DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en...

17
DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera toujours En pleine crise sanitaire, les musées, centres d’art et galeries fermés, les expositions et événements annulés ou reportés mesurent difficilement les effets économiques de la crise sanitaire actuelle. « Mais l’impact sera fort », s’alarme Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou dans le Quotidien des Arts. Pour l’instant, les établissements tentent de faire face au mieux, notamment en « s’invitant chez nous ! » via les médias numériques, tout en continuant à préparer les expositions qui vont suivre… ainsi que les éclairages associés. Dans ce contexte, en partenariat avec l’expert Jean-Jacques Ezrati, la revue LUX témoigne de l’importance du rôle de l’éclairage d’exposition, tant au niveau de l’interprétation des œuvres que du confort et bien-être des visiteurs, sans oublier son action au niveau de la dégradation des œuvres et matériaux. Restons positif ! Remontons au XVII e siècle et entendons l’évêque prédicateur Jean-Baptiste Massillon pour qui, « le malheur apporte de nouvelles lumières ». DOSSIER RÉALISÉ PAR JACQUES DARMON, AVEC L’EXPERTISE DE JEAN-JACQUES EZRATI ET LA CONTRIBUTION DE LUCIE CLUZAN Musée Rodin © Patrick Tourneboeuf / OPPIC / Tendance Floue

Transcript of DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en...

Page 1: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

D O S S I E R

L’art de la lumière en muséographie s’exposera toujoursEn pleine crise sanitaire, les musées, centres d’art et galeries fermés, les expositions et événements annulés ou reportés mesurent difficilement les effets économiques de la crise sanitaire actuelle. « Mais l’impact sera fort », s’alarme Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou dans le Quotidien des Arts. Pour l’instant, les établissements tentent de faire face au mieux, notamment en « s’invitant chez nous ! » via les médias numériques, tout en continuant à préparer les expositions qui vont suivre… ainsi que les éclairages associés. Dans ce contexte, en partenariat avec l’expert Jean-Jacques Ezrati, la revue LUX témoigne de l’importance du rôle de l’éclairage d’exposition, tant au niveau de l’interprétation des œuvres que du confort et bien-être des visiteurs, sans oublier son action au niveau de la dégradation des œuvres et matériaux. Restons positif ! Remontons au XVIIe siècle et entendons l’évêque prédicateur Jean-Baptiste Massillon pour qui, « le malheur apporte de nouvelles lumières ».

DOSSIER RÉALISÉ PAR JACQUES DARMON, AVEC L’EXPERTISE DE JEAN-JACQUES EZRATI ET LA CONTRIBUTION DE LUCIE CLUZAN

Mus

ée R

odin

© P

atric

k To

urne

boeu

f / O

PPIC

/ Te

ndan

ce F

loue

Page 2: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

L’exposition se situe au cœur des enjeux touristiques, économiques, scienti-

fiques et sociaux, ainsi qu’au centre des politiques culturelles publiques et privées. « Elle n’en demeure pas moins méconnue en tant que production culturelle à part entière », regrette l’architecte Adeline Rispal, prési-dente de XPO, pour qui la création de cette fédération représente « une grande étape pour la reconnaissance et l’organisation du métier de l’expo ».

FAVORISER LES ÉCHANGES« Nous avons rejoint cette initiative pour défendre cette très belle idée de travail colla-boratif », explique-t-elle, en considérant que « les expositions les mieux réussies sont celles où tous les corps de métiers ont réussi à dialoguer dès le début du projet, en respectant chaque savoir-faire ». Chaque compétence étant très spécifique et nécessaire, XPO souhaite clari-fier, tant dans l’esprit du public que de celui des interlocuteurs (administrations, minis-tère, donneurs d’ordre) « la pertinence de l’articulation de toutes ces compétences, ce qui semble encore confus ». En conséquence, le manque de moyens financiers conduit sou-vent certains acteurs à faire des prestations en dehors de leur champ de compétence ! « Le commissaire fait la scéno, le scénographe fait la lumière, etc… C’est préjudiciable pour la qualité des expositions et pour l’avenir de nos 

savoir-faire. Nous voulons donc redessiner les bases d’un projet d’exposition réussi. » D’où le premier travail, présenté en novembre dernier, visant à définir les métiers. « C’est très simple mais, pourtant, ce n’était pas si évident ! »Outre le fait de considérer XPO comme l’ins-tance nécessaire pour faire mieux connaître et reconnaître le métier de l’expo et ses dif-férentes composantes, « cette organisation représente une opportunité de créer du lien entre tous les professionnels du secteur », poursuit Vir-ginie Nicolas. Une telle plateforme souhaite favoriser les échanges constructifs et déve-lopper une émulation portant sur des thèmes essentiels, tels la réduction de l’impact en-vironnemental, l’intégration des nouveaux médias, la conception avec les publics…

DÉFENSE DE LA PROFESSIONPar ailleurs, à terme, XPO souhaite, d’une part fournir des ressources professionnelles (aide juridique, soutien administratif, base de don-nées historique…), d’autre part, défendre des honoraires dignes et proportionnés au travail demandé. « En effet, la situation de contraction des budgets alloués à la culture conduit à des situations de grande précarité financière pour les professionnels des expositions auxquels est demandé de plus en plus de contenu pour de

moins en moins d’honoraires », regrette la pré-sidente de l’ACE. Ce qui, toujours selon elle, s’avère injuste au regard de l’impact écono-mique global des expositions qui attirent un large public et participent au grand dyna-misme touristique du territoire français.Par ailleurs, XPO ambitionne de devenir une plateforme de référence et d’expertise pour les formations liées à ces métiers, tant à des-tination des étudiants que, surtout, à celle des maîtres d’ouvrage programmant les ex-positions. Enfin, conclut Virginie Nicolas, cette fédération réfléchit au croisement des fichiers de ses membres afin de créer des événements en régions permettant la ren-contre de tous les acteurs et la création de symbioses pour « faire circuler les belles idées et, localement, partager les expériences ».

1. Salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme, organisé par Museumexperts.

VIRGINIE NICOLAS

Lumières sur les métiers de l’XPOEn juin 2019, a été créée XPO, comprenez Fédération des concepteurs d’expositions, suite au rapprochement de plusieurs organisations professionnelles dont l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes), dont la présidente, Virginie Nicolas, a rappelé les raisons de cette collaboration lors du salon SITEM1 de janvier dernier.

LES 7 PARTENAIRES

- Association Les Muséographes- Association Professionnelle

des muséographes- Association Scénographes- UDS (Union des scénographes)- ACE (Association des concepteurs

lumière et éclairagistes)- PXN (Association des producteurs

d’expériences numériques)- Passages (cabinet conseil en courtage,

spécialisé en assurance, dans les domaines de l’art, du patrimoine et de l’événementiel)

Musée Yves Saint Laurent Marrakech.Inauguré fin 2017, ce nouveau lieu d’exposition est plongé dans l’obscurité. Les couleurs et les textures des modèles haute couture emblématiques du génial créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles à la lumière sont remplacées à intervalles régulier parmi les 3 000 de la collection. La mise en lumière signée par Akari-Lisa Ishii de l’agence I.C.O.N. dramatise la mise en scène des pièces.

Erco

/ ©

Chr

istia

n Sc

haul

in, H

ambo

urg

/ Alle

mag

ne

22 LUX 306

Page 3: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

Se donnant comme mission d’être au service de la société et de son développe-

ment [ICOM, 2007], le musée collecte, étudie, conserve et communique les témoins maté-riels et immatériels de l’activité de l’homme et de la nature, la maîtrise de la lumière y contri-buant pleinement. Elle se compose de quatre secteurs (bien que celle relative à la com-munication par l’exposition en représente la principale) qui se déclinent comme suit :

LUMIÈRE ET ACQUISITION« Acquérir c’est acheter, recevoir en dation ou en donation, des objets qui nous font sens, c’est aus-si rechercher, découvrir, comme en archéologie. » Mais, même dans ce secteur, déterrer des ob-jets « sous la lumière du jour » n’est pas sans risque. Par exemple, le cinabre (couleur rouge

de sulfure de mercure), ornant des fresques gallo-romaines, va très rapidement noircir à la lumière du jour. C’est pourquoi, sur cer-tains chantiers de fouilles, sont tendues des bâches, non claires ni transparentes, mais orangées. Sous celles-ci, n’est ainsi plus ainsi diffusée une lumière blanche mais une lumière dont la bâche a absorbé les radiations ultra-violettes, violettes, bleues et vertes pour en réduire les effets. Aussi, avant d’acquérir tout objet, un musée se doit d’en connaître la pro-venance et sa constitution, pour être sûr de son authenticité et en apprécier tous les détails. En conséquence, une vision sous une excel-lente lumière blanche, voir sous des radiations visibles ou non visibles, représente déjà une forme d’étude et un début de recherche de l’éclairage approprié.

