cette question maisun penseur important de l’écologiepolitique, Ivan Illich49 en a montrétoutes les implications. Illich montreque les techniques les plus éco-nomes et les mieux appropriablessont souvent celles qui ne font pasappel à une division étendue du tra-vail, car cette division exige trans-port, énergie et délégation à desentités qui deviennent lointaines etétrangères, engendrant de l’hétéro-nomie. Un raccourcissement de ces« détours de production » démesurésest nécessaire : telle est la conclu-sion de la plupart des comparatifs entermes d’ « analyse de cycle de vie »(impact écologique global). C’estassez facile à comprendre et mêmeà mettre en œuvre dans certainsdomaines comme l’alimentation - d’oùles exemples toujours cités desAssociations pour le Maintien del’Agriculture Paysanne (AMAP), desvacances en vélo etc. Le respect desres communis conduit à des voies« low tech », comme l’a remarquéSauveur Fernandez50 à la suite de F.Schumacher51. Mais il y a desdomaines plus difficiles et pour les-

quels il n’existe pas de consensusfort au sein des mouvements écolo-gistes. Pouvons-nous Allons-nousdevoir renoncer à nos machinesIRM ? Aux ordinateurs ? Lesréponses ne sont pas simples, onl’imagine, d’où les âpres bataillesautour des « choix technologiques ».Les batailles sont d’autant plus rudesque la question de l’évolution tech-nique implique, dans nos sociétés, unenjeu anthropologique. Bien descontemporains estiment en effet queles « progrès » réalisés dans la divi-sion du travail sont un trait constitu-tif de l’histoire naturelle de l’humani-té52 – rien moins ! Pour YvesCoppens, par exemple, l’histoire de laculture et de ses progrès sembles’identifier avec la multiplication desobjets techniques53. Dès lors tenterd’infléchir ce « destin » qui nousmène vers une maîtrise de plus enplus grande de « la nature », aumoyen d’outils toujours plus perfec-tionnés, c’est risquer de renoncer ànotre humanité, c’est être suspectéde vouloir « revenir à l’âge de pier-re », de vouloir renoncer à « l’arra-chement à la nature » qui seraitconstitutif de notre humanité.L’évolution technique est loin d’êtreune simple thèse académique surl’histoire de l’humanité ; c’est un panentier de notre cosmologie, ce quiexplique que les débats entre « tech-nophiles » et « technophobes » pren-nent rapidement la forme d’un débat« pour » ou « contre » l’homme lui-même54. On comprendra d’autantmieux la difficulté des débats si l’onse rend compte que si c’est effective-ment la nature de l’homme qui est enquestion, si l’enjeu est réellement denature anthropologique, ontologique,

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55 B. Latour, Politiques de la nature, Paris, La Découverte, 2004.56 S. Chauvier, op. cit., 2006, pp.61-87.57 J. Gadrey, Les services ne sont pas « la » solution à la crise écologique, Actes du premier colloque international sur la décrois-sance économique pour la soutenabilité écologique et l’équité sociale, Paris, 18-19 avril 2008, pp. 47-52. http://events.it-sudpa-ris.eu/degrowthconference/themes/58 Exemple http://lesverts.fr/article.php3?id_article = 401

alors cela signifie aussi que nousentrons sur le terrain des explica-tions religieuses, car les religions ontaussi des thèses à fournir dans cedomaine dont Kant avait estimé qu’ilrelevait de la métaphysique et dont ilavait essayé de borner la violence.Dès lors l’écologie n’est pas un dis-cours qui vise à faire entrer la natu-re en politique, comme le suggèreBruno Latour55 mais un discours quicherche à changer l’interprétationdominante de la nature – à savoir,l’évolutionnisme technique, l’idéeselon laquelle l’être humain seraitavant tout un Homo Faber destinépar nature à accroître sans cesse lafinesse de ses outils par division dutravail afin de « dominer la nature ».L’écologie introduit une conception dela nature qui se trouve en concurren-ce avec l’ancienne interprétation. Cen'est pas un petit déplacement : c'estun programme (cosmo) politiquecomplètement différent de ceux quil’ont précédé.

Le devenir de l’Etat pose un problèmeencore plus conséquent. Le rapport« Europe soutenable » ne s’y intéres-se guère, sinon sous la forme d’unlégislateur abstrait dont la matérialitéet l’organisation n’est pas interrogée.Que devient l’Etat avec l’institutiondes res communis? A quelle échellede gouvernance se manifeste-t-il ?C’est ce qu’il faudrait savoir.Soit l’Etat conçu, comme le suggèreS. Chauvier en s’appuyant surLocke56 comme ayant pour but l’euno-mia des personnes, n’existant quepour augmenter leur liberté. L’Etatrend certains services : éducation,justice etc. Ces services sont le fruitde « détours de production », touscomme les biens (routes etc.). Dupoint de vue de l’état des res com-munis, ce qui frappe, d’emblée, est le

poids énorme des institutions éta-tiques dans les pays industrialisés.L’Etat central et ses agences, en brefl’ensemble des structures publiqueset parapubliques contrôlent de prèsou de loin près de 50 % deséchanges économiques. Le RESn’évalue pas le poids écologique del’Etat mais un tel poids économiquedoit se doubler d’un poids écologiqueconséquent, quand bien même nefournirait-il que des « services » répu-tés « immatériels ». J. Gadrey a mon-tré les limites de cette conception57,les services rendus par l’Etat doiventdonc être évalués dans le mêmecadre.Si l’on applique les principes illichiensà l’Etat, alors cela implique, dans ledomaine du gouvernement, une relo-calisation. D’ailleurs les élus écolo-gistes insistent largement sur le« principe de subsidiarité », qu’ilsentendent généralement comme lefait de chercher à résoudre les pro-blèmes au plus près des citoyens58,reprenant ainsi l’argument deRousseau, ou encore leur soutienaux identités régionales. En ce sens,le cosmopolitisme écologiste ne repo-se ni sur la mobilité illimitée ni sur l’in-tégration mondiale dans une divisiondu travail ayant la production maxi-male pour finalité mais sur la justeséparation. Ici, nous sommes soli-daires parce que nous sommes tousrespectueux des droits de nos voi-sins, et non parce que nous coopé-rons dans le but de produire desbiens et des services. C’est la seulemanière réaliste de produire ou deprotéger des res communis suscep-tibles de donner une place à chaquepersonne sur Terre. Les Terriensassociés vivraient non pas dans unseul Etat mais dans une fédérationde régions autonomes sur le planéconomique et vivant en bonne intel-

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59 J. Rawls, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1995, Ed. orig. 1971.60 S. Chauvier, Du droit d’être étranger – Essai sur le concept kantien d’un droit cosmopolitique, Paris, L’Harmattan, 1996.

ligence. Néanmoins cela pose un cer-tain nombre de problèmes spéci-fiques qui ne sont pas abordés dansle RES.Réduire l’Etat ne revient-il pas à sedépouiller et s’affaiblir devant les nou-veaux empires, qui ne rêvent qued’étendre leur contrôle sur des terri-toires de plus en plus vastes ? Onpourra répondre que l’utopie cosmo-politique vise justement à instaurerdes limites à la violence, et qu’oppo-ser la violence à la violence ne peutrésoudre le problème. L’utopie écolo-giste s’appuie d’ailleurs sur les tradi-tions de non-violence, notamment ladésobéissance civile.L’Etat ne va-t-il pas disparaître dansle très grand pluralisme d’Etats issusde l’utopie écologiste ? N’allons-noustout simplement retomber dans l’étatde nature tant redouté ? Non,S. Chauvier a montré qu’un pluralis-me d’Etats ne se confond pas néces-sairement avec un libertarisme favo-rable à l’abolition totale des fron-tières59. L’État est le résultat d’unecoopération profitable à toutes lespersonnes. Une mobilité illimitée netiendrait pas compte des désutilitéscréées par le départ ou l’arrivéeimpromptue des personnes. Dansles deux cas, les effets ne sont pasnuls et les personnes qui seraientlésées ont aussi des droits. S’il y a undevoir d’humanité à accueillir les per-sonnes menacées dans leur pays, iln’y a aucun droit des étrangers àvenir s’installer de manière durable,si cela a des conséquences sur lasociété habitant le territoire surlequel ils envisagent de s’installer60.De même, les citoyens d’un Etat nepeuvent à loisir quitter cet Etat avecleurs biens, leur capital, si cela apour conséquence de générer ledésordre ou réduire le bien-être decette société. L’Etat, créé pour géné-

rer l’eunomia parmi ses membres,doit y veiller. Nulle conception holiste,par conséquent, ici, mais uneapproche individualiste authentique-ment pluraliste. Les citoyens commel’Etat peuvent aussi avoir un devoird’ingérence, dans certains cas, parexemple si un autre Etat se retournecontre les citoyens qui l’ont créé etréduit de manière arbitraire ou des-potique leur liberté.Aller vers un très grand pluralismed’Etats ne revient pas non plus à s’ex-tirper de toute histoire et créer descommunautés ex nihilo. Les autoritéspubliques existent déjà à toutes leséchelles de gouvernance, de la muni-cipalité de quelques habitants àl’ONU qui comprend la quasi-totalitédes Terriens. Favoriser la relocalisa-tion revient à traiter les problèmes àune échelle plus basse – « penserglobal, agir local » -, en faisant ensorte que les problèmes existants àune échelle supérieure disparaissent.La stratégie est donc de réduire lesproblèmes transfrontières et non deles augmenter, ce qui permet d’éviterde mettre en place une coûteuseadministration dont l’objet est àchaque fois de gérer les problèmescréés, voire de créer les problèmespour justifier son existence et sonactivité. L’utopie est cohérente avecelle-même, mais en contradictionavec une grande partie des dyna-miques étatiques actuelles, qui sontau contraire en train d’étendre lesbureaucraties globales, publiques ouprivées…Enfin, des Etats plus petits neseraient-ils pas forcément « fermés »et renfermés ? N’allons-nous pasperdre les acquis des grandes socié-tés, notamment l’émancipation parrapport à la communauté et à lafamille ? N’est-ce pas la fin de la« société ouverte » ? Le rapport RES

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n’est à nouveau pas très bavard, etles positions écologistes sont écla-tées sur ce sujet. Néanmoins desétudes récentes indiquent d’ailleursque rien ne prouve que le commercemarchand ait significativement réduitles occurrences de conflit entrenations61. Les personnes ont voyagéet échangé depuis toujours et n’ontpas attendu les échanges commer-ciaux pour cela. La petite communau-té est valorisée dans toutes les uto-pies écologistes62. La famille estrarement prise pour cible de la cri-tique en tant que telle, c’est plutôtune certaine forme de famille, autori-taire, qui est dénoncée.

