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  • Dossier lecture DUCATION & DEVENIRDUCATION & DEVENIRDUCATION & DEVENIR

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    Fonde en 1984 par Maurice Vergnaud, Directeur des collges sous le minis-tre d'Alain Savary, l'association regroupe des chefs d'tablissement, des en-

    seignants, des C.P.E., des documentalistes, des inspecteurs... surtout dans le se-cond degr.

    Elle est organise en groupes acadmiques de liaison, de rflexion et de pro-positions.

    Elle publie des courriers bimestriels de rflexion sur l'actualit ducative et la vie de l'association et quatre cahiers thmatiques annuels.

    Elle organise deux grandes manifestations annuelles : Une journe au Snat sur un thme d'actualit, en collaboration avec le CRAP, la FCPE, la PEEP, l'AFOEVEN, la Ligue de l'enseignement... dont

    les Actes ont t publis par Hachette ducation.

    Un colloque annuel thmatique de trois jours qui permet de confronter les expriences de terrain et de pousser la rflexion.

    Elle prend position par rapport l'actualit ducative, notamment dans le cadre du groupe dit des "14".

    Charte : http://education.devenir.free.fr/charte.htm Adhsion : http://education.devenir.free.fr/adhesion.htm

    EDUCATION & DEVENIR _ Secrtariat Gnral LYCE DIDEROT 23 Boulevard Lavran 13388 MARSEILLE cdex Tl : 04 91 61 22 62 Fax : 04 91 10 07 34 Adle : e-d@worldonline

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    Sommaire page 6

    http://education.devenir.free.fr/charte.htmhttp://education.devenir.free.fr/adhesion.htm

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    Avertissement L'association Education & Devenir n'a pas comptence trancher dans des d-bats techniques aussi bien de validation de travaux scientifiques que de perti-nence de mthodes de lecture. Mais quand sest amorc le (faux ?) dbat sur la lecture - voyant son champ d'action pitin par le 1er ministre et le Prsident de l'UMP, M. de Robien n'aurait lanc cette polmique que pour rappeler qu'il existe, disent certains - le Ministre de l'ducation nationale a fait appel des cautions scientifiques. Or certaines se sont immdiatement drobes sous ses pieds puisque le principal syndicat des orthophonistes ainsi que des chercheurs niaient tout lien de cau-salit entre telle mthode de lecture et la dyslexie. Cependant Le Figaro du 9 dcembre 2005 semblait avoir dcouvert "le" scien-tifique Franck Ramus - qui, partiellement au moins, apportait sa caution aux dires du ministre. Deux scientifiques taient enfin cits, peu aprs, par celui-ci : Liliane Sprenger Charolles et Jonathan Grainger. Roland Goigoux, avait en octobre 2005 donn une opinion au titre peu pr-monitoire La guerre des mthodes est finie - dans Libration. Pour tenter dy voir un peu plus clair, le plus simple tait de solliciter leurs points de vue. Cest donc ainsi qua dmarr un dossier fait dabord dune substantielle contribution de Roland Goigoux et dchanges avec F. Ramus et L. Sprenger Charolles. Un dialogue voix multiples sest alors mis en place ; des prcisions sont ap-portes (J-E Gombert, par exemple) ; les dsaccords sont mieux cerns ; les positions voluent ou au moins se nuancent, ainsi Franck Ramus prend linitia-tive dun texte co-sign par 17 autres scientifiques qui, certes ne lve pas tou-tes les rserves dun Roland Goigoux ou dun Andr Ouzoulias, mais entrane cependant de leur part une apprciation globalement positive. Dautres points de vue vont aussi sexprimer, partir dangles danalyse diff-rents, comme celui de Franoise Clerc, ou ceux de praticiens et formateurs. Pour rsumer, un dbat de haute tenue, entre gens honntes lusage des honntes gens, au sens classique du terme. Il peut leur permettre de se forger leur propre opinion partir darguments et non de slogans. Cela nocculte pas lengagement militant qui se traduit par des appels rsis-ter devant le danger dune sorte de caporalisme. Si ce dossier a une originalit, par rapport, par exemple, celui excellent du Caf pdagogique, cest dans ce dialogue, franc, sans complaisance, mais fait darguments, entre des chercheurs, qui sest dvelopp au fil des semaines.

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    Un ministre de lducation nationale qui joue les maires contre les ma-tres, convoque les diteurs scolaires, voil qui est indit ! Et qui, Lyssenko du 3e millnaire, nous dit la vrit scientifique officielle en affirmant, dans une rcente opinion dans Libration, quune science toute jeune la neuroscience cognitive a tranch en faveur de la m-thode syllabique . Plus aucune fausse science ne pourra rvoquer l'exprience. (Il oublie au passage 1) de prciser o, quand et surtout comment cette neuroscience, cognitive ou pas, a tranch sur lefficacit dune mthode aussi mal dfinie ; 2) quelle est cette fausse science dont on voit mal dailleurs comment elle pourra rvoquer une exp-rience pour le moment inconnue). Mais le trs lisse de Robien doit avoir un effet anesthsiant car sa dmar-che na gure provoqu de remous. Cest la premire fois sans doute quun ministre intervient dans le dtail mme du choix dune mthode prcise et propose aux diteurs de suivre lexemple de Lo et La (Les diteurs scolaires nous ont fait un compte-rendu de leur entrevue avec le ministre le 14 dcembre. Celui-ci veut obliger tous les instituteurs suivre une mthode syllabique : il prend pour modle la mthode Lo et La dont il a demand aux diteurs scolaires de sinspirer. Roland Goigoux). Et un Recteur zl de vouloir mettre lindex des mthodes juges hrtiques (mme si le secrtaire gnral du trs officiel Observatoire National de la Lecture nest pas tranger la conception de lune dentre elles). Le pur pragmatique , comme il se dfinit, est en fait la marionnette dun puissant lobby idologico-ractionnaire dont les groupes se dispu-tent dailleurs la paternit de la parole ministrielle condamnant la m-thode globale et assimile . Dans cette nbuleuse, on retrouve bien sr, Sauvez les lettres, mais aussi un SOS-Education dirig par un cadre commercial ce qui lui donne sans doute toute comptence sur les m-thodes dapprentissage de la lecture. Dans ses dclarations, de Robien na donc pas craint de faire appel aux neurosciences et invoquer un mystrieux rapport qui rcapitule quel-que 200 tudes ralises par des scientifiques . La grotesque affirma-tion, faite lassemble nationale que les spcialistes de neurosciences expliquent que le cerveau est ainsi fait que c'est par la mthode syllabi-que que l'on apprend le mieux lire , a t jug fallacieuse , mme par Franck Ramus, scientifique qui cependant paraissait le soutenir. Quant au lien entre dyslexie et mthode globale, que le ministre prten-dait dmontr par les orthophonistes, il a t immdiatement dmenti par la fdration Nationale des orthophonistes. Dans un 1er temps, le cabinet du ministre a t incapable de lui glisser un nom de scientifique lappui de ses thses. Cependant, Franck Ra-mus, sil rejetait la rfrence aux neurosciences et le lien de la mthode globale avec la dyslexie, son domaine de recherche, parlait de

    Le trs lisse de Robien nouveau Lyssenko ?

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    recherches exprimentales dmontrant la supriorit de la mthode syllabique. Puis deux noms apparaissaient : L. Sprenger-Charolles et J. Grainger. Si la 1re apportait de fait un soutien clair, le second fut plus timide. Sans vouloir trancher dans ce dbat, il semble cependant un peu biais, puisque si F. Ramus et L. Sprenger-Charolles insistent normment sur lobligatoire apprentissage de la liaison phonme-graphme, ils ont infl-chi (ou prcis) leurs positions, dans un texte sign avec 16 autres scientifiques, se rapprochant ainsi de ceux qui avec Roland Goigoux rap-pelle que cet apprentissage, de la grande section de maternelle au CE1, doit aboutir une matrise non seulement du dchiffrage mais de la com-prhension et de la production de textes et surtout entrer dans la culture de lcrit. Reste surtout que laffirmation dun ministre prtendant faire baisser le nombre dillettrs en 6e par les effets de sa circulaire serait grotes-que, si elle ntait pas scandaleuse (Le Monde de lducation, Janvier 2006). Car au-del de prtendues tudes neuroscientifiques, il y a des chiffres assez massifs pour montrer que la querelle des mthodes est seconde. Ce qui ressort avec une clart aveuglante de lvaluation 6e, cest que le score moyen des lves de ZEP en franais est de 11 points infrieur celui des lves non ZEP et que lcart monte 13 points en maths o les querelles de mthodes ne se posent pas ! Et, comme le rappelle J.-E. Gombert : L'valuation de la lecture que passent les jeunes entre 17 et 18 ans lors de la Journe dAppel de Prparation la Dfense (JAPD) et dont je suis responsable rvle en 2004 que si 11% des jeunes franais sont en grande difficult avec l'crit, c'est le cas de 14,2% des jeunes gens et de 7,8% des jeunes filles. Comme il le demande ironiquement filles et garons de nos coles mixtes auraient-ils appris lire par des mthodes diffrentes ? Quant aux en-fants arrivant dans nos collges en ZEP ont-ils tous t victimes de la malfique mthode globale ? Foutaises, bien sr. Lo et La, mthode recommande, ne changerait rien ces carts filles-garons ou dorigines sociales. M. de Robien a d tre HarryPotteris pour croire en une circulaire magique (voir lappel de 12 chercheurs et formateurs : Sauvons la lecture ). Et Franck Ramus et ses 17 collgues prcisent que lobligation denseigner le dchiffrage ds le CP ne rduirait que marginalement lillettrisme. Jean-Franois Launay

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    Remerciements Roland Goigoux, Franck Ramus, Liliane Sprenger Charolles, Jean-mile Gombert, veline Charmeux, Andr Ouzoulias, Rmi Brissaud et Franoise Clerc, scientifiques-citoyenscest--dire entrant dans le dbat de la cit, arms de leurs connaissances avec la force de leurs seuls argumentsqui ont nourri ce dossier de leurs rponses, contributions et changes. NB Une partie de la titraille (en particulier encadre) est de la seule responsabilit de son auteur JF Launay

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    Prsentation dducation & Devenir p 2 Avertissement p 3 Introduction p 4

    Sciences cognitives, neurosciences et enseignement de la lecture Roland Goigoux p 7

    changes avec et entre chercheurs p 17 Franck Ramus p 17 Jean-mile Gombert p 20 Jonathan Grainger p 21 Liliane Sprenger Charolles p 22

    Ne pas jeter le bb avec leau du bain Franck Ramus p 24 La majorit des mthodes adoptent une dmarche intgrative Roland Goigoux p 28 Invitons le ministre lire ce dbat Franck Ramus p 33 Quelques remarques propos de la rponse de Roland Goigoux L. Sprenger Charolles p 35