La caverne du Pont d’Arc (Grotte Chauvet 2). ArdècheLa visite de ce joyau de la préhistoire découvert en 1994, se fait aujourd’hui par le biais d’une réplique inaugurée en 2015, fruit du long travail des scientifiques, historiens, architectes, mouleurs, peintres et des concepteurs lumière de l’agence Ponctuelle. Les produits Loupi installés permettent de communiquer par la lumière la sensibilité contenues dans les peintures et ponctuent le parcours par l’accentuation de certains éléments muséographiques.

Les quatre domaines de l’éclairage en muséographieSi la muséologie est l’étude du musée sur le plan théorique (histoire, sociologie, politique, éthique, etc.), c’est-à-dire le pour qui et le pourquoi, la muséographie, ou la muséologie pratique, répond à la question du comment. La lumière y joue un rôle essentiel décliné en quatre usages.

© F

ranç

ois L

acou

r

LUX 306 23

Page 4: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

LUMIÈRE ET RECHERCHEL’étude de tout objet commence par l’observer sous « toutes ses coutures » et sous une excel-lente lumière comme celle du jour. Toutefois, cette dernière n’étant pas toujours dispo-nible, la lumière artificielle s’impose. D’un niveau d’éclairement compris entre 1 000 et 1 500 lux, la composition spectrale de la lu-mière diffusée, proche de la lumière du jour septentrionale, se réfère souvent à l’illuminant D65, lumière correspondant à une tempéra-ture de couleur de 6 500 K. De plus, différentes prises de vues complètent la connaissance de l’objet. Par exemple, pour une peinture, elles sont effectuées sous un ensemble d’angles et de compositions spectrales : sous lumière directe blanche (vue d’ensemble) ; sous un éclairage latéral (texture) ; sous infrarouge (vi-sion du dessin sous-jacent) ; sous ultraviolet (détection des repeints, suite à des restaura-tions antérieures). Ensuite, afin de réaliser des investigations plus poussées, seront utilisées d’autres radiations en dehors des rayonne-ments optiques, comme les rayons X, voire gamma. Enfin, en utilisant la spectrocolori-métrie, la lumière permet aussi l’étude de la couleur, des pigments et des colorants. Peut être ainsi identifiée la palette des couleurs de l’artiste et, souvent, est assurée l’authentifi-cation de l’œuvre.

LUMIÈRE ET CONSERVATIONLa conservation est un terme polysémique permettant de définir, à la fois, le travail du conservateur (acquisition, études, gestion, etc.), et la matérialité des objets. Toutefois, il convient de distinguer la conservation pré-ventive, prenant en charge l’environnement et la sécurité de l’ensemble des objets pré-sentés, et la conservation curative portant sur la restauration d’un objet en particulier.

La restauration de tout objet commence par une phase de documentation portant, no-tamment, sur les résultats de recherches et d’études de nombreuses photographies et radiographies. La lumière peut aussi inter-venir, d’une manière détournée, en utilisant les lois de l’optique, telle l’aberration chro-matique axiale permettant la mesure d’une couche de matière transparente tels les ver-nis. En mesurer l’épaisseur peut contribuer à les alléger comme il a été réalisé, ces der-nières années, au niveau de chefs-d’œuvre de la peinture. Ce travail est effectué sous une lumière blanche de qualité, semblable à celle utilisée pour l’examen visuel, en partie ma-niable pour valoriser les détails des œuvres.

LUMIÈRE ET COMMUNICATIONLa communication portant sur les études ef-fectuées recouvre les publications écrites et digitales consultées soit dans des centres de documentation ou dans tous autres lieux, ainsi que dans le cadre de séminaires et conférences organisés dans les auditoriums ou salles de conférences présentes dans tous les musées. C’est pourquoi, l’éclairage d’une

bibliothèque ou d’une salle de conférences, doit aussi faire appel à des compétences spécifiques. Toutefois, quand on parle de communication dans l’univers muséogra-phique, le média principal utilisé est celui de l’exposition en distinguant, d’une manière simpliste, l’exposition permanente et l’expo-sition temporaire.

PERMANENTE OU TEMPORAIRE ?Ce qui différencie l’exposition permanente de l’exposition temporaire c’est, justement la temporalité ; la première dure quelques di-zaines d’années, voire plus, contre quelques mois pour la seconde. Se renouvelant, au mi-nimum, tous les ans, l’exposition temporaire impose un lieu dédié qu’il faudra aménager en conséquence, notamment au niveau de ses éclairages. Dans ce contexte, l’architec-ture d’une salle d’exposition temporaire doit être, la plus neutre possible afin d’y recevoir des thématiques variées. En fait, elle doit être aménagée comme une scène de théâtre, équipée de toutes les fonctionnalités tech-niques et logistiques exigées par le montage d’une exposition. On y distingue, d’une part, l’éclairage général diffusé dans la totalité de l’espace et dont les fonctions sont généra-lement multiples (lumières de service pour le montage et démontage, maintenance, etc.), et d’autre part l’éclairage scénographique valorisant les objets, l’un n’allant pas sans l’autre. J-JE

angle ± 60°

Envi

ron

1,60

m

Ci-contre.Mesure colorimétrique, pour le suivi de l’état de conservation, s’effectuant avant la mise en place de l’objet et après son retour d’exposition.

À gauche.Mesure de l’épaisseur du vernis par microscopie confocale à champ étendu mettant en jeu l’aberration chromatique axiale ; à savoir, la diffraction d’un faisceau de lumière en une multitude de faisceaux colorés sur un même axe.

Phot

os ©

Jea

n-Ja

cque

s Ezr

ati

Typologie des éclairages localisés : dirigé, focalisé et cadré.Exemple de déclinaison de la variable lumineuse forme du faisceau, qui va, de gauche à droite, de l’intégration de l’œuvre à son environnement jusqu’à l’isoler totalement de celui-ci.

24 LUX 306

Page 5: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

L’éclairage d’exposition repose sur trois compo-santes de base : tout d’abord, sur un concept

intégré à la thématique, l’éclairage représentant un important vecteur d’expression et d’interprétation ; ensuite, sur une prise en compte des besoins des visi-teurs relatifs à leur confort et à leur bien-être ; enfin, dans le cadre de l’institution muséale, sur la limitation des effets de dégradation créés par la lumière au niveau d’un grand nombre de matériaux.

ÉLÉMENT DE LA SCÉNOGRAPHIELa scénographie, définie comme la mise en espace d’éléments et d’objets, dépend de la subjectivité du concepteur qui transmet, traduit et interprète la thé-matique de l’exposition. L’éclairage y est considéré comme un élément de la scénographie au même titre que la partition de l’espace, la couleur, le son, etc. « Comme eux, il est signe ! » en représentant une réalité

et, même, en suscitant un sentiment particulier à cer-tains. Par exemple, imaginons un éclairage très froid fournissant un faible éclairement de manière diffuse. Cette ambiance, similaire à l’atmosphère d’une journée grise, nous plongera dans un état de tristesse plus que de bonheur. Ainsi, toute ambiance lumineuse dépend de trois variables (la température de couleur ; l’éclai-rement ; la diffusion de la lumière), la conjugaison de leurs différentes valeurs permettant de suggérer le sen-timent souhaité.La dizaine de variables possibles, représente, pour ain-si dire, « l’alphabet de l’éclairagiste ». Mises en synergie ensemble, sous une valeur propre, elles formeront d’autres unités porteuses de sens.