Conclusion : l’utopie écologiste, unretour aux Lumières ?L’institution des écosystèmes en rescommunis semble bien jouer le rôlede pierre de touche dans les revendi-cations écologistes. Les consé-quences les plus éloignées de ce pro-jet font émerger un « village global »bien différent des anciennes utopies.Le RES actualise ainsi sans le savoir,ou tout du moins sans le mentionner,le principe universel du droit qui, chezKant, fonde la justice : «Toute actionest juste qui peut faire coexister laliberté de l’arbitre de chacun avec laliberté de tout autre selon une loi uni-verselle, ou dont la maxime permetcette coexistence»63. La critique éco-logiste semble chercher à tirer lesconséquences de ce principe dans letemps, mais aussi dans l’espace, encherchant à inclure les « non-humains », au moyen des éthiquesenvironnementales. Est-ce pourautant un retour aux Lumières quinous est promis ?Ce n’est pas évident. Il y a en effetdeux dérives possibles, qui vontcroître au fur et à mesure que les

risques pesant sur les res communisvont être perçus comme vitaux,c’est-à-dire au fur et à mesure que lasubstance de ces biens sera mena-cée et que ces conséquences seferont sentir dans la chair de celleset ceux qui en dépendent. Le premierest le renforcement de la tyrannied’Etat, d’un Etat sur son peuple, d’unEtat sur les autres ou d’un ensemblede personnels des Etats sur l’en-semble de l’humanité. La réductiondes circuits de production impliqueaussi la réduction des circuits de pro-duction de la loi, or les élites quitirent leur pouvoir de leur monopoledans le règlement des conflits ris-quent de ne pas accepter de voir leurrôle remis en cause. Elles cherche-ront à justifier les privilèges liés àleur fonction.Le second est que moins l’Etat estefficace, plus les personnes mena-cées risquent de chercher à sacrali-ser leurs droits sur la res communis,qui seront de plus en plus perçuscomme un enjeu vital. Les ethno-logues et les anthropologues ontainsi montré le rôle des « boissacrés » dans l ‘équilibre écologiqued’une population. On se rappelle ladéclaration du Chef Seattle, un grandclassique chez les écologistes. De làsans doute le lien que Jean Jacobvoit entre mouvements écologistes etmouvements religieux. Les grandesreligions commencent d’ailleurs àcomprendre que le « marché de l’angoisse », généré par les enjeuxécologiques, n’avait pas été assezinvesti.

61 P. Martin, T. Mayer & M. Thoening, La mondialisation est-elle un facteur de paix ?, Paris, Editions Rue D’Ulm, 2006.62 La transition http://www.transitiontowns.org. Les illustrations de la ville idéale dans le journal La Décroissance.63 E. Kant, Métaphysique des Mœurs, 1797, § C.

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Présentation du colloque organisépar le GIET

Nous tenions à joindre à nos actesles travaux présentés par FrédéricJacquemart lors d’un colloque orga-nisé en août 2008 par le GIET(Groupe International d’EtudesTransdisciplinaires), association dontil est le président.

Un courant assez étrange se met enplace actuellement, qui tend à confé-rer, de manière très paradoxale, à laScience, le statut de religion. La véri-té scientifique devient Vérité absolue,référence unique et universelle etceux qui s’écartent du paradigmedominant transformé en dogmesubissent les foudres de l’inquisition(voir à ce sujet les textes de MatthieuCALAME dans Nature-Culture : leprojet).

D’un autre côté, cette science metelle-même en évidence son propreéchec, au moins celui de ses applica-tions techniques : le « progrès » tech-noscientifique engendre une destruc-tion de la vie sur terre, menaçantainsi la survie de l’humanité elle-même.

Aucune autre pensée, d’aucuneautre civilisation ne débouche sur untel échec.

Le problème, évidemment beau-coup plus complexe que ce que lais-se apparaître cette présentation,est, pour nous, LE problème majeurdu monde moderne, qui, toujoursselon nous, ne saurait se régler parun rejet de la science ou un retour aupassé.

L’émergence de pensées nouvelles,y compris au sein même de la scien-ce, est une nécessité absolue, tou-jours selon nous, pour aller vers unerésolution de la crise majeure quenous vivons actuellement.

Matthieu CALAME, de la Fondationpour le Progrès de l’Homme (FPH),très préoccupé par ces dérives et

cette problématique, a proposé defaire se rencontrer quelques per-sonnes scientifiques, philosophes ouautres intellectuels, qui explorentd’autres types de pensées ou quicherchent à le faire, afin de seconstituer en groupe ayant une placeet une fonction dans la sociétécontemporaine. Il a donc demandéau GIET d’organiser ce « colloque »(très informel en fait).

Le GIET et la Fondation pour leProgrès de l’Homme (FPH), ont doncorganisé à Paris les 30 et 31 août2008 un colloque sur le « Statut dela science contemporaine ». Ce col-loque s’est déroulé dans d’excel-lentes conditions. Y ont participé(soit par le bais de présentations ouen tant qu’auditeur participant auxdiscussions) : Alfred Leclercq (physi-cien), Annie Durand (médecin, tréso-rière du GIET), Antoine Messéan(agronome et statisticien), BertrandLOUART (groupe Oblomoff), FlorentVial (groupe Oblomoff), FlorentBernon (groupe Oblomoff), FrédéricJacquemart (médecin, scientifique,associatif et Président du GIET),Gérard Nissim Amzallag (biologiste),Gérard Toulouse (physicien, membrede l’académie des technologies),Majid Rahnema (homme politique,écrivain), Marc Dufumier (agrono-me), Matthieu Calame (agronome,FPH), Myriam Ermonval (biologiste àl’Institut Pasteur), Stéphanie Daydé-Fonda (écologue, membre du GIET),Sylvie Pouteau biologiste, chargée derecherche à l' INRA (docteur essciences, ingénieur agronome),Véronique Thomas-Vaslin (immunolo-giste au CHU Pitié Salpêtrière).

Cette rencontre avait pour objectifprincipal de réunir des participantsd’horizons assez différents mais quiont tous un point commun, celui d’ex-plorer d’autres types de pensées,afin de constituer un groupe ayantune place et une fonction dans lasociété contemporaine.

Voici les comptes-rendus d'interven-tions de Stéphanie Daydé et FrédéricJacquemart du GIET.

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Introduction par Stéphanie DaydéFonda, écologue et membre duGIET

Nous aimerions débuter cet exposépar un constat. Un constat que toutle monde connaît, relayé par les télé-visions, les radios, les journaux, maissur lequel il nous paraît important derevenir. Nous sommes en train devivre la plus grande catastrophe éco-logique de toute l’humanité. La surviede l’espèce humaine au sein mêmede notre biosphère est remise encause.Et pour illustrer ceci, les chiffresscientifiques ne manquent pas !Citons malheureusement quelquesexemples :- 1/4 des mammifères, 1/3 despoissons, 12 % des oiseaux, la moi-tié des plantes à fleurs et desinsectes sont actuellement mena-cés d’extinction,

- 37 % des zones humides (desmilieux très riches en espèces ani-males et végétales) ont disparudepuis les années 50 et 80 % decelles restantes sont toujoursmenacées,

- 20 % des massifs coralliens ont dis-paru ces 30 dernières années et60 % de ceux qui restent sont alté-rés par la pollution,

- il ne reste plus que 10 % des forêtstropicales sèches,

- toutes les espèces de grandssinges sont quasiment condam-nées.

Ces catastrophes peuvent nous sem-bler éloignées mais l’Europe est éga-lement touchée puisqu’une perte de70 % de la diversité spécifique desoiseaux a été constatée hors dessites Natura 2000. En France,d’après un rapport parlementaire,cela serait 165 ha de milieux « natu-rels » qui disparaîtraient quotidienne-ment.Ces chiffres peuvent paraître exagé-rés ou imprécis, cependant, ils tra-duisent tous bien une même chose,nous vivons la sixième plus grandeextinction d’espèces à un rythme 1 000 fois supérieur au taux d’extinc-tion normalement attendu pour notreépoque.

Cette perte de biodiversité est d’au-tant plus terrible qu’il ne s’agit passeulement d’espèces isolées les unesdes autres qui disparaissent, ce nesont pas des trous dans une collec-tion, mais c’est bien l’ensemble denotre biosphère, un système com-plexe composés d’éléments intercon-nectés, qui est altérée.Force est de reconnaître que c’estbien l’Homme et les technosciencesqu’il a créées qui sont en train demener notre planète à sa destruc-tion. Ces technosciences ont totale-ment imprégnées le monde occiden-tal et avec le phénomène de la mon-dialisation, ce gigantesque problèmeest devenu l’affaire de tous.Or, que nous proposent la plupart denos dirigeants ? Tout simplementencore plus de techniques pour pal-lier les problèmes engendrés par latechnique sans même se poser laquestion pourtant cruciale de notreépoque moderne, de savoir si cestechnosciences sont neutres ou sielles sont délétères par nature. Etpour le GIET, c’est le cas.

Notre biosphère dont l’homme faitpartie au même titre que les autresespèces, est un système complexe,connectiviste, dont on discerne trèsmal le fonctionnement. La grandemajorité de ces technosciences neprend pas en compte cette complexi-té des systèmes vivants. Or, ces sys-tèmes vivants, tout comme la bio-sphère, sont des systèmes en perpé-tuelle évolution. Ils évoluent avecnotamment l’émergence d’espècesou de propriétés nouvelles mais cecisans aucune intentionnalité. La« Nature » n’a pas d’objectifs, elle nepoursuit aucun but, pas même celuide se maintenir. Ces émergences denouvelles propriétés ou espèces sontissues de ce système complexe, ellessont produites par lui, elles aurontdonc un certain degré de cohérenceavec lui. Osons même employer leterme d’harmonie (déf).Sur ce point, citons le Pr JacquesBLONDEL « Ce qui provoque l’émer-gence d’une espèce est garant deson maintien ».L’Homme, par contre, a unedémarche radicalement inverse.