    Anastasie p 38

    Un point de vue scientifique sur lenseignement de la lecture texte sign par 18 chercheurs p 39 Courriel de Roland Goigoux p 42 Lobligation de la mthode syllabique est scientifiquement injustifie R. Goigoux p 43 Responsabilit pdagogique et principe de prcaution Andr Ouzoulias p 47 Il est encore temps dagir (adresse aux 18) Rmi Brissiaud p 53 Imposer le syllabique mais au fait la langue franaise est-elle syllabique ? Eveline Charmeux p 57 Apprendre lire avant 6 ans Andr Giordan p 60

    Ractions rapides Claude Pair et un mot dhumour p 61

    Du ct du terrain p 62

    Apprentissage de la lecture un appel au bon sens Pierre Frackowiak p 69

    Lecture est pluriel Michel Moulat p 72

    Les enseignants construisent leur propre dmarche Franoise Clerc p 75 Un dbat peut en cacher un autre

    Critique de lanticonstructivisme Franoise Clerc p 77

    Appels et ptitions p 79 Pour complter p 80

    D U C A T I O N E T D E V E N I R Prsident : Jos FOUQUE T l : 06 11 19 60 17 - Courr ie l : jose . fouque/ac-a ix -marse i l le . f r - ( remplacer / par @) Secrtai re Gnra l : Yves ROLLIN - Lyce Diderot - 13388 Marse i l le cedex 13 Tl : 04 91 61 22 62 - Fax : 04 91 10 07 34 - Cour r ie l : y ro l l in /yahoo. f r ( remplacer / par @) Trsorier : Jean-Franois DELPORTE Collge Jean Zay Rue du 11 Novembre - 76770 LE HOULME

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    Sciences cognitives, neurosciences et enseignement de la lecture

    1. Comment repenser les rap-ports entre neurosciences et pdagogie ? Aucune tude de neurosciences na port, ma connaissance, sur le rapport entre les pratiques p-dagogiques des matres de cours prparatoire et le fonctionnement du cerveau. Il y a, entre ces deux questions, un nombre considrable de ni-veaux danalyse qui sont loin dtre matri-ss et encore moins dtre modliss simul-tanment ! Comment un ministre a-t-il pu affirmer la tribune de lAssemble nationale sans provoquer plus de raction de la part de la communaut scienti-fique que les sp-cialistes de neurosciences expli-quent que le cerveau est ainsi fait que c'est par la mthode syllabi-que que l'on apprend le mieux lire ! Selon mes lectures, les principaux rsultats des recherches en neu-rosciences portent sur limpor-tance des traitements phonologi-ques durant la lecture, en particu-lier dans les langues crites qui, comme le franais, reposent sur une forte ossature alphabtique (cf. les travaux de sciences du langage de lquipe de Nina Ca-tach). Concernant lapprentissage de la lecture, un rsultat a t tabli empiriquement plusieurs reprises et sous diverses formes par les sciences cognitives : les comptences phonologiques des

    jeunes enfants influencent positi-vement la russite de leur appren-tissage de la lecture. Et ces com-ptences peuvent tre stimules par lenseignement. Liliane Spren-ger-Charolles, entre autres, dve-loppe ce point de vue depuis des annes en insistant sur le fait que la conscience phonologique est la fois une cause et une cons-

    quence de lapprentis-sage de la lecture, l-tude des correspondan-ces grapho-phonologiques produi-sant un effet en retour sur les comptences phonologiques des l-ves (cf. les travaux an-ciens de Morais et Al-gria sur ce sujet). Il existe sur ce point un vritable consensus

    que nous avons tent de formuler dans un ouvrage collectif que jai coordonn (Enseigner la lecture au cycle 2, Nathan, 2000) et qui runissait les contributions de psychologues cognitivistes rpu-ts : Gombert, Fayol, Valdois, Co-l et Mousty. Cette synthse pdagogique est une rf-rence pour la plupart des IUFM, des formateurs et des enseignant/e/s : les dcouvertes rcentes du ministre ne sont donc videm-ment pas des dcouvertes pour lensemble des professionnels ! Personnellement, jai conu avec ma collgue Cbe un instrument didactique visant le dveloppe-ment des comptences phonologi-ques des lves de grande section et de dbut du cours prparatoire (Phono, publi chez Hatier en

    Comment un ministre a-t-il pu affirmer la tribune de lAssem-ble nationale que les spcialis-tes de neurosciences expliquent que le cerveau est ainsi fait que c'est par la mthode syllabique que l'on apprend le mieux lire ?

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    2004) : cet outil connat un trs grand succs auprs des matres/ses/ dcole maternelle, dmunis dans ce domaine.1 (cf.http://www.bienlire.education.fr/04-media/a-reperes.asp). Est-ce que pour autant les rsul-tats des sciences cognitives per-mettent de conclure la supriori-t de telle ou telle mthode ? Non, bien sr, et je partage sur ce point lavis de Franck Ramus lors-quil affirme dans Le Figaro : lheure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas assez avances pour valider ou invalider telle ou telle pratique . Tout au plus, me semble-t-il, permettent-elles dindiquer les composantes de la lecture que la pdagogie na pas le droit de ngliger si elle ne veut pas prendre le risque de p-naliser les lves. Cest plus mo-deste mais plus rigoureux. Ma position personnelle pourrait tre rsume ainsi. La lecture est une activit qui requiert simulta-nment une pluralit de connais-sances et dhabilets intellectuel-les. Celles-ci doivent tre toutes enseignes et exerces lcole si lon ne veut pas se rsoudre un chec prcoce et cumulatif des lves les moins sollicits et les moins instruits hors lcole. En dautres termes, les recommanda-tions adresses aux enseignants devraient insister sur ce quils nont pas le droit de ne pas ensei-gner . Par exemple, ne pas ex-clure lenseignement explicite des correspondances grapho-phonolo-giques, ne pas ngliger les tches dcriture ds le dbut de lap-prentissage, ne pas remettre le travail denseignement de la com-prhension plus tard, ne pas r-server laccs au livre aux seuls

    lves capables de lire de manire autonome ou qui auraient fini leur travail avant les autres, etc.. cette pluralit de comptences construire doit correspondre une pluralit de modalits denseigne-ment : les matres doivent tour tour dlivrer des connaissances, donner des explications, montrer aux lves les procdures perti-nentes, les aider prendre cons-cience de ces procdures, propo-ser des activits de rsolution de problme, guider le transfert de connaissances, organiser de mul-tiples situations dentranements, dexercices et de jeux, multiplier les occasions de lire et dcrire

    2. Comment chapper aux piges mdiatiques ? mon avis, Jonathan Grainger2 sest fait piger en dclarant que le ministre avait raison (aprs avoir signal cependant que ce ntait pas son domaine de re-cherche) et Johannes Ziegler aussi en affirmant que la mthode ana-lytique ou syllabique se rvle plus efficace dans la mesure o elle permet lenfant dacqu-rir une mmoire phonologique donnant accs des milliers de mots . (Source AEF). Lenseignement des correspon-dances graphophonologiques est bien sr indispensable et il facilite le travail de la mmoire phonolo-gique : mais rien ne permet daffirmer que seules les appro-ches analytiques le prennent en charge ou quelles le font mieux que dautres. Cest mconnatre la ralit des pratiques pdagogi-ques. Ainsi, par exemple, la mthode Crocolivre , qui na rien dune

    2 Je dis que nos collgues se sont fait piger car lentre-prise est concerte. Il suffit pour sen convaincre dexaminer le travail ralis auprs des m-dias par le collectif Sauver les Lettres (cf. lenqute du Monde de lducation de d-cembre), ou, plus instructif en-core, le rseau des scientifiques dirig par le mathmaticien Lau-rent Lafforgue. Cf. par exem-ple http://www.ihes.fr/~lafforgue/textes/SavoirsFondamentaux.pdf http://www.ihes.fr/~lafforgue/textes/Courriel.pdfVoir aussi les textes diffuss par la fondation politique de lUMP, Fonda-pol : http://www.fondapol.org/projet-enseignement.jsp Lire ce propos ma rponse (polmique) dans le Caf pda-gogique : http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/goigoux.php

    1 Seul loutil de Zorman tait disponible jusque-l mais il avait souvent du mal sim-planter dans lcole en raison de quelques-unes de ses parti-cularits ergonomiques (par exemple le fait que ce soit un outil pour le travail en petit groupe et quil ninclut pas de dimension rflexive).

    http://http://www.ihes.fr/~lafforgue/http://www.ihes.fr/~lafforgue/http://www.fondapol.org/http://

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    mthode syllabique, organise un enseignement explicite et pro-gressif, ds le dbut de lanne, des correspondances grapho-phonologiques. Il est ais den d-battre avec ses auteurs : ce sont nos collgues psychologues Gom-bert et Valdois ! Voici, titre dexemple, les 13 phonmes quils proposent dtudier au cours du premier trimestre de CP : A, R, I, L, T, U, O, M, E, OU, P, N, (er, ez, es).3 Bref, par ignorance ou malveil-lance, il y a une vritable campa-gne dintox sur les ralits pda-gogiques4 : le phonme et la syl-labe ne sont pas lapanage des seules mthodes syllabiques ! On peut qualifier Crocolivre de mthode intgrative do-minante phonmique car elle as-socie dcodage, comprhension et acculturation. Terme trange et peu mdiatique je vous laccorde. Mais que voulez-vous, le monde rel est ainsi fait : ni blanc, ni noir, tout en nuances dont le langage se doit de ren-dre compte. Mme si les mdias nous pressent en permanence de choisir notre camp : blanc ou noir ! Cet exemple nest pas isol : la plupart des mthodes prennent appui sur une planification voi-sine. Ces mthodes ne se rdui-sent pas, contrairement aux m-thodes analytiques archaques re-mises au got du jour, au seul en-seignement du dchiffrage. Elles visent galement, ainsi que lexi-gent les programmes de lcole lmentaire, toutes les autres comptences requises pour lire et

    crire : manipuler les composants so-

    nores du langage parl (syllabes, rimes, phonmes) ce qui facilite leur mise en re-lation avec les composants du langage crit ;

    identifier et produire des mots crits (dchiffrage et mmori-sation de lorthographe) ;

    comprendre les textes, habile-t base sur une matrise de la syntaxe et du vocabulaire ;

    produire des textes, mme trs courts et avec laide de lenseignant, ds le dbut de lapprentissage ;

    entrer dans la culture de l-crit : ses uvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales.

    Lcole ne peut pas sous-traiter aux familles une part de lensei-gnement si elle ne veut pas contribuer reproduire les ingali-ts sociales. Ceci ne signifie pas,

    bien sr, quelle ne va pas rechercher les com-plmentarits et les colla-borations de toutes sor-tes avec les familles mais quelle doit se refuser abandonner des pans en-tiers de lapprentissage au hasard des conditions ducatives familiales. Or

    cest ce que fait la mthode sylla-bique stricte, faon mthode Bos-cher, en se limitant au seul B,A-BA.

    3. De quoi parle-t-on lors-quon oppose syllabique globale (et assimile) ? Les mthodes syllabiques sont des mthodes exclusivement syn-thtiques qui procdent du simple au complexe, des parties au tout.

