Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 ·...

32
Dossier Le devoir de loyauté, une norme générale de comportement oubliée puis retrouvée ? Le devoir de loyauté, une norme générale de comportement oubliée puis retrouvée ? PAR PHILIPPE BRUNSWICK, AVOCAT ASSOCIÉ, BRUNSWICK SOCIÉTÉ D’AVOCATS L edroitfrançaisfait-ilobligationauxacteursprivés de la vie économique de se comporter en général de façon loyale, c’est-à-dire de respecter un « devoir de loyauté » constituant une norme géné- rale de comportement ? Tel est bien le cas, selon la conviction qui ressort du travail de recherche ici rapporté. Tout avocat pratiquant le droit des affaires est confronté, de façon récurrente, à la présence dans le droit françaisd’uneexigencedeloyauté.L’opiniongénéraleenla matière est qu’il existe d’un côté, dans la sphère contrac- tuelle, une obligation générale de bonne foi, qui comprend un devoir de loyauté mais, d’un autre côté, dans la sphère délictuelle, non pas une exigence générale de comporte- ment loyal, mais des champs d’application restreints ou précis où se manifeste un devoir de loyauté ponctuel. Ainsi, dans la sphère délictuelle, le devoir de loyauté se manifeste-t-il d’abord en matière de concurrence déloyale où les manquements à la loyauté sont depuis très long- temps condamnés par la jurisprudence traditionnelle. À ce titre, seuls étaient traditionnellement sanctionnés, jusqu’à une date récente, l’imitation, le dénigrement et la désorga- nisation. Toujours hors le champ contractuel, ce devoir se mani- festeégalementenprocédurecivile,domaineparticulieroù l’exigence de loyauté, prolongement du principe du contradictoire de longue date mentionné par le législateur, a été récemment renforcée par la jurisprudence. On le retrouve aussi en droit des sociétés, où, depuis 1996, il est admis que les dirigeants sociaux sont soumis à undevoirdeloyautédontlajurisprudences’efforcedefixer le domaine et les limites. Il est cependant majoritairement considéré que l’existence d’un tel devoir est liée à la position particulière de ces dirigeants, dont les droits et pouvoirs étendus trouveraient ici une légitime contrepar- tie, et/ou à l’approche contractuelle (par opposition à l’approche institutionnelle) de la société. Enfin, lors de la formation des contrats, des obligations d’information précontractuelle et de loyauté dans la conduite des pourparlers sont reconnues. Ces obligations sont néanmoins souvent intellectuellement rattachées à la loyauté contractuelle, c’est-à-dire à la bonne foi expressé- CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 17

Transcript of Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 ·...

Page 1: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Dossier

Le devoir de loyauté,une norme générale decomportement oubliéepuis retrouvée ?

Le devoir de loyauté,une norme générale decomportement oubliéepuis retrouvée ?

PAR PHILIPPE BRUNSWICK,

AVOCAT ASSOCIÉ,

BRUNSWICK SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Le droit français fait-il obligation aux acteurs privésde la vie économique de se comporter en généralde façon loyale, c’est-à-dire de respecter un« devoir de loyauté » constituant une norme géné-

rale de comportement ?

Tel est bien le cas, selon la conviction qui ressort dutravail de recherche ici rapporté.

Tout avocat pratiquant le droit des affaires estconfronté, de façon récurrente, à la présence dans le droitfrançais d’une exigence de loyauté.L’opinion générale en lamatière est qu’il existe d’un côté, dans la sphère contrac-tuelle, une obligation générale de bonne foi, qui comprendun devoir de loyauté mais, d’un autre côté, dans la sphèredélictuelle, non pas une exigence générale de comporte-ment loyal, mais des champs d’application restreints ouprécis où se manifeste un devoir de loyauté ponctuel.

Ainsi, dans la sphère délictuelle, le devoir de loyauté semanifeste-t-il d’abord en matière de concurrence déloyaleoù les manquements à la loyauté sont depuis très long-temps condamnés par la jurisprudence traditionnelle. À cetitre, seuls étaient traditionnellement sanctionnés, jusqu’àune date récente, l’imitation, le dénigrement et la désorga-nisation.

Toujours hors le champ contractuel, ce devoir se mani-feste également en procédure civile,domaine particulier oùl’exigence de loyauté, prolongement du principe ducontradictoire de longue date mentionné par le législateur,a été récemment renforcée par la jurisprudence.

On le retrouve aussi en droit des sociétés, où, depuis1996, il est admis que les dirigeants sociaux sont soumis àundevoir de loyauté dont la jurisprudence s’efforce de fixerle domaine et les limites. Il est cependant majoritairementconsidéré que l’existence d’un tel devoir est liée à laposition particulière de ces dirigeants, dont les droits etpouvoirs étendus trouveraient ici une légitime contrepar-tie, et/ou à l’approche contractuelle (par opposition àl’approche institutionnelle) de la société.

Enfin, lors de la formation des contrats, des obligationsd’information précontractuelle et de loyauté dans laconduite des pourparlers sont reconnues. Ces obligationssont néanmoins souvent intellectuellement rattachées à laloyauté contractuelle, c’est-à-dire à la bonne foi expressé-

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 17

Page 2: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

ment visée par l’article 1134 du Code civil, dont ellesconstitueraient une forme de prolongement précontrac-tuel.

Révélateur de cette compréhension communément par-tagée, laquelle nie l’existence d’un devoir de loyauté consti-tuant une norme générale de comportement –du faitnotamment de l’absence d’un tel devoir généralisé dans ledomaine délictuel–, l’ouvrage collectif Dictionnaire juri-dique, dont le comité de direction a été présidé par Ledoyen Gérard Cornu, Professeur émérite de l’Université deParis II (PUF, 10e éd., janv. 2014), ne contient aucuneréférence à un tel devoir.

Ainsi, sous la rubrique « devoir » sont mentionnés danscet ouvrage les devoirs de collaboration, de conseil, derenseignement, de sincérité et du mariage et non le devoirde loyauté. Sous la rubrique « loyauté », on trouve ladéfinition suivante : « droiture : désigne plus spécialement

soit la sincérité contractuelle (dans la formation du contrat),

soit la bonne foi contractuelle (dans l’exécution du contrat),

soit dans le débat judiciaire, le bon comportement (...) ».Selon cette définition, le seul domaine non contractueldans lequel une obligation de loyauté serait reconnue seraitcelui du débat judiciaire. Le domaine de la concurrence(fautive si elle est déloyale) ou la situation des dirigeants desociétés n’y sont donc même pas mentionnés.

De même, la plupart des travaux théoriques consacrés àla loyauté ne l’abordent pas de façon globale, en tant quenorme générale de comportement, mais évoquent sa pré-sence ponctuelle dans l’un ou l’autre des domaines denotre droit. Il en est ainsi du récent ouvrageDroit et loyauté

(ss dir. F. Petit : LGDJ, 2015) ou encore des colloques de1999 et 2012 respectivement sur le devoir de loyauté endroit des affaires et sur la loyauté et l’impartialité en droitdes affaires (Gaz. Pal. 2000, doctr. p. 2109. – Gaz. Pal.

23-24 mai 2012, p. 1820).

Il nous a semblé légitime et juste, compte tenu de lamultiplicité et de la diversité des manifestations du devoirde loyauté dans notre droit, de reconnaître que celui-ciconstitue une norme générale de comportement.

La reconnaissance du devoir de loyauté en tant quenorme générale de comportement, laquelle est, par hypo-

thèse, non pas limitéemais transversale, nous a semblé nonseulement être conforme à la réalité de notre droit positifmais aussi utile.

En effet, certaines situations, qui mettent en jeu dessujets de loyauté, ne nous ont pas paru appréhendées defaçon satisfaisante ou complète par notre droit positif.

Tel est le cas, par exemple en matière de protection desentreprises contre la captation d’opportunités d’affairespar leurs dirigeants ou actionnaires. Alors que ce sujet estconnu et traité de longue date dans les pays de « CommonLaw », alors qu’il a fait l’objet d’un traitement spécifiquerécent dans plusieurs pays de droit romain (Espagne, Italie,etc.), il demeure traité à l’état embryonnaire par notredroit. De même, dans le domaine de la protection desentreprises contre la concurrence de leurs associés impli-qués dans l’action sociale et leurs anciens dirigeants, notrejurisprudence considère en l’état que les associés n’ontaucune obligation et que le devoir de loyauté des dirigeantsqu’elle a consacré cesse lorsque cessent leurs fonctions. Oril ne serait pas inopportun que les entreprises soientprotégées contre une concurrence et une utilisation de leursavoir-faire, par leurs associés « engagés » et par leursdirigeants après la cessation de leurs fonctions.

Au surplus, les questions de loyauté sont de plus en plusimportantes, alors que s’accroissent la « technologisation »et la mondialisation liées à la modernité. En effet, dans unesociété où des acteurs économiques venus de pays lointainsproposent des produits de plus en plus techniques, laquestion de la confiance légitime –et donc, selon nous,de laloyauté– se pose de façon de plus en plus cruciale.

Après avoir tenté de définir plus précisément le devoir deloyauté (dossier 2), constaté sa présence dans la loi (dossier 3),traité du rôle de la jurisprudence (dossier 4) et observé sonidentification croissante dans les travaux de la doctrine et la« Soft Law » (dossier 5), nous nous efforcerons d’en préciserles spécificités (dossier 6). Ensuite, puisqu’il nous semble quela reconnaissance d’un tel devoir de loyauté est vertueuse(dossier 7), nous tenterons de mesurer et anticiper l’impact desa prise en compte en tant que norme générale de comporte-ment, tant dans notre droit interne (dossier 8) qu’au planinternational (dossier 9).

18 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 3: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Définition

2 TENTATIVEDEDÉFINITIONDUDEVOIRDELOYAUTÉ

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

Une telle tentative de définition est justifiée et semble utile au regard del’ensemble des étapes de notre démarche : identification de la présence dudevoir de loyauté dans notre droit, puis, définition de ses spécificités et enfin,appréciation de ses risques ou apports en droit interne et dans le domaine

international.Les seuls travauxapprofondis quenous avons trouvés sur ce sujet ont été ceuxde deux colloques de 1999 et 2012 consacrés au devoir de loyauté. Ils ont constitué le pointde départ de notre réflexion à cet égard.

Après avoir recherché la terminologie la plus appropriée (1),on tentera de définir le devoir de loyauté (2).

1. Recherche terminologique autour dela loyauté

La documentation disponible fait apparaître l’utilisation,en jurisprudence comme en doctrine, de plusieurs expressionscomprenant le vocable « loyauté » : « principe de loyauté »,« obligation de loyauté », « exigence de loyauté », « devoir deloyauté ».

La loyauté est d’abord une disposition de l’esprit humain.De nombreuses autres dispositions d’esprit en sont proches,parmi lesquelles : la fidélité, la fiabilité, la probité, l’honnêteté,la droiture.

Au regard de l’objet de notre étude, la loyauté ne nousintéresse que si elle est susceptible d’être reçue dans notre droitpositif et donc si elle peut être génératrice d’obligations.

Les notions d’« exigence de loyauté » ou encore de « prin-cipe de loyauté » contiennent une obligation indirecte de s’yconformer. Elles ne recouvrent pas l’idée d’une norme com-portementale faisant partie du droit positif. Les notions

d’« obligation de loyauté » ou de « devoir de loyauté » noussemblent, à cet égard, préférables. Il nous semble que l’enchaî-nement sémantique et logique de ces différentes locutions estle suivant : le principe de loyauté, quasiment d’ordre philoso-phique ou ontologique, est à l’origine, sur le plan social, d’uneexigence de loyauté. Cette dernière est elle-même génératricede multiples illustrations d’un devoir de loyauté à l’égard desautres, devoir qui engendre des obligations et dont la violationest reconnue et prise en compte par le droit positif.

Concrètement, en dehors du domaine processuel, où lajurisprudence se réfère volontiers à un « principe de loyauté »,la plupart des auteurs utilisent l’expression « devoir deloyauté » 1.

NdA : l’auteur remercie les stagiaires qui ont participé à la réalisation et à larédaction du présent article : Nassima Baali, Saida Benouari, Flore Thouenon,Hélène Gilliot, Gabrielle Coudin, Sabrine Ghaba, Grégoire Nouchet, JéromeOpalanski, Maxence Letisse, Martin Napoly.

1. Par exemple, M. le Professeur Yves Picod s’exprime ainsi : « La notion dedevoir nous semble préférable à celle d’obligation, dans la mesure où le« devoir » teinte la prescription d’une plus grande coloration morale etcorrespond davantage à une directive qu’à une exigence prédéterminée »,V.JCl. Civil Code, Art. 1134 et 1135, Fasc. unique : Contrats et obligations. – Ouencore M. le Professeur Philippe Stoffel-Munck pour qui « la loyauté est(...) un devoir de comportement », V. Ph. Stoffel-Munk, Terme du contrat :RDC 2004, p. 637. – Dans le même sens, V. JCl. Sociétés Traité, Fasc. 45-10,par L. Nurit-Pontier : « Issue d’impératifs moraux, la loyauté constituedésormais un devoir, dont le non-respect engage la responsabilité ducoupable (...) ». –V. aussi,K.Grevain-Lemercier, Le devoir de loyauté en droitdes sociétés : Thèse finaliste IFA, 2012, qui a retenu cette terminologie, ensoulignant que l’obligation de loyauté, au plan juridique, découle de laviolation du devoir préexistant de loyauté.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 19

Page 4: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Nousnous conformerons volontiers à cet usagemajoritaire.Tout d’abord, parce que c’est l’expression qui est retenue par lajurisprudence dans l’un des domaines principaux où celui-ciest illustré, celui du « devoir de loyauté des dirigeants ».Ensuite, parce que la notion de « devoir de loyauté » noussemble couvrir l’ensemble des domaines où se manifeste uneexigence de se conduire de façon loyale en société. Enfin, parcequ’il nous paraît souhaitable d’utiliser la notion de « devoir » àune époque où nos concitoyens sont préoccupés essentielle-ment par leurs « droits », en oubliant que le « devoir » consti-tue souvent la contrepartie sociale légitime de tout « droit ».

Ayant ainsi choisi d’utiliser par préférence la notion de« devoir de loyauté », nous pourrons néanmoins évoquerci-après, selon les cas, les notions « d’exigence » ou de « prin-cipe de loyauté ».

2. Tentative de définition du devoir deloyauté

Après avoir sommairement analysé la signification séman-tique des termes constitutifs de cette locution (A), on enrecherchera l’essence (B).

A. - Analyse sémantique

Elle doit porter sur les termes – devoir et loyauté – utilisés.

1° Le devoir

Il s’agit d’une notion proche de l’exigence, ayant unedimensionmorale, souvent contrepartie de droits.

Le devoir est générateur d’obligations ou de prohibitions.La sanction de la violation du devoir est en théorie :– la naissance d’une obligation,qui elle-même,peut s’expri-

mer en nature ou équivalent ;– parfois l’impossibilité pour celui qui s’est rendu coupable

de la violation de ce devoir de se prévaloir de droits corrélatifs,pouvant découler d’un contrat ou d’un statut ;

– parfois encore la nullité ou l’inopposabilité de l’acteaccompli en violation dudit devoir.

2° La loyauté

Lemot « loyauté » a, dans le langage courant, une connota-tionmorale.Celle-ci se retrouve dans la plupart des définitionslexicales disponibles.Ainsi, par exemple, s’agissant de l’adjectif« loyal » :

– selon le dictionnaire Larousse : est loyal celui qui obéit auxlois de l’honneur, de la probité, de la droiture ;

– selon le dictionnaire Hachette : est loyal ce qui est droit,sincère, honnête ;

– selon le dictionnaire Cordial : est loyal ce qui est droit,sincère, qui obéit aux lois de l’honneur.

La loyauté, qui se définit selon le dictionnaire Laroussecomme « la qualité, le caractère de quelqu’un ou de quelquechose qui est honnête, loyal », trouve quant à elle les définitionssuivantes :

– selon leCentre national de ressources textuelles et lexicales :fidélité, manifestée par la conduite, aux engagements pris, au

respect des règles de l’honneur et de la probité. Elle a poursynonyme la droiture, l’honnêteté ;

– selon Le Petit Robert : fidélité à tenir ses engagements, àobéir aux règles de l’honneur et de la probité.

Dans ces deux dernières définitions de la loyauté, apparaîtaux côtés de la dimension liée au respect des engagements, unedimensionpurementmorale de respect des règles de l’honneuret la probité. L’on perçoit ainsi, dès le stade de la définition duconcept de loyauté, qu’il a certes un domaine d’applicationrattaché à la sphère des engagements, c’est-à-dire à la sphèrecontractuelle, mais aussi un domaine –où se situent les règlesde l’honneur et de la probité– qui dépasse celle-ci, c’est-à-direun domaine d’application universel.

3° Le devoir de loyauté

Puisque par définition, la loyauté, c’est la droiture, l’honnê-teté, la fidélité aux engagements pris, le devoir de loyauté est undevoir de se comporter de façon droite, honnête, en respectantses engagements.

L’utilisation de la méthode analytique n’est cependant pasd’une grande aide. Sur le plan théorique, on n’est en effet pasavancé d’apprendre que le devoir de loyauté prescrit un com-portement honnête en société et un respect des engagementspris. Sur le plan pratique, la démarche n’apporte pas d’indica-tions permettant d’en tirer des conséquences concrètes.

B. - Recherche de l’essence du devoir de loyauté

Pour tenter de définir le devoir de loyauté, on examinerad’abord les définitions résultant des colloques qui lui ont étéconsacrés (1°) puis on tentera de le définir de façon synthé-tique (2°).

1° Définitions résultant des colloques consacrés au devoirde loyauté

Au terme du colloque consacré en 1999 au devoir deloyauté, le Professeur Rives-Lange, après avoir relevé quecelui-ci se caractérisait par son but et par les moyens de leréaliser,a proposé la définition suivante : « Ledevoir de loyautéa pour but d’assurer l’équilibre entre les acteurs de la vie desaffaires et consiste dans l’obligation d’informer l’interlocuteuret de s’abstenir d’utiliser des moyens réprouvés » 2.

Au terme du colloque consacré en 2012 à la loyauté etl’impartialité en droit des affaires, Monsieur le ProfesseurLaurent Aynès a alimenté la réflexion des participants par lesindications suivantes, se rapportant à la définition de laloyauté :

– en premier lieu, relevait-il, la loyauté « est affaire decomportement ». Elle se traduit « tantôt par une obligationd’abstention, tantôt par une obligation d’information » ;

– en second lieu, précisait-il, le devoir de loyauté consistenon pas à « sacrifier ses propres intérêts », mais à « adopterdans l’exercice de ceux-ci une attitude qui ne surprenne pas laconfiance légitime d’autrui » 3.

2. V.Gaz. Pal. 2000, 2, doctr. p. 2109.

3. V.Gaz. Pal. 23-24 mai 2012, p. 1899.

20 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 5: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Tout en reconnaissant que le devoir de loyauté peut d’abordse définir –comme l’a suggéré le Professeur Rives-Lange–, parrapport à son but, il nous semble que celui-ci est plus large quecelui consistant à « assurer l’équilibre entre les acteurs de la viedes affaires ». En effet, l’idée d’« assurer un équilibre » semblealors circonscrire le devoir de loyauté à une sphère où existentdes relations, si ce n’est continues, aumoins désirées et donc, àcertains égards, à la sphère contractuelle. Or comme on va levoir, le devoir de loyauté existe dansdesdomaines oùn’existentpas de telles relations : il s’applique dans le domaine processuelou en matière de concurrence déloyale, il est à l’origine de laprohibition du parasitisme ou de l’interdiction de profiterd’opportunités d’affaires. De plus, ce n’est pas seulement« l’équilibre entre les acteurs » qui est recherché. C’est uncomportement conformeà la probité,à l’honnêteté, lorsque lescirconstances le requièrent.

En ce qui concerne les obligations qui découlent du devoirde loyauté, elles nous semblent plus larges que les obligationsd’information ou d’abstention (notamment d’utiliser desmoyens réprouvés) identifiées dans les deux propositionsissues des colloques précités.