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Lorsqu’il crée un nouvel objet ou unenouvelle technique, il poursuit uneintention, il a un but précis et il vaadapter son environnement à cetobjectif.L’acte technique intentionnel estdonc totalement étranger à la cohé-rence du système vivant complexeque constitue notre biosphère.En effet, pour s’assurer que ce nou-vel objet ou technique créé parl’Homme soit en harmonie avec lesystème de la même façon qu’unobjet ou une relation émergent de cedernier, il faudrait pouvoir contrôlertoutes les relations qu’a ce nouvelobjet technique avec chaque élémentdu système avec lequel il serait encontact et en plus, en comprendre lefonctionnement global ! C’est totale-ment impossible !Déjà, on constate ici que toute inno-vation technique est aveugle dèsqu’on dépasse les considérations decausalité locales. Ceci est d’autantplus vrai qu’une des caractéristiquesimportantes des systèmes com-plexes et que tout rapport logique estperdu, c’est-à-dire qu’on ne peutcomprendre le déroulement d’un évé-nement, son histoire qu’à posteriori.Alors, penser que l’on va pouvoir pré-dire les effets de telle ou telle innova-tion technique humaine sur notre bio-sphère relève du pur fantasme.Frédéric JACQUEMART reviendra aucours de son exposé sur ces carac-téristiques essentielles des technos-ciences qui constituent bien la pro-blématique essentielle de notremonde moderne.Ce constat étant fait, c’est donc bientoute la question de la décision et del’expertise qui doit être entièrementreposée. Il s’agit bien d’adopter uneattitude nouvelle, de changer notrefaçon d’être au monde. C’est doncbien un changement de paradigmeglobal qui est nécessaire.Maintenant, revenons plus précisé-ment aux motivations de ce colloque.Tous d’abord, la volonté de rassem-bler des participants provenant dedivers horizons, était très forte. C’estvrai que nous avons ici une majoritéde scientifiques mais nous avonsaussi un écrivain en la personne deMajid Rhanema et un menuisier en

celle de Bertrand Louart. Et mêmesi, du fait de l’origine variée des par-ticipants, les idées qui vont être expo-sées au cours de ce colloque sont dif-férentes les unes des autres, desidées pouvant même paraîtreétranges pour certains d’entre nous(étranges au sens étymologique duterme), elles toutes un point com-mun, celui de remettre en cause laparadigme dominant. Et parfois, cer-tains d’entre nous sont marginaliséspour cela, ils ont des problèmes avecleurs collègues de travail, leur autori-té de tutelle. Se retrouver ensembleici permet, déjà, de se sentir un peumoins isolé dans cette remise encause du paradigme dominant maisaussi, de constituer à terme, ungroupe qui va créer son identitésociale en imposant sa présence etun courant de pensée identifiable entant que tel, un peu à l’exemple dessurréalistes. Ceci est un point auquelest particulièrement attaché MathieuCALAME de la FPH.Constituer un groupe mais certaine-ment pas une secte. Il n’est pasquestion de proposer ici un nouveaudogme, ou une nouvelle théorie avecun argumentaire visant à la faireadopter par la communauté scienti-fique ou la société. Devant la catas-trophe écologique que nous sommesen train de vivre, il faut absolumentsortir de la démarche classiquequestions/réponses ou problèmes/solutions car tout ceci resterait énon-cé dans les termes mêmes du para-digme dominant actuel et bien évi-demment, les solutions proposéeségalement.

C’est pourquoi il nous semble impor-tant de rester très ouvert à ce qui vaêtre dit au cours de ces 2 jours decolloque, même si parfois les idéesexposées peuvent paraître cho-quantes pour certains. Le but icin’est pas de faire accepter les idéesprésentées pour ce qu’elles disentmais de leur faire jouer un rôle danscette dynamique du changement,qu’elles soient des étincelles. A cechangement de paradigme globalnécessaire doit correspondre uneattitude nouvelle qui consisterait àdéconstruire ou plutôt participer à

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cette déconstruction et à la susciterde part d’autrui afin de contribuer àla création des conditions d’émergen-ce d’un nouveau paradigme issu de lasociété toute entière et que l’on n’au-ra pas intentionnellement construit.Mais attention, même si nous sou-haitons remettre en question lesconcepts de la science moderne, cediscours ne se veut pas non plus unrejet anti-science. En effet, beaucoupde gens sentent plus ou moins confu-sément les dangers engendrés parles développements récents destechnosciences. De cette crainte dif-ficilement analysable, naît souvent unrejet total de la science avec le sou-hait d’un refuge vers ce qui a marchéautrefois, le clanisme, le sectarisme,le mysticisme sous sa forme la plusschématique qui soit. Et pour le GIET,il faut éviter ce mouvement de rejetqui risque de nous plonger dans unirrationnel encore moins adapté aumonde moderne.Pour terminer et afin de tentertoutes les chances d’aborder cechangement de paradigme, déjà encours, de la meilleure façon qui soit,il est important, ainsi qu’il l’a déjà étésouligné, de rester le plus tolérant, leplus ouvert aux idées nouvelles. Eneffet, dans un paradigme stable, laculture dominante est très conserva-trice, elle impose des restrictionsfortes pour se pérenniser elle–même dans sa forme. On pourraitcomparer cela au processus biolo-gique où lorsque tout va bien, le sys-tème tend à se pérenniser lui-mêmeen ne tolérant que très peu de varia-tions. Alors, qu’en cas de stress, cesvariations sont considérablementamplifiées pour donne un maximumde chances à cet organisme d’affron-ter un futur inconnu (inconnu pourune amibe par exemple). Alors que,dans un changement de paradigme,ce qui était réprimé par la sociétéconservatrice va devoir pouvoir s’ex-primer. D’où la nécessité d’une trèsgrande ouverture d’esprit et d’unegrande tolérance.Mais attention, être ouvert ne veutpas dire laisser s’exprimer n’importequoi. Dans un changement de para-digme de l’ampleur que noussommes en train de vivre, les restric-

tions volent en éclat et cette néces-saire déstructuration culturale etsociétale, qui est d’ailleurs en traind’arriver, entraîne une perte d’être,une altération de l’ontos au sens phi-losophique du terme. Ce qui nousconduira (nous conduit déjà ?), à unemontée de violence, violence aveugle,bestiale, qui existe pour elle-même(comme celle rencontrée en tempsde guerre) et si on ne veut pas quetout dégénère en guerre civile, il fautlutter activement contre cette violen-ce déjà en la prévenant en tentant desusciter une prise de consciencechez autrui. Mais ce n’est pas forcé-ment facile !

Présentation de FrédéricJacquemartJe vais faire un exposé qui ne pourrapas être développé, par manque detemps. Ce sera une présentation, quitentera seulement d’ouvrir desportes, de donner des pistes.La première, qui est vraiment fonda-mentale pour nous est, pour dire leschoses très brutalement et pourreprendre l’intervention de StéphanieDaydé, le développement des tech-nosciences aboutit à la destructionde la biosphère et, par là même, à laremise en cause de l’espèce humainesur terre.C’est pour nous le point majeur, lecontexte dans lequel toute discussiondoit avoir lieue, ce n’est pas quelquechose d’anecdotique qui se situe àl’extérieur du discours.Reprenons ici une citation de MajidRahnema :« L’économie productiviste modernea beau se prévaloir d’avoir apportéau monde une abondance de bienset de services sans précédent, elle aaussi en moins de deux siècles accu-lé à la misère quatre des six milliardsd’habitants de notre planète ».Egalement, sur ce plan là, c’est unéchec, et un échec majeur.Première conclusion : il est déjà, à cestade, totalement inacceptable d’al-ler demander à des représentants decette science institutionnelle, ou duparadigme dominant, si on l’élargit àtoute la culture, d’être des expertsqui donnent une voie pour prendredes décisions concernant la conduite

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de la société, puisqu’ils sont dansl’échec le plus flagrant qu’on puisseimaginer.Et ça, c’est déjà une conclusion quiest majeure.Maintenant, le problème est-il auniveau science ou au niveau tech-nique ?Là, on aura peut-être quelques diver-gences avec d’autres participants,mais pour nous, évidemment, onpeut distinguer science et techniquesur le plan théorique : la science,c’est la connaissance, la technique,c’est du savoir faire et de l’applica-tion. Mais, néanmoins, est-ce qu’onpeut les distinguer au-delà de ceschéma?En pratique, il n’y a guère de sciencequi ne s’applique pas. Les « décou-vertes » scientifiques entraînent denouvelles techniques, mais il existedes techniques nouvelles qui appel-lent des connaissances scientifiquessecondaires. Il y en a de nombreuxexemples dans l’histoire. De plus, lascience ne peut progresser quegrâce à de nouveaux outils, issus dudéveloppement technique.Finalement, il y a une telle imbricationentre science et technique qu’on nepeut pas réellement les dissocier,même si, effectivement, c’est la tech-nique strico sensu qui, in fine, impac-te l’environnement.Tout cela fait que sous l’appellation« science », on entendra « technos-cience », pour prendre en comptecette intrication.Après ces constations, il faudra biense poser la question de la nature decette science et, bien entendu,comme la nature de quelque chosese discute dans le cadre d’une inten-tion (cf. l’article sur la responsabilitéscientifique sur giet-info.org), c’estcette intention, cet objectif, qui vaêtre le cadre de notre réflexion.

