Douleurs de la cheville : ostéome ostéoïde ou moral dans les chaussettes ?

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 121—126 VOTRE PRATIQUE Douleurs de la cheville : ostéome ostéoïde ou moral dans les chaussettes ? Ankle’s pain: Osteoid osteoma or low moral? Benoît F. Leheup , Rachel Isidore 1 Service régional de soins palliatifs, hôpital Beauregard, CHR de Metz-Thionville, BP 60327, 57126 Thionville cedex, France Disponible sur Internet le 19 mai 2009 MOTS CLÉS Douleur chronique ; Ostéome ostéoïde ; Psychothérapie Résumé Si la plainte somatique peut évidemment exprimer la douleur du corps, elle peut aussi être le moyen d’exprimer une souffrance d’une autre nature. Nous présentons le cas d’Élodie, jeune fille opérée à deux reprises pour un ostéome ostéoïde du tibia gauche et se plaignant de douleurs de la cheville. La première consultation ne permettant pas de caractériser précisément la douleur d’Élodie, qui verbalise, par ailleurs, des difficultés personnelles, nous lui proposons de débuter un suivi psychologique pour tenter de découvrir le sens véritable de sa plainte somatique. La prise en charge psychologique lui a permis de prendre conscience que sa douleur était un mode d’expression de ses difficultés familiales et de sa peur d’une récidive de l’ostéome ostéoïde. Cette prise de conscience a entraîné une très nette diminution de l’intensité des douleurs, en l’absence de toute prise médicamenteuse. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Chronic pain; Osteoid osteoma; Psychotherapy Summary If somatic complaint can of course express the body’s pain, it can also express another suffering. We submit the case of Élodie, a young girl operated twice for osteoid osteoma on the left tibia and complaining about pains on the ankle. During the first consultation, we were not able to characterize precisely Élodie’s pain. Because Élodie expressed personal suffering, we suggested her to start out psychotherapy to discover the true signification of her somatic complaint. Psychotherapy allowed Élodie to be aware that her pain was a way to express her family difficulties and the fear that osteoid osteoma recurred. This awareness led to a decrease in the pain’s intensity, without any drug prescription. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B.F. Leheup). 1 Photo. 1624-5687/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2009.04.003

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 121—126

VOTRE PRATIQUE

Douleurs de la cheville : ostéome ostéoïde ou moraldans les chaussettes ?

Ankle’s pain: Osteoid osteoma or low moral?

Benoît F. Leheup ∗, Rachel Isidore1

Service régional de soins palliatifs, hôpital Beauregard, CHR de Metz-Thionville, BP 60327,57126 Thionville cedex, France

Disponible sur Internet le 19 mai 2009

MOTS CLÉSDouleur chronique ;Ostéome ostéoïde ;Psychothérapie

Résumé Si la plainte somatique peut évidemment exprimer la douleur du corps, elle peutaussi être le moyen d’exprimer une souffrance d’une autre nature. Nous présentons le casd’Élodie, jeune fille opérée à deux reprises pour un ostéome ostéoïde du tibia gauche et seplaignant de douleurs de la cheville. La première consultation ne permettant pas de caractériserprécisément la douleur d’Élodie, qui verbalise, par ailleurs, des difficultés personnelles, nouslui proposons de débuter un suivi psychologique pour tenter de découvrir le sens véritable desa plainte somatique. La prise en charge psychologique lui a permis de prendre conscienceque sa douleur était un mode d’expression de ses difficultés familiales et de sa peur d’unerécidive de l’ostéome ostéoïde. Cette prise de conscience a entraîné une très nette diminutionde l’intensité des douleurs, en l’absence de toute prise médicamenteuse.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSChronic pain;Osteoid osteoma;Psychotherapy

Summary If somatic complaint can of course express the body’s pain, it can also expressanother suffering. We submit the case of Élodie, a young girl operated twice for osteoid osteomaon the left tibia and complaining about pains on the ankle. During the first consultation, we werenot able to characterize precisely Élodie’s pain. Because Élodie expressed personal suffering,we suggested her to start out psychotherapy to discover the true signification of her somaticcomplaint. Psychotherapy allowed Élodie to be aware that her pain was a way to express her

family difficulties and the fear that osteoid osteoma recurred. This awareness led to a decreasein the pain’s intensity, without any drug prescription.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (B.F. Leheup).