En effet, au-delà de l’obligation d’information, le devoir deloyauté implique une attitude positive comportant d’autresobligations comportementales : d’honnêteté, de cohérence, deprévisibilité par exemple. En ce qui concerne les abstentions,celles-ci ne concernent pas seulement lesmoyens utilisés,maisaussi certains comportements proscrits en eux-mêmes, telsque les comportements attentatoires à l’honneur, certainscomportements brutaux oumarqués par la duplicité,des com-portements consistant à s’approprier indûment le fruit dutravail d’autrui, l’utilisation (détournée) d’un bien –y comprisd’une information–, d’un statut ou d’une position, pour unefinalité autre que celle qui a été prévue/convenue.

Il nous semble que le critère ultime du comportementauquel renvoie le devoir de loyauté, est un comportement quipermet et inspire la confiance légitime, comme l’a d’ailleurssoulignéMonsieur le Professeur Laurent Aynès.

2° Recherche d’une définition synthétique du devoir deloyauté

La loyauté a, avec la confiance, des liens étroits.Selon Monsieur Andrew Kydd 4, il existe une circularité

entre les concepts de loyauté et confiance : « la loyauté a pourbut de générer la confiance qui elle-même se définit comme lacroyance dans la loyauté du partenaire ». Selon Monsieur leProfesseur Laurent Aynès, la loyauté est « (...) un auxiliaire dumaître mot du droit des affaires (...) : la confiance » 5.

Dans le domaine contractuel, qui est « sous l’empire de labonne foi », la doctrinemoderne tend à fonder la force obliga-toire du contrat sur son utilité sociale et sa conformité à la

justice contractuelle. La bonne foi, qui permet de prolonger oude tempérer les dispositions explicites du contrat, a un lienétroit avec la confiance dont se sont réciproquement investisles cocontractants.Chacundes cocontractants doit se compor-ter en tenant compte de la confiance investie en lui par soncocontractant. Chacun des cocontractants doit se comporteren inspirant de la confiance à l’autre partie au contrat. Chacund’eux doit donc inspirer confiance à l’autre et pouvoir avoirconfiance en l’autre 6.

La confiance est encore étroitement liée à la loyauté en droitdes sociétés, puisque selon Madame le Professeur Laure NuritPontier, « les liens de confiance particuliers qui lient les partiesau contrat de société et les dirigeants viennent au soutien d’undevoir de loyauté de ces derniers » 7.

C’est, selon un autre auteur, parce que le lien de confianceest « au cœur de la relation qui unit les associés aux dirigeantscomme celle qui unit les associés entre eux » 8 qu’un devoir deloyauté existe entre eux. Autrement exprimé « (...) le lien deconfiance particulier noué entre les associés et le dirigeantsocial via le contrat de société, engendre un devoir de loyautétrès fort à la charge de celui-ci » 9.

L’idée de confiance (légitime) a aussi été utilisée dans ledomaine des quasi-contrats. Celui qui a légitimement cru enl’existence d’un engagement peut reposer sur la confiancelégitime dont il a investi celui qui a fait naître chez lui lacroyance de l’engagement 10. Le droit de la consommationlaisse d’ailleurs une grande place à cette notion de confiance, àpropos de l’obligation de sécurité, ou encore de l’obligation deconformité, définies par rapport à l’attente légitime duconsommateur (C. consom., art. L. 221 et L. 211-5) 11.

Faire preuve de loyauté permet de générer de la confiancechez l’autre mais implique aussi de se montrer digne de saconfiance, digne de la confiance légitime que l’on a reçue.

La fidélité, la fiabilité sont aussi des qualités qui permettentde générer de la confiance. Ce qui les différencie de la loyauté,c’est qu’elles tiennent peu ou pas compte de la confiancepréalablement reçue, de l’existence d’un « autre » vis-à-vis dequi s’exprime la loyauté et dont les attentes légitimes sontprises en compte.

D’où une tentative de définition : le devoir de loyauté estune norme de comportement en société consistant à adopterune attitude, adaptée à chaque situation, générant de laconfiance et conforme à la confiance légitime reçue dans lecadre de ladite situation.

4. V. A. Kidd, Trust and Mistrust in International Relations : Princeton Univer-sity press, 2005.

5. V. JCl. Sociétés Traité, Fasc. n° 45-10, préc. – Gaz. Pal. 23-24 mai 2012, préc.

6. V. « Bonne foi », JCl. Civil Code, Art. 1134 et 1135, préc.

7. V. « Devoir de loyauté », JCl. Sociétés Traité, Fasc. n° 45-10, préc.

8. V. B. Raynaud, La prévention des conflits d’intérêts dans les sociétés paractions : JCP E 2003, 354 cité in JCl. Sociétés Traité, Fasc. n° 45-10, préc.

9. V. D. Mazeaud, Le silence de l’acquéreur sur la valeur du bien vendu : RDC2010, p. 811.

10. V. E. Lévy, La confiance légitime : RTD civ. 1910, p. 717. – C. Grimaldi, Quasiengagement et engagement en droit privé : LGDJ, 2007.

11. V. JCl. Civil Code, Art. 1134 et 1135, préc., n° 3.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 21

Page 6: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Loi

3 PRÉSENCEDUDEVOIRDELOYAUTÉDANSLALOI

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

O n enseigne traditionnellement que la loi française ne fait quasiment aucuneplace au devoir de loyauté. Il nous semble qu’un tel enseignement est en grandepartie erroné et qu’en réalité de nombreuses dispositions légales en découlent.

Avantdepasser en revue les illustrations légales dudevoir deloyauté dans notre droit positif, il convient de souligner quel’exigence d’un comportement loyal est requise de longue datepar notre droit,mais qu’elle a été un temps occultée.

En effet, dans le domaine contractuel, où le devoir deloyauté a pris la dénomination de bonne foi, celle-ci est delongue date prescrite par notre droit. L’équivalence entre lesnotions de « bonne foi » et de « loyauté contractuelle » est trèsgénéralement admise 1. Or l’exigence de bonne foi (bona fides)date du droit romain. Elle a persisté au Moyen Âge. Elle aconnu un renouveau à partir du XIXe siècle et a été consacréedans notre Code civil de 1804, où elle a dès lors été synonymede loyauté 2. Elle a bien sûr été consacrée dans l’article 1134 duCode civil.

Dans le domaine extra-contractuel, l’exigence de loyautédate aussi du droit romain. En effet, la fraude paulienne,déloyautémajeure du débiteur qui a organisé son insolvabilité,

y était déjà sanctionnée 3. L’exigence de loyauté a persisté auMoyen Âge, puisqu’elle a fait partie de la morale et de l’étatd’esprit chevaleresques. Elle a été consacrée par le Code civil 4

ainsi que par diverses dispositions duCode de procédure civileou du Code pénal. Elle a toujours été une référence dans lemonde des affaires 5. Ainsi donc, le devoir de loyauté a-t-il,depuis l’Antiquité, été présent dans notre droit et a-t-il couvertles domaines tout à la fois délictuel et contractuel ?

Cependant, pour un certain nombre de raisons, ce devoir aété « obscurci voire occulté au cours des siècles ». L’une desraisons majeures de cet oubli se trouve dans une approche –selon nous erronée – du comportement « normal » des agentséconomiques, selon laquelle il serait légitime qu’ils ne seconduisent pas seulement avec « habilité, ingéniosité » maisencore une dose de tromperie. Dans cette approche, le bonusdolus est un comportement ne pouvant générer une quel-

1. M. le Professeur Yves Picod souligne qu’en matière contractuelle, même sil’article 1134, alinéa 3 du Code civil utilise les termes de « bonne foi », « illui paraît en ce sens préférable de parler d’exigence de loyauté »,V. JCl. CivilCode,Art. 1134 et 1135, Fasc. unique. –M. le Professeur Philippe Letourneauaffirme que « la bonne foi s’identifie à une règle de comportement,synonyme de loyauté et d’honnêteté » et encore que « la bonne foi, derigueur dans les contrats, se pare volontiers d’un autre nom : la loyauté,dont la colorationmorale (...) est évidente »,V.Rép. civ. Dalloz, V° La bonnefoi, 4 et 68. –M. Nussenbaummentionne de façon synonyme « l’exigence deloyauté ou de bonne foi », en rappelant que depuis Pothier, dans le domainecontractuel, « s’obliger à faire quelque chose, c’est s’obliger à le faireutilement », c’est-à-dire de façon loyale, V. L’analyse économique de laloyauté et des mécanismes des réparations de la déloyauté : Gaz. Pal.23-24 mai 2012, p. 1849.

2. V. B. Jaluzot, La bonne foi dans les contrats : Dalloz, p. 30 et s., n° 91 et s. –Étant précisé que la bonne foi a aussi une autre acception, liée à l’erreurlégitime (« l’erreur de bonne foi »), qui ne nous intéresse pas ici. – V. Rép.civ. Dalloz,V° La Bonne Foi, 8. – Étant en outre précisé qu’il est courammentadmis que la bonne foi comprend aussi un devoir de collaboration.

3. V. J.-L. Rives-Lange, Rapport de synthèse. Le devoir de loyauté : essai d’unedéfinition unitaire : Gaz. Pal. 2000, 2, doctr. p. 2167.

4. V. les nombreuses illustrations citées ci-dessous.

5. Pour une partie de la doctrine s’intéressant à l’histoire de notre Droit, dansle domaine commercial, « L’attitude des concurrents doit répondre au plusprès à ce standard de comportement ». En outre, « la loyauté de laconcurrence s’observe en matière d’élections (...) et en matière d’activitésportive », V. R. Bouniol, Loyauté et concurrence, in F. Petit (ss dir.), Droit etloyauté : Dalloz, 2015, p. 86 et s. – Selon le JurisClasseur Civil Code, Articles1382 et 1383, on trouve en 1928 parmi les devoirs ou obligations préexis-tants dont la violation constitue une faute, selon la définition donnée parPlaniol « une norme générale et abstraite imposant en toute circonstance dese conduire loyalement ». – Mme Béatrice Jaluzot rappelle quant à elle,citant Jean Domat, que « les lois qui ordonnent la bonne foi, la fidélité, lasincérité et qui défendent le dol, la fraude et toutes surprises sont des loisdont il ne peut y avoir de dispense ni d’exception »,V. op. cit., n° 125. –M. lePrésident Pierre Bézard se réfère, sans distinguer les domaines délictuel etcontractuel, « au principe fondamental de loyauté qui est la référenceessentielle de l’éthique des affaires » en soulignant que ce principe « atoujours été une référence dans les milieux commerciaux », V. Gaz. Pal.2000, préc.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

22 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 7: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

conque responsabilité. Comme cela a en effet été souligné « ledomaine commercial a été pendant longtemps (...) considéré(...) comme un monde où tout était permis, un domaine où“trompe qui peut” (...) 6 ». Un domaine donc où le devoir deloyauté n’avait pas sa place en tant que norme générale decomportement.

Après avoir été ainsi occulté, il a opéré, nous semble-t-il,depuis ces dernières décennies un retour en force qui le rendaujourd’hui quasi omniprésent, de telle sorte qu’il est légitimede lui reconnaître le statut de norme d’application générale.

Les manifestations du devoir de loyauté touchent pratique-ment tous les domaines d’intervention du législateur dans ledroit des affaires. Nous distinguerons, parmi les interventionsdu législateur, celles qui se rattachent au domaine contractuel(1) et celles qui s’en détachent (2).

1. Dans les lois régissant le domainecontractuel

La loi française contient de nombreuses manifestations del’exigence de loyauté dans le domaine contractuel. Celles-ci serattachent à toutes les phases du contrat : sa formation, sonexécution, ou son interprétation. Elles figurent dans le Codecivil (A) ou dans des lois plus récentes (B).

A. - Manifestations « traditionnelles » de la loyautécontractuelle dans le Code civil

En ce qui concerne la formation du contrat, on peut notam-ment citer l’article 1116 du Code civil sur le dol, vice duconsentement.

En ce qui concerne l’exécution du contrat, on peut citer :– l’article 1134 du Code civil, sur l’exécution de bonne foi

des conventions 7 ;– l’article 1135 du Code civil qui étend les stipulations du

contrat, de façon loyale, « (...) à toutes les suites que l’équité,l’usage ou la loi donnent à l’obligation selon sa nature » ;

– les articles 1166 et 1167 du Code civil sur l’action obliqueet l’action paulienne, qui autorisent les créanciers à se substi-tuer à leur débiteur pour exercer ses droits ou à agir en annula-tion des actes accomplis en fraude de leurs droits. Ces textesvisent à surmonter la déloyauté éventuelle d’un débiteur ;

– l’article 1178 du Code civil qui répute la condition« accomplie » lorsque c’est le débiteur obligé sous cette condi-tion qui en a empêché l’accomplissement 8. La doctrine consi-dère qu’il s’agit là d’unemanifestation d’un fort « impératif deloyauté » ;

– diverses dispositions régissant les contrats spéciaux quirequièrent du contractant un comportement – loyal – de bonpère de famille, par exemple, les articles 1728, 1766, 1806, 1880du Code civil.

En ce qui concerne l’interprétation des contrats, la plupartdes articles duCode civil consacrés à ce sujet (C. civ., art. 1156 à

1164) sont directement inspirés par l’exigence de loyauté.Seulsfont exception à cette inspiration, à notre sens, les articles 1162et 1164, qui sont des règles qui ne se rattachent pas auxconséquences loyales liées aux stipulations contractuelles.

B. - Interventions plus récentes du législateur

Elles révèlent l’accroissement de la préoccupation du légis-lateur quant à la loyauté contractuelle. Là encore, on distin-guera la formation et l’exécution des contrats.

Ainsi peut-on citer, à titre d’exemples, en ce qui concerne laformation des contrats :

– les dispositions du Code de commerce qui protègent unesociété contre la déloyauté éventuelle de ses dirigeants appelésà contracter avec elle : par exemple, les dispositions rapportantaux conventions réglementées (C. com., art. L. 225-38, L. 223-19, L. 227-10, L. 226-10, L. 612-5) ;

– l’article L. 141-1 du Code de commerce sur l’obligationd’information pesant sur le vendeur de fonds de commerce ;

– l’article L. 330-3 du Code de commerce sur l’instaurationd’un devoir d’information précontractuel en matière de fran-chise ;

– les articles L. 111-1 et L. 111-2 du Code de la consomma-tion, qui instituent à la charge du vendeur de biens ou deservices professionnels vis-à-vis du consommateur une obli-gation générale d’information précontractuelle ;

– l’article L. 121-23 du Code de la consommation sur ledémarchage ;

– l’article L. 212-1 du Code de la consommation sur lamisesur le marché de produits devant être conformes à la loyautédes transactions ;

– l’article L. 311-10 du Code de la consommation sur lecrédit à la consommation ;

– les multiples obligations d’information préalable pesantsur le vendeur d’immeuble (états, constats, diagnostics).

En ce qui concerne l’exécution des contrats, on peut notam-ment citer :

– la réforme des articles L. 1222-1 et L. 1222-5 du Code dutravail qui font référence à l’exécution de bonne foi du contratde travail et à l’obligation de loyauté qui en résulte ;

– l’article L. 134-4, alinéa 2 du Code de commerce quidispose que les rapports entre l’agent commercial et le man-dant sont régis par une obligation de loyauté ;

– les interdictions d’obtenir, sous la menace d’une rupturebrutale des relations commerciales, des conditions de prix, dedélai de paiement ou des modalités de vente manifestementabusives, prévues par l’article L. 442-6, 4° du Code de com-merce ou l’interdiction de rompre brutalement une relationcommerciale établie, résultant de l’article L. 442-6, 5° dumême code ;

– la loiGallanddu 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibredans les relations commerciales 9 ;

– la loi bancaire de 1984 10, faisant obligation aux établisse-ments bancaires d’informer de façon loyale leurs clients des

6. V.Gaz. Pal. 2000, préc., P. Bézard.

7. Étant observé que la déloyauté la plus flagrante est, quant à elle, sanctionnéesur le plan pénal par l’abus de confiance.

8. Disposition considérée comme une sanction de l’obligation de loyauté.

9. L. n° 96-588, 1er juill. 1996 : JO 3 juill. 1996, p. 9983.

10. L. n° 84-46, 24 janv. 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissementsde crédit : JO 25 janv. 1984, p. 390.

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 23

Page 8: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

tarifs applicables à leurs services bancaires et instaurant unpréavis de rupture (60 jours dans la plupart des cas) devantêtre respecté par le banquier ;

– les articles L. 533-11 et suivants du Code monétaire etfinancier qui instaurent des règles de bonne conduite etd’organisation à la charge des prestataires de services d’inves-tissement. Elles imposent d’agir de façon loyale, servant aumieux les intérêts des clients : et en particulier, de détecter etgérer les conflits d’intérêts, d’informer les clients des risquesexistant et des conditions de rémunération et d’évaluer lesportefeuilles gérés de façon indépendante ;

– l’article L. 541-8-1 du Code monétaire et financier quiprescrit aux conseillers en investissements financiers de « secomporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêtsde leurs clients » ;

– l’article L. 547-9 du même code qui fait obligation auxconseillers en investissements participatifs de « se comporteravec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leursclients ».

2. Dans la loi en dehors du domainecontractuel

Uncomportement loyal a,de tout temps,été exigé en sociétéet le législateur a, en conséquence, demultiples façons, prescritun comportement loyal ou prohibé les manquements à laloyauté.

Diverses illustrations en seront ci-après données 11, tantdans le domaine pénal (A) qu’en dehors de ce domaine (B).

A. - Illustrations tirées de la loi pénale

De façon très logique, les manquements les plus graves à laloyauté, c’est-à-dire, à la droiture et l’honnêteté, font l’objetd’une sanction pénale.

Ainsi, on peut citer à titre d’exemples :– l’escroquerie qui repose sur un comportement déloyal (C.

pén., art. 313-1) ;– l’obligation faite aux dirigeants de ne pas user des biens ou

du crédit de la société contrairement à l’intérêt de cette der-nière et dans leur intérêt personnel, manifestation de leurdéloyauté à l’égard de ladite société (C. com., art. L. 242-6, 3°),de même que l’abus de leurs pouvoirs (C. com., art. L. 242-6,4°) ;

– le délit d’initié et celui de manipulations de cours (C.monét. fin., art. L. 465-1 et L. 465-2), manifestation de ladéloyauté à l’égard dumarché financier ;

– la présentation et la publication de comptes inexacts (C.com., art. L. 242-6, 2°), marque d’une déloyauté vis-à-vis desactionnaires et des tiers ;

– depuis 1993, l’article 121-1 du Code de la consommationqui, visant les professionnels, énumère pas moins de 22 pra-tiques réputées trompeuses en matière de publicité, sanction-

nées par les peines de l’article L. 213-1, marque d’unedéloyauté à l’égard des consommateurs ;

– plus récemment, l’article 226-18 duCode pénal, qui sanc-tionne « (...) le fait de collecter des données à caractère personnelpar un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». La déloyauté estdonc ici condamnée aumême titre que la fraude ou l’illicéité.

B. - En dehors du domaine pénal

De nombreuses règles constituent desmanifestations d’uneexigence de loyauté en dehors du domaine contractuel. Làencore, on note l’accroissement ces dernières années dunombre de textes législatifs ou réglementaires illustrant cetteexigence.

Règles du Code de procédure civile. – Certaines de cesrègles, tels que les articles 15, 16, 135 ou 162, prescrivent uncomportement loyal en cours d’instance.

En matière arbitrale. – Le nouvel article 1464 du Code deprocédure civile, issu de la réformede 2011, fait obligation, auxparties et aux arbitres, d’agir avec « célérité et loyauté dans laconduite de la procédure ».

Gestion d’affaires. – Les articles 1372 et 1374 du Code civilse rapportant à la gestion d’affaires prescrivent au gérant qui avolontairement commencé à gérer l’affaire d’autrui de conti-nuer la gestion ainsi commencée et de l’achever jusqu’à ce quele propriétaire soit en mesure d’y pourvoir et, en outre,d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins raisonnables.Cela procède d’une attitude loyale vis-à-vis du propriétaire.