ÉLÉMENT DE L’EXPOGRAPHIEL’expographie, définie comme une scénographie créée dans le cadre d’un espace d’exposition, prend

Les trois règles d’art des éclairagistesL’éclairage c’est l’art de maîtriser la lumière pour répondre à une demande d’ordre social, culturel, historique, fonctionnel, etc. Acte réfléchi, cette composante du design fait aussi appel à un concept technique nécessitant un réel savoir-faire approprié à la technologie mise en œuvre. C’est particulièrement le cas en muséographie qui associe scénographie et expographie.

Fondation Carmignac, île de Porquerolles. Cette collection privée d’art du XXe siècle, se déploie sur deux niveaux, dont un en sous-sol. L’ambiance lumineuse conçue imaginée par Lucas Goy et Aurélien Bourg, de l’agence Les Éclaireurs, cherche à se rapprocher d’un éclairement naturel, avec d’une part un apport via des baies vitrées et un puits de lumière, d’autre part des plafonds en Barrisol rétroéclairés équipés de plaques à LED. Des projecteurs complètent le dispositif.

© M

arc

Dom

age

LUX 306 25

Page 6: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

en compte, quant à elle, les données spa-tiales du lieu et le positionnement du visiteur, ces facteurs étant totalement différents par rapport à ceux du théâtre par exemple. Au niveau de la conception des éclairages, ces facteurs sont à consi-dérer pour assurer une visite sereine, évitant :- l’éblouissement dû à des sources mal po-

sitionnées le long du parcours du visiteur ;- les reflets, tant des sources de lumière

elles-mêmes que celui du visage du visi-teur ou de son environnement ;

- des ombres portées.Il ne s’agit plus là de la subjectivité du concepteur, mais de son savoir-faire pour respecter les besoins de l’ergonomie visuelle du visiteur.

ÉLÉMENT DE LA MUSÉOGRAPHIEDans le cadre spécifique de l’exposition, la muséographie se définit, comme une ex-pographie prenant en compte la sensibilité des objets présentés aux radiations optiques (ultraviolet visible et infrarouge). Chaque ma-tériau dont est constitué l’objet exposé, est représenté par une classe de sensibilité pour laquelle des recommandations déterminent une dose totale d’exposition lumineuse an-nuelle à respecter (voir tableau ci-dessous). À ce niveau, également, cette notion de « dose totale d’exposition annuelle » demande à l’éclairagiste un véritable savoir-faire dans la maîtrise des ambiances et des moyens tech-niques à mettre en œuvre. Pour y parvenir,

il dispose d’un choix de sources, par l’élimi-nation des rayonnements de fortes énergies (de l’ultraviolet au rayonnement visible de courte longueur d’onde), de films et de filtres

à utiliser. Importe, également, la gestion du temps d’éclairage des œuvres, qui résulte, enfin, d’un savoir-faire éloigné de la subjec-tivité du concepteur. J-JE

Classes de sensibilité Description des matériaux Dose totale d’exposition*

Insensible Métaux, pierres, verres, céramiques, émail, minéraux… -

Sensible Peintures à l’huile, cuir, bois, corne, ivoire, laques… 600 Klx.h/an**

Très sensible Aquarelles, pastels, textiles, papiers peints, fourrures… 150 Klx.h/an**

Extrêmement sensible La soie, la plupart des documents graphiques et photos… 15 Klx.h/an

© E

RCO

Gm

bH /

ww

w.e

rco.

com

/ ph

otog

raph

ie :

Seba

stia

n M

ayer

* DTE = Dose totale d’exposition : Éclairement en lux par le nombre d’heures de fonctionnement sur un an, soit 3 000 heures. ** Ces valeurs sont indiquées sous des lumières d’une température de couleur proche de 3 000 K pour des lumières de températures de couleurs supérieures, ces valeurs devront être revues à la baisse. Suivant les tableaux de la CIE 157/2004 et AFNOR XP CEN/TS 16163.

Feuerle Collection, Berlin. Occupant l’intérieur d’un ancien bunker, cette exposition permanente s’appuie sur l’absence de lumière naturelle inhérente à l’architecture du lieu. L’ambiance sombre, créée par le propriétaire accompagné par Erco, dans laquelle les visiteurs sont plongés est rompue par l’utilisation de projecteurs classiques ou cadreurs.

angle ± 60°

Envi

ron

1,60

m

angle ± 60°

Envi

ron

1,60

m

Emplacement d’un projecteur pour l’éclairage d’une vitrine

Éclairage sous un angle correct d’une peinture.

26 LUX 306

Page 7: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

En muséographie, aux besoins de qualité, de fiabilité et de maniabilité du matériel

proposé, il faut y ajouter une facilité de mise en œuvre en raison des changements répé-tés des expositions. Rappelons que, dans un espace muséal, l’éclairage d’exposition par-ticipe à la mise en espace tout en répondant

à des exigences de confort visuel et à un ni-veau d’éclairement permettant une bonne perception. Sans omettre la protection des œuvres sensibles aux rayonnements op-tiques en assurant une exposition lumineuse la plus faible possible. En conséquence, il ne convient d’exposer les objets à la lumière que s’ils sont admirés car il est inutile de les éclai-rer s’il n’y a personne pour les apprécier ! Aussi, importe-t-il de créer divers scénarios d’éclairage incluant la détection de présence ou l’interaction directe du visiteur.

DALI AUJOURD’HUI CONCURRENCÉDans ce contexte, un protocole de gestion de l’éclairage s’avère indispensable. Le protocole filaire DALI (Digital Addressable Lighting In-

terface), avec ses 64 adresses de base, dont 8 dédiés aux capteurs, ses 16 groupes de bal-lasts d’éclairage assurant la programmation de 16 scènes scénarii, correspond largement aux besoins muséographiques, bon nombre de fabricants de matériel le proposant.Toutefois, de la phase du concours portant sur un projet jusqu’à sa réalisation, il peut facilement s’écouler deux ou trois ans, du-rée suffisamment longue pour qu’émergent de toutes nouvelles technologies dont l’éva-luation nécessite de deux à trois nouvelles années supplémentaires. Aussi, lorsque le projet sort, la technologie choisie date au minimum de quatre à cinq ans. Ce qui est lar-gement le cas pour des protocoles tels DMX (1990)1 et DALI (2001). Tandis que, depuis

Musée Rodin, Paris.La rénovation achevée en 2015 du musée consacré au sculpteur a nécessité le développement spécifique d’un système électronique de pilotage et d’indexation via le protocole Dali des sources d’éclairage, notamment des projecteurs LED IYon Tunable White développé par Zumtobel, à température de couleur dynamique. Signée Stéphanie Daniel, cette conception repose sur la variation de l’intensité et de la température de couleur selon les conditions extérieures.

DALI : aujourd’hui pour demain ?Encore en 2017, préconiser l’usage du protocole DALI, dans des applications muséographiques, ne faisait aucun doute ! Qu’en est-il aujourd’hui alors que se développent bon nombre de protocoles de communication ? Avant de répondre à cette interrogation, il convient de préciser trois points : définir les besoins au niveau d’un projet ; estimer sa durée, de sa conception à sa réalisation ; appréhender les avancées technologiques jusqu’à sa mise en œuvre effective.

© P

atric

k To

urne

boeu

f / O

PPIC

/ Te

ndan

ce F

loue

LUX 306 27

Page 8: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

quelques années, de nouveaux protocoles sont proposés (PoE-Power over Ethernet, Bluetooth, Zigbee, etc.) qui, sans pourtant attendre leur pleine maturité, s’impliquent déjà dans bon nombre de projets.