Cet objectif, c’est la capacité del’Homme à survivre dans unmonde qui soit encore assez beaupour que vivre ait un sens.C’est ce cadre qui va nous permettrede discuter de la nature de la scien-ce et, pour nous, c’est cela quiconstitue la problématique de lamodernité.Evidemment, Stéphanie Daydé l’aindiqué, mais je le répète et on yreviendra, énoncer un problème ouune problématique, pour nous, n’an-nonce pas que nous proposons dessolutions.On peut déjà le dire : un problèmes’énonce dans les termes du paradig-me actuel et les solutions sont condi-tionnées par ces termes, de mêmeque les questions qui peuvent êtreactuellement posées imposent desréponses qui sont dans le cadre duparadigme dominant, paradigme, onl’a dit, qui est désuet. De même qu’ilest nécessaire de changer de para-digme, de culture, il faut, pour l’ins-tant, abandonner la démarche tradi-tionnelle en problème/solution etquestion/réponse, pour plutôtdéconstruire le paradigme dominantactuel afin de laisser émerger le sui-vant, résultant des activités de lasociété toute entière. D’une façongénérale, il s’agit, pour nous, d’ouvrirdes pistes de réflexion et non d’énon-cer des connaissances.Pour aborder, dans l’idée ainsi indi-quée, la problématique de la moder-nité à travers la nature de la science,penchons nous sur une série decourbes, dont la première (figure 1)retrace l’évolution de la populationmondiale depuis le néolithique, quidonnera le ton de ce qui va suivre.

Fig 1

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En effet, on voit qu’après une crois-sance extrêmement lente qui nousmène vers le XVIIe siècle, brutale-ment, la courbe monte vers l’infini.La courbe de droite représente l’ac-croissement, c'est-à-dire la vitesse àlaquelle la population s’accroît, cour-be elle-même exponentielle.C’est évidemment le même mouve-ment qui se poursuit après le XVIIesiècle, mais, à une telle différencequantitative (l’axe des y est en log)correspond en fait une différencequalitative.Pour prendre une image : prendre ungramme sur la tête et prendre unetonne sur la tête, c’est toujoursprendre un poids sur la tête, mais cen’est pas la même chose, qualitative-ment.On a changé complètement la naturedes choses du fait de ce changementquantitatif, et ce, curieusement,sans en prendre vraiment conscien-ce.Si on reprend cette courbe, qui esten fait surexponentielle puisque letaux de croissance est lui-mêmecroissant, on peut d’emblée noter uncertain nombre de choses, qui nesont pas anodines. On voit que lesguerres, les épidémies, toutes cesgrandes destructions ne sont pasdes facteurs régulateurs, comme onl’entend souvent dire. On voit que lapeste noire, qui fait une encocheénorme (un tiers de la populationeuropéenne !), ne laisse aucune tracedurable sur la dynamique démogra-phique. Il en est de même desguerres. Dans tous ces cas, unrebond se produit après le déclin etla trajectoire retrouve son allurecomme si de rien n’était.

Ces courbes là sont à très grandeéchelle. Bien entendu, si on focalise,et on le voit bien sur la figure 2, quireprésente une plus courte périoded’évolution de la démographie chinoi-se, bien documentée, ce n’est pasrégulier. C’est le cas de toutes lescourbes d’évolution que l’on va voirensuite : on a pris une échelle où lesgrandes tendances s’affichent à tra-vers une régularité résultant de l’effa-cement des fluctuations, comme unemoyenne gomme ce qui n’est pas

pertinent pour notre regard, pourlaisser subsister seulement lesgrands phénomènes.

Fig 2 (Source Michel Cartier, lesCahiers de l’Inde n° 48, 2002)

A partir de là, nous attaquons unepetite série de courbes qui visent àretracer l’évolution des techniques,ou de leur capacité à agir sur l’envi-ronnement. Elles viennent d’un philo-sophe que j’ai rencontré à la suited’un article que j’avais publié dansTransversales Science Culture, quiest quelqu’un d’absolument étonnant,qui s’appelait François Meyer.Il a écrit deux livres : « Problématiquede l’évolution » et « la surchauffe dela croissance ». On peut dire qu’il atout vu, dès 1950 et ses textes sontstupéfiants de modernité.

Figure 3

Sur cette courbe, on voit l’évolutiond’un indice qui permet de mesurerl’efficacité avec laquelle nos ancêtrestaillaient le silex (ou autres pierres).

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On mesure la longueur du tranchantobtenu, par kilo de pierre. C’est unindice classique.On voit qu’il y a, là encore, une trèslongue évolution au cours de laquelleles choses ne bougent pas beaucoupet, ensuite, se produit une accéléra-tion brutale de l’efficacité technique.Il s’agit, là aussi, d’une surexponen-tielle, comme dans celles que nousverrons après.Si on se place maintenant tout enhaut de la courbe, au dernier point,le Cro-Magnon qui est là-haut se dit :« là, j’ai inventé une techniqueéblouissante pour les générationsfutures ».Mais les générations futures ont faitautre chose. Je ne sais pas depuiscombien de temps vous avez taillé unsilex, mais notre Cro-Magnon n’a rienlégué du tout.Ce fait là est déjà très important, caron a l’impression d’une espèce decontinuité dans l’histoire, alors qu’enfait, elle est constituée de séries deruptures. D’une façon générale,quand on sait très bien faire quelquechose, on arrête de la faire.

Figure 4

Considérons maintenant l’évolutiondes puissances motrices.

On retrouve encore une surexponen-tielle. La courbe s’arrête ici en1950, car elle est issue de l’ouvragede F. Meyer déjà cité. Depuis, lespuissances ont encore augmentées,mais ce n’est plus ce qui caractérisenotre époque.

François Meyer, au vu de l’allure de lacourbe, se dit que l’évolution surexpo-nentielle de la puissance développéepar l’Homme se termine. Il sedemande alors ce qui va suivre, et ildit : quand on travaille le silex, il y ade la matière, mais il y a aussi del’énergie. On a vu l’autonomisation del’énergie, c'est-à-dire que l’énergiedevient produite pour elle-même,qu’elle n’est plus totalement liée à lamatière et on va vendre de l’énergiepour elle-même.Meyer, en 1950, dit que ce qui vasuivre, c'est-à-dire ce qui sera leparamètre pertinent de l’époqueactuelle, sera l’information.

Fig 5

On a ici une courbe publiée dans LeMonde en 1996 sur l’évolution de lapuissance des microprocesseurs, etlà, comme prévu, en 2000 onretrouve une exponentielle.

Si on reprend depuis le début, la pre-mière courbe, sur l’évolution de lataille des silex, était en millions d’an-nées. La deuxième courbe était enmilliers d’années, la dernière est enannées.On a, au niveau des techniques, uneévolutivité qui a la même allure quecelles des techniques que nousvenons de citer. On a une vitessed’évolution globale des techniques quiest elle- même exponentielle ou sur-exponentielle, c'est-à-dire que la vites-se de mise au point de techniquesnouvelles s’accroît avec le tempsd’une façon considérable. Noussommes donc actuellement dans unmonde radicalement différent decelui que notre culture a constitué.

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Fig 7 (courbe fictive)

Ça c’est une courbe fictive, qui tra-duit ce qu’on vient de dire, c'est-à-dire cette évolution générale de lapuissance technique, de la capacitéd’agir sur la nature et, disons, pen-dant 35000 ans pour pas faireremonter notre culture à avant Cro-Magnon, on se forge une façond’être au monde, une culture, uneréactivité par rapport au monde exté-rieur, en plus de ce qui est encoreplus ancien, qu’on nomme instinctsou prédispositions innées qui ont per-mis à nos ancêtres d’avoir une réac-tivité suffisante par rapport aux dan-gers de la nature (il semble parexemple que la peur des araignées etdes serpents soit ainsi innée et héri-tée d’avant Homo sapiens sapiens),on a cette culture « cro-magno-nesque » qui se constitue sur unedurée gigantesque par rapport àcette toute petite période d’explosiontechnique où la problématique chan-ge totalement sans que la culturecro-magnonesque ne change sensi-blement.Donc, on s’est constitué un rapportau monde, une notion de l’être, unmode de validation des idées et c’estça qui va particulièrement nous inté-resser, de même qu’un mode deprise de décision et un mode detransmission du savoir, qui ont étéconstruits dans un monde différentde celui dans lequel on vit mainte-nant. Dans ce monde là, ce qui vaêtre le moteur principal, ce sont lesdésirs. Si on fait quelque chose c’estparce qu’on a envie d’obtenir quelquechose.

Premier désir qui va nous intéresser,on l’a vu avec la courbe démogra-phique : croître et multiplier, qui, biensûr, était tout à fait acceptable dansla première partie de la courbe, qui

est quasiment plate, mais qui n’aplus aucun sens au point où nous ensommes, avec 6,7 milliards d’êtreshumains sur la planète, qui conti-nuent à se multiplier. Ce désir ances-tral ancré dans notre culture d’unefaçon extrêmement forte est totale-ment inappropriée au monde moder-ne.

Autre désirs : éradiquer les maladies,vivre éternellement et vivre éternelle-ment jeunes.Je ne vous fais pas un topo là-des-sus, ce sont des motivations que l’onretrouve dans les recherchesactuelles, notamment médicales,avec les biotechnologies et les tech-nologies convergentes. Il est assezcurieux de constater que ces désirsancestraux avaient déjà fait l’objet decritiques extrêmement fondamen-tales dans l’épopée de Gilgamesh, undes textes les plus anciens de l’huma-nité, et notre travail va aussi être deretrouver le sens de certains écritstels que celui-là.

Autre désir issu de la culture cro-magnonesque : éradiquer ce quigêne. Il y a des « mauvaisesherbes », on va les éradiquer, demême les « nuisibles » et les « rava-geurs » (ce sont des termes officiel-lement employés !), on éradique lesennemis, on éradique tout ce quipeut gêner et on a comme justificatifauto-suffisant le fait de vaincre unelimite. Vaincre une limite est toujourssaluée comme un succès pourl’Humanité. C’est la base aussi dusport, par exemple, mais on leretrouve très fortement dans le casdes « progrès » techniques.

Là, je vais faire une petite digressionsur ce « vaincre une limite », qui estextrêmement important, parce qu’onva le retrouver dans les biotechnolo-gies d’une façon très forte : c’est labase même de la justification de l’in-novation, qui se justifie parce qu’elleest capable de s’affranchir decontraintes. Notamment, les OGMs’affranchissent d’une des principalescontraintes, qui sont les restrictions,lors de l’évolution des espèces, auxtransferts de gènes (pour faire

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simple). C’est quelque chose qu’on vapouvoir transgresser et vaincre unelimite est « bien », a priori.