Administrateur du patrimoine d’autrui. – L’article 1596du Code civil interdit à l’administrateur du patrimoined’autrui (tuteur mandataire, administrateurs des communesou des établissements publics) d’acquérir les biens qu’il estchargé de vendre ou d’administrer.

Droit collectif du travail. – De nombreuses règles ins-taurent des obligations permettant de s’assurer de la loyautédes processus électoraux ou de négociation collective auxquelssont astreintes les entreprises 12.

Les franchissements de seuil dans le capital des sociétés

commerciales. – Notre droit sanctionne le non-respect éven-tuel par les actionnaires de sociétés cotées de leurs obligationsde loyauté, ou de leur obligation de déclarer une action deconcert lorsque les conditions en sont réunies (C. monét. fin.,art. L. 451-2. – C. com., art. L. 233-7 à L. 233-14).

Relations entre les sociétés et leurs dirigeants et préven-

tion et traitement des conflits d’intérêts. – On peut citer :– les règles se rapportant à l’information devant être don-

nées par les dirigeants sur les autres mandats, fonctions ouliens d’intérêts existant dans leur situation (C. com.,art. L. 225-83, 1er) ;

– concernant tant les actionnaires que les dirigeants (quisont, lors de la constitutiondes sociétés souvent lesmêmes), lesrègles des articles L. 223-9, L. 224-3, L. 225-8, R. 224-2 duCode de commerce sur les évaluations des apports en nature etavantages particuliers bénéficiant à certaines personnes phy-

11. Certaines règles régissant le fonctionnement des sociétés sont ici évoquées,plutôt que rattachées au domaine contractuel, dès lors qu’elles découlent deleur caractère institutionnel et notamment de la personnalité morale qui yest attachée.

12. V. F. Petit, La loyauté dans le dialogue social, in F. Petit (ss dir.), Droit etloyauté : Dalloz, 2015.

24 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 9: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

siques (y compris les règles de vote des articles L. 225-10 etL. 225-147) ;

– les règles instituant au profit des associés d’une sociétéanonyme l’action sociale ut singuli de l’article L. 225-252 duCode de commerce.

Dispositions de l’article L. 533-1 du Code monétaire et

financier. – Il impose à tous les prestataires de services d’inves-tissement d’agir « d’une manière honnête, loyale et profession-nelle, qui favorise l’intégrité dumarché ».

Le règlement général de l’AMF. – Celui-ci, qui a fait l’objetd’une publication par décret lui conférant un caractère obliga-toire, contient demultiples illustrations du caractère normatifd’un comportement loyal. En effet, ledit règlement général faitexplicitement obligation de se conduire avec loyauté notam-ment auxpersonnes suivantes : les personnes contrôlées par les

enquêteurs de l’AMF 13, les personnes participant à une offrepublique 14, les prestataires de services d’investissement 15, lessociétés de gestion de portefeuille 16, les conseillers en investis-sements financiers 17, les conseillers en investissements partici-patifs 18, les entreprises de marché 19, la chambre decompensation 20.

13. AMF, règl. général, art. 143-3.

14. AMF, règl. général, art. 231-3.

15. AMF, règl. général, art. 314-3.

16. AMF, règl. général, art. 319-3.

17. AMF, règl. général, art. 325-6.

18. AMF, règl. général, art. 325-37.

19. AMF, règl. général, art. 512-3.

20. AMF, règl. général, art. 541-5.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 25

Page 10: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Jurisprudence

4 RÔLEDELAJURISPRUDENCEDANSL’ÉMERGENCEDUDEVOIRDELOYAUTÉENTANTQUENORMEGÉNÉRALEDECOMPORTEMENT

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

La jurisprudence,qui constitue la deuxième source de créationdenotre droit positifaprès la loi, évolue, en ce qui concerne le devoir de loyauté, dans le même sens quecelle-ci. La reconnaissance de plus en plus généralisée d’un devoir de loyauté par lajurisprudence constitue, selon l’expression d’un auteur, un « remède à la spécialité

de la loi » 1.

À l’appui de son œuvre créatrice, la jurisprudence a delongue date utilisé certains adages juridiques latins qui, bienque n’évoquant pas explicitement la loyauté, procèdent d’unecondamnationde certains comportements déloyaux caractéri-sés. Ainsi, de l’adage « fraus omnia corrumpit » ou encore« nemo auditur propriam turpitudinem allegans ».

Mais ces dernières années, est apparue en jurisprudence uneréférence explicite au devoir de loyauté. Son champ d’applica-tion, tel qu’il ressort de la jurisprudence, couvre quasimenttous les domaines de l’activité économique. Il s’élargit de façonquasi continue. La jurisprudence « découvre » des domainesnouveaux où il s’applique et précise son contenu et ses limites.

On examinera ci-après la jurisprudence dans le domainecontractuel (1) et hors la sphère contractuelle (2).

1. Dans la sphère contractuelle : labonne foi

La montée en puissance du devoir de loyauté dans ledomaine contractuel, sous l’appellation de « bonne foi », aconstitué l’une des évolutions les plus marquantes du droitfrançais de ces dernières décennies. Certains auteurs ontaffirmé que l’ensemble du droit contractuel est « sous la tutelleimpérieuse de la bonne foi » 2.

Dans le domaine contractuel, l’exigence juridique de bonnefoi se dédouble en une obligation de loyauté et en une obliga-

1. V. H. Le Nabasque, Le développement du devoir de loyauté en droit dessociétés : RTD com. 1999, p. 273.

2. V. RTD civ. 2000, p. 326, obs. J. Mestre et B. Fages. – Rép. civ. Dalloz, V° Labonne foi, 4 et 68.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

26 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 11: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

tion complémentaire de coopération 3. Beaucoup a été écrit àce sujet 4.

Nous ne nous intéresserons donc qu’à trois aspects particu-liers illustrant la conjonction de la bonne foi (impliquant undevoir de loyauté contractuel) avec un devoir de loyauté extra-contractuel en examinant l’incidencede l’obligationde loyautéprécontractuelle sur le champ du contrat (A), la subsistanced’une obligation de loyauté autonome pendant la durée ducontrat (B) et enfin, la persistance d’une obligation de loyautéaprès l’expiration du contrat (C).

A. - L’incidence de l’obligation de loyautéprécontractuelle sur le champ du contrat

La jurisprudence confère, dans un certain nombre de cas,une valeur contractuelle à un document publicitaire diffusépar un vendeur de produits/services avant la conclusion d’uncontrat 5. Cette « contractualisation » d’un document publici-taire, alors qu’au moment de sa diffusion aucun contratn’existe entre le producteur et le futur éventuel consommateur,ne peut procéder de l’obligation de bonne foi contractuelle.

Certains ont proposé de fonder la contractualisation dudocument publicitaire sur l’existence d’une croyance légitimeerronée.L’apparence trompeuse donnée aux futurs cocontrac-tants aurait pour conséquence – ce qui serait une forme desanctiondu comportement émanant de la partie ayant cherchéà tromper – de donner une force contractuelle aux indicationsayant conduit le cocontractant à entrer dans la relationcontractuelle 6.

D’autres auteurs se sont fondés sur le principede cohérence.Ce dernier obligerait celui qui a utilisé certains argumentspour entrer dans la relation contractuelle à maintenir et don-ner force obligatoire aux éléments qu’il a alors utilisés 7.

Cette position peut s’appuyer sur la jurisprudence de laCourde cassation enmatière dedocumentationpréalable àdesinvestissements boursiers 8.

Cette « contractualisation » des documents publicitairesprocède, selon nous, d’un devoir de loyauté, d’une obligationpréalable de se comporter de façon fiable, honnête... en unmot, de façon loyale.

Enmatière immobilière, pour la Cour de cassation, il existeune volonté implicite de l’acheteur d’un bien immobilierd’acquérir un bien dépourvu d’amiante et le vendeur, « (...)

tenu à undevoir général de loyauté ne pouvait (...) dissimuler àson cocontractant un fait dont il avait connaissance (...) serapportant à la présence d’amiante » 9.

Demême encore, toujours enmatière immobilière, la Courde cassation a privé le vendeur d’un bien de se prévaloir d’uneclause de non-garantie figurant à l’acte de vente, au motif quecelui-ci avaitmanqué à son devoir de loyauté en ne portant pasà la connaissance des acheteurs, les spécificités d’une toiture etson caractère inhabituel 10.

Dans le même esprit c’est toujours le devoir de loyauté quifait obligation aux banquiers, avant l’entrée dans la sphèrecontractuelle, d’informer la caution sur les risques qu’elleprend, dès lors qu’ils ont des informations privilégiées quiseraient de nature à influencer sur la décision de ladite cau-tion 11 ou qui leur fait obligation de proportionner l’engage-ment de la caution avec le patrimoine de celle-ci. Lorsque lecréancier bancaire obtient une garantie « objectivement dis-proportionnée », il engage sa responsabilité 12.

Cette jurisprudence prolonge celle qui sanctionne l’attitudedéloyale d’un banquier, qui manque à son obligation decontracter de bonne foi et commet ainsi (avant tout contrat)un dol par réticence lorsqu’il omet d’informer une caution dela situation irrémédiablement compromise ou très lourde-ment obérée de son débiteur, en violation, selon nous, de sondevoir de loyauté 13.

Il est intéressant de relever ici la continuité de la présence del’obligation de loyauté avant et après la conclusion du contrat.Il y a une sorte de porosité entre la formation du contrat etl’exécution de celui-ci, lesquelles seront toutes deux caractéri-sées par l’existence d’un devoir de loyauté. Il est impossibled’opposer radicalement la période pré et post-contractuelle 14.

B. - La subsistance d’une obligation de loyautéautonome pendant la durée du contrat

La jurisprudence a eu l’occasion de sanctionner, sur lefondement de l’article 1382 du Code civil, un comportementdéloyal en cours de contrat, qui n’avait pas trait à la mise enœuvre des stipulations du contrat et ne rentrait donc pas dansla bonne foi contractuelle. Il s’agit d’une instance où unesociété avait donné un local commercial à bail à une sociétéinternationale qui a entendu résilier son bail,mais ignorant les

3. V. notamment, Rép. civ. Dalloz, V° La bonne foi, préc. –V. aussi, R. Demoge,Traité des obligations en général, t. 3, p. 9 : Librairie Arthur Rousseau, 1923.

4. V. JCl. Civil Code, Art. 1134 et 1135, Fasc. unique. – Brigitte Lefebvre, Labonne foi : notion protéiforme : 26 R.D.U.S. 321 (1996).

5. Cass. com., 6 mai 2010, n° 08-19.903 : JurisData n° 2010-005846. – Cass.com., 17 juin 1997, n° 95-11.164 : JurisData n° 1997-002875. – Cass. 3e civ.,17 juill. 1997, n° 95-19.166 : JurisData n° 1997-003370 ; RJDA 1998,n° 1311. – Cass. 1re civ., 27 févr. 1996 : Defrénois 1996, p. 742, obs. J.-L.Aubert. – Contra, Cass. 3e civ., 17 juill. 1996, n° 94-17.818.

6. V.C.Grimaldi, Quasi engagement et engagement en droit privé, recherches surles sources de l’obligation : Defrénois, 2007, p. 104. – A. Danis-Fatôme,Apparence et contrat : LGDJ, 2004, spécialement n° 708 et s.

7. En ce sens,V.D. Houtcieff, Le principe de cohérence en matière contractuelle :PUAM, 2001, n° 538 et s.

8. Cass. com. 24 juin 2008, n° 06-21.798 : JurisData n° 2008-044536. – Cass.com., 12 oct. 2010, n° 09-16.961.

9. Cass. 3e civ., 16 mars 2011, n° 10-10.503 : JurisData n° 2011-003776.

10. Cass. 3e civ., 4 oct. 2011, n° 10-25.051.

11. Cass. com., 20 oct. 2009 : D. 2009, p. 2971, note D. Houtcieff et p. 2607, obs.X. Delpech. –V. JCl. Civil Code, Art. 1134 et 1135, préc.

12. V. J. Cazé, De la bonne foi et de la modération dans la formation du contrat :D. 1998, jurispr. p. 208.

13. Cass. com., 8 nov. 1983, n° 82-10.493 : D. 2001, jurispr. p. 3338, C. Vuille-min ; D. 2004, jurispr. p. 262, E. Mazoyer. – V. encore, Cass. com., 20 sept.2005, n° 03-19.732 : JurisData n° 2005-029785 ; D. 2005, jurispr. p. 2588, oùla responsabilité d’un crédit bailleur est engagée vis-à-vis des cautions dufait de la non communication par ledit crédit bailleur d’informations sur laviabilité de l’opération entreprise par la société emprunteuse. – V. encore,Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 02-13.155 : JurisData n° 2005-029596, sur ledevoir de mise en garde du banquier à l’égard d’une caution s’engageant àgarantir un prêt excessif au regard de ses facultés contributives

14. V. en ce sens, J. Huet, Responsabilité contractuelle, responsabilité délictuelle,essai de délimitation des deux ordres de responsabilité : Thèse Paris II, 1978,n° 292.

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 27

Page 12: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

exigences particulières de la législation en la matière, a envoyéun congé par lettre recommandée avec accusé de réception etnon pas par acte extra-judiciaire. Le bailleur est resté taisant desorte que, faute de dénonciation régulière dans le délai légal, lebail a été réputé se poursuivre pour trois ans additionnels. Lepreneurqui adéménagé s’est vu réclamer les loyers dus à raisonde la poursuite du bail. Il a formé une demande reconvention-nelle en responsabilité pour faute, reprochant au bailleur de nepas l’avoir averti de l’inefficacité de son congé. Cette demandereconventionnelle a été accueillie par la cour d’appel qui acondamné le bailleur à réparer le préjudice résultant du carac-tère déloyal de son silence, préjudice fixé à hauteur des loyersréclamés. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 novembre2003 15, approuve le raisonnement de la cour d’appel.Dans soncommentaire,Monsieur le Professeur Philippe Stoffel-Muncksouligne que ce qui est ici à l’œuvre, c’est un « devoir général deloyauté ». Pour cet auteur, « (...) les fautes de comportementque dénote la loyauté dans le contrat ne diffèrent pas ensubstance de celles qui peuvent être commises indépendam-ment de l’exécution du contrat. La jurisprudence en attestequand, par exemple, elle traite de l’obligation de contracter debonne foi ou à l’inverse de la déloyauté dans la rupture despourparlers. Par définition aucune obligation contractuellen’est encore née en ces cas, mais la bonne foi n’en existe pasmoins. Son jeu se poursuit évidemment une fois le contratformé, mais sa nature n’en change pas pour autant ». Il consi-dère que cette décision « (...) va plutôt en faveur d’un traite-ment délictuel du pur manquement à la loyauté, serait-ilcommis entre contractants » 16.

Ce commentaire nous semble souligner la continuité del’obligation de loyauté, dans le domaine délictuel ou contrac-tuel. Monsieur le Professeur Stoffel-Munck souligne qu’il y adeux manières de sanctionner le manquement à la loyautécommis en cours de contrat : soit en allouant des dommages etintérêts compensateurs à la victime de la déloyauté, soit enneutralisant les dispositions contractuelles incompatibles avecun comportement du cocontractant, ce qui se traduit par ladéchéance du droit déloyalement acquis ou exercé.

Cette situation est proche de l’estoppel contractuel qui a étéconsacré à plusieurs reprises par la Cour de cassation 17.

C. - La persistance d’une obligation de loyauté aprèsl’expiration du contrat

Le devoir de loyauté ne s’arrête pas lorsque disparaît lecontrat. Certains auteurs ont pu évoquer « une bonne foipost-contractuelle » 18. Il s’agit pour nous tout simplement dudevoir de loyauté délictuel qui renaît et permet d’analyser lecomportement post-contractuel à l’aune des relationscontractuelles, celles-ci pouvant créer, à la charge de l’anciencontractant, une obligation de loyauté renforcée.

Ainsi, selon un commentaire de la jurisprudence de la Coursuprême, « l’obligation de loyauté à laquelle est astreint lesalarié s’affaiblit mais ne n’éteint pas lorsque meurt soncontrat de travail » 19.

Demême, une obligation de loyauté post-contractuelle sertparfois en jurisprudence soit pour sanctionner la transmissiond’un savoir-faire ou d’une information confidentielle obtenuedans le cadre du contrat, soit pour fonder l’obtention, parl’ancien co-contractant, d’une information préférentielle 20.

2. Hors la sphère contractuelle

En jurisprudence, dans le domaine délictuel, on assiste, à undouble mouvement : d’une part, un élargissement du champd’application du devoir de loyauté, à l’intérieur de chacun desquatre domaines où il a été historiquement identifié (A) etd’autre part, une consécration de son existence, en dehorsmême de ces quatre domaines (B).

A. - L’élargissement du champ d’application du devoirde loyauté au sein de ses domaines traditionnels

Ces quatre domaines sont : la concurrence déloyale (1), laprocédure civile (2), le droit des sociétés (3) et la formation descontrats et la conduite des pourparlers (4).

1° En matière de concurrence déloyale

Depuis toujours, les tribunaux sanctionnent les agisse-ments dits de concurrencedéloyale.Cequi,a contrario, signifieque l’attitude attendue entre concurrents, leur norme généralede comportement, consiste à être loyal.

L’évolution de la jurisprudence tend, dans ce domaine, à undouble élargissement :

– d’une part, la typologie des actes considérés commedéloyaux n’est plus définie de façon restrictive. Alors quetraditionnellement on visait des actes de confusion/imitation,de dénigrement et de désorganisation, cette classification estaujourd’hui dépassée. Tous les moyens peuvent être utiliséspour commettre un acte de concurrence déloyale. On citera, àtitre d’exemple, les manœuvres condamnées d’une entreprisede publicité qui amis l’une de ses concurrentes dans l’impossi-bilité de concourir normalement à l’obtentionde la concessionde la publicité d’une foire-exposition et qui a ainsi faussé lelibre jeu de la concurrence 21 ;

– d’autre part, l’exigence de concurrence a disparu, dès lorsque l’action peut être conduite entre des parties qui n’ont pasde clientèle commune ou ne sont pas en situation de concur-rence, ni même titulaires d’une clientèle 22.

15. Cass. 3e civ., 5 nov. 2003, n° 01-17.530 : JurisData n° 2003-020801.

16. V. RDC 2004, p. 637, obs. M. le Professeur Ph. Stoffel-Munck.

17. Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, n° 99-15.690 : JurisData n° 2001-011603 ; Bull.civ. 2001, I, n° 280. – Cass. com., 8 mars 2005, n° 02-15.783 : JurisDatan° 2005-027478 ; Bull. civ. 2005, IV, n° 44.

18. V. JCP G 2005 II, 10173, obs. G. Loiseau ss Cass. 3e civ., 14 sept. 2005,n° 04-10.856 : JurisData n° 2005-029699.

19. V. B. Tessier, Les relations individuelles de travail : Litec 1992, cité par D.Mazaud, La bonne foi en arrière toute ?, in D. 2006, p. 761.

20. V. RTD civ. 2005, p. 776, obs. Mestre et Fages, cités par D. Mazaud, La bonnefoi en arrière toute ?, préc.

21. Cass. com., 7 oct. 1974 : D. 1975, p. 12.

22. Cass. com., 20 nov. 2007, n° 05-15.643 : JurisData n° 2007-041599. – Cass.com., 12 févr. 2008, n° 06-17.501 : JurisData n° 2008-042743. – Cass. com.,27 janv. 2009, n° 07-15.971 : JurisData n° 2009-046794.

28 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 13: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Selon un auteur autorisé, « On en arrive à repenser l’actionen concurrence déloyale pour parler davantage de comporte-ments délictuels demarché ou actions en déloyauté » 23.