    3 Jai not ici les archigraph-mes. 4 Le Bris et Boutonnet ne connaissent gure dautres classes que les leurs, tout en se permettant de parler des prati-ques des enseignant/e/s dcrites sur le blog de Sauver les Lettres ! Mais ce sont des pamphltaires, pas des scientifi-ques, ils sont excusables. Ce nest pas le cas en revanche de la part de chercheurs ou de responsables politiques.

    Lcole ne peut pas sous-traiter aux familles une part de lenseignement si elle ne veut

    pas contribuer reproduire les ingalits sociales.

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    Elles considrent laccs au sens comme le produit du travail de dchiffrage. En dbut danne, le travail sur la comprhension des textes est donc impossible en rai-son des pitres performances de dcodage des lves. Plusieurs mois sont consacrs ltude de phrases simplement juxtaposes, loin des rcits de la littrature pour la jeunesse (tous les verbes sont au prsent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux, etc.). Tous les efforts des lves sont orients vers li-dentification des mots. Comme ils ne peuvent, seuls, prouver le plaisir du texte ou du rcit, leur motivation est entretenue de ma-nire extrinsque : la promesse dun plaisir futur, la gratification des adultes, lhabillage iconogra-phique du manuel, laccroche af-fective dun personnage assurant la liaison entre les exercices, etc. Les mthodes globales privil-gient lentre par le sens et fon-dent leur dmarche sur lintrt port par les lves au contenu des textes crits qui leur sont pro-poss et lus, dans un premier temps, par les enseignants. Elles

    postulent galement que ce sont les messages crits complets et contextualiss qui sont simples comprendre, pas les units lin-guistiques abstraites. Une partie dentre elles sont drives de la mthode mise au point par Decro-ly au dbut du sicle. Cette mthode qui tait base sur la mmorisation de mots crits provenant dnoncs proposs par les enfants, a rapidement volu en France vers la mthode naturelle de Clestin Freinet qui a fait du texte lunit lmen-taire dtude et qui a accord lcriture (au sens de production de mots et de textes) une impor-tance capitale ds le dbut de lapprentissage, tout en insistant sur la dimension sociale de la communication crite. Pour ce qui est de lidentification des mots et de la construction du systme de correspondances gra-pho-phonologiques, ces mtho-des, analytiques, procdent donc linverse des mthodes syllabi-ques : elles vont du tout aux par-ties, cest--dire de la phrase (ou du texte) aux mots, puis aux syl-labes et enfin aux lettres et leurs correspondances avec les sons.

    Dominante dans les approches syllabiques Dominante dans les approches globales

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    --> 4. Que dit la loi ? Les programmes 2002 reprochent la mthode globale (au sens ici de naturelle ) de laisser les connaissances relatives aux cor-respondances grapho-phonologiques se constituer au hasard des rencontres et des r-actions des lves. Et ils deman-dent explicitement aux ensei-gnants de guider les deux proc-dures de synthse et danalyse (reprsentes sur le schma ci-dessus) simultanment et en inte-raction. En ce sens, on peut sou-tenir que les mthodes hors la loi sont celles qui excluent tota-lement lune ou lautre. Il est important de noter gale-ment quaucun impact ngatif de la mthode naturelle na t empiriquement tabli tant les per-formances des lves semblent dpendre de lexprience et lhabi-let des matres solliciter et or-ganiser la dmarche analytique. Leffet-matre prend le pas sur leffet-mthode ! Cest peut-tre pourquoi aujourdhui le collectif Sauver les Lettres , qui sest battu pour la rhabilitation de la mthode syllabique, dplore son tour linterdiction de la globale ! Cest aussi pourquoi il est ab-surde, sur le plan politique, de r-diger dans la prcipitation une nouvelle directive ncessairement en contradiction avec les pro-grammes en vigueur : celle-ci ne peut que dmobiliser les ensei-gnants suspects dtre des crtins ou des lches. Leffet magique dune circulaire capable elle seule dinverser les chiffres de lillettrisme (selon les propos m-mes du ministre) stigmatise leur mdiocrit antrieure, leur aveu-

    glement, leur manque de bon sens et leur absence dautonomie dans le travail.

    5. Que dit la science (cognitive) ? La seule tude conduite ce jour dans le champ des sciences cogni-tives sur limpact de la mthode globale la t par nos collgues du laboratoire de psychologie co-gnitive de Bruxelles. Content et Leybaert, que lon ne peut pas suspecter de sympathie a priori pour la globale, ont en effet tudi les processus didentification des mots en comparant limpact des mthodes phoniques et globales . Ils avaient fait lhy-pothse que les premires de-vaient faciliter les mcanismes grapho-phonologiques de traite-ment des mots et avantager les lves qui en profitaient. Les r-sultats obtenus ont t contraires leur hypothse5 : les deux au-teurs ont avou avoir eu du mal expliquer leurs propres rsultats et interprter la surpre-nante supriorit des lves soumis aux mthodes globales. Supriorit qui allait croissante au cours du cycle 2 aprs un dpart plus lent que celui des lves b-nficiant des approches phoniques strictes (mthodes synthtiques). Je leur suggre une explication, nourrie de mes connaissances sur lactivit enseignante. (Aprs tout, cest la spcialit de mon labora-toire de recherche !) Nos collgues chercheurs en sciences cognitives sont tonns par leurs propres rsultats parce quils ignorent que les mthodes globales, bases il est vrai sur la mmorisation de formes crites de mots provenant de textes ou

    5 Content, A. et Leybaert J. (1992). Lacquisition de la lec-ture : influence des mthodes dapprentissage. In P. Lecocq (Ed.), La lecture. Processus, apprentissage, troubles (pp. 181-211). Lille : Presses Universitai-res de Lille. Leybaert, J. et Content, A. (1995). Reading and spelling acquisition in two different tea-ching methods : a test of the independence hypothesis. Rea-ding and writing, 7, 65-88

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    de phrases proposes par les en-fants 6, incluent galement une tude des relations graphophono-logiques, base sur des recher-ches danalogies entre ces formes crites. Dans ces mthodes, le travail phonique sexerce rguli-rement, parfois mme intens-ment ; seuls le moment dintro-duction de cette analyse et la na-ture des matriaux utiliss va-rient, comme en attestent les tra-vaux des historiens de lducation. Mes propres travaux rvlent que les matres qui ont recours cette dmarche analytique font jouer un rle capital la syllabe comme base des processus de comparai-son (cf. par exemple le travail sur les syllabogrammes dAndr Ou-zoulias). Dcidment, la mthode syllabique na pas le monopole de la syllabe ! Les rsultats de Content et Leybaert, au bnfice de lappro-che globale, doivent inciter les chercheurs la prudence7 afin de ne pas se laisser instrumenter par le pouvoir politique, quel quil soit. Ils mettent aussi en lumire la n-cessit de dvelopper le dialogue entre chercheurs de diffrentes disciplines.

    6. Que dit la science (didactique) ? Lerreur de Content et Leybaert, comme celle de lentourage mal inform du ministre de lducation nationale, provient dune confu-sion entre deux mthodologies trs diffrentes, malheureusement qualifies toutes les deux de globales : lapproche naturelle de Freinet (qui tu-die les correspondances lettres/sons) et lapproche idovi-suelle de Foucambert (qui sy refuse).

    Une de mes propres recherches8, cite par Franck Ramus, est com-plmentaire celle de nos coll-gues belges. Ralise en France, elle comparait limpact des prati-ques effectives denseignement (cest--dire les pratiques obser-ves de visu et non les pratiques dclares en rponse un ques-tionnaire) sur les apprentissages des lves en opposant mthodes idovisuelles et mthodes phon-miques. Au terme dune tude longitudinale de 28 mois (de la fin de grande section de maternelle au dbut du cours lmentaire 2me anne), il apparaissait que les lves bnficiant dune ap-proche idovisuelle obtenaient des scores nettement infrieurs ceux des autres lves lors des valua-tions nationales CE2 malgr des performances initiales quivalen-tes en fin de scolarit maternelle. Leurs vitesses didentification des mots crits taient plus lentes que celles des lves bnficiant dune didactique phonique rnove. Labsence denseignement du code graphophonologique appa-raissait nettement comme un obs-tacle lapprentissage de la lec-ture et elle pnalisait les lves quelle que soit leur appartenance sociale. Cette tude indiquait les faibles-ses de lapproche idovisuelle mais pas celle de lapproche globale (ou naturelle , la seule vritable mthode globale qui ait t enseigne sur le terri-toire franais ; cf. les travaux des historiens Chartier et Hbrard sur ce point). Pour un chercheur en neuroscien-ces la diffrence peut sembler mi-nime mais sur le plan pratique (en

    6 Content et Leybaert, 1992, p. 186 7 Cela ne nous empche pas davoir la conviction quun ensei-gnement explicite des correspon-dances graphmes phonmes doit tre entrepris ds le dbut de cours prparatoire, en combinant trs tt galement les activits dencodage et de dcodage, au-trement dit dcriture et de lecture, ainsi que lexigent les program-mes depuis 2002. 8 Goigoux, R. (2000). Apprendre lire lcole : les limites dune approche idovisuelle. Psycholo-gie Franaise, 45-3, 235-245.

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    pdagogie) les diffrences sont considrables. En effet dans les classes que jai observes, les matres respec-taient scrupuleusement les prco-nisations de Foucambert et sin-terdisaient toute tude des corres-pondances graphophonologiques. Prenant appui sur une description elle-mme contestable des procdures expertes de la lecture, cette mthode idovisuelle, im-porte des tats-Unis9 dans les annes 70 (cf. Ziegler) bannissait tout enseignement du dchiffrage quelle considrait comme un frein au dveloppement dune lecture authentique. Elle systmatisait en revanche les entranements la mmorisation et la discrimina-tion visuelle : les lves devaient retenir les mots crits un un, en prenant appui sur leur structure orthographique et morphologique. Lapproche ido-visuelle (mme si Foucambert prfre parler den-seignement exclusif de la voie directe ) a aujourdhui totale-ment disparu des classes de cours prparatoire. Elle est aussi la seule qui soit vri-tablement proscrite par les pro-grammes qui font dornavant obligation aux matres dtudier les correspondances graphopho-nologiques.

    7. Comment conclure ? Probablement en reconnaissant tout dabord les erreurs commises par les chercheurs en ducation. Labsence de rigueur de certains de leurs travaux durant les an-nes 80 a laiss libre cours des thses qui se sont avres faus-ses. Foucambert et Charmeux ont domin le paysage pdagogique franais parce que leurs intentions taient gnreuses et leur dis-

    cours sduisant : lidologie a masqu la faiblesse des donnes empiriques. Les cadres de lducation natio-nale (inspecteurs et formateurs) ont galement survaloris une pratique lettre et prcoce de la lecture ; ils ont surtout sous-estim limportance de lenseigne-ment des procdures de dchif-frage des mots. Ces erreurs sont aujourdhui en passe dtre recti-fies : ce nest pas le moment de dstabiliser une nouvelle fois les enseignants et de faire table rase des innovations trs positives conduites durant les vingt derni-res annes. Ce qui est agaant cest de savoir que le dbat sur lenseignement du dchiffrage, pertinent il y a 15 ans, est aujourdhui totalement dpass dans les coles lmen-taires. Do lincomprhension et lagacement des instituteurs de-vant ce tapage mdiatique. Les erreurs du pass nous rattra-pent en raison dun contexte qui ne doit rien aux avances de la science mais qui relve plutt dun opportunisme politique contesta-ble. Lcole na rien gagner, pour relever les dfis du futur, ce retour nostalgique vers le pas-s10. Les bonnes vieilles mtho-des nont jamais fait leurs preu-ves !