Il faut évidemment se poser d’abordla question de savoir si cette limitemême, cette restriction, n’est passtructurante pour l’organisationconsidérée. Si j’achète une maison etqu’il y a un mur qui m’ennuie parceque je veux une pièce plus grande, jedemande à un architecte si le murest porteur avant de le casser. C’estce qu’on ne fait pas en biologie : on aenvie de le casser, on le casse. Est-ce que cette restriction est structu-rante ou non, c’est un des points fon-damentaux, que je n’aurai pas letemps de développer, mais qui seratraité dans le prochain colloque.Continuons dans les désirs : maîtri-ser la nature, on citera Descartes,maîtriser son destin, c'est-à-dire,finalement, être Dieu. Et ça, c’estterriblement d’actualité, avec cedésir de puissance que permettentles biotechnologies ou les technolo-gies convergentes et qui s’exprime,notamment, dans le transhumanis-me, où on est vraiment là dans de lapathologie mentale caractérisée.C’est ce que Jean-Pierre Dupuyappelle la « griserie quasi théolo-gique ».

Ce délire de puissance, c’est aussi unmoteur extrêmement puissant, auniveau de la recherche, à mon avisbeaucoup plus que l’argent, qui n’estque secondaire par rapport à l’enviefurieuse d’être Dieu.

Ce lien avec la théologie sera reprispar Matthieu Calame, sous un autreangle, mais de façon cohérente avecnos analyses.

Si on reprend tous ces désirs, qui,encore une fois, sont le moteur, etqu’on va retrouver dans les dépliantspublicitaires de n’importe quelle tech-nologie moderne, eh bien, le caractè-re essentiel de ces désirs, qui sontvalidés par la culture traditionnelle,c’est qu’à l’époque de Cro-Magnonjusqu’à la moitié du XXe siècle,disons, ces désirs anciens sont irréa-lisables. Les valider culturellement ne

pose donc pas de problème notable àla société et ils sont intégrés dansnotre mode de pensée.

Mais voilà que, maintenant, ils ontchangé de nature ! Eradiquer lesmauvaises herbes, ça se fait, éradi-quer l’ennemi, ça peut se faire, demême qu’araser une montagne. Etreimmortel, ça ne se fait pas encore,mais on approche des mécanismesde vieillissement cellulaires etc., etdonc ces désirs ont changé de natu-re : j’insiste, ils étaient irréalisables,ils sont devenus réalisables ou appro-chables. Or, ce changement de natu-re ne change pas, dans les problé-matiques modernes, le caractèrejustificateur de ces désirs ances-traux, alors qu’ils n’ont plus de sens,puisqu’ils sont autres que ce qu’ilsétaient. Ainsi, il suffit que quelquechose permette un progrès médicalpour qu’il soit justificateur d’une tech-nique. Je vais être un peu violent, carc’est quelque chose qui est tellementancré dans notre culture que ça faitsursauter, mais un progrès médicalne peut plus être « bon a priori ».Actuellement, plus rien ne peut plusêtre dit « bon a priori ». Cela ne veutpas dire que le progrès médical, pourreprendre cet exemple, n’est pasbon, mais bien qu’il ne l’est pas apriori.

On l’a dit tout à l’heure, en plus dudésir, qui conduit à faire quelquechose, il y a la validation des actes etdes intentions, ce qui fait qu’on y vaou qu’on n’y va pas.

On reprend notre courbe d’évolution(fig. 7), avec cette longue périodedans laquelle s’est mise en placenotre façon d’être au monde. Pource qui est de la validation, ce qui vadominer tout cela, c’est la coutume,on est dans un monde qui évolue trèspeu, donc, demain ressemble furieu-sement à hier. Par conséquent, cequi a marché dans le passé, on va levalider pour l’avenir, puisqu’on estdans le même monde.

Il suffit de regarder la courbe pourvoir qu’une justification par la coutu-me est maintenant une absurdité

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totale, puisque certainement, actuel-lement, demain ne ressemble pas àhier. On est donc dans l’erreur totaleen persistant à utiliser la référencecoutumière, ce qui représente unetrès grande part de la prise de déci-sion dans le monde moderne. Il estamusant de voir qu’avec les OGM, ona cette publicité constante où d’uncôté on va dire « c’est fantastique,c’est radicalement nouveau » : onfranchit une limite, donc c’est « biena priori », eh puis on se prend uneclaque, car les gens disent « non,vous allez trop loin », alors on répond« non mais attendez, on a toujoursfait ça ! ». J’ai même vu des articlesqui disaient « depuis six mille ans, enMésopotamie, on fait des OGM ». Etce n’est pas que dans les revues devulgarisation scientifique, si on litHoudebine ou Toppan, ou « racontemoi les OGM », on a toujours fait desOGM. C’est pas nouveau (rapport àla coutume), donc on valide.

Il est clair qu’il faut repenser totale-ment l’évaluation et la prise de déci-sion, qui ne sont plus adaptées aumonde que nous avons créé.On passe maintenant à la transmis-sion du savoir, et non pas l’éducationet on va voir que le problème se poseexactement à ce niveau là.

Dans la partie de notre courbe oùpresque rien n’évolue, celui qui sait leplus, c’est celui qui a le plus vécu,c’est l’ancêtre, donc, il transmet sonsavoir, qui reste valide, aux enfants.Mais on voit bien que maintenant, il ya plus de différence entre les parentset les enfants qu’il n’y en avait entreun homme du XVIIe siècle et unhomme de Cro-Magnon, la transmis-sion d’un savoir du passé n’étant plusadaptée aux changements explosifsdu monde moderne. Et chez lesenfants actuels, il est bien évidentqu’avec ce rythme de modification dusavoir qui n’a plus rien à voir avec cequ’il était antérieurement, eh bien,on a une forte diffusion horizontalede l’information. Les enfants s’ensei-gnent entre eux, et ils enseignentmême les professeurs et lesparents. Pour le dernier gadget tech-nologique, on s’adresse aux gamins

pour savoir comment ça fonctionne.Et ça va même plus loin que ça dansla rupture générationnelle, et c’estbien illustré par l’histoire qui est arri-vée à un de mes amis, qui faisait uneanimation avec des enfants dans lanature, qui avait acheté une montrebeaucoup trop compliquée pour lui etqui n’arrivait pas à la remettre àl’heure. Un des gamins lui proposede le faire pour lui, il lui donne samontre, et le gamin s’enfuit avec encourant. Ça marque tout de mêmeune grosse évolution dans les rap-ports intergénérationnels. Et ça cen’est absolument pas pris en comptedans l’enseignement, où on continueà avoir le système entonnoir où lesachant enseigne celui qui ne saitpas, alors que c’est pas vrai, ça vadans tous les sens, maintenant.Alors, évidemment, ça ne fonctionnepas, avec des bases cro-magno-nesques dans un monde modernedifférent.

Evaluation également : auparavant,une innovation, rare, est locale, etelle diffuse lentement. Elle a le tempsd’exprimer éventuellement un certainnombre de ses nuisances locales.Actuellement, ce n’est plus le cas,une innovation est d’emblée mondia-le. Pour les OGM, on a un recul dedix ans, et on en fait dans le mondeentier, un nouvel additif dans les car-burants est distribué en une semainedans toute la planète. On est doncdans des conditions qui n’ont plusrien à voir avec les évaluations tradi-tionnelles, alors que, même si lestechniques ont évolué, les principesd’évaluation restent les mêmes.

Deux changements radicaux sontsurvenus depuis à peu près la moitiédu siècle dernier :- le premier, c’est que l’Homme n’estplus, de droit, au monde, ce quichange totalement la conceptionmême de l’être. On n’est pas lemême Homme si on est de droit aumonde ou si on a la possibilité,d’ailleurs de plus en plus prégnante,d’en être effacé.

Comme l’a dit Stéphanie Daydé, leproblème actuel n’est pas de faire

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des corrections techniques à un sys-tème défectueux, c’est un problèmed’ontologie.

- Autre nouveauté radicale : la disso-ciation, qui n’est jamais prise encompte non plus, est la dissociationentre les intérêts de l’individu ou col-lection d’individus, et ceux, d’autrepart, de l’espèce ou de la biosphère.Quelque chose qui est bon pour l’indi-vidu n’est pas forcément bon pourl’espèce ou la biosphère. Plus rien,encore une fois, n’est plus « bon apriori », du fait même de cette disso-ciation. Quelque chose qui est bonpour mon confort, pour ma santé,pour mon plaisir, autrefois, ne posaitpas de problème. Cette dissociationexistait, mais elle était invisible, alorsque maintenant, elle se manifesteavec force.

Comme on le disait tout à l’heure,croître et multiplier, la médecine, leconfort etc. ne peuvent plus être jus-tificateurs, car maintenant, on a cetautre objectif, qui est de perdurer entant qu’espèce. Bien entendu, on varetrouver ça dans un problématiqueque je cite souvent, car c’est undomaine que je connais bien, c'est-à-dire les OGM et là, quand on parle,avec toute la prétention possible, caril faut quand même dire que la scien-ce moderne s’accompagne d’unefatuité assez impressionnante, onnous dit : « on va comparer les béné-fices et les risques ».

Comme j’ai eu l’occasion de le dire uncertain nombre de fois dans les com-missions auxquelles je participe, onomet de vérifier que bénéfice etrisque sont des notions compa-rables, c'est-à-dire qu’elles ont mêmenature et notamment qu’elle s’adres-sent à la même chose, or ce n’estpas comparable si les bénéficess’adressent à l’individu et les risquesà l’espèce. On nous parle d’augmen-tation de rendement, d’augmentationde la rentabilité etc., tout cela étantbien entendu contestable, maisacceptons-le par hypothèse, on a,par ailleurs, une transgression desmodalités naturelles de l’évolution etdonc s’il y a un problème là, c’est au

niveau de l’espèce. Nous avons tra-vaillé sur ce sujet et nous avonsconclu que ce risque existe, et cerisque là est bien entendu incommen-surable avec les bénéfices attendus.

Cette prétention à évaluer la balancerisque/bénéfice résulte d’une absen-ce totale de réflexion dans le contex-te de la modernité.

Au total, et encore une fois, rien nepeut être justifié a priori, même laconnaissance, car la connaissanceelle-même peut à elle seule avoir desconséquences tragiques. Pensonspar exemple à la décortication analy-tique des mécanismes amoureuxsans même aller jusqu’à leur repro-duction synthétique : rien que celan’aurait-il pas un impact considérablesur notre mode relationnel, c'est-à-dire sur notre être même?