En particulier, depuis une vingtaine d’années, la jurispru-dence sanctionne le parasitisme, qui est un comportementdéloyal par lequel un agent économique s’immisce dans lesillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de sesefforts et de son savoir-faire. Il est considéré comme sanction-nable sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Il est dejurisprudence constante que le parasitisme existe en l’absencede toute situation de concurrence 24.

On soulignera que dès lors que l’exigence de concurrencedisparaît, sans que disparaisse corrélativement l’obligation dese comporter loyalement, il s’agit bien de proscrire des com-portements déloyaux par eux-mêmes et ce de façon très géné-rale.

2° En procédure civile

Dans le domaine du droit processuel, de façon progressive,la jurisprudence a placé tout le droit judiciaire privé sousl’empire du devoir de loyauté 25.

On peut ainsi relever, au cours de la dernière décennie, pasmoins d’une quinzaine d’arrêts de laCour de cassationqui,partouches successives, ont précisé l’ampleur et la teneur dudevoir de loyauté dans le domaine processuel.

La Cour de cassation a consacré un « principe de loyautédans l’administrationde la preuve ».Celui-ci a été affirmédansle cadre d’un arrêt d’assemblée plénière du 7 janvier 2011 et aété réitéré à demultiples reprises 26.

La juridiction suprême a aussi fait émerger une obligationde respecter une exigence de « loyauté des débats », qui s’esttraduite dans plusieurs arrêts où elle a affirmé que « le juge esttenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats » 27.

Il ne nous semble pas que l’arrêt rendu par la Cour decassation le 20 mars 2014 en matière de rétractation d’unemesure d’instruction ordonnée sur le fondement del’article 145 du Code de procédure civile constitue une remiseen cause de cette exigence générale 28. Cet arrêt tient auxparticularités de cette procédure.

Parallèlement, la Cour de cassation a multiplié les arrêts serapportant à « l’estoppel », c’est-à-dire l’interdiction de secontredire au détriment d’autrui, principe intégrant une exi-gence de loyauté, voire de cohérence 29.

En outre, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, parun arrêt du 7 juillet 2006, a encore considéré « qu’il incombeaux demandeurs de présenter dès l’instance relative à la pre-mière demande l’ensemble des moyens qu’ils estiment denature à fonder celle-ci » 30. Cet arrêt a été considéré commeune illustration de l’introduction généralisée dans notre droitprocessuel du devoir de loyauté 31.

L’exigence de loyauté ainsi identifiée par la Cour de cassa-tion est d’application générale et n’est en effet pas réservée auxjuridictions étatiques.

On relèvera en premier lieu que l’arrêt de l’assemblée plé-nière de la Cour de cassation du 7 janvier 2011 précité avaittrait à l’application des règles de procédure civile au conten-tieux relevant de l’Autorité de la concurrence. Ce qui signifieque le principe de loyauté dans l’administration de la preuves’applique devant elle. Ce principe s’applique aussi devantl’ACPR ou devant l’AMF. Par exemple, concernant cette der-nière, a été consacré le principe de loyauté dans l’administra-tion de la preuve à propos du recueil, par les enquêteurs, dedéclarations de la part d’une personne sans que celle-ci aitrenoncé aux règles applicables aux auditions visant à assurer laloyauté de l’enquête 32.

Son application aux juridictions arbitrales a été renforcéepar la nouvelle rédaction de l’article 1464, alinéa 3 du Code deprocédure civile, telle qu’elle résulte de la réforme de 2011.Mais le principe n’était pas, loin s’en faut, inconnu du droit del’arbitrage avant 2011 33.

Ainsi donc, la loyauté processuelle apparaît-elle désormaisd’application très générale.

3° En droit des sociétés

Dans le domaine du droit des sociétés, le devoir de loyauténous semble avoir un fondement délictuel ou légal et non pascontractuel.Nous partageons à cet égard l’opinionmajoritairede la doctrine 34. En effet, la Cour de cassation a sanctionné ledevoir de loyauté des dirigeants au visa de l’article 1382 duCode civil ou des textes spéciaux du Code de commerce qui se

23. V. R. Bouniol, Loyauté et concurrence in Colloque “Droit et loyauté” :Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, oct. 2014.

24. V. Concurrence déloyale et parasitisme, in Memento Pratique Concurrence.Consommation : éd. Francis Lefebvre 2013-2014, n° 8700, p. 217.

25. Rép. proc. civ. Dalloz, 107 et s. et 486 et s.

26. Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 : JurisData n° 2011-000038. –Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-18.267 : JurisData n° 2011-009654. – Cass.soc., 23 mai 2012, n° 10-23.521 : JurisData n° 2012-010790. – Cass. soc.,4 juill. 2012, n° 11-30.266 : JurisData n° 2012-014943. – Cass. ass. plén.,6 mars 2015, n° 14-84.339 : JurisData n° 2015-004033.

27. Cass. ch.mixte, 3 févr. 2006, n° 04-30.592 : JurisData n° 2006-032168 ; JCPG2006, II, 10088. – Cass. 2e civ., 2 déc. 2004, n° 02-20.194 : JurisData n° 2004-025914 ; Bull. civ. 2004, II, n° 514. – Cass. 2e civ., 4 mars 2004, n° 02-15.270 :JurisData n° 2004-022584 ; Bull. civ. 2004, II, n° 91. – Cass. 2e civ., 23 oct.2003, n° 01-00.242 : JurisData n° 2003-020604 ; Bull. civ. 2003, II, n° 326. –Cass. 1re civ., 7 juin 2005, n° 05-60.044 : JurisData n° 2005-028790 ; Bull. civ.2005, I, n° 241. – Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-30.396 et 11-30.397 :JurisData n° 2012-012802. – Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-16.173.

28. Cass. 2e civ., 20 mars 2014, n° 13-11.135 : JurisData n° 2014-005276.

29. Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 03-13.932 : JurisData n° 2005-030316 ; Bull. civ.2005, II, n° 257. – Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841 : JurisDatan° 2009-047173. – Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21.288 : JurisDatan° 2010-051391 ; Bull. civ. 2010, I, n° 25. – Cass. com., 20 sept. 2011,n° 10-22.888 : JurisData n° 2011-019424 ; Bull. civ. 2011, IV, n° 132. – Cass.2e civ., 8 mars 2007, n° 06-12.483 : JurisData n° 2007-037784.

30. Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672 : JurisData n° 2006-034519.

31. V. Rép. proc. civ., V° Chose jugée, 568, C. Bouty.

32. Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-18.267 : JurisData n° 2011-009654. –M. Medjnah, La loyauté des auditions diligentées par les enquêteurs del’AMF : Les Échos, 22 mars 2012.

33. V. E. Kleiman et S. Saleh, Célérité et loyauté en droit français de l’arbitrageinternational : quel pouvoir et quelle responsabilité pour les arbitres et lesparties ? : Les cahiers de l’arbitrage, 1er janv. 2012, p. 99.

34. V. A. Tadros, La responsabilité des dirigeants sociaux : Formation continuejuridique, Pro-Barreau, mars 2014. – H. Le Nabasque, Le développement dudevoir de loyauté en droit des sociétés, préc. – Th. Favario, Variations sur ledevoir de loyauté de l’associé et du gérant de SARL : D. 2012, p. 134.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 29

Page 14: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

rattachent à la conception institutionnelle de la société (C.com., art. L. 225-251, L. 223-22, etc.) et non pas sur le fonde-ment des articles 1134 et 1147 et suivants du Code civil.

Le devoir de loyauté se diffuse à des situations qui s’écartentdu pacte social, de telle sorte que ce n’est pas lui qui semblefonder les solutions constatées en jurisprudence.

Le devoir de loyauté en droit des sociétés a connu en juris-prudence une extension significative et l’on soulignera, à côtéde la confirmation et de l’élargissement du devoir de loyautédes dirigeants, les hypothèses de sanction de la déloyauté desassociés et de la déloyauté de la société à l’égard de ses diri-geants.

Le devoir de loyauté des dirigeants. – Depuis les arrêtsfondateurs du 27 février 1996 et du 24 février 1998, beaucoupa été écrit à ce sujet 35.

On sait aujourd’hui que le devoir de loyauté des dirigeantsexiste tant à l’égard de la société qu’à l’égard des associés decelle-ci. On relèvera ici d’abord que la jurisprudence a consa-cré, en 2011 et 2012,une double extension dudevoir de loyautéqui affecte les opportunités d’affaires.

À l’égard des associés, dans l’espèce tranchée par la Cour decassation le 18 décembre 2012, un dirigeant a été condamnépour avoir acquis à titre personnel un immeuble que les asso-ciés (et non pas la société) auraient souhaité pouvoir acquérir.Le fait que l’acte ainsi accompli par le dirigeant se situe endehors du champ de l’activité de la société (« lieu » de l’intérêtcommundes associés) et donc –endehors dumandat implicitedont on pourrait considérer que ceux-ci lui ont donné pouragir dans leur intérêt commun– renforce le caractère délictuelde sonmanquement et le détache du champ contractuel 36.

De même, à l’égard de la société elle-même, la Coursuprême, dans un arrêt du 15 novembre 2011, a consacrél’interdiction pour un dirigeant de société, en l’occurrencegérant de SARL, de négocier pour une autre entreprise unmarché dans lemêmedomaine d’activité que celui de la sociétédont il était le dirigeant 37.

On relèvera ensuite une extension des hypothèses visées parla jurisprudence dans la sanction du devoir de loyauté desdirigeants à l’égard de la société. Jusqu’à présent, étaient viséesl’interdictionde faire concurrence et plus récemment (arrêt du15 novembre 2011 précité), la participation à un appeld’offres. Dans un arrêt du 1er juillet 2014, la cour d’appel deVersailles a sanctionné un dirigeant qui avait tenu « des pro-pos, (...) lors de réunions avec les cadres du groupe, traduisantun doute profond sur les perspectives du groupe, et la viabilitéde son modèle économique (...) » et qui avait en outre « ententant de créer un antagonisme entre la société (...) et son

principal actionnaire susceptible de mettre en danger le refi-nancement de la dette et en dissimulant des informations (...) aagi au détriment de l’intérêt social et a commis des actesdéloyaux (...) » 38.

Cependant, la jurisprudence ne sanctionne pas, sauf excep-tion, les dirigeants dont les fonctions ont cessé 39.

Le devoir de loyauté de l’associé. – L’absence d’obligationde non concurrence à la charge de l’associé a été affirméedepuis longtemps en jurisprudence et réitérée récemment 40.L’associé n’est cependant pas à l’abri de toute critique et peutcommettre,dans l’exercice de ses droits,un abus qui se rattacheà un comportement déloyal, condamné par la jurisprudence.

Ainsi, la jurisprudence condamne-t-elle l’abus de droit desminoritaires ou desmajoritaires 41.

De même, interdit-elle à un associé de multiplier les procé-dures et actions nuisibles visant la satisfaction d’un intérêtpersonnel 42, ou à celui qui a entériné des délibérations, enassemblée, de venir ensuite les critiquer judiciairement 43 ouencore à celui qui est le responsable exclusif d’une nullité del’invoquer en justice 44.

Enfin, la responsabilité des associés peut être, de façontraditionnelle, engagée :

– si la preuve d’une volonté de nuire est rapportée 45 ; ou,– à l’égard des tiers, en cas de « faute intentionnelle d’une

particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal desprérogatives attachées à la qualité d’associé » 46. La formule estici identique à celle utilisée par la Cour suprême pour caracté-riser l’engagement de la responsabilité des dirigeants à l’égarddes tiers.

Le devoir de loyauté de la société. – La société est tenued’un devoir de loyauté à l’égard de ses dirigeants. Il étaittraditionnellement admis que la société devait, notamment àl’occasion de la révocation du dirigeant, respecter les droits dela défense et le principe de la contradiction.

Depuis quelques années, la cour d’appel de Versailles, puisdepuis 2013, la Cour de cassation, se sont référées de manièreexplicite à la nécessité de respecter à l’égard des dirigeantssociaux, à l’occasion de leur révocation, un devoir deloyauté 47.

35. Cass. com., 27 févr. 1996 : JCP G 1996, II, 22665, note Ghestin. – Cass. com.,24 févr. 1998, n° 96-12.638 : JurisData n° 1998-000850 ; JCP E 1998, n° 17,p. 637. – V. B. Daille-Duclos, Le devoir de loyauté du dirigeant : JCP E 1998,1486. – F.-G. Trébulle, Devoir de loyauté du dirigeant à l’égard des associés :JCP E 2004, 1393. – D. Mazeaud, Le silence de l’acquéreur sur la valeur dubien vendu : RDC 2010, p. 811. – JCl. Sociétés Traité, Fasc. 45-10.

36. Cass. com., 18 déc. 2012, n° 11-24.305 : JurisData n° 2012-030284. – K.Grevain-Lemercier, L’extension du devoir de loyauté du dirigeant envers lesassociés : Gaz. Pal. 6 avr. 2013, p. 21.

37. Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15.049 : JurisData n° 2011-025126 ; Rev.sociétés 2012, p. 292.

38. CAVersailles, 12e ch., 1er juill. 2014, n° 12/07800 : JurisData n° 2014-018683.– V. T. Massart, Faute grave du dirigeant agissant déloyalement à l’égard del’actionnaire majoritaire : Bull. Joly Sociétés 2014, p. 698.

39. Cass. com., 10 sept. 2012, n° 11-20.268 : JurisData n° 2012-015606. – Cass.com., 17 janv. 2006, n° 04-14.108.

40. V. M. Caffin-Moi, Inexistence du devoir de loyauté de l’associé : la Chambrecommerciale persiste : L’essentiel Droit des contrats, 6 nov. 2013, n° 10, p. 7, àpropos de Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-23.888 : JurisData n° 2013-018935.– D. Poracchia, Quelle loyauté dans les rapports sociaux ? : Dr. et patrimoine2014, p. 96.

41. Cass. com., 9 mars 1993 n° 91-14.685 : JurisData n° 1993-000497 : JCP E1993, II, 448. – J.-P. Sortais, Abus de droit : Rép. dr. soc. Dalloz, 2003.

42. CA Paris, 3e ch., sect. B, 17 sept. 2013, n° 92/008416.

43. Cass. com., 19 nov. 1991, n° 90-16.660 : JurisData n° 1991-003840.

44. Cass. com., 1er déc. 1975, n° 74-13.256.

45. Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-16.197 : JurisData n° 2001-008646. –Contra, Cass. com., 22 nov. 2005, n° 03-19.860.

46. Cass. com., 18 févr. 2014, n° 12-29.752 : JurisData n° 2014-002810.

47. CA Versailles, 12e ch., 29 mars 2007 : Bull. Joly Sociétés 2007, p. 973. – Cass.com., 14 mai 2013, n° 11-22.845 : JurisData n° 2013-009387. – Cass. com.,

30 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 15: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

4° Dans la formation des contrats et la conduite despourparlers

En matière de rupture des pourparlers précontractuels,c’est-à-dire à un moment où le contrat ne s’applique pasencore, on sait que la jurisprudence sanctionne une série decomportements qu’elle qualifie de déloyaux.On se contenteraici de souligner que le rattachement parfois opéré de ce devoirde loyauté à la sphère contractuelle, et plus précisément àl’obligation (anticipée) de se comporter « de bonne foi »conformément à l’article 1134 du Code civil, ne nous semblepas pertinent.

Ce rattachement fait d’ailleurs l’objet de vives discussionsen doctrine et d’une confusion en jurisprudence : les juridic-tions prononcent des condamnations parfois sur le fondementdes articles 1134 et suivants mais le plus souvent sur le fonde-ment de l’article 1382 – ce qui nous paraît beaucoup plusjuste 48.

En matière de formation des contrats et d’obligationd’information précontractuelle, la jurisprudence se fonde surl’article 1382 du Code civil pour condamner les vendeursn’ayant pas rempli leur obligation précontractuelle de rensei-gnement au paiement de dommages-intérêts. « L’obligationde contracter de bonne foi » est sanctionnée sur le fondementde l’article 1382 du Code civil 49. Ce qui montre que l’obliga-tion d’agir loyalement constitue une norme générale de com-portement qui n’est pas limitée au champ contractuel.

La réforme en cours du droit des contrats nous semblemaintenir une forme de confusion, puisque d’un côté, elleindique que les contrats doivent être formés de bonne foi (C.civ., art. 1103) et d’un autre, elle qualifie « d’extracontrac-tuelle » la responsabilité de celui qui a manqué à son devoird’information précontractuelle (C. civ., art. 1129).

B. - L’existence d’un devoir de loyauté en dehors desquatre domaines précités

De nombreux arrêts jugent fautives, sur un fondementdélictuel (C. civ., art. 1382) de nombreuses manifestations dela déloyauté, telles que les mensonges et en particulier, lesmanœuvres dolosives, la fraude,ou la simple rétentiond’infor-mation, lorsqu’elles sont destinées à provoquer ou à faciliter laconclusion d’une convention ou l’obtention d’un consente-ment à des relations 50.

De même, la jurisprudence fonde sur l’obligation deloyauté :

– la condamnation des agents économiques qui portentatteinte à la réputation d’autrui, à son crédit, à sa notoriété endiffusant sciemment des informations inexactes à son sujet 51 ;ou,

– la condamnation d’un propriétaire de véhicule automo-bile qui a dissimulé une réparation défectueuse effectuée parlui sur son véhicule ayant été à l’origine d’un accident 52 ; ouencore,

– l’existence d’un devoir d’objectivité d’un historien 53.Dans le domaine des relations collectives de travail, en

matière électorale, plusieurs décisions sont venues imposerune obligation de loyauté dans l’organisation et le contrôle desélections 54.

De même encore, la jurisprudence sanctionne ceux quiutilisent leur influence ou leurs relations pour favoriser leursintérêts particuliers au détriment d’autrui, alors qu’ils étaient,de par leur position, tenus à l’impartialité ou obligés de servirles intérêts qu’ils ont trahis 55.

La jurisprudence sur le dol a également évolué : alors qu’elleexigeait autrefois la démonstration d’une intention de trom-per, elle se contente aujourd’hui d’une violation plus objective,par le vendeur, d’une obligation précontractuelle d’informa-tion, laquelle est une manifestation de l’obligation qui lui estfaite d’adopter un comportement loyal, dont le non-respectengage sa responsabilité 56.

Se rattache encore à un devoir de loyauté d’ordre délictuel,la jurisprudence qui transforme une obligation naturelle enobligation juridique : en l’espèce, les déclarations faites par ungérant de société devant les services de police 57.

La jurisprudence a de même transformé en un engagementproduisant un effet juridique, un engagement pourtantexpressément qualifié par les parties d’engagement moral. Cequi constitue à notre sens une manifestation des effets d’undevoir de loyauté par hypothèse non rattaché à la sphèrecontractuelle 58.

La diversité et lamultiplicité des hypothèses dans lesquelles,en dehors de la sphère contractuelle, la jurisprudence crée, à lacharge des acteurs économiques, une obligation de se compor-ter de façon loyale, c’est-à-dire un devoir de loyauté, confir-ment que celui-ci constitue une norme générale decomportement.

11 mars 2014, n° 12-12.074 : JurisData n° 2014-004400. – Cass. com., 8 avr.2014, n° 13-11.650 : JurisData n° 2014-007020. – Cass. com., 25 nov. 2014,n° 13-21.460 : JurisData n° 2014-028914. – Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-27.967 : JurisData n° 2015-009969. – Cass. com., 3 mars 2015, n° 14-12.036 :JurisData n° 2015-004181.

48. V. D. Mazeaud, La bonne foi en arrière toute ?, in D. 2006, p. 761. – Sur lajurisprudence majoritaire se référant à l’article 1382, V. Rép. civ. Dalloz, V°La bonne foi, 4 et 68.

49. JCl. Contrats Distribution, Fasc. 20. – Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 01-13.018 : JurisData n° 2005-027571.

50. V. G. Viney, Traité de droit civil, in J. Ghestin (ss dir.), Les obligations, Laresponsabilité : conditions : LGDJ, 1982, n° 474.

51. Par exemple, Cass. 2e civ., 2 juill. 1975 : JCP G 1975, IV, 276 citée par H. LeNabasque in RTD com. 1999, p. 273, n° 4.