1 Photo.

1624-5687/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.douler.2009.04.003

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La douleur est évaluée entre 3 et 8 sur 10 à l’Échellenumérique, elle est décrite comme permanente, diurne et

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ntroduction

es médecins travaillant en consultation de la douleur chro-ique ont l’habitude d’entendre leurs patients parler noneulement de leur douleur et de ses caractéristiques, maisussi des répercussions psychologiques qu’elle entraîne.

S’il est courant d’observer une asymétriedans le discours, l’accent étant parfois mis

plutôt sur le plan psychologique, la descriptionde la douleur reste la plupart du temps un

moment clé de l’évaluation initiale.

Nous présentons dans cet article le cas d’Élodie, jeunelle présentant des douleurs de la cheville s’inscrivant dans

es suites de la prise en charge d’un ostéome ostéoïde.Le cas d’Élodie nous a paru intéressant car, dès

’évaluation initiale, la description de la douleur était relé-uée au second plan, ce qui nous laissait penser qu’elle’était qu’un moyen d’exprimer une souffrance d’une autreature. Notre prise en charge devait alors permettre à Élodiee traduire sa douleur et de lui redonner son vrai sens.

as clinique

istoire de la maladie

ors des vacances d’hiver 2005, Élodie L.1, âgée de 14 ans,ait une chute en skiant. Un bilan radiologique est réa-isé au service d’accueil des urgences le plus proche.ucune fracture n’est mise en évidence, mais les urgentistesvoquent alors le diagnostic d’ostéome ostéoïde de la che-ille gauche. Le bilan n’est cependant pas poursuivi. Élodieentre de vacances et ne présente aucune symptomatolo-ie douloureuse jusqu’au printemps 2006. Des examens pluspprofondis affirment alors le diagnostic d’ostéome ostéoïdee l’extrémité inférieure du tibia gauche. Un fraisage souscanner de la lésion est réalisé en avril 2006. La persistancees douleurs dans les suites de l’intervention fait évoquerne algodystrophie, diagnostic non confirmé. Le retour à’indolence complète était obtenu durant l’été 2006.

Au début du mois d’octobre 2006, Élodie constate uneecrudescence des douleurs qui l’amène à consulter à nou-eau auprès de l’équipe ayant réalisé le geste initial. Lesadiographies simples sont en faveur d’une récidive de’ostéome ostéoïde, alors que l’IRM ne peut conclure for-ellement. Une nouvelle intervention est décidée et, en

ovembre 2006, une exérèse en bloc de la zone rema-iée est réalisée, suivie d’une reconstruction par un greffonliaque prélevé du côté gauche. Finalement, l’examen dea pièce d’exérèse ne met pas en évidence de facon for-elle la récidive. Si, au plan osseux, l’évolution est tout à

ait satisfaisante avec une très belle intégration du greffon,’équilibre antalgique reste précaire. L’association paracé-

amol + codéine est peu efficace et mal tolérée. Un scannert une scintigraphie osseuse, réalisés pour rechercher uneécidive devant la persistance des douleurs après la réin-ervention, sont normaux. Élodie est alors adressée par

1 Le prénom de la patiente a été modifié.

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igure 1. Schéma de localisation de la douleur.ain’s location diagram.

on médecin traitant, sur les conseils des chirurgiens, à laonsultation de la douleur chronique.

valuation initiale

lodie se présente dans notre service en janvier 2008. Ellest accompagnée par sa mère qui assiste à la consultation.’anamnèse ne rapporte aucun élément nouveau ; Élodiee présente pas d’antécédents médicaux ou chirurgicauxotables.

Le questionnaire d’orientation, rempli à domicile par laatiente avant la première consultation, permet de préciseres caractéristiques de la douleur. Élodie la localise exclusi-ement à la face antérieure de la cheville gauche (Fig. 1).lle note que sa douleur la gêne « beaucoup2 » dans sa vieuotidienne. Dans le domaine des activités de loisirs, de laie familiale et sexuelle, « ca va bien », alors que dans la vierofessionnelle « ca ne va pas3 ».