    Roland Goigoux, professeur des universits --> Post-scriptum : quelques pr-cisions complmentaires sur les mthodes de lecture Un des critres qui permet de distin-guer les mthodes denseignement de

    9 En psycholinguistique, les travaux de Smith (1973, 1979) et de Goodman (1965, 1967) ont clairement influenc les rflexions de Foucambert et de Charmeux. Ils ont renforc leur conviction que le dchiffrage tait antagoniste avec la com-prhension des textes crits, le lecteur ne pouvant simultan-ment porter son attention sur le sens des mots (ou du texte) et sur leur forme phonologique.

    10 Les mathmaticiens regrou-ps autour de Lafforgue adres-sent aux responsables politi-ques des propositions qui re-mettent gravement en cause les services publics : par exem-ple exiger que les programmes nationaux ne simposent plus tous les lves, revendiquer des tablissements dexcel-lence bnficiant de statuts drogatoires et faciliter une slection prcoce et gnrali-se.

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    la lecture est celui de la nature des uni-ts linguistiques tudies. Les mthodes les plus anciennes par-taient des lettres et les associaient leur valeur sonore de rfrence (on considre que la lettre O fait le son /o/ sans se soucier du OU et du ON) puis combinaient voyelles et consonnes pour former toutes les syllabes possi-bles que les enfants devaient mmori-ser avant de les combiner leur tour en des units plus large, les mots (cf. mthode Boscher). Ces mthodes syl-labiques, bases sur la combinatoire, ont ensuite volu vers des mthodes mixtes (95% des manuels en 1960) qui reposaient sur les mmes principes ceci prs que la dcouverte dune lettre tait prcde par une mise en scne des mots dans une phrase illustre (exemple : papa fume sa pipe) trs ra-pidement dcoupe en mots et en syl-labes. Ces mthodes procdaient un amal-game entre lettres et sons qui a cess dans les annes 1970 avec lintroduc-tion de la distinction entre phonmes et graphmes (le phonme /o/ peut tre retranscrit par trois graphmes : O, AU, EAU). Depuis lors, toutes les mthodes synthtiques, cest--dire celles qui partent des petites units pour les com-biner progressivement en units plus grandes, partent dune tude des pho-nmes puis cherchent tablir leurs correspondances avec les graphmes. Le leader du march des mthodes de lecture, Alain Bentolila (Gafi, ditions Nathan) se rfre par exemple ce type de progressions phonmiques. On parle de mthodes phonmiques (ou phoniques selon les auteurs). Le d-roulement canonique dune leon d-tude du code consiste identifier audi-tivement un phonme, puis le locali-ser dans un mot oral pour, enfin, en dcouvrir la transcription crite. Il existe de trs nombreuses variantes de ces mthodes phoniques qui sont

    aujourdhui largement majoritaires dans le paysage pdagogique franais. Pour les distinguer, il faut examiner plusieurs sous-critres : lordre et le rythme din-troduction des diffrents phonmes, la place accorde aux activits portant sur la combinatoire, lintroduction si-multane ou diffre des diffrentes graphies dun phonme en fonction de leur frquence dusage, le recours ou non lalphabet phontique internatio-nal, etc. Cest pourquoi japportais la rponse11 indique ci-dessous la question qui mtait pose en 2003 par le PIREF : que sait-on de lefficacit des diff-rentes mthodes ? Peu de choses. Les nombreuses recherches de psy-chologie sur lapprentissage initial de la lecture conduites au cours des deux dernires dcennies se sont attaches tudier un lve gnrique, hors de tout contexte social et pdagogique. de rares exceptions prs, lintervention des matres a t ignore car juge sans grande influence sur la dynami-que de cet apprentissage (Bru, 1991 ; Goigoux, 2001-a). Lorsquil a t pris en compte, lenseignement a t dcrit de manire trs sommaire, en oppo-sant le plus souvent les mthodes dites globales et celles qualifies de phoni-ques (Content et Leybaert, 1992). De surcrot, cette opposition a t aborde partir des seules affirmations des matres se rclamant de telle ou telle mthode. En consquence, la dimen-sion idologique y tenait toujours une place dominante. La mise en vidence de leffet - ma-tre dans le champ des sciences de lducation na pas fondamentalement modifi cet tat de faits. Elle a contri-bu faire ressortir limpact du rle des enseignants (on sait quil en est de plus efficaces que dautres) sans toute-fois lucider quelle composante de leur activit influait sur les performances des lves (Audouin et Duru-Bellat, 1990 ; Bressoux, 1990, 1994 ; Bres-

    11 (Confrence de consensus sur la lecture organise par le ministre de la Recherche)Consultable sur http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/goigoux.pdf

    http://

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    soux et al., 1999 ; Mingat, 1991, 1996 ; Suchaut, 1996). Les didacticiens du franais, quant eux, ont labor de nombreuses propo-sitions dingnierie didactique, assor-ties dtudes descriptives, mais ils nont pas cherch en valuer la porte (voire la pertinence) travers une me-sure de leur impact sur les apprentissa-ges des lves (Brigaudiot et Goigoux, 1999). Si aucune tude comparative des m-thodes de lecture na permis dtablir la supriorit de lune par rapport lau-tre, ce nest pas parce que toutes les pratiques se valent mais parce que la variable mthode , trop grossire et mal dfinie, nest pas une variable per-tinente pour une telle recherche. Pour comprendre ce qui diffrencie vrita-blement les choix pdagogiques op-rs par les matres et leur effet sur les apprentissages des lves, il est n-cessaire de substituer cette approche en termes de mthode une analyse reposant sur lexamen simultan de nombreux indicateurs et de dpasser les dclarations de principes pour en-trer dans le dtail des pratiques concrtes (Goigoux, 1994, 2004-b). Des recherches en cours sefforcent de le faire, mais elles sont encore trop bal-butiantes pour que lon puisse en tirer des conclusions catgoriques. Rpondre la question pose est donc une gageure sur le plan scientifique tant nous manquons de recherches fiables qui mettraient en relation les pratiques effectives denseignement de la lecture avec les performances des lves. Ce qui est possible, et nous nous y emploierons, cest dinfrer les caractristiques des pratiques efficaces partir de ce que nous savons des processus dapprentissage des lves et des tudes quasi exprimentales qui ont cherch valuer limpact de telle ou telle dimension de lacte de lire. Mais, dans les deux cas, le risque der-reur nest pas ngligeable car si lap-

    prentissage de la lecture permet de nombreuses compensations (ainsi, au dbut de lapprentissage, une insuffi-sante automatisation des processus dautomatisation des mots peut tre compense par des traitements contextuels reposant sur de bonnes connaissances linguistiques et culturel-les), son enseignement en autorise galement beaucoup. Tel enseignant, par exemple, qui accorde peu de place au dcodage grapho-phonologique parvient dexcellents rsultats avec ses lves en leur proposant de nom-breuses tches dcriture qui les obli-gent une intense activit dencodage phono-graphique. Une observation ex-clusivement centre sur les procdures didentification des mots pourrait pas-ser ct dune interprtation perti-nente des performances constates. Pour les mmes raisons, des cher-cheurs comparant les effets des m-thodes phoniques et globales ont eu bien du mal expliquer et interprter la supriorit des lves soumis aux mthodes globales, supriorit qui al-lait croissante au cours du cycle 2 aprs un dpart plus lent que celui des lves bnficiant des approches pho-niques strictes (Leybaert et Content, 1995). Ils avaient nglig le fait que les mthodes globales (contrairement aux mthodes ido-visuelles qui sy refu-sent ; Foucambert, 1976) organisent une substantielle tude des relations graphophonologiques fonde sur la recherche danalogies entre les mots tudis. La confusion rgne, au point que les enseignants eux-mmes demandent une clarification sur les mthodes den-seignement de la lecture. Cest dau-tant plus utile que chacune de ces m-thodes rpond, explicitement ou non, la question des choix (donc des renon-cements) entre les multiples activits denseignement possibles (Giasson, 1995). Je ne pensais pas avoir t aussi bien entendu !

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    Roland Goigoux, professeur des universits,

    directeur du laboratoire de recherche sur lenseignement (JE 2432) de luniversit Blaise Pascal Clermont-

    Ferrand, lun des responsables de lassociation internationale des

    chercheurs en didactique du franais (AiRDF).

    La guerre des mthodes est finie Lib 02/09/05 http://education.devenir.free.fr/Lecture-presse.htm#lecture

    Les d i f f i cu l ts dans l a ccs au code c r i t l a f i n de l co le lmenta i re (no tes p r i ses duran t une con f rence de Ro land Go igoux) 26/05/05 http://carep2.scola.ac-paris.fr/article.php3?id_article=237

    Roland Goigoux analyse les effets de la rduction des effectifs SNUIPP 04/02/04 http://www.snuipp.fr/article1380.html

    Il faut inciter les lecteurs faibles tre plus actifs Le Courrier 04/01/05 http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=38911&mode=thread&order=0&thold=0

    Lvolution de la prescription adresse aux instituteurs : lexemple de lensei-gnement de la lecture entre 1972 et 2002 (2002) http://www.ergonomie-self.org/self2002/goigoux.pdf

    Apprentissage et enseignement de la lecture auprs dlves en grande diffi-cult (2000) http://cas.inrp.fr/CAS/publications/xyzep/xyzpdf/xyzep10.pdf

    Qu'est-ce que comprendre un texte ? Confrence Nantes 1997 http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/ress/mivip/productions/videos/conf_goigoux.pdf

    une intressante mise au point de Bruno Germain sur les Mthodes de lecture http://www.uvp5.univ-paris5.fr/tfl/Parcours/AffObj.asp?Obj=CP03-M02-01&Mod=ParCP03m2 une tribune de Jacques BERNARDIN (GFEN) dans Le Caf Pdagogique (n 68) : Lecture : le discours de la mthode http://www.cafepedagogique.net/disci/tribune/68.php une Lettre ouverte au Ministre de l'Education Nationale Bernard Devanne, pro-fesseur l'IUFM de Basse-Normandie dans Le Caf Pdagogique http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/i2l.php un dossier des cahiers pdagogiques avec notamment un point sur les mthodes et des textes de Gaston Mialaret et Evelyne Charmeux http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2077 La mthode globale cette galeuse Clestin Freinet (sur le site de P. Meirieu) http://www.meirieu.com/FORUM/freinetglobale.pdf Le dossier du Caf Pdagogique

    http://www.cafepedagogique.net/disci/pedago/69.php

    http://http://carep2.scola.ac-paris.fr/article.php3?http://www.snuipp.fr/article1380.htmlhttp://www.lecourrier.ch/modules.php?http://www.ergonomieself.org/self2002/goigoux.pdfhttp://cas.inrp.fr/CAS/publications/xyzep/xyzpdf/xyzep10.pdfhttp://http://www.uvp5.univ-paris5.fr/tfl/Parcours/AffObj.asp?Obj=CP03-M02-http://www.cafepedagogique.net/disci/tribune/68.phphttp://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/i2l.phphttp://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2077http://www.meirieu.com/FORUM/freinetglobale.pdfhttp://www.cafepedagogique.net/disci/pedago/69.php