52. Cass. 1re civ., 12 oct. 1976 : D. 1977, p. 30.

53. Cass. civ., 27 févr. 1951 : D. 1951, p. 329, note H. Desbois ; S. 1951, 1, p. 158 ;JCP G 1951, II, 6193, note J. Mihura ; Gaz. Pal. 1951, 1, p. 230, concl. avocatgénéral Rey.

54. V. F. Petit, La loyauté dans le dialogue social, in F. Petit (ss dir.), Droit etloyauté : Dalloz, 2015.

55. V.G. Viney, Traité de droit civil, préc.

56. V. Rép. civ. Dalloz, V° La bonne foi, 4 et 68.

57. Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 11-20.124 : JurisData n° 2012-023255 ;D. 2013, p. 411, note Pignarre, étant précisé que de façon étrange la décisiona été rendue au visa de l’article 1134 du Code civil.

58. Cass. com., 23 janv. 2007, n° 05-13.189 : JurisData n° 2007-037051 ; D. 2007,p. 442 ; RTD civ. 2007, p. 340.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 31

Page 16: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Doctrine et « Soft Law »

5 POSITIONDELADOCTRINEETPRÉSENCEDANSLA « SOFTLAW »

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

Il est inhabituel et même peut-être iconoclaste de traiter ensemble de la position de ladoctrine et de la « Soft Law ». Cependant, doctrine et « Soft Law » ont en commun den’être que des sources indirectes du droit positif, qui modifient les comportementspar l’adhésion. Concernant l’émergence généralisée d’un devoir de loyauté dans la

sphère délictuelle, la doctrine dominante est assez discrète, alors que la « Soft Law » est enpointe. L’une et l’autre témoignent néanmoins de cette émergence.

1. Position de la doctrine sur l’applicationtransversale du devoir de loyauté

De façon récente, le caractère général du devoir de loyauté(couvrant les domaines contractuel mais aussi délictuel)semble être de plus en plus couramment admis en doctrine.

L’ouvrage Traité de droit civil 1 sur les conditions de laresponsabilité indique que, parmi les devoirs dont le non-respect entraîne la responsabilité, figurent : “bonne foi,loyauté, honnêteté”.Dans les exemples cités par ses auteurs, onrelève d’abord des manœuvres ou rétentions d’informationsdestinées à provoquer ou faciliter la conclusion d’un contratou d’un acte juridique,mais aussi, des hypothèses nombreusesqui n’ont rien à voir avec la sphère contractuelle.

Les participants au colloque consacré en 1999 au devoir deloyauté ont constaté « le foisonnement des applications dudevoir de loyauté dans le droit des affaires », en soulignant qu’ils’agissait d’un phénomène récent, datant d’une vingtained’années. Le Professeur Rives-Lange a relevé, en synthèse de cecolloque, que le devoir de loyauté s’appliquait tant dans ledomaine contractuel que dans le domaine délictuel 2.

Monsieur le Professeur Laurent Aynès a écrit, à l’occasiondu colloque consacré en 2012 à la loyauté et l’impartialité en

droit des affaires, que « (...) la responsabilité dans sa fonctionréparatrice (...) est délictuelle, car le devoir de loyauté est undevoir de comportement général de tout citoyen » 3.

Monsieur le Professeur Stoffel-Munck souligne, lorsqu’ilévoque la loyauté que « par essence, elle appartient à la sphèredes délits » 4.

Monsieur le Professeur Philippe Letourneau indique quantà lui que la bonne foi « est plutôt un devoir général de conduiterelevant avant tout de l’article 1382 du Code civil (...) peuimporte dès lors qu’il existe ou non un contrat, la bonne foiimpose à chacun certains comportements. Elle est une règle decivilité qui gouverne l’honnêteté « in » comme « ex »contractu. Le contrat n’est pas le support de la bonne foi maisseulement un champ d’application 5 (...) ».

PourMonsieurMauriceNussenbaum la « notionde loyautéa un champ d’application très vaste, à la fois contractuel etextracontractuel » 6.

1. V. J. Ghestin, P. Jourdain, G. Viney, Traité de droit civil, in J. Ghestin (ss dir.),Les conditions de la responsabilité : LGDJ, 4e éd., 2013, n° 474, p. 492 et s.

2. V.Gaz. Pal. 2000, 2, doctr. p. 2167.

3. V.Gaz. Pal. 23-24 mai 2012, p. 1899.

4. V.RDC 2004, p. 637, note ss Cass. 3e civ., 5 nov. 2003, n° 01-17.530 : Bull. civ.2003, III, n° 189.

5. V. Rép. civ. Dalloz, V° La bonne foi, 15.

6. V. L’analyse économique de la loyauté et des mécanismes des réparations de ladéloyauté : Gaz. Pal. 23-24 mai 2012, p. 1849.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

32 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 17: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

2. Présence du devoir de loyauté dans la« Soft Law »

Le recours de plus en plus marqué au devoir de loyautéconstitue une forme de réponse, au plan juridique, à l’évolu-tion économique de nos sociétés développées.La (re)naissancedu devoir de loyauté traduit donc une adaptation du droit auxbesoins de la société.

De façon assez compréhensible, la place que tient le devoirde loyauté dans les sources du droit qui sont indicatives, incita-tives, ou qui constituent des normes générales de comporte-ment (souvent professionnelles) 7 est importante.

Cette importancen’est pas fortuite.Ces sources sont en effetle fruit de la réflexion des organismes qui les ont édictées.Et,defait, une telle réflexion conduit souvent à faire du devoir deloyauté, c’est-à-dire d’un comportement loyal, une référenceou une exigence 8.

L’exigence de loyauté, traduite par un devoir de loyauté,constitue ainsi une référence que l’on trouve aussi bien dans lesrègles déontologiques des professions réglementées (A) quedans les codes de bonne conduite adoptés par les organisationsprofessionnelles (B) ou encore dans les chartes et autres codeséthiques des entreprises (C).

A. - Les professions réglementées

La plupart des professions réglementées sont dotées d’uncode de déontologie qui contient une exigence de comporte-ment loyal.

Les avocats. – Ils doivent respecter dans l’exercice de leurfonction « le principe de loyauté ». En outre ils sont astreints àdes règles strictes de conflits d’intérêts 9.

Les notaires. – Ils doivent accomplir leur mission « avecloyauté et probité » 10.

Les experts-comptables. – Ils ne doivent pas porter atteinteà « la loyauté » envers les clients et les autres membres de laprofession. 11.

Les médecins. – Ils doivent à la personne qu’ils examinent,qu’ils soignent ou qu’ils conseillent « une information loyale

(...) sur son état, les investigations et les soins qu’ils lui pro-posent » 12.

B. - Les organisations professionnelles

De nombreuses organisations professionnelles ont édictédes codes de conduite ou des codes de déontologie qui fontobligation à leurs membres d’avoir un comportement loyal.

L’Afep et le Medef. – Ils ont édicté un code de gouverne-ment d’entreprise des sociétés cotées qui contient une section« déontologie de l’administrateur ». Celle-ci, recommande àtout administrateur de sociétés cotées de « faire part au conseilde toute situation de conflits d’intérêts même potentiel » et,s’agissant des informations non publiques acquises dans lecadre de ses fonctions, de « se considérer astreint à un véritablesecret professionnel qui dépasse la simple obligation de discré-tion prévue par les textes ».Deux exigences requises au titre dela loyauté.

Les professionnels du capital investissement. – Ils doiventen vertu de leurs codes de déontologie, se comporter en toutecirconstance avec loyauté 13.

Lesprofessionnels de lapublicité.– Ils sont soumis au codeICC consolidé, qui requiert que la communication commer-ciale soit conçue de manière « à ne pas abuser de la confiancedes consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expé-rience ou de connaissance des consommateurs » c’est-à-direde façon loyale. Le même code indique d’ailleurs que la com-munication commerciale contenant une comparaison doitrespecter « les principes de la concurrence loyale 14 ».

Les cadres dirigeants. – Ils peuvent adhérer à une charte dedéontologie des dirigeants salariés, qui fait obligation à sesmembres de respecter « une obligation de loyauté vis-à-vis del’entreprise qui l’a choisie » et « réciproquement » et met enavant « les valeurs de loyauté de ses adhérents » 15.

La police nationale et la gendarmerie nationale. – Elles sesont dotées d’un code de déontologie : celui-ci véhicule desvaleurs morales telles que la loyauté, la probité, l’impartialitéou bien encore l’indépendance 16.

La profession bancaire et financière. – Elle a été, depuisplusieurs décennies, à l’origine de codes de bonne conduite oude bonne pratique professionnelle. Ainsi, après une premièreémergence de la notion de déontologie dans le domaine bour-sier, la profession bancaire s’est dotée d’une charte des servicesbancaires du 9 juin 1992, d’une charte des conventions decompte de dépôt du 9 janvier 2003, d’une charte du service demédiation en novembre 2003.Divers engagements ont été prispar la profession dans le cadre du Comité consultatif du sec-teur financier. Jusqu’en 2008, les règles que la profession s’étaitdonnées étaient dépourvues de force contraignante. L’ordon-

7. La « Soft Law » regroupe l’ensemble des instruments répondant à troisconditions cumulatives :– ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leursdestinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion ;– ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leursdestinataires ;– ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré deformalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit.V. Étude annuelle 2013 du Conseil d’État. Le droit souple : Doc. fr., mai 2013.

8. Certaines normes déontologiques ont un caractère obligatoire, sanction-nées sur le plan disciplinaire : c’est le cas notamment pour les professionsréglementées. Cependant, le non-respect d’une norme déontologique, neconstitue pas en jurisprudence, par lui-même, une faute génératrice deresponsabilité civile, dès lors qu’elle peut ne pas avoir créé de dommage, V.Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19.356 : JurisData n° 2013-018905.

9. V.CNB, règlement Intérieur National de la profession d’avocat, art. 1.3 et 4.1.

10. V. CSN, règlement national et inter-cours, art. 2.

11. V. D. n° 2012-432, 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertisecomptable, art. 152 : JO 31 mars 2012, p. 5864.

12. V. Code de déontologie médical, art. 35 : éd. nov. 2012.

13. V.AFG et AFIC, règlement de déontologie des sociétés de gestion de portefeuilleintervenant dans le capital investissement, avr. 2013.

14. V. ICC, code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communicationcommerciale, 2011.

15. V. FNCD, charte de déontologie des dirigeants associés, préambule et art. 1.

16. V.Code de déontologie de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale,janv. 2014 : JCP A 2015, 2085, A. Jeannot.

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 33

Page 18: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

nance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008 17 a autorisé leministre chargé de l’Économie à homologuer les codes debonne conduite élaborés dans les conditions de ce texte pourleur donner une force obligatoire.Demême, enmatière finan-cière, l’article 314-2 du règlement général de l’AMF a instauréune procédure d’approbation des codes de bonne conduite parl’autorité de régulation, ayant des incidences sur leur forceobligatoire 18.

C. - Les entreprisesDe nombreuses entreprises se sont individuellement dotées

de chartes dedéontologie,de codesdedéontologie,oude codes

d’éthique qui contiennent des références à un devoir deloyauté.

La plupart des sociétés du CAC 40 l’ont fait. À titred’exemple, on peut citer la charte éthique votée par le conseild’administration de GDF Suez devenue ENGIE le10 novembre 2009. Celle-ci exprime le fait que les valeursnotamment de loyauté et d’honnêteté qu’elle met en avants’appliquent « non seulement à la relation de GDF Suez avecses clients actionnaires, investisseurs, fournisseurs ou encoreavec les organisationsnongouvernementales et le grandpublicmais aussi à la communication interne du groupe, avec descollaborateurs, entre services ou avec les partenaires sociaux ».

17. Ord. n° 2008-1271, 5 déc. 2008 : JO 6 déc. 2008, p. 18612.

18. V. J. Lassere-Capdeville, Codes de conduite et bonnes pratiques profession-nelles : substituts à une morale individuelle et source de droit bancaire auxmains des banques : RD bancaire et fin. 2014, dossier 21.

34 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 19: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Spécificités

6 SPÉCIFICITÉSDUDEVOIRDELOYAUTÉArticle rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

D u fait de sa présence généralisée dans toutes les sources de notre droit, le devoirde loyauté a vocation à constituer unenorme comportementale générale.Ce quijustifie que l’on s’efforce d’en déterminer les premiers contours.

On examinera ses caractéristiques (1), les obligations endécoulant (2) et son régime (3).

1. Les caractéristiques du devoir deloyauté

A. - Un devoir général

La généralité du devoir de loyauté nous paraît établie. Ilnous semble qu’il constitue une norme générale de comporte-ment, au même titre que l’obligation de prudence ou l’obliga-tion de diligence qui caractérise traditionnellement lecomportement attendu en société 1. Il est, pour reprendrel’expression de certains auteurs,une « normede civilité » 2, quis’applique de façon générale, tant dans le domaine contractuelqu’extracontractuel.

B. - Un devoir d’une intensité variable

Selon les situations de fait et de droit dont la variété estinfinie, l’intensité du devoir de loyauté nous semble connaîtredes variations.

Compte tenu du lien que nous avons établi entre laconfiance légitime et le devoir de loyauté, l’intensité de cedevoir nous semble logiquement varier en fonction du degréde confiance légitime qui est susceptible d’être pris en compte,de façon variable, d’une situation à l’autre.

Ainsi, lors d’une rencontre fortuite entre deux personnesn’ayant aucune relation préexistante, le devoir de loyauté estdéjà présent, mais leur confiance légitime est d’une faibleintensité. À l’autre bout du spectre, lorsqu’une personne a été

investie de responsabilités importantes –d’une confiance légi-time forte– elle est soumise à un devoir de loyauté d’unegrande intensité.

Autrement dit, une confiance légitime minimale, entraî-nant un devoir de loyautéminimal, nous semble devoir existerentre deux personnes n’ayant jamais eu de relations préexis-tantes.À l’inverse, un degré de confiance légitime élevé et doncun devoir de loyauté fort, nous semble exister entre deuxpersonnes ayant des relations intenses reposant, précisément,sur la confiance.

Le devoir de loyauté le plus léger se manifesterait à l’occa-sion d’une rencontre fortuite entre deux personnes n’ayantjamais eu de relations préexistantes. C’est souvent le cas endehors du domaine du droit des affaires. Et les exemplesdonnés par Madame Geneviève Viney dans son Traité de droitcivil, en fournissent de bonnes illustrations : il peut s’agir desituations dans lesquelles des faveurs intimes ont été obtenuessur le fondement de promesses illusoires,oude reconnaissancede paternité déniée dans des conditions fautives 3.

Dans le domaine contractuel « ordinaire », le devoir deloyauté, – appelé comme on l’a vu ci-dessus « bonne foi » –, aune intensité plus forte. On sait qu’il se double alors d’undevoir de coopération. En outre, il est légitime, dans un cadrecontractuel, de tenir compte de l’objectif poursuivi par lesparties, des investissements réalisés par elles, des élémentsextrinsèques du contrat, afin que le devoir de loyauté soitadapté à la confiance légitimeplacéepar chacundes cocontrac-tants dans le comportement de son partenaire contractuel. Lecontrat a été qualifié de « microcosme », il constitue une formede « micro-société » dans laquelle les parties ont en principe1. V.Rép. civ. Dalloz, V° La bonne foi, 4 et 68, qui évoque, s’agissant de la bonne

foi « (...) le comportement (...) d’un bon père de famille, un bon contrac-tant ».

2. V. Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat, essai d’une théorie : LGDJ, 2000,n° 114.

3. V. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, J. Ghestin (ss dir.), Traité de droit civil :Les conditions de la responsabilité : LGDJ, 2013, 4 éd., n° 20.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 35

Page 20: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

unbut commun.Au seinde cette « micro-société », le devoir deloyauté se trouve légitimement renforcé 4.

Dans certaines situations contractuelles spécifiques, ledevoir de loyauté se trouve encore renforcé. Tel est le cas, parexemple, lorsque l’un des contractants est un professionnel.Celui-ci détient en effet un savoir et le déséquilibre entre lesconnaissances respectives des parties oblige le non profession-nel à s’en remettre au professionnel qu’il investit de saconfiance, de façon légitime, d’où une exigence de loyautérenforcée. Il en va ainsi de façon générale, pour tous lescontrats conclus entre des consommateurs et des profession-nels.Ce qui explique le renforcement légal dudevoir de loyautéen la matière. Tel est le cas aussi, et plus encore, de certainsprofessionnels et notamment les professionnels libéraux, telsque les avocats, les notaires, les experts-comptables, les méde-cins, les architectes, etc., qui détiennent souvent un savoirexclusif. D’où la présence très forte et ancienne, dans leurscodes de déontologie respectifs, du devoir de loyauté. Ainsiencore pour les professionnels dont lemétier consiste à détenirdes informations privilégiées ou à les diffuser, qui noussemblent être soumis, par nature, à un devoir de loyautérenforcé. En particulier, on peut penser aux administrateursoumandataires judiciaires ou encore auxmembres des profes-sions publicitaires. Ce qui explique, là encore, l’ancienneté etl’importance donnée à la loyauté dans leurs codes de déontolo-gie respectifs.

Viennent enfin ceux qui détiennent un pouvoir ou qui sontinvestis d’une mission spécifique reposant sur la confiance.Dans cette catégorie, lesmandataires spéciaux, les parents et lesdirigeants d’entreprise. Tous ceux-ci ont une responsabilité« fiduciaire » à l’égard de ceux qui les ont mandatés. Ils setrouvent de façon récurrente dans les situations de conflitsd’intérêts. Ils doivent arbitrer, le plus souvent, entre leur intérêtpersonnel et les intérêts dont ils ont été investis par ou pour lecompte de tiers. Il est légitime de faire peser sur eux un devoirde loyauté intense.

La jurisprudence en matière d’obligation d’informationmise à la charge de l’acquéreur de titres de sociétés nous sembleconstituer une bonne illustration de la variabilité de l’intensitédudevoir de loyauté (dontdécoule l’obligationd’information)en fonction de la plus ou moins grande confiance légitimeplacée par le vendeur en la personne de l’acquéreur.

En effet, alors que l’acquéreur ordinaire n’est pas tenu derévéler à son vendeur la vraie valeur du bien qu’il entendacquérir 5, à l’inverse, l’acquéreur dirigeant social d’unesociété, est lui, dans l’obligation d’informer le vendeur de lavraie valeur des titres qu’il entend acheter : par exemple, de

l’informer de négociations existant par ailleurs, des perspec-tives d’introduction en bourse de la société cédée, etc. 6.

À cet égard, l’instance ayant donné lieu à l’arrêt de la Courde cassation du 12 mai 2004 est révélatrice, l’acquéreur nondirigeant n’ayant pas été tenu pour responsable, alors quel’acquéreur dirigeant l’a été 7.

De façon similaire, dans un arrêt de la Cour de cassation du15 novembre 2011 8, un associé et un gérant de SARL,poursui-vis pour avoir fait concurrence à la société dont ils étaientrespectivement l’associé et le gérant ont été traités différem-ment, l’associé ayant été exonéré de toute obligation de non-concurrence alors que le gérant a été considéré comme tenupar une telle obligation.

Notre droit ne contient pas de théorie générale des conflitsd’intérêts.Néanmoins, l’identification, la prévention et le trai-tement de ceux-ci constituent des questions endéveloppementdepuis quelques années,dansdenombreuxdomaines dudroit.

Les conflits d’intérêts sont des situations critiques au regarddu devoir de loyauté.

Leur identification dépend d’abord de la réaction de l’agentéconomique qui s’y trouve confronté, qui dépend elle-mêmede ses valeurs morales et de son éthique personnelle. Si sesexigences morales sont élevées, il y sera sensible et veillera à lesprévenir ou à sortir de la zone de danger qu’il aura identifiée. Sises exigences morales sont réduites, il ne percevra pas l’exis-tence du conflit, le niera et/ou se prétendra capable d’assumerla situation de conflit au mieux des intérêts contradictoires enprésence.