Le profil comportemental de la douleur met en évidencene gêne fonctionnelle modérée, contrastant avec la placeu’Élodie donne à la douleur dans son discours (Fig. 2). Seulses items L à P du questionnaire de Saint-Antoine sont rem-

octurne, son intensité aurait augmenté progressivement

2 Gêne évaluée sur une échelle à quatre niveaux : « pas du tout »,un peu », « modérément », « beaucoup ».3 Répercussions sur la vie quotidienne évaluées sur une échelle àinq niveaux : « sans objet », « ca va bien », « c’est moyen », « ca nea pas », « c’est intolérable ».

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Figure 2. Questionnaire sur le profil comportemental de la doulePain’s behavioral disturbance questionnaire.

depuis son apparition. Aucun facteur déclenchant ou sou-lageant n’est retrouvé. Le temps de sommeil, évaluéentre sept et huit heures par nuit, est décrit commeperturbé. Les différents traitements entrepris jusqu’à pré-sent ont été inefficaces à l’exception de l’associationparacétamol—codéine, moyennement efficace, mais maltolérée.

Lorsque nous l’interrogeons, Élodie ne peut décrire pré-cisément ses douleurs4. En revanche, elle verbalise desinquiétudes quant à leur origine et dit craindre une réci-dive de l’ostéome ostéoïde. Elle s’inquiète également deses résultats scolaires, perturbés par la douleur et par les

traitements antalgiques. Elle précise être en terminale S,sur injonction de ses parents, alors qu’elle se destine à unmétier artistique. Ses parents ne s’y opposent pas, mais ilfaut qu’elle « passe son bac d’abord ».

4 Lors de la deuxième consultation, elle dira simplement qu’ellesressemblent à une « pression vers l’extérieur ».

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L’examen clinique est strictement normal, la douleur’est pas reproduite à la palpation et à la mobilisation de laheville. Le score au DN4 est de 0 sur 10.

Au terme de l’évaluation initiale, aucun changementhérapeutique n’est proposé à Élodie. Nous lui conseillonsn revanche de rencontrer une des psychologues du ser-ice et lui expliquons l’intérêt de ce type de suivi. Élodieemble n’adhérer que modérément à cette proposition,ais sa mère insiste et le rendez-vous est pris. Nous rever-

ons pour notre part Élodie tous les trois mois pour suivre’évolution des douleurs et envisager des modificationshérapeutiques.

uivi psychologique

ous rencontrons Élodie pour la première fois en février008. Après lui avoir expliqué les objectifs de la premièreonsultation (prendre contact et entendre ce qu’elle dit,ense, ou sait de sa douleur) nous lui donnons la parole.lodie ne parle pour ainsi dire pas de ses algies, mais

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igure 3. Questionnaire de Saint-Antoine.DSA.

endant près de 1 h 30, son discours porte sur les difficul-és de communication avec ses parents, le sentiment dee pas être aimée par eux et sur un complexe d’inférioritéar rapport à ses petits frères. Elle nous dit penser que ceont ses parents qui devraient être dans notre bureau. Au file la première séance, nous amenons Élodie à faire le lienntre ses émotions et ses propres pensées. Elle remarquenalement que ses conclusions découlent non pas de sesropres cognitions, mais de la lecture qu’elle fait des pen-ées de ses parents. C’est ainsi qu’elle comprend que de

elles distorsions cognitives (interprétations et représenta-ions biaisées) ne lui permettent pas d’être objective et laonduisent à une vision approximative, voire déformée dee que les autres pensent et de sa place effective dans laamille.

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Notre travail avec Élodie sera doncprincipalement consacré à lui permettre derepérer ses pensées dysfonctionnelles et à

réduire leur impact en développant des penséesalternatives.

Nous l’amenons également à faire le lien entre sesraintes de récidive et le ressenti de sa douleur. Élodie, qui’avait pu décrire sa douleur lors de la première consulta-ion médicale la décrit aujourd’hui comme « une boule, une

oule qui pousse et qui compresse ». Elle percoit la dimen-ion de sa souffrance exprimée au travers de cette douleurt précise aussitôt « comme si c’était la tumeur qui repous-ait ». Elle reconnaît avoir peur d’une récidive et pense quea douleur lui permet de rester vigilante. Nous lui proposons
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Douleurs de la cheville : ostéome ostéoïde ou moral dans les cha

Tableau 1 Questionnaire d’évaluation des séancesd’hypnose.Hypnosis evaluation questionnaire.