DE NOUVELLES SOLUTIONS SE DÉVELOPPENTCes nouveaux protocoles, loin d’être en-core normalisés, présentent toutefois des performances s’améliorant de jour en jour et évoluant constamment. Certains vont même jusqu’à remettre en les pratiques traditionnelles. Citons, notamment, le Power over Ethernet (PoE) en cours de dé-veloppement (voir notamment LUX 304, novembre-décembre 2019, p. 24). Ces nou-velles perspectives, comme le passage aux 48V, demandent une nouvelle conception des luminaires et un gain en flux, chaque ligne étant limitée à quelques centaines de watts. « Plus intéressants, encore aujourd’hui, sont les protocoles radio sans fil, mieux adap-tés aux installations existantes alors qu’il n’est pas si simple au Wifi de s’intégrer dans une installation existante, voire de créer une liai-son supplémentaire », considère Jean-Jacques Ezrati.À ce propos, que dire aujourd’hui de ces protocoles ? « Pilotant les sources et des luminaires du même fabricant, ils sont loin en-core de correspondre aux besoins de l’éclairage d’expositions », poursuit-il. Pour le Blue-tooth, l’investissement reste limité puisqu’il

ne demande pas de « tirer » des câbles sup-plémentaires. « Néanmoins, les choses ne sont pas aussi simples que celles avancées par les arguments commerciaux », estime l’éclaira-giste conseil, d’autant plus que l’absence de normalisation n’aide en rien et qu’existent actuellement sur le marché deux systèmes différents, chacun s’implantant chez des fa-bricants différents (certains les proposent au choix) trop souvent incompatibles entre eux (Casambi et Xicato), comme ce fut déjà le cas au niveau du Wifi (Philips et Osram). « Non moins important en est le logiciel de program-mation. On nous en vante la simplicité grâce à l’usage du smartphone ! C’est peut-être démons-tratif mais vite inutilisable, notre “couteau suisse” ayant ses limites », constate Jean-Jacques Ezra-ti pour qui un smartphone est avant tout un téléphone et une boîte postale numérique.

QUE CHOISIR AUJOURD’HUI ?« Tout dépendra du projet, toutes les options res-tantes ouvertes », répond l’éclairagiste-conseil. Concernant une nouvelle installation, et dans l’état actuel des technologies, il reste fidèle à la solution filaire du DALI2, l’investissement restant limité au passage de deux fils supplé-mentaires3 et les luminaires étant de plus en plus équipés, en standard, de drivers DALI. De plus, le protocole DALI-2 permet l’intero-pérabilité non seulement des drivers entre eux, mais aussi celle des capteurs et des re-lais, quel que soit le fabricant.

Dans le cas d’une installation existante nécessitant de contrôler un ou plusieurs lu-minaires, « le sans-fil est la solution la mieux appropriée ». Mais laquelle choisir s’inter-roge Jean-Jacques Ezrati ? Le choix est le plus souvent dicté par le fabricant du matériel d’éclairage qui inclut le système de gestion à son appareillage. Il conviendra alors de bien définir son projet (le type et le nombre de projecteurs, les scénarii envisagés, les cap-teurs ou relais à intégrer) ; les protocoles n’offrant pas tous les mêmes possibilités, ni les mêmes moyens de programmation (ta-blettes/smartphone ou ordinateur).La question reste toutefois ouverte. Comme expliqué ci-dessus, le choix d’un protocole de gestion technique dépend, à la fois, de la structure du projet et de la prise en main du logiciel (tant en Bluetooth qu’en DALI) « tout en considérant, conclut Jean-Jacques Ezrati, que l’utilisateur final, non spécialisé, n’utilisera le système qu’une ou deux fois par an ». À no-ter que les services SAV des fabricants sont souvent disponibles à aider l’utilisateur, ce qui est le plus souvent possible de réaliser à distance.

1. Le DMX, même dans ses développements les plus récents, ne me semble pas adapter à l’éclairage muséographique qui demande souvent l’usage de nombreux scénarii conditionnés à l’usage de capteurs. De plus il n’est pas toujours proposé par les fabricants du domaine.

2. Aujourd’hui des passerelles permettent des liaisons sans fil dans une installation DALI (comme pour le DMX) voir sous ces deux standards des versions sans fil à l’étude.

3. L’alimentation des équipements est effectuée par un câble 5 conducteurs au lieu de 3.

Musée Soulages, Rodez.L’exposition permanente des œuvres de l’artiste aveyronnais, père de l’Outrenoir, un « noir-lumière » a pour écrin un édifice conçu spécifiquement par les architectes de l’agence catalane RCR. Pour maintenir les niveaux idéaux dans la salle lorsque le soleil disparaît un système de régulation DALI par détecteur permet l’interaction entre la lumière naturelle et artificielle.

Mus

ée S

oula

ges R

odez

201

4 ©

Gra

nd R

odez

C. M

érav

illes

28 LUX 306

Page 9: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

D’une façon générale la qualité et la puis-sance d’émission se sont améliorées.

« Nous trouvons maintenant des appareils avec des rendus de couleurs proches des 98 % », se félicite Gérald Karlikow. Ses réserves portant sur la pauvreté des rendus de couleur dans les rouges et les violets sont donc ainsi levées. « Pourtant le concepteur lumière que je suis n’est toujours pas satisfait », confie-t-il.

AU NIVEAU IRCSi chaque fabricant affiche un IRC de +/- 98 % aucun n’est malheureusement identique. En conséquence, il n’est pas possible de travail-ler dans une même salle d’exposition avec des appareils de marques différentes. Il est même presque impossible de compenser les différences avec des filtres. « C’est particuliè-rement visible dans la balance vert rose ou seuls des 1/16 de + ou – green pourraient faire l’af-faire », souligne-t-il en regrettant que « ces filtres n’existent pas pour les LED ». Idem pour les températures de couleur. « Les uns sont à 4 025 d’autres à 3 995 et avoir la même tempé-rature de couleur devient vite un enfer obligeant à renoncer à l’effet voulu parce que trop compli-qué à mettre en œuvre. »Par ailleurs, Gérald Karlikow évoque la lo-cation de projecteurs neufs dont les séries d’un même fabricant ne présentent pas les mêmes températures en raison de l’usure et de la date de fabrication. « Pour mémoire, au temps de l’halogène, les lampes étant neuves en début d’exposition, une seule température de couleur s’imposait. »

ENCORE UNE OMBRE AU TABLEAUDébut 2019, Gérald Karlikow ne cachait pas sa réserve vis-à-vis de la qualité optique des appareils. Depuis, constate-t-il, « les fabricants ont également réalisé de sérieux progrès ». Tou-tefois, il reste réservé au niveau de la source LED. Le filament des lampes halogènes était ramassé, jusqu’à ne former presque un point, tandis que les LED se caractérisent par de vé-ritables surfaces d’émission. « Ce qui modifie radicalement la qualité des ombres. » Il est im-possible d’obtenir une seule ombre nette. Il y a toujours, y compris au niveau des ca-dreurs, un léger flou. Mettre un volet sur des projecteurs focalisables revient à voir sur le mur une succession de dégradés. Pour les ca-dreurs, c’est le contraire. « Parfaits au net, les aberrations sur les côtés au flou rendent cette option très aléatoire. »

DES ENVIESSelon Gérald Karlikow, « ces réserves ne seront jamais levées ». Les fabricants cherchent à se démarquer les uns des autres, leur choix d’un fournisseur LED répondant à leurs stratégies de recherche et développement. L’unifor-misation, effective au temps de l’halogène, n’est plus d’actualité. « Aussi s’ouvrent de nou-veaux horizons et perspectives de travail », se félicite le concepteur lumière pour qui « la transformation de l’ombre nette en ombre flou devient une réalité dont il faut tirer parti ». Et de conclure : « Dans mon intervention de l’an dernier, j’attirai l’attention sur les infinies possi-bilités de ces sources depuis les rubans jusqu’aux grandes surfaces. » Là, Gérald Karlikow n’af-fiche pas de réserve, mais des envies.

Musée Van GoghLa question du rendu des couleurs est en muséographie un enjeu de premier ordre. Pour Gérard Karlikow, des progrès indéniables ont été réalisés avec des appareils affichant des rendus proches des 98 %. Au musée Van Gogh d’Amsterdam, la palette de l’artiste est aujourd’hui éclairée par un tout nouveau système empêchant au mieux l’altération des couleurs.

GÉRALD KARLIKOW

Des progrès, mais encore des enviesLors du SITEM 2019, le concepteur lumière Gérald Karlikow, exprimait des réserves à propos de la technologie LED appliquée aux expositions dans les musées. Depuis, les évolutions permanentes, proposées par les fabricants, ont permis de tempérer ses précédentes affirmations. Il l’explique !

© M

usée

Van

Gog

h Am

ster

dam

/ Ja

n Ke

es S

teen

man

© M

usée

Van

Gog

h Am

ster

dam

/ Ja

n Ke

es S

teen

man

C

M

J

CM

MJ

CJ

CMJ

N

H0302_Pub AELSYS_v2.1-HD.pdf 1 10/03/2020 17:16

Page 10: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

10 ans ! Il aura fallu une décennie à deux conser-vateurs en chef du musée du Louvre, Vincent

Delieuvin (département des Peintures) et Louis Frank (département des Arts graphiques), pour concevoir (et réussir) l’exposition « Léonard de Vinci » dont ils ont été tous deux commissaires.