Afin de réduire les risques liés aux conflits d’intérêts et desécuriser les tiers qui s’y trouvent exposés, on constate unmouvement général, –doctrine, loi, jurisprudence, codes– s’yintéressant. On constate aussi, afin de les prévenir et de lestraiter, une coexistence d’une approche découlant du droitcommun et de la mise en place de dispositifs spéciaux 9.

C. - Un devoir exempt de la recherche d’un intérêtpersonnel

Il nous semble que la recherche d’un intérêt personnel n’estpas une caractéristique dumanquement au devoir de loyauté.

En effet, la déloyauté peut semanifester dans des hypothèsesoù celui qui manque au devoir de loyauté est animé par lavengeance, par l’intention de nuire ou toute autre motivationqui n’implique pas la poursuite d’intérêts financiers person-nels.

Cependant, certains auteurs ont considéré, s’agissant dudevoir de loyauté des dirigeants, qu’il était nécessaire, pourqu’il y ait responsabilité, que ceux-ci tirent un avantage per-sonnel de leur déloyauté, de leur silence notamment. À

4. V. A. Benabent, La bonne foi dans l’exécution du contrat. Rapport français inLa bonne foi. Travaux de l’Association Henri Capitant, t. XLIII : Litec, 1994,n° 15, p. 293, qui évoque « un lieu civilisé, c’est-à-dire régi par unminimumde respect mutuel entre les contractants ». – V. aussi,R. Demogue, Traité desobligations en général, t. 3 : Librairies Arthur Rousseau, 1923, p. 9.

5. Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11.381 : JurisData n° 2000-001683. – Cass.3e civ., 17 janv. 2007, n° 06-10.442 : JurisData n° 2007-037041.

6. V. D. Mazeaud, Le silence de l’acquéreur sur la valeur du bien vendu : RDC2010, p. 811, note ss Cass. 1re civ., 25 mars 2010, n° 08-13.060 : JurisDatan° 2010-002590.

7. Cass. 3e civ., 12 mai 2004, n° 00-15.618 : JurisData n° 2004-023739.

8. Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15.049 : JurisData n° 2011-025126.

9. V. D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme : Joly Éditions,2004. – J. Moret-Bailly, Définir les conflits d’intérêts : D. 2011, p. 1100. –B. Dondero, Le traitement juridique des conflits d’intérêts : entre droit com-mun et dispositifs spéciaux : D. 2012, p. 1686, n° 26.

36 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 21: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

l’inverse, si les dirigeants ne tiraient aucun profit ou avantagepersonnel de l’opération, ils n’engageraient pas leur responsa-bilité marquée par la déloyauté 10.

D. - Un acte intentionnel

Le devoir de loyauté, tout comme lemanquement au devoirde loyauté, est nécessairement intentionnel. La loyauté, c’estd’abord une disposition psychologique, un état d’espritconscient. Il ne semble pas qu’il puisse y avoir demanquementau devoir de loyauté se réalisant de façon inconsciente.

2. Les obligations découlant du devoir deloyautéQuelles sont les obligations de faire ou de ne pas faire qui

découlent concrètement du devoir de loyauté ? Nous pouvonsen évoquer certaines.

Un devoir d’information. – Celui-ci connaît de multiplesillustrations : devoir d’informationprécontractuel général auxtermes des lois et jurisprudences récentes et amplifié par laréforme en cours ; devoir d’information légal et jurispruden-tiel spécifique dans le domaine du droit des sociétés ; devoird’information contractuel, dont la jurisprudence assure làencore, le développement 11 ; devoir d’information spécifiquesur les conflits d’intérêts, permettant leur identification puisleur prévention et leur traitement.

Un devoir de respect de la parole donnée et des engage-

ments unilatéraux. – On a vu à cet égard, l’émergence d’unejurisprudence qui donne aux engagements unilatéraux uneforce accrue, en leur conférant un caractère contractuel.

Undevoir de cohérence. – Il découle dudevoir de loyauté. Ila déjà été identifié, en doctrine et en jurisprudence, dans ledomaine processuel et enmatière contractuelle 12.

Un devoir de coopération. – Ce devoir a déjà été identifié,par la jurisprudence, dans le domaine contractuel 13.

Un devoir de respect des intérêts particuliers d’autrui. –C’est la conséquence de la confiance légitime investie danscertaines situations particulières. Le devoir d’impartialité dujuge ou de l’arbitre, le devoir de loyauté renforcé à l’intérieurdu champ contractuel (se manifestant par exemple par undevoir de renégocier le contrat, ou deminimiser un dommage,etc.) nous paraissent en découler et constituer des applicationsde ce devoir 14.

Des devoirs d’abstention. – Le devoir de loyauté se traduitsouvent par les obligations de ne pas faire. On peut citer enparticulier, les obligations de non-concurrence, de non-détournement (de biens, de pouvoir, d’information, d’attribu-tion), de non-brutalité, de non-exercice d’un droit, de non-abus (abus de position dominante, abus de droit), de non-fraude.

3. Le régime du devoir de loyauté

S’il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude approfondieportant sur le régime juridique du devoir de loyauté, il existe àl’inverse de nombreuses études consacrées à la bonne foi.

Or il est légitime de s’inspirer du régime de la seconde pourtenter de fixer les éléments du régime du premier.En effet, il y aà cela deux raisons aumoins :

– tout d’abord, il y a une proximité entre les deux notions,puisque l’on a notamment relevé que la bonne foi n’est quel’appellation donnée au devoir de loyauté dans le domainecontractuel et que de nombreux auteurs, comme souvent lajurisprudence, considèrent les deux notions comme équiva-lentes ;

– ensuite, les deuxnotions ont ceci en communqu’elles sontd’inspiration morale. Elles constituent l’un des principauxpoints d’entrée de lamorale dans notre droit.Avec pour consé-quence,dès lors qu’elles entrent dans le droit,de constituer unenorme de comportement exigeante, appelant un respectrigoureux.

A. - Le devoir de loyauté : principe général du droit,notion d’ordre public

Le devoir de loyauté est d’ordre public : il ne peut y êtredérogé. Cette caractéristique tient à sa nature. On considèreque dans le domaine contractuel, la bonne foi a la nature d’unerègle d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé. C’estd’ailleurs la raison pour laquelle elle prévaut sur des disposi-tions contractuelles explicites : parfois pour en empêcherl’application ou à l’inverse pour en permettre une applicationau-delà des termes contractuels 15.

Le caractère d’ordre public du devoir de loyauté a étéreconnu à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Ainsi,dans un arrêt de la première chambre civile du 15 mars 2005, lemanquement du dirigeant « à son obligation de contracter debonne foi », sanctionné sous le visa de l’article 1382 du Codecivil, a été pris en compte par la Cour alors que les dispositionsspécifiques du contrat de cession auraient dû écarter la prise encompte de la survenance du passif apparu, en l’occurrence,postérieurement à ladite cession 16.

De même, à l’occasion d’une instance récente, la Cour decassation a eu l’occasion de faire prévaloir le devoir de loyautéd’un dirigeant sur une convention signée par celui-ci, enl’occurrence une convention instaurant à sa charge une obliga-tion de confidentialité. L’obligation souscrite par le dirigeantn’a pas été considérée par la Cour suprême comme pouvantjustifier une dérogation au devoir de loyauté pesant sur lui ;qu’elle a fait prévaloir sur cette obligation 17.

10. V. H. Le Nabasque, Le développement du devoir de loyauté en droit dessociétés : RTD com. 1999, p. 273.

11. Sur le corollaire de l’obligation de coopération,V. JCl. Civil Code, Art. 1134-1135, Fasc. unique.

12. V. à cet égard notamment, D. Houtcieff, Le principe de cohérence en matièrecontractuelle : PUAM, 2001.

13. V. JCl. Civil Code, Art. 1134-1135, préc.

14. V.Gaz. Pal. 23-24 mai 2012, p. 1820.

15. V. B. Lefebvre, La bonne foi : notion protéiforme : RDUS, 1996, p. 321. – V.aussi, JCl. Civil Code, Art. 1134-1135, préc.

16. Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 01-13.018 : JurisData n° 2005-027571, cité inJ. Mestre, Une véritable protection d’ordre public des consentements lors descessions de contrôle de sociétés : Lamy Droit civil 2005, 20.

17. Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11.970 : JurisData n° 2013-004378.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 37

Page 22: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Le devoir de loyauté, comme la bonne foi, est un principecorrecteur. Il a aussi un effet perturbateur. Il peut conduire àécarter une autre règle qui aurait vocation à s’appliquer 18.

Le devoir de loyauté est à notre sens, à l’origine des (ou demême nature que les) règles protectrices du consentement–dol, obligation pré-contractuelle d’information–. Or cesrègles sont d’ordre public.Les parties ne peuvent s’en exonérer.

De même, il nous semble impossible pour un plaideurcherchant à éviter une mise en cause de sa responsabilité de sejustifier en invoquant sa propre déloyauté.

De même encore, les parties à un contrat ne peuvent pré-tendre ignorer l’existence d’une obligation de se comporter defaçon loyale.

Ainsi, a été rejetée l’action d’un plaideur qui entendaitengager la responsabilité de son cocontractant pour ne pasl’avoir informé ni attiré son attention sur les conséquencesd’une fausse déclaration dans un questionnaire de santé, enmatière d’assurance. Pour la Cour de cassation, l’obligation derépondre avec loyauté et sincérité aux questions posées parl’assureur relèvent d’une obligation de bonne foi qui s’imposeenmatière contractuelle et que nul ne peut ignorer 19.

Deux co-contractants pourraient-ils, en pleine connais-sance de cause, convenir de s’exonérer d’une exécution loyalede leur convention ? Même si le doute est permis, nous ne lepensons pas.

La bonne foi a été considérée comme constituant un prin-cipe général du droit. Ceci à cause de l’universalité et de lagénéralité de la norme de comportement qu’elle édicte 20. Il enest demême, selon nous, du devoir de loyauté.

B. - Nature des obligations résultant du devoir deloyauté

Il s’agit à notre sens non pas d’une obligation de moyens,mais bien d’une obligation de résultat. Un auteur l’a qualifiéed’obligation de résultat « allégée », dans lamesure où la preuvede l’accomplissement de diligences adéquates permet de s’enexonérer 21.

À cet égard, un arrêt de la Cour de cassation du28 novembre 2006 est révélateur et intéressant. En effet, dansles faits alors soumis à la Cour de cassation, un dirigeant a étéconsidéré comme ayant rempli les obligations résultant de sondevoir de loyauté à l’égard des associés auprès desquels il avaitacquis des titres, parce qu’il avait respecté les dispositionsspécifiques d’information et de transparence vis-à-vis del’ensemble desdits associés 22.

L’existence du devoir de loyauté peut être de nature à inver-ser la charge de la preuve. Comme en matière de bonne foi.

Concernant cette dernière, si la bonne foi est en principeprésumée, il a en effet été écrit que : « Certains comportementssont jugés contraires à la bonne foi, car ils ne correspondentpas au “comportement modèle” objectivement considérécomme l’exprimant. Il ne s’agit pas de prouver la mauvaise foimais de sanctionner celui qui n’a pas montré une suffisantebonne foi ou loyauté.Non seulement le fardeaude la preuve estréparti différemmentmais son objet même à évolué » 23.

Il pourrait y avoir, demême,une présomption de loyauté deprincipe, mais aussi une recherche objective d’un comporte-ment conforme ou non aux exigences de la loyauté.

C. - Gravité des manquements au devoir de loyauté

Au regard de la classification classique des fautes selon leurgravité – faute légère, faute grave ou faute lourde – lesmanque-ments au devoir de loyauté, se situent entre la faute grave et lafaute lourde. Ainsi, en matière sociale, la jurisprudence consi-dère que le manquement des salariés à leur devoir de loyauté àl’égard de leur employeur, doit être qualifié de faute lourde 24.

Dans d’autres hypothèses, d’autres situations contrac-tuelles,desmanquements audevoir de loyauté ont été considé-rées comme des fautes graves 25.

La gravité de ces manquements, qui découle du fait que ledevoir de loyauté est un devoir de droiture et d’honnêteté,explique d’ailleurs qu’ils puissent recevoir une qualificationpénale.

D. - La sanction des manquements au devoir deloyauté

De lamêmemanière que le devoir de loyauté peut connaîtreune intensité variable, les manquements à ce devoir peuvent,selon leurs modalités, être d’une gravité plus ou moins forte.Ainsi, dans l’ordre décroissant :

– les manquements avérés à l’honnêteté : les comporte-ments malhonnêtes se traduisent par la commission d’infrac-tions pénales, sanctionnées à ce titre ;

– la fraude, la tromperie ou les manœuvres dolosives quipeuvent aboutir à la nullité des actes en résultant ;

– l’abus dans l’exercice d’un droit, avec pour conséquencel’inefficacité ou la neutralisation de ce droit ;

– les « simples » manquements aux normes de comporte-ment qui découlent du devoir de loyauté (devoir de cohérence,devoir d’information, devoir de respect de la confiance inves-tie, devoir d’abstention), avec pour conséquence l’allocationde dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 duCode civil.

On soulignera ici que le devoir de loyauté impliquant, danscertaines situations, une action positive, telles que donner uneinformation, collaborer ou renégocier, une simple abstention,un silence, une réticence ou un refus peuvent, à l’inverse,constituer des manquements à ce devoir.

18. V. Ch. Jarrosson, La bonne foi, instrument de moralisation des relationséconomiques internationales, in L’éthique dans les relations économiquesinternationales : Pedone, Paris, 2006, p. 185.

19. Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 97-18.737 : JurisData n° 2000-001220, « Nulcontractant ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pasinformé l’autre partie de l’obligation de bonne foi qui s’impose en matièrecontractuelle ».

20. V. Ch. Jarrosson, préc.

21. Cass. com., 28 nov. 2006, n° 04-19.802 : Rev. sociétés 2007, p. 519, noteLaurent Godon.

22. Ibid.

23. V. Ch. Jarrosson, préc.

24. Cass. soc., 27 févr. 2013, n° 11-28.481. – Cass. soc., 15 déc. 2011, n° 10-21.926 : JurisData n° 2011-028472.

25. Ainsi, pour un dirigeant social, V.CAVersailles, 1er juill. 2014, n° 12/07800 :JurisData n° 2014-018683.

38 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 23: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Vices et vertus

7 VICESETVERTUSDUDEVOIRDELOYAUTÉ

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

Sur le principe, la reconnaissance d’un devoir de loyauté constituant une normegénérale de comportement est de nature à susciter de nombreuses réticences 1. Lesarguments qui les justifient sont connus et se sont exprimés, dans le passé, dans dessituations assez proches : incompatibilité avec notre droit, inutilité, dangerosité

notamment 2.

Sans y consacrer de trop longsdéveloppements,notammentparce que nous nous plaçons dans une démarche plus pragma-tique que théorique, nous n’entendons cependant pas occulterces réticences. Nous discuterons en conséquence, ci-après, lesprincipaux arguments qui pourront être avancés à l’encontred’une telle reconnaissance.

À titre préalable, il y a lieu d’observer que, selon notrecompréhension, il ne s’agit pas en l’occurrence d’introduiredans notre droit une notion nouvelle, ni, a fortiori, de nousefforcer de promouvoir une telle notion aumépris de la réalitéexistante. Il ne s’agit en effet que de reconnaître la place effec-

tive que tient cette notion dans notre droit. Et donc de prendreen compte la réalité. De la clarification pouvant en résulter, onne peut tout au plus qu’attendre une légère inflexion de notredroit positif,mais pas un bouleversement.

1. Sa contrariété aux principes juridiquesdu droit français

Une telle critique n’est pas fondée.L’exigence d’un compor-tement loyal en société (et la condamnation corrélative d’uncomportement déloyal) a de tous temps été présente dansnotre droit. Elle a existé dans le droit romain, s’est maintenueau cours du Moyen-Âge, s’est concrétisée par de multiplesdispositions des codes napoléoniens, a été identifiée par ladoctrine classique et a simplement été occultée pendant unepartie des XIXe et XXe siècles, avant de ressurgir de façon trèsprésente dans notre droit positif moderne.

Au demeurant, dans le principal domaine où l’exigence deloyauté pouvait entrer en conflit avec d’autres principes denotre droit, le domaine contractuel, le débat a eu lieu et estaujourd’hui très largement consommé. Dans ce domaine eneffet, de nombreuses objections ont été soulevées à l’encontrede la bonne foi, dénomination de la loyauté contractuelle,tirées des principes de l’autonomie de la volonté et de la libertécontractuelle. On sait aujourd’hui que les deux notionscoexistent dans le domaine contractuel et que,dans notre droitpositif, l’autonomie de la volonté et la liberté contractuellesont tempérées par l’exigence de bonne foi 3.

1. V. à cet égard,D. Mazeaud, Loyauté, Solidarité, Fraternité : la nouvelle devisecontractuelle ?, in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré :Dalloz, 1999, p. 603 et s. – D. Mazeaud, La confiance légitime et l’estoppel :RID comp. 2006, p. 363 et s.

2. Par exemple, lorsque la Cour de cassation a élevé la loyauté au rang de« principe de la procédure civile », de multiples objections ont été soule-vées, afin de mettre en avant l’inutilité ou le caractère dangereux d’un telprincipe, en ce qu’il aboutissait à la reconnaissance d’une norme jugée tropfloue. – V. L. Miniato, L’introuvable principe de loyauté en procédure civile :D. 2007, p. 1035. – L. Cadiet, La loyauté procédurale en matière civile : ÉtudeBICC, 15 mars 2006, www.courdecassation.fr. – R. Perrot, La loyauté procé-durale : RTD civ. 2006, p. 151 : ce dernier a considéré que « la loyauté estessentiellement imprégnée d’une lourde connotation morale (...) et (...)échappe à tout repaire objectif ». Il a exprimé la crainte que l’on fasse « de laloyauté procédurale un bélier destructeur de textes, dont on mesure mal lesconséquences ».De même, en clôture du colloque consacré en 2012 à « la loyauté etl’impartialité en droit des affaires », M. le Professeur Laurent Aynès aprèsavoir noté « l’irruption et la chevauchée fantastique des principes de loyautéet d’impartialité ces dernières années (...) » relevait que c’était d’abord« l’inquiétude qui s’est exprimée ces deux derniers jours devant cettemachine à faire exploser le droit, qui parait difficile de maitriser ». Il s’étaitd’ailleurs exprimé dans des termes quasiment identiques dans une tribunede 2006 consacrée à l’obligation de bonne foi, V. Dr. et patrimoine janv.2006, p. 87, obs. L. Aynès. 3. V. à cet égard,D. Mazeaud, La confiance légitime et l’estoppel, préc.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 39

Page 24: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

2. Sa dangerosité en tant que normecomportementale de caractèregénéral

Toute norme de comportement générale, du fait de soncaractère abstrait, laisse nécessairement aux agents écono-miques et aux juges une part de liberté et d’adaptation néces-saire, au cas par cas, en fonction des situations précisesauxquelles ils se trouvent confrontés.

Le flou entourant ainsi toute norme de comportementconstitue une source d’insécurité, car il comporte une partd’imprévisible. Il est juste de craindre que ce soit particulière-ment vrai en ce qui concerne le devoir de loyauté, puisqu’il secaractérise notamment par la variabilité de son intensité et laprise en compte complexe et en partie subjective d’un lien (deconfiance) avec autrui.

Cependant, notre droit est familier avec la prise en comptede normes générales de comportement. Celles-ci sont mul-tiples : on peut citer, à titre d’exemple, les exigences d’uncomportement honnête 4, prudent, diligent et, en matièrecontractuelle, de bonne foi, ou encore la prohibition de latromperie, de la fraude ou de l’abus de droit.

Ces normes de comportement sont souvent par naturevariables ou complexes. De nombreux concepts juridiquesintègrent une variabilité du contenu de l’obligation faite auxagents économiques en fonction des circonstances auxquellesils sont soumis. Par exemple, les obligations d’informationprécontractuelle de l’acquéreur ou du vendeur et les obliga-tions de diligence en général, sont tenues par notre droit positif– législateur et jurisprudence notamment – comme variablesselon que l’on est soi-même non professionnel ou profession-nel, averti ou profane et que l’on est en présence d’un profes-sionnel ou d’un profane. À titre d’exemple encore, ladéterminationde l’existence ounond’une fraudeoud’un abussuppose une appréciation, par essence variable d’une situationà l’autre, en partie subjective et complexe.