Citons maintenant, pour ce quiconcerne la justification a priori, cetexcellent auteur qu’est NissimAmzallag : « l’association d’un pouvoirde fascination et d’un savoir clos estparticulièrement dangereuse, parcequ’elle ouvre la voie à une manipula-tion possible de l’opinion publique.Cette manipulation est d’autant plusfacile qu’elle lie une découverte audéveloppement d’un nouveau remèdeou d’une machine révolutionnaire ».On a là d’une façon extrêmement syn-thétique ce que j’ai développé d’unefaçon plus maladroite, mais, effecti-vement, il y a un pouvoir de manipu-lation, mais ce qui est étonnant, c’estque le manipulateur est sa proprevictime, et c’est ça aussi qui estcaractéristique de la vue extrême-ment courte des technocrates scien-tifiques ou politiques.

Bien entendu, une telle remarque,que ce soit celle de Nissim ou lamienne est absolument scandaleuse.Aller remettre en question les a prio-ri qui sont validés par toute notre cul-ture, c’est scandaleux et ça suscitela colère. Aller dire qu’une nouveautémédicale ou qu’un projet derecherche ne peut être accepté telque et doit être discuté, c’est actuel-lement scandaleux dans notre socié-

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té, et peut-être même ici, dans cecolloque.Bien entendu, un autre caractèremajeur est la constatation du carac-tère exponentiel de l’évolution dessciences et des techniques. On vaciter ici Kenneth Boulding, économis-te, la citation vient du journal LeMonde : « toute personne croyantqu’une croissance exponentielle peutdurer infiniment dans un monde finiest soit un fou soit un économiste »,en fait, on peut dire aussi « est soitun fou soit un biologiste ». Il est bienévident, et ça, c’est un point majeurdans le monde moderne, on ne peutpas aller à l’infini dans un monde fini.C’est tout de même une parfaite évi-dence ! Il est bien évident qu’un systè-me qui s’auto potentialise ainsi nepeut pas durer, et qu’on le veuille ounon, un changement de paradigmeva se produire. Et il va se produire,soit par la destruction de l’humanitéet de tout paradigme, soit par l’émer-gence d’un nouvel accord avec lemonde, et c’est cette seconde issuequi est notre objectif à nous, c'est-à-dire la pérennité de l’Homme dans unmonde qui soit encore assez beaupour qu’il vaille la peine d’être vécu.Ceci veut dire aussi, même si çachoque certains de nos amis, qu’onn’est pas dans le développementdurable ni la décroissance soute-nable. On est dans la rupture, etavec tout ce que ça suppose, et jereprend la fin de l’exposé deStéphanie Daydé : une rupture cultu-relle de cette ampleur, ampleurjamais vécue dans l’histoire de l’hu-manité, ça veut dire une déstructura-tion de l’être si on ne s’y prépare paspsychologiquement et ça veut direpar conséquent émergence de vio-lences absolument bestiales, commec’est le cas chaque fois qu’on a dessituations dans lesquelles l’être setrouve déconnecté.

On retrouve ici un des thèmes quinous intéresse énormément, qui estla conception de l’être. La conceptionoccidentale de l’être, qui est assimiléà une entité spatio-temporelle dotéede qualités est une aberration com-plète. Vous prenez quelqu’un quin’est pas dans son pays ne serait-ce

que pour faire du tourisme, il n’a déjàpas le même comportement quechez lui. Quand il y a une guerre,comme en ex-Yougoslavie ou auRwanda, il y a des gens très bien,extrêmement sympathiques, quideviennent de vrais monstres en unrien de temps, du fait de la déstruc-turation de la société dans laquelle ilsvivent. On dit que c’est le même,mais non, ce n’est pas le même, il aperdu ses connexions structuranteset dans les interviews de ces gens-làqui ont eu lieu après la guerre deYougoslavie, ils disent « ce n’était pasmoi ». Et effectivement, ce n’étaitpas eux, car un être n’est pas uneentité spatio-temporelle pourvue dequalités qui lui seraient propres, c’estun être constitué par son universrelationnel, délocalisé et qui n’est quefocalisé dans l’espace et le temps.Cette conception occidentale mène àtout un tas de conséquences désas-treuses, car quand on se trompe sursoi-même, on se trompe sur lemonde.

Nous ne pouvons pas développer iciplus avant, mais il faut soulignerqu’un des devoirs majeurs de toutepersonne consciente de la probléma-tique moderne, est de préparer cepassage difficile du changement deparadigme, par une non violence acti-ve. On ne pourra réussir que si on nes’entretue pas.

Je fais une petite parenthèse sur cethème qui nous intéresse beaucoup.Quand j’étais président de la FRAP-NA Ardèche, association de protec-tion de la nature, on avait un pro-gramme nommé Nature-Culture, etnous avions invité des gens qui s’oc-cupent spécifiquement de non violen-ce. Nous voulions profiter de leurexpérience pour mettre en placecette non violence active. Le résultatde ces discussions a été que, eux,s’occupaient de violences généréespar des conflits, et donc, ça ne cor-respondait pas au problème dont onparle, où est en jeu une violence dedéstructuration, sans objet. Onretrouve ça quand on met un enfantdans une école étrangère dont il neparle pas la langue, souvent, il tape

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sur tout le monde, sans motif parti-culier. L’expérience de ces associa-tions de non violents ne nous serapas très utile et il faudra trouverautre chose, à notre avis.C’est notre message majeur, c’estune des rares choses que vraimenton affirme : il faut se préparer trèsactivement et très rapidement àcela, non pas à subir cette violence,mais bien à l’éviter.La note d’optimisme, c’est que dansces mêmes périodes de conflits etc.des gens qui arrivent à garder uncertain recul par rapport à eux-mêmes, eux, non seulement ne tom-bent pas dans cette violence bestia-le, mais en plus, gagnent d’une façonphénoménale en humanité, et ceci enun rien de temps. Pour nous, l’espoirest là et nous avons un optimismevissé au corps. Il n’y a rien de mani-festement impossible dans le passa-ge d’une humanité à l’autre.

Ce qu’on nous dit généralement,c’est que ce n’est pas la premièrerupture dans l’histoire de l’Homme.Certes, il y en a eu d’autres, on l’amontré, mais on n’a jamais euquelque chose qui soit, d’une part,aussi général, qui regroupe l’en-semble de la culture et des produc-tions humaines, aussi générale géo-graphiquement, du fait de l’impérialis-me de la culture occidentale, etjamais de cette ampleur là, on est àplusieurs ordres de grandeur de cequi se passait il y a seulement deuxsiècles (les courbes que nous avonsmontré sont en semi log et jamaisdans un monde à cours de res-sources, dans un monde aussi peu-plé et aussi puissant. On est, encoreune fois, dans une situation qui n’apas de rapport avec ce qui a été vécuauparavant. C’est pourquoi le retourau passé qui est prôné par certainsen se disant ça a marché, ça mar-chera de nouveau (avec le retour auclan, à la famille etc.), est un nonsens, car ça a marché, mais dans unautre monde, qu’on ne retrouverapas. Le retour au passé est aussiinapproprié que la poursuite du para-digme actuel.

Cela veut dire aussi qu’on ne peutpas pérenniser ce qui conduit à cettecourse vers l’infini. Qu’est-ce quiconduit à cette course vers l’infini ?On n’en sait rien, mais en fait, mêmes’il n’est pas possible de le démon-trer, on peut proposer une explica-tion simple qui colle bien avec cequ’on observe. Cette courbe a étémodélisée par John von Neumann,un des inventeurs de la cybernétique,qui a travaillé avec François Meyer.En posant une « boîte noire » qui pro-duit quelque chose et en appliquantun rétrocontrôle positif sur la boîte(le mécanisme de production) et unautre sur l’entrée, sans rétrocontrô-le négatif, on obtient ce type de cour-be. Dans la réalité, une inventionpotentialise non seulement le proces-sus de production qui la concernedirectement, mais elle potentialiseaussi l’émergence d’autres innova-tions, dans d’autres domaines etc.Par contre, tout obstacle à l’expan-sion est systématiquement gommé,empêchant toute rétroaction négati-ve régulatrice.

Quand il y a des bouchons sur lesroutes, qui pourraient dissuader lesgens de trop utiliser l’automobile indi-viduelle, on élargit les routes pourfaire disparaître le rétrocontrôle etc.On est bien dans un processus explo-sif. Pour nous, ce qui compte, cen’est pas d’aller contrebalancer deseffets négatifs produits par la sociétécontemporaine en disant « on vaavoir des solutions techniques à cha-cune des nuisances qu’on relève »,parce que, d’une part, on a vu quec’était surexponentiel, donc, on n’au-ra pas la possibilité matérielle decroître à la vitesse à laquelle crois-sent les nuisances, d’autre part,comme l’a dit Stéphanie, la techniqueétant aveugle, les corrections tech-niques apportées apportent égale-ment leurs propres nuisances. Cequi va compter pour nous, c’est d’al-ler rechercher ce qui génère ce typede courbe. Ce qui génère ce type decourbe, avant même la dispositiondes rétrocontrôles, ce sont lesconcepts et la façon d’être aumonde.

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Ce n’est pas pour rien que nousavons invité Majid Rahnema et ontrouve, dans son livre dont j’ai déjàextrait une citation, énormément dematière à enrichissement sur cesujet et je pense qu’il y a entre nousdes résonances extrêmement pro-fondes.

On va revenir maintenant sur letranshumanisme, car il y a quelquechose de commun entre eux et nous,qui est de penser que l’Homme doitradicalement changer. La grosse dif-férence, c’est que, eux, veulent lechanger avec encore plus de tech-nique, avec des artifices qui lui per-mette d’acquérir encore plus de puis-sance. Cette puissance est sous-jacente dans chacun des textes destranshumanistes (d’où, peut-être,leur succès auprès des politiques).Néanmoins, c’est quelque chose quenous n’avons pas rejeté d’embléemalgré le côté délirant de ce mouve-ment. Nous disposons ici, grâce àl’association OGM Dangers, qui nousa introduits à cette littérature, dequelques citations, non pas exacte-ment de transhumanistes, mais debiologistes proches de cette idéolo-gie, et qui sont des grands noms dela science :

« En appliquant des techniques debiologie aux embryons et, ensuite,au processus reproducteur lui-même, Metaman prendra lecontrôle de l’évolution humaine.