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    Franck RAMUS 09/12/05 Dans un article du Figaro de ce jour , intitul "L'apprentissage syllabique permet des progrs rapides, selon les scientifiques", Madame C. Petitnicolas vous fait dire : A l'heure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas assez avances pour valider ou invalider telle ou telle pratique, pour ajouter "L'efficacit de ces diffrentes mthodes a nanmoins pu tre value de manire scientifique, en comparant deux groupes de bambins (sic), les uns ayant appris lire avec la syllabique, les autres avec la globale. Avec une efficacit suprieure pour la premire, selon une centaine d'tudes nord-amricaines et deux ou trois en France. Plus l'apprentissage des correspondances entre les lettres et les sons dmarre tt, comme dans la mthode syllabique, plus les progrs vont tre rapides, poursuit ce chercheur" ; mais pour vous faire conclure un peu plus loin Dire qu'il est plus efficace d'apprendre lire grce des mthodes syllabiques du fait d'arguments repo-sant sur de nouvelles dcouvertes dans le do-maine des neurosciences est un peu falla-cieux, rsume Franck Ramus. Sans que le principe de non contradiction soit formellement viol, il y a cependant une cer-taine dissonance entre la 1re et 3e citations d'une part et la citation centrale que le titre condense, de l'autre, car soit les recherches dans l'tat actuel ne permettent pas de conclure plus d'efficacit des mthodes syllabiques, soit "l'apprentissage syllabique permet des pro-grs rapides". Pourriez-vous nous clairer sur ce point ?

    13/12/05 Il n'y a pas de contradiction, si ce n'est que le plan de l'article entretient un peu l'ambigut. Gilles de Robien avait invoqu les recherches en neuroscien-ces, pour ce qu'elles nous apprennent sur les rles respectifs des hmisphres gauche et droit, et ce que l'on doit en dduire sur l'enseignement de la lecture. Je maintiens que ces recherches en neuros-ciences n'ont pour l'instant aucune application aussi directe l'ducation. Cette partie de l'argument est donc fallacieuse. En revanche il existe des recherches exprimenta-les (en psychologie et/ou sciences de l'ducation) qui comparent simplement l'efficacit de diffrentes mthodes d'enseignement. Celles-ci dmontrent clairement une supriorit de la mthode syllabi-que. L-dessus de Robien a raison.

    changes avec et entre chercheurs

    Franck RAMUS charg de recher-ches CNRS au Laboratoire de

    Sciences Cognitives et Psycholin-guistique (EHESS/ENS/CNRS)

    Paris ; galement associ l'Institute of Cognitive Neuros-

    cience, University College London,

    Recherches portant sur l'acquisi-tion du langage, la perception de

    la parole par le nourrisson et l'adulte, et la dyslexie dveloppe-

    mentale

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    13/12/05 Se pose cependant une question : "il existe des recherches exprimentales" qui "dmontrent clairement la supriorit de la mthode syllabique". La confrence de consensus - qui runissait des spcialistes de tous ordres - a condamn sans ambages "La seule m-thode qu'on doive carter ... la mthode dite ido-visuelle ", mais pour le reste affirme dans son introduction aux "recommandations" : "Savoir qu'un apprentissage sup-pose ncessairement le montage des correspondances entre phonmes et graphmes ne dit rien sur les procds par lesquels le matre fera parvenir ses lves ce rsultat" Donc, si la lecture de ce texte est bonne, il semblerait que les recherches avaient dmontr cette absolue ncessit du montage des correspondances graphmes/phonmes et non la supriorit de la mthode syllabique pure et dure sur des mthodes dites mixtes qui essaient de lier dchiffrage et sens. C'est pour quoi, il serait intressant de connatre ces recher-ches qui, depuis deux ans, auraient tranch sur les mtho-des. 13/12/05 (2e message) Aprs quelques recherches - sur votre site personnel d'abord, puis sur un des liens qui renvoie une de vos inter-ventions sur Les troubles de lapprentissage de la lec-ture (travaux de l'ONL) - on dcouvre ce passage : "En effet, la mthode globale est cense avoir disparu depuis 30 ans, mais la mthode mixte qui la remplace est trs sou-vent applique suivant des principes dinspiration globale , accordant peu ou pas dimportance lapprentissage syst-matique des correspondances graphmes-phonmes. Or il a t dmontr maintes reprises de faon empirique que cet apprentissage systmatique, ds le premier cours, facilite grandement laccs du plus grand nombre la lecture (Goigoux, 2000; National Institute of Child Health and Human Development, 2000). Ce domaine daction particulier pourrait avoir un impact sur un des facteurs responsables de lillet-trisme." Surprise de trouver l'appui de la dmonstration empirique le nom de Goigoux qui, dans Le Monde de l'duca-tion avait affront Le Bris, chantre de la mthode Boscher et qui affirmait lors de la confrence de consensus : "aucune tude comparative des mthodes de lecture na permis dta-blir la supriorit de lune par rapport lautre" (voir http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/goigoux.pdf ) et il ajoutait : "la plupart des chercheurs sen-tendent dsormais sur des conceptions interactives qui font intervenir simultanment lanalyse perceptive des stimuli visuels et les multiples connaissances du lecteur (connaissances smantiques, syntaxiques, orthographiques, alphabtiques, phonologiques) pour faciliter la reconnais-sance des mots." et s'il condamne - de faon nuance - la mthode ido visuelle, ce n'est certainement pas pour adh-rer l'nonnante mthode Boscher. [Il serait donc intressant de] savoir quelles recherches - qui d'empiriques sont devenues exprimentales - dmontrent clairement la supriorit de la mthode syllabique (en veuil-lant bien prciser ce qu'est "la" mthode syllabique, Goigoux que vous citiez en numre au moins trois).

    14/12/05 En ce qui concerne la confrence de consen-sus*, celle-ci est pour moi un exercice politi-que sans lgitimit scientifique, qui aboutit au mme type de rsultats qu'une confrence type G8 ou conseil europen. On runit des gens avec des points de vue et des intrts divergents, et on les somme de produire un consensus. Il ne faut pas s'tonner si le texte qui en rsulte est vide de sens et ne peut re-flter au mieux qu'un socle commun minimal, et le plus souvent les rapports de force au sein du comit. En ce qui concerne Goigoux, il a effectu une des rares tudes francophones comparant ri-goureusement l'efficacit d'une mthode idovisuelle et d'une mthode phonique, et il a dmontr la supriorit de la mthode pho-nique (appele gnralement syllabique en France). Les mthodes compares n'taient ni une mthode mixte, ni la mthode Boscher, ce qui souligne, je suis bien d'accord avec vous, la confusion qu'il y a parler de mtho-des globale et syllabique, chaque terme re-couvrant des mthodes trs varies. Malheu-reusement il ne m'a pas t possible de faire sortir la journaliste du Figaro de cette dicho-tomie, d'o certains raccourcis. Sur le fond, je ne suis pas un partisan de la mthode Boscher. Je pense que c'est une m-thode qui marche bien avec beaucoup d'en-fants (ceux qui ont dj acquis tous les fon-damentaux langagiers ncessaires), mais qui est insuffisante pour beaucoup d'autres, qui manquent de vocabulaire, de contact avec les livres, etc. Mais bien sr une mthode phoni-que n'est pas oblige d'enseigner uniquement les correspondances grapho-phonologiques. Les meilleures sont bien videmment celles qui les enseignent en parallle avec la mor-phologie, la syntaxe, le sens, le texte, la litt-rature, ... Il me semble qu'il y a un large consensus l-dessus. Par ailleurs il y a un aussi un large consensus parmi les scientifiques sur le fait que l'ap-prentissage des correspondances grapho-phonologiques doit dmarrer ds le premier

    http://

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    jour du CP. L'ide selon laquelle il serait nuisible l'enfant de commen-cer immdiatement les apprendre n'a aucune base scientifique. Il s'agit simplement d'une croyance, base sur une certaine philosophie de l'ap-prentissage, qui reste assez rpandue en France il me semble, mais qui n'a pas dmontr de validit empirique. En fait les donnes empiriques montrent plutt le contraire: l'efficacit de l'enseignement grapho-phonmique est d'autant plus grande qu'elle dmarre tt. L'tude de Goigoux, bien sr, ne permet pas de rpondre cette ques-tion car elle n'a pas compar diffrents moments de l'introduction des correspondances. Mais c'est possible, soit au sein d'un mme tude, soit travers diffrentes tudes. La littrature scientifique internationale en comporte de nombreuses. Le National Reading Panel que je cite en a fait une revue exhaustive. Ils ont en particulier effectu une mta-analyse de 38 tudes exprimentales remplissant des critres mthologiques prcis permettant de quantifier l'efficacit des diffrentes mthodes. Aprs des analyses statistiques sur l'ensemble de ces tudes ils ont notamment conclu:

    1) l'enseignement phonique systmatique est plus efficace que l'enseignement phonique non systmatique ou absent; 2) l'enseignement phonique est plus efficace lorsqu'il dmarre tt (GSM ou CP) que lorsqu'il dmarre aprs l'apprentissage de la lecture (CE1); 3) l'enseignement phonique systmatique est galement su-prieur l'enseignement non phonique sur des mesures de comprhension en lecture; 4) l'enseignement phonique systmatique est d'autant plus efficace que l'enfant est risque de difficults d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel dfavoris.