ENTRE-DEUXToutes les plus grandes institutions publiques ont joué le jeu, en prêtant de nombreuses œuvres, ainsi que plusieurs collectionneurs privés, dont Bill Gates et la reine d’Angleterre. Au total, 160 œuvres, réparties sur les 1 100 m2 des habituels espaces d’expositions temporaires du hall Napoléon, et scénographiées par

Victoria Gertenbach, chargée de projet en architec-ture et muséographie au sein de la médiation et de la programmation culturelle du musée du Louvre. Vé-ritable designer d’espaces, l’architecte scénographe s’applique à créer des lieux favorisant la rencontre des visiteurs avec l’œuvre. « En fait, résume Victo-ria Gertenbach, à l’aide de volumes, de couleurs et de lumières, mon travail consiste à créer cet “entre-deux” guidant le parcours du public d’une œuvre à l’autre, tout en restituant, dans  le domaine du sensible,  la compréhension d’une démonstration intellectuelle et es-thétique, celles des commissaires de l’exposition. » Dans ce contexte, l’éclairage représente un élément essen-tiel en tant que facteur d’interprétation, de confort

EXPOSITION LÉONARD DE VINCI

L’espace et les œuvres engendrés par la lumièreL’année 2019, date du cinquième centenaire de la mort de Léonard de Vinci, a revêtu une signification particulière pour le musée du Louvre qui possède la plus importante collection au monde de peintures du maître de la Renaissance italienne, ainsi que 22 dessins. D’où l’exposition monographique organisée du cet hiver, mise en lumière par l’architecte scénographe Victoria Gertenbach, en collaboration avec l’éclairagiste Karim Oufella, soucieuse de la protection des œuvres, tant celles appartenant au musée que celles qui lui ont été prêtées.

»«Aucune matière ne peut être intelligible sans ombre et lumière.Léonard de Vinci

(1452-1519)

À l’entrée de l’exposition, les visiteurs étaient « accueillis » par le Christ et saint Thomas, grand relief de bronze commandé, en 1467, à Andrea del Verrocchio, le maître de Léonard de Vinci. Voulue par la scénographe Victoria Gertenbach, la forme de cette première salle constitue un arc de cercle développé autour de l’ensemble sculptural. Les œuvres de « l’élève » se déploient, tout au long de cette courbe, détachées de l’obscurité sur des cimaises gris clair. Cette solution met en résonance l’ombre et la lumière des drapés peints avec celui de la sculpture en bronze.

DOSSIER / MUSÉES

Phot

os ©

Mus

ée d

u Lo

uvre

/ An

toin

e M

ongo

din

30 LUX 306

Page 11: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

et du bien-être des visiteurs… sans oublier la maîtrise des dégradations des œuvres dues à la lumière. « Grâce aux solutions LED, nous disposons dorénavant de mises en lu-mière appropriées, sans compromis entre les impératifs de conservation, les économiques et les contraintes organisationnelles, tout en respectant les choix esthétiques », explique Karim Oufella. En tant qu’éclairagiste, il exerce, parmi une équipe de techniciens d’art, au sein de l’atelier Éclairage du mu-sée du Louvre, l’un des rares établissements muséaux à disposer d’un tel outil. Et d’ex-pliquer : « Notre travail porte, notamment, sur le choix de la bonne lumière pour la bonne œuvre. » Dans certains cas, les différents vernis peuvent altérer le rendu visuel des

peintures en les rendant plus jaunes ou plus pâles. « Aussi, pour le Saint Jean Baptiste par exemple, nous avons dû utiliser des filtres cor-recteurs pour restituer au mieux les couleurs naturelles de la toile », ajoute Karim Oufel-la en précisant que, « après échanges avec les commissaires, nous travaillons le matériau lumière de sorte qu’il corresponde parfaite-ment à la lecture voulue pour certains types d’œuvres ».

OMBRE ET LUMIÈRE« La révolution léonardienne tient en quelques mots », rappelle le guide de visite remis à l’entrée de l’exposition. Pour nous ouvrir les yeux sur le monde, le génial autodidacte œuvrait en sorte que ses figures possèdent

la réalité de la vie dans un espace infini constitué d’ombre et de lumière. Répartie en quatre espaces (Ombre,  lumière, relief ; Liberté ; Science ; Vie), la scénographie muséo-graphique, épurée, était singularisée par des cimaises noires et gris anthracite plongées dans la pénombre : 25 lux sur les œuvres et 10 lux au sol.La visite de l’exposition commençait par une imposante statue en bronze du maître de Léonard, Andrea del Verrocchio, permettant de comprendre les modèles des draperies peints par Léonard de Vinci. Ensuite, dans l’espace Liberté, était exprimé le travail du peintre ne pouvant saisir la vérité que par une liberté de l’esprit et de la main capable de nier la perfection de la forme. Dans l’es-pace Science, il était démontré que dessiner ne se limite pas à reproduire des formes. C’est exprimer des relations entre les formes. « Autrement dit, c’est penser ! » Enfin, l’espace Vie suggérait que la science n’est pas autre chose que la nécessaire forme que revêt la liberté du peintre, « maître de l’ombre, de la lumière, de l’espace et du mouvement ». Ain-si, accomplie dans l’élément des sciences de la nature, la liberté élève la peinture à la hau-teur d’une science divine. Capable de recréer le monde, son couronnement est l’expression du mouvement chez ceux dont il est proprié-té immanente : les vivants.« Car, si la modernité commence avec Léonard de Vinci, c’est qu’il sut, sans doute, donner à la peinture la présence effrayante de la vie », conclut-on à la fin de l’exposition qui a attiré 1 071 840 visiteurs. Record absolu pour le musée du Louvre.

Ci-dessus. Des réflectographies infrarouge de plusieurs peintures, à la même échelle que les œuvres originales étaient exposées. Cet examen scientifique permet de révéler le dessin à base de carbone placé sous la couche picturale.

En haut et ci-contre. SPX Lighting a fourni deux versions de sa gamme de projecteurs à découpe Syclop : 320 projecteurs noirs de 18 W ; 50 de 35 W, l’ensemble en 3 000 K. La particularité de ces deux versions tient dans la gradation par potentiomètre (comme sur la version classique) et/ou Bluetooth (Casambi) avec un smartphone ou une tablette.

MUSÉES / DOSSIER

LUX 306 31

Page 12: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

L’exemplaire audit du Musée du LouvreLa direction du patrimoine architectural et des jardins de l’établissement public du Musée du Louvre a lancé, début 2019, un marché public de prestations intellectuelles portant sur l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour la rénovation de l’éclairage des salles muséographiques. Passé selon une procédure d’appel d’offres ouvert, ce marché a été remporté par Nicolas Mangin, dirigeant du BE Génilum, qui nous résume les principales exigences du CCP (Cahier des clauses particulières).

Rappelons que le marché de prestations intellec-tuelles lancé par le Musée du Louvre il y a un an, a

pour objectif l’audit technique d’ambiance, de sécurité et de l’éclairage des œuvres des salles muséographiques. Cet audit porte, également, sur la réalisation d’un plan pluriannuel de rénovation de l’éclairage des salles.Les prestations sont réparties en trois phases :- audit des installations d’éclairage des salles muséogra-phiques ;- expression des besoins ;- plan pluriannuel des travaux.À noter que le périmètre de ce marché concerne unique-ment les salles muséographiques hors musée Delacroix, hors salles récemment rénovées et les salles d’expositiontemporaires, ce qui représente 478 salles muséogra-phiques. « Le musée du Louvre souhaite promouvoir undéveloppement durable et responsable de ses activités enappliquant ces mêmes principes auprès de l’ensemble de

ses prestataires, titulaires de marchés », rappelle Nicolas Mangin, en précisant que l’institution suit l’objectif fixé par la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020 (SNTED), ainsi que la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LETCV). Sont également pris en considération le Plan ministériel d’administration exemplaire 2015-2020 (PAE) du ministère de la Culture et de la communication en matière de gestion administrative éco responsable, ainsi que la déclinaison de sa politique de Responsabili-té sociétale des organisations (RSO).Sans oublier le nécessaire respect des obligations environnementales et des prescriptions de code de l’en-vironnement français, « notamment celles relatives à la gestion des déchets tant au niveau de leur traitement que de leur valorisation », conclut Nicolas Mangin, en nous donnant prochainement rendez-vous pour la présenta-tion des principaux résultats de l’audit.