Là où il s’applique, le devoir de loyauté n’a pas créé uneinsécurité qui condamne sa reconnaissance en tant que normegénérale de comportement. À titre d’exemple, le devoir deloyauté auquel sont astreints les dirigeants de société ou lesexigences de la loyauté entre concurrents n’ont pas créé uneinsécurité paralysant leur action.Demême, l’interdiction de secontredire audétrimentd’autrui est cernéepar touches succes-sives par la jurisprudence, tant en matière procédurale qu’en

matière contractuelle, sans qu’endécoule une insécurité qui encondamne le principe.

Enoutre, c’est la noblesse de la tâche de la jurisprudence quede fixer les limites et les contours d’un tel devoir, ce qu’elle fait,depuis des siècles dans tous les domaines d’application de lanorme juridique.

3. Son approche moraliste des rapportssociaux, génératrice d’inefficacitéLe devoir de loyauté serait incompatible avec la nature

humaine et la norme qu’il édicte serait paralysante ou consti-tutive d’un obstacle au développement économique.

Sans s’attarder sur l’essencede lanaturehumaine, l’exigencede loyauté ne conduit pas à un angélisme générateur d’ineffica-cité. À titre d’exemple, les avocats, qui sont pourtant soumis àun strict devoir de loyauté 5 jouissent d’une solide réputationd’efficacité qui n’est pas usurpée. À l’inverse, les règles deloyauté auxquelles ils sont soumis sont un facteur d’efficacitéparce qu’elles génèrent une confiance qui fait d’eux des parte-naires privilégiés de leurs clients, acteurs économiques.

D’une façon générale, du point de vue de l’analyse écono-mique du droit, la reconnaissance du devoir de loyauté nousparaît être un facteur d’efficacité économique et donc ver-tueuse. En particulier, elle participe d’une moralisation desaffaires qui, selon certains, est nécessaire à la survie même ducapitalisme et du libéralisme. Elle est étroitement liée à laconfiance, carburant nécessaire des affaires et vecteur de déve-loppement économique. En particulier, la confiance stimule laconsommation puisqu’elle diminue les peurs et réticences etfavorise l’entrepreneuriat puisqu’elle crée un environnementpropice à l’adaptation et à la coopération entrepartenaires 6.Ledevoir de loyauté se traduisant par le renforcement des obliga-tions d’information, de prévention des conflits d’intérêts,d’autorisation préalable ou de collaboration, qui découlentnaturellement de la prise en compte de la confiance légitimed’autrui, il est un facteur de diminution des situations conflic-tuelles et donc d’accroissement de l’efficacité.

Ainsi donc, selon nous, la reconnaissance du devoir deloyauté comme norme générale de comportement par notredroit aura sur le fonctionnement général de notre société, deseffets induits non pas négatifs mais vertueux.

4. Le fait que la sanction d’un comportement malhonnête relève le plussouvent de l’ordre pénal appelle deux remarques :– d’une part, le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à uneévolution de l’appréciation des comportements visés, et l’on sait que desmouvements de pénalisation ou de dépénalisation traversent notre société ;– d’autre part, nonobstant la qualification pénale que peuvent recevoir descomportements malhonnêtes, ils constituent aussi des fautes civiles enga-geant la responsabilité civile de leurs auteurs.

5. Ils sont soumis à une stricte déontologie, exercent leur activité pour lecompte d’autrui, parfois dans la position de « fiduciaires », doivent rendrecompte de leur mission et sont souvent exposés à des situations de conflitsd’intérêts. Pour ceux d’entre eux qui exercent une activité contentieuse, ilsse trouvent en outre dans un environnement régi par le principe de loyautéet sont soumis à l’autorité des juges chargés d’en assurer le respect.

6. Du côté du créancier du devoir de loyauté, son comportement pourraintégrer une dose raisonnable de confiance, fondée sur le fait que toutacteur économique est astreint à intégrer et respecter la confiance légitime-ment placée en lui. Du côté du débiteur du devoir de loyauté, il devra tenircompte, dans son comportement, du fait qu’il ne peut trahir la confiancelégitime qui a été placée en lui par autrui.

40 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 25: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Apports en droit interne

8 RECONNAISSANCEDUDEVOIRDELOYAUTÉENTANTQUENORMEGÉNÉRALEDECOMPORTEMENTLes apports en droit interne

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

La reconnaissance d’un devoir de loyauté constituant une norme générale decomportement permet de ne pas rattacher la loyauté précontractuelle à la notionde bonne foi et constitue dès lors un élément de clarification. En outre, cettereconnaissance conduit à plus de cohérence quant à la loyauté en matière de droit

des sociétés.

1. La clarification de certaines situationsambiguës ou confuses

Au regard du droit positif, il existe une forme d’incohérenceou de confusion quant à l’existence de la bonne foi précontrac-tuelle.

En effet, selon la Cour de cassation, « l’obligation de bonnefoi suppose l’existence de lien contractuel » 1. La notion debonne foi est donc strictement liée à celle de contrat. Avant lecontrat ou encore après le contrat, il n’existe pas d’obligationd’agir de bonne foi.

Pour autant, on enseigne que l’obligation d’agir de « bonnefoi » déborde de la simple exécution du contrat et qu’elle régitles conditions de formation du contrat. Elle est donc présenteantérieurement à l’existence du contrat, à un moment où

celui-ci n’existe pas encore. Ce qui contredit la propositionprécédente 2.

La jurisprudence, lorsqu’elle sanctionne les conditions deformation d’un contrat et identifie des obligations d’informa-tion précontractuelle dont elle fixe les contours et parfoisconstate la violation, le fait au visa de l’article 1134 ou del’article 1382 du Code civil 3. Ce qui entretient la confusion.

1. V. Cass. 3e civ., 14 sept. 2005, n° 04-10.856 : JurisData n° 2005-029699.

2. La réforme en cours du droit des contrats tente de résoudre cette contradic-tion en élargissant la bonne foi à la formation du contrat (article 1103nouveau).

3. La chambre commerciale de la Cour de cassation sanctionne le manque-ment à l’obligation de contracter de bonne foi sous l’égide des articles 1134et 1147 du Code civil, V. Cass. com., 25 mars 2003, n° 00-15.386 : JurisDatan° 2003-018688. – Cass. com., 17 déc. 2003, n° 00-19.993 : JurisData n° 2003-021625. – La première chambre civile l’aborde, quant à elle, au regard del’article 1382 du Code civil, V. Cass. 1re civ., 4 juill. 2003 : D. 2004, p. 204. –La troisième chambre civile se réfère au visa conjoint des articles 1134 et1382,V.Cass. 3e civ., 27 juin 2001, n° 99-17.737 : JurisData n° 2001-010439 ;Loyers et copr. 2001, comm. 227.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 41

Page 26: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Il nous semble que la reconnaissance d’un devoir de loyautéconstituant une norme générale de comportement et prenantsimplement le nom de « bonne foi » dans la sphère contrac-tuelle, permettra une clarification tout en répondant à unbesoin de rigueur intellectuelle et juridique.

En effet, si tel est bien le cas, avant la conclusion du contratl’existence d’une obligation de se conduire loyalement etnotamment de satisfaire à son obligation d’information pré-contractuelle, ne découle pas d’une obligation de bonne foi(par hypothèse contractuelle) mais de l’existence du devoir deloyauté. Le manquement à une obligation de contracter debonne foi constitue un manquement au devoir de loyauté,entraînant une responsabilité délictuelle.

Si tel est bien le cas, dès la conclusion du contrat et pendanttoute la période contractuelle, cette obligation de loyauté serenforce,pour les besoins de l’exécution,de l’interprétation,del’adaptation et de la résiliation du contrat. C’est le territoire dela bonne foi.

Si tel est bien le cas, postérieurement à la résiliation ducontrat, ressurgit une exigence de loyauté qui n’est pas liée à labonne foi,mais à l’existence d’undevoir de loyauté constituantune norme générale de comportement.

2. L’éclairage nouveau de certainessituations de fait ou de droit

A. - Le fonctionnement et la protection de l’entreprise

1° L’extension du domaine de la non-concurrence

On a vu qu’en jurisprudence, le devoir de loyauté des diri-geants vis-à-vis de l’entreprise se traduit principalement parune obligation de non-concurrence et les associés de la sociétéen sont exonérés 4.

La différence radicale de situation entre les uns (dirigeants)et les autres (associés) est justifiée, à notre sens, compte tenudes caractéristiques du devoir de loyauté 5. En effet, les diri-geants « mandataires sociaux »ont été investis d’une confiancedont ils doivent se montrer dignes. Ils sont soumis à un devoirfiduciaire et donc à un devoir de loyauté renforcé. À l’inverse,les associés ne sont en principe pas dépositaires de la confiancede tiers, ils n’ont pas de responsabilité fiduciaire, ils ne sont pasnon plus dépositaires, pour les besoins de l’accomplissementd’une fonction, d’informations privilégiées qui les mettentdans une situation de conflit d’intérêts avérée.

Cependant, la réalité offre des situations moins nettes, danslesquelles l’éclairage de la reconnaissance d’un devoir deloyauté constitutif d’une norme générale de comportementparaît utile et pourrait permettre une meilleure cohérence etdonc une meilleure lisibilité pour tous les acteurs de la vieéconomique.

La question des conséquences de l’existence d’un devoir deloyauté se pose dans plusieurs situations.

Concernant les administrateurs, membres du directoire

et certains tiers participant à la réalisation de l’activité

sociale de l’entreprise. – À notre connaissance, la jurispru-dence n’a jamais sanctionné des administrateurs ou desmembres du directoire au motif qu’ils seraient tenus d’undevoir de loyauté renforcé à l’égard de l’entreprise à la direc-tion de laquelle ils participent 6. Pour autant, dans le cadre deleurs fonctions, ceux-ci acquièrent une connaissance de l’envi-ronnement, des produits ou services de l’entreprise. Ilsreçoivent, dans l’intérêt de l’entreprise et pour les besoins del’accomplissement desdites fonctions, des informations privi-légiées. Il nous semble qu’à l’instar des dirigeants opération-nels, ils devraient –compte tenu du devoir de loyauté renforcéqui pèse sur eux dès lors qu’ils ont été investis par l’entreprisede sa confiance–, être astreints, sauf dérogation expresse, à uneobligation de non-concurrence 7. Il devrait en être de mêmedes tiers, fournisseurs ou conseils, ayant été étroitement asso-ciés à l’activité de l’entreprise et ayant bénéficié à ce titred’informations privilégiées 8. La jurisprudence sur la concur-rence déloyale va d’ailleurs dans ce sens 9.

Les associés participant à la réalisation de l’activité

socialede l’entreprise.–Dès lors quedes associés participent àdes organes (comités stratégiques, de surveillance, de contrôleou autres) démontrant qu’ils ont été investis d’une certaineconfiance de la part de l’entreprise et qu’ils ont reçu d’elle desinformations privilégiées dans le but d’accomplir cette fonc-tion spécifique, ils devraient, de même, se montrer dignes deladite confiance et, sauf dérogation expresse, ne pas avoir uncomportement déloyal consistant à les utiliser pour lui faireconcurrence.

Les anciens dirigeants. – On l’a vu, la jurisprudence estréticente à sanctionner, sur le principe, l’activité concurrenteconduite par des anciens dirigeants 10. Cette réticence est com-préhensible. Il est en effet normal et légitime que des anciensdirigeants puissent utiliser les connaissances et l’expériencequ’ils ont acquises dans le secteur d’activité spécifique del’entreprise qu’ils ont dirigée, pour poursuivre leur carrière, lecas échéant dans le même secteur. Il existe cependant unelimite à cela, nous semble-t-il, liée à l’utilisation d’élémentsspécifiques, élaborés par l’entreprise quittée par l’intéressé etqu’il utilise pour lui faire concurrence, c’est-à-dire dans lecadre d’un détournement de l’objectif pour lequel ils lui ontété confiés. La jurisprudence s’est déjà engagée, en partie, danscette voie, lorsque les agissements de l’ancien dirigeant sont

4. Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-23.888 : JurisData n° 2013-018935.

5. V. supra.

6. Étant observé que l’extension d’un devoir de loyauté aux administrateurs aété prônée par une partie de la doctrine,V.K.Grevain-Lemercier, L’extensiondu devoir de loyauté du dirigeant envers les associés : Gaz. Pal. 5 avr. 2013,p. 21.

7. À l’évidence, des exceptions doivent pouvoir exister en lamatière. Il n’est eneffet pas rare qu’un administrateur soit désigné alors qu’il participe déjà,d’une manière ou d’une autre au fonctionnement d’une entreprise ayantune activité concurrente ou potentiellement concurrente et ce en pleineconnaissance de cause.

8. Étant observé que s’agissant de ceux-ci, il devra aussi être tenu compte, del’imprudence le cas échéant commise par l’entreprise s’étant livrée à unecommunication indue ou inutile d’informations privilégiées et ayant ainsiparticipé à la réalisation de son propre préjudice, entravant sa capacité às’en prévaloir.

9. Cass. com., 3 oct. 1978, n° 77-10.915 : JurisData n° 1978-700208.

10. Cass. com., 10 sept. 2012, n° 11-24.305 : JurisData n° 2012-030284. – Cass.com., 17 janv. 2006, n° 04-14.108.

42 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 27: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

constitutifs d’une concurrence déloyale au sens traditionnel dece terme : débauchage, désorganisation, confusion, ou détour-nement des éléments de l’actif social. Il nous semble que cemouvement devrait s’élargir aux informations privilégiéesreçues par l’intéressé.

Bien évidemment, la protection de l’entreprise, dans leshypothèses que l’on vient d’évoquer devra tenir compte,notamment :

– d’une part, de ce que les informations publiques pourrontêtre utilisées en toute liberté. Si une étude de marché ou uneétude technique sont disponibles et accessibles au public,aucune réclamation ne pourra être formulée du fait de leurutilisation ;

– d’autre part, des circonstances particulières. Au cas parcas, la jurisprudence devra trancher entre les intérêts légitimesde l’entreprise justifiant la reconnaissance d’un devoir deloyauté renforcé la protégeant et la liberté du commerce pou-vant conduire à reconnaître l’absence de violation de ce devoir.

2° La protection de l’entreprise au regard des opportunitésd’affaires

Il existe un mouvement international qui tend à règlemen-ter la protection des entreprises au regard des opportunitésd’affaires 11.

Ce mouvement connaît deux courants distincts, lesquelsrépondent à des logiques et des objectifs différents :

– le plus expansif : il est inspiré des principes de la « noprofit rule ». Ceux-ci visent à préserver la rectitude morale decelui qui est concerné, en lui interdisant tout profit personnel,sans prendre en compte la capacité ou la volonté de l’entrepriseprotégée de saisir l’opportunité d’affaires accaparée par ledirigeant. Le droit britannique est l’inspirateur de ce courant,même si le législateur anglais a atténué sapositiondeprincipe àl’occasion du Companies Act de 2006 (article 175). Se situedans ce même courant, l’article 2391 nouveau du Codice civileitalien ;

– lemoins expansif : il est inspiré de la « no conflict rule ». Ilvise à empêcher des conflits d’intérêts et en conséquence tientcompte de la capacité ou de la volonté de la société de l’entre-prise où le dirigeant exerçait ses fonctions, demettre enœuvrel’opportunité d’affaires, objet de l’attention du dirigeant. Telleest l’inspiration du droit américain, ainsi d’ailleurs que dudroit allemand, puisque l’Aktiengesetz allemand, paragraphe88, tient compte de l’existence d’une situation de concurrenceavec la société.Demême encore, la Ley de Sosiedades de Capitalespagnole qui interdit la captation par un dirigeant, d’oppor-tunités d’affaires « dont il a pris connaissance pendant l’exer-cice de ses fonctions, si l’investissement ou l’opération a étéproposé à la société ou si la société s’y intéresse ».

La France s’est pour l’instant tenue à l’écart de ce mouve-ment. Pour autant, la jurisprudence a eu l’occasion de sanc-

tionner la captation d’opportunités d’affaires par un dirigeantet la doctrine de commenter cette jurisprudence 12. Les cir-constances de l’espèce témoignent de la capacité denotre droit,sur le fondement du devoir de loyauté, à avoir une acceptionassez large des hypothèses qui sont ainsi visées.

En effet, en l’espèce, il ne s’agissait pas de protection del’entreprise mais des associés de celle-ci, ce que les législationsprécitées ne visent habituellement pas. Pour condamner lecomportement du dirigeant ayant acquis à titre personnel unimmeuble que les associés auraient souhaité pouvoir acquérir,la Cour suprême s’est appuyée sur l’article L. 225-251, ali-néa 1er du Code de commerce, qui concerne la responsabilitédes dirigeants à l’égard de la société ou à l’égard des tiers.

En l’espèce, la société n’étant pas concernée, les associés ontdonc été considérés comme des tiers par la Cour suprême. Or,jusqu’à présent, la responsabilité des dirigeants vis-à-vis destiers a été cantonnée à la commission d’une faute dite « sépa-rable » des fonctions, faute intentionnelle d’une particulièregravité, incompatible avec l’exercice normal desdites fonc-tions. Tel semblerait donc être le cas d’un manquement audevoir de loyauté.

La situation concernant la captation des opportunitésd’affaires est à la fois proche et différente de celle de l’obligationde non-concurrence.

Elle en est proche à double titre :– d’une part, parce que sont concernées par cette captation

éventuelle lesmêmes personnes que celles qui sont concernéespar l’obligation de non-concurrence : les dirigeants exécutifs,mais aussi, les membres du conseil d’administration ou dudirectoire, etc., dès lors qu’ils ont reçu la confiance de l’entre-prise et qu’ils ont été détenteurs d’informations privilégiées ;

– d’autre part, parce que dans un cas comme dans l’autre,des situations de conflit d’intérêts sont visées. C’est l’évidenceen cas de concurrence.Mais ça l’est aussi, s’agissant des oppor-tunités d’affaires. Par hypothèse, la personne concernée a reçuune information privilégiée dans le cadre de ses fonctions. Latentation lui vient d’utiliser cette information dans son intérêtpersonnel. Le conflit d’intérêts est établi.

Elle en est différente à un double titre :– d’une part, sur le plan des obligations découlant du devoir

de loyauté. En cas de concurrence, le devoir de loyauté setraduit par un devoir d’abstention, une interdiction pure etsimple. En cas d’opportunité d’affaires, le devoir de loyautécrée une obligation d’information, voire d’autorisation préa-lable. Il semble en effet légitimed’exiger de la personne concer-née qu’elle informe la société pour laquelle elle a exercé sesfonctions de son intention d’exploiter ou tirer profit del’opportunité d’affaires qui s’est révélée.Allant plus loin, il peutêtre envisagé de soumettre à l’un des organes décisionnels de lasociété une décision d’autorisation ou à l’inverse d’interdic-tion. La protection de la société s’apparenterait donc à cellemise en œuvre par le droit français en matière de conventions

11. V.M. Corradi, Les opportunités d’affaires saisies par les administrateurs de lasociété en violation du devoir de loyauté : Bull. Joly Sociétés 2011, p. 157. –B. Dondéro, La captation des opportunités d’affaires : regards vers l’étranger :Gaz. Pal. 11 févr. 2012, p. 13 et s. – G. Helleringer, Le dirigeant à l’épreuve desopportunités d’affaires : D. 2012, p. 1560 et s.