Quand les gens commencent à semodifier par des manipulationsgénétiques, la définition de « l’hu-main » commence à dériver. Desmodifications, ne serait-ce qued’un petit nombre de gènes clefsrégulant la croissance humainedevrait changer l’être humain enquelque chose d’assez différent.

La pression de sélection entreMetaman assurera la diffusion detoute modification significativeaugmentant les capacitéshumaines. Les populations quiadopteront ces techniques serontgénéralement loin devant lesautres.

De tels changements n’iront passans douleur. Mais, se demandersi ces changements sont« sages » ou « souhaitables » man-quent le point essentiel, qui estqu’ils ne sont pas, en très grandepartie, une question de choix : ilssont l’inévitable produit de l’avan-ce technologique, intrinsèque àMetaman ».

Pr. Gregory StockDirecteur du programme de méde-cine, technologie et société à laUCLA’s School of Public Health -prof. à l’Université de Princeton«Metaman : the merging of humansand machines into a global super-organism » - Simon and Schuster(New York) ed. 1993

Ça, c’est fondamental, ça veut direqu’on assume que la courbe quenous avons vu tout à l’heure et qui vaà l’infini, est inéluctable et qu’il n’y apas d’autre possibilité que de la pour-suivre. On est dans le déterminismeà l’état pur : ce que nous vivons nepouvait pas être autre et le futur estcontenu dans le passé.

« The GeneRich (who account for10 % of the American population)all carry synthetic genes. […] Allaspects of the economy, themedia, the entertainment indus-try, and the knowledge industryare controled by members of theGeneRich class. Naturals work aslowpaid service providers or aslaborers, and their children, go topublic schools. […] If the accumu-lation of genetic knowledge andadvances in genetic enhancementtechnology continue […] theGeneRich class and the naturalclass will become entirely sepa-rate species with no ability tocross-breed, and with as muchromantic interest in each other asa current human would have for achimpanzee ».

« Les GeneRich (qui représentent10 % de la population Améri-caine), portent tous des gènessynthétiques. […] Tous lesaspects de l’économie, les médias,

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l’industrie des jeux et l’industriedu savoir sont contrôlés par lesmembres de la classe desGeneRich. Les Naturels travaillentà bas prix comme serviteurs outravailleurs manuels, et leursenfants vont dans les écolespubliques. […] Si l’accumulationdes connaissances en génétique etles avancées en technologie géné-tique continuent, la classe desGeneRich et celle des Naturelsdeviendront des espèces entière-ment séparées sans possibilité decroisement, et avec autant d’inté-rêt romantique mutuel que ce quiexiste entre les humains d’aujour-d’hui et les chimpanzés ».

Lee Siver - prof. de biologie molé-culaire à Princeton

« Re-making Eden » – Avon Books1998

On retrouve dans ce texte pas mal dechose qui ont déjà été soulignées,donc, il n’est pas utile d’en faire l’exé-gèse.

Malgré tout, on s’est dit qu’il y avaitune proposition pour répondre audéfi de la modernité, et qu’il fallaitl’analyser. Une des réponses a déjàété donnée par Stéphanie : l’inten-tionnalité fait que l’être technologiquea un statut différent des autres. Dece fait, l’acte technique engendrenécessairement des incohérencesavec la biosphère. En plus de cela,nous avons une réflexion qui, certes,est très théorique, et donc, on a ten-dance à considérer que c’est sansimportance, mais pour nous c’estpas du tout négligeable, au contraire.

Nous considérons la nature mêmede la science, c'est-à-dire la naturede sa vérité (ou validation des propo-sitions et assertions scientifiques).C’est bien ce qui caractérise la natu-re même de la science et de la tech-nique. Dans toutes les sciences,même s’il y a des particularités dansl’établissement de la vérité d’unescience à l’autre, la vérité résulted’une confrontation avec l’environne-ment local (je parle des sciences, et

pas des mathématiques ni de lalogique) et surtout, caractéristiqueessentielle, elle est indépendante dela capacité de l’Homme à persisterdans la biosphère.

On est bien d’accord sur le fait quelorsqu’on établit une vérité scienti-fique, la perspective de la survie del’Homme n’est pas pertinente. Parconséquent, vérité scientifique etdevenir de l’Homme sont indépen-dants. En tout cas, s’il existe unedépendance cryptique, ce que jepense, elle est partielle. Ceci veutdire que les productions scientifiquessont au moins en grande partie aléa-toires par rapport à la capacité del’Homme à se maintenir dans la bio-sphère.

Ce qui veut dire aussi que touteaction technique agissant sur la natu-re, justifiée par cette vérité là intro-duit de l’aléatoire dans ce systèmeorganisé qu’est la biosphère (auto-organisée, mais organisée). Parconséquent, toute action techniqueconcernant la nature désorganise labiosphère.

C’est peut-être très théorique, maisça me paraît tout à fait correct, etlourd de conséquences.

Alors, quand on reprend notre cour-be, Cro-Magnon aussi, bien entendu,introduisait de l’aléatoire dans la bio-sphère, mais même si on sait peutde chose sur les systèmes com-plexes, on en connaît tout de mêmela solidité, et ce qu’il pouvait faireavec ses silex n’avait pas d’incidencefondamentale, même s’il a étécapable de faire disparaître quelquesespèces, si ce n’est qu’il a enclenchéun processus qui finit par être signifi-cativement destructeur.

Quand on se réfère à la courbe enlog de l’évolution de la capacité tech-nique à agir sur la nature, cettequantité d’aléatoire introduite dans lesystème naturel ne peut plus êtreconsidérée comme négligeable.

Il s’agit donc bien ici d’une critiqueabsolument fondamentale de l’acte

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technique par lui-même et de lascience dans sa nature même. Onl’avait dit qu’on allait être très violent.On nous dit souvent que la biosphèren’a pas pour mission de garderl’Homme en son sein. Certes, c’esttout à fait exact, mais on a envie d’yrester. Il y a une branche de l’écolo-gie militante qui dit que si l’Hommen’était pas là, ce serait mieux. Bon,pourquoi pas, encore que selonnous, cette affirmation n’a pas desens, mais surtout, ce n’est pasnotre position. Nous trouvons quel’Homme, c’est pas mal, surtout lamémoire humaine, car dans laconception de l’être, on a dit qu’ilétait délocalisé dans l’espace et dansle temps, et on a besoin d’un futurprojeté pour être maintenant. Et on aaussi besoin d’un passé pour êtremaintenant. A la limite, si ce n’étaitpas l’Homme qui persistait, ça ne megênerait pas trop, à condition qu’il yait un être qui pérennise sa mémoi-re.

D’autre part, comme l’Homme estsource de sens pour l’Homme et qu’iln’y en a pas d’autre, je ne vois pascomment on peut parler d’un mondesans l’Homme.

Ces deux remarques faites, la bio-sphère n’a certes pas pour missionde garder l’Homme en son sein, maisnous, on a envie qu’il y reste, et cettebiosphère telle qu’elle est, qui ne luigarantit rien, est néanmoins sameilleure chance possible de survie.Ceci à quelques détails près et peut-être que si on voit se pointer unmétéorite énorme et qu’on peut ledévier, c’est peut-être bien aussi,même si c’est intentionnel…

Tout ceci car, comme l’a ditStéphanie, on est dans un monde quiest complexe, dans lequel existe cephénomène caractéristique des sys-tèmes naturels qu’est l’émergence,cette dernière se caractérisant parune rupture logique, c'est-à-dire quedes séries indépendantes se mettentà faire sens, mais ce sens ne peutêtre constaté qu’a posteriori, ce quifait que nous n’avons pas la capacitéde prédire, sauf localement, dans un

système complexe et par consé-quent, la seule chose que nous puis-sions faire, c’est de vivre dans cemonde, celui dans lequel on est, etpas le refaire, contrairement à laposition du transhumanisme parexemple.

Ensuite, on va nous dire que la bio-sphère, elle-même, est issue duhasard, et nous sommes bien d’ac-cord, il s’agit d’une auto-organisationqui provient du hasard, mais néan-moins, elle ne s’est pas fait par unseul coup de dés créant le monde telqu’il est maintenant, mais par unesérie de restrictions successives, quienferment progressivement l’aléatoi-re.

Là-dessus, nous avons une longueréflexion et nous dépasserions large-ment le temps imparti si nous vou-lions aborder ce thème, mais pournous, la conception positive desactes de l’humain est exactement àl’inverse des actes naturels, quiconsistent en restrictions (négatives)enfermant un aléatoire qui assurel’évolution. Ce processus est exacte-ment l’inverse des constructionsmentales humaines.

Autre conclusion habituelle, c’estqu’alors on ne fait rien. Bien entendu,si on ne fait rien, ça ne va pas nonplus. Non seulement on est obligé defaire quelque chose, mais on vit dansun monde réel, et il est impossible derenier d’un coup toute une culture etun mode de faire, ne serait-ce queparce qu’on a construit des tas dechoses qui doivent fonctionner.

Nous avons dit tout à l’heure qu’onne peut, dans un système complexe,par faire de prédiction autre quelocale, comme ce que nous faisonsdans les commissions d’évaluationdes OGM par exemple, où on se posela question de ce que ça peut faire là,juste là, mais pas sur la globalité dusystème, puisque c’est imprédictible.

Alors, comme on ne peut pas savoir,on ne cherche pas et on s’en fiche.En fait, actuellement, étant donnée lapuissance technique que nous avons

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mise en place et notre capacité àintroduire du hasard en grande quan-tité dans la biosphère, ce qui impor-te, ce n’est pas de prédire ce que çava faire, mais bien avec quel niveaude l’organisation j’interfère. Est-cequ’on interfère avec la structure dusystème ou son organisation, peut-être que Gérard Toulouse pourralever cette ambiguïté entre ces deuxtermes puisque c’est un domainequ’il maîtrise mieux que moi, c'est-à-dire qu’on met vraiment en jeu ladynamique même du système, oubien, non.