Avant Après

Douleur 9 0Fatigue 1 4Anxiété 8 0Tension psychique (sensation de stress) 8 0Tension physique (courbature musculaire) 3 0

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psmtltpmàddssrdennldnlsfineaétmédecin, à présenter comme prioritaire le suivi psycho-

Thymie (mauvaise humeur) 0 0Autre

alors de faire une séance d’hypnose lors du prochain rendez-vous pour diminuer cette angoisse. Avant de la saluer, nouslui disons souhaiter qu’un travail s’enclenche et lui expli-quons, à partir de ses propres propos, que la lecture dela pensée d’autrui est un dysfonctionnement de pensée.Puisqu’elle pense que ses parents ne l’aiment pas, nous luiproposons de leur poser la question lorsqu’elle s’en sentiracapable.

Un mois plus tard nous revoyons Élodie. Elle nous pré-cise que pendant cette période, la douleur a été moinsintense et les pics douloureux beaucoup plus espacés. Ellenous demande une séance d’hypnose pour réduire sa peurde la récidive. Avant de débuter, nous lui demandons sielle a essayé de parler à ses parents. Elle nous expliquel’avoir fait, mais avoir été bloquée par leurs rires et lesregards échangés avec ses frères. La description de cettesituation nous semble une bonne base de travail, car carac-téristique du dysfonctionnement de pensée d’Élodie. Étantpersuadée de ne pas être aimée par ses parents, elle ne peutexpliquer autrement leur rire. Nous lui demandons de nousdonner des hypothèses alternatives qui pourraient expliquerle comportement de ses parents. Élodie reconnaît que sademande les a certainement surpris et que leur silence etleur rire avaient peut-être plus à voir avec leurs propresdifficultés de communication qu’avec leurs sentiments pourelle.

Lors de la troisième séance, nous proposons à Élodie,devant l’absence de problématique particulière, une séanced’hypnose. Nous avons l’habitude au début des séances dedemander au patient de coter certains items de 0 « absencedu symptôme » à 10 « limite supportable du symptôme ».Cette cotation est à nouveau effectuée en fin de séance afind’en contrôler les effets sur la douleur et les angoisses (lesrésultats obtenus lors de cette séance sont consignés dansle Tableau 1). Notons que seule la fatigue a augmenté, cequi est habituel dans la mesure où une séance induit unedépense d’énergie psychique importante. Généralement,cette fatigue n’est pas la même qu’en début de séance, cequ’exprime Élodie qui dit se sentir « bizarre ».

Lors de la séance suivante, Élodie nous explique que ladouleur, qui avait complètement disparu, est à nouveau pré-sente depuis quelques jours mais de facon moins intense etplutôt en fin de journée. Elle nous dit d’abord penser que

la recrudescence douloureuse résulte de la fatigue accumu-lée au cours de la journée, puis concède que la douleur aaugmenté depuis qu’elle a recu les résultats du troisièmetrimestre, qui sont mauvais. Elle nous parle alors de son

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ussettes ? 125

rientation vers une terminale scientifique à la demande dees parents. Nous notons plusieurs dysfonctionnements deensée : des inférences arbitraires de type erreur de prédic-ion (« je n’aurai pas mon baccalauréat, je n’arriverai pas àéviser d’ici-là ») et des étiquetages (« si tu fais science, caeut dire que tu es intelligente ; je n’arrive pas parce que jee suis pas intelligente comme mes frères qui réussissent »).our lui permettre de développer des pensées alternatives,ous lui demandons, à partir de son expérience scolaire,omment elle a fait pour réussir jusqu’ici sans échec. Élo-ie élabore un nouveau schéma de pensée : « pour fairecience, il faut savoir, pour savoir, il faut apprendre ; sie sais, je réussis et comme je suis capable d’apprendre,e suis capable de réussir. Il faut donc je révise pouréussir ».