NORME AFNORDepuis début 2018, l’AFNOR (et les autres organismes de normes européennes, DIN, etc.) a entrepris la révision de la norme expérimentale XP CEN/TS 16163 « Lignes directrices et procédures concernant le choix d’un éclairage adapté pour les expositions en intérieur » (traduction littérale du titre en anglais), paru en juin 2014, en norme européenne pour 2021. Le groupe miroir français de l’AFNOR comporte de façon permanente quatre concepteurs lumière et éclairagistes souvent membres de l’AFE, de l’ACE et de l’ICOM (Conseil international des musées) avec d’autres personnes du C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France) et du SMF (Service des musées de France, anciennement Direction). Ce travail est pris en charge par la Commission de la coordination de normalisation du ministère de la culture comme d’autres normes liées à la conservation des biens culturels.

Ayant débuté sa carrière profession-nelle comme régisseur de lumière,

notamment au Centre Georges Pompidou, Jean-Jacques Ezrati a rejoint, en 1982, la Direction des musées de France, en tant qu’éclairagiste-conseil.En 2001, il intègre le Centre de recherche et de restauration des musées de France, d’abord au sein du département « Conser-vation préventive », toujours en tant qu’éclairagiste-conseil, ensuite, au sein du département « Recherche », en tant qu’ingé-nieur d’études, intègre le groupe physique de la couleur qu’il dirigera par la suite. Depuis 2012, il exerce ses diverses expertises en tant que formateur et assistance à maî-trise d’ouvrage/œuvre, ainsi qu’au niveau de projets et réalisations d’éclairage. Il rédige également. À noter, entre autres, son dernier ouvrage, paru en 2014, intitulé L’Éclairage  d’expositions. Musées  et  autres  espaces aux Éditions Eyrolles.

JEAN-JACQUES EZRATI

La « face visible » de la lumière muséographique

Le guide idéal pour tous les étudiants et jeunes professionnels – concepteurs lumière, éclairagistes, architectes, scénographes,chefs de projets culturels, conservateurs ou techniciens – quis’intéressent à l’éclairage d’exposition et souhaitent s’approprierles notions essentielles de cette activité. Partant des origines dela pratique de l’éclairage dans le domaine du théâtre, l’ouvrageaborde les bases de l’éclai-rage scénique puis muséogra-phique et les questions de sa signification. Du point de vue technique, les règles princi-pales de conservation préven-tive et d’ergonomie visuelle sont détaillées, ainsi que les différents aspects technolo-giques de l’éclairage.

Éclairage d’exposition. Musées et autres espaces

Jean-Jacques Ezrati, 2014, quadri, 17 x 20 cm, 168 pages,

22 euros

Écla

irage

d’e

xpos

ition

Jean-Jacques Ezrati

Jean

-Jac

ques

Ezr

ati

Éclairage d’expositionMusées et autres espaces

Cet ouvrage s’adresse à tous les étudiants et jeunesprofessionnels – qu’ils soient concepteurs lumière ouéclairagistes, architectes, scénographes, chefs de projetsculturels, conservateurs ou techniciens – qui s’intéressent àl’éclairage d’exposition et souhaitent s’approprier les notionsessentielles de cette activité.

Parce que la pratique de l’éclairage tire ses origines du côté du théâtre, c’est ce modèle historique qui est d’abord interrogé, afin de permettre aux lecteurs de découvrir différentes applications professionnelles et de les transposer.L’éclairage est ensuite abordé dans sa dimension conceptuelle, car il est avant tout l’un des supports du message de l’exposition. L’auteur le décompose en de multiples variables lumineuses (plastiques,géométriques, spatiales et temporelles) qu’il faut apprendre à utiliser et combiner.Du point de vue technique, les règles principales de conservation préventive et d’ergonomie visuelle sont bien sûr détaillées, ainsi que les différents aspects technologiques de l’éclairage dont la connaissance est essentielle. Ceux-ci comprennent la description des multiples sources artificielles (lampes fluorescentes, halogènes et LED), l’utilisation des filtres ou encore l’emploi de l’éclairage dynamique avec l’usage des protocoles, tel le DALI.Plusieurs études de cas, tirées des expériences de l’auteur, et des entretiens avec des professionnels donneront des pistes concrètes pour exploiter toutes ces notions essentielles, à des degrés différents en fonction des situations.

Jean-Jacques Ezrati est praticien de la lumière depuis plus de 30 ans. Il aété tour à tour régisseur lumière au Centre Pompidou puis éclairagisteconseil au sein de la Direction des musées de France, avant de rejoindreen 2001 le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Ilest aujourd’hui consultant et formateur indépendant en éclairage.> http://ezrati-eclairage.weebly.com

Écla

irag

e d’

expo

siti

on

22 E

Cod

e éd

iteur

: G

1407

3 IS

BN

:978

-2-2

12-1

4073

-6

Conception : Nord Compo © Éditions Eyrolles

G14073_EclairageDExposition_CV_001_HURRYCOVER.indd 1 13/11/2014 12:22

32 LUX 306

Page 13: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

La lumière dégrade les couleurs utilisées dans les peintures et les tapisseries et

elle affecte également la couleur et le fini du bois des objets et meubles sculptés. Les mu-sées calculent et surveillent la quantité de lumière à laquelle est exposée chaque œuvre d’art pour équilibrer la mission d’exposi-tion publique, la nécessité de préservation et pour réduire le plus possible la fréquence des travaux de restauration.En calculant les lux-heures et en connais-sant la répartition spectrale énergétique de l’éclairage d’exposition, les musées peuvent déterminer pendant combien d’heures, de jours et de semaines une œuvre peut être exposée et quelle luminosité peut l’éclairer. Au musée Vang Gogh d’Amsterdam, et à la collection Mesdag de La Haye (1 300 points lumineux au total), Xicato travaille, depuis 8 ans, à préserver l’énergie et l’art.

EN 3 PHASESParce que le musée hésitait à s’engager en faveur d’une nouvelle technologie, la pre-mière phase de l’installation a simplement concerné le remplacement les rails d’éclai-rage halogène existants par des luminaires TTX2.70 fournis. Par Mike Stoane Lighting équipés de modules LED de la série « Artist XIM 9 mm » de Xicato, ces modules sup-portant à la fois une commande 0-10 V et une commande Bluetooth. Lors de la phase initiale, les éclairages ont été commandés au moyen d’interrupteurs BLE (Bluetooth Low Energy) de récupération d’énergie de EnOcean pour commuter de manière in-dépendante l’éclairage des œuvres d’art et l’éclairage des salles pour le nettoyage. Les lampes sont éteintes pendant la nuit au moyen d’interrupteurs marche/arrêt stan-dard.La deuxième phase a consisté à ajouter des capteurs Xicato (XIS) de mouvement et d’éclairement et de programmer les éclai-

rages en fonction de l’horaire, de l’occupation et des niveaux d’éclairage d’ambiance, pour encore réduire, à la fois l’énergie et l’ex-position à la lumière. La programmation individuelle des luminaires est réalisée au moyen du logiciel « Panneau » de commande de Xicato, et les réglages programmés, y com-pris l’appartenance sécurisée à un réseau, à un groupe et à un scénario. Les réglages de scénarios ainsi que les réactions indivi-duelles au capteur, sont stockés dans chaque module Xicato, ce qui élimine le besoin de dispositifs de commande ou de nœuds cen-tralisés. Les éclairages contiennent leurs horaires individuels, répondent aux cap-teurs, aux interrupteurs et aux commandes données par une application. Ils prennent ainsi des décisions indépendantes par rap-port à la manière de réagir.Troisièmement, le module LED XIM1 stocke les informations d’état et la configuration qui le concerne, y compris le type de module, le matériel et la révision du progiciel, son niveau de flux maximum programmé, ses interfaces de commande (par exemple Blue-tooth + 0-10V ou Bluetooth + DALI), le total

des heures de fonctionnement, les cycles marche/arrêt, ainsi que les histogrammes de son intensité et des états de températures. Le module sauvegarde, également, son ap-partenance à un réseau, à un groupe et à un scénario, ainsi que les réglages programmés.Enfin, le module LED XIM diffuse périodi-quement des informations portant sur son état de fonctionnement immédiat, y com-pris le nom et l’identification de l’appareil, l’intensité (pourcentage de graduation), la température de la LED et du circuit imprimé, la tension et la fluctuation de l’alimentation ainsi que l’état global.