12. Cass. com., 18 déc. 2012, n° 11-24.305 : JurisData n° 2012-030284. – V. aussi,K. Grevain-Lemercier, préc. – V. également, Cass. com., 15 nov. 2011,n° 10-15.049, qui, tout en se rattachant à l’obligation de non-concurrence,est considéré comme traitant d’une captation d’affaires.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 43

Page 28: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

réglementées. La règle de prise de décision devrait d’ailleursêtre similaire et conduire à empêcher la personne concernée departiciper au vote 13 ;

– d’autre part, en ce qui concerne l’appréciation du préju-dice. Celui-ci est certain en matière de concurrence et n’estqu’éventuel en cas de captation d’une opportunité d’affaires.Dans ce dernier cas, pour que le préjudice puisse être sanc-tionné, encore faut-il que la société démontre l’existence d’uneperte de chance ou d’opportunité 14.

B. - Les obligations des parties à l’occasion de lacession des titres d’une société

1° L’information due par le vendeur et par l’acquéreur

La cession des titres d’une société commerciale est undomaine qui, très naturellement, donne lieu à des questionne-ments sur la loyauté. En effet, l’objet cédé indirectement,c’est-à-dire l’entreprise à laquelle les titres cédés donnentaccès, est mouvant et difficile à appréhender. Il appelle uneinformation loyale.

Dans ce domaine, la jurisprudence adopte une positiondifférente à l’égard du vendeur, vis-à-vis duquel elle fait preuved’une assez grande rigueur et de l’acquéreur, qui, sauf excep-tion, bénéficie d’une certaine mansuétude. La raison d’être decette disparité de traitement vient de l’inégalité de leurs situa-tions respectives au regard de l’information qu’ils détiennent àl’égard de la société cédée.

Vis-à-vis du vendeur, la jurisprudence a :

– procédé à un élargissement de l’utilisation de l’erreur, enprenant en compte l’erreur que commet l’acquéreur lorsqu’ilignore un événement qui empêche de fait la société de pour-suivre son activité économique 15 ;

– facilité l’invocation du dol et l’utilisation de cette notionpour obtenir des dommages-intérêts permettant le maintiende la cession à des conditions financières révisées à la baisse 16 ;

– permis un glissement de la notion de dol, qui inclut unélément intentionnel vers celle de manquement à l’obligationd’informationprécontractuelle ou encore demanquement à laloyauté,dans laquelle la preuvede l’intentiondolosive n’est parhypothèse plus nécessaire 17.

À l’inverse, vis-à-vis du cessionnaire :

– elle reconnaît certes parfois que le cessionnaire avait uneobligation de se renseigner, qui peut faire obstacle à son invo-cation du dol et à l’obtention de dommages-intérêts 18 ; mais,

– d’une façon générale, c’est-à-dire sauf situation excep-tionnelle, elle ne met pas d’obligation d’information à lacharge de l’acquéreur.Ce dernier n’a pas à informer le vendeursur la valeur réelle des titres ou sur le fait que leur revente étaitdéjà engagée 19.

Sauf dans deux situations : celle où l’acquéreur est enmêmetemps dirigeant de la société 20 et lorsque l’acquéreur est lemandataire du cédant 21.

Les deux exceptions ainsi admises par la jurisprudenceconstituent une illustration dudevoir de loyauté,puisque dansles deux cas, l’obligation d’information spécifique pesant surl’acquéreur résulte de la confiance légitime qui a été placée enlui par le vendeur, confiance qui créée un devoir de loyautérenforcé qui se traduit, en l’occurrence, par une obligation defournir une information spécifique au vendeur.

Dès lors, mutatis mutandis, d’autres situations dans les-quelles il existe un devoir de loyauté renforcé de l’acquéreurvis-à-vis du vendeur pourraient faire naître, l’obligation faite àcelui-ci d’informer le vendeur sur la valeur réelle des titres etdonc sur lui et plus généralement une obligation renforcéed’information précontractuelle.

Par exemple, en cas de cession au profit d’un professionnelpar un vendeur profane qui avait fait appel à son futur acqué-reur en qualité de conseil, préalablement à la vente.

2° La situation des parties en cas de stipulationconventionnelle et notamment en cas de signature d’unegarantie d’actif et de passif

En cettematière, la volonté des parties doit être, en principe,respectée. Les déclarations et garanties effectuées dans le cadred’une garantie d’actif et de passif ont pour objet de permettre àl’acquéreur comme au vendeur de préciser les informationsqui ont été communiquées par le second au premier et qui ontpermis aux parties de parvenir à un équilibre sur le prix decession, lequel reflète l’appréciation faite par l’acquéreur desinformations qui lui ont ainsi été données.

Si la convention prévoit que l’acquéreur ne pourra pasformuler de réclamation au titre des informations qui lui ontété communiquées par l’acquéreur (souvent reprises dans lesannexes de la garantie d’actif et de passif), au motif qu’il aacquis en pleine connaissance de cause, ces dispositionsdevront être respectées.

13. On relèvera d’ailleurs que dans l’autre domaine traditionnellement couvertpar le devoir de loyauté des dirigeants, celui du devoir de loyauté vis-à-visdes associés, la Cour de cassation a reconnu l’absence de violation du devoirde loyauté d’un dirigeant cessionnaire ayant bénéficié de conditions decession plus favorable que celle des associés non dirigeants, en relevant queles avantages qu’il avait obtenus avaient été convenus dans le cadre deconvention portée à la connaissance et soumise à l’avis des actionnaires, V.Cass. com., 28 nov. 2006, n° 04-19.802 : Rev. sociétés 2007, p. 519.

14. Étant observé que dans un cas comme dans l’autre, la résiliation du liend’intérêt existant entre la personne concernée et la société (mandat social,contrat de travail, contrat de prestations ou autre) pourra venir sanctionnerle manquement.

15. Cass. com., 1er oct. 1991, n° 89-13.967 : JurisData n° 1991-002464. – Cass.com., 21 nov. 2000, n° 97-13.891. – Cass. com., 4 déc. 2001, n° 00-10.926.

16. Cass. com., 27 mai 1997, n° 95-15.930 : JurisData n° 1997-002505. – Cass.com., 27 janv. 1998, n° 96-13.253 : JurisData n° 1998-000488.

17. V. par exemple, Cass. com., 8 mars 2005, n° 17-01.480.

18. V. par exemple, Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.232 : RJDA 2003, n° 836.

19. Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11.381 : JurisData n° 2000-001683. – Cass.com., 12 mai 2004, n° 00-15.618 : JurisData n° 2004-023739.

20. À la suite de l’arrêtVillegrain (V.Cass. com., 27 févr. 1996 : Bull. civ. 1996, IV,n° 65 ; JCP 1996, II, 22665, note J. Ghestin), on peut citer notamment,Cass.com., 12 mai 2004, n° 00-15.618 : JurisData n° 2004-023739. – Cass. com.,22 févr. 2005, n° 01-13.642 : JurisData n° 2005-027205. – Cass. com., 6 mai2008, n° 07-13.198 : JurisData n° 2008-043846. – Cass. com., 12 mars 2013,n° 12-11.970 : JurisData n° 2013-004378.

21. CA Paris, ch. 3, sect. B, 30 sept. 2005, Tapie : JurisData n° 2005-280690 ;D. 2005, p. 2740.

44 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 29: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

De même, si la règle inverse a été acceptée par les parties,c’est-à-dire si la communication d’informations par le ven-deur n’a pas contractuellement pour effet d’empêcher desréclamations de l’acquéreur au titre des faits ayant été portés àsa connaissance 22.

Cependant, des manquements au devoir de loyauté sont denature à empêcher l’application des dispositions contrac-tuelles.

En effet, le devoir de loyauté est d’ordrepublic et sa violationconstitue une faute intentionnelle ; or nul ne peut s’exonérerdes conséquences de ses propres fautes intentionnelles.

Ainsi, concernant le vendeur, on relève une jurisprudencequi a sanctionné la mauvaise foi caractérisée de celui-ci, endépit de stipulations contractuelles contraires. En l’espèce, levendeur avait été pénalement condamné pour blessure invo-lontaire et infraction à la législation du travail et bien que leprix de cession des titres n’ait été fixé qu’en considération dubilan de la société cédée et alors que les parties avaient expres-

sément stipulé que tout passif d’origine sociale ou fiscale serévélant postérieurement à la cession et née avant cette date,nepourrait remettre en cause le prix retenu, la cour de cassation aconsidéré, sous le visa de l’article 1382 du Code civil, que levendeur avait « manqué à son obligation de contracter debonne foi en omettant d’informer la société des conséquencesprobables d’un accident du travail intervenu avant la cessionlitigieuse » 23.

De façon symétrique, l’acquéreur qui signerait un acte decession comprenant une garantie d’actif et de passif à sonprofit, alors qu’à la date de signature il aurait connaissance decertains faits (notamment du fait de la réalisation d’un auditapprofondi) non connus du vendeur 24 et qui mettrait enœuvre ladite garantie, commettrait unmanquement au devoirde loyauté et pourrait, à notre sens, se voir privé du bénéficed’une clause stipulée et mise en œuvre à son profit au méprisdu devoir de loyauté.

22. V. notamment à cet égard,Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14.768 : JurisDatan° 2007-040143. – Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-68.860 : JurisData n° 2010-023895. – Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234 : JurisData n° 2015-011055.

23. Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 01-13.018 : JurisData n° 2005-027571.

24. Étant observé qu’un vendeur dirigeant sera réputé avoir une pleineconnaissance de la situation de l’entreprise cédée et qu’il ne pourrait doncs’agir que d’un vendeur non dirigeant.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENT OUBLIÉE PUISRETROUVÉE ?

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 45

Page 30: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

Intérêt sur le plan international

9 RECONNAISSANCEDUDEVOIRDELOYAUTÉENTANTQUENORMEGÉNÉRALEDECOMPORTEMENTL’intérêt au plan international

Article rédigé par :

Philippe BRUNSWICK,avocat associé,BRUNSWICK Société d’Avocats

Pour apprécier cet intérêt, il est utile de s’interroger sur la présence actuelle d’undevoir de loyauté au plan international. Dans la sphère économique internatio-nale, c’est le domaine contractuel qui a, pour l’essentiel, fait l’objet de réflexions etd’accords internationaux (à une remarquable exception près, puisque le préam-

bule du Traité de Rome formule le souhait d’une action concertée en vue de garantir « laloyauté dans la concurrence ») lesquels concernent la notiondebonne foi ou ses équivalentsdans les droits nationaux respectifs.

À cet égard, il convient de rappeler, de façon très succincteque :

– les principaux systèmes juridiques nationaux européensintègrent, sous une formeouune autre,une prise en compte dela bonne foi contractuelle 1 ;

– le droit européen règlemente, dans le même sens, le droitde la consommation 2 et le droit de la concurrence 3. Il recon-naît la notion de « confiance légitime » 4 ;

– la « Soft Law » européenne (principes du droit européendes contrats) fait explicitement, de façon abondante, référenceà la bonne foi 5 ;

– il en est demême pour les principes UNIDROIT ;

– enfin, la Convention de Vienne, malgré l’opposition despays de « Common Law », contient diverses dispositions quireflètent le principe de la bonne foi 6.

L’existence d’un devoir de loyauté en droit français consti-tue, selon nous, un facteur d’attractivité de ce droit et de sonterritoire.1. Étant précisé que cette prise en compte est explicite en droit allemand et en

droit italien et qu’elle n’est qu’implicite en droit anglais, ce dernier larejetant au stade précontractuel.

2. Cons. CE, dir. 1993/13/CEE, 5 avr. 1993 concernant les clauses abusives dansles contrats conclus avec les consommateurs : JOCEn° L 95, 21 avr. 1993, p. 29.

3. PE et Cons. UE, dir. 2005/29/CE, 11 mai 2005 relative aux pratiquescommerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans lemarché intérieur : JOUE n° L 149, 11 juin 2005, p. 22.

4. CJCE, 3 mai 1978, aff. C-112/77, Töpfler c/Commission : Rec. CJCE, 1978,p. 1019.

5. V. Principes de droit européen des contrats, art. 1.102, 1.201, 2.301, 4.103,4.107, 4.109, 4.110, etc.

6. V. par exemple, Conv. Vienne, art. 7, 16 § 2, 40, 84 et 88. – V. aussi, Conv.Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises.

Dossier LE DEVOIR DE LOYAUTÉ, UNE NORME GÉNÉRALE DE COMPORTEMENTOUBLIÉE PUIS RETROUVÉE ?

46 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016

Page 31: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

1. L’attractivité du droit françaisL’attractivité d’un système juridique découle à notre avis, à

un instant donné, de sa capacité à répondre aux besoins de ses« utilisateurs » et, dans le temps, de sa capacité à tenir comptede l’évolutionde ces besoins.Undroitmoderne et pertinent estdonc adapté à la réalité dumonde tel qu’il est, et apte à en suivreles changements.

Un système juridique attractif est aussi un système compré-hensible, prévisible et apportant de la sécurité.Dès lors, il noussemble, que la reconnaissance du devoir de loyauté en tant quenorme générale de comportement est un facteur d’attractivitéde notre droit.

Notre société se caractérise notamment par :– une globalisation des échangesmondiaux qui permet à un

vendeur, où qu’il soit situé dans le monde, de proposer sesproduits à des acheteurs eux-mêmes répartis sur toute la pla-nète ; et,

– une massification et une accélération des échanges quiconduisent à l’instauration de relations entre des gens qui ne seconnaissaient pas avant et ne se rencontreront peut-être jamaisplus, mais sont mis en présence dans le cadre d’un contactponctuel ; et,

– une technicité et complexité toujours plus grande desproduits susceptibles d’être proposés à l’achat.

Dans un tel contexte, un droit « moderne », intègre la possi-bilité de faire légitimement confiance à autrui. Cet autrui quivient peut-être de loin, que l’on ne connaît pas et qui proposepeut-être un produit très technique. Un système juridique oùest reconnue une norme de comportement générant de laconfiance et qui prescrit de répondre à la confiance légitimeplacée en autrui, est adapté à notremondemoderne.

Notre société se caractérise aussi par une accélération duchangement. La capacité d’un système juridique à intégrer ceschangements et donc à évoluer pour en tenir compte, faitpartie de son attractivité. De par ses caractéristiques, le devoirde loyauté y participe.Parce qu’il ne correspondpas à une règlefixe et immuable, mais comprend une appréciation « subjec-tive » d’un comportement conforme aux exigences de laloyauté à un moment donné, il autorise la prise en compte del’évolutionde ces exigences et donc,des besoins des utilisateursde droit 7.

Concrètement, les obligations d’information, d’autorisa-tion préalable ou d’abstention qui découlent du devoir deloyauté seront plus ou moins fortes et pourront être adaptéesen fonction de l’évolution des besoins. Il y a dans toute normede comportementune capacité d’adaptation et d’évolutionquiconstitue un facteur d’attractivité.

Bien qu’évolutive, une norme telle que le devoir de loyautéest néanmoins lisible et prévisible. En effet, tous les acteurspeuvent agir en sachant qu’il est attendu de leur part uncomportement loyal. En outre, dès lors que l’on ne conçoit pasqu’un manquement au devoir de loyauté puisse ne pas être

intentionnel, sa violation est nécessairement consciente. Pourle surplus, s’il est vrai que la notion de loyauté est en partiesubjective et donc dépendante de l’appréciation individuellede ce qu’est un comportement loyal, il n’endemeure pasmoinsque, dans ce domaine comme dans tous les autres, il existe àinstant donné, un savoir accessible, qui permet de ne franchirles limites du devoir de loyauté qu’en pleine connaissance decause.

2. L’attractivité du territoire français

Le droit français mélange, d’un côté, des règles substan-tielles connues et écrites à l’avance intégrant des prescriptionsexplicites (celles desmultiples codes notamment) et d’un autrecôté, des normes comportementales intégrant des principes àrespecter, sans que les prescriptions qui en résultent soientdétaillées. Il s’agit là d’un compromis, à notre sens, satisfaisant,entre la prévisibilité, la lisibilité, la sécurité et l’adaptabilité.

L’existence d’un devoir de loyauté constitutif d’une normegénérale de comportement participe de la deuxième catégoriede règles dont notre droit assure le respect. Reconnaître l’exis-tence d’un devoir de loyauté constituant une norme généralede comportement est-il de nature à inquiéter les opérateurséconomiques ou à l’inverse, de nature à les attirer ?

La question a été déjà débattue notamment, à l’occasion descolloques qui ont été consacrés au devoir de loyauté 8.

Nous pensons qu’elle est plutôt un facteur d’attractivité denotre territoire. En effet, nous sommes enclins à penser que laloyauté fait partie des dispositions d’esprit qui ne sont paspropres à l’esprit français. Elle existe nécessairement dans tousles pays dumonde.

À l’heurede lamondialisation, laquelle conduit à rechercherdes règles communes applicables aux citoyens de tous les Étatsappelés à se rencontrer et en particulier à commercerensemble, elle constitue nécessairement un point d’appui, carelle est une base comprise et potentiellement acceptée par leplus grand nombre.

En outre de façon pragmatique, du côté du consommateur,il est préférable de vivre dans un pays où la règle de droit faitobligation aux acteurs économiques de se comporter de façonloyale. Les obligations découlant du devoir de loyauté visent laplupart du temps à protéger le plus faible contre le plus fort, leprofane contre le professionnel. Elles visent à une meilleureinformation, à l’interdiction de comportements déloyaux sus-ceptibles de préjudicier au particulier. Elles offrent donc unemeilleure sécurité et une meilleure protection face à la puis-sance et aux moyens des grandes organisations et notammentdes entreprises. Il s’agit donc d’un facteur d’attractivité denotre territoire.

Du côté des entreprises, la reconnaissance d’un devoir deloyauté est de nature à attirer celles que ses obligations induitesne perturbent pas. Celles qui souhaitent développer une acti-vité sur un territoire dont les consommateurs attendent des

7. Pour illustration, il nous semble que l’émergence et le renforcement de lareconnaissance du devoir de loyauté par notre droit a constitué la réponsede notre système juridique à un « besoin de devoir de loyauté », lui-mêmede plus en plus fort.

8. V. Le devoir de loyauté en droit des affaires. Colloque du 28 octobre 1999,Maison du Barreau de Paris : Gaz. Pal. 2000, 2, doctr. p. 2109. – Loyauté etimpartialité en droit des affaires. Colloque du 31 mars et 1er avril 2012 : Gaz.Pal. 23-24 mai 2012, p. 1820.

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016 47

Page 32: Dossier - legtux.orginnove.legtux.org/affic/files/PDD du 19 oct 16 - Cahiers... · 2016-10-31 · «SoftLaw»(dossier 5),nousnousefforceronsd’enpréciser lesspécificités( dossier

entreprises que ces dernières se montrent dignes de laconfiance légitime placée en elles et où les entreprises res-pectent, entre elles, des règles conduites inspirées du devoir deloyauté. Bien sûr, il ne s’agira pas là de toutes les entreprises.Seules celles qui se reconnaîtront dans un capitalisme inté-grant une dose de loyauté trouveront dans sa reconnaissanceun facteur d’attraction du territoire français. Il y aura un effetrepoussoir de ce même territoire vis-à-vis des autres entre-prises, celles qui se sentiront inconfortables avec les obligationsdécoulant du devoir de loyauté. Certains penseront... qu’ils’agira là d’un facteur complémentaire d’attractivité de notreterritoire.

3. ConclusionLa reconnaissance de l’existence dans notre droit d’un

devoir de loyauté constitutif d’unenormegénérale de compor-

tement ne constitue qu’une forme de prise de conscience de laréalité. Elle est du ressort de la « prise d’acte ».

Elle peut être accueillie sans appréhension. Elle est tout auplus de nature à inspirer une inflexion de notre droit vers plusde cohérence et de lisibilité, notamment :

– en matière de protection de l’entreprise contre la concur-rence ou la captation d’opportunités d’affaires par ceux quiparticipent à la réalisation de son activité ;

– en matière de formation des contrats et notamment descontrats de cession de titres financiers, afin que certains acqué-reurs astreints à un devoir de loyauté renforcé soient plustransparents sur les informations qu’ils détiennent sur l’objetde la cession.

Elle nous semble un élément participant de la modernisa-tion de notre droit et globalement, un facteur d’attractivité.

48 CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 1, JANVIER-FÉVRIER 2016