    Dans ses recommandations le NRP conclue aussi que si la phonique doit tre prsente ds le dbut de l'enseignement de la lecture, elle ne doit pas tre seule; ce n'est qu'une composante parmi bien d'autres qui sont tout aussi ncessaires. Simplement il n'y a pas lieu de la retarder par rapport aux autres composantes. Evidemment il s'agit l d'tudes trangres, et si la science ne s'arrte pas nos frontires, elle a du mal franchir celles de l'ducation natio-nale. Bien sr les scientifiques franais ont l un rle jouer, qui est d'informer le public, les professionnels et les dcideurs franais du rel tat de la science (c'est--dire de la science internationale, car il n'y a pas de science franco-franaise). C'est ce que nous nous efforons de faire, avec un succs plutt mitig jusque l. Notez par exemple que les conclusions du NRP ont t largement repri-ses en France par l'ONL, qui bien qu'il soit un organe un peu politique possde un conseil scientifique assez indpendant qui parvient s'expri-mer relativement librement. Nanmoins les recommandations de l'ONL peinent toutes tre rpercutes dans les programmes. * On peut se faire une ide de la "confrence de consensus" sur L'enseignement de la lecture l'cole primaire (4-5 dcembre 2003) sur le site de "Bien Lire" (avec des documents tlchargeables et, notamment, une contribution de Roland Goigoux). http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/c-En-parle06.asp

    http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/c-En-parle06.asp

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    GOMBERT Jean-Emile Professeur des universits Laboratoire de Psychologie du Dveloppement et de l'ducation

    Les mots ont une signification. Si, comme le pense Franck Ramus "il ne s'agit pas d'imposer la mthode Boscher mais des mthodes qui enseignent le dchiffrage ds le premier jour en parallle avec le reste" il suffisait de le dire en ces termes et la plupart des chercheurs, ceux qui prennent en compte les rsultats des recherches contrles, auraient t d'accord. En fait, les dclarations du ministre opposent de faon simpliste les mthodes globales et syllabiques et rien n'autorise minimiser le propos en considrant que " le ministre (...) utilise pro-bablement les mots "syllabique" et "global" dans un sens informel". Cette dclaration n'est pas fonde sur la recherche, elle utilise la re-cherche pour justifier une prise de position en faveur d'un retour au B-

    A BA donnant ainsi satisfaction un groupe de pression idologico-pdagogique qui, avec des arguments populistes ("c'tait bien mieux avant") a pris pied depuis 3 ans au ministre et a su utiliser les mdias. L'valuation de la lecture que passent les jeunes entre 17 et 18 ans lors de la Journe dAppel de Prparation la Dfense (JAPD) et dont je suis responsable rvle en 2004 que 11% des jeunes franais sont en grande diffi-cult avec l'crit, c'est le cas de 14,2% des jeunes gens et de 7,8% des jeunes filles... auraient-ils appris avec des mthodes diff-rentes? Je suis trs fermement pour que l'apprentis-sage systmatique des correspondances gra-phmes-phonmes dbute ds la premire

    semaine du CP, je suis galement convaincu de la ncessit de dve-lopper le lexique, la morphologie la syntaxe, le texte... Il est gale-ment essentiel que les situations didactiques dapprentissage de l'crit proposes aux lves soient suffisamment attractives pour que ceux-ci aient envie de lire et d'crire et rptent ainsi suffisamment ces activi-ts pour que les automatismes qui signent l'expertise en lecture s'ins-tallent. Enfin, en tant que chercheur je revendique mon ignorance et suis donc convaincu d'avoir au moins partiellement tort.

    [La] dclaration [du ministre] n'est pas fonde sur la recherche, elle uti-lise la recherche pour justifier une prise de position en faveur d'un re-tour au B-A BA donnant ainsi satis-faction un groupe de pression idologico-pdagogique qui, avec des arguments populistes ("c'tait bien mieux avant") a pris pied de-puis 3 ans au ministre.

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    Dossier dducation & Devenir

    Jonathan GRAINGER Directeur de Recherche au CNRS

    Directeur du Laboratoire de Psycho-logie Cognitive : UMR 6146 CNRS

    Responsable du programme : Struc-ture et Fonctionnement du Lexique Mental

    Effectivement mes travaux portent sur la lecture des mots chez le lecteur adulte expert et de ce fait n'ont pas abord directement la question de l'apprentissage de la lecture et des diffrentes mthodes pouvant faciliter ou amliorer cet apprentis-sage chez les enfants scolariss. Je peux nanmoins vous donner mon avis sur ce que devrait apporter une bonne mthode d'apprentissage de la lecture d'aprs nos travaux sur le lecteur expert. Il y a 20 ans, on pensait que la lecture experte (silencieuse) reposait uniquement sur une voie qui relie les informations visuelles et orthographiques du mot crit aux in-formations smantiques (le sens du mot). Il est possible que ceux qui prnaient la mthode globale-idovisuelle se soient appuys partiellement sur cette posi-tion thorique concernant la lecture experte. Or, aujourd'hui nous savons deux cho-ses essentielles qui remettent totalement en question cette position thorique. Nous savons que les informations visuelles relatives la forme globale d'un mot ont une trs faible influence -extrmement difficile mettre en vidence- sur la lecture de celui-ci, et que le processus de lecture repose d'abord sur le traitement de cha-cune des lettres d'un mot. Nous savons galement, que les informations concer-nant la phonologie (les sons des mots) jouent un rle important dans la lecture si-lencieuse. Les recherches rcentes qui visent clarifier le rle respectif du codage orthogra-phique (les lettres ou graphmes) et le codage phonologique (mise en correspon-dance entre lettres et sons, i.e entre graphmes et phonmes ) nous ont amens proposer un modle deux voies de la lecture experte : une voie directe o les codes orthographiques sont associs aux informations smantiques, et une voie indirecte o les codes orthographiques sont d'abord associs aux informations pho-nologiques avant de rejoindre la smantique. Ainsi, partir de ce nouveau modle thorique concernant la lecture experte, modle qui a fait l'objet de nombreux tests, et partir des connaissances sur les mcanis-mes gnraux de l'apprentissage, nous pouvons mettre l'hypothse qu'une bonne mthode d'apprentissage de la lecture (qui requiert comme base une bonne matrise du langage parl et une connaissance des lettres de l'alphabet) de-vrait proposer : 1) un apprentissage explicite des correspondances entre lettres (graphmes) et sons (phonmes) ; et 2) une situation qui optimise l'apprentissage implicite permettant d'associer les squences de lettres avec une signification, sa-chant que cet apprentissage peut se faire sans supervision explicite.

    Comme vous le savez, votre nom a t cit par M. de Robien, l'appui de ses dclarations sur l'radication de la mthode globale et "assimile" ; vous vous tes, d'aprs la presse, avou un peu surpris de cette citation, arguant que vos travaux portaient sur les adultes. Pouvez-vous cependant nous prciser votre position sur un dbat qui, l'vidence, est plus idologique que technique (le Ministre semblant se rallier aux thses des adeptes de "la" m-thode syllabique pure et dure, dont le prototype serait la fameuse "mthode Boscher") ?

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    Dossier dducation & Devenir

    La mthode globale a t aban-donne en thorie par les nou-veaux programmes. Mais dans la pratique, mme si la mthode globale pure a disparu depuis longtemps, il reste des mthodes dpart global . Ces mthodes font commencer l'apprentissage de la lecture par une approche globale pendant plusieurs semaines, pour n'en venir qu'ensuite la dcouverte des syllabes. Les neurosciences permettent aujourd'hui de dire que cette ap-proche est mauvaise. Je pense en particulier aux tra-vaux de Jonathan GRAINGER, directeur du laboratoire de psy-chologie cognitive, du CNRS et de l'universit d'Aix-Marseille 1, ou bien ceux de Liliane SPREN-GER CHAROLLES, directrice de recherches au laboratoire d'tu-des sur l'acquisition et la patholo-gie du langage chez l'enfant, de l'universit Paris 5. La mthode dpart global rend beaucoup plus difficile l'ac-quisition du code alphabtique. Certes, elle donne l'illusion de savoir lire trs tt puisque l'enfant sait reconnatre immdiatement une petite collection de mots. Mais rapidement la mmoire est sature. Et la lecture se trans-forme en un exercice de devinet-tes ! Voyez le film Etre et avoir , et l'enfant qui voit le mot ami et prononce le mot copain ! J'ajoute que les mthodes d-part global ont aussi des cons-quences sur les comptences en expression crite. Un bon dpart en lecture et en criture, comme les chercheurs d'aujourd'hui le prconisent, cela consiste partir du son et de l'criture du son, pour aller vers la lecture et l'criture de la syllabe, puis du mot, puis du texte. Extraits du discours de M. de Robien, Ministre de lEducation Nationale 13/12/05

    Liliane Sprenger-Charolles

    a intgr le CNRS en 1990. Elle coordonne, en collabora-

    tion avec Jean-Pierre Jaffr, le Dpartement "Literacie" du

    LEAPLE

    -->

    Le journal 20 minutes, du 25/10/04 titrait : Liliane Spren-ger-Charolles La linguiste fait le point sur les mthodes dapprentissage de la lecture Cest la mthode du b.a.-ba qui marche le mieux. Lentretien ne dmentait pas le ti-tre : Dans les mthodes analytiques[les enfants]dcodent les lettres et les traduisent en sons : cest le tra-ditionnel b.a.-ba. Ce qua clairement montr la recherche depuis une vingtaine dannes, cest que les enfants qui d-cryptent le mieux au dpart apprennent plus vite et mieux ensuite. Toutes les tudes ont prouv que le dcodage est la condition sine qua non de lapprentissage de la lecture. On a dsormais des arguments de recherche : on a pu comparer des coles qui pratiquaient les diffrentes mtho-des, et constater que cest la mthode du b.a.-ba qui mar-che le mieux pour tous les lves.

    Madame Sprenger-Charolles tait cite par le Ministre comme caution scientifique, avec un de ses collgues qui a fortement nuanc son suppos soutien.

    Contacte par courriel, elle a confirm ses dires 20 et a ajout qu'on disposait de donnes d'valuations robustes, surtout an-glosaxonnes et a renvoy son ouvrage Lecture et dy-slexie, approche cognitive (Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Col, Dunod, 2003).

    Et elle a insist sur les travaux de recherche [qui] ont montr que, pour pouvoir bien comprendre des textes (ce qui bien entendu est la finalit de la lecture, sans compter le plaisir), l'enfant doit acqurir un haut niveau d'automati-cit dans l'identification des mots crits.

    En conclusion de lchange, elle a fait parvenir un article paru dans la revue mdecine et enfance (avril 2003) : Apprentissage de la lecture et dyslexie (document tlchargea-ble format *.pdf). http://education.devenir.free.fr/Documents/sprengercharolles.pdf

    http://education.devenir.free.fr/Documents/

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    Dossier dducation & Devenir

    Dans un discours en date du 13 dcembre, le Ministre de l'Educa-tion Nationale, de l'Enseignement Suprieur et de la Recherche a dit que les mthodes sont, pour une part, l'origine des difficults de lecture. Les critiques du Ministre portaient sur la mthode globale et il soulignait que, mme si dans sa forme pure cette mthode n'existe plus, il reste des mthodes point de dpart global. Il prconisait aussi le recours des mthodes phoniques ce qui, comme il le soulignait, est en adquation avec les rsultats de la recherche. Je ne peux que confirmer, tout comme Franck Ramus, que ce qu'a dit le Ministre ce propos est juste. En effet, dans un travail que j'ai publi avec ma collgue Pas-cale Col (dit chez Dunod en 2003*, une version anglaise est sous presse) nous prsentons, en-tre autres, les rsultats d'une syn-thse qui avait pour vise d'clairer les politiques ducatives. Cette synthse passe en revue une qua-rantaine de recherches anglo-saxonnes dans lesquelles les effets d'une mthode phonique ont t compars ceux d'une mthode globale. Il ressort de ce travail qu'un enseignement systmatique et prcoce du dcodage aide plus efficacement les lves qu'un en-seignement global. Cette supriori-t se manifeste sur toutes les me-sures (lecture de mots, compr-hension de textes.). De plus, lors-que cette mthode est introduite tardivement, son impact est plus faible. Enfin, la mthode phonique est particulirement bnfique pour les enfants de milieux socio-conomiques dfavoriss, pour

    ceux risque pour l'apprentissage de lecture et pour les dyslexiques. Je pense qu'il serait aussi impor-tant de tenir compte des rsultats des valuations internationales sur le niveau de lecture des enfants (OCDE, Association for the Evalua-tion of Educational Achievement). Dans ces valuations, la Finlande arrive toujours dans le groupe de tte, ce qui peut s'expliquer par la conjonction de trois principaux fac-teurs :

    la nature de l'criture du fin-nois, trs transparente par rapport l'oral, avec en plus des mots trs longs, ce qui rend difficile l'apprentissage "global" et favorise l'utilisation de m-thodes phoniques ; un niveau de formation le-v et adquat des enseignants et des formateurs d'ensei-gnants ; une politique d'incitation la lecture (dveloppement des bi-bliothques dans les coles, les villages.).