1. Développé par Xicato, le module LED intelligent XIM Gen4, entièrement intégré, associe la source lumineuse avec le pilote, les balises Bluetooth et un système de contrôle sans fil dans une seule unité.

MUSÉE VAN GOGH

Les couleurs de Van Gogh protégées par le numériqueEn 2019, plus de 2,1 millions de visiteurs venant de 108 pays ont parcouru le musée Van Gogh d’Amsterdam qui réunit 200 peintures, 500 dessins et imprimés et plus de 800 lettres de Vincent Van Gogh, soit la plus grande collection de ce type au monde, ainsi que des expositions temporaires d’autres artistes et collections. Ayant constaté que ses peintures se dégradaient plus vite que souhaité, le musée a choisi la technologie Xicato pour remédier à cette dégradation.

Comme d’autres institutions exposant des œuvres prisées par de très nombreux visiteurs, le musée Van Gogh d’Amsterdam doit répondre à des enjeux contradictoires : exposer mais préserver. Par ailleurs, il mène pour cela de très nombreuses recherches, notamment le programme Revigo (REassessing VIncent van Gogh) qui a démontré que les couleurs d’origine de ses peintures étaient bien plus vives.

© M

usée

Van

Gog

h Am

ster

dam

/ Ja

n Ke

es S

teen

man

LUX 306 33

Page 14: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

»«

DOSSIER / MUSÉES

EXPOSITION REMBRANDT’S LIGHTS (ANGLETERRE)

Engendrer la perception

© E

RCO

Gm

bH, w

ww

.erc

o.co

m /

Phot

o Ga

vriil

Pap

adio

tis

Quel est le point commun entre les films Star Wars. L’Empire contre-attaque, Mars

Attacks!, The Rocky horror Picture Show et Rembrandt ? Pas moins que le directeur de la photographie Peter Suschitzky, inspiré tout au long de sa carrière par la manière dont l’artiste utilisait la lumière pour « créer du mouvement et de l’émotion ». Pour lui, le pa-rallèle avec le cinéma est évident : « Sculpter la lumière et diriger le regard du spectateur vers l’endroit voulu est essentiel à une narration puissante. » Cette mise en abîme lumi-neuse s’est déroulée entre les murs de la Dulwich Gallery, la plus ancienne au monde, ouverte en 1815 dans le sud-est de Londres. Jusque-là éclai-rée à l’halogène, elle a remplacé une partie de cette installation par un système piloté par Casambi Bluetooth, avec des projecteurs LED Optec Erco, équipés de modules LED 12 W. «  Ces  appareils  d’éclairage  permettent  une commutation et une gradation individuelles, commande et programmation se faisant via iPad et iPhone. Une série de lentilles tertiaires

interchangeables – avec des répartitions de nar-row spot à extra wide flood, ovale ou encore un cadrage – a été utilisée afin d’obtenir pour chaque œuvre d’art un éclairage précis », pré-cise le fabricant.

DU DRAMATIQUE À LA SENSUALITÉAvec pour titre « Les Lumières de Rem-brandt », l’enjeu de la mise en lumière a été de faire correspondre l’ambiance lumi-

neuse aux intentions du peintre. Les peintures et gravures du maître hollan-dais sont, selon les codes de la peinture de l’époque, des scènes bibliques ou du quotidien, ou bien des portraits. Dans sa façon de guider le spectateur dansla lecture de ses œuvres, Rembrandt joue sur des

contrastes que l’ambiance générale des salles de la galerie a tenté de justement mettre en scène. Accentuant les sensations dégagées par les œuvres, sans être redondant, l’éclai-rage insiste dans les premières salles sur le caractère dramatique des scènes peintes, sa maîtrise de la lumière et l’influence du

théâtre dans ses représentations. Il se fait en-suite plus « sensuel, avec une ambiance plus intime » avec pour thème la manipulation de la lumière avec les peintures de son atelier. Pour clôturer avec « l’humeur méditative » propre aux thèmes religieux ou empreints de philosophie. La gradation individuelle per-met d’ajuster le plus précisément possible. Et ce qui est bon pour Rembrandt l’est pour les événements à venir. « Nous allons prochaine-ment montrer une exposition de photographies dans laquelle une partie de l’éclairage devra être commutée par des timers que le visiteur ac-tionnera sans fil. Nous étudions également des designs d’éclairage interactifs que les visiteurs pourront commander eux-mêmes », déclare Alexander Moore, directeur de la Dulwich Gallery. Soucieux du rendu de ses œuvres, Rembrandt préconisait en 1639 à un nou-vel acquéreur « d’accrocher cette œuvre dans une lumière vive, où elle puisse être vue de loin, pour qu’elle scintille au mieux ». Pour tout l’art de la lumière. LC

La Jeune fille à la fenêtre (1645, Dulwich Picture Gallery) est une œuvre très représentative de la manière dont Rembrandt utilisait la lumière pour diriger le regard du spectateur.

Pour célébrer le 350e anniversaire de la mort

de l’inestimable Rembrandt, la Dulwich

Picture Gallery, près de Londres, a rassemblé

35 œuvres majeures. Pour révéler sa manière si

particulière de composer avec la lumière, la galerie

s’en est remise aux talents du directeur de la

photographie Peter Suschitzky qui s’est

appuyé sur un système d’éclairage LED à

commande Bluetooth sans fil nouvellement

installé.

Une série de lentilles tertiaires

interchangeables a été utilisée afin d’obtenir pour chaque œuvre un éclairage précis.

34 LUX 306

Page 15: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

Le 15 novembre 2019, a été inaugurée la nouvelle muséographie des trois sa-

lons de pastels du musée Antoine Lécuyer2. « L’objectif du projet portait, notamment, sur l’installation d’un éclairage dynamique valo-risant les œuvres. Il s’agissait d’allier confort de visite et respect des mesures de conservation préventive », explique Jérémy Le Bellégo. Ce projet a été réalisé, en collaboration entre le musée et la société Eurosep Instruments, de l’audit « Lumière » jusqu’à la fabrication et la programmation des projecteurs.

CONSERVATION PRÉVENTIVEAvant sa rénovation, l’éclairage halogène des trois salons « n’était pas idéal pour la conser-vation préventive, même s’il n’était pas projeté directement sur les œuvres », poursuit le régis-seur. À noter que ces trois salles d’exposition en enfilade sont des salles aveugles, « donc parfaites pour exposer les pastels particuliè-rement sensibles à  la  lumière artificielle ou naturelle ». Et de montrer une œuvre, masque préparatoire de Maurice-Quentin de La Tour, témoignant des méfaits de la lumière et de

MUSÉE ANTOINE LÉCUYER (SAINT-QUENTIN)

Conservation des pastels et lumière dynamique pilotée par BluetoothÀ Saint-Quentin dans l’Aisne, le musée Antoine Lécuyer conserve et présente notamment le fonds de l’atelier de Maurice-Quentin de La Tour1, une exceptionnelle collection composée de près d’une centaine de portraits réalisés au pastel, qui doivent être protégés contre les dommages dus à la lumière. Jérémy Le Bellégo, régisseur des collections, invité par Eurosep Instruments lors du dernier salon SITEM, a expliqué l’intérêt de l’éclairage dynamique, en réseau Bluetooth, pour leur conservation.

Les trois salons de pastels en enfilade étaient auparavant éclairés par des halogènes néfastes pour la conservation préventive. Aujourd’hui, 40 projecteurs pilotables à distance par Bluetooth permettent d’éclairer de façon indépendante telle ou telle œuvre. Deux scénarios sont activés grâce à 6 détecteurs de présence selon que des mouvements sont détectés ou non. L’ambiance est alors « muséographique » avec un niveau entre 40 et 60 lux ou, en l’absence de visiteurs dans la salle, « économique » avec 20 lux.