Alors si c’est non, on peut expéri-menter, car il faut bien faire quelquechose, même en attendant de pen-ser mieux, mais on prend desrisques pour l’individu, qui doiventêtre minimisés, mais qu’il faut accep-ter. Par contre, si on conclut qu’ontouche l’organisation elle-même de labiosphère, sa dynamique selon leterme des physiciens, alors, le princi-pe de précaution est fondé, et cesans avoir à prédire la forme de lacatastrophe annoncée.

Donc la problématique de la prise dedécision doit changer radicalement,et d’urgence, dans la mesure où,effectivement, on ne peut pas ne rienfaire.Nous nous sommes intéressés àconstruire ce nouveau mode d’éva-luation et c’est ainsi que nous avonstraité le problème des OGM. Laréponse, pour nous, c’est qu’ontransgresse deux principes fonda-mentaux de l’organisation des sys-tèmes en faisant de la transgénèse :- le premier, c’est la restriction dansle possible réalisable qui est le pre-

mier pas de l’organisation, et ça onpourrait le montrer assez facilementavec un peu de temps, on pourra lefaire lors de la discussion si on nousle demande ;- le second, qui est plus compliqué àtraiter et qu’on pourra difficilementaborder ici, c’est l’historicité des élé-ments du système. Quand on fait unetransgénèse, on décide, de facto(sans le dire), que le gène n’a pasd’histoire, ou plutôt que cette histoi-re n’est pas pertinente. C’est uneaffirmation hallucinante, et elle nepasse que parce qu’elle est implicite.

C’est exactement le principe du lapinen Australie : on décide que le lapinn’a pas d’histoire. Dire qu’un être bio-logique n’a pas d’histoire, ça veutdire aussi : le darwinisme à la porte.Même si certains ici critiquent le dar-winisme, il y a quand même cer-taines notions qui sont un progrèspar rapport aux conceptions anté-rieures. Quoi qu’il en soit, les êtresbiologiques sont des êtres évolutifs,historiques par nature.

Voilà donc, rien que sur les OGM, laviolation de deux principes fondamen-taux de l’organisation qui justifient leprincipe de précaution et donc l’arrêtde la transgénèse, en tout cas deson usage en milieu ouvert. Nousparlerions différemment de l’usageen milieu fermé, que nous critiquonségalement, mais dans un cadre etune approche autres.

J’en reste là de ce tableau à trèsgrands traits, et la discussion estouverte sur les deux exposés, celuide Stéphanie et le mien.

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Bibliographie

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Ouvrages disponibles en consultation au local de la FRAPNA Ardèche

- Activités ludiques, sensorielles et naturalistes, Scéren CRDP Franche-Comté.- Pistes, Louis Espinassous, éd. Milan.- Animature, Tome 1 et 2, les Ecologistes de L’Euzière.- Grammaire de l’imagination, Gianni Rodari, éditions Rue du Monde.- Artistes de nature, artistes de nature Pratiquer le land art au fil des saisons, Marc Pouyet, éditions Plumede Carottes.

- L’environnement en Rhône-Alpes, les propositions de la FRAPNA, réalisé par la FRAPNA.- La peur de la nature, François Terrasson, éditions le Sang de la Terre.- Mythologie des arbres, Jacques Brosse, Petite Bibliothèque Payot.- L'Enfant d'aujourd'hui sur les chemins de l'imaginaire, AGIEM 1986.- Justice, Nature et Liberté, les enjeux de la crise écologique, Fabrice Flipo, 2007.- Les Sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes, Sabine Rabourdin, changer d’ère, editionsDelachaux & Niestlé.

- Actes de la Journée de réflexion : L’Eco-citoyenneté : Eduquer pour s’engager au quotidien ?, GRAINERhône-Alpes.

- Actes des 6èmes rencontres Rhône-Alpes de l’Education à l’environnement, 30 novembre et 1er décembre2006 à Cublize (69) ; GRAINE Rhône-Alpes.

Des ressources bibliographiques, les actes et les différents dossiers réalisés par le GRAINE Rhône-Alpes sont enligne sur le site : http://www.graine-rhone-alpes.org- Actu Frapna 07 Spécial rencontres Nature Culture, octobre 2007.

Autour du conte- L’art de conter, la pratique et le répertoire du conteur, Jean-Claude Renoux, Edisud.- Conter pour les petits, la trame, Hélène Loup, Edisud.- L’éveil par le conte, petits parcours théorique, suivis de 25 historiettes pour parents et éducateurs dejeunes enfants, JC Renoux, Edisud.

- L’art du conte, Cahier d’atelier, le Ludion littéraire, éditions de l’Harmattan.- Contes et légendes de l’Arbre, collectés par L. Espinassous, éditions Hesse.- Mille ans de contes sur les sentiers, collectés par L. Espinassous, éditions Milan.- Histoire d’Arbres, des sciences aux contes, P. Domont et E. Montelle, éditions Delachaux et Niestlé.- Contes, Henri Pourrat, Editions Folio.- Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage, Jihad Darwiche David B, éditions Albin Michel.- Le folklore de France, la Faune, Paul Sébillot, éditions Imago.- Le cercle des menteurs, Jean-Claude Carrière, éditions Pocket.- L’arbre d’amour et de sagesse, Henri Gougaud, éditions Points.

Autres pistes (non disponibles à la FRAPNA Ardèche)- Dictionnaire des Symboles, J. Chevalier et A. Gheerbrant, éd. Bouquins.- La plante compagne ; le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, P. Lieutaghi, éditions Actes Sud.- Et la Nature ?, Robert Hainard, éditions Hesse.- Forêts, Essai sur l’imaginaire occidental, P. Harrisson, éditions Sang de la Terre.- L’âge d’or de la forêt, S. Cassagnes Brouquet et V. Chambarlhac, éditions du Rouergue.- Guide de l’Educateur nature, Philippe Vaquette, éditions le souffle d’or.- Education à l’Environnement, Ecopsychologie et Philosophie de la Nature, Chemin de traverse, CollectifInternational en Réseau pour une Coopération en Education à l’Environnement, n° 1, Juin 2005.

- La poétique de la rêverie ; Psychanalyse du feu, G. Bachelard.- Alterner pour apprendre ; entre pédagogie de projet et pédagogie de l’éco-formation, livrets d’Ecole etNature.

- Chemins de l’imaginaire, pédagogie de l’imaginaire et éducation à l’environnement, Dominique Cottereau, édi-tions de Babio.

- Habiter la Terre, Ecoformation terrestre pour une conscience planétaire, coordonné par Gaston Pineau,Dominique Bachelart, Dominique Cottereau, Anne Moneyron, réseau Ecole et Nature.

- Quinze pédagogues, textes choisis (sous la direction de Jean Houssaye), éditions Armand Colin.- La politique de l’Oxymore, Bertrand Méheust, éditions les empêcheurs de penser en rond, la découverte.- Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, Selma Lagerlof.- Contes et légendes du plateau Ardéchois, J.-M. Cordes, éditions Ardèche poche.- Légendes des lacs et rivières, Bernard Clavel.- Collection Paroles de conteurs, éditions Syros jeunesse.- Le rire de la Grenouille, petit traité de philosophie artisanale, H. Gougaud, éditions Carnetsnord.

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Les quatrièmes rencontres Nature Culture ont été l’occasion de réunir de nombreuses personnesautour de notre projet. La forme et le fond ont constitué une trame de réflexion, d’approches et deconvivialité à la hauteur de nos espérances…L’émergence des idées, des émotions, du vécu de chacun n’est pas, on l’a vu, synthétisable.L’inventaire et le compte-rendu des discussions et des ateliers ne peuvent relater de façon exhaus-tive la richesse perçue par les participants et cela méritait d’être vécu.

Vu des coulisses, les rencontres ont été une belle action fédérative, nous sommes ravis dela participation des différents intervenants qui nous ont apporté énormément de matière,transmis leur passion, leur savoir ou leur vision des thématiques abordées.

Nous les remercions d’avoir répondu à notre appel, d’avoir été si généreux en matière à pen-ser ou à pratiquer et dans la simplicité et la convivialité de ces rencontres.

La diversité de leurs approches, leurs parcours et leur implication dans ces journées ont per-mis de donner de la consistance aux rencontres et les participants n’ont eu que l’embarrasdu choix quant aux ateliers de l’après-midi.

Concernant l’organisation technique, un grand merci à toutes les « petites mains » de ces ren-contres, bénévoles et salariés qui ont veillé à ce que tout se déroule au mieux, jonglant avec les dif-férentes contraintes et les imprévus pour assurer l’accueil et le bon déroulement de ces rencontres.

L’équipe constituée par la réunion des deux sections FRAPNA Rhône et Ardèche s’est impliquéecorps et âme dans ce projet, dans une ambiance sympathique et amicale.

Quant au public, ceux qui ont passé une journée avec nous ont pu avoir un aperçu de ce projetNature Culture qui nous tient tant à cœur. La participation a été importante (97 personnes, dont70 salariés, 22 bénévoles et 5 intervenants « extérieurs »). Les retours transmis ont mis en avantla réussite des ces rencontres.

La recette Nature Culture ?- Un lieu, avec une âme, plein de salles (dont certaines chauffées), un hébergement, un réfectoireet un accès direct à la nature.

- Des intervenants triés sur le volet…, mais surtout animés d’une passion, d’une braise qui nedemande qu’à être avivée…

- De l’alternance, bien que les journées soient trop courtes, avec de la discussion, de la pratique, del’échange et du temps pour se rencontrer.

- De la poésie, du rêve, des histoires et des mélodies. Une conteuse pour tenir en haleine tout sonpublic. Un petit concert sympathique, la nuit et les étoiles, de quoi discuter et ré enchanter lemonde…

- Un peu de logistique, à grands renforts de rouleaux de scotchs, d’ordinateurs, de courses, de listesmodifiées 50 fois, de minutage, de petits moments de panique, de clés perdues.

- De l’implication, de l’improvisation, de l’adaptation, du rebondissement… On ne fait pas de ren-contres Nature Culture tracées au cordeau, clés en main, sinon ce serait presque fade.

- Et des participants, volontaires, prêts à cogiter, pratiquer, et braver la froidure des salles et desbords de ruisseaux…

N’oubliez pas de visiter nos pages Internet pour retrouver les coordonnées des intervenants, lestextes récoltés… sur www.frapna.org/ardeche

Remerciements

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