    Il faudrait aussi signaler que les travaux de recherche ont gale-ment montr que, dans une cri-ture alphabtique, la matrise du dcodage est le sine qua non de l'apprentissage de la lecture. Les bons dcodeurs prcoces sont en effet ceux qui progressent le mieux, et le plus vite. En outre, la transparence de l'orthographe facilite cet apprentissage. En d'au-tres termes, les enfants appren-nent lire plus vite en espagnol qu'en franais et en franais qu'en anglais. Etant donn le cot, en particulier pour l'ducation, d'une orthographe relativement peu transparente, comme c'est le cas

    Les efforts de simplification de lorthographe doivent tre poursuivis

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    en franais (surtout pour l'criture: un mot comme "bateau" ne peut en effet se lire que d'une seule fa-on alors qu'il existe diffrentes manires de l'orthographier), les efforts de simplification dj entre-pris devraient tre poursuivis. En tant que chercheur, je voudrais enfin souligner qu'il reste beaucoup de travail faire dans notre pays. Il serait surtout souhaitable de bien diffuser les rsultats des re-cherches. Il faudrait aussi bien for-mer non seulement les enseignants et les formateurs d'enseignants,

    mais aussi tous les autres person-nels qui ont des responsabilits dans l'ducation (les diffrents corps d'inspection, les directeurs d'tablissement..) ainsi que les au-tres intervenants: mdecins et psychologues scolaires. Liliane Sprenger-Charolles (extraits remanis par lauteur d'une lettre adresse Monsieur de Ministre de l'Education Natio-nale, de l'Enseignement Suprieur et de la Recherche) 22/12/05 * Approche cognitive Liliane Sprenger-Charolles, Pascale Cole _ Dunod

    22 dcembre 2005 (courriel de Franck Ramus adress 4 collgues dont Roland GOIGOUX) Ne pas jeter le bb avec leau du bain

    Il me semble que les discussions autour de l'initiative de de Robien tendent tout de mme jeter le bb avec l'eau du bain. Sous prtexte que de Robien tait mal inform (en invoquant les mtho-des syllabiques et globales, les neurosciences et la dy-slexie), on rejette en bloc ses propositions (mal formules et justifies, je suis d'accord) et on suggre implicitement que l'enseignement de la lec-ture en France est dj opti-mis et que les programmes de 2002 ont dj suffisamment tenu compte des connaissances scienti-fiques. Tout d'abord, je pense qu'il faut reconnatre que le ministre, les journalistes et le grand public uti-lisent probablement les mots "syllabique" et "global" dans un sens informel diffrent du sens technique rappel par Goigoux.

    Dans le langage courant, les m-thodes syllabiques sont perues comme enseignant ds le dpart les relations grapho-phonologiques (sans exclusion particulire d'autre chose), les

    mthodes globales comme ne les enseignant pas, et les mthodes mixtes, semi-globales ou dpart global comme les ensei-gnant plus tard. Les sp-cialistes ne peuvent pas comprendre ce que veu-

    lent dire les non-spcialistes s'ils se cantonnent leur dfinition technique. Il faut donc se deman-der pourquoi tant de gens conti-nuent croire et dire que la m-thode globale rgne en matre l'cole? Il me semble que c'est simplement parce qu'un nombre significatif d'lves de CP en sont encore Nol faire semblant de lire un texte appris par coeur, et deviner les mots. Alors certains

    Il faut se demander pour-quoi tant de gens croient

    que la mthode globale r-gne en matre lcole.

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    Dossier dducation & Devenir

    parents paniquent et achtent une mthode Boscher. Aucun chiffre officiel ne rvle la proportion d'enfants concerns, mais il doit tre suffisamment lev pour ex-pliquer la frquence de telles anecdotes (qui ne connait un cas dans son entourage?). Au-del de la reconnaissance par les pro-grammes de l'importance de 'apprentissage du code grapho-phonologique, cet tat de fait pose donc la question que tout le monde semble se refuser abor-der, celle du moment et des mo-dalits de l'introduction du code. A ce propos, j'ai vrifi le conte-nu des programmes de 2002, et force est de constater qu'ils peu-vent tre lus de plusieurs mani-res. Aprs un long passage expli-citant l'apprentissage du dchif-frage, il y ce paragraphe intitul "Programmation des activits": "Ces apprentissages sont au cur de la plupart des mthodes d'en-seignement de la lecture. La quali-t des programmations proposes doit guider le choix des ensei-gnants. Certains laissent se cons-tituer ces connaissances au ha-sard des rencontres et des rac-tions des lves (c'est le cas de la mthode "naturelle" propose par Clestin Freinet), d'autres (en particulier les livrets proposs par les diteurs) les organisent selon une progression qui combine com-plexit croissante des activits mi-ses en jeu tant dans l'analyse que dans la synthse et complexit croissante des relations entre gra-phmes et phonmes. Dans les deux cas, il importe d'aider les lves mmoriser ces informa-tions, donc leur permettre de les structurer de manire rigoureuse et de les rviser frquemment.

    Certaines mthodes proposent de faire l'conomie de l'apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (mthodes globales, mtho-des ido-visuelles...) de manire viter que certains lves ne s'en-ferment dans cette phase de d-chiffrage rpute peu efficace pour le traitement de la significa-tion des textes. On considre sou-vent aujourd'hui que ce choix comporte plus d'inconvnients que d'avantages : il ne permet pas d'arriver rapidement une recon-naissance orthographique directe des mots, trop longtemps appr-hends par leur signification dans le contexte qui est le leur plutt que lus. On peut toutefois consi-drer que la plupart de ces m-thodes, par le trs large usage qu'elles font des activits d'cri-ture, parviennent aussi ensei-gner, de manire moins explicite, les relations entre graphmes et phonmes. Il appartient aux en-seignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les lves toutes les compten-ces fixes par les programmes (les comptences de dchiffrage de mots inconnus en font partie)." Pour rsumer, les programmes voquent la mthode naturelle ainsi que les mthodes plus structures et explicites, mais sans choisir entre les deux car c'est "la qualit des programma-tions" (juge comment?) qui doit guider le choix. Puis ils notent qu'on considre souvent que les mthodes globales et idovisuelles sont moins efficaces, mais qu'on peut considrer qu'elles parvien-nent aussi enseigner les rela-tions graphmes-phonmes (qui est ce "on" et sur quelle base considre-t-on?).

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    Dossier dducation & Devenir

    Si a ne s'appelle pas mnager la chvre et le choux! Finalement, bien qu'une large place soit consacre au dchif-frage dans les programmes, tou-tes les mthodes sont compatibles avec les programmes, mmes cel-les qui ne l'enseignent pas, ainsi que celles qui l'enseignent de ma-nire non explicite et non structu-re. Il revient donc aux ensei-gnants de choisir entre toutes les mthodes existantes, sans qu'au-cune soit exclue. Puisque les programmes leur lais-sent toute latitude, comment les enseignants choisissent-ils? Il me semble qu'ils sont influencs d'une part par leur formation l'IUFM, et d'autre part par les ins-pecteurs de l'ducation nationale qui peuvent valoriser ou sanction-ner telle ou telle approche. Il n'est pas impossible qu' ces deux ni-veaux il y ait (en moyenne) un srieux biais en faveur des mtho-des naturelles et globales. (je dis a simplement sur la base de plu-sieurs tmoignages convergents, sans donnes prcises). Si les enseignants revendi-quent trs fort leur libert pdagogique, on peut dire qu'ils sont entendus, puisque les programmes leur laissent une libert totale. Est-ce pour autant une bonne chose? Je ne crois pas. On ne peut pas, au nom de la libert pdagogique, laisser les enseignants faire n'im-porte quoi avec les enfants. No-tamment, utiliser des mthodes dont il a t dmontr empirique-ment qu'elles sont en moyenne moins efficaces que d'autres. Ou bien rinventer la roue pendant

    plusieurs annes. Car si "l'effet matre"* signal par Goigoux est bien rel (voire trivial, puisque les enseignants ne sont pas des ro-bots), ce n'est pas une raison pour ignorer l'effet mthode qui lui aussi est bien rel (et en l'oc-currence bien mieux quantifi que l'effet matre). A ce propos il est trs fallacieux d'affirmer qu'il n'y a aucun impact ngatif de la m-thode "naturelle", et qu'on ne sait rien de l'efficacit compare des mthodes en vigueur (une fois carte la mthode idovisuelle). Goigoux ne peut affirmer cela que parce qu'il se rfre uniquement la littrature francophone (qui en contient deux), alors qu'il y a des dizaines d'tudes pertinentes dans la littrature scientifique interna-tionale. Au risque de me rpter, la revue du National Reading Pa-nel en a identifi 38 en 1998 qui remplissaient des critres mtho-logiques rigoureux et qui livraient suffisamment de donnes chif-fres pour permettre une mta-analyse. Parmi leurs conclusions (que j'ai dj cites), le NRP met

    en avant l'efficacit signifi-cativement plus grande des mthodes enseignant systmatiquement les re-lations graphmes-phonmes par rapport celles ne les enseignant pas ou pas de manire

    systmatique (ce qui vise notam-ment la mthode naturelle) ainsi que l'efficacit plus grande des mthodes enseignant ces relations tt (y compris en GSM) plutt que tard (ce qui vise les mthodes dpart global). On ne peut donc pas dire qu'on ne sait pas.

    On ne peut pas, au nom de la libert pdagogique laisser les enseignants faire

    n'importe quoi.