© M

usée

Ant

oine

Léc

uyer

, Sai

nt-Q

uent

in (A

isne

) / C

liché

: Lu

c Co

uvée

LUX 306 35

Page 16: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

DOSSIER / MUSÉES

la chaleur qui accélèrent le processus de dégradation des arts graphiques, à la fois au niveau de la décoloration des pigments et, surtout, de la structure du papier et de ses fibres. Pourquoi une telle dégradation ? « Parce que les œuvres ont beaucoup voyagé aux XIXe et XXe siècles, et ont été exposées dans des conditions pas toujours idéales en termes de conservation préventive ». Les pastels ont reçu les rayons UV et le papier, en subissant une insolation, a jauni sous l’effet de la lumière et des rayons UV. « Aujourd’hui, l’ICOM (Conseil international des musées) recommande de ne pas exposer les arts graphiques à plus de 50 lux, et de ne pas les exposer en permanence », rap-pelle Jérémy Le Bellégo3.

SOLUTION SUR-MESURELe musée a été fermé deux mois, la collection de pastels a été décrochée, les équipements halogènes supprimés, les murs ont été re-peints et un nouveau système d’éclairage a été installé comptant 40 projecteurs et 6 capteurs de présence fournis et program-més par la société Eurosep Instruments. Chaque projecteur est pilotable à distance

par Bluetooth, via un réseau de communica-tion Xicato, à partir d’un logiciel embarqué sur un PC. « Chaque projecteur permet d’éclai-rer, de façon indépendante, telle ou telle œuvre avec une valeur d’éclairement qu’il m’est pos-sible de définir. Elle s’exprime en pourcentage. Il m’appartient ensuite, via des mesures au lux-mètre, de m’assurer que cette valeur respecte l’intensité lumineuse que je souhaite déployer sur l’œuvre en question », explique Jérémy Le Bellégo, pour qui cette solution offre une grande liberté concernant la mise en valeur des œuvres de différentes natures (pastels, clavecin du XVIIIe siècle, mobilier, peintures,

© M

usée

Ant

oine

Léc

uyer

, Sai

nt-Q

uent

in (A

isne

)

Les dessins et pastels comptent parmi les œuvres très sensibles aux effets de la lumière. Aussi, le Conseil international des musées conseille-t-il de ne pas les exposer à plus de 50 lux. Ici un des nombreux pastels signés par Maurice-Quentin de la Tour, connu pour ses portraits des figures emblématiques de la cour de Louis XV et du Siècle des lumières.

»«Lumière et chaleur accélèrent le processus de dégradation des arts graphiques au niveau de la décoloration des pigments et de la structure du papier et de ses fibres.

Page 17: DOSSIER L’art de la lumière en muséographie s’exposera ...€¦ · créateur sont mises en valeur par des projecteurs contours LED Optec d’Erco. Ces œuvres extrêmement sensibles

MUSÉES / DOSSIER

sculptures…). « De plus, cette solution sur me-sure offre un grand confort de travail : à aucun moment je n’ai à monter sur un escabeau pour régler les projecteurs. Je peux le faire seul, sans l’aide d’un éclairagiste », se félicite le régisseur.Ce système d’éclairage permet, également, de configurer deux scènes qui correspondent à différents états d’éclairement :- une première scène « muséographique »

intervient quand les capteurs de présencedétectent des mouvements dans les salles. Les projecteurs éclairent alors les pastelsentre 40 et 60 lux ;

- la deuxième scène « économique » inter-vient quand les capteurs ne repèrent aucun mouvement dans les salles. Est alors crééeune atmosphère de pénombre (environ 10 à 20 lux) permettant de ne pas éclairer inuti-

lement les pastels, le choix du noir complet ayant été écarté pour ne pas rebuter le vi-siteur pénétrant dans les salles.

IL EST MOINS RISQUÉ DE PRÊTERUne dernière fonctionnalité, apportée par la nouvelle installation d’éclairage, porte sur l’historique d’éclairement des œuvres, tant en valeur qu’en temps d’exposition. Concrè-tement, un projecteur peut être sélectionné au niveau du PC logiciel et générer un gra-phique décrivant l’éclairement de chaque œuvre. « Cette solution permet, lors de prêts d’œuvres, de justifier précisément de l’éclaire-ment d’une œuvre prêtée ou déposée, auprès du musée prêteur ou déposant », poursuit le régisseur. « À l’inverse, si je me positionne en tant que prêteur, je peux exiger que mon aqua-

relle ne subisse pas plus de 50 lux pendant la durée d’une exposition. » Dans ce contexte, le graphique énoncé ci-dessus, devient un do-cument quasi contractuel entre le prêteur et une institution emprunteuse. « Ce nouvel éclairage est une première étape vers une re-fonte de la muséographie des autres salles du musée », conclut Jérémy Le Bellégo, satisfait des très bons retours des visiteurs portant sur le meilleur confort de visite.

1. Maurice-Quentin de La Tour, né et mort à Saint-Quentin (1704-1788) est considéré comme « le prince des pastellistes ».

2. La première scénographie remontait à 2004, date du tricentenaire de la naissance de Maurice-Quentin de La Tour.

3. Ndlr : En respectant la dose totale d’exposition annuelle, d’où l’intérêt de limiter le temps d’exposition.

Retrouvez les vidéos de la présentation intégrale de Jérémy Le Bellégo sur eurosep-museum.com/eurosep-news./

Àses débuts, Jeremi Ca a exposé ses œuvres en extérieur, à Saint-Malo, en profitant de la lumière du jour afin qu’elles

soient bien éclairées et que les couleurs soient fidèles. C’est ain-si qu’il a pris conscience de l’importance de la lumière d’autant plus que, ensuite, il a exposé en intérieur, là où la lumière n’était pas forcément la priorité des organisateurs. « J’ai ainsi décidé de me rapprocher de spécialistes pour me constituer un parc de lumière », se rappelle-t-il. De suite, a constaté l’artiste, la réaction des spec-tateurs, et celle de ses confrères, s’est avérée différente parce que « mon travail vivait différemment ».

UNE FINE ALCHIMIE« Une exposition lumineusement adaptée contribue à une meilleure ap-préciation de l’œuvre », souligne Jeremi Ca qui, tout en se considérant « à des années-lumière » d’un Caravage ou d’un Pierre Soulages, expose de la même manière que ces éminents artistes, le premier travaillant le clair-obscur alors que le second excelle dans le noir. Pour le Ca-ravage, par exemple, on recherche un éclairage plutôt diffus et bien réglé pour apprécier les éléments importants de l’œuvre, telles que la position des mains et la gestuelle. Tandis que pour Pierre Soulages est recherché un éclairage plus ou moins rasant pour souligner les spécificités et singularités de son œuvre autour de la brillance, de la matité et des effets de texture.Dans le courant artistique qu’il développe à présent, la lumière re-présente une composante de l’œuvre en contribuant à révéler le jeu des formes géométriques. De plus, elle peut avoir un impact sur la ré-tine du spectateur, créant des modifications colorées ou des illusions d’optique. « Mon travail s’appuie sur le dessin, la matière, la couleur et

le mouvement. Ces quatre éléments dévoilent une fine alchimie entre la composition de l’œuvre, la proportion des lignes, l’utilisation de la cou-leur et le rôle de la lumière. »Par exemple, dans ses tableaux polychromes, Jeremi Ca utilise plus de 50 nuances nécessitant un « bon éclairage » pour leur choix, no-tamment celui des camaïeux de gris. « Je ne crée plus en pensant simplement à l’œuvre, mais en pensant à sa globalité, c’est-à-dire en prenant en compte le rôle de la lumière », conclut-il.

L’ARTISTE PEINTRE JEREMI CA

« La lumière fait partie intégrante de l’œuvre »Ni technicien, ni spécialiste de la lumière, l’artiste peintre breton Jeremi Ca l’évoque au travers de son travail qui accorde une importance particulière à l’abstraction géométrique. « La lumière est essentielle pour exposer et vendre mes œuvres », explique-t-il en considérant, aujourd’hui, « que tout artiste devrait être un technicien de la lumière au service de ses créations ».

LUX 306 37