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n consultation douleur, la plainte somatique peut exprimervidemment la douleur du corps et les réactions émotion-elles et psychologiques qu’elle entraîne. Mais elle estouvent le moyen de faire apparaître, sans la nommer, uneouffrance d’une autre nature, masquée par le symptôme. Ilaut alors décoder le sens profond attribué à cette douleurt comprendre la vraie demande du patient. C’est ce faitu’illustre, nous semble-t-il, l’histoire d’Élodie.

Cette patiente jeune, chez qui un diagnostic étiologiquerécis a été porté, présentant une douleur très locali-ée avait, si l’on peut dire, de « bonnes raisons » d’avoiral. En tout cas, il pouvait sembler légitime de rappor-

er ses douleurs à sa pathologie et de mettre en œuvrees traitements médicamenteux adéquats. L’inefficacité desraitements entrepris et le passage à la chronicité auraitu conduire à une escalade thérapeutique si certains élé-ents de l’évaluation initiale ne nous avaient pas incitéscomprendre ce qu’Élodie voulait nous dire à travers sa

ouleur. Tout d’abord, la douleur qui est au premier planu discours d’Élodie lors de l’évaluation médicale initialeemble n’avoir paradoxalement que très peu de répercus-ions sur sa vie quotidienne, comme en témoignent leséponses au questionnaire de profil comportemental de laouleur (Fig. 2). Par ailleurs, la description de la douleurst très pauvre, seules les catégories L à P du question-aire de Saint-Antoine (Fig. 3) sont renseignées et ellese concernent que la composante psychologique de la dou-eur. Une telle asymétrie dans les réponses au questionnairee Saint-Antoine est rare, pour ne pas dire exception-elle et l’intérêt de ce test saute alors aux yeux. Enfin,e discours d’Élodie s’oriente rapidement sur ses difficultéscolaires, son peu de motivation pour une filière scienti-que qui lui a été imposée et sa peur de la récidive. Ellee parlera pas de ses difficultés familiales, probablementn raison de la présence de sa mère. Étant convaincusu terme de l’évaluation initiale que la plainte d’Élodietait porteuse de sens et qu’à travers elle s’exprimait uneoute autre souffrance, la difficulté consistait pour nous,

ogique plutôt que la prise en charge médicamenteuse.l nous fallait nous effacer, sans donner l’impression à laatiente que nous l’abandonnions ou que nous ne croyionsas en sa douleur, pour permettre à la psychologue de

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Le cas que nous vous avons présenté illustre cette pro-

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ouer le premier rôle dans le suivi. Ce dont Élodie avaitesoin, ce n’était pas d’un traitement médicamenteux,ais d’un espace où traduire sa douleur pour lui redonner

on sens, à savoir ici l’expression d’une souffrance fami-iale.

Élodie a progressivement pris conscience queson symptôme douloureux était porteur de sens

et lui permettait de s’exprimer.

Elle a constaté que ses douleurs n’apparaissaient plusu’en situation conflictuelle, ou pensée comme telle, aveces parents. Élodie a repris progressivement confiance enlle, le meilleur exemple étant l’obtention, au mois de juin,

e son baccalauréat. Bac en poche, elle a pu partir faire lestudes artistiques qu’elle souhaitait.

Au vu du niveau d’apprentissage d’Élodie à ce jour, nousensons qu’il faudra encore deux à trois séances pour l’aider

relâcher ce fonctionnement psychique et relationnel

bnpc

B.F. Leheup, R. Isidore

utour de sa douleur, à changer ce « comportementéviant ». Nous pensons qu’ensuite elle sera capable deontinuer seule et ainsi de reprendre sa « vraie place » dansa famille et de reconstruire des relations satisfaisantes aveces proches.

onclusion

ravailler en consultation douleur nous oblige à appréhen-er globalement nos patients et à ne pas nous contentere répondre à une doléance douloureuse par un traitementédicamenteux. Nous ne traitons pas une douleur, mais un

ujet douloureux.

lématique : si Élodie a mal à la cheville ce n’est pasécessairement parce qu’elle a eu un ostéome ostéoïde maiseut être tout simplement parce qu’elle a le moral dans leshaussettes, si l’on peut dire.