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    Dossier dducation & Devenir

    Comment peut-on alors justifier que les programmes autorisent des mthodes qui ne dmarrent pas l'enseignement du dchiffrage ds le dbut de CP, et/ou qui ne l'enseignent pas de manire sys-tmatique? Si de Robien pouvait avoir une action concrte ce ni-

    veau, on ne pourrait que s'en r-jouir (et je rpte bien qu'il ne s'agit pas d'imposer la mthode Boscher mais des mthodes qui enseignent le dchiffrage ds le premier jour en parallle avec le reste). Franck Ramus

    Sur "l'effet matre" : Leffet Pygmalion Un corollaire leffet Pygmalion : leffet matre (Jacquot Barivelo et Vladimir Daupiard) http://www.reunion.iufm.fr/Dep/listeDep/exposes/effet%20pygmalion.pdf Deux textes dAlain Lger Universit de Caen

    L'effet tablissement

    http://alain-leger.ifrance.com/alain-leger/textes/effet-etablissement.pdf

    L'cole et la russite de tous

    http://alain-leger.ifrance.com/docs/reussite.pdf

    citent V. ISAMBERT-JAMATI (voir, par exemple, avec M.F. GROSPIRON Type de pdagogie du franais et diffrenciation sociales du rsultat . 1984) et trois chercheurs tats-uniens : E. Pederson, T. A. Faucher et W. Eaton) Une tude empirique du ple pdagogique de lAcadmie de Nantes Les russites paradoxales aux valuations dentre en sixime Synthse des observations et analyses ralises sur le terrain http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/pole_peda/reussite/index.html Il faut mentionner aussi ltude dArletta Grisay en 1997 : Evolution des acquis cognitifs et socio-affectifs au cours des annes de collge, MEN-DEP, Dossiers Education et Formations, n 88

    http://www.reunion.iufm.fr/Dep/listeDep/exposes/effet%20pygmalion.pdfhttp://alain-leger.ifrance.com/alain-leger/textes/effetetablissement.pdfhttp://alain-leger.ifrance.com/docs/reussite.pdfhttp://www.ac-nantes.fr:8080/peda/pole_peda/reussite/index.html

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    Chers collgues, Votre participation au dbat orga-nis par ducation et devenir me semble une trs bonne chose un moment o les scientifiques servent de caution aux oprations politiciennes. (cf. les dclarations du docteur Wettstein-Badour, au nom des neurosciences, qui invo-que le rle de lhmisphre cr-bral gauche pour lgitimer la m-thode syllabique AEF ) Largumentaire de Franck Ramus me semble bien indulgent pour un ministre qui na pas commis une maladresse de langage mais qui a dlibrment choisi une question trs mdiatique pour reprendre linitiative politique. (cf. les analy-ses de la presse politi-que) Gilles de Robien a choi-si de rhabiliter la m-thode syllabique, sym-bole des bonnes vieil-les valeurs ainsi que le lui recommandaient ses conseillers en com-munication. Un lobby puissant faisait campa-gne sur ce thme depuis des mois : une visite des sites de SOS-ducation, Lire-crire, Sau-vez-les-Lettres ou Fondapol vous en convaincra aisment (cf. larti-cle du Monde de lducation de dcembre). En donnant raison au ministre, vous semblez mconnatre la r-alit des pratiques pdagogiques : vous laissez croire que lcole primaire nenseigne pas, ou pas assez, ou enseigne trop tard les correspondances entre graphmes et phonmes. Et que la syllabique est la seule m-

    thode le faire. Double erreur. Vous confondez un processus cognitif (celui du d-chiffrage) avec une mthode p-dagogique (la syllabique) et vous ignorez toutes les mthodes do-minante phonmique pourtant majoritaires en France qui font du dchiffrage la cible principale de leur intervention. Puis-je vous rappeler que les manuels les plus utiliss au cours prparatoire, qualifis tort de semi-globaux , organisent un ensei-gnement explicite et progressif des correspondances graphmes / phonmes ds le dbut de lan-ne scolaire. Ce nest pas Alain Bentolila, auteur du clbre Gafi le

    fantme et leader du march des mthodes de lecture, qui me d-mentira ! Entre douze et dix-huit phonmes sont gnra-lement tudis au cours du seul premier trimestre. Treize, par exemple, dans le ma-nuel Crocolivre de

    Gombert et Valdois (Nathan) : A, R, I, L, T, U, O, M, E, OU, P, N, (er, ez, es). Pour justifier sa campagne de res-tauration de la mthode syllabi-que, le ministre reproche toutes les autres mthodes de faire commencer l'apprentissage de la lecture par une approche glo-bale pendant plusieurs semaines, pour n'en venir qu'ensuite la d-couverte des syllabes. Il suffit de consulter les chiffres des ven-tes des diteurs scolaires pour comprendre quil se fourvoie dans 80% des cas.

    La majorit des mthodes adoptent une dmarche intgrative Roland Goigoux Franck Ramus et Liliane Sprenger Charolles (dbat ducation et devenir )

    Gilles de Robien a choisi de rha-biliter la mthode syllabique,

    symbole des bonnes vieilles va-leurs , pouss par un lobby puis-sant qui faisait campagne sur ce

    thme depuis des mois.

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    Le survol trop rapide des ma-nuels1 vous a tromp : certes, sur le papier, ltude du code prend moins de place que ltude des textes, mais lespace graphique nest pas proportionnel la dure du travail des lves ! Sur ce point, lanalyse de lactivit pro-fessionnelle des instituteurs de cours prparatoire rvle que, de septembre mars, ceux-ci consa-crent le plus clair de leur temps apprendre aux lves mettre en relation des graphmes et des phonmes, en lecture comme en criture. Mais heureusement ils ne font pas que cela. La majorit dentre eux adoptent des dmarches int-gratives (le plus souvent donc do-minante phonmique) qui asso-cient dcodage, comprhension, production et acculturation. Ils abordent ces quatre dimensions, vritables points cardinaux de la didactique de lcrit, tout au long de lanne et en interaction : identifier et produire des mots crits (dcodage et encodage, avec mmorisation de lorthogra-phe) ; comprendre les textes (surtout vocabulaire et syntaxe) ; produire des textes (mme trs courts et avec laide de len-seignant, ds le dbut de lap-prentissage) ; entrer dans la culture de lcrit (ses uvres, ses codes linguisti-ques et ses pratiques sociales). La conviction de ces instituteurs est que lcole ne doit pas dl-guer aux familles des pans entiers de lenseignement si elle ne veut pas contribuer accrotre les in-galits sociales. Se limiter au B-A,

    BA est de ce point de vue tout aussi inacceptable que de lex-clure. Lapproche ido-visuelle (Foucambert) qui prohibait tout enseignement des correspondan-ces graphmes-phonmes a t dnonce par le ministre de lducation nationale il y a 13 ans : elle a aujourdhui disparu des classes de cours prparatoire mme si elle laisse encore des traces dans la mmoire collective des instituteurs. Sur ce point Franck Ramus a raison : il existe une infime minorit dinstituteurs

    qui ne prennent pas suffisamment en charge lenseignement du code. Mais linstitu-tion scolaire en avait conscience et oeu-vrait en ce sens (jai

    la responsabilit depuis 9 ans de la formation initiale des IEN sur ce sujet) : pourquoi ignorer ce point lhistoire dun mtier et de ses volutions ? Pourquoi provo-quer et disqualifier ainsi les insti-tuteurs ? Les dgts risquent d-tre considrables. Lo et la* Les diteurs scolaires nous ont fait un compte-rendu de leur entrevue avec le ministre le 14 dcembre. Celui-ci veut obliger tous les insti-tuteurs suivre une mthode syl-labique : il prend pour modle la mthode Lo et La2 dont il a demand aux diteurs scolaires de sinspirer. Connaissez-vous cet instrument que vous tes en passe de cautionner ? Dans ce manuel, avatar moderne de la mthode Boscher, les phra-ses soumises aux lves sont constitues exclusivement des mots que ceux-ci sont capables de dchiffrer tout seuls. Par exem-

    1 Ministre de lducation Natio-nale (1999). Lenseignement de la lecture au CP et au C1. Les dossiers ducation et Formation, 106. Voir aussi Fijalkow, E. et Fijalkow, J. (1994). Enseigner lire-crire au C.P. : tat des lieux. Revue Franaise de Pdagogie, 107, 25-42.

    * Voir en annexe lanalyse de Lo et La par veline Charmeux

    La pratique d'enseignement de la lecture ne se rduit pas au choix

    d'une mthode.

    2 Lire avec Lo et La, Belin, 2004. Ses auteurs, T. Cuche et M. Sommer, deux orthopho-nistes, dveloppent leur r-flexion dans le cadre de Fonda-pol, la fondation pour linnova-tion politique proche de lUMP.

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    Dossier dducation & Devenir

    ple : Le pre a pch une loche. Faro la hume puis il jappe ; la lo-che ne parle pas ! Il la lche alors Lo le chasse (Lo et La, p. 31). Le vocabulaire utilis dans ce rcit difiant nest choisi quen fonction des graphmes tudis au pralable, en dpit des intrts ou des connaissances lexicales des lves. Plusieurs mois sont ainsi consa-crs ltude de phrases simple-ment juxtaposes, loin des rcits de la littrature pour la jeunesse que les lves avaient lhabitude de travailler lcole maternelle (tous les verbes sont au prsent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux, etc.). Lenseignement de la comprhen-sion, pourtant exig par les pro-grammes (lexique, syntaxe, coh-sion textuelle, rfrents culturels), nest pas assur. Dans la mesure o les mthodes syllabiques, dans leur souci de simplification extrme, confondent la lettre et le son, elles sont ga-lement amenes viter les gra-phmes complexes. Ainsi le pho-nme /o/ est exclusivement asso-ci la lettre o jusqu la 41me leon de lanne, obligeant les au-teurs fabriquer des pseudo-textes tels que : La sort le che-val. Faro le mord. Le cheval a mal. Il remue puis il rue. La lui parle fort. Faro file. (idem, p.23). Auto, chteau et bateau sont prohibs. Pire encore, de nombreux mots parmi les plus frquents du fran-ais ne sont jamais proposs aux lves car ils sont irrguliers ou complexes du point de vue gra-phophonologique. De la mme manire, les prnoms de certains enfants sont carts en raison de leur complexit orthographique. Cest ainsi que le petit Gilles et le

    petit Dominique devront attendre le troisime trimestre de lanne scolaire pour pouvoir lire et crire leurs prnoms. Nicolas, plus chan-ceux, les devancera une fois enco-re4. Sur ce point aussi, les mthodes syllabiques sont en contradiction flagrante avec les programmes en vigueur qui demandent aux ensei-gnants dintroduire des mots fr-quents ds le dbut de lanne, pour l'essentiel des mots ou-tils dont la forme orthographi-que est mmorise . (Programmes 2002, 2.2) Pas un seul et , dans ou un dans les dix premires leons de Lo et La ! Pas une seule fois le verbe tre conjugu au pr-sent. Plus de la moiti des vingt mots les plus frquents de la lan-gue franaise5 ne sera jamais lue au cours du premier trimestre. Les programmes rappellent pour-tant quil y a deux manires d'identifier les mots : la voie indi-recte (dchiffrage) et la voie di-recte (lorsque le lecteur dispose dj, dans sa mmoire, d'une image orthographique du mot, cest--dire lorsquil reconnat la suite ordonne des lettres). Et ils stipulent que : L'apprenti lecteur doit apprendre se servir effica-cement de l'une et de l'autre. Elles se consolident mutuellement par leur utilisation frquente et sont renforces par toutes les activits d'criture. (Idem 2.3) Ces programmes invitent les ma-tres doter rapidement les lves dun petit capital de mots crits connus sur le plan orth